Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Toutes les publications (149)

Trier par

Le printemps,

                                                                         

 

Oh toi,

joli printemps,

tu es l’entrelacement

de tous les temps,

flamboyants, virginaux,

verts ou gris,

dont le sein de chacun,

recèle un lait de fleurs,

qui embaume toute la terre,

entête son fol amant,

diablement bleu,

le ciel léger et grand ouvert !

Déci de là,

l'enfance multicolore,

dessine et forme une immense ronde,

enchanteresse et rieuse,

tout autour du soleil,

qu'avril et mai,

inlassablement déraisonnent !

 

 

 

Lire la suite...

Les Vieux

Les vieux

L'institut se dressait face à la prairie verte

La France découpait au lointain l'horizon

On devinait le soir, derrière les fenêtres,

Des visages ridés aux grands yeux sans passion.

Ils se tenaient tapis, les mains sur les genoux,

Ils regardaient la nuit, son ombre évanescente

S'étendre lentement comme un charme trop doux

Noyant la vie qui fuit dans la Source Puissante.

Les regards se perdaient vers l'Infini des jours,

Les têtes s'inclinaient, alourdies vers la terre,

Des souvenirs sans fin, des rêves, des amours,

Dissolvaient les vieux coeurs en ondes éphémères.

Il ne restait pour eux que la Grande Patience,

Les heures se traînaient, interminablement.

Ils attendaient sans peur l'Ultime Délivrance

Les mains sur les genoux, silencieusement.

© Rolande Quivron

Extrait du recueil "Intégrales"

"La pensée Universelle" 1983

Lire la suite...

Haktiva, l'hymne à l'espérance

 

 

On ne m'a pas appris de ferventes prières
Et je ne fus jamais tentée d'implorer Dieu.
Lors de grandes douleurs, j'interpellais ma mère
Qui souvent se trouvait en un tout autre lieu.

Je répétais: maman! attendant ses caresses,
Sûre que son esprit rôdait auprès de moi.
J'espérais à nouveau l'effet de sa tendresse.
Et j'entendais sa voix m'apaiser chaque fois.

Ma mère, elle, savait prier avec ferveur.
Elle était confiante en demandant de l'aide.

Quand le sort imprévu imposait sa rigueur;
Elle ne voulait pas que son courage cède.

Je vieillis épargnée, rêveuse et solitaire

J'aime à me souvenir de mon adolescence

Lors j'entends clairement ce que chante ma mère

Et fredonne à mon tour cet hymne à l'espérance.

 

8 août 2009

Lire la suite...

Printemps

Saison du renouveau de la nature

Dans nos cœurs, bourgeons de fleurs

Brasées de jonquilles et de violettes

De baisers, d’étreintes et de caresses

Saison du renouveau de la vie

Joli  minois, joli bébé, joli poupon

Au bal de notre destin tu es le premier

Ton étoile nous comble de joie

Saison du renouveau de l’amour

Certitude d’une espérance nouvelle

Pour renaître au plaisir ensemble

Nous serons deux à aimer follement

Le printemps qui s’annonce passionnément.

Lire la suite...

                                      8

 

Julie avait déposé l’écouteur après que Pierre eut raccroché. Elle avait mal compris ce qu’il lui avait dit. Elle lui demanderait de s’expliquer à son retour.

Elle eut un frisson. Elle n’était pas certaine qu’il allait revenir. Sa vie venait de basculer, elle le pressentait.

Le lendemain, elle comprit qu’il ne reviendrait pas. C’était une certitude que son corps refusait d’admettre mais dont son cerveau était persuadé.

Elle mit de l’ordre dans la maison. Elle téléphona au bureau pour dire qu’elle avait pris froid.

- Ne soyez pas étonnée, madame Belain, Monsieur Pierre a du s’absenter d’urgence.

Devait-elle téléphoner à monsieur Halloy et s’étonner de ce que Pierre ne se soit pas présenté au bureau. Qu’elle était inquiète, est-ce qu’il était malade ? Il aurait raison de penser qu’elle était stupide. Elle se souvenait des funérailles de Gérard. De l’animosité qui l’entourait.

Deux jours plus tard, elle retournait au bureau. Il était temps de reprendre les choses en mains. Julie était une femme de caractère.

La société Leroy et fils dont elle était devenue la propriétaire était située sur un des boulevards extérieurs de la ville. C’était une grosse maison qui s’élevait au fond d’une cour pavée. Là, se garaient les voitures tirées par des chevaux aux débuts d’une entreprise plus que centenaire. Monsieur Leroy, le père de Gérard, après que le magasinier y avait porté les marchandises, comme son père le faisait avant lui, accompagnait ses clients jusqu’à leur camionnette. La dernière poignée de mains consolidait les liens commerciaux. Gérard, plus timide, avait eu une attitude plus distante.

- Ce sont mes produits qu’ils achètent.

Julie reprit les habitudes de son beau-père. Les affaires s’en portaient bien, et elle avait l’occasion d’entendre ce qui se disait en ville. Pourvu que les marchandises fussent bonnes, personne ne posait des questions embarrassantes. Gérard n’avait pas la cote auprès de ses clients, sa mort leur était indifférente.

Les bruits qui avaient couru évoquaient un fait-divers qui les excita durant quelques jours mais comme à la télévision l’imagination avait fini par brouiller les visages. A devenir moins précise, la rumeur qui s’était amplifiée était en train de se dissiper. 

Julie chargeât madame Belain d’engager un représentant commercial afin de reprendre les tâches effectuées par Pierre. Pas toutes. Les initiatives que prenait Pierre, monsieur Tordoir ne souhaitait pas les prendre ni des décisions qui étaient celles d’un patron. C’était prendre des responsabilités au-delà de celles qu’on affiche.

Etienne Tordoir était un homme de quarante-cinq ans qui venait d’un négoce similaire. Il était marié et il avait deux enfants. Madame Belain avait bien soupesé toutes les hypothèses envisageables. Julie signa son contrat d’emploi sans hésitation.

De toute manière, s’il fallait assister à des Foires Commerciales, elle avait résolu d’y aller seule, il ne s’agissait pas de déplacement de détente.

Quand on aime vraiment, faut-il souhaiter la mort de l’amant plutôt que d’accepter qu’il vous abandonne, qu’il soit vivant ? Heureux peut être ? Avec une autre ? Des réflexions de toute nature lui traversaient l’esprit lorsqu’elle n’était pas occupée avec des clients ou en train de lire ses comptes. En revanche la nuit lorsqu’elle apaisait les pulsions de son corps, c’est à Pierre qu’elle songeait. Puis, elle le haïssait à nouveau lorsque son corps était plus ou moins apaisé.

Un jour, à Paris où elle se rendait de temps à autre pour respirer l’atmosphère d’une grande ville, et qu’elle sortait de l’hôtel, elle passa devant une boutique où on vendait de la lingerie fine. A l’intérieur, c’était des objets érotiques qui étaient exposés. Un instant, elle avait été tentée de sortir. Puis, sans dire un mot, elle désigna à la vendeuse un vibro-masseur.

- Vous avez une préférence pour la tête ?

Elle s’en servit quelques fois mais n’en était pas réellement apaisée. Elle le glissa dans le tiroir de sa table de nuit. Tout au fond.

Liliane avait vraisemblablement raison. On aime avec son cerveau, et on aime avec son corps. Les deux, pas nécessairement en même temps. Alors, l’amour ?

Liliane, la pharmacienne que le docteur Meurisse lui avait conseillée, était devenue une amie. L’officine fermée, elle venait passer la soirée chez Julie. Elles parlaient souvent des hommes. Julie, de Gérard et de Pierre alors que Liliane parlait d’un grand nombre d’entre eux.

C’était une jolie femme à l’aspect un peu vulgaire qui excitait la plupart des hommes. Une nymphomane, disait-on d’elle, mais personne ne lui connaissait de liaison. Ce sont ses propos et une certaine façon de rire qui lui donnaient cette réputation.

- Je sais ce que c’est que d’être jetée.

Elle disait : jetée. C’était plus parlant qu’abandonnée. A son tour, elle jetait ses amants lorsqu’elle avait épuisé leurs ressources. Ou pour le plaisir. Et s’il fallait les payer d’une manière ou d’une autre, comme on dédommage une prostituée, elle le faisait sans hypocrisie. On paye bien un repas.

- Tu vois, tu vois.

Julie venait d’éclater de rire à la description des habitudes d’un monsieur connu.

- Il me demande toujours des préservatifs de la taille la plus grande. Et il en consomme deux par jour. J’espère que je peux compter sur votre discrétion, me dit-il. En réalité, c’est sur moi qu’il veut faire impression.

C’était devenu une habitude. A deux, le soir, elles vidaient une bouteille de vin rouge dont elles jugeaient de la qualité comme de véritables amateurs. Puis, elles parlaient d’elles-mêmes lorsque la bouteille était presque vide, leurs pommettes rouges et les yeux brillants.

Liliane aimait ces conversations qui s’achevaient très souvent par des anecdotes salaces racontées avec naturel. Julie pensait que c’était du à sa formation médicale. Pour les médecins, parait-il, c’était un dérivatif d’après opérations. Avant de se quitter, elles s’embrassaient chaleureusement. Ce n’était pas désagréable.

A plusieurs reprises, Liliane passa prendre Julie à l’heure du déjeuner. Elles avaient décidé de faire tous les restaurants de la région. Il parait, disait-elle, qu’un bon repas contribue à atténuer les peines de cœur. Ne dit-on pas que l’offre d’un dernier verre constitue une invitation à se mettre au lit ? Il existe une intense relation entre le cœur et l’estomac, c’est Liliane qui l’affirmait.

L’endroit qu’elle préférait était le restaurant situé près de l’abattoir communal. Les viandes y étaient succulentes. La clientèle était constituée de bouchers, ceux de l’abattoir au calot blanc sur la tête, ceux qui tenaient boutique et venaient de passer leur commande, de quelques hommes seuls et parfois d’un ou deux couples dont l’ambiance et l’odeur de l’endroit excitaient l’imagination. On y parlait assez fort mais on y entendait rarement des grossièretés.  

Très vite, Julie y devint aussi familière que Liliane. Le gérant du restaurant et les bouchers leur faisaient un salut de la main en disant :

- Bonjour madame Julie

Ou

- Bonjour madame Liliane.

Elles occupaient souvent la même table auprès de la fenêtre ou, lorsque le temps était beau, sur une petite terrasse proche du fleuve.

Personne ne fit jamais une remarque déplaisante à l’endroit de deux jeunes femmes qui appréciaient cette atmosphère d’hommes robustes aux rires faciles, et aux mains qui avaient trempé dans du sang un peu plus tôt.

Julie n’avait connu que Pierre. Il avait été le seul qui l’avait transformée tant physiquement que mentalement. Elle n’avait jamais pensé qu’elle pourrait devenir amoureuse d’un autre homme. Ni même d’en désirer un autre sinon lors des fantasmes insaisissables du rêve.

Liliane avait eu une vie amoureuse agitée mais seulement après la mort de son mari. Avant son mariage, durant ses études elle n’était pas très farouche  Pas davantage en tout cas que nombre d’étudiantes soucieuse d’un mariage honorable.  Elle ne songeait pas à épouser. Elle aimait répéter son histoire à Julie afin de lui démontrer à quel point les hommes sont menteurs. Son mari avait été plein d’attentions au début de leur mariage. Liliane avait été sa laborante. Elle sortait tout juste de la faculté de pharmacie. Elle avait à peine 24 ans. Il en avait trente cinq de plus ? Il était veuf. Il aimait la bonne chère, le vin, l’alcool et le sexe. Tout en Liliane lui donnait envie de la prendre à n’importe quelle heure du jour. Il lui disait :

- Tu vois l’effet que tu me fais. Tu peux le dire, tu sais. Je te fais bien l’amour, hein ?

Un malade, dit-elle. Plus que de l’attirance pour sa femme, il voulait manifester sa virilité. Et qu’elle le dise quand ils recevaient des amis.

Il avait fait installer un poste de télévision sur une petite table en face de leur lit. Couchés, ils regardaient ensemble les films pornographiques des chaines spécialisées ou des cassettes qu’il ramenait de ses déplacements d’affaires. Son mari disait :

- Cela réveille l’appétit.

- Crois-moi, Julie. Le sexe est la préoccupation de tous les hommes

Depuis sa mort, elle avait eu des aventures qu’on dit sans lendemain. Sans en refuser beaucoup.

- La vie est courte, Julie. Le jour où je n’en aurai plus, c’est que mon corps sera devenu tellement moche que ça ne vaudra plus la peine de vivre. C’est le regard des hommes qui te rend belle.

Avant de rentrer, en l’embrassant, le corps abandonné contre celui de Julie, elle ajoutait :

- Fais-toi belle, toujours. Moi, je me parfume partout, ça les rend fous.

 

                                      9

 

Julie n’avait jamais interrogé les amis de Pierre pour savoir si l’un d’entre eux l’avait rencontré. Il vivait dans sa mémoire où il continuait de ressembler à l’homme qui l’avait tenue dans les bras le jour de son départ. Il était immobile comme le sont les personnages dans un film qui s’arrête soudain. Depuis ce soir-là, la pellicule ne s’était jamais remise à défiler. Elle-même était fidèle à cette image. Elle ne convoitait personne d’autre. Dans ce film-là, lui non plus ne tenait jamais une autre femme dans les bras. Même le sexe s’était stratifié. C’était une idée, rien qu’une idée.

Un jour, Jean Cormier lui avait parlé de Pierre. Elle dînait au restaurant de l’abattoir avec Liliane. Jean Cormier, l’inspecteur de la police judiciaire, un ami de Liliane, un ami de Pierre, ils étaient quelques uns que l’adolescence avait réunis dans les mêmes clubs de sport ou la même discothèque à la mode, vint les embrasser.

- Vous déjeunez souvent ici ?

Il s’était installé à leur table, et il avait fait un signe au patron. 

- Tu ne devineras jamais qui j’ai vu avant hier ?

Il avait regardé Julie qu’il n’avait jamais tutoyée jusque là. Les deux femmes firent semblant de ne pas entendre. Liliane allait dire quelque chose. Ce fut Julie qui posa la question.

- Tu as vu Pierre ? Il va bien ?

 Jean fut rassuré. Il avait craint un instant d’avoir commis une gaffe. Il le dit en s’excusant. Liliane n’avait pas l’air de le croire. Jean n’oubliait que rarement qu’il était un policier. Il parla très vite.

- Nous nous sommes croisés. J’ai cru qu’il voulait m’éviter. J’ai crié, Pierre ! Il est revenu sur ses pas.

- J’ai failli ne pas te voir.

En vérité, Jean s’en était douté, Pierre ne voulait pas risquer de rencontrer quelqu’un qu’il connaissait. Qui l’aurait interrogé avec une arrière-pensée. Ou bien c’est lui, Pierre, qui aurait posé des questions dont il aurait craint les réponses.

C’est ce qu’il avait dit en levant les mains avec cette vanité des inspecteurs judiciaires.

Le gérant du restaurant lui avait apporté un verre de whisky dont il regarda la couleur.

- On se demande pourquoi. ?

