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Un cimetière de province

 

 

 

La dernière fois que je suis retourné au cimetière du sud, dix ans avaient passé. Les mauvaises herbes parmi les tombes y poussaient plus nombreuses qu’auparavant. Question d’économies, sans doute. Le gardien se faisait vieux. Certaines tombes en étaient presque entièrement recouvertes. A croire que les parents des décédés étaient morts à leur tour. Ou que leurs descendants n’éprouvaient pas le besoin de méditer  devant une dalle de pierre.

Ils étaient tous là, ceux qui incarnaient une partie de cette ville qui était la mienne et, en dessous ou à côté, ceux  qui l’avaient incarnée en d’autre temps.

C’est une étrange douceur que celle des cimetières lorsque aucune cérémonie n’y a lieu. On n’y pense pas qu’aux morts mais, soit aux morts soit aux vivants, on y pense sereinement. Exister y paraît aussi extravaguant que de ne pas exister. 

Beaucoup de ceux qui partent rêvent d’une autre vie. Parfois d’un autre amour. Moi aussi je m’étais exilé. Mais c’est soi-même qu’on emporte.

Dix ans plus tard,  j’avais eu envie de revenir. 

Les premiers mois, en Australie, je me roulais sur mon lit en pensant à la femme que j’avais aimée. Les femmes que j’y avais connues, c’est en pensant à elle que je les prenais. L’une d’elle, une nuit, avait dit.

- Arrêtes, tu me fais mal. Pour qui me prends-tu ?

Cette sensation d’avoir la poitrine serrée dans un étau avait lentement disparu. Au point que parfois, j’avais recherché cette pression du ventre que je ne retrouvais plus. Plus tard, j’en avais été frustré.  Je n’étais même plus parvenu à l’imaginer.

Hier, j’avais été prendre un verre dans cette taverne que j’avais tant fréquentée. Alfred, était toujours barman. Il était plus lent. Il était plus chauve. Il n’avait plus honte de porter des lunettes. Mais il reconnaissait toujours ses anciens clients qu’il appelait par leur prénom, précédé du  « monsieur » censé reconnaitre les barrières qui existent entre des jeunes gens de bonne famille et le serveur qu’il était.

Julie était mariée, avait-t-il dit. A un riche négociant, un veuf dont la femme, c’est ce qu’on disait, était incapable de résister aux tentations de la mode. Quatre fois par an, elle se rendait à Paris pour faire ce qu’elle appelait les boutiques. Le veuf, avec Julie, avait hérité d’une femme moins frivole, à même de le seconder dans ses affaires, et Julie avait hérité d’une garde-robe dont elle s’était débarrassée à l’exception des fourrures qu’il n’y avait eu qu’à retoucher. Je n’avais pas cherché à la revoir.

Les gens qui comptaient désormais en ville n’étaient plus les mêmes que ceux que ceux que j’avais connus.

Le directeur de la police judiciaire, l’un de mes anciens amis, depuis longtemps avait été muté à l’occasion d’une flatteuse promotion, et son successeur avait fait table rase du passé.

- Il faut que la police se transforme.

Il ajoutait pour montrer son érudition et sa connaissance des choses de la vie :

- Pour que les choses restent ce qu’elles sont.

Le passé avait définitivement disparu. Il est vrai qu’il  ne concernait que moi.

 

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Commentaires

  • C'est une très belle nouvelle que j'ai relue avec autant de plaisir. La nostalgie .... quand tu nous tiens. Et c'est tellement bien dit !

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