Le jour se lève sur ce coin de terre. Déjà un soleil franc frappe et annonce une journée torride. Dans un petit réduit se tient, enfermé, celui qui sera l’hôte de la fête. Etouffant dans le noir, il manque d’air et d’espace. Contraint de ne pas bouger, il rumine en silence son destin fatal.
De sa vie dans les verts pâturages, il ne reste rien que des souvenirs enfuis et vit maintenant ce jour d’angoisse qui le mène à la gloire et à la mort. Ce midi, sur la route de sa destinée, il va mourir en brave, en combattant. Dehors des curieux viennent l’épier, l’écouter à travers cette cloison et l’imaginent ruisselant de sueur et d’écume.
Dans quelques heures, les portes s’ouvriront. La lumière aveuglante le submergera et le rendra fou. Une clameur déchirera ses oreilles et le plongera affolé dans cette enceinte de jeu. Sa vie a l’importance d’une mort, il est l’enjeu d’un spectacle.
C’est l’heure qu’ils ont choisi pour l’affronter. La porte s’ouvre. Il s’élance, superbe, brillant de sueur. Il trébuche, se relève. Il court pour mieux s’enfuir. Il court à perdre haleine. Il pivote, s’arrête. Son regard noir scrute le ciel. Il respire enfin un peu de cet air du dehors. Devant lui, la foule est en liesse, elle hurle, elle crie, elle délire. Mais cet endroit n’a pas d’issu. Il est cerné, pris au piège. Il va mourir.
A des milliers de kilomètres de là, depuis son arrestation musclée, il est prisonnier dans cette cellule au milieu de cette geôle immonde. Il fait le vide dans sa tête et essaie de s’échapper de cet environnement hostile. Il n’est pas là par hasard. Il est condamné pour des méfaits, des délits qu’il nie, qu’il n’a pas fait. D’autres hommes ont rendu un jugement.
Sur cette misérable paillasse, il reste assis des heures entières. Il distingue les bruits de couloir qui l’éveillent encore un peu à la vie. Des crissements, des voix qui le relient au monde. Le vacarme répété des clés annonce inlassablement le matin, le midi, le soir. Il tourne en rond se jetant parfois contre les murs. Sur cette surface, il compte ses pas. Il est innocent. Un filet de lumière pénètre dans ce trou et l’inonde un instant de chaleur. Quelques minutes à peine et fuit comme il était venu. L’obscurité se réinstalle, froide, inquiétante et ne le quitte plus.
La sentence est la mort, il va mourir. Depuis qu’il a appris la nouvelle, son existence a pris une tout autre dimension, plus profonde, plus réfléchie, désarmante. Il attend dans le silence et se rappelle. Son esprit passe en revue sa vie de combat et de déconvenue. La chance ne lui a pas souri. Il pleure. Il n’a pas peur de mourir. Il attend que tout s’arrête vite, très vite.
Dans une autre région, le froid se pose sur des membres endoloris, peu vêtu, les piqures du gel font très mal. Allongé contre ce muret, il n’est pas seul à attendre. Beaucoup d’autres comme lui sont là à s’épuiser, à se perdre. Il a faim, soif. Esseulé malgré la foule de ce camp de fortune, il a perdu les bases de la vie et son humanité s’échappe. Livré à lui-même, il attend, brisé, désespéré.
Depuis ce jour maudit, où la vie a basculé et est devenue un enfer, l’existence de son peuple et la sienne ont chaviré dans un monde barbare. Il a tout perdu et reste accroché à son enveloppe charnelle, dénudée, et comme seul bien lui appartenant encore. C’est un réfugié comme des milliers d’autres qui cherchent ailleurs la possibilité d’être heureux. Arrêté, parqué dans ce camp, il ne comprend pas pourquoi.
De ces barbelés courant autour de lui sur d’épaisses profondeurs, il cherche le souvenir d’un passé révolu et poursuit en lui la dernière goutte de vie qu’il possède. Il va mourir.