Ni Julie ni Liliane ne l’interrogèrent. Elles ne semblaient pas intéressées. Jean parla d’autre chose. Il se leva et les embrassa avant de partir.

- A un de ces jours.

Il joue au flic de cinéma, dit Liliane.

Jean Cormier n’avait pas raconté tout ce qu’il savait.

Les relations de Pierre avec Clotilde n’avaient pas été difficiles à connaitre, ni son mode de vie. Mais la vie de Pierre lui appartenait, Jean ne la découvrit pas. Il voulait seulement montrer qu’il savait des choses que d’autres ne savaient pas. Des choses qui suscitaient leur curiosité. Parce qu’il était inspecteur à la police judiciaire, il était censé connaitre la face cachée des choses. Des choses anodines et des choses redoutables. Elles lui donnaient un pouvoir de séduction dont il avait parfois envie d’user.

Pour Julie, Pierre, ce personnage immobile d’un film qui avait cessé de défiler après le coup de téléphone qu’il lui avait donné, se remit à marcher. Le film défilait, et elle en devinait le scénario.

Ce qu’elle savait sans avoir besoin de l’imaginer, c’est que Pierre faisait l’amour à d’autres femmes avec autant d’ardeur sans doute qu’il en avait manifestée quand il la tenait entre les jambes.

Liliane lui avait dit :

- Qu’est-ce que tu crois ? Qu’il était entré au couvent ? C’est un homme comme tout le monde. Cela n’a rien à voir avec l’amour avec un grand A. Et toi, tu n’as jamais de besoins ? Le vibro-masseur te suffit ? 

Durant deux jours, elles avaient cessé de se parler.

A l’approche des vacances du mois de Juillet, Liliane lui proposa de passer huit jours au Club Méditerranée au Maroc, un endroit à la mode.

- Tu verras, ça change les idées.

Ce fut Liliane qui s’occupât des réservations.

Leur chambre située au rez de chaussée s’ouvrait sur la piscine et la terrasse. Tout près d’une piste de danse. Liliane, le soir, était sur la piste, le paréo autour des reins. Elle avait beaucoup de succès.

- Tu devrais danser. C’est agréable et ça ne t’engage à rien de plus.

Un des animateurs, un soir, invita Julie à danser. C’était un bel homme qui aimait à montrer ses muscles, toujours souriant et constamment agité par le rythme de la musique.

- Tu aimes le club ?

Il était torse nu, vêtu de son seul paréo. Il la serrait contre sa poitrine et il avait porté son ventre contre le sien. Elle n’avait pas tenté de s’écarter, et lorsqu’il lui dit en souriant :

- Tu viens dans ma chambre ?

Elle n’avait rien répondu mais elle l’avait suivi.

Depuis, Liliane et elle se sentirent plus proches l’une de l’autre. Julie, dans l’intimité de la nuit, voyait en elle même un aspect de Liliane qu’elle avait repoussé jusque là.

A vingt kilomètres de la ville sur la grand’ route, il y avait une discothèque fréquentée par des dragueurs et des femmes qui souhaitaient se faire draguer. Les jeunes gens qui ne songeaient qu’à boire et à danser se rendaient plutôt au disco-bar, un peu plus loin. Des frontières impalpables, comme dans la vie réelle, se constituaient dans le monde de la nuit selon les affinités et les âges. Chez les plus âgés, souvent, les sentiments s’exprimaient dans l’urgence. La distinction paraissait évidente à des yeux avertis.

Liliane y rencontrait parfois le videur de la discothèque, un robuste personnage, fruste d’aspect, d’une animalité impressionnante, surnommé el Toro. Un homme que personne ne connaissait très bien. Il l’emmenait dans sa chambre, et sans échanger beaucoup de mots, c’est elle qui en disait le plus, ils faisaient l’amour.

Parce qu’elle le lui avait demandé, c’est Julie qu’il avait emmené dans sa chambre, un grenier aménagé d’une table, d’une chaise, d’un poêle et d’un lit métallique. Elle avait dit à Julie, un soir qu’elles avaient trop bu :

- Allons-y ensemble. Lorsque tu avales un médicament, tu te poses des questions particulières ? Tu verras comme on raisonne mieux lorsque le corps est calmé. Même l’amour qu’on porte à un autre homme devient plus vrai. La première fois, il suffit de fermer les yeux.

Le jour n’était pas encore levé quand Julie réveilla Liliane qui sommeillait dans la voiture, une couverture tirée jusqu’au cou. Elle pleurait. Elle voulait rentrer au plus vite. Elle se dégoûtait. Elle voulait se laver. 

- Classique.

Au bout de quelques jours Julie se regarda sans honte dans le miroir. C’est vrai que les caresses amoureuses de quelque nature que se soit ne laissent pas de trace. Le viol le plus insupportable est celui qui marque le cerveau.

Elles recommencèrent l’expérience plusieurs fois. Avec des hommes de hasard qu’elles n’avaient jamais rencontrés ailleurs qu’à la discothèque. Pour Julie, ce ne furent pas des réussites dont on reste marquée. Même lorsque ce fut avec El Toro. Avec El Toro, elle eut la preuve que Liliane avait raison. C’était comme une amère médication. Le premier jour, les réflexions avaient été nombreuses et contradictoires. A un moment de la nuit, en fermant les yeux, la tête sur le côté, elle s’était efforcée de penser que c’était Pierre qui la prenait. A un autre moment, elle avait eu le sentiment que c’était bien lui, Pierre, qui était dans le lit, mais que c’était une autre femme qu’il prenait. Avec la même vigueur qu’El Toro la prenait.

La première fois aussi, comme si la symbolique de la transaction avait atténué l’intensité de ses réactions, elle avait déposé quelques billets de banque sur la table. El Toro avait secoué la tête pour dire : non. Puis, parce qu’elle avait insisté, il avait demandé en souriant : 

- Encore ?

C’est le jour où il l’avait retournée sur le ventre, et qu’il l’avait frappée sur les fesses qu’elle s’était promise de le tuer. Parce qu’elle ne s’y était pas opposée. Il y a des hommes qui ne méritent pas de vivre, pensa-t-elle. Ceux pour qui les femmes ne sont que l’instrument de leurs fantasmes honteux. L’objet soumis et humilié de leurs obsessions. Ceux qui…C’était Liliane qui avait trouvé la définition la plus juste.

- Des hommes en trop.

Elles étaient dans l’arrière-boutique de l’officine. Là où Liliane serrait dans une armoire les substances dangereuses, drogues et sans doute quelques poisons. Des boites de poudre, de petites fioles au liquide incolore que distinguait seulement l’inscription qui figurait sur l’étiquette.

Elles étaient retournées deux fois encore à la discothèque. La seconde fois, elles avaient appris qu’El Toro avait été retrouvé mort dans son lit. Un arrêt cardiaque, semblait-il. On ne lui connaissait personne de proche. On ne connaissait pas son nom véritable. Il travaillait illégalement. Quelques jours plus tard, il avait été enterré dans la partie du cimetière réservée aux indigents. Le patron de la discothèque avait engagé un autre videur. Un robuste gaillard que les clients baptisèrent : el Toro.

Liliane, une fois de plus avait eu raison. Le corps apaisé, comme peut l’être celui de tous les mammifères, la pensée devenait plus claire. Julie n’avait pas le sentiment de tromper Pierre. Elle acceptait qu’il ne soit pas un saint dépourvu de besoins. Ce sont ces besoins précisément dont elle se souvenait. Même s’il en caressait une autre, c’est à Julie qu’il pensait. Chacune des parties de son corps le savait : c’est l’autre qu’il trompait.   

Lire la suite...

Le souffle des fées Printemps.

Au  souffle  des  fées  se  mêle  l’haleine,

De folles licornes gambadant dans les bois,

Pour fêter le printemps caché dans la plaine,

Jusqu’au lever du jour aux hôtes des sous-bois.

 

Avec  des  papillons  colorés  de  soleil,

Il fait farce de pluie, de grêle ou bien neigeote,

Pour taquiner les elfes  tirées de  leur sommeil,

Avant l’heure où sonne l’appel de la bougeotte.  

 

Facétieux  les  lutins  font  des cabrioles,

Pour ouvrir le chemin au prince de l’espoir,

Qui  s’avance,  royal,  escorté  de  lucioles,

Pour répandre la joie dans les nids et boudoirs.

 

Claudine QUERTINMONT D’ANDERLUES.

 

Lire la suite...

Le printemps

 

imgg222025.jpg


Le pintemps, quand il nous arrive,

est attendu depuis longtemps.

Pourtant toujours il nous surprend.

Il nous arrive dans la nuit,

et pour un temps reste tapi,

On ne sait où exactement.

C’est que voilà, il est partout.

On le respire et on le sent

Lire la suite...

Prélude à la décrépitude

 

Soliloque

Ô désolante certitude!

Sourire des yeux désormais,

Du bout des lèvres, sans charmer,

Adopter une autre attitude.

Sourire des yeux désormais.

Prélude à la décrépitude.

Adopter une autre attitude.

Ne choisis pas, je n’y peux mais.

Prélude à la décrépitude.

J'ai longtemps adoré charmer.

Ne choisis pas, je n'y peux mais.

Devrai changer mes habitudes

J'ai longtemps adoré charmer.

Y renoncer est certes rude.

Devrai changer mes habitudes.

À tout venant, je souriais.

17 février 2009

 

Lire la suite...

Une histoire juive

 

Je me souviens que lorsque mon père, que Dieu ait son âme, rencontrait un juif, il lui posait la question « d’où vient un juif ? ». Peut-être qu’il voulait dire « comment va un juif ? ». Je ne connais pas le yiddish, peut être que je déforme ce qu’il disait.

Et moi, d’où est-ce que je viens ? C’est une longue histoire qui comme beaucoup d’histoires juives, commence en Pologne.

Radomsko se situe, un peu à gauche, à environ quinze kilomètres de Czestochowa. Benjamin Warchawski y était propriétaire d’une ferme, il possédait trois vaches et une douzaine de poules, il ne manquait ni d’œufs ni de lait. De profession, si on peut dire, il était prêteur. Banquier? Non hélas! Il ne prêtait que de petites sommes, sans garantie, à des gens qui pour une raison ou une autre, un mariage par exemple ou des funérailles, on sait que l’un ou l’autre coûte cher et qu’on ne peut pas toujours reporter l’évènement, il prêtait donc à des gens qui en avaient besoin. Usurier? C’est vrai qu’il ne prêtait qu’à des taux importants. Mais où était le bénéfice puisqu’il ne recouvrait jamais le moindre centime de l’argent qu’il prêtait.

Son coffre était bourré de créances de sorte qu’il vivait dans la crainte de ce qu’un des habitants du village, un de ses voisins,  ne mette le feu à la ferme pour effacer d’un seul coup ses dettes et celles de nombreux concitoyens de Benjamin. Ils ne seraient pas nombreux, il le savait aussi, ce n’était pas un homme qui se faisait beaucoup d’illusions sur la grandeur d’âme de ses frères humains, pour se passer les seaux d’eau destinés à éteindre l’incendie.

Tu vois, pensait-il, toi, tu leur prêtes de l’argent qu’ils n’ont pas l’intention de te rendre, et eux ils t’enverraient volontiers au diable. Par contre, ils saluent très bas le boucher, membre influent de la communauté, dont ils ne savent pas que c’est lui qui avance à l’usurier Warchawski  l’argent que celui-ci leur prête. Ce boucher, mais qui le leur dirait, qui ne comprend pas la faiblesse de Benjamin envers ses débiteurs. Ou alors, qu’il inscrive les sommes prêtées sous la rubrique  « œuvres de bienfaisance », disait-il avec ironie. Les hommes de justice, ça existe, non ? Et les règles doivent être respectées si on souhaite que la paix règne entre les hommes.

Benjamin, lui, ne faisait pas partie du comité de bienfaisance. Il n’était pas un notable au même titre que le boucher, le marchand de tissus, ou le meunier. Si les notables néanmoins le respectaient mais pas d’avantage que l’instituteur, c’est parce- qu’il savait écrire et qu’il y a des circonstances où un écrit est aussi important que la confiance procurée par une solennelle poignée de mains. En outre, il était discret et il ne demandait jamais rien à personne. Si bien que personne dans le village n’avait jamais dû lui refuser quelque chose, c’était un honnête homme.

Au plan matrimonial, il n’y avait rien à en dire non plus. Il en était à son second mariage parce que sa première épouse était morte peu après la naissance de leur fille. Sa première épouse et lui avaient vécu d’une façon très honorable et économe, on peut même dire qu’ils vivaient de rien. Les plus pauvres du village, aidés par la charité des gens biens de la communauté, mangeaient mieux qu’eux.

Il disait à sa femme: pense, ma petite colombe, les sacrifices que nous faisons aujourd’hui que nous sommes jeunes et en bonne santé, nous en retirerons les bénéfices quand nous seront vieux. Malheureusement, sa première épouse n’eut jamais la possibilité de juger si son raisonnement était juste ou non, elle mourût trop tôt.

En secondes noces,  il avait épousé une jeune veuve qui lui donna une fille, elle aussi. Comme il craignait d’être incapable de procréer des garçons et que l’éducation des enfants coûte cher avant qu’ils ne soient en mesure de rembourser, ils décidèrent de s’en tenir à ces deux filles. Par contre, si le bon dieu voulait bien qu’elles soient belles, le montant de la dot serait négociable. En fait, il avait raison. On racontait même- ce sont les temps modernes, paraît-il- que des jeunes gens se mariaient par amour.

Sa seconde épouse, elle se prénommait Fêla, était issue d’un bourg proche du village. Elle était la fille unique d’un relieur de livres aux doigts d’or dont la clientèle allait des membres de la synagogue aux autorités civiles de sa région, tant son talent était reconnu. De plus, il passait pour une sorte de sage que tout naturellement, tout le monde appelait : rabbi. Il ne disait jamais grand-chose mais il écoutait avec tant d’intérêt tandis que ses doigts lissaient la couverture d’un livre, que ses interlocuteurs, au bout d’un moment, avaient le sentiment d’avoir reçu une solution à leur problème.

Un jour, aux approches de Noël, un charroi considérable s’est arrêté à la porte de rabbi Jung. C’était le comte Potocki en personne qui venait lui demander son avis quant à un livre ancien qu’il se proposait d’offrir à l’Université de Cracovie. Personne n’a jamais su ce que le comte et le rabbi s’étaient dit mais l’entretien avait duré plus de trois heures, et le village entier s’était interrogé de nombreux jours. Est-ce qu’il faut trois heures pour parler d’un livre ? Quoique il en soit, les rues étaient restées illuminées jusque tard dans la nuit. On eut dit un tableau de Chagall, oui Monsieur !

Fêla était ma grand-mère maternelle, et la fille sans dot qu’elle eut de Benjamin Warschawski, Sarah, était ma mère. Il nous aurait été difficile de nier notre état de juif selon les critères allemands, trois générations. Il nous désignait autant que d’autres qui ne se posaient pas la question éminemment théologique quant à savoir qui a le droit de se dire juif, pour porter, durant la dernière guerre, l’étoile jaune bien en vue sur la poitrine, et du côté du cœur. Pourquoi du côté du cœur ?  Personne ne me l’avait expliqué mais j’avais dû faire comme si je le savais ou que d’autres plus savants le savaient et que c’était bien suffisant.

Et mon père, direz-vous ? Tout le monde a un père, personne ne peut le nier. Et il avait un père lui aussi, qui était mon grand-père à moi, tandis que le père de son père était son grand-père à lui, et ainsi de grand-père à grand-père, je m’arrête là pour ne pas compliquer les choses, on pourrait retracer toute l’histoire de ma famille jusqu’à celui qui, sur le Mont de Sion paraît-il, a transmis les Tables de la Loi au chef du peuple élu.

C’est certain que s’il les avait transmises directement à son peuple, chacun de ses membres se les seraient arrachées en pensant qu’elles devaient avoir de la valeur, plus en tout cas qu’elles n’en avaient en réalité.

Le nom de mon grand père était Salomon. Je connais son visage parce que j’ai longtemps conservé dans mon portefeuille une photo de lui. A l’époque de la photo, il était âgé, à vue de nez, si on peut parler de nez devant un juif, de soixante ans. Le visage rougeaud, une grosse moustache déjà blanche, barrait son visage. Mon père m’avait dit un jour que mon grand-père portait une casquette de cuir, chaussait des bottes de feutre comme la plupart des paysans du voisinage, et qu’il vendait, sur sa charrette à bras, des légumes et des fruits. Le commerce, pensait-il probablement, était la façon la plus certaine de s’enrichir, au moins de nourrir sa famille, hors le vol ou la loterie.

Il fréquentait la synagogue le samedi comme tout bon juif à l’époque mais pas plus souvent, c’était un libre penseur. Quant à son frère, l’oncle de mon père, il avait quitté la maison, s’était fâché avec sa mère pour pouvoir épouser la femme qu’il aimait. Ce qui n’était pas un crime, c’est vrai, mais cette femme, ma grand-mère se refusait de prononcer son nom, cette femme n’était pas juive. C’est dire que si on excepte ma grand-mère et son chignon, le milieu dans lequel mon père s’était développé n’était pas très orthodoxe. Et qu’il ne fallait pas s’étonner dès lors s’il portait une casquette de jeune voyou, et s’il n’allait pas à la synagogue du tout.

En 1917, il avait vingt-deux ans. C’était un homme de taille moyenne, à la corpulence maigre, au visage émacié. Les yeux profondément enfoncés dans les orbites donnaient à son regard une sévérité qu’il ne recherchait pas, mais par un phénomène assez courant, ceux qui l’écoutaient en le regardant étaient sensibles à ses arguments. Ils lui faisaient confiance malgré son jeune âge. Membre du syndicat des cordonniers, il intervenait si souvent en séance qu’on le considérait comme un de ses dirigeants. De plus, comme si l’activité syndicale ne lui suffisait pas, il s’était affilié au parti communiste. C’est dire, je le dis avec ironie, qu’il avait tout pour plaire à la communauté juive de Czestochowa qui ne manquait pas de partis politiques au point que chacun de ses membres pouvait, j’exagère un peu, se prétendre un leader politique et justifier aux yeux d’une femme pleine d’admiration ses absences du foyer.

1917, en Russie, après les sept jours qui ébranlèrent le monde, un groupe d’hommes probablement surpris de sa victoire avait pris le pouvoir, et prétendait le changer. Mon père, dans la mesure de ses moyens, voulait y contribuer.

C’est ce qu’ils faisaient à quelques-uns dans une arrière-salle de café où se tenaient les réunions syndicales et les meetings des autres partis juifs. Et parmi ces quelques uns, c’était prévisible, l’un d’eux était un indicateur de police.

Le pauvre devait enjoliver ses comptes-rendus pour mériter son salaire parce que les jeunes révolutionnaires dont mon père faisait partie ne risquaient pas de renverser le pouvoir. Comme on dit, les paroles s’envolent.

Et puis, après une certaine heure, qu’il pleuve ou qu’il vente, mon père prenait congé de tout le monde pour se rendre, devinez où ? Vous avez gagné. A Radomsko pour embrasser sa future fiancée.

Elle était belle, ma mère. Elle avait la taille de mon père, elle se tenait droite, la poitrine en avant. Elle avait des yeux noirs bordés de longs cils rehaussés de mascara, une bouche pulpeuse qu’elle soulignait de rouge, et elle portait des bottes qui n’étaient pas des bottes de paysan. Chemisier masculin et jupe qui s’arrêtait en-dessous du genou comme c’était la mode à Varsovie, elle devait plaire davantage qu’il n’est permis à une jeune fille de bonne famille dans une petite ville de province.

Elle avait été séduite par ce garçon qui parlait d’égal à égal avec des notables plus âgés que lui, et qui faisait quinze kilomètres à pieds, plus tard à vélo, pour venir lui parler de tout et de rien, au début en tout cas, et pour l’emmener danser lorsque Benjamin Warshawski y consentit. Rabbi Cohen consulté par Benjamin avait estimé que ce garçon de la ville, s’il ne faisait pas un bon juif dans le sens où l’entendaient certains, ferait probablement un bon époux. Hosannah ! Ils se marièrent le 15 novembre 1925.

Il est de tradition chez les juifs de donner au premier fils d’un couple le nom de son grand-père, s’il est mort, pour perpétuer sa mémoire. C’est la raison pour laquelle je m’appelle Salomon. En effet, Benjamin était le nom de mon grand-père maternel. Salomon, était celui de mon grand-père paternel, l’homme qui portait des bottes de paysan, une casquette de cuir que j’imagine, il n’ôtait que pour dormir, tant elle était enfoncée sur le front, et dont le visage tout ridé était barré d’une grosse moustache qu’il lissait soigneusement. Ma grand-mère maternelle, Léa, devait apprécier les hommes à l’aspect viril.

Salomon était marchand forain. Avec sa charrette à bras, il sillonnait les marchés de la ville pour vendre des légumes qu’il allait chercher la veille chez des fermiers de la campagne environnante. Et, chez chacun d’eux, c’était la coutume, il vidait un verre de vodka. Pas étonnant qu’il eut le nez si rouge. Ma grand-mère Léa l’avait épousé parce qu’il était bel homme vraisemblablement mais aussi parce que sa situation professionnelle en faisait un commerçant dont les affaires, en prospérant, pouvaient les aider à gravir les échelons de l’échelle sociale, et devenir des notables dont la place est réservée à la synagogue où elle se rendait régulièrement. Salomon aussi s’y rendait, mais aux grandes fêtes seulement.

Le frère de Salomon, l’oncle de mon père, Alexandre, n’y allait pas du tout.

Mon grand-père ne ressemblait pas au juif tel que certains l’imaginent. Il ressemblait aux hommes du voisinage avec lesquels il avait joué au ballon dans la rue lorsqu’il était enfant, et avec lesquels il recommençait de le faire après que, c’étaient des choses qui arrivaient, après qu’un accès de folie soudain avait dressé les goys contre les juifs de certains quartiers. Il fallait les excuser, c’était des polonais ! Mais il était fondamentalement juif. De ces juifs qui ne se posent pas de questions de nature métaphysique qui en auraient fait des rabbins ou des déracinés.

Alexandre, lui, ne frayait pas avec ses voisins polonais. Il ne frayait pas non plus avec les juifs de son quartier. Vêtu comme un bourgeois de Varsovie, tout ce qu’il gagnait était consacré à sa garde-robe. Il portait la cravate et le chapeau de feutre, et plutôt qu’une canadienne matelassée, il était vêtu d’un pardessus droit de couleur marine. Un vrai bourgeois. Plus encore : un de ces aristocrates polonais qui s’expriment en français et baisent la main des dames. Il paraît, mais personne ne parlait plus de lui après qu’il ait quitté la maison, il paraît qu’il était devenu courtier en assurances à Varsovie, et qu’il faisait des affaires jusqu’en Russie.

Mon grand père et lui s’étaient rencontrés à de nombreuses reprises, à l’insu de leurs parents. Alexandre voulait avoir des nouvelles de sa famille. Elles étaient mauvaises, sa mère qui ne supportait pas qu’on prononçât son nom, se dépérissait de ne plus le voir. Et plus encore après qu’un ami bien intentionné lui ait raconté qu’il avait épousé une jeune femme qui n’était pas juive. Et qu’ils avaient un fils. Un fils, vous entendez !

Qui devait-elle chérir le plus, la mère de mon grand père, son petit fils Louis, mon père, ou le fils de son fils Alexandre ? Il n’y a que dans les mélos du 19eme siècle, et dans l’Ancien Testament que le fils prodigue revient au chevet de sa mère à l’heure où elle s’éteint. Imaginez la joie qui illumine son visage, ce visage qui, un instant plus tard, sera son visa lorsqu’elle rencontrera le Très Haut ! La grand-mère de mon père n’a jamais revu Alexandre ni Bogdan, son petit-fils, qui à l’âge de trente ans, poursuivait déjà ce qui était censé devenir une belle carrière au sein de l’épiscopat polonais. Je dois être un des rares juifs dont la famille aurait pu s’honorer à la fois d’un rabbin et d’un futur archevêque.

Bogdan, je l’ai revu longtemps après la guerre. Il avait abandonné l’Eglise et, devenu médecin radiologue, il participait à Bruxelles à un colloque de radiologistes. C’était du temps où la Pologne était encore communiste. Aujourd’hui on peut le dire, il s’était arrangé pour emmener sa femme et son fils Martin parce qu’il avait l’intention de demander l’asile en Belgique, et de ne plus retourner en Pologne.

C’est à l’hôpital, mon père y séjournait parce qu’il avait un cancer, qu’il avait appris avec surprise qu’un des malades portait le même nom que le sien.

Mon père, lorsqu’il s’était présenté à lui, avait posé la question :

- Docteur, vous dites que votre père était de Czestochowa, dites-moi la vérité, vous êtes juif ? Quel est le nom de votre père ?

- Alexandre. Mais je ne suis pas juif.

- Alexandre, c’est le nom de mon oncle, c’est mon père qui me l’a dit. Vous êtes sûr que vous n’êtes pas juif ?

Pour en revenir à mon père, c’était arrivé quelques années après qu’il se soit marié. En 1927, un des membres du groupe dont il faisait partie, un indicateur de la police, avait été retrouvé pratiquement mort tant il avait été battu. Les soupçons tombèrent tout naturellement sur mon père et un de ses proches.

Un de ses amis d’enfance qui était devenu inspecteur de police, vint l’avertir.

- On sait bien que ce n’est pas toi. Mais tu ennuies beaucoup de gens, Louis. Si j’étais toi, je ne dormirais plus ici ce soir. Pareil pour ton copain.

Il haussa les épaules.

- Le monde est grand, Louis.

Le soir même, Louis prenait le train qui à travers l’Allemagne le conduirait en France, le pays des Droits de l’homme et de la Révolution tandis que son ami Léon prenait celui de la Russie des Soviets. Personne de sa famille n’eut jamais plus de nouvelles de Léon.

Mon père avait une sœur cadette, elle se nommait Ida. Il lui dit :

- En attendant qu’elle me rejoigne, prends soin de ma femme et de mon fils. Je les ferai venir dès que je pourrai.

Le mari d’Ida rêvait d’émigrer en Argentine. Elle aussi, du coup, rêvait de l’Amérique. C’est drôle, on dirait que tous les juifs, de gré ou de force, ne peuvent pas rester en place, ils rêvent toujours d’émigrer quelque part. Joseph, son mari, avait un oncle qui avait émigré de nombreuses années auparavant. En Pologne, il était tailleur et travaillait pour un entrepreneur de vêtements féminins. Aux Etats-Unis, il était devenu au bout d’un certain nombre d’années costumier de théâtre. On avait dit à Joseph que son oncle avait toujours été une sorte d’artiste. N’empêche, désormais il était un pur américain au même titre que des millions d’américains qui avaient émigré avant lui.

Joseph, c’est de l’Argentine qu’il rêvait, il y faisait toujours beau temps. Argentine, Etats-Unis, c’est toujours l’Amérique, non ? En tout cas, c’était loin de la Pologne, et des fièvres antisémites, ça c’est sûr. Mais les rêves ne se réalisent pas aussi rapidement qu’on le souhaiterait. Serait-ce encore des rêves, sinon ? Tout au plus des projets comme on s’en propose tous les jours que Dieu fait.

Alors qu’ils étaient mentalement préparés à partir, ils en avaient parlé à tous les membres de la famille au point que lorsqu’on parlait d’eux, on disait : « les américains », et qu’on s’adressait à eux comme à des experts dès il s’agissait de parler du continent éclairé par la Statue de la Liberté, Ida était tombée enceinte. Le départ naturellement fût reporté.

Elle eut une fille, Rachel, dont Joseph devint littéralement fou d’amour. Il n’aurait pas osé affronter les rigueurs de l’émigration avec ce bébé. Il fallait d’abord gagner de l’argent en suffisance pour payer un voyage convenable et, au début, faire face à des frais d’installation dont un homme seul peut se passer mais pas le père d’une petite fille. Bah, se disait Joseph, qu’est-ce que c’est que quelques années au début d’une longue vie. Dans sa famille on vivait vieux.

Tout compte fait, pensa mon père, je n’ai pas de chance, ceux qui veulent partir le feront tôt ou tard mais moi qui veux rester, je dois partir, peut-être pour toujours.

C’était une époque singulière. Déjà en 1933, et plus encore quelques années plus tard, les gens étaient inquiets, les juifs en particulier. Heureusement, disaient parfois les juifs de gauche, sans beaucoup de conviction, et les optimistes de nature, souvent c’était les mêmes, que l’Union Soviétique est notre voisine. Jamais, elle ne laisserait Hitler prendre une place trop importante en Europe. Sans parler de la France dont l’amour pour la Pologne remontait à Marie Walewska. D’ailleurs, tous les gens cultivés le répétaient, tout homme a deux patries : la sienne et la France. Fermez les bans.

Peut-être eût-il mieux valu qu’ils partent tous. Imaginez qu’un tapis volant les eût emmenés tous à la fois. Ou qu’ils fussent nés ailleurs. Beaucoup de juifs sont nés ailleurs qu’en Pologne, où est le mal ? Partir ? Partir où, et pourquoi ? Il eut fallu que le Très Haut leur eût susurré quelque secret à l’oreille. Ou que les juifs fussent aussi méfiants, aussi intelligents que leur réputation le proclamait. Et tout abandonner ? C’est facile pour des gens riches de tout abandonner, mais quand on n’a pas grand-chose, on y tient. Tout le monde sait ça.

Et puis, à l’étranger, comment étaient les gens ? Il est parfois difficile de  recevoir des étrangers chez soi, alors chez eux, pensez donc !

Plus jamais, nous n’avons eu de leurs nouvelles. Leurs cendres devaient s’être répandues sur les campagnes autour d’Auschwitz.

J’ai appris, il n’y a pas si longtemps, que d’autres personnes portent le même nom que le mien. Et qu’elles ne sont pas juives. Est-ce que par hasard, l’oncle de mon père, celui qui avait quitté le toit paternel pour épouser une non-juive aurait eu des descendants ? Qui ignorent qu’en réalité ils sont juifs ?

