Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Papa n’est pas raisonnable.

Tous disent que je suis trop vieux pour rester seul. Je tombe souvent. J’ai du mal à me relever. Parfois je reste assis des heures par terre. J’ai de bons enfants, ils sont très attentifs à moi et à ma santé. Ils n’aiment pas me savoir seul.

Cette fois, c’est la chute de trop. Mes enfants sont fâchés, toujours tomber au risque de me casser, me rompre, me briser les os. C’est pour mon bien, je ne peux plus rester seul. Mon fils me le répète quand il vient me voir le jeudi matin entre deux rendez-vous. Papa, tu es trop vieux pour rester seul. Je ne réponds rien pour ne pas lui déplaire.

Mais non, je ne suis pas vieux, je suis âgé. Le reste de ma vie est à moi, et si je fais tout au ralenti, c’est pour mieux profiter encore et encore,  savourer les heures, les minutes, les secondes.

Mes enfants sont occupés, trop occupés, toujours pressés alors que moi, j’ai plus de temps qu’il n’en faut. Ils courent, s’énervent, s’exténuent pour un rien. La vie moderne est fatigante.

Je suis bien chez moi et j’ai peur quand ils viennent me voir maintenant. Déménager à mon âge. Perdre mes repaires et tout ce qui a fait ma vie, mes joies, mes bonheurs, mes tristesses.  Non, je suis bien ici même si je tombe parfois.  Les souvenirs d’un destin passé sont ici, l’amour que j’ai donné est en partie sur ces photos jaunies accrochées au mur. L’amour que j’ai reçu est gravé sur mes rides, sur mon cœur. Seul mais qui n’est pas seul quand l’âge fait que la famille s’étiole, que les amis disparaissent.

Mes enfants disent : papa, tu n’es pas raisonnable de rester seul ainsi. Je suis avec ma vie passée à vous aimer, à vous chérir. Je vis toujours avec mes êtres chers. Mes souvenirs sont ma vie et ma vie est ici. Je me souviens quand j’ai acheté cette jolie maison et comme votre mère l’aimait.

Ils sont venus avec des dépliants, des brochures me montrer des homes, des maisons de retraite médicalisées ou pas. Je n’en veux pas.

Partir vers l’inconnu à mon âge. J’aime ma solitude, mon isolement, le calme de mes soirées en tête à tête, la douceur de mes vieux murs. Mon journal que je lis toute la journée et avec qui je me tiens informé.

Et cette chambre chérie, ce vieux couvre-lit, ces tapisseries bleues que votre mère a voulu. Elle riait de voir ma tête dans ce décor. Elle aimait la couleur du ciel et prenait le temps de le regarder chaque jour. Elle était heureuse disait-elle dans cette chambre ouverte sur notre jardin.

Elle est partie trop tôt comme partent les illusions. J’ai beaucoup pleuré dans cette chambre, de tristesse et souvent de bonheur. Les enfants sont gentils mais ils ne savent pas, ne connaissent pas la saveur de ces larmes de joie et le manque qu’elles laissent en partant.

La vie a été agréable,  j’ai eu des moments merveilleux. Je n’ai plus beaucoup d’exigences mais  je ne finirai pas comme ces personnes alignées dans ces salles et où pour les distraire, des chanteurs viennent avec des chansons d’un autre temps les réconforter de tant de tristesse.

Papa n’est pas raisonnable.

Je reste chez moi..

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • Le choix est souvent déterminé par la santé et arrivé à un certain âge, la décision doit se prendre avec la personne concernée. Et ce n'est pas toujours facile.

    Merci de votre commentaire

    Amicalement
    Josette

  • Très belle histoire vécue qui reflète bien la réalité. Certaines personnes âgées veulent rester dans leurs habitudes et d'autres acceptent d'être placées dans une maison de retraite. Certaines aiment la solitude et d'autres la communauté. Je les comprends il faut savoir respecter le choix de chacun. Rester autonome, ce n'est pas toujours aisé . J'ai connu plusieurs cas différents. Pour ma part, je ne veux pas être une charge pour mes enfants et j'espère pouvoir rester dans ma maison tant que je le pourrai.

  • oui, le choix reste parfois difficile et même si c'est celui qui convient...c'est souvent cruel

    Amicalement Marcelle

    Bonne soirée

    Josette

  • C'est la personne qui doit faire son choix, j'ai une tante qui a voulu rester chez elle jusque la fin, avec beaucoup d'aides extérieures, repas à domicile, infirmière, etc...

    Elle ne voulait pas aller chez ses enfants, elle aimait trop sa maison.

    Par contre ma belle-mère après un essai avec les enfants, et un essai en vivant seule préfère le home, elle est en compagnie d'une amie, elles ont leur petit chien, sortent pour des balades, etc...

