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des amours de province n° 6

 

6

 

Gérard avait ouvert la porte au moment même où la voiture s’était arrêtée. Il avait surveillé la rue à travers la vitre dépolie. 

- Je ne comprends pas le temps que vous avez mis pour rentrer.

- Mais Gérard !

- J’ai été malade toute la nuit. J’ai cru que j’allais mourir. Je n’ai même pas eu la force de vous téléphoner.

Il tira Julie par le bras.

- Entre !

Il referma la porte sans proposer à Pierre d’entrer.

- Mais…

Un souffle étrange envahissait Pierre. Il pensait : sale con ! Il aurait du frapper de ses poings et lui dire :

- Ne la touche pas. C’est à moi qu’elle appartient depuis hier soir. Et à Julie, il aurait du dire :

- Viens Julie. Il n’est rien pour toi.

Il monta dans la voiture et retourna chez lui.

Le lendemain, il se rendit au bureau à l’heure habituelle. Gérard était venu un peu plus tard, et ils  avaient parlé des problèmes quotidiens qu’il fallait résoudre sans faire allusion à la Foire. Julie ne vint pas de la journée, il n’avait pas osé demander de ses nouvelles.

Le jour suivant Gérard n’était pas venu. Il avait téléphoné à la secrétaire pour dire qu’il avait pris froid. L’après-midi, c’est Julie qui était venue. Elle portait des lunettes sombres qu’elle avait ôtées un instant. Elle avait une ecchymose à l’arcade sourcilière.

Elle avait chuchoté :

- Ce n’est rien, je n’ai pas mal. Je t’expliquerai.

Deux mois avant la mort de Gérard, Julie lui avait raconté ce qui s’était passé lors de leur premier voyage à Francfort.

- Tu te souviens, je lui ai téléphoné. Il avait crié : Tu es certaine que vous ne pouvez pas rentrer ?

- Ce n’est pas possible, Gérard.

Il avait demandé le nom de l’hôtel où ils allaient loger. Il connaissait la Foire. Il y avait donc encore des chambres disponibles ? Peut-être qu’elles avaient été réservées avant le départ ?

- Le lendemain, il a voulu savoir à nouveau où nous avions dormi.

Hors du regard des autres, il s’exprimait sans fioritures.

- Avoue. Vous avez couché ensemble ?

- Il m’a dit, et je savais qu’il en était capable, que s’il avait connu l’hôtel où nous sommes descendus, il serait venu nous rejoindre durant la nuit.

- Si je vous avais trouvés ensemble, je l’aurais tué sans hésitation.

- Mais nous n’avons pas dormi dans la même chambre.

- Il ne m’a pas crue.

Une fois encore, Gérard l’avait traitée de putain. Il avait peut être raison, dit-elle.

Il l’avait giflée du dos de la main.

- J’ai prétendu devant toi que j’avais heurté une porte

- Pourquoi ne m’as-tu rien dit.

Elle avait eu une réponse étrange.

- J’avais peur que tu ne partes. Pour rien au monde, je ne voulais risquer de te perdre. Tu comprends, il a toujours été comme ça. Même lorsque nous allions en province, toi et moi, il lui arrivait de me frapper. Je suppose que ça le faisait jouir. Il était le chef.

Après leur retour de Francfort, après que Gérard ait frappé Julie et qu’il était venu seul au bureau, puis après que Julie soit venue seule, Pierre fut désemparé. Le lendemain ni Julie ni Gérard n’étaient venus de toute la journée.

Vers la fin de la journée, Gérard  téléphona à madame Belain.

- Est-ce que monsieur Pierre est là ?

- Il est en face moi, je vais vous le passer.

- Ce n’est pas la peine. Qu’il m’apporte les documents ou le courrier à signer.

Madame Belain répéta :

- Il demande à ce que vous lui apportiez le courrier à signer. Il n’y a rien à signer aujourd’hui. Vous voulez que je le rappelle pour le lui dire ?

- Non, madame Germaine. Il y a des questions que je veux lui poser pour le travail de demain.

- Madame Julie n’avait pas l’air très en forme, ces derniers jours.

Pierre n’avait pas répondu. Il avait glissé des papiers dans sa serviette, et il était parti.

C’est Julie qui lui avait ouvert la porte. Elle ne portait plus de lunettes. Il avait voulu lui caresser la joue mais elle avait retenu et serré très fort sa main entre les siennes.

La voix de Gérard a retenti.

- C’est Pierre ? Fais-le entrer.

Gérard dans le petit salon était assis dans une bergère que Julie avait poussée auprès de la table. Pierre s’est assis sur une chaise à ses côtés. Julie s’était rendue dans la cuisine.

- Je vous demande pardon Pierre. J’ai l’air de ne pas vous écouter avec attention mais je me sens malade. Si ça continue, j’appellerai le docteur Meurisse à nouveau. Je dors mal. Je souffre d’apnées, l’air me manque soudain. Mon père déjà était atteint des mêmes maux.

Durant plus d’une semaine, Pierre était venu tous les jours. Il voyait Julie dans le couloir. Un serrement de mains était le seul geste auquel il avait droit. Lorsqu’il se souvenait de leur séjour en Allemagne, il serrait les poings pour se faire mal. Il souhaitait la mort de Gérard.

Julie ne venait plus au bureau et Gérard y venait moins souvent. Il y restait peu de temps. C’est Pierre qui apportait les pièces à signer.

Il était surpris. Julie était devenue plus distante à son endroit.

A mi-voix, il avait dit:

- Qu’est-ce qui se passe, Julie ?

Elle répondit qu’elle voulait être seule. Elle voulait réfléchir, disait-elle.

Elle passait beaucoup de temps auprès de Gérard. Lorsqu’elle lui préparait du thé ou du lait chaud qu’elle l’obligeait à boire, elle ajoutait ;

- Je veux te retrouver au plus vite, Gérard.

Elle l’embrassait sur la bouche. Puis se tenait devant lui, les cuisses écartées. Qui sait ce qui se passe dans la tête d’une femme ? C’était quoi ce qu’on appelle un peu vite ses humeurs ? C’était quoi leur influence sur les pulsions sexuelles de certaines d’entre elles ?

Gérard était bouleversé. Il avait le sentiment de retrouver enfin cette femme dont il était certain au début de leur mariage qu’il l’avait séduite. Cette timidité dont il avait toujours fait preuve et qui traduisait une réserve d’homme d’élite, elle disparaissait au fur et à mesure que Julie s’occupait de lui. A l’instar d’autres femmes, il le savait,  elle attendait de lui une façon d’aimer moins vulgaire que celle dont faisaient preuve la plupart des gens. Hélas, les maux de tête dont il souffrait le freinaient.

- Je sais, tu en veux, hein ?

 Il le voyait bien. Ce n’est plus lui qui avait besoin d’elle, c’était Julie qui avait ses exigences désormais. Il le savait bien que la réalité s’imposerait à elle comme elle s’était imposée à madame Germaine. Il n’avait pas osé mais il aurait du la brusquer. Elle lui en aurait été reconnaissante. Madame Germaine était une obsession dont l’image lui apparaissait trop souvent. Aujourd’hui, cette image s’atténuait.

- J’ai mal à tête.

- Tu veux que j’appelle le médecin ?

- Je ne suis pas une femmelette.

Il posait la main sur les hanches de Julie.

Gérard avait essayé quelques fois de retourner au bureau. Il y avait renoncé. Il  paraissait absent. Il maigrissait. Il devenait de plus en plus dépressif mais avait refusé que la secrétaire n lui en parle. Il semblait résigné.

- Mon père ressentait les mêmes symptômes.

Lorsqu’il ne venait pas au bureau, et que Pierre le voyait chez lui, il arrivait qu’il soit au lit. Julie, du doigt, montrait l’étage et se serrait contre lui en se dirigeant vers l’escalier. Il ne la comprenait pas. Il avait craint que la maladie de Gérard ne l’ait apitoyée. Il lui saisi les hanches en montant.

Il entendit Pierre qui  criait :

- C’est Pierre ?

Pierre tremblait de désir. Il ne savait pas ce qui exacerbait le plus ses frustrations. Toucher le corps de Julie en montant l’escalier ou lui serrer la main lorsque Gérard le recevait au salon ?

Trois mois environ avant la mort de Gérard il avait eu une conversation avec son père.

- Comment va Gérard Leroy ? Il est malade, dit-on. Et Julie ?

C’est le docteur Meurisse qui soignait Gérard. Le docteur Meurisse avait prescrit des médicaments que Julie lui donnait régulièrement. Il avait dit à René que la santé de Gérard était fragile comme l’avait été celle de monsieur Leroy père. A eux, il pouvait le dire. Il ajoutait :

- C’est la vie !

Il disait aussi qu’il admirait le dévouement de Pierre envers son patron.

- Il y va tous les jours, m’a-t-on dit.

C’était un médecin soucieux de la santé physique mais surtout de la santé mentale de ses patients. Il était loin le temps où jeune médecin, il pratiquait un combat acharné contre la maladie. Leur champ de bataille, à la maladie et à lui, c’était le malade. Quand le combat avait été trop violent, le malade n’en sortait jamais indemne. Depuis, il pensait davantage au bien-être de ses patients qu’aux victoires remportées contre la maladie. Il disait en riant :

- Un peu plus tôt, un peu plus tard…L’homme n’est immortel que jusqu’au dernier de ses jours.

- Bien sûr, je reste fidèle à mon serment. Le serment d’Hippocrate. Ou d’hypocrite.

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Commentaires

  • "Elle attendait de lui une façon d'aimer moins vulgaire" ....

    Tout est dit dans cette seule phrase. Dommage pour lui cet engluement dans des habitudes d'une réserve qu'il croyait être celle d'une "élite". Alors que la vraie "élite" est celle du "coeur"

  • Et oui, comme le dit ce brave médecin : c'est la vie ....Et comme le disent ces messieurs : les femmes sont imprévisibles et si difficiles à comprendre.

    Mais nous pourrions en dire autant de ces messieurs.

    La vie n'est jamais un long fleuve tranquille ... du moins pour certains.

    Mais vous avez le don de nous le faire comprendre. Merci. Et bonne soirée.

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