Ou, au contraire, est-ce nous qui ne sommes juifs que parce que un de nos ancêtres, le maudit !, tombé amoureux d’une Rebecca, s’est converti au judaïsme sans se soucier de ses descendants ?

 

 

Lire la suite...

 

 

René Daumier et André Halloy qu’il appelait Démo, un diminutif de Démosthène, étaient ses patients. Surtout ils étaient ses amis les plus proches. Trois hommes mûrs, trois hommes seuls, qui se retrouvaient de nombreux soirs chez le président Halloy pour vider une bouteille de vin en fumant un cigare et pour parler de leurs concitoyens. Ils échangeaient des ragots, parfois des confidences. Ou des considérations politiques qui étaient de nature à désigner le titulaire d’un poste municipal.

Seul René était célibataire, les deux autres étaient veufs. La mort leur était familière. Ils en parlaient comme on parle de la pluie et du beau temps.

- Julie le soigne. Même Liliane la pharmacienne admire son courage. Liliane, elle aussi, a perdu son mari. Elle est seule elle aussi. Parfois je me demande lequel est le plus à plaindre, du veuf ou de la veuve ? Il est vrai que la pharmacienne est jeune. Elle ne manque pas de tempérament, dit-on.

Liliane, à la mort accidentelle de ses parents, avait épousé Etienne Visart, un pharmacien dont l’officine, paraît-il, valait de l’or. Il était plus âgé qu’elle de près de trente ans. Il était fortuné et s’était amouraché passionnément de cette jeune femme dont les regards l’enflammaient. Deux ans plus tard il s’était éteint. Les mauvaises langues prétendirent que c’était les exigences sexuelles de Liliane qui l’avaient achevé. Qui peut l’affirmer ?  Une pharmacie, parfois, pouvait receler bien des mystères. 

En principe, et selon la déontologie, un médecin ne dévoile pas la santé de ses patients. Le docteur Meurisse était une tombe sauf devant ses amis parce qu’il ne dévoilait rien de sensible. Parler de Pierre n’avait rien de sensible pour ses proches.

Néanmoins, Le Président Halloy et René son parrain, s’inquiétaient pour Pierre ? Un jour que Pierre passait la soirée chez lui, son père lui avait parlé.

- René m’a dit qu’il souhaitait te voir. Tu vas aller le voir ?

- Ce soir ?

- Ce soir, oui.

- Entendu, je vais aller le voir en sortant d’ici. Ce n’est pas loin.

René habitait à proximité une maison patricienne dont il n’occupait qu’une partie. Le tout soigneusement entretenu. Il disposait d’un couple de domestiques engagé depuis fort longtemps. La femme s’occupait de la cuisine et du reste, disait-il.

René était fier de sa maison. Sous son austérité apparente, elle rappelait une ascendance aristocratique qu’il cultivait pour le plaisir.

René reçut Pierre dans son bureau. Des livres qu’il se proposait de relire un jour y étaient serrés dans deux armoires de chêne. Sur une table, son ordinateur fonctionnait jour et nuit. L’écran exposait sa boite de réception à laquelle il revenait dès qu’il n’était plus occupé à une autre tâche. Il ne recevait plus beaucoup de courrier mais cette fenêtre blanche lui était indispensable.

Les visiteurs, il les recevait dans une bibliothèque imposante dont ils admiraient les meubles et les murs tapissés de livres reliés de cuir. René se piquait de psychologie. Le décor est un personnage important, prétendait-il.

Enfant, Pierre y venait souvent. Emerveillé, il regardait les livres. Son amour de la musique, c’est parmi les livres qu’il l’avait contracté, auprès d’un piano droit dont René, cependant, ne jouait pas. En tout cas, personne ne l’avait jamais vu en jouer.

C’est René qui avait ouvert. Peut être pour donner plus de relief à sa visite. D’habitude, c’est sa bonne qui ouvrait.

- Il faut que je te parle.

Il lui avait toujours parlé comme il aurait parlé à un adulte. Même lorsque Pierre était un adolescent avec lequel son père évitait d’aborder des sujets qui n’étaient pas censés l’intéresser. Pierre écoutait toujours avec attention ce que René disait.

René s’était versé un verre de whisky.

- Tu en veux ? 

- Gérard Leroy est très malade. Tu couches avec Julie ?

Il lui dit ce qu’on racontait en ville. Il était préoccupé à son sujet. Pierre était une partie de cette ville mais il ne l’avait jamais bien vue. Aujourd’hui c’est elle qui le regardait et bruissait de rumeurs dont l’objet c’était lui.

- Les gens parlent, Pierre. Ils disent n’importe quoi.

Il lissait de l’index le bord de son verre.

- C’est pour lui que tu y va ? Fais attention, Pierre.

 

                                      8

 

Gérard allait de plus en plus mal. Il  recevait Pierre dans sa chambre. Il avait de longs moments d’inattention. Julie et lui n’avaient plus peur qu’il  entende. C’est dans sa chambre, à l’autre bout du couloir, qu’elle l’entraînait. Ils partageaient la même fièvre.

Un jour qu’il était au lit avec Julie, ils avaient entendu de bruit dans le couloir. Est-ce que Gérard était sorti de son lit et s’était traîné dans le couloir ? Il s’était écarté d’elle. C’est elle qui le reprit. Puis en le regardant dans les yeux :

- Il me dégoute. C’est toi mon amant. Je suis incapable de supporter l’idée qu’il puisse mettre les mains sur moi.

Elle avait dit en le serrant contre elle qu’ils faisaient chambre à part. Dans la chambre à coucher, il la traitait de putain. Elle raconta sa façon d’agir lorsqu’il avait envie d’elle. Jusqu’aux mots qu’il criait dans le couloir. On eut dit que de parler lui faisait l’effet d’un aphrodisiaque. La fièvre la submergeait à nouveau.

Le docteur Meurisse était passé le voir deux fois encore.

- Vous lui donnez tous ses médicaments ?

Julie secouait la tête. C’est Liliane de la pharmacie Visart qui me les prépare. Elle me les apporte. Je ne m’éloigne jamais de Gérard.

Le docteur Meurisse lui dit qu’elle devait se préparer au pire. Elle s’y préparait. Gérard était mort sans souffrir.

Le jour des funérailles, au cimetière du Sud, l’assistance avait été nombreuse. Le docteur Meurisse, c’était naturel, quelques clients qui connaissaient les Leroy depuis de nombreuses années, des habitués des funérailles et de simples curieux. Parmi eux se trouvaient quelques personnes plus proches des Halloy que des Leroy. Le docteur Meurisse les saluait discrètement. Il y avait aussi, un peu à l’écart, Jean Cormier, un ancien condisciple.

- C’est souvent comme ça lorsqu’il s’agit du décès trop rapide, et mal expliqué, d’un homme trop jeune.

Le docteur Meurisse s’était penché vers lui.

- Jean Cormier est inspecteur à la police judiciaire. Bien sûr, il s’agit d’une simple formalité.

En vouvoyant Julie, Pierre lui avait présenté ses condoléances comme tous ceux qui étaient là. Madame Belain, quelques employés du bureau et, avec leur chef, les magasiniers de l’entrepôt.

Elle avait auprès d’elle ses parents, un brassard noir autour du bras. Ils ne savaient pas comment se tenir devant une assistance qui ne leur était pas habituelle. Ils assistaient à un spectacle incongru dont leur fille était la vedette.

Julie portait une robe noire qui soulignait la beauté sensuelle de son corps. Sur la tête, sur ses cheveux blonds que le coiffeur avait soigneusement peignés, elle avait fait poser un voile noir. Le deuil va bien aux jeunes femmes amoureuses. Elle ne faisait pas semblant de pleurer. Son visage était grave. Ses yeux ne regardaient personne. Le lendemain, Pierre passait la nuit toute entière dans son lit.

On parlait beaucoup en ville, lui répéta René un peu plus tard. La mort de Gérard avait surpris. L’indifférence, pour ne pas dire plus, de son épouse avait choqué quelques dames. La présence de son amant, un jeune homme bien au demeurant, avant et après le décès, sans un minimum de réserve, ne paraissait pas convenable.

- Je n’aime pas l’atmosphère qu’il y a autour de cette maison. J’ai peur pour toi, Pierre.

Bien sûr, ce n’est que dans les films qu’une épouse aide son mari à mourir.

Ce fut la dernière fois que Pierre voyait René vivant. Il s’était littéralement enfui le soir même.

Il avait téléphoné à Julie. Il lui avait dit : je pars, et il avait raccroché. C’est curieux l’amour.

Lire la suite...

réel

12273001262?profile=original

Je vais souvent voler chez dame Lune quelques rêves inattendus. Transfusant les contes qu’elle inspire, mon sang est ainsi filtré de ses cauchemars ou je me fais vampire et il est de cette façon chargé de fantasmes. Tu es reliée par ces liens faits de voiles chimériques à ces rêves souvent similaires aux tiens. Je porte ce nuage imaginaire, cette couche utopique, ce lit mythique où se joue ces scénarios fantasmagoriques et je le soulève au pinacle pour que soit vu nos amours si extravagants. Inconcevables, invraisemblables, irraisonnables et pourtant que ce soit, sentimentaux, charnels, sexuels, ils ne sont pas chimériques !

J’en profite et j’épie tes gestes, j’essaie de deviner tes songes du moment mais j’avoue, j’admire aussi tes charmes qui eux ne sont pas imaginaires !

 

 

Toute reproduction même partielle interdite © 

Lire la suite...

Un quai de Paris

A la nuit tombée, sur un quai de Paris baigné de brouillard, où passent les ombres d’un pas rapide, je sais qu’elle m’attend. Comme tous les lundis depuis notre rencontre, elle est là dans cette lumière blanche, son col retroussé, à m’attendre. Souvent elle s’abrite du vent ou de la pluie sous cette porte cochère qui en a vu des amours défiler.

Mais ce soir, je ne viens pas, je pars ailleurs. Je ne lui ai rien dit par lâcheté, pour ne pas la blesser de ma propre bouche, de mes mots. Des paroles que je ne veux pas prononcer et qui me font peur. Elle mérite autre chose et ne comprendra pas que c’est parce que je l’aime que je veux la quitter.  Je ne veux pas pour elle une vie de misère. Je ne veux pas de jours sans fin. J’ai besoin d’être seul pour accomplir ma destinée. Je ne peux pas vivre dans une routine étouffante et malsaine.

Un soir d’été, sur ce quai, à la recherche d’un peu de fraicheur, elle était là, dans sa jolie robe légère, les cheveux attachés par un foulard de soie. Nos regards se sont croisés une première fois et j’ai vu ses yeux d’un bleu qui fait voler les âmes dans le ciel et son sourire lointain. Elle n’est pas là pour moi.

L’impression de la connaître, de l’avoir déjà vu, tout son être me parait familier et inconsciemment, mes pas me portent une seconde fois vers elle. Son visage profond me regarde avec un sourire mélancolique, je la vois perdue dans ses songes et se concentrer pour paraître joyeuse.

Au fil des semaines, notre rencontre fortuite se transforme en une passion peu commune, qui nous brûle tous les deux le cœur et le corps. Une passion qui me remplit la tête du soir au matin et qui ne me laisse plus de repos tant mes sentiments sont forts, sincères. Mon univers a basculé et est devenu viable, l’air subitement respirable, le temps accessible et mon âme tourmentée apaisée. Grâce à elle, mon présent prend forme et une rage de vivre se répand dans mes veines.

Nos vies se voient chaque lundi soir sur ce quai où les corps et les âmes se promènent dans l’obscurité, se cachant des vérités et ne voulant pas mettre au jour cette réalité qu’est l’amour. Toujours furtivement sans qu’elle n’exprime une certitude, je la suis vers notre nid de fortune.

Mes questions restent souvent sans réponses et dans ce climat évanescent, voir immatériel, nos vies se rapprochent pour mieux se séparer.  Mais l’attente me pèse, me tue. Déjà je ressens la  lassitude dans ses yeux et mon bel amour m’échappe un peu plus à chaque rencontre. Je la sens déjà lointaine sans pouvoir la retenir. Elle dit que non, que tous nos serments sont un ciment qui nous réunit à jamais. Le temps est passé et il faut rendre ce bonheur au diable pour qu’il s’y repaisse enfin.  

J’ai besoin de volonté pour briser cet amour qui me ronge et c’est en lâche que je vais y arriver. Sans explications, je pars comme un voleur, comme un assassin. Je quitte cet amour qui me mine et m’étouffe.

Sa vie est ailleurs sans moi.

 

Lire la suite...

 

Mon corps est au repos dans la passivité

Mais mon esprit s'empresse à venir m'occuper.

Il m'incite à penser, constate ou me questionne.

Ma mémoire intervient et maintes fois m'étonne.

Se présente souvent une phrase jolie.

Des images en mots la complètent, s'y lient.

J'ai toujours près de moi une page en attente.

Y étaler des vers est un jeu qui me tente.

Or, quand sur le papier la lumière dépose

De charmants dessins gris qui à ma vue s'exposent,

J'arrête mon stylo, et me sentant ravie

M'immerge allègrement dans le flot de la vie.

Au creux de mon jardin, dans la tranquillité,

Sans m'en apercevoir, je me mets à chanter.

Une ancienne habitude dont varia le rôle.

Les mots m'importent peu, ils s'élèvent, s'envolent.

18 mars 2014

Lire la suite...
ADMINISTRATEUR GENERAL

L’Espace Art Gallery a le plaisir de vous présenter du 19/03 au 06/04/2014 l’exposition  événement des artistes suivants : Hans Schmidt (Be) sérigraphies, Clara Bergel (Fr) peintures, Veronika Ban (Slov) peintures et Pierre Content (Fr) sculpture.

 

Le VERNISSAGE a lieu le 19/03 de 18h 30 à 21h 30 et l’exposition du mardi au samedi inclus de 11h 30 à 18h 30. Et sur rendez-vous le dimanche.

Le FINISSAGE a lieu le 05/04 de 11h 30 à 18h 30.

 

 

         Hans SCHMIDT (Be) sérigraphies

         « La blessure de durée » 

12272989458?profile=original

Collectif de la GALERIE :

Clara BERGEL (Fr) peintures

12272989677?profile=original

12273000657?profile=original

Veronika BAN (Slov) peintures

12272990280?profile=original

Pierre CONTENT (Fr) sculptures

 

A voir également « La grande table en bois » réalisée par l’artiste

Louis de VERDAL (Fr) sculpture

Exposition du 19 mars au 06 avril 2014.

 

Le dernier weekend du mois de mars se tiendra le parcours d’artistes dans le cadre de « Bruxelles Bienvenue ». La galerie sera présente pour ce parcours les 29 et 30/03/2014 de 11h 30 à 18h 30. Infos : http://www.bruxellesbienvenue.be

 

Espace Art Gallery 35 rue Lesbroussart 1050 Bruxelles. Ouvert du mardi au samedi de 11h 30 à 18h 30. Et le dimanche sur rendez-vous. GSM : 00 32 (0) 497 577 120

  

INFOS ARTISTES ET VISUELS SUR :

 

Le site de l’Espace Art Gallery se prolonge dorénavant sur

Le Réseau Arts et Lettres à l'adresse: http://ning.it/KUKe1x

Voir: https://artsrtlettres.ning.com/ (Inscription gratuite)

Programmation de la Galerie de janvier à avril 2014 :

Voir : http://j.mp/MzSIB0

Diaporama des plus belles expositions de l'Espace Art Gallery :  

Voir: http://ning.it/KHOXUa

Les critiques de François Speranza sur Arts et Lettres :

Voir : http://j.mp/1dDwL9m

Expositions de l’Espace Art Gallery d’avril 2011 à janvier 2014 :

Voir : http://j.mp/1dO2y7o

 

 

Information pratique : Pour les visiteurs de la galerie qui viennent en voiture. Les parkings rue Lesbroussart et environs sont payant jusqu’à 20h 30 ! Si vous ne trouvez pas de places dans le quartier il est tout à fait possible d’utiliser le parking Flagey sous la place. Il est à 5 minutes de la galerie et cela sans tourner en rond à la recherche d’une place disponible. Ou alors venir après 20h 30 et trouver une place en surface. Et il y a aussi les transports publics : le tram (81) et les bus (38, 54, 60 et 71).                   Jerry Delfosse

 

Voici les sept prochaines expositions :

 

-Titre : « Emergences » 

Artiste: Max Mesters alias Max (Be) peintures

Vernissage le 09/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 09/04 au 27/04/2014

Finissage le 26/04/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « INTERMEZZO » 

Artiste: Daniel Roger (Fr) peintures

Vernissage le 09/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 09/04 au 27/04/2014

Finissage le 26/04/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « Différents regards sur l’art »

Artistes: Patricia Le Guennec (Fr) peintures et Corinne Benoliel alias Corinart (Fr) peintures et sculptures

Vernissage le 09/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 09/04 au 27/04/2014

Finissage le 26/04/2014 de 11h 30 à 18h 30.

 

-Titre : « Les pièces du temps » 

Artiste: William Kayo (Cam) technique mixte

Vernissage le 30/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 30/04 au 18/05/2014

Finissage le 17/05/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « Douceur, colère, émotion » 

Artiste: W. Kemp (Be) peintures

Vernissage le 30/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 30/04 au 18/05/2014

Finissage le 17/05/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « Sales gueules et gueules salées » 

Artiste: Manu Gomez (Be) sculptures

Vernissage le 30/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 30/04 au 18/05/2014

Finissage le 17/05/2014 de 11h 30 à 18h 30.

&

-Titre : « Différents regards sur l’art »

Artistes: Isabelle Constant (Fr) sculptures, Anne Marie Chasson (Fr) sculptures, Jean Begassat (Fr) peintures et Julien Niverd alias Abraman (Fr) peintures et sculptures

Vernissage le 30/04 de 18h 30 à 21h 30

Exposition du 30/04 au 18/05/2014

Finissage le 17/05/2014 de 11h 30 à 18h 30.

 

 

Au plaisir de vous revoir à l’un ou l’autre de ces événements.

 

Bien à vous,

 

                                                        Jerry Delfosse

                                                        Espace Art Gallery

                                                        GSM: 00.32.497. 577.120

                                                        eag.gallery@gmail.com

 

Le site de l'Espace Art Gallery se prolonge dorénavant sur le Réseau Arts et Lettres à l'adresse: http://ning.it/KUKe1x

 

Lire la suite...

des amours de province n° 6

 

6

 

Gérard avait ouvert la porte au moment même où la voiture s’était arrêtée. Il avait surveillé la rue à travers la vitre dépolie. 

- Je ne comprends pas le temps que vous avez mis pour rentrer.

- Mais Gérard !

- J’ai été malade toute la nuit. J’ai cru que j’allais mourir. Je n’ai même pas eu la force de vous téléphoner.

Il tira Julie par le bras.

- Entre !

Il referma la porte sans proposer à Pierre d’entrer.

- Mais…

Un souffle étrange envahissait Pierre. Il pensait : sale con ! Il aurait du frapper de ses poings et lui dire :

- Ne la touche pas. C’est à moi qu’elle appartient depuis hier soir. Et à Julie, il aurait du dire :

- Viens Julie. Il n’est rien pour toi.

Il monta dans la voiture et retourna chez lui.

Le lendemain, il se rendit au bureau à l’heure habituelle. Gérard était venu un peu plus tard, et ils  avaient parlé des problèmes quotidiens qu’il fallait résoudre sans faire allusion à la Foire. Julie ne vint pas de la journée, il n’avait pas osé demander de ses nouvelles.

Le jour suivant Gérard n’était pas venu. Il avait téléphoné à la secrétaire pour dire qu’il avait pris froid. L’après-midi, c’est Julie qui était venue. Elle portait des lunettes sombres qu’elle avait ôtées un instant. Elle avait une ecchymose à l’arcade sourcilière.

Elle avait chuchoté :

- Ce n’est rien, je n’ai pas mal. Je t’expliquerai.

Deux mois avant la mort de Gérard, Julie lui avait raconté ce qui s’était passé lors de leur premier voyage à Francfort.

- Tu te souviens, je lui ai téléphoné. Il avait crié : Tu es certaine que vous ne pouvez pas rentrer ?

- Ce n’est pas possible, Gérard.

Il avait demandé le nom de l’hôtel où ils allaient loger. Il connaissait la Foire. Il y avait donc encore des chambres disponibles ? Peut-être qu’elles avaient été réservées avant le départ ?

- Le lendemain, il a voulu savoir à nouveau où nous avions dormi.

Hors du regard des autres, il s’exprimait sans fioritures.

- Avoue. Vous avez couché ensemble ?

- Il m’a dit, et je savais qu’il en était capable, que s’il avait connu l’hôtel où nous sommes descendus, il serait venu nous rejoindre durant la nuit.

- Si je vous avais trouvés ensemble, je l’aurais tué sans hésitation.

- Mais nous n’avons pas dormi dans la même chambre.

- Il ne m’a pas crue.

Une fois encore, Gérard l’avait traitée de putain. Il avait peut être raison, dit-elle.

Il l’avait giflée du dos de la main.

- J’ai prétendu devant toi que j’avais heurté une porte

- Pourquoi ne m’as-tu rien dit.

Elle avait eu une réponse étrange.

- J’avais peur que tu ne partes. Pour rien au monde, je ne voulais risquer de te perdre. Tu comprends, il a toujours été comme ça. Même lorsque nous allions en province, toi et moi, il lui arrivait de me frapper. Je suppose que ça le faisait jouir. Il était le chef.

Après leur retour de Francfort, après que Gérard ait frappé Julie et qu’il était venu seul au bureau, puis après que Julie soit venue seule, Pierre fut désemparé. Le lendemain ni Julie ni Gérard n’étaient venus de toute la journée.

Vers la fin de la journée, Gérard  téléphona à madame Belain.

- Est-ce que monsieur Pierre est là ?

- Il est en face moi, je vais vous le passer.

- Ce n’est pas la peine. Qu’il m’apporte les documents ou le courrier à signer.

Madame Belain répéta :

- Il demande à ce que vous lui apportiez le courrier à signer. Il n’y a rien à signer aujourd’hui. Vous voulez que je le rappelle pour le lui dire ?

- Non, madame Germaine. Il y a des questions que je veux lui poser pour le travail de demain.

- Madame Julie n’avait pas l’air très en forme, ces derniers jours.

Pierre n’avait pas répondu. Il avait glissé des papiers dans sa serviette, et il était parti.

C’est Julie qui lui avait ouvert la porte. Elle ne portait plus de lunettes. Il avait voulu lui caresser la joue mais elle avait retenu et serré très fort sa main entre les siennes.

La voix de Gérard a retenti.

- C’est Pierre ? Fais-le entrer.

Gérard dans le petit salon était assis dans une bergère que Julie avait poussée auprès de la table. Pierre s’est assis sur une chaise à ses côtés. Julie s’était rendue dans la cuisine.

- Je vous demande pardon Pierre. J’ai l’air de ne pas vous écouter avec attention mais je me sens malade. Si ça continue, j’appellerai le docteur Meurisse à nouveau. Je dors mal. Je souffre d’apnées, l’air me manque soudain. Mon père déjà était atteint des mêmes maux.

Durant plus d’une semaine, Pierre était venu tous les jours. Il voyait Julie dans le couloir. Un serrement de mains était le seul geste auquel il avait droit. Lorsqu’il se souvenait de leur séjour en Allemagne, il serrait les poings pour se faire mal. Il souhaitait la mort de Gérard.

Julie ne venait plus au bureau et Gérard y venait moins souvent. Il y restait peu de temps. C’est Pierre qui apportait les pièces à signer.

Il était surpris. Julie était devenue plus distante à son endroit.

A mi-voix, il avait dit:

- Qu’est-ce qui se passe, Julie ?

Elle répondit qu’elle voulait être seule. Elle voulait réfléchir, disait-elle.

Elle passait beaucoup de temps auprès de Gérard. Lorsqu’elle lui préparait du thé ou du lait chaud qu’elle l’obligeait à boire, elle ajoutait ;

- Je veux te retrouver au plus vite, Gérard.

Elle l’embrassait sur la bouche. Puis se tenait devant lui, les cuisses écartées. Qui sait ce qui se passe dans la tête d’une femme ? C’était quoi ce qu’on appelle un peu vite ses humeurs ? C’était quoi leur influence sur les pulsions sexuelles de certaines d’entre elles ?

Gérard était bouleversé. Il avait le sentiment de retrouver enfin cette femme dont il était certain au début de leur mariage qu’il l’avait séduite. Cette timidité dont il avait toujours fait preuve et qui traduisait une réserve d’homme d’élite, elle disparaissait au fur et à mesure que Julie s’occupait de lui. A l’instar d’autres femmes, il le savait,  elle attendait de lui une façon d’aimer moins vulgaire que celle dont faisaient preuve la plupart des gens. Hélas, les maux de tête dont il souffrait le freinaient.

- Je sais, tu en veux, hein ?

 Il le voyait bien. Ce n’est plus lui qui avait besoin d’elle, c’était Julie qui avait ses exigences désormais. Il le savait bien que la réalité s’imposerait à elle comme elle s’était imposée à madame Germaine. Il n’avait pas osé mais il aurait du la brusquer. Elle lui en aurait été reconnaissante. Madame Germaine était une obsession dont l’image lui apparaissait trop souvent. Aujourd’hui, cette image s’atténuait.

- J’ai mal à tête.

- Tu veux que j’appelle le médecin ?

- Je ne suis pas une femmelette.

Il posait la main sur les hanches de Julie.

Gérard avait essayé quelques fois de retourner au bureau. Il y avait renoncé. Il  paraissait absent. Il maigrissait. Il devenait de plus en plus dépressif mais avait refusé que la secrétaire n lui en parle. Il semblait résigné.

- Mon père ressentait les mêmes symptômes.

Lorsqu’il ne venait pas au bureau, et que Pierre le voyait chez lui, il arrivait qu’il soit au lit. Julie, du doigt, montrait l’étage et se serrait contre lui en se dirigeant vers l’escalier. Il ne la comprenait pas. Il avait craint que la maladie de Gérard ne l’ait apitoyée. Il lui saisi les hanches en montant.

Il entendit Pierre qui  criait :

- C’est Pierre ?

Pierre tremblait de désir. Il ne savait pas ce qui exacerbait le plus ses frustrations. Toucher le corps de Julie en montant l’escalier ou lui serrer la main lorsque Gérard le recevait au salon ?

Trois mois environ avant la mort de Gérard il avait eu une conversation avec son père.

- Comment va Gérard Leroy ? Il est malade, dit-on. Et Julie ?

C’est le docteur Meurisse qui soignait Gérard. Le docteur Meurisse avait prescrit des médicaments que Julie lui donnait régulièrement. Il avait dit à René que la santé de Gérard était fragile comme l’avait été celle de monsieur Leroy père. A eux, il pouvait le dire. Il ajoutait :

- C’est la vie !

Il disait aussi qu’il admirait le dévouement de Pierre envers son patron.

- Il y va tous les jours, m’a-t-on dit.

C’était un médecin soucieux de la santé physique mais surtout de la santé mentale de ses patients. Il était loin le temps où jeune médecin, il pratiquait un combat acharné contre la maladie. Leur champ de bataille, à la maladie et à lui, c’était le malade. Quand le combat avait été trop violent, le malade n’en sortait jamais indemne. Depuis, il pensait davantage au bien-être de ses patients qu’aux victoires remportées contre la maladie. Il disait en riant :

- Un peu plus tôt, un peu plus tard…L’homme n’est immortel que jusqu’au dernier de ses jours.

- Bien sûr, je reste fidèle à mon serment. Le serment d’Hippocrate. Ou d’hypocrite.

Lire la suite...

Papa n’est pas raisonnable.

Tous disent que je suis trop vieux pour rester seul. Je tombe souvent. J’ai du mal à me relever. Parfois je reste assis des heures par terre. J’ai de bons enfants, ils sont très attentifs à moi et à ma santé. Ils n’aiment pas me savoir seul.

Cette fois, c’est la chute de trop. Mes enfants sont fâchés, toujours tomber au risque de me casser, me rompre, me briser les os. C’est pour mon bien, je ne peux plus rester seul. Mon fils me le répète quand il vient me voir le jeudi matin entre deux rendez-vous. Papa, tu es trop vieux pour rester seul. Je ne réponds rien pour ne pas lui déplaire.

Mais non, je ne suis pas vieux, je suis âgé. Le reste de ma vie est à moi, et si je fais tout au ralenti, c’est pour mieux profiter encore et encore,  savourer les heures, les minutes, les secondes.

Mes enfants sont occupés, trop occupés, toujours pressés alors que moi, j’ai plus de temps qu’il n’en faut. Ils courent, s’énervent, s’exténuent pour un rien. La vie moderne est fatigante.

Je suis bien chez moi et j’ai peur quand ils viennent me voir maintenant. Déménager à mon âge. Perdre mes repaires et tout ce qui a fait ma vie, mes joies, mes bonheurs, mes tristesses.  Non, je suis bien ici même si je tombe parfois.  Les souvenirs d’un destin passé sont ici, l’amour que j’ai donné est en partie sur ces photos jaunies accrochées au mur. L’amour que j’ai reçu est gravé sur mes rides, sur mon cœur. Seul mais qui n’est pas seul quand l’âge fait que la famille s’étiole, que les amis disparaissent.

Mes enfants disent : papa, tu n’es pas raisonnable de rester seul ainsi. Je suis avec ma vie passée à vous aimer, à vous chérir. Je vis toujours avec mes êtres chers. Mes souvenirs sont ma vie et ma vie est ici. Je me souviens quand j’ai acheté cette jolie maison et comme votre mère l’aimait.

Ils sont venus avec des dépliants, des brochures me montrer des homes, des maisons de retraite médicalisées ou pas. Je n’en veux pas.

Partir vers l’inconnu à mon âge. J’aime ma solitude, mon isolement, le calme de mes soirées en tête à tête, la douceur de mes vieux murs. Mon journal que je lis toute la journée et avec qui je me tiens informé.

Et cette chambre chérie, ce vieux couvre-lit, ces tapisseries bleues que votre mère a voulu. Elle riait de voir ma tête dans ce décor. Elle aimait la couleur du ciel et prenait le temps de le regarder chaque jour. Elle était heureuse disait-elle dans cette chambre ouverte sur notre jardin.