    A chacun de trouver ce qui lui convient le mieux !

  • Merci Nadine. C'est un sujet qui touche tout le monde. En prendre conscience est un pas vers un changement peut-être utopique mais pourquoi pas réel. Merci du commentaire

    Amicalement

    josette

  • et il a bien raison viellir ce n'est pas finir mais croitre et jouir encore plus intensémment de la vie, je suis allée proposer des animations ateliers d'écriture dans des maisons de retraite, heureuse d'y apporter de la vie, de la joie  mais effrayée à l'idée de finir en pareil lieu, où la vie s'étire à l'infinie, où les vieux n'ont plus de vie intime, où ils finissent abrutis par les médicaments, shootés, pour moins déranger, j'ai accueilli comme j'ai pu mais je me suis jurée de tout faire pour finir ailleurs que dans ses maisons là et en espérant la présence autour de moi de quelques chers amis et de mes enfants de temps en temps ..............et de mes yeux pour continuer de lire et d'écrire .............non comme ce papa là je ne voudrai pas être raisonnable !!! bravo pour ce cri pour le respect de la vie des vieux que demain nous serons !!!

  • Chère Josette,

    Ne pensez-vous pas que l'essentiel est là : s'en aller en paix.

    Du temps où je m'intéressais au Bouddhisme, je me suis laissée dire que, chez eux, l'on se préparait à "s'en aller", déjà aux environs de la cinquantaine.En commençant par se détacher des choses matérielles .....s'entourer de beauté, éviter les pensées négatives, donner une place à la musique ... mais pas n'importe laquelle .... A chacun de trouver la manière qui lui convient.

    Faire des choix pour les parents n'est pas simple en effet .... j'en sais également quelque chose.

    C'est pourquoi ceux-ci devraient être assez lucides pour en parler à leur progéniture d'une manière sereine,

    les préparer tout en se préparant à l'inéluctable séparation. Même si les enfants, en général, préfèrent garder la tête sous l'eau. On peut comprendre.

    J'écrirai le poème ce soir.

    Bravo Chère Josette pour tes textes qui suscitent le débat. Très bonne soirée. Rolande.

     

  • Et pourquoi pas Rolande. Un couvent qui accueille des personnes âgées ou un monastére. Déjà un endroit propice à la paix intérieure. Plutôt une bonne idée.

    Bonne soirée Rolande et bisous

    Josette

  • Merci Nicole. La vie n'est pas toujours aussi facile que l'on veut le faire croire. Et chacun doit faire des choix et quand il s'agit d'en faire pour ses parents, c'est très difficile.

    Amitiés

    Josette

  • Aïe, vieille je me sens tout d'un coup .... 83 ans cela commence à compter c'est sûr.

    Bref, nous avons pris toutes nos dispositions au cas où ... avec l'espoir de terminer comme la vieille dame dont j'ai parlé au tout début de ces échanges.

    Mais, à tout prendre, je préférerai terminer ma vie, vous allez rire mais je me lance .... dans un Monastère.

    C'est vrai Liliane, des vieux se faisaient molester chez leurs enfants jadis mais il en est de même à présent. Les "faits divers" en font parfois mention. Et dans les homes ? Bref, rien n'est simple et si nous sommes tous égaux face à la mort, ce qui précède "la fin" est du domaine de l'inconnu.

    Un jour un médecin, chirurgien remarquable, m'a dit "Ne croyez-vous pas Madame, que la vieillesse est comme une maladie ?"

    Bien évidemment et que faire, si ce n'est accepter une forme de "déchéance" quelle soit physique ou intellectuelle. Le corps qui se défait de son enveloppe charnelle pour, qui sait, faire plus de place à la partie spirituelle de notre être. Dans mes accompagnements de mourants, j'ai assisté à des départs sereins, apaisés.

    Une beauté singulière émanait de certains mourants. Ils sont toujours présents en moi, comme des Lumières qui me précèdent. Je mettrai sur mon blog un poème que j'ai écrit il y a longtemps, mais toujours d'actualité inspiré par les vieillards placés dans un home pas très loin de chez moi. J'y allais très souvent pour visiter l'une ou l'autre connaissance que l'on y avait placés.

    Je vous livre le texte du faire-part de la dame dont je vous ai parlé :

    "Les personnes que l'on aime ne meurent pas quand elles nous quittent, elles nous devancent d'un pas seulement  car l'Amour va plus loin que la vie."  Cette famille est agnostique et l'enterrement a été,  ce que l'on appelle communément "civil". Mais l'Amour était présent.

    Merci pour ces échanges .... très importants. Bisous de Rolande Mère Grand ...

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles