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des amours de province. suites 7 et 8. Mercredi

 

 

René Daumier et André Halloy qu’il appelait Démo, un diminutif de Démosthène, étaient ses patients. Surtout ils étaient ses amis les plus proches. Trois hommes mûrs, trois hommes seuls, qui se retrouvaient de nombreux soirs chez le président Halloy pour vider une bouteille de vin en fumant un cigare et pour parler de leurs concitoyens. Ils échangeaient des ragots, parfois des confidences. Ou des considérations politiques qui étaient de nature à désigner le titulaire d’un poste municipal.

Seul René était célibataire, les deux autres étaient veufs. La mort leur était familière. Ils en parlaient comme on parle de la pluie et du beau temps.

- Julie le soigne. Même Liliane la pharmacienne admire son courage. Liliane, elle aussi, a perdu son mari. Elle est seule elle aussi. Parfois je me demande lequel est le plus à plaindre, du veuf ou de la veuve ? Il est vrai que la pharmacienne est jeune. Elle ne manque pas de tempérament, dit-on.

Liliane, à la mort accidentelle de ses parents, avait épousé Etienne Visart, un pharmacien dont l’officine, paraît-il, valait de l’or. Il était plus âgé qu’elle de près de trente ans. Il était fortuné et s’était amouraché passionnément de cette jeune femme dont les regards l’enflammaient. Deux ans plus tard il s’était éteint. Les mauvaises langues prétendirent que c’était les exigences sexuelles de Liliane qui l’avaient achevé. Qui peut l’affirmer ?  Une pharmacie, parfois, pouvait receler bien des mystères. 

En principe, et selon la déontologie, un médecin ne dévoile pas la santé de ses patients. Le docteur Meurisse était une tombe sauf devant ses amis parce qu’il ne dévoilait rien de sensible. Parler de Pierre n’avait rien de sensible pour ses proches.

Néanmoins, Le Président Halloy et René son parrain, s’inquiétaient pour Pierre ? Un jour que Pierre passait la soirée chez lui, son père lui avait parlé.

- René m’a dit qu’il souhaitait te voir. Tu vas aller le voir ?

- Ce soir ?

- Ce soir, oui.

- Entendu, je vais aller le voir en sortant d’ici. Ce n’est pas loin.

René habitait à proximité une maison patricienne dont il n’occupait qu’une partie. Le tout soigneusement entretenu. Il disposait d’un couple de domestiques engagé depuis fort longtemps. La femme s’occupait de la cuisine et du reste, disait-il.

René était fier de sa maison. Sous son austérité apparente, elle rappelait une ascendance aristocratique qu’il cultivait pour le plaisir.

René reçut Pierre dans son bureau. Des livres qu’il se proposait de relire un jour y étaient serrés dans deux armoires de chêne. Sur une table, son ordinateur fonctionnait jour et nuit. L’écran exposait sa boite de réception à laquelle il revenait dès qu’il n’était plus occupé à une autre tâche. Il ne recevait plus beaucoup de courrier mais cette fenêtre blanche lui était indispensable.

Les visiteurs, il les recevait dans une bibliothèque imposante dont ils admiraient les meubles et les murs tapissés de livres reliés de cuir. René se piquait de psychologie. Le décor est un personnage important, prétendait-il.

Enfant, Pierre y venait souvent. Emerveillé, il regardait les livres. Son amour de la musique, c’est parmi les livres qu’il l’avait contracté, auprès d’un piano droit dont René, cependant, ne jouait pas. En tout cas, personne ne l’avait jamais vu en jouer.

C’est René qui avait ouvert. Peut être pour donner plus de relief à sa visite. D’habitude, c’est sa bonne qui ouvrait.

- Il faut que je te parle.

Il lui avait toujours parlé comme il aurait parlé à un adulte. Même lorsque Pierre était un adolescent avec lequel son père évitait d’aborder des sujets qui n’étaient pas censés l’intéresser. Pierre écoutait toujours avec attention ce que René disait.

René s’était versé un verre de whisky.

- Tu en veux ? 

- Gérard Leroy est très malade. Tu couches avec Julie ?

Il lui dit ce qu’on racontait en ville. Il était préoccupé à son sujet. Pierre était une partie de cette ville mais il ne l’avait jamais bien vue. Aujourd’hui c’est elle qui le regardait et bruissait de rumeurs dont l’objet c’était lui.

- Les gens parlent, Pierre. Ils disent n’importe quoi.

Il lissait de l’index le bord de son verre.

- C’est pour lui que tu y va ? Fais attention, Pierre.

 

                                      8

 

Gérard allait de plus en plus mal. Il  recevait Pierre dans sa chambre. Il avait de longs moments d’inattention. Julie et lui n’avaient plus peur qu’il  entende. C’est dans sa chambre, à l’autre bout du couloir, qu’elle l’entraînait. Ils partageaient la même fièvre.

Un jour qu’il était au lit avec Julie, ils avaient entendu de bruit dans le couloir. Est-ce que Gérard était sorti de son lit et s’était traîné dans le couloir ? Il s’était écarté d’elle. C’est elle qui le reprit. Puis en le regardant dans les yeux :

- Il me dégoute. C’est toi mon amant. Je suis incapable de supporter l’idée qu’il puisse mettre les mains sur moi.

Elle avait dit en le serrant contre elle qu’ils faisaient chambre à part. Dans la chambre à coucher, il la traitait de putain. Elle raconta sa façon d’agir lorsqu’il avait envie d’elle. Jusqu’aux mots qu’il criait dans le couloir. On eut dit que de parler lui faisait l’effet d’un aphrodisiaque. La fièvre la submergeait à nouveau.

Le docteur Meurisse était passé le voir deux fois encore.

- Vous lui donnez tous ses médicaments ?

Julie secouait la tête. C’est Liliane de la pharmacie Visart qui me les prépare. Elle me les apporte. Je ne m’éloigne jamais de Gérard.

Le docteur Meurisse lui dit qu’elle devait se préparer au pire. Elle s’y préparait. Gérard était mort sans souffrir.

Le jour des funérailles, au cimetière du Sud, l’assistance avait été nombreuse. Le docteur Meurisse, c’était naturel, quelques clients qui connaissaient les Leroy depuis de nombreuses années, des habitués des funérailles et de simples curieux. Parmi eux se trouvaient quelques personnes plus proches des Halloy que des Leroy. Le docteur Meurisse les saluait discrètement. Il y avait aussi, un peu à l’écart, Jean Cormier, un ancien condisciple.

- C’est souvent comme ça lorsqu’il s’agit du décès trop rapide, et mal expliqué, d’un homme trop jeune.

Le docteur Meurisse s’était penché vers lui.

- Jean Cormier est inspecteur à la police judiciaire. Bien sûr, il s’agit d’une simple formalité.

En vouvoyant Julie, Pierre lui avait présenté ses condoléances comme tous ceux qui étaient là. Madame Belain, quelques employés du bureau et, avec leur chef, les magasiniers de l’entrepôt.

Elle avait auprès d’elle ses parents, un brassard noir autour du bras. Ils ne savaient pas comment se tenir devant une assistance qui ne leur était pas habituelle. Ils assistaient à un spectacle incongru dont leur fille était la vedette.

Julie portait une robe noire qui soulignait la beauté sensuelle de son corps. Sur la tête, sur ses cheveux blonds que le coiffeur avait soigneusement peignés, elle avait fait poser un voile noir. Le deuil va bien aux jeunes femmes amoureuses. Elle ne faisait pas semblant de pleurer. Son visage était grave. Ses yeux ne regardaient personne. Le lendemain, Pierre passait la nuit toute entière dans son lit.

On parlait beaucoup en ville, lui répéta René un peu plus tard. La mort de Gérard avait surpris. L’indifférence, pour ne pas dire plus, de son épouse avait choqué quelques dames. La présence de son amant, un jeune homme bien au demeurant, avant et après le décès, sans un minimum de réserve, ne paraissait pas convenable.

- Je n’aime pas l’atmosphère qu’il y a autour de cette maison. J’ai peur pour toi, Pierre.

Bien sûr, ce n’est que dans les films qu’une épouse aide son mari à mourir.

Ce fut la dernière fois que Pierre voyait René vivant. Il s’était littéralement enfui le soir même.

Il avait téléphoné à Julie. Il lui avait dit : je pars, et il avait raccroché. C’est curieux l’amour.

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Commentaires

  • Ah ! les rumeurs et les ragots des villages et des petites villes .... et même des appartements dans les grandes villes !!

    Un ramassis de haine, de jalousies, d'envie aussi.

    Bref .... l'horreur.

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