Elle est partie trop tôt comme partent les illusions. J’ai beaucoup pleuré dans cette chambre, de tristesse et souvent de bonheur. Les enfants sont gentils mais ils ne savent pas, ne connaissent pas la saveur de ces larmes de joie et le manque qu’elles laissent en partant.

La vie a été agréable,  j’ai eu des moments merveilleux. Je n’ai plus beaucoup d’exigences mais  je ne finirai pas comme ces personnes alignées dans ces salles et où pour les distraire, des chanteurs viennent avec des chansons d’un autre temps les réconforter de tant de tristesse.

Papa n’est pas raisonnable.

Je reste chez moi..

Lire la suite...


 Le printemps est annoncé

12272999266?profile=original

d'ADYNE GOHY

en concordance avec

Le printemps déjà là

Cerisiers en fleurs avant l'heure,

un bijou blanc dans un jardin,

sous le léger châle de l'hiver encore,

devenu impuissant,

tout en haut, une tenture toute bleue, lisse,

printemps trop tôt tombé du ciel,

mars sans la pluie;

déboutonnage d'un blanc corsage,

dentelle grège, chaude neige;

nuage végétal, trouble!

lèvres rouges ébahies,

s'égaie l'arborescence embaumée et pastelle;

blanche comme neige, tourterelle!

Cerisiers en fleurs, avant l'heure,

un bijou blanc dans un chemin,

sous le léger châle de l'hiver encore,

devenu impuissant,

tout en haut, une tenture toute bleue, lisse,

nos mots orangés, audacieux,

parfum citron,

senteur de limonade dans l'air,

baptême au dessus de la terre,

sans pluie, sans bruit;

ensoleillement inouï et bleu!

de NINA

Les partenariats d'

Arts12272797098?profile=originalLettres

Lire la suite...

 

Des amours de province.

 

 

                                      1

 

 

Pierre avait laissé sa voiture à cent mètres du cimetière pour remonter lentement l’allée principale, et il s’était dirigé vers un groupe d’hommes qui attendait au bord d’une tombe. La dernière fois qu’il avait assisté à des funérailles au Cimetière du Sud, c’était il y a quelques années aux funérailles de Gérard Leroy. Mais ni cinq ans ni quelques années de plus ne pouvaient  changer la physionomie d’un homme jeune ou pour que s’oublient les circonstances de sa présence au cimetière ce jour là.

Personne ne fit semblant de ne pas le reconnaitre et personne ne détourna le regard. Il avait craint de rencontrer Liliane, celle qui avait été la meilleure amie de Julie. Elle n’avait rien oublié, il en était convaincu. Qui sait comment elle aurait réagi en le voyant. Parce que les morts qui surviennent sans raison apparente  laissent des traces indélébiles.

- Le voilà !

La voiture mortuaire remontait l’allée suivie par un groupe d’hommes et de femmes qui avait attendu à l’entrée que la voiture pénètre dans le cimetière. D’autres groupes attendaient dans l’allée à mi chemin, hésitant à se mêler au gros des suiveurs au visage de circonstance ou à se diriger vers ceux qui au bord de la tombe apparaissaient comme des proches véritables. Ils avaient le visage contrarié de ceux qui s’inquiètent du temps perdu.

Tout le monde se découvrit. Béatrice, la mère d’Henriette, que Pierre avait connue du temps qu’il était étudiant, Béatrice qui avait été à la fois sa première conquête féminine et sa maîtresse durant un mois, Béatrice qu’il avait revue lors des funérailles de Gérard était parmi eux. Elle avait détourné la tête lorsque leurs regards s’étaient croisés. Elle n’était pas acrimonieuse. Leur rupture lui avait paru naturelle mais la rupture entre une femme plus âgée et son jeune amant crée des blessures qui durent longtemps. Jusqu’à ce qu’elle ne souvienne plus de la blessure mais des gestes d’amours échangés avec son jeune amant au corps ferme.

C’est à René Daumier que Pierre songeait, l’homme qu’on enterrait aujourd’hui. Il avait été de la génération de son père, il avait été le meilleur ami de sa mère, et Pierre soupçonnait que si elle n’avait pas épousé le président Halloy, un juge d’instruction à peine sorti de la faculté de Droit, c’est René qui aurait été son  père. Qui sait ? Après tout, il l’était peut-être. L’amour à de curieux cheminements.

Un jour, une femme  de plus de soixante ans lui avait dit que le premier des amoureux qu’elle avait eus, et qui venait de mourir, n’avait jamais aimé qu’elle de

toute sa vie. Elle, en revanche, ne l’avait pas aimé assez pour se lier pour toute la vie et il en avait épousé une autre. Il s’était passé trente-cinq ans depuis qu’il lui avait proposé de l’épouser.

C’était cette autre qu’il avait épousée qui le lui avait confié. L’autre avait dit :

- Il n’a jamais aimé que vous.

C’était rendre hommage à son mari que de le dire à une rivale qui avait ignoré qu’elle l’était. Elle avait ajouté : ces choses là au jour de sa mort n’avaient plus beaucoup d’importance. Qui peut jurer de la nature des unions maritales ?

Pierre était tenté de sourire.

A la fin de la cérémonie des funérailles, quelques assistants étaient partis sans attendre. Ils étaient restés à trois, Jacques Sturbois, Philippe Bécot et lui. Des amis d’enfance. De ces amis qu’on appelle des amis de toujours. Tous les trois, ils avaient rêvé d’une carrière musicale. Dans l’arrière-salle d’un café qu’ils avaient baptisé le Blue Note, la guitare à la main, ils tentaient d’imiter Django Reinhardt qui était le musicien à la mode chez les jeunes intellectuels. En jouant, ils imaginaient déjà la file de leurs futures admiratrices.

Comme la plupart des jeunes gens ils avaient achevé leurs études sans bouleverser quoi que ce soit à leur destin. Un destin tracé par des parents qui disaient : il faut que jeunesse se passe. Les révolutions sont souvent plus verbales que véritables.

- On va prendre un verre ?

Jacques Sturbois avait saisi le bras de Pierre. Philippe Bécot avait compris que Jacques souhaitait rester seul avec lui. Il s’excusa en faisant une moue de regret :

- Il faut que je rentre.

Jacques Sturbois entraîna Pierre.

- C’est bien que tu sois venu.

Ils s’étaient attablés « A l’attente des familles », le café qui se trouvait en face du cimetière.

Sous ses paupières tombantes, Jacques Sturbois avait le regard inquisiteur. Celui du juge d’instruction qu’il avait été avant de devenir Substitut du procureur. Il détaillait Pierre comme s’il ne l’avait jamais vu auparavant.

- Il demanda :

- Tu as des nouvelles de Julie ? 

- Elle est mariée ?

- Donc, tu n’as pas de nouvelles. Non, elle ne s’est pas remariée.

- Je ne l’ai plus vue depuis… Je suppose qu’elle a quelqu’un, c’est tout naturel.

Parce qu’il pensait qu’il ne répondait qu’à des questions posées par politesse, Pierre tentait de paraitre détaché mais il avait envie de pleurer. En réalité il pensait : pourvu qu’il me pose encore des questions, que je puisse continuer de parler d’elle à haute voix.

Il était revenu en ville pour René, son parrain, cinq ans après l’avoir quittée, mais c’est de Julie qu’il avait envie de parler. Peut être que c’est Julie qu’il souhaitait revoir. Et cette ville parce qu’elle était la sienne.

- A ce qu’on sait, elle n’a personne. Il y a quelqu’un qui dirige la boutique. Elle y va le matin.

- C’est tout ? Ce n’est pas une nonne, tout de même.

- Je ne tiens pas la chandelle, Pierre. En tout cas, elle n’a personne d’officiel. Liliane passe la voir régulièrement; dit-on. Si elle avait quelqu’un, ça se saurait. Et toi, tu as quelqu’un ?

Après tant d’années, il avait le sentiment de n’avoir  personne. Clotilde ne comptait pas. Il en avait soudain conscience, c’est de Julie qu’il avait besoin. Et envie.

- Je travaille beaucoup.

- Mais tu es venu, c’est bien. Je m’en doutais.

Depuis plus d’un mois Pierre s’était inquiété de René dont la santé se dégradait. Il l’appelait presque tous les jours. Son père aussi lui donnait de ses nouvelles. Une sorte de routine s’était installée. Et soudain Pierre avait appris le jour de ses funérailles.

Il avait voulu l’appeler dans sa chambre comme il le faisait depuis que René était malade mais c’est l’infirmière cette fois qui lui avait  répondu. René était mort depuis deux jours.

- Mort ?

- Il sera enterré demain. Au cimetière du Sud.

                  

                                      2

 

Pierre Halloy avait quitté la ville cinq ans auparavant mais pour tous ceux qui étaient venus aux funérailles de René Daumier rien ne s’était passé de particulier il y a cinq ans qui aurait pu motiver son départ. Il y a toujours quelqu’un qui vient ou qui s’en va.

Pourtant il y avait eu du monde aux funérailles de Gérard Leroy. C’était quelqu’un de connu. Mais il n’y avait pas eu un mot, sinon l’annonce  de sa mort dans la presse locale. Ni de racontars qui se murmurent de bouche à oreille. Il ne s’était donc rien passé. Une simple césure dans le déroulement d’évènements anodins. Ce dont on ne parle pas n’existe pas.  

Les gens qui comptent dans la ville, René Daumier son parrain, son père qui était le président du tribunal dont on ne parlait qu’en disant : le président Halloy ou le Président tout court mais avec une majuscule dans la bouche, et certains de leurs proches, avaient voulu effacer les circonstances du drame et le drame lui-même. Sans esclandre. Pour la réputation de leur ville, avaient-ils dit.

C’était une ville de près de soixante mille habitants, calme et prospère. Entourée de boulevards qui rappelaient les murs d’enceinte du moyen-âge. Peut être qu’elle regrettait le temps où l’étranger était contrôlé avant de pouvoir franchir le pont qui menait au centre de la ville. Aujourd’hui encore, les étrangers n’étaient reçus chez les citoyens de la ville qu’après un long purgatoire.

C’était une ville aux multiples visages comme le sont la plupart des villes de province. Comme dans la plupart des villes de province une hiérarchie y existait depuis toujours selon des critères acceptés par tous et sans que d’autres que leurs élites en connaissent les règles. Et alors même que les édiles de la ville aux pouvoirs formels faisaient l’objet d’élections régulières.

Le père de Pierre Halloy et René Daumier étaient des membres discrets mais influents de la communauté.

Il ne l’avouait pas mais au moment des évènements qui avaient bouleversé sa vie, Pierre en avait joui. René avait été la dernière personne qu’il avait rencontrée avant de partir. C’est dans sa boite aux lettres, tard dans la nuit, qu’il avait déposé un mot qui disait :

- Je pars.

René était un homme respecté comme l’était le président Halloy. Lorsque le président revêtait sa robe, elle était toujours d’une propreté immaculée. Noblesse de robe. Immaculée comme devait l’être la justice aux yeux du citoyen, disait-il. Premier président du tribunal, c’était un notable dont les avis étaient toujours suivis alors même qu’ils n’étaient pas de nature juridique.

Pierre, son fils unique, à l’inverse d’une longue tradition, avait fait des études de nature commerciale. Passe encore pour l’industrie, disait-on dans son milieu, mais faire du commerce avait de quoi heurter. Cependant il fallait bien qu’un fils de famille sans vocation affirmée fît des études supérieures. Sans nécessairement qu’elles aboutissent à l’exercice d’une profession lucrative.

René lui-même n’avait jamais travaillé à la manière dont on l’entendait généralement. Il collectionnait les livres rares aux enluminures précieuses, des originaux  qu’il s’efforçait de préserver et des manuscrits qui n’avaient jamais été édités. Le nom de l’auteur, s’il figurait sur la page de garde, était souvent un pseudonyme.

Il avait une passion mais pas de profession bien définie. Il était fortuné, il gérait ses biens. Cela lui faisait une occupation pour plusieurs journées a l’exception de celle où, s’il disparaissait sans donner d’explications à se amis, c’était pour retrouver une maîtresse à l’hôtel du « Soleil Radieux » : l’épouse insuffisamment comblée d’une relation commune.

Le docteur Meurisse, l’ami commun du président Halloy et de René Daumier disait en souriant mais sa plaisanterie ne faisait plus rire personne :

- Il évite les veuves ou les femmes divorcées toujours prêtes à se remarier.

Des études de droit auraient convenu à Pierre, à son père et à son parrain. Hélas, l’épaisseur des livres de droit le rebutait, se lamentait son père. En revanche, les études commerciales étaient parfaitement abordables pour un jeune homme intelligent même peu intéressé par les arcanes de la gestion des entreprises.

Après les cours, il passait plus de temps à taper sur un piano dans une boite de jazz que de compulser sérieusement ses livres. René disait :

- Il est trop intelligent, c’est son malheur. Il suffit qu’il lise un texte une seule fois, et il le connait par cœur. Inutile de le relire.

Malheureusement, le jour des examens il avait complètement oublié la matière  même s’il n’avait pas oublié les filles rencontrées la semaine durant. La mémoire des étudiants est sélective.

Lorsque Béatrice l’avait croisé, elle avait fait semblant de ne pas le voir. Déjà aux funérailles de Gérard, elle l’avait toisé. Elle voulait sans doute lui transmettre un message : elle lui reprochait de ne pas se souvenir d’elle ou de ne pas le lui manifester. Les hommes qui ont été aimés par des femmes plus âgées n’ont pas les mêmes souvenirs qu’elles quant à ce que furent leurs amours.

Il ne manquait pas de jolies filles à qui Pierre plaisait, et il lui arrivait de faire la cour à des femmes mariées lors de soirées dansantes données au profit d’œuvres charitables. Des femmes très convenables, Les élans du cœur sont souvent propices à ceux de la chair.

Lors d’une soirée de bienfaisance donnée à l’occasion du bal de l’Ecole des Textiles, un bal très couru, il se déroulait tous les ans à la mi-novembre, les jeunes gens y invitaient leur amie ou celle dont ils souhaitaient qu’elle le devienne. Parfois ces jeunes filles en âge de se marier étaient accompagnées de leur mère qui était censée leur servir de chaperon. C’est ainsi qu’il avait fait connaissance de Béatrice.

Cela peut faire rire aujourd’hui. On imagine mal les jeunes filles assistant au bal de Médecine ou à celui de Polytechnique être accompagnées de leur mère. Elles sont largement à même de choisir leur futur mari elles mêmes

Les jeunes filles revêtaient des toilettes qui mettaient leur silhouette en valeur. Leur mère, elles aussi,  revêtaient des toilettes qui les mettaient en valeur même si le but poursuivi, pour ce qui concerne le mariage en tout cas, n’était pas le même.

Ce soir-là, il avait invité Henriette dont il avait fait  connaissance peu de temps auparavant. Peut être que c’est Henriette qui avait fait sa connaissance ? Elle avait dit un jour en le désignant à sa mère :

- C’est celui-là qu’il me faut.

 Henriette avait consenti à venir mais elle avait prévenu Pierre, elle était trop timide: elle serait accompagnée de sa mère.

Béatrice, la mère d’Henriette, était une femme divorcée âgée de quarante et quelques années. Il n’aurait pas pensé avant de la voir qu’elle était tellement attirante. On eut dit deux sœurs dont il était difficile de dire laquelle était l’ainée.

Béatrice avait une silhouette sexuellement triomphante que de nombreux étudiants invitaient à danser. Elle semblait y prendre beaucoup de plaisir. Ses pommettes étaient roses sans que l’alcool y fût pour rien mais ses yeux brillaient comme si l’alcool en avait avivé la brillance. Pierre pensait:

- Elle a les yeux qui disent oui.

Il avait retenu une table au bord de la piste.

Béatrice s’assit, elle  vida son verre d’un trait, et elle regarda les danseurs la tête levée comme le ferait un oiseau de proie avant de fondre sur sa victime.  Elle avait envie d’être heureuse et de s’amuser.

Le rythme des danses s’était modifié au fur et à mesure que la soirée s’avançait. Pierre venait de ramener Henriette, et s’apprêtait à s’asseoir. Un slow, une danse langoureuse, commençait.

- Vous ne m’avez pas fait danser une seule fois, Pierre. Allons, venez.

Elle se pencha vers sa fille.

- Vous permettez que je vous l’emprunte ?

Il s’était levé. Les seins de Béatrice étaient durs, elle pressait sa poitrine contre la sienne, la tête penchée sur son épaule. Il sentait l’odeur de son parfum. Son sexe, malgré lui, s’était dressé. Il s’écarta. C’est elle qui se resserra contre lui.

- Vous êtes toujours comme ça, Pierre. Ou c’est moi qui vous fais cet effet ?

Elle avait les lèvres contre son oreille.

- Vous êtes un garçon intéressant, Pierre. J’aimerais mieux vous connaître.

Ils dansaient au milieu de la piste sans beaucoup bouger parmi d’autres danseurs qui se mouvaient à peine eux aussi. La lumière au-dessus de la piste était pratiquement éteinte.

-Vous connaissez le café de la Gare. Je vous y attendrai demain à trois heures.

Le slow était sur le point de s’achever. Elle murmura en souriant :

- Ne te préoccupe de rien, j’aurai réservé la chambre.

Il lui tenait le bras tandis qu’ils se dirigeaient vers leur table. C’est avec Henriette qu’il dansa la danse suivante tandis que Béatrice s’excusait auprès d’un jeune homme qui lui demandait :

- On danse ?

Elle était fatiguée et se servait d’une serviette comme s’il s’agissait d’un éventail.

 

Des amours de province.

 

 

                                      1

 

 

Pierre avait laissé sa voiture à cent mètres du cimetière pour remonter lentement l’allée principale, et il s’était dirigé vers un groupe d’hommes qui attendait au bord d’une tombe. La dernière fois qu’il avait assisté à des funérailles au Cimetière du Sud, c’était il y a quelques années aux funérailles de Gérard Leroy. Mais ni cinq ans ni quelques années de plus ne pouvaient  changer la physionomie d’un homme jeune ou pour que s’oublient les circonstances de sa présence au cimetière ce jour là.

Personne ne fit semblant de ne pas le reconnaitre et personne ne détourna le regard. Il avait craint de rencontrer Liliane, celle qui avait été la meilleure amie de Julie. Elle n’avait rien oublié, il en était convaincu. Qui sait comment elle aurait réagi en le voyant. Parce que les morts qui surviennent sans raison apparente  laissent des traces indélébiles.

- Le voilà !

La voiture mortuaire remontait l’allée suivie par un groupe d’hommes et de femmes qui avait attendu à l’entrée que la voiture pénètre dans le cimetière. D’autres groupes attendaient dans l’allée à mi chemin, hésitant à se mêler au gros des suiveurs au visage de circonstance ou à se diriger vers ceux qui au bord de la tombe apparaissaient comme des proches véritables. Ils avaient le visage contrarié de ceux qui s’inquiètent du temps perdu.

Tout le monde se découvrit. Béatrice, la mère d’Henriette, que Pierre avait connue du temps qu’il était étudiant, Béatrice qui avait été à la fois sa première conquête féminine et sa maîtresse durant un mois, Béatrice qu’il avait revue lors des funérailles de Gérard était parmi eux. Elle avait détourné la tête lorsque leurs regards s’étaient croisés. Elle n’était pas acrimonieuse. Leur rupture lui avait paru naturelle mais la rupture entre une femme plus âgée et son jeune amant crée des blessures qui durent longtemps. Jusqu’à ce qu’elle ne souvienne plus de la blessure mais des gestes d’amours échangés avec son jeune amant au corps ferme.

C’est à René Daumier que Pierre songeait, l’homme qu’on enterrait aujourd’hui. Il avait été de la génération de son père, il avait été le meilleur ami de sa mère, et Pierre soupçonnait que si elle n’avait pas épousé le président Halloy, un juge d’instruction à peine sorti de la faculté de Droit, c’est René qui aurait été son  père. Qui sait ? Après tout, il l’était peut-être. L’amour à de curieux cheminements.

Un jour, une femme  de plus de soixante ans lui avait dit que le premier des amoureux qu’elle avait eus, et qui venait de mourir, n’avait jamais aimé qu’elle de

toute sa vie. Elle, en revanche, ne l’avait pas aimé assez pour se lier pour toute la vie et il en avait épousé une autre. Il s’était passé trente-cinq ans depuis qu’il lui avait proposé de l’épouser.

C’était cette autre qu’il avait épousée qui le lui avait confié. L’autre avait dit :

- Il n’a jamais aimé que vous.

C’était rendre hommage à son mari que de le dire à une rivale qui avait ignoré qu’elle l’était. Elle avait ajouté : ces choses là au jour de sa mort n’avaient plus beaucoup d’importance. Qui peut jurer de la nature des unions maritales ?

Pierre était tenté de sourire.

A la fin de la cérémonie des funérailles, quelques assistants étaient partis sans attendre. Ils étaient restés à trois, Jacques Sturbois, Philippe Bécot et lui. Des amis d’enfance. De ces amis qu’on appelle des amis de toujours. Tous les trois, ils avaient rêvé d’une carrière musicale. Dans l’arrière-salle d’un café qu’ils avaient baptisé le Blue Note, la guitare à la main, ils tentaient d’imiter Django Reinhardt qui était le musicien à la mode chez les jeunes intellectuels. En jouant, ils imaginaient déjà la file de leurs futures admiratrices.

Comme la plupart des jeunes gens ils avaient achevé leurs études sans bouleverser quoi que ce soit à leur destin. Un destin tracé par des parents qui disaient : il faut que jeunesse se passe. Les révolutions sont souvent plus verbales que véritables.

- On va prendre un verre ?

Jacques Sturbois avait saisi le bras de Pierre. Philippe Bécot avait compris que Jacques souhaitait rester seul avec lui. Il s’excusa en faisant une moue de regret :

- Il faut que je rentre.

Jacques Sturbois entraîna Pierre.

- C’est bien que tu sois venu.

Ils s’étaient attablés « A l’attente des familles », le café qui se trouvait en face du cimetière.

Sous ses paupières tombantes, Jacques Sturbois avait le regard inquisiteur. Celui du juge d’instruction qu’il avait été avant de devenir Substitut du procureur. Il détaillait Pierre comme s’il ne l’avait jamais vu auparavant.

- Il demanda :

- Tu as des nouvelles de Julie ? 

- Elle est mariée ?

- Donc, tu n’as pas de nouvelles. Non, elle ne s’est pas remariée.

- Je ne l’ai plus vue depuis… Je suppose qu’elle a quelqu’un, c’est tout naturel.

Parce qu’il pensait qu’il ne répondait qu’à des questions posées par politesse, Pierre tentait de paraitre détaché mais il avait envie de pleurer. En réalité il pensait : pourvu qu’il me pose encore des questions, que je puisse continuer de parler d’elle à haute voix.

Il était revenu en ville pour René, son parrain, cinq ans après l’avoir quittée, mais c’est de Julie qu’il avait envie de parler. Peut être que c’est Julie qu’il souhaitait revoir. Et cette ville parce qu’elle était la sienne.

- A ce qu’on sait, elle n’a personne. Il y a quelqu’un qui dirige la boutique. Elle y va le matin.

- C’est tout ? Ce n’est pas une nonne, tout de même.

- Je ne tiens pas la chandelle, Pierre. En tout cas, elle n’a personne d’officiel. Liliane passe la voir régulièrement; dit-on. Si elle avait quelqu’un, ça se saurait. Et toi, tu as quelqu’un ?

Après tant d’années, il avait le sentiment de n’avoir  personne. Clotilde ne comptait pas. Il en avait soudain conscience, c’est de Julie qu’il avait besoin. Et envie.

- Je travaille beaucoup.

- Mais tu es venu, c’est bien. Je m’en doutais.

Depuis plus d’un mois Pierre s’était inquiété de René dont la santé se dégradait. Il l’appelait presque tous les jours. Son père aussi lui donnait de ses nouvelles. Une sorte de routine s’était installée. Et soudain Pierre avait appris le jour de ses funérailles.

Il avait voulu l’appeler dans sa chambre comme il le faisait depuis que René était malade mais c’est l’infirmière cette fois qui lui avait  répondu. René était mort depuis deux jours.

- Mort ?

- Il sera enterré demain. Au cimetière du Sud.

                  

                                      2

 

Pierre Halloy avait quitté la ville cinq ans auparavant mais pour tous ceux qui étaient venus aux funérailles de René Daumier rien ne s’était passé de particulier il y a cinq ans qui aurait pu motiver son départ. Il y a toujours quelqu’un qui vient ou qui s’en va.

Pourtant il y avait eu du monde aux funérailles de Gérard Leroy. C’était quelqu’un de connu. Mais il n’y avait pas eu un mot, sinon l’annonce  de sa mort dans la presse locale. Ni de racontars qui se murmurent de bouche à oreille. Il ne s’était donc rien passé. Une simple césure dans le déroulement d’évènements anodins. Ce dont on ne parle pas n’existe pas.  

Les gens qui comptent dans la ville, René Daumier son parrain, son père qui était le président du tribunal dont on ne parlait qu’en disant : le président Halloy ou le Président tout court mais avec une majuscule dans la bouche, et certains de leurs proches, avaient voulu effacer les circonstances du drame et le drame lui-même. Sans esclandre. Pour la réputation de leur ville, avaient-ils dit.

C’était une ville de près de soixante mille habitants, calme et prospère. Entourée de boulevards qui rappelaient les murs d’enceinte du moyen-âge. Peut être qu’elle regrettait le temps où l’étranger était contrôlé avant de pouvoir franchir le pont qui menait au centre de la ville. Aujourd’hui encore, les étrangers n’étaient reçus chez les citoyens de la ville qu’après un long purgatoire.

C’était une ville aux multiples visages comme le sont la plupart des villes de province. Comme dans la plupart des villes de province une hiérarchie y existait depuis toujours selon des critères acceptés par tous et sans que d’autres que leurs élites en connaissent les règles. Et alors même que les édiles de la ville aux pouvoirs formels faisaient l’objet d’élections régulières.

Le père de Pierre Halloy et René Daumier étaient des membres discrets mais influents de la communauté.

Il ne l’avouait pas mais au moment des évènements qui avaient bouleversé sa vie, Pierre en avait joui. René avait été la dernière personne qu’il avait rencontrée avant de partir. C’est dans sa boite aux lettres, tard dans la nuit, qu’il avait déposé un mot qui disait :

- Je pars.

René était un homme respecté comme l’était le président Halloy. Lorsque le président revêtait sa robe, elle était toujours d’une propreté immaculée. Noblesse de robe. Immaculée comme devait l’être la justice aux yeux du citoyen, disait-il. Premier président du tribunal, c’était un notable dont les avis étaient toujours suivis alors même qu’ils n’étaient pas de nature juridique.

Pierre, son fils unique, à l’inverse d’une longue tradition, avait fait des études de nature commerciale. Passe encore pour l’industrie, disait-on dans son milieu, mais faire du commerce avait de quoi heurter. Cependant il fallait bien qu’un fils de famille sans vocation affirmée fît des études supérieures. Sans nécessairement qu’elles aboutissent à l’exercice d’une profession lucrative.

René lui-même n’avait jamais travaillé à la manière dont on l’entendait généralement. Il collectionnait les livres rares aux enluminures précieuses, des originaux  qu’il s’efforçait de préserver et des manuscrits qui n’avaient jamais été édités. Le nom de l’auteur, s’il figurait sur la page de garde, était souvent un pseudonyme.

Il avait une passion mais pas de profession bien définie. Il était fortuné, il gérait ses biens. Cela lui faisait une occupation pour plusieurs journées a l’exception de celle où, s’il disparaissait sans donner d’explications à se amis, c’était pour retrouver une maîtresse à l’hôtel du « Soleil Radieux » : l’épouse insuffisamment comblée d’une relation commune.

Le docteur Meurisse, l’ami commun du président Halloy et de René Daumier disait en souriant mais sa plaisanterie ne faisait plus rire personne :

- Il évite les veuves ou les femmes divorcées toujours prêtes à se remarier.

Des études de droit auraient convenu à Pierre, à son père et à son parrain. Hélas, l’épaisseur des livres de droit le rebutait, se lamentait son père. En revanche, les études commerciales étaient parfaitement abordables pour un jeune homme intelligent même peu intéressé par les arcanes de la gestion des entreprises.

Après les cours, il passait plus de temps à taper sur un piano dans une boite de jazz que de compulser sérieusement ses livres. René disait :

- Il est trop intelligent, c’est son malheur. Il suffit qu’il lise un texte une seule fois, et il le connait par cœur. Inutile de le relire.

Malheureusement, le jour des examens il avait complètement oublié la matière  même s’il n’avait pas oublié les filles rencontrées la semaine durant. La mémoire des étudiants est sélective.

Lorsque Béatrice l’avait croisé, elle avait fait semblant de ne pas le voir. Déjà aux funérailles de Gérard, elle l’avait toisé. Elle voulait sans doute lui transmettre un message : elle lui reprochait de ne pas se souvenir d’elle ou de ne pas le lui manifester. Les hommes qui ont été aimés par des femmes plus âgées n’ont pas les mêmes souvenirs qu’elles quant à ce que furent leurs amours.

Il ne manquait pas de jolies filles à qui Pierre plaisait, et il lui arrivait de faire la cour à des femmes mariées lors de soirées dansantes données au profit d’œuvres charitables. Des femmes très convenables, Les élans du cœur sont souvent propices à ceux de la chair.

Lors d’une soirée de bienfaisance donnée à l’occasion du bal de l’Ecole des Textiles, un bal très couru, il se déroulait tous les ans à la mi-novembre, les jeunes gens y invitaient leur amie ou celle dont ils souhaitaient qu’elle le devienne. Parfois ces jeunes filles en âge de se marier étaient accompagnées de leur mère qui était censée leur servir de chaperon. C’est ainsi qu’il avait fait connaissance de Béatrice.

Cela peut faire rire aujourd’hui. On imagine mal les jeunes filles assistant au bal de Médecine ou à celui de Polytechnique être accompagnées de leur mère. Elles sont largement à même de choisir leur futur mari elles mêmes

Les jeunes filles revêtaient des toilettes qui mettaient leur silhouette en valeur. Leur mère, elles aussi,  revêtaient des toilettes qui les mettaient en valeur même si le but poursuivi, pour ce qui concerne le mariage en tout cas, n’était pas le même.

Ce soir-là, il avait invité Henriette dont il avait fait  connaissance peu de temps auparavant. Peut être que c’est Henriette qui avait fait sa connaissance ? Elle avait dit un jour en le désignant à sa mère :

- C’est celui-là qu’il me faut.

 Henriette avait consenti à venir mais elle avait prévenu Pierre, elle était trop timide: elle serait accompagnée de sa mère.

Béatrice, la mère d’Henriette, était une femme divorcée âgée de quarante et quelques années. Il n’aurait pas pensé avant de la voir qu’elle était tellement attirante. On eut dit deux sœurs dont il était difficile de dire laquelle était l’ainée.

Béatrice avait une silhouette sexuellement triomphante que de nombreux étudiants invitaient à danser. Elle semblait y prendre beaucoup de plaisir. Ses pommettes étaient roses sans que l’alcool y fût pour rien mais ses yeux brillaient comme si l’alcool en avait avivé la brillance. Pierre pensait:

- Elle a les yeux qui disent oui.

Il avait retenu une table au bord de la piste.

Béatrice s’assit, elle  vida son verre d’un trait, et elle regarda les danseurs la tête levée comme le ferait un oiseau de proie avant de fondre sur sa victime.  Elle avait envie d’être heureuse et de s’amuser.

Le rythme des danses s’était modifié au fur et à mesure que la soirée s’avançait. Pierre venait de ramener Henriette, et s’apprêtait à s’asseoir. Un slow, une danse langoureuse, commençait.

- Vous ne m’avez pas fait danser une seule fois, Pierre. Allons, venez.

Elle se pencha vers sa fille.

- Vous permettez que je vous l’emprunte ?

Il s’était levé. Les seins de Béatrice étaient durs, elle pressait sa poitrine contre la sienne, la tête penchée sur son épaule. Il sentait l’odeur de son parfum. Son sexe, malgré lui, s’était dressé. Il s’écarta. C’est elle qui se resserra contre lui.

- Vous êtes toujours comme ça, Pierre. Ou c’est moi qui vous fais cet effet ?

Elle avait les lèvres contre son oreille.

- Vous êtes un garçon intéressant, Pierre. J’aimerais mieux vous connaître.

Ils dansaient au milieu de la piste sans beaucoup bouger parmi d’autres danseurs qui se mouvaient à peine eux aussi. La lumière au-dessus de la piste était pratiquement éteinte.

-Vous connaissez le café de la Gare. Je vous y attendrai demain à trois heures.

Le slow était sur le point de s’achever. Elle murmura en souriant :

- Ne te préoccupe de rien, j’aurai réservé la chambre.

Il lui tenait le bras tandis qu’ils se dirigeaient vers leur table. C’est avec Henriette qu’il dansa la danse suivante tandis que Béatrice s’excusait auprès d’un jeune homme qui lui demandait :

- On danse ?

Elle était fatiguée et se servait d’une serviette comme s’il s’agissait d’un éventail.

Lire la suite...

des amours de province. 5

 

                                      5

 

Le chemin, Pierre l’aurait parcouru les yeux fermés. De nombreuses fois, il avait sonné à la porte pour rencontrer Gérard à une époque où déjà malade celui-ci venait de plus en plus rarement au bureau. Il était dépressif comme l’était son père, disait-il. Assis dans un fauteuil, il l’écoutait Pierre lui détailler ses activités.

- C’est bien, c’est bien.

C’est dans le hall, avant qu’il ne quitte la maison que Julie se serrait contre lui pour l’embrasser, son ventre contre le sien. La proximité de Gérard l’effrayait mais l’excitait tout à la fois. Un jour Pierre et elle étaient amants depuis trois mois, c’est dans le coin reculé d’une église qu’elle se fit caresser.  Rarement, elle n’avait joui autant. Le plaisir des caresses tient beaucoup à l’imagination des amants.

Deux ans auparavant, Gérard avait demandé à Pierre d’accompagner Julie à Francfort à l’occasion d’une foire alimentaire. Elle devait y rencontrer un fournisseur. Ce devait être le déplacement d’une journée mais le soir, elle lui avait téléphoné pour lui dire qu’ils ne rentreraient que le lendemain. Les échantillons ne seraient  pas prêts le jour même.

- Il y a eu un retard. Il a promis que demain…

Gérard s’était énervé.

- Ce n’est pas possible…Les allemands sont des gens sérieux.

Il avait raccroché brutalement.

Il n’y avait plus aucune chambre de libre à l’hôtel Intercontinental.

- Il faut retenir comme la plupart des visiteurs de la foire. Aujourd’hui pour l’année prochaine.

Le concierge était désolé. Il téléphona à la réception d’un hôtel situé près de l’autoroute à vingt kilomètres de Francfort.

- Vous avez de la chance, il reste une chambre.

Julie était décontenancée.

- Ne vous en faites pas, Julie. Je trouverai une chambre. Il suffit d’un bon pourboire. Au pis des cas, je dormirai dans la salle de bain.

- Je vous retiens une chambre pour l’année prochaine ?

 Elle regarda Pierre. Il voyait qu’elle hésitait.

- Il est plus facile d’annuler. Retenez-en deux.

Le lendemain après-midi, ils étaient rentrés. Ils étaient partis dès le matin après avoir reçus les échantillons attendus. Gérard les attendait derrière la porte de la maison, il était blême.

Ivre de jalousie, il avait passé une nuit épouvantable. Sa première réaction après le coup de téléphone de Julie avait été de téléphoner à son fournisseur. Il n’avait pas osé le faire. Si Julie n’avait pas menti ? Que le fournisseur, le lendemain, lui dise que son mari avait téléphoné ? Il avait rarement souffert autant de sa migraine. A un certain moment de la nuit, il avait pleuré comme il n’avait plus pleuré depuis son enfance.

Pourvu, avait-il pensé, qu’il n s’en serve pas, de la putain. Durant la nuit, il n’avait pensé qu’à Julie assise sur le corps de Pierre. Il projetait sur Pierre l’attitude qu’il imaginait tenir lui-même, Julie nue dans son lit. Il ne s’était endormi  qu’aux premières lueurs du jour

Au bout d’un moment, il s’était repris. Il retint Pierre à dîner. Il voulait des détails.

- Le moindre d’entre eux a de l’importance. Vous ne connaissez pas les allemands, Pierre.

Le repas fut rapide. Il n’avait cessé de les regarder et s’était efforcé de deviner leurs pensées. Il souriait en hochant la tête.

Depuis, Pierre et lui étaient devenus des amis ou faisaient semblant de l’être. Pierre continua de le vouvoyer mais il l’appelait Gérard, et Gérard disait Pierre. Julie, Pierre désormais l’appela Julie. Jusque là, au bureau, il avait dit madame Julie lorsqu’il s’adressait à elle.

Lorsque Gérard le retenait à dîner, c’était pour montrer son amitié à quelqu’un qui n’était que son employé, disait-il à Julie. En réalité, il les surveillait, il était persuadé qu’ils étaient amants, et qu’ils se livraient à des attouchements qui étaient le cauchemar de ses nuits. Malade de jalousie, il avait pensé à le renvoyer. Mais sous quel prétexte ? Renvoyer le fils du président Halloy !

C’était devenu une véritable fixation. Gérard se voulait le maître de Julie. En réalité, il n’avait jamais eu conscience des charmes réels de son épouse. Jamais il n’avait eu un geste qui aurait pu passer pour une caresse. La main qu’on tend vers le visage, une certaine façon de prendre le bras. Ou le baiser qu’on échange pour dire au-revoir. Mais le mariage en avait fait sa propriété.

Des rapports physiques entre Julie et lui, il n’y en avait eu que rarement. Ils avaient toujours été désastreux. Il manquait d’audace, pensait-il. Il avait trop de respect pour les femmes. Il fallait les prendre pour ce qu’elles étaient : des putains qui ne pensent qu’au sexe.

Un jour, c’était encore au temps de son père, il avait dix-sept ans, il était resté seul avec madame Belain, qu’il appelait madame Germaine. Elle avait le dos tourné. Il lui empoigna les fesses en disant :

- Tu en veux, hein ?

Elle s’était écartée brusquement. Il était resté pétrifié. Puis, elle s’était assise à son bureau et avait ouvert un livre de comptes. Plus jamais, il ne s’était passé quelque chose mais il s’était mis à la haïr.

- Un jour, je lui mettrai le pied au cul.

Lorsque monsieur Leroy père, en mourant, lui eut laissé les clés de l’entreprise et l’autorité qu’il exerçait sur le personnel, peut-être même qu’il se payait madame Germaine de temps en temps, Gérard avait  pris la décision de la renvoyer avec mépris. Mais elle connaissait tant de choses que c’eut été une bêtise.

Cependant pour marquer la différence, il cessa de l’appeler : madame Germaine. Il dit : Germaine, et à voir la politesse dont elle faisait preuve, il avait compris qu’elle savait que les rapports, les rapports de force, s’étaient modifiés du tout au tout. Si elle voulait continuer de toucher son salaire, elle devrait apprendre à obéir. Il était le chef. Et le propriétaire de Julie.

Julie venait régulièrement au bureau. Elle aidait madame Belain, inspectait l’entrepôt ou répondait à des appels téléphoniques. Tous les mois cependant, elle accompagnait Pierre pour visiter un client important.

L’idée en était venue à Gérard qui la lui avait suggérée.

- Tu comprends, les clients doivent savoir que Pierre n’est qu’un employé, un  employé important mais rien qu’un employé.

C’était la raison pour laquelle Julie l’accompagnait. La patronne c’était elle parce qu’elle était la femme du patron.

Pierre passait prendre Julie chez elle, Gérard était déjà parti au bureau, et ils prenaient la voiture de Pierre, un cabriolet dont on pouvait relever la capote en été. La voiture type du célibataire. Un coup d’accélérateur les projetait vers l’arrière et Julie se mettait à rire.

- Vous roulez comme un fou, Pierre. Vous n’êtes pas seul.

Il avait recommencé quelques fois puis s’était rendu compte que c’était une attitude puérile.

- Je suis bête, non ?

Julie se sentait bien à ses côtés.  Il avait des réactions d’adolescent attardé mais ces réactions la détendaient. Elle en oubliait le visage austère de son mari. Elle se reprochait d’ailleurs de penser que Pierre aurait pu être son mari si leurs destins s’étaient croisés différemment mais elle y pensait souvent.

A midi, ils déjeunaient dans la ville où ils se trouvaient après avoir rendu visite à un client important. Dans la mesure du possible, ils choisissaient un restaurant à l’aspect ancien, aux tables éloignées les unes des autres et parfois séparées par une paroi. Ils y étaient plus à l’aise.

Julie l’interrogeait comme l’aurait fait une sœur ainée. Au sujet de sa vie hors du bureau. Sur ce qu’il faisait de ses soirées. Après un ou deux verres de vin, la conversation déviait. Elle essayait de se rendre complice de ses aventures féminines en lui demandant des noms. Elle disait qu’elle espérait acquérir grâce à lui de l’expérience.

- Est-ce qu’un homme peut conquérir une femme seulement avec des mots ? Sans avoir de personnalité ? Uniquement avec des mots ou des gestes ?

- Des gestes ?

- Vous êtes irritant, Pierre. Pas les gestes auxquels vous pensez.

- Dites-moi, Julie. N’est-ce pas vous qui êtes en train d’y penser ? 

Ils parlaient d’une voix légère de situations qui l’étaient moins. Julie en avait conscience davantage que lui. C’est l’heure qui les contraignait à cesser. Elle avait chaud. Lorsque le temps était beau, elle lui demandait de rabattre la capote. Au retour, elle posait la tête en arrière comme si elle somnolait et poussait les jambes en avant, la jupe remontée. Il lui arrivait d’imaginer que Pierre arrêtait la voiture sur un parking et, en se penchant sur elle, il posait la main sur son ventre.

Ce qui au début apparaissait comme une marque de méfiance était devenu l’agrément d’une journée attendue.

Julie songeait à ses rapports amoureux avec Gérard. L’inconsistance de leur nuit de noce. Le ratage des autres nuits. Celui qui était son mari, le propriétaire de son corps, dormait dans la chambre qui se trouvait à droite de l’escalier, au bout du couloir. Celle qu’ils nommaient la grande chambre, la chambre du père de Gérard. Julie dormait à l’autre extrémité du couloir dans celle qui avait été celle de Gérard adolescent. Lorsque Gérard se sentait sexuellement en appétit, il s’y aidait dans sa chambre en improvisant des scènes érotiques, elle l’entendait crier de la sienne. Il venait et poussait la porte en disant, c’étaient toujours les mêmes mots :   

- Tu en veux, hein ?

Puis il perdait ses moyens d’un seul coup, et il gémissait pendant qu’elle s’efforçait de le ranimer. Lorsqu’il quittait la chambre, elle continuait de se caresser.

L’année suivante, à l’époque de la foire de Francfort, c’est ensemble qu’ils étaient partis. Gérard avait insisté.

- Ne revenez que le lendemain, c’est plus prudent. Tout n’est  pas important. Mais quand on est trop pressé, on risque de manquer quelque chose qui peut le devenir.

- Tu es certain que tu ne veux pas y aller à ma place ?

- Non, Julie. Tu fais ça très bien. Et pour le reste, je fais confiance à Pierre.

Il y avait dans sa voix une pointe d’amertume.

Il n’avait jamais aimé la Foire qu’il avait visitée avec son père. Ses pieds l’y avaient torturé. C’est l’électricité statique des tapis, avait dit monsieur Leroy. L’odeur de choucroute, un jour, entre deux halls, l’avait fait vomir sous le regard de visiteurs qui s’étaient écartés en riant.

Autant l’année précédente ils avaient bavardé durant tout le trajet, autant aujourd’hui, alors que leurs liens s’étaient resserrés, le voyage leur parut long. Julie était vêtue d’un chemisier léger et d’un pantalon en coton  comme c’était la mode. Pierre regardait fixement devant lui mais il avait conscience qu’il n’aurait qu’à tendre la main pour la poser sur la cuisse de Julie.

Après la foire, Ils se promenèrent avant de se rendre à l’hôtel. Le temps était doux. Ils étaient fatigués d’avoir déambulé dans les allées si bien que par inadvertance, il arrivait que leurs corps se frôlent en marchant. La première fois, Pierre avait dit pardon, excusez-moi Julie.

Durant le repas, ils avaient bu une bouteille de vin toute entière. Elle en avait eu envie autant que lui. Puis ils étaient montés se coucher. Pierre l’accompagna jusqu’à la porte de sa chambre, et ils entrèrent ensemble.

Durant le trajet du retour, elle posa la tête sur l’épaule de Pierre et la main sur sa jambe. Ils arrivèrent à la fin de la journée.

Lire la suite...
RSS
M'envoyer un mail lorsqu'il y a de nouveaux éléments –

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles