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               ENTRE REVE ET FEMINITE : L’ŒUVRE DE CHRISTIAN CANDELIER       

Du 30 – 03 – au 30 – 04 - 17, l’ESPACE ART GALLERY a consacré une exposition axée sur l’œuvre du sculpteur français, Monsieur CHRISTIAN CANDELIER, intitulée COURBES ET DOUCEURS.

Jamais l’intitulé d’une exposition n’a été aussi juste : COURBES ET DOUCEURS. La matière s’étale sur la surface comme une marée lumineuse pour se répandre de courbe en courbe. Car les courbes, ce n’est pas ce qui manque dans l’œuvre de cet artiste, amoureux d’un concept moteur devant animer l’image, celui de la « beauté », considérée par Hegel comme le summum de l’esthétique. Cette beauté hégélienne, l’artiste la conjugue avec une vision personnelle de la Nature que le corps sensuel et étiré de la Femme, exprime dans chacune de ses courbes soutenues par un étirement à la fois tendre et délicat. Quoique différemment exprimé, l’on retrouve dans ses sculptures le mouvement ascensionnel d’un Rik Wouters (pensez à la VIERGE FOLLE – 1912-

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bien qu’il s’agisse là d’une œuvre de grandes dimensions), l’envol vers un ailleurs qui émerge au regard. Les pièces ici exposées sont majoritairement de petites dimensions. Et c’est précisément là que réside le tour de force. Le petit format n’éclipse en rien la sveltesse du corps. Que du contraire : il le met en exergue ! L’étirement qu’il produit se prolonge sur toute la surface. Celui-ci non seulement englobe l’espace mais l’engendre, en ce sens que, précisément, l’œuvre se dévoile sous toutes ses facettes, au fur et à mesure que le visiteur tourne autour d’elle. Tout se dévoile sous le regard. Tout se crée par cette mécanique articulée du regard, du mouvement dont le visiteur est à l’origine et de l’étalement de la forme comme résultat d’une alchimie spatio temporelle. A ce titre, l’artiste présente ses pièces sur un socle parfaitement adapté aux dimensions de la sculpture. Mais revenons un instant sur la question de la Nature. Il y a manifestement deux écritures plastiques différentes dans l’œuvre de l’artiste. Il nous propose, dans un premier temps, des créatures lisses à souhait, assurant par le corps deux types d’attitudes : le déploiement vers le haut et le mouvement ramassé par une position concave dans laquelle, recroquevillée sur elle-même, la Femme touche ses pieds dans une attitude presque foeutale où la finesse des lignes fait que le contact entre les cuisses et les seins forme un cercle intérieur, ouvert au regard pour qu’il se perde dans le vide.

Comme une brassée d’algues, les cheveux descendent, rassemblés jusque sur les pieds : PRISCILLA (36 x 14 x 14 -2,9 kg - bronze).

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L’œuvre de CHRISTIAN CANDELIER propose une exploration des chorégraphies sculpturales, héritées d’un 20ème siècle en quête de nouveaux langages.

Ces langages sont, avant tout, basés sur une conception nouvelle de l’espace. La danse, paradigme de la gestion scénique, a offert au siècle dernier une nouvelle approche corporelle qui déserte les conventions académiques. Doit-on rappeler les contorsions d’Isadora Duncan et le scandale du « Sacre » de Stravinsky-Diaghilev? Il s’agissait là d’une volonté de libération exprimée à l’intérieur d’un cadre sociopolitique représenté par l’espace scénique. Le corps, en expansion, était là pour le briser.

Avec DELPHINE (21 x 21 x 46 – 5 kg - bronze),

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CHRISTIAN CANDELIER aborde à sa manière, une thématique maintes fois explorée par bien des sculpteurs, à savoir l’extase. L’extase se développe sur trois voies d’expression : l’érotisme, le sacré religieux pour se retrouver dans le dénominateur commun de la transe. L’artiste nous livre ici une possibilité d’expression parallèle, celle de la joie. Cette fuite ascensionnelle à partir du sol, donc de l’élément chtonien pour atteindre l’ouranien témoigne d’une sémantique associée au bonheur. L’élan part de la jambe gauche, conçue pour former une diagonale (si l’on regarde la pièce de profil), reprise par le buste, légèrement relevé, portée à son terme par la tête. Analysée de face, un déséquilibre, assuré par sa jambe droite posée sur la gauche, comme pour la stabiliser, nous offre un buste dressé vers l’avant, surmonté d’une tête légèrement penchée vers sa droite, faisant office de « répondant » à la force de la diagonale. Reposant sur sa droite, la tête est comprise entre ses mains. Le socle (élément dont nous reparlerons plus loin) est d’une importance capitale car il sert, si l’on veut, de « piste » à l’élan fourni par le corps. Celui-ci part d’un coin du socle (considéré comme espace concrètement visible – à l’instar d’une scène de théâtre - et non pas imaginaire) vers son élancement. Il y a une mise « en suspension » du mouvement considéré comme le segment d’une série d’actes mécaniques.  

Mais à côté de cette finesse d’exécution, tout en traits lisses, figure également une Femme carrément « rugueuse » qui, adoptant globalement les mêmes postures, se sert de son corps pour souligner les tensions de l’effort : DANSEUSE, LA BALLERINE D’EDGARD (20 x 15 x 19 – 2 kg – cire).

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A ce stade, le corps traduit un état aux antipodes de celui de la Femme en extase, étirée dans la sveltesse du geste. La tension due à l’effort s’exprime par une matière « en ébullition », traduisant la mécanique musculaire. Cela est le résultat d’un rendu à base de cire.

Chose absolument impossible à réaliser avec de la terre patinée, propice à réaliser le côté « lisse » d’un corps svelte et languissant. Le dénominateur commun entre ces deux écritures réside dans le fait que ces deux types féminins assument les mêmes proportions physiques longiformes. Il faudrait que prochainement, l’artiste nous montre d’autres pièces du genre de LA DANSEUSE, car concernant l’exposition achevée, il n’y en avait qu’une seule. Ce qui agissait comme un contraste.

MEDITATION (33 x 20 x 30 – 2,6 kg – bronze)

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nous montre la Femme repliée à l’intérieur de sa féminité. Elle est assise sur un globe : globe terrestre ou ventre de femme en gestation, pourriez-vous penser. Rien de tout cela. L’artiste a voulu que le socle (car une fois encore, c’en est un) épouse le module du cercle caractérisant la nature même de la sculpture. Elle effectue une contorsion faisant de sorte que le corps se rétracte vers l’intérieur dans une attitude convexe, vers les tréfonds de la pensée, physiquement exprimée.

Cette contorsion, nous la retrouvons, toutes proportions gardées, chez LE PENSEUR de Rodin où malgré la présence écrasante du volume, la contorsion (ou plus exactement, la semi-contorsion) du personnage, également nu, fait que la pensée s’exhale de la matière. Nous évoquions, plus haut, la « chorégraphie ». La chorégraphie vient de la danse, c'est-à-dire du théâtre.

Par sa « transe », CARMEN (18 x 28 x 30 – terre cuite patinée)

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provient directement du théâtre antique en évoquant, notamment, « Les Bacchantes » d’Euripide, que le sculpteur grec du 4ème siècle avant J.C., Scopas, a magistralement transposé dans sa célèbre « Ménade aux chevreaux ». Par sa torsion ainsi que par le rejet du buste en arrière assuré par la tête, CARMEN, par l’unité de ses jambes autant que par celle des cheveux aboutissant au même point avec ses bras, vers la gauche, déstabilise l’équilibre de l’œuvre et lui impose une série de rythmes. Bien sûr, comme dans toute sculpture, il y a des pleins et des vides et l’on réalise que l’écriture plastique de l’artiste se fait dans l’évidement. Cette constatation est toujours provoquée par l’extrême finesse des traits. A l’analyse, cette pièce est sortie d’un creux, prenant naissance dans le bas, engendrant les pieds de la sculpture et remontant progressivement jusqu’à s’unir avec le corps pour que vive le volume.

Seule pièce de l’exposition exécutée sans modèle, elle est une invocation à la transe bachique, unissant l’œuvre et son démiurge dans une même ivresse.

Les visages sont rarement évoqués. Celui de CARMEN est littéralement coupé en son milieu par une droite faisant s’unir les deux parties de la face par un angle droit. Cette arête se prolonge jusqu’au cou du personnage. Cette conception épurée du visage se manifeste pour la première fois dans l’art moderne. Par cette volonté d’effacer les traits pour retourner à l’essentiel du volume. Dans ce cas précis, l’artiste a traduit son amour pour Modigliani dans la conception de l’allongement du visage.

Il n’y a que dans LA SONGEUSE (39 x 32 x 95 – 25 kg – bronze),

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la plus grande pièce de l’exposition, que des détails anatomiques tels que les yeux, le nez et la bouche sont évoqués. Ici, le mouvement n’est pas l’œuvre d’une quelconque rotation du torse mais bien d’un axe directionnel de la tête, penchée vers sa droite, comprimée par les épaules légèrement soulevées. Cette pièce pourrait-elle se passer d’un socle ? A-t-elle été conçue pour reposer sur un socle ? A coup sûr, si on la déposait par terre, elle tomberait ou s’affaisserait sur un côté. Le socle en est une partie intégrante.   

Nous évoquions, plus haut, la dialectique hégélienne en rapport avec la « beauté ». L’artiste nous offre une féminité répondant à une série d’images épurées par une patine, à la fois brillante et délicate, ce qui accentue le sentiment de douceur. Le traitement par la courbe répond au besoin d’insuffler une dynamique à l’ensemble : une essence motrice qui protège le personnage de tomber dans un statisme létal. Précisons que le sentiment de « beauté » ne déroute en rien l’artiste de la réalité intrinsèque de la Femme (elle vaut bien évidemment plus que cela !). Néanmoins, l’honnêteté intellectuelle nous incombe d’insister sur le fait que quand on a un tel talent, l’on est impérativement obligé d’évoluer dans ce registre au risque de tomber dans le « déjà vu ».

En ce sens que, s’il est reconnu que l’esthétique (en l’occurrence hégélienne) régit sa démarche, il ne faudrait pas qu’il tombe dans le piège de l’esthétisme. Il arrivera un jour où ce besoin se ressentira de lui-même.

A la question de savoir s’il est conscient du fait qu’intituler ses créations par des prénoms féminins aussi « légers » que Delphine, Carmen ou Géralda risqueraient, pour ainsi dire, de les « désacraliser », par rapport à l’enjeu dont ses œuvres se revendiquent, l’artiste répond qu’elles existent par leur prénom. Qu’il l’a inventé ou qu’il peut  l’avoir emprunté à ses modèles.

La seule touche « érotique » qui effleure la Femme se ne se concrétise pas par sa nudité mais bien par la présence du chapeau qui lui couvre la tête. L’artiste estime qu’un élément aussi léger qu’un chapeau peut habiller une femme car il sert de contrepied à sa nudité tout en la mettant en exergue. Par cet aspect, il renoue avec les classiques grecs, car ce qui à leurs yeux, conférait le divin aux héros, ce n’était ni l’expression du visage ni encore moins les attributs vestimentaires mais bien la nudité du corps.

L’artiste s’est-il déjà essayé à la sculpture monumentale ? Aussi surprenant soit-il, la réponse est non. Bien que l’on ait parfois le sentiment que certaines pièces de petites dimensions pourraient servir de « prototypes » à des compositions de tailles plus importantes.

L’idée d’un rapport avec la Nature se ferait alors sentir de façon plus vive. Car ses œuvres pourraient être parfaitement intégrées à l’intérieur d’un cadre naturel tel un parc, renforçant le côté « heimat » qui sied précisément à cette conception de Nature transcendée par l’image de la Femme. Cette image, l’artiste la conçoit  tendre et lisse, axée dans une continuité linéaire. Seule dans son intimité, elle provient de l’Antiquité classique et se veut l’interprète du « beau », à la fois comme expérience esthétique mais également tactile car si ces pièces sont « lisses », c’est surtout parce qu’elles invitent au toucher, à la caresse. A cela s’ajoute alors une dimension charnelle, opposée à l’intellectualisme froid de certaines œuvres d’aujourd’hui.  

Autodidacte, ayant participé à des stages chez plusieurs sculpteurs, CHRISTIAN CANDELIER travaille la terre chamotée fine. Il adore la malaxer, augmentant ainsi ce sentiment charnel du toucher. L’énergie est son credo. Après avoir laissé le temps s’écouler sur sa création, il y jette un second regard en la faisant tourner sur elle-même dans le but de voir s’il est toujours « en accord » avec ce qu’il a voulu exprimer.

S’il ne l’est pas, il retravaille la pièce dans le vif et n’hésite pas à « en faire trop », comme il dit, en augmentant des torsions. Et c’est à la lumière rasante qu’il traque les imperfections toujours en faisant tourner la sculpture. 

Nous avons cité plus haut Modigliani en guise de référence. Néanmoins, son berceau demeure le classicisme et des sculpteurs tels que Donatello, Rodin et Camille Claudel (tous issus de Michel-Ange, lui-même se référant aux Grecs) sont à l’origine de son geste créateur. C’est pendant ses Terminales qu’il a découvert Hegel et ses principes d’Esthétique. Féministe convaincu, il prône une égalité sans failles entre l’Homme et la Femme. D’un point de vue professionnel, il a toujours admiré la sensibilité du travail des artistes femmes fait d’élégance, de douceur et de tendresse.   

L’œuvre de CHRISTIAN CANDELIER est une ode à la Femme qui, intrinsèquement, nous pose une question : la féminité est-elle un fruit de la Nature ou bien l’expression vivante d’un rêve ? Au visiteur (quel que soit son genre !) d’y répondre.

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Christian Candelier  et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(avril 2017 photo Jerry Delfosse)

                                                                                                            

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                          DE L’ESTHETIQUE DU SUJET : L’ART DE JIRI MASKA

Du 03-05 au 31-05-17, l’ESPACE ART GALLERY (35, Rue Lesbroussart, 1050, Bruxelles) a consacré une exposition au peintre et sculpteur tchèque, Monsieur JIRI MASKA, laquelle nous a surpris à plus d’un titre.  

Ce qui, d’emblée, saute aux yeux comme une évidence, c’est le côté « tragique » dans l’œuvre de cet artiste. Même concernant des thèmes qu’il tourne à la parodie, tels que NAKED ABBOT GOING TO VATICAN (102 x 102 – combinaison technique),

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la dimension tragique demeure présente. Certes, à la vue de cet ensemble de formes, entrelacées, prenant naissance l’une dans l’autre, l’on peut éprouver un sentiment pouvant prendre l’aspect de l’angoisse, en ce sens qu’il y a chez cet artiste une « esthétique de la déconstruction », laquelle au fur et à mesure que le regard s’immerge dans la toile, devient un ensemble « cohérent », en ce sens qu’au-delà des entrelacs, la forme se révèle. En réalité, l’artiste conçoit un sujet « caché », car au-delà de la matière étalée, surgit le corps, en ce sens qu’on le devine, circonscrit à l’intérieur d’un trait noir luisant, signifiant le volume. Concernant NAKED ABBOT, L’homme, reconnaissable à ses attributs, nous regarde par delà ses yeux exorbités et sa série de dents inférieurs, à l’intérieur d’une bouche esquissant un sourire ou un cri, nous laisse entrevoir la vaste gamme du tragique. Le cœur, de couleur rouge vif, affirme l’humanité. Conçues comme des aperceptions au sens psychologique du terme, une série de formes d’apparence animales, se distinguent sur la gauche de la toile. Homme et animaux sont réalisés de la même façon. En fait, ils émergent de l’arrière plan dans la magie de l’apparition.

La dimension spiritualiste est également une composante dans l’esthétique de l’artiste.  GOD OR DEVIL ? (102 x 102 – combinaison technique)

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nous entraîne dans les abîmes de l’âme par la conception d’une créature mythologique,  reprenant les attributs de la divinité païenne, celle du « daimon » grec, qui se situe au-delà du « bien » et du « mal » (au sens judéo-chrétien du terme), puisqu’elle les rassemble en sa divine personne. Cette œuvre portraiture une créature inquiétante, entourée de formes fantomatiques, certaines au faciès animal.

Comme pour ABBOT, la couleur dominante est le rouge bordeaux très foncé. A l’instar de cette œuvre, un cœur rouge vif apparaît sur la poitrine de la divinité.

La touche d’humour, typique de l’artiste, se ressent dans la présence du nœud papillon, toujours de couleur rouge, ornant le cou du personnage. L’arrière- plan, conçu en jaune clair, évoquant la lumière, contraste avec la dominante chromatique sombre. Un trait noir luisant entoure le personnage en soulignant le volume. Il y a là l’image à la fois d’un combat intérieur entre les pulsions de vie et de mort mais aussi l’image d’une trajectoire politique qui a conduit la Tchéquie (le pays d’origine de l’artiste) vers la dérive capitaliste, entraînant la société vers la consommation.

Un autre trait d’écriture singularise cette œuvre, à savoir l’espace occupé sur la toile par le personnage central.

Cela se perçoit parfaitement dans MANITO (62 x 62),

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un excellent exemple de la façon dont l’artiste structure l’espace. Ici, le personnage devient « central », à la fois parce qu’il est le protagoniste du récit pictural mais aussi parce qu’il occupe précisément la partie centrale de l’espace pictural. Et dans cette œuvre, l’espace est structuré en cinq plans :

1)    L’avant-plan, constitué à la fois de la couleur du sol, composée de jaune-sable ainsi que de mauve foncé, associé au noir.

2)    Le centre de la scène, réalisé à la fois par la massivité du corps du personnage (signalé par le fort chromatisme vert) et du paysage dont la note jaune est une extension de celle de l’avant-plan.

3)    Une série de montagnes traitées en bleu fonce.

4)    Une deuxième série de montagnes, traitées en noir pour souligner la distance spatiale d’avec les premières.

5)    Le ciel, en bleu clair maculé de taches blanches, signifiant les nuages.

Notons que le cadre, souligné d’un fin trait noir, est à son tour, « encadré » par un second trait, aussi fin que le premier pour bien faire ressortir tous les aspects de la composition.

MANITO témoigne excellemment de la manière dont le personnage central s’accapare littéralement de domination spatiale. De ce point de vue, force est de constater qu’il n’y a chez l’artiste, aucune volonté de « subtilité » déclarée dans sa façon de concevoir le protagoniste : celui-ci « trône » dans l’espace en éclipsant le reste. Cela est dû, précisément, à cette forte touche d’humour que nous évoquions plus haut.

MANITO traduit, par son volume, sa couleur verte et par l’attitude du protagoniste, une dimension « carnavalesque » qui « grossit » le personnage jusqu’à le rendre gargantuesque. 

Un autre facteur identifie l’œuvre de JIRI MASKA : un sens aigu de l’esthétique du sujet. Qu’entendons-nous par là ? Le « sujet » ne se limite pas au personnage central mais bien à l’ampleur des contextes psychologique et sociopolitique qui l’ont engendré. Cela, l’artiste l’a bien compris lorsqu’il associe personnages (central et subordonnés), décor, contextes personnel et historique dans une même trajectoire narrative. Et cette esthétique du sujet se marie avec ce que nous nommions plus haut, l’ « esthétique de la déconstruction », en ce sens que pour que le sujet s’affirme, il lui faut se dilater, se « déconstruire » au maximum de ses possibilités, pour pouvoir se recréer derrière un écran de formes, sur le moment, inintelligibles afin de se régénérer comme « sujet » dans la totalité de l’espace pictural.

DEAD SOULS (110 x 126 cm – combinaison technique)

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est une petite merveille. Inspirée de l’œuvre littéraire de Gogol, elle s’articule par une forme, en apparence abstraite, de laquelle se détachent des ectoplasmes (les âmes errantes), qui semblent flotter, au fur et à mesure qu’elles se réveillent au regard du visiteur. Autre trait identitaire de l’artiste : les œuvres s’articulent à partir d’une même constante chromatique, faisant office de signature. Ici, le traitement lugubre du bleu donne à l’ensemble une sorte d’intemporalité « mobile », flottant sur la surface de la toile, laquelle devient le théâtre sensible de l’imaginaire.

L’œuvre de JIRI MASKA est peuplée de monstres. Certains d’entre eux sont des monstres de foire, tels que le personnage de ARCHBISHOP FROM CANTERBURY MAKES DEAL WITH DEVIL (51 x 51 cm – combinaison technique),

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où nous assistons à la transformation psychophysique de l’évêque, sur la tête duquel poussent des cornes stylisées. Le personnage est construit sur trois parties :

1)    La robe pourpre qui lui confie son identité. Cette pièce, conçue en rose, est renforcée par un trait rouge vif, lequel se répand sur les contours du cadre.    

2)    un amas de tissus, en réalité, une pièce volumineuse de laquelle apparaît

3)    la tête du personnage qui fixe le visiteur.

Autour de lui, une série de petits personnages, faisant penser à des diablotins, semblent danser une ronde.

La scène est campée sur un arrière-plan de couleur noire, au fond duquel se distingue, en une esquisse stylisée, la ville de Canterbury. Traité de la sorte, le sujet prête au rire et à la bonhommie. Ce qui, concernant l’expression du problème moral, diffère d’avec GOD OR DEVIL ? (cité plus haut). Néanmoins, force est de constater que les personnages qui peuplent ces questionnements sont un « abbot », c'est-à-dire un « abbé » (en anglais), un bishop (à savoir un évêque) ainsi qu’une créature hybride prisonnière d’un ouragan pulsionnel. Par conséquent, des entités évoluant dans la sphère du Sacré, religieux et politique, lesquelles se concentrent et se déflagrent dans les tréfonds de l’individu. 

Si JIRI MASKA est un peintre excellent, il est également un sculpteur hors pair.

DIANNA (combinaison technique),

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représente un buste de femme acéphale. Abordée de face, c’est à partir de ses seins proéminents qu’elle se construit sur toute une série de torsions et de courbes qui confèrent à la pièce la réalité d’une vitesse d’exécution ressentie par le visiteur. Son corps devient alors un entrelacement de pistes que le regard parcoure pour s’arrêter sur tel détail, avant de reprendre son périple. La sinuosité de son buste en « S » s’achève sur des cuisses massives dont l’on ressent l’importance, carrément « architecturale », car elles servent de soutien à l’édifice corporel. Si le buste est acéphale, l’artiste souligne qu’il s’agit bien d’une femme et pour bien le mettre en exergue, il confère aux seins une proéminence soulignée, précisément pour affirmer la féminité du personnage.

Analysée de dos, DIANNA

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constitue un réseau de lignes abruptes, partant du cou jusqu’au creux des reins. Cette peau artificielle sur le derme est un vêtement. Un déroutant drapé, lequel compense, par son habillage, la nudité que le buste exhibe de face. Cette pièce est, de par sa composition, l’association de deux œuvres différentes, scindées en une entité.

Il y a une volonté de retourner à l’Antiquité classique par le biais d’une écriture contemporaine. Le corps est restitué par un volume qui pointe sur la force et les tensions tournés vers l’élan et la puissance. Les plis partant du cou jusqu’au creux des reins, même stylisés, rappellent les cannelures qui structurent les drapés antiques.

L’œuvre, tant picturale que sculpturale, de JIRI MASKA participe d’un expressionnisme abstrait.

L’artiste peint depuis sa plus tendre enfance. Son talent fut détecté par son grand-père lorsqu’il n’avait que six ans. Plus tard, il a fréquenté des écoles d’arts graphiques dans son pays natal d’où, pour des raisons politiques, il a choisi de s’expatrier vers Washington. Là, il a suivi des études de peinture au College Everett. Il expose régulièrement et avec succès de par le monde.

L’appellation « combinaison technique » porte parfaitement son nom. Car l’artiste ne s’en tient pas à une seule technique mais les explore toutes. Il utilise le latex ainsi que le talc. Les spatules de toutes les tailles autant que les mains pour stratifier la matière. L’huile et l’acrylique sont indistinctement usités. Nous évoquions, plus haut, la centralité que le personnage principal occupe dans l’espace. Techniquement parlant, cette figure (que l’artiste nomme « structure ») est la première à être conçue sur la toile. Tout se détermine autour de celle-ci.

JIRI MASKA n’a pas d’influences stylistiques particulières. A y regarder de près, pourquoi en aurait-il ?

La seule préoccupation qui l’anime est, en dernière analyse, ce qui se révèle, au contact de ses œuvres. L’Esthétique : celle du sujet.

François L. Speranza.

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A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Jiri Maska  et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(Mai 2017) photo Jerry Delfosse)

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Signature Jiri Maska

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  Exposition  Jiri Maska  à l'Espace Art Gallery - mai 2017 - Photo Espace Art Gallery

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Paul Valéry: La jeune Parque

12273110488?profile=original"La jeune parque" est un poème de Paul Valéry (1871-1945), publié à Paris chez Gallimard en 1917.

 

De la publication de cet ouvrage date la véritable notoriété de Valéry: "Son obscurité me mit en lumière: ni l'une ni l'autre n'étaient des effets de ma volonté. Mais ceci n'alla pas sans m'induire, ou me séduire à me dissiper régulièrement dans le monde."

 

La Jeune Parque est le monologue d'une jeune femme qui vient de s'éveiller au bord de la mer, sous un ciel étoilé. Elle est en proie à une douleur indéterminée, réelle ou onirique, qu'elle attribue à la morsure d'un serpent. Le reptile est tenu à l'écart par la conscience vigile, réfractaire à ses tentations. Mais la morsure répand un feu ardent laissant croire à la mort prochaine du MOI. S'ensuit une méditation sur le "goût de périr" et la force du désir amoureux. La prochaine venue du printemps ne laisse le choix qu'entre la mort et l'assouvissement d'un désir ravivé. Toute une nuit, la conscience, avide de pureté, lutte et se métamorphose. Au lever du jour, le combat intérieur se dénoue par la mort d'un "monstre de candeur" et par la renaissance d'une "vierge de sang" qui opte finalement pour l'accord avec le monde.

 

Le travail sur l'Album de vers anciens avait redonné le goût de la poésie à Valéry qui désirait étoffer d'une quarantaine de vers ce recueil, à ses yeux trop mince. "Pour me contraindre à travailler, j'imaginai de leur imposer les règles les plus strictes de la poétique dite classique": vers réguliers, césurés, sans enjambements ni rimes faibles. Au prix d'un travail ardu de plus de quatre ans - destiné en partie à tenir à l'écart les angoisses de la guerre -, il obtient un ouvrage dix fois plus long (plus de cinq cents alexandrins) et "cent fois plus difficile à lire qu'il n'eût convenu". Cette obscurité, Valéry la conçoit comme se situant à l'intersection de la difficulté de son propos et du grand nombre de contraintes qu'il s'était imposées. Le résultat est néanmoins, toujours selon lui, un texte "trop dense", dont la versification est "le véritable sujet et le véritable sens", et qui requiert du lecteur une attention extrême.

 

Pourtant s'il subsiste des obscurités de détail, une lecture attentive permet de suivre aisément le mouvement de la méditation, "mouvement du sang" selon Alain. "Le sujet véritable du poème est la peinture d'une suite de substitutions psychologiques et, en somme, le changement d'une conscience pendant la durée d'une nuit", écrit Valéry. Cette "fête de l'Intellect" devait s'intituler "Psyché", titre que Valéry refuse finalement d'emprunter à Pierre Louÿs qui l'avait déjà choisi pour une de ses oeuvres. Le drame de "la conscience consciente" qui s'y joue est celui de cette "sombre soif de la limpidité", menacée par l'irruption de l'amour. Toute la complexité humaine est révélée dans cette dualité inextricable: la vierge "à soi-même enlacée" est "d'intelligence" avec les périls qui la menacent. Face à cette aliénation par le désir naissant, la volonté toute pure veut résister par son immense et narcissique "orgueil" à la dépossession de soi; mais la descente au royaume des morts où le sommeil l'avait conduite s'achève dans l'allégresse d'une renaissance à contrecoeur ("malgré moi-même").

 

Le monologue de la jeune Parque, en cette nuit décisive où elle passe de l'enfance à l'âge adulte, constitue un véritable drame intérieur. "Ma lassitude est parfois un théâtre", s'écrie la jeune femme au début de sa longue prise de parole. Et, en effet, son déchirement prend souvent la forme d'une prise à partie (exclamations, invocations, apostrophes) de ces divers interlocuteurs que sont les divinités, la nature et surtout cette autre elle-même qu'elle ignorait: "Dieux! Dans ma lourde plaie une secrète soeur/ Brûle, qui se préfère à l'extrême attentive." Si la jeune femme est progressivement guidée vers une alternative tragique ("Lumière!... Ou toi, la Mort! Mais le plus prompt me prenne!..."), au dénouement il n'y a plus qu'une "victime inachevée". "Conduite, offerte et consumée", la jeune Parque semble une héroïne racinienne menée au sacrifice, et miraculeusement épargnée par la promesse d'une vie nouvelle.

 

Ce drame tout intérieur nécessitait l'invention d'un langage nouveau, qui rapprochât l'art du poète de celui du musicien. "La Jeune Parque fut une recherche, littéralement indéfinie, de ce qu'on pourrait tenter en poésie qui fût analogue à ce qu'on nomme "modulation" en musique" écrit Valéry dans les Mémoires d'un poète. Les nombreux changements de ton, ainsi que le choix d'un vocabulaire tantôt abstrait tantôt concret ("Viens mon sang, viens rougir la pâle circonstance") étayent cette affirmation. La charpente du poème est édifiée par les images récurrentes et les métaphores filées: la larme coulant sur la joue, le serpent tentateur, les diamants des étoiles, le fil des Parques ou d'Ariane ("Du noir retour reprends le fil visqueux", le "fil dont la finesse aveuglément suivie / Jusque sur cette rive a ramené ta vie"). La métaphore marine est poursuivie jusque dans les ondes des cheveux de la jeune fille; l'or y est relayé par le soleil d'Apollon tandis que l'ombre froide ("Glisse, barque funèbre") n'est que l'autre face de la brûlure infernale du désir.

 

En réponse à une lettre de Gide, Valéry écrit qu'il a trouvé "après coup, dans le poème fini, quelque air d'autobiographie - intellectuelle s'entend." Alain est plus sensible à son aspect de poème épique: "C'est dans les astres [que la jeune Parque] s'interroge." Récitatif ou tragédie de l'esprit, échappant à toute définition, cette "oeuvre inactuelle" reste ce que Paul Valéry avait désiré en faire dans les circonstances difficiles de la Première Guerre mondiale: "Un petit tombeau sans date - sur les bords menaçants de l'océan du Charabia."

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Qu' est-ce que le Paysan parvenu (roman publié en 1734 et 1735)? Impossible de s'y tromper: le plus grand récit comique français depuis Rabelais. Sa verve et sa virtuosité étourdissantes consacrent un thème majeur du roman moderne, l'ascension sociale, qui mène ici "un gros dodu" de la ferme à la finance, des champs en jachère aux femmes en chaleur.

On ne sait rien, comme d'habitude, de la genèse, ou plutôt du surgissement, dru et droit, de ces "Mémoires" entre la deuxième (janvier 1734) et la troisième partie (novembre 1735) de la Vie de Marianne, parallèlement aux pièces de théâtre, qui continuent leur train inépuisable, et aux onze feuilles du Cabinet du philosophe, presque entièrement rédigées avant l'automne 1734. On ne peut que se taire et s'étourdir devant une fécondité, mieux vaudrait dire une inventivité aussi prodigieuse, devant un tel bonheur de plume dans des genres aussi divers.

Première partie. Riche et retiré du monde, Jacob, le narrateur de ces "Mémoires" se garde bien de cacher son origine, affichée dans le titre, glosée dans un "petit préambule" et l'histoire de ses neveux "trop glorieux". Cadet du fermier d'un opulent propriétaire champenois, le jeune paysan, "beau garçon" de dix-huit à dix-neuf ans, décide de rester à Paris lors de sa première livraison de vin; il devient valet d'un enfant, neveu de son seigneur. Celui-ci entend le marier de force avec une suivante, Geneviève, grosse de ses oeuvres, mais sa mort délivre Jacob et sa ruine le jette à la rue. Il rencontre, sur le Pont-Neuf, une fraîche dévote de cinquante ans, Mlle Habert la cadette, qui l'embauche comme valet.

Deuxième partie. Son arrivée semant la zizanie, attisée par leur directeur de conscience, M. Doucin, entre les deux soeurs dévotes, Mlle Habert emménage avec Jacob dans un meublé tenu par Mme d'Alain et sa fille Agathe, auxquelles le jeune homme ne déplaît pas. Six jours après leur rencontre, Mlle Habert, appétissante rentière de plus de 4 000 livres, propose à Jacob, ébloui, de l'épouser.

Troisième partie. A l'instigation de Mlle Habert l'aînée, Jacob, devenu M. de La Vallée, doit s'expliquer devant un magistrat, M. le président. Il sort victorieux de l'épreuve, et ne manque pas d'y plaire à une fausse dévote quinquagénaire, Mme de Ferval. Son mariage, encore retardé par sa participation involontaire à un assassinat passionnel, a enfin lieu. Habillé, métamorphosé, il veut devenir financier.

Quatrième partie. Sur la recommandation de Mme de Fécour (Mme de), deuxième femme de condition séduite en deux jours, Jacob se rend à Versailles solliciter un emploi auprès de M. de Fécour. Mais touché par les plaintes de Mme d' Orville, qu'il y rencontre, il renonce à occuper la place de son époux malade.

Cinquième partie. Jacob ne peut jouir de ses deux liaisons: Mme de Ferval lui est volée, lors d'un rendez-vous galant, par un chevalier qui reconnaît Jacob sous La Vallée; Mme de Fécour se croit mourante. Mais la fortune lui revient par la rue. Volant au secours d'un homme attaqué par trois autres, il sauve le comte d'Orsan, neveu du Premier ministre, qui lui raconte son histoire et l'emmène à la Comédie.

La sixième partie devait faire le portrait de "la grande actrice [...] qui jouait Monime [...] et celui des acteurs et des actrices qui ont brillé de mon temps".

Il n'est pas bien difficile de rattacher le Paysan parvenu à l'oeuvre antérieure. La veine comique irrigue les premiers récits de jeunesse, et elle triomphe dans les comédies. On trouverait sans peine dans le roman des passages qu'on dirait sortis tout droit de la bouche d'Arlequin (par exemple dans la première et la troisième partie). Comment s'en étonner, dans un récit qui donne une telle place au diable, à ses oeuvres et à ses ruses? Jacob, Arlequin et le diable: le trio, qui n'entend pas finir sur une croix, mériterait un portrait. Car Jacob, comme Marianne, est une créature "dangereuse" (le mot revient dans les deux romans, dans ses divers sens).

Mais il est plus séduisant de confronter les deux romans de la maturité, tant ils transcendent les tentatives juvéniles, tant ils semblent faire couple dans leurs visées divergentes et complémentaires: lente gestation, sur plus de dix ans / jaillissement vigoureux et compact; voix féminine et aristocratique / voix masculine et populaire; tonalité sentimentale et héroïque / tonalité libertine et comique; rêveries du coeur / pulsions du désir; aspirations angéliques / transpirations du diable. Comme si un registre servait de délassement et de contrepoint à l'autre. Comme si ces deux voix chantaient ensemble la mélodie humaine, sa double postulation conjointe, et donc la gémellité romanesque, les deux sexes du roman, pour reprendre la belle formule de F. Deloffre.

Car ces deux récits nous proposent bien une théorie implicite du roman, ou plutôt des genres du roman, à la fois croisés et distincts, selon le choix qui oriente l'écriture. Théorie qui parfois affleure à visage presque découvert, sous les traits, par exemple, de Mme d'Alain, hôtesse bavarde et indiscrète, ou dans tel propos sur Mme de Fécour, qui "aimait tout le monde et n'avait d'amitié pour personne; vivait du même air avec tous, avec le riche comme avec le pauvre [...]. Lui disiez-vous: J'ai du chagrin ou de la joie [...] elle n'entrait dans votre situation qu'à cause du mot et non pas de la chose [...]. En un mot, c'étaient les termes et le ton avec lequel vous les prononciez qui la remuaient" (quatrième partie, où, est-ce vraiment un hasard, Marivaux s'explique sur les livres en général et la satire des siens, par Crébillon en particulier).

Tout est donc affaire de style: la Vie de Marianne et le Paysan parvenu ont en commun la forme pseudo-autobiographique; l'écart temporel et social entre le héros et le narrateur, qui autorise un regard amusé et complice sur soi-même, la mise au jour des roueries intimes, retardée mais révélatrice d'une qualité innée, la trajectoire qui permet à un individu apparemment démuni et isolé de trouver sa place, de s'éduquer et de se reconnaître à l'épreuve du jeu social, avant de se retirer de la mascarade pour mieux se retrouver et se dévoiler; l'inachèvement, une fois remémorées et approfondies les premières expériences fondatrices (étirées sur quelques mois dans le Paysan parvenu); l'optimisme, sans illusion, ambigu autant qu'on voudra, mais d'évidence dépourvu de toute noirceur tragique à la Prévost ou à la Crébillon, qui baigne ces deux romans de la conscience. Conscience apparemment point trop malheureuse, et même plutôt contente d'elle et du monde comme il va. Car même Dieu, assez bon romancier, ne peut exclure le diable des affaires d'ici-bas. C'est une question de morale, de rapport au monde, mais aussi d'esthétique: "Ce lecteur, explique Marivaux à Crébillon, aime pourtant les licences, mais non pas les licences extrêmes, excessives; celles-là ne sont supportables que dans la réalité, qui en adoucit l'effronterie; elles ne sont à leur place que là, parce que nous y sommes plus hommes qu'ailleurs; mais non pas dans un livre, où elles deviennent plates, sales et rebutantes" (quatrième partie).

Tout est dit dans la célèbre formule: "L'âme se raffine à mesure qu'elle se gâte".

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Vassily Kandinsky (1866-1944)

 

Vassily Kandinsky (en russe : Василий Васильевич Кандинский, Vassili Vassilievitch Kandinski), né à Moscou le 4 décembre 1866 et mort à Neuilly-sur-Seine le 13 décembre 1944, est un peintre russe et un théoricien de l’art. Considéré comme l'un des artistes les plus importants du XXème siècle, aux côtés notamment de Picasso et de Matisse, il est le fondateur de l'art abstrait.

 

Le texte "incandescent" que l'on va lire se trouve dans l'avant-dernier chapitre du célèbre ouvrage de Vassily Kandinsky Du spirituel dans l'Art. Kandinsky y exprime sa conception de l'art et évoque les responsabilités de l'artiste : "une œuvre d'art n'est pas un phénomène fortuit qui apparaît indifféremment ici ou là"... mais un être vivant obéissant à une nécessité spirituelle.

 

La peinture, par exemple n'existe pas "pour rien"  (comme dans la théorie de l'art pour l'art et dans certaines œuvres contemporaines) ; elle a un but. Ce but est d'affiner et de développer l'âme humaine. L'homme biologique a besoin de pain pour survivre, l'homme spirituel a besoin d'art pour exister. Vassily Kandinsky assigne à la création artistique une fonction éminente, l'art est la vie de l'âme. Cette fonction confère à l'artiste de hautes responsabilités ; il n'est pas libre de  faire de sa vie n'importe quoi, car ses œuvres sont le reflet de son âme. La responsabilité de l'artiste n'a cependant rien à voir avec le conformisme et la "morale bourgeoise".

 

Pour Platon, le beau est dans l'objet, il est dans la plus ou moins grande conformité entre l'objet et l'Idée, pour Kant (Critique du Jugement, "analytique du Beau"), le beau est dans le sujet. Pour Kandinsky, La beauté est dans la nécessité intérieure", cet "admirable, cet éternel instinct du beau" dont s'émerveille Baudelaire.

 

Vassily Kandinsky cite le poète, écrivain et dramaturge Maurice Maeterlinck : "Il n'y a rien sur terre qui soit plus avide de beauté et qui s'embellisse plus facilement qu'une âme..." et évoque la montée  dans l'âme et dans le monde du "triangle spirituel".

 

Kandinsky compare la vie spirituelle de l’humanité à un grand Triangle semblable à une pyramide. La pointe du Triangle est constituée seulement de quelques individus, notamment les artistes, les écrivains, les poètes, les peintres...  qui apportent aux hommes le "pain sublime". Ce Triangle semble souvent immobile, mais il s'élève lentement. Durant les périodes de décadence où "profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les âmes avilies" (Ernst Jünger),  les âmes tombent vers le bas du Triangle ; les hommes ne recherchent que le succès extérieur et ignorent les forces spirituelles.

 

"La beauté sauvera le monde" prophétisait Dostoïevski. Ni la science, ni la technique, ni la morale, ni la philosophie, ni l'éthique, ni la politique, ni même la bonté ne peuvent soulager la souffrance du monde, ni nous aider à vivre, sans la beauté, splendeur du Vrai et du Bien". (Platon)

 

"L’œuvre d'art naît de l'artiste - création mystérieuse, énigmatique, mystique. Elle se détache de lui, elle acquiert une vie autonome, devient une personnalité, un sujet indépendant, animé d'un souffle spirituel, le sujet vivant d'une existence réelle - un être. Elle n'est pas un phénomène fortuit qui apparaît indifféremment, ici ou là, dans le monde spirituel. Comme tout être vivant, elle est douée de puissances actives, sa force créatrice ne s'épuise pas. Elle vit, elle agit, elle participe à la création de l'atmosphère spirituelle. (...)

 

la peinture est un art, et l'art dans son ensemble n'est pas une création sans but qui s'écoule dans le vide. C'est une puissance dont le but doit être de développer et d'affiner l'âme humaine (...) C'est le seul langage qui parle à l'âme et le seul qu'elle puisse entendre. Elle y trouve, sous l'unique forme qui soit assimilable pour elle, le pain quotidien dont elle a besoin.

 

Si l'art n'est pas à la hauteur de cette tâche, rien ne peut combler ce vide. Il n'existe pas de puissance qui peut en tenir lieu. C'est toujours aux époques où l'âme humaine vit le plus intensément que l'art devient plus vivant, parce que l'art et l'âme se compénètrent et se perfectionnent mutuellement.

 

L'artiste doit avoir quelque chose à dire. Sa tâche ne consiste pas à maîtriser la forme, mais à adapter cette forme à son contenu. (...)

 

L'artiste n'est pas un "enfant du dimanche" à qui tout, d'emblée, réussit. Il n'a pas le droit de vivre sans devoirs. La tâche qui lui est assignée est pénible ; pour lui, souvent, elle est une lourde croix. Il doit être convaincu que chacun de ses actes, de ses sentiments, de ses pensées est la matière impondérable dont seront faites ses œuvres. Il doit savoir qu'il n'est pas libre, par conséquent, dans les actes de sa vie et qu'il n'est pas libre dans son art.

 

Comparé à celui qui est dépourvu de tout don artistique, l'artiste a une triple responsabilité : 1) il doit faire fructifier le talent qu'il a reçu ; 2) ses actes, ses pensées, ses sentiments comme ceux de n'importe quel homme, forment l'atmosphère spirituelle qu'ils transfigurent ou qu'ils corrompent ; 3) ses actes, ses pensées, ses sentiments sont la matière de ses créations qui, à leur tour, créent l'atmosphère spirituelle (...)

 

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                     Coulour Study

 

Ce "beau" dont l'artiste est le prêtre doit être recherché en s'appuyant sur le principe de la valeur intérieure que nous avons montré partout présent. Et ce "beau" ne peut être mesuré qu'à l'échelle de la grandeur et de la nécessité intérieure

 

Est beau ce qui procède d'une nécessité intérieure de l'âme. Est beau ce qui est beau intérieurement.

 

L'un des pionniers, l'un des premiers créateurs de la spiritualité contemporaine dont l'art de demain s'inspirera, Maeterlinck a écrit :

 

"Il n'y a rien sur terre qui soit plus avide de beauté et qui s'embellisse plus facilement qu'une âme... C'est pourquoi peu d'âmes, sur terre, résistent à la domination d'une âme qui se voue à la beauté." (Maurice Maeterlinck, De la beauté intérieure)

 

C'est cette qualité lubrifiante de l'âme qui facilite la progression et la montée, lente, à peine visible, du triangle spirituel, freinée parfois extérieurement, mais constante et ininterrompue." (Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art, VII, Théorie)

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Signature de Vassily Kandinsky

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administrateur partenariats

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Rencontre d'automne, le billet d'invitation.

Première rencontre réussie !

Soirée mémorable lors de cette belle  rencontre 

entre les membres d' Arts et lettres !

Ils sont venus de partout, bravant la pluie et la grisaille, afin de célébrer l'amitié et de concrétiser enfin par une rencontre ces riches échanges que nous offre le réseau Arts et Lettres.

Tous réunis autour de Robert Paul, dans une ambiance sympathique et chaleureuse, bonne humeur et bavardages se poursuivirent jusque tard dans la nuit !

Nul doute que cette première édition sera suivie par d'autres !

 

Ce billet permettra aux membres de poster

leurs commentaires ainsi que

leurs plus belles photos de la soirée.

Merci à tous pour votre chaleureuse participation.

A bientôt!

Lien du billet " Discours prononcé à l'occasion de la " Première rencontre d'automne "

ou le site Arts et Lettres décrit avec humour "

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Le labyrinthe du monde de Marguerite Yourcenar

12272717282?profile=original« Le labyrinthe du monde » est un récit autobiographique de Marguerite Yourcenar, pseudonyme de Marguerite de Crayencour (1903-1987), en trois volumes publiés à Paris chez Gallimard (Souvenirs pieux, 1974; Archives du Nord, 1977; Quoi? l'Éternité, 1988).

 

Après la publication de l'Oeuvre au noir, Marguerite Yourcenar entreprend, en 1969, le premier volume du Labyrinthe du monde, vaste fresque familiale à laquelle elle se consacrera jusqu'à sa mort.

 

Souvenirs pieux évoque les ancêtres maternels de l'auteur. L'ouvrage, qui doit son titre aux images religieuses traditionnellement envoyées à l'occasion d'un décès, est composé de quatre sections. Dans la première, "l'Accouchement", Marguerite Yourcenar conte sa naissance et la mort, survenue quelques jours plus tard, de sa mère, Fernande. La deuxième partie, "la Tournée des châteaux", retrace l'histoire de cette famille de l'aristocratie belge dont Fernande de Cartier est issue et dont l'auteur trouve les premières traces au XIXe siècle. Dans la partie intitulée "Deux Voyageurs en route vers la région immuable", Marguerite Yourcenar s'attarde sur le personnage d'un oncle de sa mère nommé Octave Pirmez, écrivain fade et bien-pensant mais d'une personnalité attachante, profondément marqué par le suicide de son jeune frère Fernand, dit Roméo. La dernière section, "Fernande", narre l'enfance et la jeunesse de Fernande puis sa rencontre et son mariage avec M. de C., un veuf d'une cinquantaine d'années qui sera bientôt le père de Marguerite Yourcenar.

 

 

Archives du Nord est le pendant paternel de Souvenirs pieux. La chronologie y obéit toutefois à un cheminement inverse: au lieu d'opérer, à partir de sa naissance, une remontée dans le temps, l'auteur part ici des temps les plus anciens pour arriver peu à peu à dessiner la figure de son père. Ainsi, la première partie dépeint tout d'abord la formation et l'évolution géologiques de ces terres du nord de la France dont son père est originaire ("la Nuit des temps") puis retrace, à partir du XVIe siècle, la généalogie de la famille paternelle des Cleenewerck de Crayencour ("le Réseau"). Dans la deuxième partie, Marguerite Yourcenar évoque longuement la figure de son grand-père. Elle reconstitue l'histoire de son adolescence ("le Jeune Michel-Charles") puis de son triste mariage avec la dure et sèche Noémie, issue de la riche bourgeoisie lilloise. Michel, le père de l'écrivain, est l'un des enfants nés de cette union ("Rue Marais"). Enfin, dans une troisième partie intitulée "Ananké", l'auteur conte l'histoire de son père: sa fuite du milieu familial pour embrasser une carrière militaire, sa désertion et son exil pour l'amour d'une jeune et belle Anglaise, son premier mariage avec Berthe puis, après la mort de la jeune femme, l'union avec Fernande et la naissance de Marguerite.

 

 

Le troisième volume, Quoi? l'Éternité, est demeuré inachevé, la mort de l'auteur en ayant interrompu la rédaction. L'ouvrage s'inscrit dans la continuité chronologique d'Archives du Nord. Marguerite Yourcenar évoque les premiers temps du veuvage de Michel dans la propriété familiale du Mont-Noir, à Bailleul ("le Traintrain des jours"), et la figure de la soeur de ce dernier, Marie, qui mourut jeune dans un tragique accident ("Necromantia"). Les quatre chapitres suivants ("Un grain d'encens", "le Trépied d'or", "la Déchirure" et "Fidélité") sont consacrés à Jeanne, une amie d'enfance de Fernande qui fut, durant quelques années, la maîtresse de Michel et qui incarna, pour la petite Marguerite, une sorte de mère idéale. Le personnage d'Egon, le mari de Jeanne, servira plus tard de modèle à l'écrivain lorsqu'elle composera Alexis ou le Traité du vain combat. Après avoir retracé ses premiers souvenirs d'enfance ("les Miettes de l'enfance") et les dernières amours de son père ("les Miettes de l'amour"), Marguerite Yourcenar dépeint les années sombres de la Première Guerre mondiale ("La terre qui tremble, 1914-1915", "La terre qui tremble, 1916-1918" et "les Sentiers enchevêtrés"). L'écrivain projetait de rédiger encore une cinquantaine de pages dans lesquelles elle aurait notamment relaté les fins respectives de Jeanne et de Michel.

 

Composé à l'aide d'archives et de témoignages, ce triptyque familial procède d'un type d'inspiration assez voisin de celui de Mémoires d'Hadrien ou de l'Oeuvre au noir. Dans tous les cas, en effet, la création romanesque de Marguerite Yourcenar se trouve étroitement liée à un travail d'historien et à un regard de moraliste porté sur la destinée et le temps humains.

Dans le Labyrinthe du monde, toutefois, la part de la fiction est fort minime. Certes, l'oeuvre est pour beaucoup le fruit de l'imagination de l'auteur qui parvient à redonner vie à des personnes disparues en se fondant sur une documentation souvent étique, aride ou fragmentaire. Mais cette imagination est avant tout au service d'une restitution et s'interdit la fabulation, l'écrivain préférant souvent le silence à l'invention pure et simple. Le vivant est ainsi laissé à sa complexité jamais démêlée, comme à ses mystères demeurés opaques. L'ouvrage, bien que fourmillant de personnages et embrassant de multiples époques, séduit par son aspect dépouillé. Au seuil de la mort, et une fois accomplies les grandes tâches romanesques de la maturité, projetées d'ailleurs pour la plupart dès la première jeunesse, Marguerite Yourcenar se consacre à une matière brute et humble. Après l'empereur (Mémoires d'Hadrien) et le philosophe alchimiste (l'Oeuvre au noir), elle choisit des personnages ordinaires que son travail extrait patiemment de l'anonymat et du dédale de la généalogie, non pour en détacher des aspects exceptionnels mais au contraire pour montrer l'inexorable flux de la vie, cette sorte de machine aveugle qui broie dans la multitude et engloutit dans l'oubli les existences individuelles. Les figures maternelle et paternelle sont certes privilégiées dans la mesure où elles sont le point de départ des recherches, mais le Labyrinthe du monde, livre sans héros, est aussi un livre dépourvu de personnages vraiment principaux. Les séductions et les mirages de la totalisation sont bannis, l'écrivain préférant laisser son ouvrage livré à l'éclatement, à l'inachèvement et à l'ordinaire qui sont le lot de la vie même.

 

Pour Marguerite Yourcenar, écrire l'histoire familiale, c'est moins chercher à vaincre le temps que prendre la mesure du caractère éminemment contingent de toute existence: "L'angle à la pointe duquel nous nous trouvons bée derrière nous à l'infini. Vue de la sorte, la généalogie, cette science si souvent mise au service de la vanité humaine, conduit d'abord à l'humilité, par le sentiment du peu que nous sommes dans ces multitudes, ensuite au vertige" (Archives du Nord). A cet égard, la dernière oeuvre de la vieillesse est aussi apprentissage de la mort.

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                      VERS UN AUTRE SACRE : L’ŒUVRE DE RODRIGUE VANHOUTTE
Du 08 – 06 au 25 – 06 - 16, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) vous propose une exposition consacrée à l’œuvre du peintre et dessinateur belge Monsieur RODRIGUE VANHOUTTE, intitulée LE TRIANGLE DE KARPMAN.
Dès la première approche, l’œil du visiteur est saisi par un choc, au sens étymologique du terme. Le regard est envoûté par cet amas de chairs dévastées, putréfiées, lesquelles sont en réalité, le reflet peint à vif de divers états d’Etre.
Le « Triangle de Karpman », appelé aussi « triangle dramatique », sanctionne, dans l’analyse transactionnelle, la dynamique d’un jeu de pouvoir pervers, impliquant trois sujets (d’où le nom de « triangle »). La caractéristique de ces sujets réside dans le fait que leur position est interchangeable. Ils occupent, tour à tour, le rôle du persécuteur, de la victime et du sauveur. Comme précisé plus haut, rien dans ce jeu pervers n’est définitif : la victime peut devenir, à son tour, persécuteur et celui-ci peut se muer en sauveur.
Ce triptyque intitulé précisément LE TRIANGLE DE KARPMAN (325 x 175 cm – huile sur double papier),

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illustre le résultat d’une telle expérience interpersonnelle, laquelle, même si dans les études de Karpman, elle se déroule au sein d’un microcosme tel que l’entreprise, régit l’ensemble des mécanismes de ce que Balzac nommait « la comédie humaine ».
A la vue d’un tel spectacle scénique, une question envahit le visiteur : sont-ce encore des corps ? Assurément ! Mais ce sont des corps n’obéissant plus aux lois de l’harmonie (si tant est qu’elle existe !). Ce sont des études de décomposition progressive de la forme aboutissant à la matière première, à savoir la chair dans tout ce qu’elle a de concret et d’organique, tout en se plongeant dans les arcanes de la condition humaine. Ces chairs en ébullition, en fermentation, sont les témoins du talent de l’artiste, à la fois en tant que peintre et dessinateur. La première chose qui s’impose au regard, est la puissance du trait révélant les volumes à la lumière tant dans les contorsions musculaires que dans les plis des chairs. Il s’agit incontestablement de l’œuvre d’un dessinateur qui peint car c’est le dessin qui décide de la conduction de la matière peinte. La couleur est là pour souligner l’élasticité des chairs dilatées ainsi que pour conférer à la forme l’expression cadavérique qu’exige le sujet.
Stylistiquement parlant, cette peinture est une vision apocalyptique de l’excès, en ce sens que la musique qui se dégage de ce spectacle est une musique torturée, se révélant comme telle sans aucun complexe. Cette façon de procéder n’est pas sans évoquer l’esthétique d’Egon Schiele. Sauf que chez l’artiste autrichien, même squelettiques, même défaits, les formes restent entières ne détruisant jamais l’idée même du corps. Ici, le corps « explose » pour ne laisser que sa trace, sa « forme » originelle, désormais en total anéantissement pour aboutir à un étalement de la matière sur l’espace scénique. N’est reconnaissable que l’idée des jambes, des pieds et du torse (la « forme ») mais tout se dilate progressivement, au fur et à mesure que la figure s’étale sur la surface. C’est à partir d’un fond entièrement blanc que se façonne le corps à l’état présent, lequel par l’intermédiaire de la matière corporelle en souffrance, devient le corps malade du Monde. De larges notes noires, rouges (en dégradés), vertes et brunes entourent la partie supérieure de la forme étalée pour mieux la mettre en relief. Les chairs portent également dans leur chromatisme l’empreinte de l’esthétique schilienne faite de brun (en dégradés), de rouge, de vert et de jaune : tout ce qui dans la symbolique évoque la décrépitude et le pourrissement. La représentation de la matière se concentre parfaitement dans le panneau du milieu, lequel montre, dans sa partie supérieure, un étalement de chairs lesquelles (toutes proportions gardées), ne sont pas sans évoquer Rembrandt (souvenez-vous du célèbre BŒUF ECORCHE (1655), abrité au Louvre, qui depuis sa création n’a cessé de hanter des peintres tels que Soutine, Chagall ou Bacon, fascinés la symbolique du corps mort étalé, voire crucifié).
AUTOPORTRAIT (190 x 120 cm – huile sur double papier)

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nous offre, à l’instar des corps malades, la vision d’un visage dont les traits sont attaqués par l’épreuve et le temps. L’autoportrait est avant tout (du moins depuis Rembrandt) la matière nécessaire à l’établissement d’un « état des lieux » de la conscience à travers le temps. Le visage ravagé est axé sur trois éléments-clés de l’expression : les yeux (hallucinés, cerclés par des cernes, semblables à un terrain labouré). Le nez (droit que l’artiste fait dévier en situant la source de l’arête dans une anfractuosité complètement tordue, confinant avec la partie supérieure droite du front (gauche par rapport au visiteur). La bouche, entrouverte, édentée dont une crevasse laisse apparaître deux dents béantes, également à la droite du visage (à gauche par rapport au visiteur).
Le haut et le bas de l’espace sont plongés dans une zone blanche, carrément vaporeuse, laissant apparaître le visage comme un masque d’épouvante, lequel est parcouru sur les deux côtés par tout un réseau de sillons, augmentant l’effet de décrépitude physique, répondant à une protestation morale. Le chromatisme usité ne diffère en rien de celui du triptyque (jaune, rouge, blanc et vert, en dégradés). Remarquez le traitement spécifique des yeux, lequel fait toujours référence à Rembrandt, puisque c’est par ceux-ci que son visage acquiert à chaque fois une lumière nouvelle.
RODRIGUE VANHOUTTE est un artiste qui veut aller au-delà de l’image. La dissoudre pour atteindre la finalité de tout créateur : le Sacré. Le corps est le réceptacle du Monde. L’artiste le dénude pour le désincarner. Il touche au plus profond du sensible par un contrôle constant de la matière. Que faut-il entendre par là ? De prime abord (c'est-à-dire vu de loin), le visiteur a l’impression d’une surabondance de peinture, typique d’un travail au couteau. Au fur et à mesure qu’il s’approche de l’œuvre, il constate que l’apport de la matière sur le papier est très pauvre et qu’en réalité, c’est par la brillance propre à cette même matière, cernée par le trait, amplifiant le volume, que la lumière engendrée donne vie à la forme. C’est par l’appauvrissement constant de l’apport de matière sur le corps désincarné que l’artiste arrive à l’essentiel : l’essence même du Monde réfléchie dans la forme.
Même si le corps est torturé, il n’en demeure pas moins vivant ! C'est-à-dire protestant son indignation contre l’état actuel de l’humanité. Par « actuel », nous entendons une dimension devenue « contemporaine » de l’Homme.
L’œuvre de RODRIGUE VANHOUTTE se trouve au bout d’une chaîne de réactions à vif de la part de nombreux artistes de toutes disciplines depuis le 19ème siècle. C'est-à-dire depuis que la question sociale a commencé à habiter l’histoire de l’Art. Plus exactement, lorsque l’ordre social a commencé à être bouleversé par une remise en question de la société de la part de l’Art. Au fur et à mesure, cette dénonciation de l’état social s’est transformée progressivement en une remise en question de la place de l’Homme dans le Monde, c'est-à-dire au sein du créé, ouvrant ainsi la porte à un autre Sacré. Celui déposé dans l’intériorité même de l’Homme, en dehors de toute instance religieuse officielle. A titre d’exemple, LE TRIANGLE DE KARPMAN (mentionné plus haut), est un triptyque privé d’un système de lecture : on peut le lire dans tous les sens. Néanmoins, le simple fait que ce soit un triptyque est un emprunt direct à l’Art religieux, obéissant à d’autres impératifs.
Cette recherche d’un autre Sacré couvait depuis longtemps. Des œuvres telles que le célèbre CRI de Munch dénonçaient déjà ce qu’on allait appeler « l’aliénation de l’Homme moderne », empêtré au cœur de la Révolution industrielle, laquelle allait façonner le 20ème siècle naissant, en lui imposant d’abord une Première Guerre Mondiale ensuite un Krach économique planétaire, puis une Seconde Guerre Mondiale couronnée par une ère atomique. De tous ces événements, l’Art se faisait déjà le prophète bien avant leur déroulement. Sauf que ces symptômes ne sont perceptibles que bien longtemps après le déclenchement de la maladie. Une vue rétrospective nous permet d’observer que dès 1911, Henri Bergson proclamait que « le monde occidental a besoin d’un supplément d’âme ».
Concernant l’œuvre, en apparence désespérée, de RODRIGUE VAN HOUTTE, rappelons que nous avons affaire à une matière vivante, héritière, notamment, de l’esthétique schielienne, laquelle présente dans une certaine mesure, une variation expressionniste sur la figure humaine, dictée par le déchirement des chairs, lui-même signifiant celui du Monde. Il y a dans cette œuvre une filiation philosophique due au fait qu’outre sa formation académique (il a fréquenté les Académies de Tournai et de Liège), l’artiste a également suivi des cours de Philosophie et surtout d’Histoire de l’Art. Ce qui a énormément influencé son langage pictural, en ce sens que, comme nous l’avons spécifié, l’artiste veut aller au-delà du narratif. Car pour lui, le peintre est tout sauf un fabricant d’images. Il doit, à travers le geste pictural, atteindre la sphère littéraire, philosophique et historique avec laquelle le visiteur doit se confronter par le véhicule du sentiment à l’idée et à l’émotion que dégage le tableau. Nous avons fait observer, plus haut, que son œuvre est assurément celle d’un dessinateur qui peint. C’est précisément en tant que dessinateur qu’il a débuté son parcours artistique. Ensuite, ce fut la découverte du Greco et du Caravage, en matière de peinture dans la sphère classique.
Et lorsque nous abordions plus haut, l’impact de l’Art du 19ème siècle dans l’aboutissement vers un autre Sacré, rappelons que ce fut précisément à cette époque que El Greco et le Caravage (savamment enterrés et oubliés depuis leur mort), furent redécouverts à la lumière d’un nouveau langage à la fois humaniste et pictural.
L’artiste ne « surjoue » pas dans la mise en signes. Si ses œuvres comportent si peu de matière, c’est précisément parce qu’il veut éviter de les surcharger par une sorte de « maquillage » inutile dans le but de les rendre « lisses », au fur et à mesure que le regard les appréhende. La puissance du trait est là pour sublimer la matière.
L’artiste qui, à la manière d’un alchimiste, fabrique lui-même ses pigments, utilise la technique de l’huile sur double papier. Il ne donne jamais de titre à ses tableaux car il préfère laisser ce soin au visiteur qui doit les interpréter.
Ses œuvres résultent d’un contact « direct » avec le sujet, en ce sens qu’il ne peint jamais d’après photo. Il nourrit d’ailleurs pour la photographie une certaine méfiance, trouvant que, de manière générale, elle falsifie la réalité. Bien sûr, lorsqu’on lui fait remarquer que la lumière usitée par tel photographe n’est pas celle d’un autre, il se ravise et admet que dans ce domaine il y a eu de grands créateurs. Néanmoins, pour des raisons de pureté narrative, il refuse catégoriquement de mêler la peinture à l’objectif !
Il cherche aussi à redéfinir la notion de « portrait », car il estime qu’aujourd’hui, ce langage traduit plus les états du peintre que ceux du sujet « portraituré ». Il n’a certainement pas tort. Néanmoins, la création, quelle qu’elle soit, ne se réalise pas « sans y laisser les plumes » ! L’artiste y laisse fatalement (parfois à son insu) quelque trace de lui-même…quelque trace, indispensable pour mieux se fondre au sujet.
L’Histoire de l’Art, la Philosophie et la Peinture sont pour lui les outils par lesquels il cherche, en stigmatisant l’humanité d’aujourd’hui, à individualiser la possibilité d’un Homme nouveau. Sa peinture est l’expiation d’un Monde qui, par le corps martyrisé, cherche une issue.

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Rodrigue Vanhoutte François Speranza:  interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(8 juin 2016 - Photo Robert Paul)

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Exposition Rodrigue Vanhoutte à l'Espace Art Gallery en juin 2016 - Photo Espace Art Gallery

Expositions choisies


1992          Ateliège Galerie, Liège

1993          Galerie Saint Luc, Liège

1994          Université du Sart-Tilman, Liège

1999          Abbaye du Val-Saint-Lambert, Belgique

2000          Abbaye du Val-Saint-Lambert, à l’occasion de l’inauguration de la Salle Capitulaire nouvellement restaurée

2001          Galerie Art-Home, Belgique, Exposition « Autoportraits » avec la participation du saxophoniste de Jazz Arthur Blyte en concert solo

2002          Galerie Art-Home, Belgique, avec lecture des textes de l’écrivain Michel Rabbin consacrés aux œuvres exposées

2003          Exposition « Mégalopaul », Galerie Art-Home, Belgique

2004          Temple Protestant Lambert-le-Bègue, Belgique

2005          ArtShok-Galery, Belgique

                   ArtShok-Galery, Amsterdam

2006          ArtShok-Galery, Amsterdam

                   ArtShok-Galery, Belgique

2008          Travail sur la pièce « Marat-Sade » de Peter Weiss, théâtre Armado, Paris

2012          Ayuntamiento de Castilléjar, Grenade, Espagne

2014          Galeria Cartel, Grenade, Espagne

2015          Galeria Castel, Grenade, Espagne

Retrato(s) de Granada

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N.D.R.L:

Rodrigue Vanhoutte vit et travaille à Grenade

Téléchargez le texte de François Speranza, traduit en espagnol:

HACIA OTRA CONSAGRA: LA OBRA DE RODRIGUE VANHOUTTE

HACIA OTRA CONSAGRA: LA OBRA DE RODRIGUE VANHOUTTE
Del 08 - 06 al 25 - 06 - 16, el ESPACIO ARTE GALLERY (Calle Lesbroussart, 35, 1050 Bruselas) le propone una exposición dedicada a la obra del pintor y dibujante belga Señor RODRIGUE VANHOUTTE, titulada EL TRIÁNGULO DE KARPMAN. Desde el primer enfoque, el ojo del visitante es cogido por un choque, con sentido etimológico del término. La mirada es hechizada por este montón de carnes devastadas y pudridas, las cuales son en realidad, el reflejo pinta- a -vivo de estados diversos de Ser. El " Triángulo de Karpman ", llamado también " triángulo dramático ", sanciona, en el análisis transaccional, la dinámica de un juego de poder depravado, implicando tres sujetos (de donde el nombre de "triángulo"). La característica de estos sujetos reside en el hecho de que su posición es intercambiable. Ocupan, por turno, el papel del perseguidor, de la víctima y del salvador. Así como precisado aqui arriba, nada en este juego depravado es definitivo: la víctima puede volverse, a su vuelta, perseguidora y éste puede cambiarse en salvador. Este tríptico titulado precisamente EL TRIÁNGULO DE KARPMAN (325 x 175 cm - aceite sobre papel doble), ilustra el resultado de tal experiencia interpersonal, la cual, aunque en los estudios de Karpman, se celebra en el seno de un microcosmo tal como la empresa, rige el conjunto de los mecanismos de lo que Balzac nombraba " la comedia humana ". A la vista de tal espectáculo escénico, una cuestión invade al visitante: ¿ todavía son cuerpos? ¡ Ciertamente! ¡ Pero son cuerpos que no obedecen más a las leyes de la armonía (por muy tanto que que existan!). Justo estudios de descomposición progresiva de la forma que acaban en la materia prima, a saber la carne en todo lo que tiene de concreto y de orgánica, sumiéndose en los arcanos de la condición humana. Estas carnes en ebullición, en fermentación, son los testigos del talento del artista, a la vez como pintor y dibujante. La primera cosa que se impone a la mirada, es la potencia de la raya que revela los volúmenes a la luz tanto en las contorsiones musculares como en los pliegues de las carnes. Se trata indiscutiblemente de la obra de un dibujante que pinta porque es el dibujo que decide la conducción de la materia pintada. El color está allí para subrayar la elasticidad de las carnes dilatadas así como para conferir sobre la forma la expresión cadavérica que exige el sujeto. Al hablar Stylistiquement, esta pintura es una visión apocalíptica del exceso, en el sentido que la música que se libra de este espectáculo es una música torturada, revelándose como tal sin ningún complejo. Este modo de proceder no es sin evocar la estética de Egon Schiele. Excepto que en el caso del artista austríaco,bien que esquelético,bien que deshechos, las formas quedan enteras jamás destruyendo la idea misma del cuerpo. Aquí, el cuerpo "estalla" para dejar sólo su rastro, su "forma" original, presentemente en destrucción total para llegar a una ostentacion de la materia sobre el espacio escénico.
Es perceptible sólo la idea de las piernas, de los pies y del torso (la " forma ") pero todo progresivamente se dilata, a medida que la figura se extiende sobre la superficie.
Es a partir de un fondo totalmente blanco que toma forma el cuerpo en el estado presente, el cual a través de la materia corporal en sufrimiento, se transforma en el cuerpo enfermo del mundo.
Matices anchas negras y rojas (en desvanecidos), verdes y morenas rodean el lado superior de la forma para obtener un relieve màs fuerte.
Las carnes también llevan en su cromatismo la huella de la estética schilienne hecha de pardo (en desvanecidos), de rojo, de verde y de color amarillo: todo lo que en la simbología evoca la decrepitud y la podredumbre. La representación de la materia se concentra perfectamente en la trampa del medio, el cual muestra, en su lado superior, un escalonamiento de carnes las cuales (todas proporción guardadas), no son sin evocar a Rembrandt (acuérdese del cèlebre BUEY DESOLLADO(1655), que se halla en el Louvre a Paris, que desde su creación no ha dejado obsesionar a pintores tales como Soutine, Chagall o Bacon, fascinados por la simbología del cuerpo muerto expuesto, incluso crucificado).
AUTORRETRATO (190 x 120 cm - aceite sobre papel doble) nos ofrece, a ejemplo de los cuerpos enfermos, la visión de una cara cuyas rayas son atacadas por la vida y el tiempo. El autorretrato es ante todo (por lo menos desde Rembrandt) la materia necesaria para el establecimiento de un " inventario " de la conciencia a través del tiempo. La cara asolada es orientada sobre tres elementos-claves de la expresión: los ojos (alucinados, cercados por ojeras, semejantes a un terreno arado). La nariz (derecha que el artista hace derivar situando la fuente de la espina en una cavidad completamente retorcida, confinando con el lado superior derecho de la frente (izquierda con relación al visitador). La boca, entreabierta, desdentada cuya grieta deja aparecer dos dientes boguiabiertos, también a la derecha de la cara (a la izquierda con relación al visitador).
El alto y el bajo del espacio son sumergidos en una zona blanca, en ángulo recto vaporosa, dejando aparecer la cara como una máscara de espanto, el cual es recorrido sobre ambos lados por toda una red de surcos, aumentando el efecto de decrepitud física, respondiendo a una protesta moral. El cromatismo usado no difiere en nada del del tríptico (amarillo, rojo, blanco y verde, en desvanecidos). Observe el tratamiento específico de los ojos, el cual hace siempre referencia a Rembrandt, ya que es por aquellos que su cara adquiere cada vez una luz nueva. RODRIGUE VANHOUTTE es un artista que quiere ir más allá de la imagen.
Disolverla para alcanzar la finalidad de todo creador: Lo Sagrado. El cuerpo es el receptáculo del mundo. El artista lo desnuda para desincarnarlo. Toca en lo más hondo de lo sensible mediante un control constante de la materia. ¿ Que hay que entender por eso? De buenas a primeras (es decir visto de lejos), el visitante tiene la impresión de una superabundancia de pintura, típica de un trabajo al cuchillo.
A medida que se acerca a la obra, comprueba que la aportación de la materia sobre el papel es muy pobre y que en realidad, es por la brillantez propria a la misma materia, llevada por la raya, ampliando el volumen, que la luz engendrada da vida a la forma.
Es por el empobrecimiento constante de la aportación de materia sobre el cuerpo desencarnado que el artista llega a lo esencial: la pura esencia del mundo reflejada en la forma. ¡ Aunque el cuerpo es torturado, no permanece menos vivo! Es decir protestando su indignación contra el estado actual de la humanidad. Por "actual", oímos una dimensión hecha "contemporánea" del Hombre. La obra de RODRIGUE VANHOUTTE se encuentra al cabo de una cadena de reacciones a vivo por parte de numerosos artistas de toda disciplina desde el siglo 19. Es decir desde que la cuestión social comenzó a habitar la historia del Arte. Más exactamente, cuando el orden social comenzó a ser revuelto por una puesta en cuestión de la sociedad por parte del Arte.
A medida, esta denuncia del estado social progresivamente se transformó en un cuestionamiento sobre lugar del Hombre en el mundo, es decir en el seno de lo creado, abriendo así la puerta a otra Consagra.
El depositado en la misma interioridad del Hombre, aparte de toda instancia religiosa oficial. A titulo de ejemplo, EL TRIÁNGULO DE KARPMAN (mencionado más alto), es un tríptico privado de un sistema de lectura: podemos leerlo en todos los sentidos. Sin embargo, el hecho simple sea un tríptico es un préstamo directo al Arte religioso, obedeciendo a otros imperativos. Esta búsqueda de otro Sagrado incubaba desde hace tiempo. Obras tales como el GRITO célebre de
Munch ya denunciaban lo que se iba a llamar " la alienación del Hombre moderno ", enredado en el corazón de la Revolución industrial, la cual iba a dar forma al siglo 20 naciente, imponiéndole primero una Primera Guerra Mundial luego una Quiebra económica planetaria, luego una Segunda Guerra Mundial coronada por una era atómica. De todos estos acontecimientos, el Arte ya se hacía el profeta bien antes de su desarrollo.
Excepto que estos síntomas no son perceptibles que sólo mucho tiempo después de la survenencia de la enfermedad. Una vista retrospectiva nos permite observar que desde 1911, Enrique Bergson proclamaba que " la gente occidental necesitaba un suplemento de alma ". Concerniendo a la obra, en apariencia desesperada, de RODRIGUE VAN HOUTTE, recordemos que estamos en relación con una materia viva y heredera, particularmente, de la estética schielienne, la cual presenta en cierta medida, una variación al significar expresionista sobre la figura humana, dictado por la aflicción de las carnes, al del mundo. Hay en esta obra una filiación filosófica debida al hecho que además de su formación académica (frecuentó las Academias de Tournai y de Lieja), el artista también siguió cursos de Filosofía y sobre todo de Historia del Arte.
Lo que muchísimo influyó sobre su lenguaje pictórico, en el sentido que, como lo especificamos, el artista quiere ir más allá del narrativo. Porque para él, el pintor no es un fabricante de imágenes. Debe, a través del gesto pictórico, alcanzar la esfera literaria, filosófica e histórica con la cual el visitante debe confrontarse por el vehículo del sentimiento con la idea y con la emoción que desempeña la obra pictural. Hicimos observar, más alto, que su obra es ciertamente la de un dibujante que pinta. Precisamente es como dibujante que empezó su trayecto artístico. Luego, fue el descubrimiento del Greco y de Caravage, en materia de pintura en la esfera clásica. Y cuando abordábamos más alto, el impacto del Arte del siglo 19 en el cumplimiento hacia otro Consagrado, recordamos que precisamente fue en esa época que El Greco y Caravage ( enterrados y olvidados desde su muerte), fueron redescubiertos a la luz de un nuevo lenguaje a la vez humanista y pictórico. El artista no dramatiza " en la puesta en signos. Si sus obras contienen tan poca materia, precisamente es porque quiere evitar sobrecargarlas por un tipo de "maquillaje" inútil con el fin de hacerlas "alisarlas", a medida que la mirada las aprehende. La potencia de la raya está allí para sublimar la materia. El artista que mismo, a manera de un alquimista, fabrica sus pigmentos, utiliza la técnica del aceite sobre papel doble. Jamás da título a sus cuadros porque prefiere dejarle este cuidado al visitante que debe interpretarlos. Sus obras resultan de un contacto "directo" con el sujeto, en el sentido que jamás pinta según foto. Alimenta por otra parte para la fotografía una desconfianza cierta, opinando que, de manera general, falsifica la realidad.
Por supuesto, cuando se le hace ver que la luz usada por tal fotógrafo no es la de otro, cambia de opinión y supone que en este dominio hubo grandes creadores. ¡ Sin embargo, por razones de pureza narrativa, categóricamente se niega a mezclar la pintura al objetivo! Procura también volver a definir la noción de "retrato", porque considera que hoy, este lenguaje traduce más los estados del pintor que los del sujeto " retratado ". Ciertamente no le falta razon. ¡ Sin embargo, la creación, sea la que sea, no se realiza " sin dejar parte de si mismo"! El artista mismo deja allí fatalmente (a veces sin saberlo l) algún rastro ,rastro indispensable para derretirse mejor en el sujeto. La Historia del Arte, la Filosofía y la Pintura son para él las herramientas por las cuales procura, estigmatizando la humanidad de hoy, individualizar la posibilidad de un Hombre nuevo. Su pintura es la expiación de un mundo que, por el cuerpo martirizado, busca una salida.
François L. Speranza.

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"Les chants de Maldoror" sont un recueil de six chants en prose, du comte de Lautréamont, pseudonyme d'Isidore Ducasse (1846-1870). Le chant I fut publié sans nom d'auteur à Paris chez Balitout, Questroy et Cie en août 1868, et l'ensemble à Bruxelles chez Lacroix et Verboeckhoven et Cie en 1869. La mise en vente de cette édition originale fut interdite en France.

Ignoré de son vivant, Lautréamont est tout d'abord découvert en 1885 par la Jeune Belgique qui publie des extraits des Chants de Maldoror. L'ouvrage est alors plus souvent jugé comme une curiosité que profondément apprécié, et sa notoriété demeure très limitée. Ce sont les surréalistes qui contribueront le plus efficacement à faire sortir de l'ombre l'oeuvre de Lautréamont. En 1919, en effet, les Poésies sont republiées pour la première fois par André Breton dans Littérature. L'année suivante, paraît la première grande édition moderne des Chants de Maldoror (Paris, La Sirène) et Breton lui rend hommage dans un article de la Nouvelle Revue française. Dès lors, l'ensemble du groupe surréaliste s'emploie avec succès à la réhabilitation d'Isidore Ducasse et de son oeuvre.

L'ouvrage se compose de six chants divisés en strophes. Poème en prose? Récit? Les Chants de Maldoror résistent à toute tentative de classification générique. Dans le sixième chant, Lautréamont parle, à quelques lignes de distance, de sa "poésie" et de ses "récits" et il avait même, un peu plus haut, employé le terme de "roman".
Le texte est certes fondé sur une esthétique de la rupture: chaque strophe peut être lue comme un fragment poétique autonome et aucun fil linéaire, qu'il soit narratif, descriptif ou discursif, n'est suivi bien longtemps. Toutefois le personnage de Maldoror, moralement complexe, physiquement polymorphe - il a le pouvoir de se métamorphoser - et grammaticalement présent sous les formes du "je" et du "il" - avec de constants glissements de l'un à l'autre pronom - confère à l'oeuvre une indéniable continuité.

Une évolution se dessine dans la succession des chants: dans les quatrième et cinquième, bien plus que dans les trois premiers, le lecteur est directement interpellé, l'écriture se commente elle-même et le langage fait l'objet d'un traitement de plus en plus vertigineux et provocant, à grand renfort de phrases d'une longueur et d'une sinuosité acrobatiques, de comparaisons étranges (les fameux "Beau comme [...]" apparaissent au chant IV) et de développements déroutants (par exemple sur le rapport entre des piliers, des épingles et des baobabs, chant IV, strophe 2). Le sixième chant se distingue explicitement des autres: "Les cinq premiers récits [...] étaient le frontispice de mon ouvrage, le fondement de la construction, l'explication préalable de ma poétique future." L'auteur précise plus loin: "Je crois enfin avoir trouvé [...] ma formule définitive. C'est la meilleure: puisque c'est le roman!" L'utilisation constante et croissante de l'ironie dans les Chants de Maldoror nous invite toutefois à prendre avec précaution une telle affirmation. Il est vrai que, d'une strophe à l'autre, le sixième chant dessine une continuité narrative beaucoup plus affirmée que dans le reste de l'ouvrage. Mais le mélange de situations convenues et d'une fantasmagorie débridée, l'utilisation explicite de "trucs à effet" nous convient à déjouer l'illusion romanesque.

Héros maudit, Maldoror porte sa vocation et son destin inscrits dans son nom dont le mal forme la première syllabe; à une consonne près, on peut lire aussi dans ce nom la douleur (dolor / doror). Héritier explicite du romantisme satanique - "J'ai chanté le mal comme ont fait Mickiewicz, Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j'ai un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau [...]" (lettre à l'éditeur Verboeckhoven) -, Lautréamont campe un personnage hyperboliquement maléfique qui trouve dans la contemplation de la souffrance une suprême jouissance: "O ciel! comment peut-on vivre, après avoir éprouvé tant de voluptés! Il venait de m'être donné d'être témoin des agonies de mort de plusieurs de mes semblables" (chant II, strophe 13). Maldoror ne se borne pas, loin de là, à assister passivement au spectacle de la douleur. Il se complaît à faire souffrir les humains et trouve pour cela de multiples raffinements de cruauté. Non content, par exemple, de contempler voluptueusement la vaine lutte des naufragés contre les flots déchaînés, Maldoror, posté sur le rivage, les achève à coups de fusil avant de faire l'amour avec l'"énorme femelle requin" venue les dévorer (ibid.). Ailleurs, il viole une fillette, la fait ensuite violer et égorger par son bouledogue puis, muni d'un "canif américain composé de dix à douze lames", il "s'apprête, sans pâlir, à fouiller courageusement le vagin de la malheureuse enfant. De ce trou élargi, il retire successivement les organes intérieurs" (III, 3).

Maldoror s'est donc jeté "résolument dans la carrière du mal" (I, 3), il a pris la "résolution" de suivre "la route du mal" (II, 11). Il a choisi de défier le Créateur - "Il voudrait égaler Dieu" (I, 11) - et ne se fait pas faute de l'invectiver avec violence. Une telle attitude procède d'un puissant orgueil mais aussi d'une immense souffrance. Maldoror refuse d'accepter les limites humaines et sa soif d'infini se mue en rage destructrice: "Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d'atteindre à l'infini par les moyens même les plus insensés?" (I, 6). En outre, il hait les hommes, et donc leur Créateur, parce que ceux-ci sont fondamentalement mauvais, parce que, dans leur monde, le mal prolifère. Une scène montre, par exemple, les passagers d'un omnibus insensibles aux supplications d'un enfant malheureux et épuisé qui court en vain derrière la voiture pour tenter d'y obtenir une place (II, 4). Ailleurs, un homme est atrocement torturé par sa femme et sa mère (IV, 8). Dieu lui-même n'est pas étranger aux délices de la férocité. Anthropophage, il se délecte d'un "repas cruel" et lance à ses créatures: "Je vous fais souffrir, et c'est pour mon plaisir" (II, 3). On le voit aussi torturer à mort un adolescent après avoir connu les plaisirs de la chair en compagnie d'une prostituée (III, 5).

La violence de Maldoror est donc le fruit de la révolte et du désespoir: "J'ai reçu la vie comme une blessure, et j'ai défendu au suicide de guérir la cicatrice" (III, 1). Comme l'écrit Blanchot, Maldoror "est aussi bien celui qui est blessé que celui qui blesse" (Lautréamont et Sade). -tre souffrant, il attend la mort comme une délivrance - "la mort, et il sera content" (V, 7). Une monstrueuse description où Maldoror apparaît paralysé, dévoré par la vermine et avec une épée fichée dans le dos, offre l'image extrême de cette souffrance (IV, 5). C'est ainsi que Maldoror, "quoiqu'il ait beaucoup vécu, est le seul véritable mort" (V, 6).

L'écriture de Lautréamont est donc une écriture de la cruauté, émanant d'un écrivain qui veut faire "servir [s]on génie à peindre les délices de la cruauté" (I, 4) et génératrice de "pages sombres et pleines de poison" (I, 1). Riches en scènes barbares et peuplés de monstres divers, les Chants de Maldoror usent fréquemment des rouages du fantastique et de l'horreur. Multiple et raffinée, la cruauté côtoie la fanstasmagorie, la fantaisie, voire la parodie. L'originalité et la force de l'écriture de Lautréamont résident en effet surtout dans une utilisation déroutante de l'ironie. La dérision hante le texte et retire à la lecture le confort d'une quelconque certitude à l'égard du sens. Le lecteur est souvent interpellé et explicitement raillé, jusqu'au dernier chant où l'ouvrage précise en ces termes sa visée: "Je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire: "Il faut lui rendre justice. Il m'a beaucoup crétinisé [...] c'est le meilleur professeur d'hypnotisme que je connaisse"!" (VI, 1). En somme, l'envoûtement exercé par le texte n'est qu'un leurre, une gigantesque duperie. Dans un ultime défi destructeur, les Chants de Maldoror revendiquent le droit à l'insanité.

Ce scepticisme et ce nihilisme vont de pair avec une fabuleuse aventure du langage. L'écriture exprime parfois sa difficulté d'être - ainsi l'impérieuse nécessité d'écrire et la douloureuse paralysie devant la page blanche sont-elles clairement explicitées (II, 2). Elle clame surtout son absolue liberté, celle par exemple de représenter l'invraisemblable et l'inouï: "Si quelqu'un voit un âne manger une figue ou une figue manger un âne (ces deux circonstances ne se présentent pas souvent, à moins que ce ne soit en poésie) [...]" (IV, 2). Les fameuses comparaisons bâties à partir de la formule "beau comme" et si prisées par les surréalistes participent de la même euphorie poétique, de ce maniement du verbe à la fois débridé et provocant. L'écriture de Lautréamont est vertigineuse comme aucune autre. La polysémie y cohabite avec l'insanité et l'absurde. Fascinants et corrosifs, les Chants de Maldoror sont bel et bien composés de "pages incandescentes" (II, 1).

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12272744272?profile=originalLa critique récente a fait justice des malentendus qui ont longtemps masqué la véritable portée de l'oeuvre de Giono : écrivain régionaliste, puis « collaborateur », il aurait ensuite totalement changé de manière en imitant Stendhal. On mesure mieux aussi maintenant la richesse de cette oeuvre : poèmes, contes et nouvelles (Solitude de la pitié , L'Eau vive ), essais, théâtre (huit pièces), traduction (surtout de Moby Dick ), cinéma, nombreuses préfaces, articles réguliers dans les journaux régionaux durant les années soixante, mais avant tout les quelque vingt-cinq romans qui en sont la meilleure part. L'édition critique de ses Oeuvres romanesques complètes dans La Pléiade, la publication des récits inachevés (du premier, Angélique , aux derniers : Cours, passions, caractères , Dragoon , Olympe ) et de la correspondance avec l'ami de toujours, Lucien Jacques, jettent un éclairage nouveau sur une oeuvre qui s'affirme comme l'une des premières de ce siècle.

Giono a d'abord tenté de définir les conditions du « mélange de l'homme et du monde », mais il aboutit au constat de plus en plus amer de son impossibilité. A ce premier échec s'est ajouté celui de son engagement très actif dans le pacifisme, qui se solda par son emprisonnement d'octobre à novembre 1939. Un second séjour en prison pour « collaboration » en 1944 achève de le marquer ; désormais, il n'essaiera plus d'infléchir le cours de l'histoire. Dans les Chroniques d'après guerre, l'accent se déplace sur les hommes, que leur séparation d'avec la nature condamne à un radical ennui, et dont les passions monstrueuses répondent à la démesure inhumaine du monde. Parallèlement, Giono abandonne de façon progressive le lyrisme rustique et parfois emphatique des romans « paniques », pour un ton nouveau et un style où la concision, l'ellipse et des combinaisons narratives très subtiles attestent sa virtuosité et doublent le prodigieux poète de la matière d'un fascinant conteur. C'est là sans doute ce qui assure l'originalité d'une oeuvre si étrangère aux modes, et sa modernité : l'ivresse froide et souveraine, sensuelle et rythmique d'une parole tendue vers l'expression vitale des impulsions d'un matérialisme mystique, pour séduire le désir, lui imposer cette préférence pour les formes .

Origines
Jean Giono est né à Manosque, le 30 mars 1895, d'un père cordonnier originaire du Piémont, dont la belle figure de guérisseur libertaire a marqué l'écrivain, et d'une mère repasseuse. Une aura mythologique entoure cette famille pauvre, dans Jean le Bleu ou dans Le Poète de la famille (1942), qui évoque sur le mode légendaire la famille de la tante Marguerite Fiorio ; quant au grand-père carbonaro, il est une des sources d'Angelo. La petite ville de Manosque devient un microcosme dont Giono se servira dans quantité de textes, directement (Manosque-des-Plateaux , 1930 ; Virgile , 1947) ou sous divers déguisements. Plus encore, la terre et les hommes de haute Provence le hanteront, quoiqu'il ait dit avoir peint un « Sud imaginaire ». En dehors des montagnes du Trièves, l'autre grand lieu de son inspiration, il ne quittera guère sa région que pour de rares voyages et plusieurs séjours en Italie, sur les traces de Machiavel et de Stendhal (Voyage en Italie , 1953), jusqu'à sa mort à Manosque, le 8 octobre 1970.
Pour venir en aide à ses parents, Giono doit quitter le collège en seconde et devient employé de banque. Sa culture, immense, aura donc été celle d'un autodidacte à la curiosité universelle. Le succès de Colline et de Un de Baumugnes , en 1929, l'engage à se risquer à vivre de sa plume. Entre-temps, il a fait la guerre de 1914, qui laissera une empreinte définitive dans sa sensibilité et son imaginaire. Il en donne une vision apocalyptique dans Le Grand Troupeau (1931). Ses premiers écrits sont le fruit d'influences multiples. Angélique est d'inspiration médiévale. Les proses poétiques d'Accompagnés de la flûte (1924) sont tirées de Platon et de Virgile. Le Noyau d'abricot est un conte orientalisant. Mais déjà L'Ermite de Saint-Pancrace et Rustique sont l'émanation de la terre provençale, tandis que la nouvelle Ivan Ivanovitch Kossiakoff , rédigée en 1925, est autobiographique. Durant ces années, Giono se cherche un style.

L'impossible mélange avec le monde
Naissance de l'Odyssée , achevé en 1927, est refusé par Grasset. C'est pourtant le roman fondateur qui contient en germe la plupart des thèmes à venir. Dès le naufrage initial se lit une hantise d'être dévoré par la mer, « la gueule aux dents d'écume », mais aussi bien par la terre (dont la mer est la constante métaphore chez Giono) et par la femme : autant de figures de la mère castratrice. D'emblée, donc, on est très loin de la terre idyllique dont on a voulu que Giono soit le chantre : Ulysse est terrifié par les grandes « forces » mouvantes du « magma panique ». Mais il y a dans l'homme un désir, force analogue à celles du monde ; prisonnière des « barrières de la peau », elle tend irrépressiblement à se fondre dans le monde maternel. Comment y parvenir sans être dévoré ? La réponse d'Ulysse va commander toute l'oeuvre à venir : par la parole mensongère (et elle l'est précisément en ce qu'elle substitue au réel un monde inventé), il institue un domaine imaginaire où il pourra, impunément, posséder les femmes, mais aussi capter et dire le « secret des dieux », comprenons les forces du monde. Par là, le roman inaugure chez Giono une poétique du mensonge, qui va s'avérer toutefois à double tranchant.
La Trilogie de Pan explore les possibilités qu'a l'homme de s'approprier la terre et la femme. Colline (1929) raconte la révolte de « la grande force » de la terre (symbolisée par le dieu Pan) contre le double crime (oedipien) des villageois : en labourant la terre, ils la font saigner ; le vieux Janet, « un homme qui voit plus loin que les autres », est coupable, lui, d'avoir percé les secrets de la mère nature et de les dire : il parle, et la fontaine nourricière de Lure, « la mère des eaux », se tarit. Il faut qu'il meure pour qu'elle recoule. Un de Baumugnes (1929) est l'histoire d'une vierge séduite par un proxénète beau parleur : « C'est ça qui a fait le mal ; sa langue. » Le pur Albin la rachète, et avec elle le monde entier, parce que le chant de son harmonica a su abolir le fossé tragique entre l'imaginaire et le réel : « Au lieu de mots, c'était les choses elles-mêmes qu'il vous jetait dessus. » On notera que ce texte inaugure la technique du récit indirect, le narrateur étant un personnage, Amédée. Regain (1930) clôt le cycle par la victoire (fragile) de Panturle, qui échappe avec son village d'Aubignane à l'effacement dans la nature sauvage ; il soumet la terre à la loi de la culture en même temps qu'il s'empare d'une femme et la féconde. Dans ce roman s'ébauche une prédication sociale (idéal autarcique d'une communauté fondée sur l'échange des richesses produites par un travail libre) que les livres suivants vont amplifier. Dans Le Serpent d'étoiles (1931), Giono donne une dimension cosmique à la situation de l'homme, partagé entre l'obéissance aux lois de l'Univers et sa propension à s'enfermer derrière la « grande barrière » de ses « reflets », c'est-à-dire de l'anthropomorphisme fatal de son désir.
Tandis qu'il écrit Le Grand Troupeau , en 1930, Giono entre dans une grave crise existentielle qui va durer quatre ans, et dont l'aspect principal est une douloureuse privation du réel (elle était donc latente dans les romans précédents). Il cherche alors une issue dans le théâtre (Le Bout de la route , 1931, Lanceurs de graines , 1932). En vain : les personnages succombent à la fatalité de la réclusion dans l'imaginaire, qui les exile de la femme et du monde.
Dans Jean le Bleu (1932), le désespoir suscite l'émergence de monstruosités et purifie le lyrisme. Dans ce récit d'enfance parfois halluciné, Giono tente de frayer la voie à un « chant », celui des formes où puissent s'exprimer les forces du bas , celles du désir mais aussi celles « des nôtres, des pauvres et des perdus », tel le déroulement d'un serpent - symbole récurrent du « fond des choses » - dans les libres formes de la musique : « La flûte s'élança et, comme un serpent qui, debout dans l'herbe, construit avec la joie ou la colère de sa chair les fugitives figures de son désir, elle dessina le corps de ce bonheur dédaigneux qui habite la tête libre des parias. » La parabole finale de la chute d'Icare dit la tentation et la vanité d'un envol solitaire dans de pures formes, également loin de la « roue du monde » et du bouillonnement social.
Le Chant du monde (1934), roman d'aventures, est le récit d'une quête initiatique dans les hauteurs du pays Rebeillard. On retiendra surtout la valeur symbolique de Clara, l'aveugle, car elle fait apparaître la continuité de la problématique de la parole. Ouverte aux sensations élémentaires, elle est le monde, l'originelle mère. Mais, aveugle, elle ignore quels noms correspondent aux choses ; elle est le monde en mal d'expression : le rôle d'Antonio sera d'inventer un langage capable de dire le foisonnement des choses en travail avec la vérité des odeurs, comme ces images qu'il crée pour nommer les étoiles.
Le projet d'« installation » de la joie de Que ma joie demeure (1935) échoue pour deux raisons : la peur de la femme dont l'amour engage à un dépassement total de l'individu, et le refus concomitant des « batailles » sociales qui interdit aux gens du plateau Grémone, vivant en autarcie, de s'accorder à la démesure du « paradis terrestre » (et perdu) de la nature. Car celle-ci a pour loi la roue sans fin des transformations, et donc des combats continuels, à l'image de celui, mortel mais conforme au désir, des écureuils et du renard. Et seules des batailles analogues permettraient aux hommes d'être à l'unisson d'un monde où rien ne demeure. Le refus des batailles les réduit, déjà, à l'ennui en les enfermant dans un imaginaire qui, décidément, est de trop dans le monde.

Giono et la politique
Malgré ces réticences, Giono s'est engagé à gauche dès 1934. Le retentissement considérable de Que ma joie demeure a deux conséquences. L'essai Les Vraies Richesses (1936) réaffirme l'idéal d'une communauté rurale autarcique, mais contient un appel à la révolte contre la société industrielle capitaliste qui asservit le travail et « détruit les vraies richesses ». D'autre part, en septembre 1935, a lieu, autour de Giono, le premier rassemblement sur le plateau du Contadour (il y en aura neuf jusqu'à la guerre) qui va devenir un foyer d'antifascisme et de pacifisme.
Le pacifisme intransigeant de Giono et son hostilité grandissante vis-à-vis du stalinisme entraînent sa rupture avec les communistes ; elle se marque par la publication en 1937 de Refus d'obéissance . La même année, Batailles dans la montagne , vaste roman épique aux nombreux personnages, conte l'engloutissement d'une vallée par un déluge d'eau et de boue. Saint-Jean (comme Giono) est partagé entre la tentation de s'évader, comme Icare, dans les hauteurs de la création, où « rien ne se bat », et la participation au commun combat. Le dénouement, de nouveau, est amer. Dans l'essai visionnaire Le Poids du ciel (1938), l'auteur définit une position politique qui ne changera plus guère. Il y récuse avec force non seulement le fascisme, mais aussi le communisme soviétique par lequel il avait été tenté comme beaucoup d'écrivains de son temps. Il émet en effet une réserve majeure vis-à-vis des tentatives de suppression révolutionnaire de l'aliénation capitaliste, d'ailleurs violemment dénoncée : parce qu'elles perpétuent la « civilisation industrielle » technicienne (génératrice de guerre), celles-ci tiennent les hommes éloignés de l'obéissance aux lois cosmiques qui suppose une réinsertion dans le devenir universel. Seul le travail individuel et sensuel de la matière - celui du petit agriculteur indépendant et de l'artisan - autorise la participation au mouvement de transformation continu qui est le monde. Inversement, noyé dans les masses que manoeuvre la volonté de puissance des « chefs », l'individu perd sa raison d'être et sa « beauté ».
Les « Messages » qui se succèdent jusqu'en 1939 (Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix , Précisions , Recherche de la pureté ) accentuent l'opposition de Giono aux totalitarismes en même temps que son refus d'une solution révolutionnaire. Le projet de roman des Fêtes de la mort , centré sur une insurrection paysanne contre la société industrielle, est abandonné en octobre 1938. Or ce renoncement à toute révolte active contre un ordre social qui dénature l'homme en le coupant de l'origine va avoir ees conséquences considérables dans la suite de l'oeuvre. Privée de débouché social, la force centrifuge individuelle aura tendance à se dépenser dans le jeu des passions , colorant du même coup la vision politique d'un scepticisme machiavélien : « On assouvit une passion égoïste dans les combats pour la liberté » (Voyage en Italie , 1953). Désormais, le théâtre cruel des passions remplacera ou doublera celui des opérations. Ainsi dans Deux Cavaliers de l'orage (écrit de 1938 à 1942, mais publié en 1965). Détournée de la révolution, la force du désir s'invente un débouché narcissique : Marceau Jason, dit « l'Entier » (comme le cheval, symbole de la force élémentaire), aime son jeune frère Ange, son reflet apollinien. Mais c'est se soustraire à l'impératif du mélange avec le Tout. Les deux frères s'entretuent : la force détruit l'être double qui voulait orgueilleusement la thésauriser.

Une période de transition
Mais déjà une mutation a commencé de s'opérer : « Entre 1938 et 1944 s'échelonnent une série d'oeuvres de transition, dont chacune, à sa manière propre, apporte du nouveau et nous met sur le chemin des Chroniques » (R. Ricatte). Pour saluer Melville (1941) est un autoportrait indirect, comme toutes les Préfaces de Giono. Écrit au sortir de prison, ce livre fait entendre un ton nouveau, où se marient ironie, pathétique et allégresse. Remplaçant la terre, la mer symbolise le monde désert pour l'homme, dès lors en proie à l'envie prométhéenne de s'égaler à cette démesure qui l'annule. Il n'est plus question pour Melville d'exprimer le monde (perdu), mais « le monde Melville » : l'invention poétique crée un monde personnel qui ne peut plus guère se communiquer qu'à l'âme soeur , cette Adelina White qui joue donc le même rôle qu'Ange Jason et que, bientôt, la Pauline d'Angelo : elle est l'exutoire narcissique du désir. Or les oeuvres composées pendant la guerre se caractérisent toutes par ce repli orgueilleux dans l'imaginaire. Deux pièces de théâtre, d'abord. Dans La Femme du boulanger (1941), le boulanger, d'être abandonné par sa femme, est initié malgré lui à la trouble jouissance d'un manque plus fondamental, et apprend à se réapproprier le réel par son invention. Le Voyage en calèche (1943) opère un triple retrait : dans le passé, dans l'Italie paternelle et sous l'égide de Stendhal. Julio résiste, certes, à l'occupant, mais s'oppose en même temps à ceux qui, comme le colonel, dissimulent des appétits très personnels sous leurs prétentions révolutionnaires à faire le bonheur des autres. Sa principale arme est d'ailleurs le mensonge poétique, la création d'un univers d'images.
Le retrait loin de la société s'accentue dans Fragments d'un paradis (1944), où une navigation à la Moby Dick vise à restituer les conditions d'une confrontation régénératrice avec la naturelle démesure d'un monde paradis que figurent les monstres sortis des grands fonds.
Giono sous l'Occupation ? Résumons les faits. On a pu lui reprocher surtout la publication de Deux Cavaliers de l'orage dans La Gerbe (de décembre 1942 à mars 1943), hebdomadaire où les articles sur Giono étaient très fréquents, la parution de « Description de Marseille le 16 octobre 1939 » dans la Nouvelle Revue française de Drieu La Rochelle (en décembre 1942 et janvier 1943), et un reportage photographique sur lui dans Signal en 1943. Sans parler de l'utilisation par le régime de Vichy de sa pensée réduite à une caricature (« retour à la terre » et à l'artisanat). Mais il est avéré d'autre part que Giono a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des juifs, des communistes. Son oeuvre porte des traces de cette « résistance » à l'hitlérisme : outre Le Voyage en calèche , interdit par l'occupant en décembre 1943, et dont le personnage de Julio se prolonge dans celui d'Angelo, résistant italien à l'occupant autrichien en 1848 (Le Bonheur fou ), il faut mentionner Angelo III, traqué par les troupes allemandes, dans le début inédit de Mort d'un personnage , et la mort de Clef-des-Cours dans le maquis (Ennemonde ). Voilà qui devrait mettre un terme à la légende d'un Giono « collaborateur ».

Le cycle du « Hussard »
En 1945, Giono conçoit le projet d'une décalogie contant alternativement l'histoire d'Angelo Pardi, jeune colonel de hussards piémontais, exilé politique en France, et celle de son petit-fils, Angelo III, vivant en France en 1945. Le projet est abandonné en 1947, mais quatre des livres prévus voient néanmoins le jour. Dans Angelo (écrit en 1945), les désillusions politiques engendrent une très individualiste « poursuite du bonheur » sur le modèle de Stendhal, grâce à la « création personnelle » d'un climat passionné qui permette à la générosité du héros de s'épancher, et à l'invention d'une âme soeur (Pauline) où il puisse à la fois projeter et recueillir son désir, comme dans un miroir.
Le problème s'aggrave dans Le Hussard sur le toit (écrit de 1946 à 1951). Le choléra qui ravage la Provence appelle une lecture plurielle. Il est d'abord l'insoutenable incandescence d'un monde qui dévore les formes. Mais comme il est aussi la peur, l'égoïste repli sur soi que cette violence provoque chez les hommes, il devient, à l'échelle sociale, la barbarie dans l'histoire. Celle-ci suscite trois types de réactions : lâcheté et cruauté du plus grand nombre ; « résistance » de Giuseppe, le frère de lait d'Angelo, et de son organisation (les communistes), dont la volonté de puissance prend pour alibi « la liberté » et « le bonheur du peuple » ; Angelo enfin. Sa conduite chevaleresque, sa fidélité à un idéal de grandeur qu'il retrempe sans cesse, pour s'y égaler, au spectacle de la grandeur du monde réalisent un équilibre supérieur entre les deux autres tendances, dans la mesure où lui aussi combat le choléra sans toutefois être guidé par des motifs égoïstes (il agira de même dans Le Bonheur fou , dernier roman du cycle), et où, parallèlement, il se dévoue passionnément à Pauline de Théus sans céder à l'appel vertigineux et mortel du monde et de la femme (cette femme qui porte le prénom de la mère de l'écrivain, et dont il ne devient pas l'amant). Il aime et il se bat, mais jamais en pure perte . Pour ces deux raisons, il échappe à la troisième forme du choléra : la maladie morale qui punit tous ceux qui, en « avares », économisaient leur désir et se recroquevillaient dans leur peur. Cette maladie les obligera à laisser s'exprimer d'un seul coup, dans une liquéfaction-explosion libératrice, l'océan et le feu intérieurs, double métaphore de la force intérieure retenue . Le cholérique est calciné par la fièvre, il se vide et devient bleu comme la mer. C'est à cette fascination de la perte que cédait Pauline vieillie dans Mort d'un personnage (achevé en 1946) parce que son désir était radicalement privé des formes habitables dont la perte d'Angelo symbolisait le manque atroce. L'amour d'un absent la conduisait à n'aimer plus que l'absence.

Les « Chroniques »
« Avarice », « perte » : telles sont les deux grandes tendances qui vont structurer l'univers des Chroniques . Cette partie capitale de l'oeuvre est d'abord sortie du projet formé par Giono après la guerre, alors qu'il était inscrit sur la liste noire du Comité national des écrivains et interdit de publication en France, d'écrire de courts récits alimentaires destinés à être publiés aux États-Unis. La deuxième de ces Chroniques , Noé (1948), définit l'avarice et la perte comme deux modes, opposés mais complémentaires, de gestion de la force interne. L'avare, amassant avidement l'or et surtout le sang de ceux dont il trame la perte, procède à une accumulation de la force et crée ainsi un monstrueux contre-monde, par refus orgueilleux et méprisant de la laisser se perdre, tandis que les hommes de la perte, saisis d'une irrésistible tentation, dilapident cette force pour se fondre avec elle dans le monde convoité. Comment jouir, sans se perdre, de l'apaisement mystique que procure la perte ? Les Chroniques explorent toutes les combinaisons possibles pour atteindre ce but. Noé élabore une solution au niveau du signifiant narratif en faisant proliférer des formes romanesques ouvertes , où le désir puisse se dilater sans y être enfermé, mais sans s'y perdre non plus : circulant dans le monde qu'il invente, il se conserve en soi. En outre, l'écrivain se ménage un nécessaire vertige. En effet, roman du romancier, cette fiction est faite du démontage des mécanismes qui l'instituent ; c'est exposer à tout instant à la ruine la création qui le sauve. Ainsi fera, dans Les Grands Chemins (1951), le personnage de « l'Artiste », joueur de cartes qui triche au ralenti pour éprouver le vertige de perdre - jusqu'à sa vie. Un roi sans divertissement (1947) présente les principaux thèmes et caractères stylistiques des Chroniques . Dans la montagne du Trièves, l'hiver ferme le monde au désir humain, provoquant un insupportable ennui (c'est aussi le cadre et le thème des nouvelles de Faust au village ). Monsieur V... cherche un remède en faisant couler le sang de ses victimes sur la neige, comme l'écrivain, paradigme de l'avare, recrée sur la page blanche « un monde aux couleurs du paon ». Par victime interposée, il jouit ainsi de l'épanchement désiré. Tel est le cruel théâtre du sang. Langlois, limier lancé sur ses traces, a trop bien compris le sacrificateur et n'a de ressource que dans le suicide qui lui fait prendre, « enfin, les dimensions de l'univers ». La forme narrative se caractérise par un nombre plus restreint d'adjectifs et d'images, un style oral dû à la présence de récitants, laquelle détermine un récit lacunaire, où abondent ambiguïtés et ellipses, et qui convient à une métaphysique du vide. Langlois reparaît dans Les Récits de la demi-brigade (1972), où il croise Laurent et Pauline de Théus, de sorte qu'un pont est jeté entre les Chroniques et le cycle du Hussard.
Dans Les Ames fortes (1950), les trois versions contradictoires des rapports entre Thérèse et Mme Numance consacrent le primat de l'imaginaire tout en raffinant sa fonction : Thérèse projette sur sa très généreuse protectrice son propre penchant à la dilapidation passionnelle, et ce « sang » qu'elle perd indirectement, elle le « dévore » inexorablement, s'arrogeant ainsi le pouvoir d'anéantissement qui est d'ordinaire le propre du monde. Une révolte analogue contre l'ordre des choses anime la Julie du Moulin de Pologne (1952), héritière du destin des Coste, lesquels aspirent secrètement à leur propre perte. Repoussée par la bonne société qui jalouse sa démesure sublime, Julie est réduite à substituer à la réalité son propre univers héroïque et tendre. Mais, dépossédée du réel, elle éprouve la séduction du néant, comme, à sa suite, son fils Léonce, en dépit de l'empire protecteur que M. Joseph construit autour d'eux. Ces monstruosités psychologiques qu'enfante l'hypertrophie du désir chez les « âmes fortes », Giono aime à les retrouver dans les faits divers (Notes sur l'affaire Dominici ) et dans l'histoire (Domitien , Le Désastre de Pavie ). Il n'y survit lui-même que par son art, comme en témoigne, après Noé , l'admirable Déserteur (1966) : à l'instar du peintre de Nendaz, l'artiste est celui qui déserte l'« en bas » dévorant du monde et d'une société qui aliène la force des « misérables ». Il se réfugie dans les hauteurs, parmi les autres travailleurs, lui qui aide à vaincre l'ennui en travaillant la pâte du monde afin que naissent les formes où s'exprimeront les forces du désir. Il s'égale alors au Père en devenant à son tour un guérisseur. Est-ce à dire qu'il échappera au « destin » ? L'énormité triomphante de l'ogresse d'Ennemonde (1965) défie une morale et un monde inhabitables ; mais, vieillie, elle finit par perdre ses formes pour mieux disparaître dans le cycle des métamorphoses terrestres. De même, le Tringlot de L'Iris de Suse (1970) trouve la vérité de sa quête d'absolu en renonçant à l'or accumulé pour aimer « l'Absente », incarnation du « zéro » : ultime combinaison qui autorise enfin à jouir, sans en mourir, de la « pure perte ».
Ainsi se boucle une oeuvre au romantisme tragique et allègre, où la passion, privée d'objet, s'est sublimée en passion de l'absence : du zéro.

Giono et le cinéma
Plusieurs cinéastes ont porté à l'écran des oeuvres de Giono, avec un bonheur inégal. Marcel Pagnol est l'auteur de films de qualité, mais fort éloignés de l'esprit des textes (Jofroi , Angèle , Regain , La Femme du boulanger ). Il en va de même du Chant du monde de Marcel Camus (1965) et des Cavaliers de l'orage de Gérard Vergez (1984). D'autres ont franchement maltraité leur modèle (Émile Couzinet, Le Bout de la route , 1949 ; Christian Marquand, Les Grands Chemins , 1963). L'intérêt de Giono lui-même pour le septième art est ancien et vif, quoique balancé par sa méfiance vis-à-vis de l'industrie cinématographique. Des commandes l'ont poussé à écrire de plus en plus pour le cinéma. Il rédige dès 1942 un « découpage technique » du Chant du monde , jamais tourné, compose en 1956 le scénario de L'Eau vive qui présente sous une forme romancée les conséquences de l'édification du barrage de Serre-Ponçon. Avec l'équipe du film (le réalisateur François Villiers, le scénariste Alain Allioux), il décide de porter à l'écran Le Hussard sur le toit , dont il écrira un scénario complet. Des difficultés de production empêcheront le projet d'aboutir, mais il en sortira un court métrage très original, Le Foulard de Smyrne (1958), conçu comme le banc d'essai du Hussard ; la description de l'invasion du choléra y est faite selon le procédé de la caméra subjective auquel Giono était fort attaché. La même technique inspire un autre court métrage : La Duchesse (1959), axé sur le brigandage légitimiste en Provence qu'on retrouvera bientôt dans les Récits de la demi-brigade . En 1959, Giono adapte Platero et moi de Juan Ramon Jiménez, mais le film ne se fera pas. La même année, il crée la Société des films Jean Giono, destinée à lui garantir la maîtrise de l'exploitation cinématographique de son oeuvre. C'est elle qui produit Crésus , scénario original dont Giono assure la mise en scène. Un berger (dont le rôle est tenu par Fernandel) découvre les vertus d'une « civilisation du peu » après qu'une fortune démesurée a livré son désir au vertige du vide : « la misère, c'est le désir ». C'est surtout dans l'adaptation qu'il écrit d'Un roi sans divertissement (tournée par François Leterrier en 1963) que Giono se montre habile à manier le langage propre au cinéma, par la concentration du récit et le travail sur les couleurs. Il compose encore des commentaires pour des courts métrages (L'Art de vivre , 1961 ; La Chevelure d'Atalante , 1966 ; 04 , 1968). Au total, le cinéma aura offert à Giono la possibilité d'imprimer des formes narratives nouvelles aux thèmes obsédants qu'exprime toute son oeuvre.

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      DE L’ORDINAIRE COMME ESTHETIQUE : L’ŒUVRE DE YVONNE MORELL

Du 30-03- au 30-04-17, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles), vous présente une exposition intitulée UNE VIE ORDINAIRE….MAIS EXTRAORDINAIRE, centrée sur l’œuvre de Madame YVONNE MORELL, une excellente artiste peintre suissesse qui a fait de son monde intérieur le théâtre de sa peinture.

Quand l’art fait office de socle à l’humour, il faut s’attendre à toutes les surprises. Et encore…on est toujours surpris du résultat ! En réalité, le titre de l’exposition est très éloquent quant à l’interprétation de l’œuvre de l’artiste.

L’ordinaire pris dans une dimension, non pas sacralisante comme le ferait le surréalisme, mais bien dans le repos de sa musique quotidienne. L’humour est ce que le visiteur entrevoit quand son regard parcourt les scènes d’une vie aussi quotidienne qu’extraordinaire dans son expression.

De longues figures filiformes, figées dans leur stylisation se serrent, l’une contre l’autre, pour atteindre une unicité spatiale à l’intérieur du cadre. L’œuvre baigne dans une intemporalité nostalgique. Les personnages, principalement féminins, même contemporains de l’artiste puisqu’il s’agit presque toujours de personnes proches, donnent le sentiment de provenir d’un ailleurs fabuleux. L’œuvre se concrétise également par une fausse « inertie » provoquée par le visage, figé dans une immobilité expressive agrémentant le statisme des personnages. Leurs visages sont proches des masques dans leur traitement. Tandis que leur rendu physique fait penser à certaines figures filiformes de l’expressionnisme allemand des années ’30 : AU MUSEE (40 x 50 – acrylique sur toile).

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Le dialogue corporel des personnages s’inscrit dans le langage du regard.

LE PRINTEMPS DANS L’AIR (60 x 60 – acrylique sur toile)

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La conception des visages n’est pas sans évoquer les masques de James Ensor, lequel annonce d’ailleurs l’avènement de l’expressionnisme. Le chromatisme des vêtements assure l’unité picturale de l’ensemble : le brun foncé des robes se détache nettement des autres éléments chromatiques. Ils se posent en ligne de démarcation entre l’avant et à l’arrière-plan. Le blanc des écharpes assure la transition entre le brun des robes, l’irruption des visages et l’arrière-plan, composé d’arcades également de couleur blanche.

Les deux sacs, à mi-hauteur des corps, assure la continuité de la couleur avec l’avant-plan du tableau, composé de fleurs.

Toujours dans le registre de l’humour, SOUVENIR D’ENFANCE (60 x 50 – acrylique sur toile)

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est la seule œuvre qui fasse, en quelque sorte, faux bond avec l’esthétique qui sous-tend son œuvre. La femme se présente de façon absolument inattendue. Le visiteur doit-il chercher à deviner son visage ? Considérons le fait que le personnage portraituré est en réalité la grand-mère de l’artiste. Cette œuvre affirme la confidence unissant le peintre à ses sujets. Ce qui frappe c’est la posture de cette femme. La seule chose qui saute au regard c’est son postérieur apparaissant de façon colossale, voire cyclopéenne. Il domine non seulement la composition mais aussi le sujet dans son identité sociale. Il s’agit de la représentation de la « femme au foyer », penchée sur son four. Elle apparaît comme un ballon gonflé à l’hydrogène qui enfle, au fur et à mesure qu’elle se penche sur son travail. Dos et postérieur, même unis dans une entité plastique, sont séparés par un cordon de couleur blanche.

Un trait notable de son écriture réside dans le fait qu’elle donne un côté « serré » tant à ses personnages qu’au traitement par lequel elle conçoit la ville, par le biais de la rue où les maisons s’ « entassent » les unes contre les autres, provoquant un certain déséquilibre dans leur élongation.

SORTIE EN VUE (60 x 80 – acrylique sur toile)

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donne une belle illustration de l’expression du corps dans l’exigüité du cadrage. Ramassées à l’intérieur d’un espace totalement enveloppant, les trois femmes offrent une esquisse du mouvement grâce au traitement des jambes (en plan). Chaque paire présente une ligne directionnelle particulière appuyée par les contorsions des têtes. A l’instar des jambes, chacune d’elles assure la rotation qui est la sienne. L’espace, souligné par l’importance de la couleur, trouve ici sa fonction enveloppante : le jaune des coussins enveloppe les trois femmes. Le brun clair des finitions boisées enveloppe le divan et le brun foncé de l’arrière-plan enveloppe la totalité de l’espace, à l’exception des extrémités, gauche et droite, desquelles se profile une zone grise signifiant le parquet sur lequel repose une petite table avec un abat-jour.

L’artiste se pose une question à l’honnêteté déconcertante, à savoir quel est son style ?

Vous l’aurez peut-être remarqué, nous évitons d’utiliser le mot « style » à tout bout de champ. Comme le disait Céline dans sa dernière interview peu avant sa mort, il n’y a en réalité qu’un ou deux « styles » par siècle. Nous préférons donc parler d’ « écriture », histoire d’y voir plus clair. Car elle est « personnelle » par rapport au « style », souvent trop galvaudé, voire copié. Mais s’il fallait se risquer à déterminer chez elle un « style », le côté « art brut » pourrait venir à l’esprit. Cela est dû à l’apport d’objets en métal sur certaines de ses toiles : des lunettes posées sur les yeux du personnage de gauche de INSEPARABLE (40 x 50 – acrylique sur toile)

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ainsi que des vélos flanqués contre les façades des maisons comme pour EN VILLE (95 x 95 – acrylique sur toile).

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Précisons aussi que les formes qui habitent ses personnages sont inspirées d’anciennes sculptures que l’artiste a réalisées dans le courant de son parcours. Leur morphologie filiforme témoigne d’une influence de la sculpture du 20ème siècle. On pense, notamment, à Giacometti même si l’artiste ne s’est jamais inspirée directement de lui. Néanmoins, la verticalité des personnages témoigne du résultat issu d’une interprétation picturale de la sculpture. Il est fort dommage, d’ailleurs, que l’artiste n’ait pas songé à présenter certaines de ses pièces sculptées lors de son exposition. Car le lien plastique entre ses personnages tout en matière friable et ceux conçus en matière liquide saute aux yeux comme une évidence.  Espérons qu’un beau jour, elle nous fera le plaisir de les exposer avec ses toiles. Nous avons évoqué, plus haut, l’empreinte expressionniste. L’artiste peut donner le sentiment de « flirter » en quelque sorte avec des noms qui ont jalonné l’histoire de l’Art du 20ème siècle. Néanmoins, si elle flirte, c’est à son insu car elle connait mal l’évolution des principales écoles du siècle dernier, ce qui lui évite de se plonger dans l’œuvre d’un artiste jusqu’à s’en imprégner totalement. A titre d’exemple, il y a chez elle une manière de façonner les corps qui peut rappeler, à certains égards, Egon Schiele, à cette différence près que Schiele compose des toiles permettant un élancement total des corps dans l’espace, tandis qu’YVONNE MORELL déploie ses formes dans un cadrage comprimé. Néanmoins, la plastique des membres, la coloration des chairs n’est pas sans évoquer l’esthétique de Schiele. La réalisation des coiffures se retrouve dans l’œuvre du peintre autrichien : la forme n’existe que par la présence hypertrophiée du volume.

Nous avons souvent noté que chez certains artistes, la présence d’un champ créatif, non alimenté par une culture encyclopédique, tire sa puissance dans une forme d’intuition artistique laquelle perçoit, dans les tréfonds de la pensée, les possibilités infinies de la création.  

Il n’y a aucune référence « classique » dans sa peinture. La perspective y est globalement absente.

Y a-t-il un côté « art naïf » dans son écriture ? A première vue, l’on aurait tendance à répondre : « non ». Mais, en y réfléchissant bien, peut-être y a-t-il, concernant le terme « naïf » un prolongement interprétatif que l’on pourrait donner à ce style. Est-ce le graphisme qui est « naïf » ? Est-ce, à la fois la simplicité du sujet représenté ainsi que l’évocation du souvenir suscité chez le visiteur qui l’est ? Cela reste, pour le moment, encore à définir.   

Nous avons évoqué, plus haut, la proximité entre l’artiste et ses sujets. Cette proximité trouve son ciment dans le souvenir comme dénominateur commun déployé dans tous ses aspects.

L’artiste explore, notamment l’expérience olfactive, récurrente dans certains de ses tableaux comme pour l’évocation de sa grand-mère, affairée devant son four.

L’odeur de la polenta est également un personnage de la toile. Il s’infiltre entre les couleurs pour titiller le visiteur qui se crée un souvenir imaginaire.

Le thème de l’amitié se concrétise par le biais de la solidarité, plastiquement exprimée précisément par ce côté « serré » que nous évoquions plus haut.

Tout est « serré » dans son œuvre, autant les personnages que les édifices. L’expression de l’unité implique hommes et femmes à l’intérieur de la ville, représentée par la coupe d’une rue. Et, au-delà de la rue, c’est le Monde que l’artiste invoque. La ville est typique des Pays-Bas, reconnaissable à son architecture de style flamand. 

L’artiste, qui utilise principalement l’acrylique, est passée maître dans la restitution du relief qu’elle réalise, non pas par un apport de matière traitée au couteau mais bien par des collages extrêmement fins réalisés par des papiers très résistants, augmentant de ce fait, le côté charnel de l’œuvre d’apparence étonnamment lisse. Au fur et à mesure que le regard se rapproche, la matière se révèle dans une granulosité maîtrisée. 

YVONNE MORELL a fait ses académies dans différentes écoles d’art. Elle organise aujourd’hui des cours de peinture pour enfants et adultes, tout en participant à des expositions. La quotidienneté de la vie associée à ses humeurs se révèle être l’âme de son art.

L’humour, mentionné plus haut, devient la sève qui donne vie à chacune de ses compositions où l’innocence devient la force vitale de l’expression. Il s’agit ici d’un humour discret, voire réservé qui se libère en associant le visiteur à son propre quotidien devenu souvenir, parfum et nostalgie. L’ordinaire devient ainsi extraordinaire par la vision qu’elle offre de l’instant joyeux cueilli dans sa simplicité.

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Yvonne Morell et François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

(29 mars 2017 photo Jerry Delfosse)

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Signature d'Yvonne Morell

                   12273217878?profile=original            Exposition  Yvonne Morell à l'Espace Art Gallery en mars et avril 2017 - Photo Espace Art Gallery

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administrateur théâtres

12273041288?profile=original Alas, the  SINGING BRUSSELS CELEBRATION WEEKEND is over !

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BOZAR   a donc démarré sa nouvelle saison en  C H A N S O  N S !  De  tous les coins de la Belgique, des groupes d’amateurs sont venus se produire pendant tout un week-end dans le dédale des lieux mythiques du palais des Beaux-Arts de Bruxelles les 12, 13 et 14 septembre derniers. Une palette impressionnante de styles: des chœurs professionnels dont la réputation n’est plus à faire, dont Voces 8 et The Tallis Scholars, mais aussi, et surtout, plus de 50 chœurs amateurs venus de  partout en Belgique.

 Entre les concerts, des musiciens professionnels  ont animé des ateliers de chant pour petits et grands.  Au programme,  Le projet Equinox sous la direction artistique de Maria Jao  Pires et le soutien de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, pour des enfants en situation difficile. Mais le clou de la participation des visiteurs, c’était le dimanche à 13 heures dans la grande Salle Henry Le Bœuf où  un des « Top of the Charts anglais » – les Voces 8 – dévoilaient à un public d’amateurs pendant une bonne heure les mécanismes de base de leurs compositions extraordinaires. Ils organisent d’ailleurs des semaines entières de stage sur le sol anglais! Si le cœur vous en dit…  Après une demie heure d’échauffement et d’exercices variés et ludiques  toute  l’assemblée chantait  « Skyfall » (le dernier James Bond) avec la soliste. Une expérience inoubliable!

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La vénérable institution des Beaux-Arts de Bruxelles a donc secoué les esprits et les c(h)œurs…A tous les étages et dans tous les recoins, malgré les travaux en cours, pendant trois jours,  c’était un joyeux festival qui avait encore des airs d’été alors que c’est bel et bien la rentrée ! Parmi les joyaux de ces vendanges d’automne en dehors du splendide concert de Voces 8 donné le samedi soir devant une salle  Henri le Bœuf délirante de bonheur, citons le très sympathique ensemble de Namur ( Voix-ci Voix-là, Arianne Plangar)  qui a transformé le Hall Horta en salle bourdonnante de plaisir, chacun  fort tenté de muser des tubes de la musique française en même temps que les 80 choristes.  On ne peut bien sûr,  ni  citer  toutes les formations musicales, ni les avoir toutes écoutées !

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 Mais le dimanche après-midi, la salle Henry Le Boeuf était particulièrement fertile en crus musicaux de haute voltige, tous d'origine flamande. Tout d’abord, «  Just for Fun » un groupe de Malines noir blanc rouge,  dirigé de main de maître par Johan De Lombaert.  Après leur « Sweedish tune: ‘Balambam… douja la Bamba, badadua Wap…’ chanté a capella, suivaient de près, Duke Ellington, Pink Panther, I can’t get the melody out of my mind. Ils sont venus en train avec leur chef, Johan De Lombaert, “Tchou,tchouoû! Aussi «The Earthsong » de Michael Jackson pour faire plaisir aux choristes et aux spectateurs, dit-il.

12273043300?profile=originalPlace  ensuite à Musa Horti, un ensemble vocal de toute beauté qui vient d’éditer un superbe album « AUS DER TIEFE ». Fondé en 1989, leur point d’attache est l’abbaye du parc d’Heverlee. Ils portent le coquelicot des Flanders Fields à la boutonnière. Cet ensemble est constitué d’une trentaine de choristes très engagés. Le thème de leur album est « guerre et paix » et nous avons pu faire un parcours plus que lumineux avec eux en écoutant de nombreux extraits tels que « Wie liegt die stadt so wüst » de Rudolf Mauersberger , « Warum ist dans Licht gegeben dem Mühseligen » de Johannes Brahms, « How they so softly rest » de Healey Willan et « Lux aeterna » de Edwar Elgar.

 12273043683?profile=originalLe chœur mixte De Vedel  de Turnhout est d’un tout autre style… Sous la baguette d’Els Germonpré ils ont participé au Cobra’s Classic battle et ont reçu une distinction spéciale du jury, tout comme le Brussels Chamber Choir. C’est l’humour, la diversité  et le dynamisme qui président  décidément à leur programme. « Avond geluiden » sur un texte de Paul van Ostaaijen mais aussi un hilarant  « Old Mc Donald had a farm » et un pot-pourri « Name the tune » de Grayston Ives encore plus jubilatoire!

12273044665?profile=original12273045259?profile=originalLe Waelrant Kinder en Jeugdkoor terminera cette après-midi très éclectique. Il s’agit d’une formidable entreprise pédagogique qui rassemble 120 jeunes âgés de 8 à 25ans et qui ont remporté le Cobra’s Classic Battle avec à leur tête Marleen De Boo , une femme passionnée, formée à l'institut Lemmens.  Leur bastion est Borgerhout et  ils ouvrent leur enseignement aux enfants dès l’âge de 5 ans. Avec six chœurs,  des jeux de couleurs musicales, une belle variété des pupitres et des chorégraphies et des mouvements réglés au millimètre, leur représentation regorgeait d’inventivité et de musicalité, mêlant la culture flamande aux musiques du monde.  

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Haut les chœurs! De la musique classique et chansons de la Renaissance jusqu’aux Gospels, pop, jazz et musiques du monde, nous avons été émus de voir que notre capitale,  toutes les catégories d’âges et  de sensibilités confondues,   pouvait vibrer avec une telle intensité lors  de ce  premier Singing Brussels Celebration Weekend*. Les musiques du monde étaient aussi très présentes avec des chœurs marocains, turcs, africains, latino-américains... Cet événement unique et que l’on espère beaucoup voir se réitérer l’an prochain, nous rappelle  que la pratique du chant est la forme d’expression collective la plus ancienne et la plus universelle qu’il soit, mais surtout qu’elle est là pour enchanter tant le public que les choristes.

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« *BOZAR n’est pas seulement destiné à l’artiste professionnel, mais veut aussi accueillir les arts amateurs, synonymes d’engagement et d’énergie. L’art amateur représente un riche bouillon de culture et donne de l’oxygène au secteur professionnel. Et n’oublions pas que tous les grands musiciens ont commencé en tant qu’amateurs… » Paul Dujardin, CEO et directeur artistique du Palais des Beaux-Arts.

 Nous apprenons aujourd'hui qu'à l’occasion de sa rentrée académique, l’ULB honore deux personnalités belges, Paul Dujardin (directeur du Palais des Beaux-Arts) et Peter de Caluwe (directeur de la Monnaie) qui recevront les insignes de Docteur honoris causa, en hommage à leur action culturelle et aux institutions qu’ils dirigent. La séance académique se déroule le vendredi 19 septembre à 16h45 (Amphithéâtre Henri Lafontaine – campus Solbosch)

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                         LE SURREALISME ANCESTRAL DE WILLIAM KAYO

 

Du 30-04 au 18-05-14, l’ESPACE ART GALLERY (35, Rue Lesbroussart, 1050 Bruxelles) organise une exposition consacrée à l’artiste Camerounais WILLIAM KAYO, intitulée LES PIECES DU TEMPS.

Dire de l’art contemporain africain qu’il résulte d’un brassage entre les expressions artistiques autochtones et les principaux courants occidentaux est effectivement fort juste, néanmoins, n’en va-t-il pas de même pour toute forme d’art en pleine régénérescence ? Qu’aurait été l’art Français du début du 20ème siècle si ce dernier avait refusé d’explorer les plastiques ainsi que les mythes océanien et africain ? De quelle autre façon aurait-il pu prendre conscience de ce qu’André Malraux appelait : la prise de conscience de la totalité de l’Art ?

Il y a un certain nombre d’années, dans une galerie bruxelloise en vogue, se tenait une exposition sur l’art contemporain des Schona du Zimbabwe. C’était, à l’époque, l’une des premières tentatives de présentation d’œuvres contemporaines africaines. Et ce choix n’était en rien anodin, en ce sens que concernant l’histoire des arts traditionnels de l’Afrique Noire, l’art Schona représente une exception car il s’agit d’une des rares sculptures lithiques, par opposition à la tradition plastique sur bois, que l’on retrouve dans la totalité du continent africain. Contrairement à ce que d’aucuns imaginaient, les réactions furent pour le moins mitigées, en ce sens que le sentiment de regarder des pièces issues d’artefacta occidentaux auxquels l’on aurait apporté « une touche » africaine, se dégageait. En fait, l’idée sous-jacente au sortir d’une telle exposition était la suivante : ce qu’a fait un Brancusi, un sculpteur Africain peut le faire aussi ! Evidemment, l’Art du 20ème siècle fut régénéré par l’ « Art Nègre » mais force était de constater, à l’époque de cette exposition sur l’art Schona contemporain, que quelque soixante-dix ans plus tard, les artistes Africains assuraient un « retour à l’expéditeur » en bonne et due forme. Heureusement, et ce depuis maintenant plusieurs années, nous n’en sommes plus là ! Une voie a été tracée laquelle recule constamment les sentiers battus.

 

Et le résultat s’exprime avec un créateur tel que WILLIAM KAYO.  

De quelle manière considérer son œuvre au sein de l’histoire de l’art africain contemporain ? Il s’agit d’un artiste qui, adolescent, entra de la façon la plus anodine, en contact avec l’art de Salvador Dali tout simplement en feuilletant un journal. Ce contact, absolument fortuit, le conduisit à aimer follement le Surréalisme, au point de s’engouffrer dans cette voie comme première approche créative jusqu’à trouver, au fil du temps, son propre langage à l’intérieur d’un substrat culturel fourmillant de traditions à la fois orales, musicales et plastiques.

Au premier regard, une alchimie subtile entre l’Afrique et l’Occident perce des œuvres de ce plasticien. Nous somme subjugués par la maitrise avec laquelle ce dernier appréhende l’espace et la lumière.

SOLITUDES (80 x 80 cm – technique mixte)

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est une évocation scénique d’une Afrique ancestrale, enveloppée dans un halo en fusion, composé de blanc évanescent se mariant au vert virant vers le jaune-clair. Les personnages évoluent dans un décor rural. Dans cette œuvre, l’on remarque une interpénétration réussie entre le dessin (ce fut sa première forme d’expression) et la peinture. Cela apparait flagrant avec le rendu physique du jeune agriculteur, lequel est très peu atteint par la polychromie dont les contours à la mine structurent les lignes directrices, tant pour l’anatomie que pour les vêtements. Une zone se révèle vers le haut, à droite du tableau, laissant apparaître ce qui ressemble à une ferme, auréolée d’une lumière flamboyante. Une portion de la toile a été soulevée et travaillée vers la droite, accentuant  l’impression d’une construction architecturale.

La conception des personnages est caractéristique de l’œuvre de WILLIAM KAYO, en ce sens qu’à l’exception de PORTRAITS (65  x 70 cm – technique mixte),

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présentant des femmes Africaines souriant ainsi que pour SOLITUDES, où le jeune agriculteur a manifestement été portraituré, les personnages conçus par l’artiste se réduisent à la plus simple expression de silhouettes, frêles et diaphanes, souvent campées debout, toujours baignées d’une lumière enveloppante, mises en exergue par un contour extrêmement appuyé, conçu à la sciure de bois.    

« Les silhouettes nous suivent », affirme l’artiste, en pointant son doigt vers le sol pour désigner nos ombres. Ce sont là les traces que nous laissons de nous-mêmes ».

Dans HORIZONS (90 x 90 cm – technique mixte),

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les silhouettes se dressent au loin. Une zone rouge incandescente, comprise entre des notes bleues, en dégradés et jaunes, fait irruption au centre du tableau.

Est-ce l’horizon qui se dessine ? Toujours est-il que dans cette œuvre les personnages féminins, plutôt stylisés, « regardent » au loin. Sauf que nous ne voyons pas leur regard, nous le devinons. En fait, nous le devinons parce que nous substituons le nôtre au leur. Et cette boite de cirage rouillée, campée au cœur d’une zone noire, à hauteur du regard, que l’artiste a trouvée au fond d’une poubelle, arrive dans la composition comme un imprévu, un élément volontairement perturbateur, censé brouiller la magie du moment. Où se situe-t-elle face à l’horizon ? Où se place-t-elle face à nous-mêmes ? Et cet horizon qui divise le tableau, qu’est-il réellement ? Le visiteur se situe précédant les personnages mais de quel côté de l’horizon est-il lui-même ? L’horizon est une vue de l’esprit car il change selon les latitudes. Selon que l’on se situe d’un côté ou de  l’autre. Observez cette série de collages, à peine perceptibles, réalisés de façon minimaliste, se fondant dans les diverses zones chromatiques, sous-tendant à l’instar d’un muret imaginaire, le haut et le bas du tableau, tel l’horizon définit le ciel et la terre. Le titre de l’œuvre se décline au pluriel. Sa lecture nous en fournit les clés.

Les couleurs ont une grande importance. Celles utilisées par l’artiste peuvent globalement être rangées en deux catégories :

Couleurs tendres : PORTRAITS (mentionné plus haut) - SOLITUDES (mentionné plus haut) – JOUEUSES DE NGONI (65 x 70 cm – technique mixte)

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Couleurs vives : TOTEMS (90 x 90 cm – technique mixte)

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HORIZONS (mentionné plus haut) – SCENES (50 x 90 cm – technique mixte)

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Mais il y a aussi (cela arrive souvent) une catégorie intermédiaire dans laquelle couleurs tendres et vives se côtoient dans un résultat surprenant :

JUST FOR DREAM (65 x 70 cm – technique mixte)

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retient notre attention parce  qu’il pose une question cruciale : y a-t-il un surréalisme « à l’africaine » ?

Ou le surréalisme est-il définitivement universel, susceptible d’être interprété selon chaque sensibilité culturelle ? La force du surréalisme est qu’il nous révèle un autre Sacré : celui du quotidien transcendé par le pouvoir d’une démarche immanente.

Grand amoureux de René Magritte, l’artiste garde un lien à la fois affectif et esthétique avec le surréalisme classique. 

Quelles sont les particularités du style surréaliste de WILLIAM KAYO ?

Surréalisme classique : statisme des personnages, encadrés dans cinq zones compartimentées, telle en architecture en suspens. A l’instar du « surréalisme » magrittien, le personnage est, avant tout, statique, voire impassible. Il évolue, soit en dehors de tout cadre architectural, soit au sein d’une architecture qui ne s’impose nullement par rapport au personnage.

William Kayo : les personnages sont en habits traditionnels – utilisation de la lumière (vive et chaleureuse) par rapport à celle de Magritte (relativement tiède ou objet d’analyse psycho-chromatique : cfr. L’EMPIRE DES LUMIERES (1953-54).   

Il s’agit, chez l’artiste, d’une conception plastique de l’onirique qui envisage le rêve que pour ce qu’il est. Non pas d’une arme contre un système d’idées. Il est vrai que si la symbiose entre surréalisme et art africain interpelle à plus d’un titre, c’est parce qu’elle exprime cette volonté de rapprochement interculturel, désormais ancrée dans le siècle. Une démarche que l’artiste qualifie de Modernité : un brassage des meilleures influences culturelles venues de l’extérieur, enrichissant le substrat culturel vernaculaire.

Quiconque connait un tant soit peu les arts traditionnels de l’Afrique Noire, ne peut séparer les productions artistiques d’avec leurs composantes magico-religieuses. C'est-à-dire, les réalisations plastiques, d’une haute perfection technique du monde fabuleux des esprits ayant souvent revêtu le statut d’Ancêtres. Un monde tel que celui-là peut aisément se passer de « surréalisme » car ses racines baignent dans une spiritualité immémoriale. Un monde dans lequel l’Homme, passant de classe d’âge en classe d’âge, se fond dans une conception de l’Histoire tendant vers l’Humanisme comme finalité. L’Humanisme africain ! 

WILLIAM KAYO assure ce rapprochement interculturel en le considérant comme un « engagement », qu’il fait vivre pleinement au visiteur, en interpellant ses interrogations propres sur le Monde. Les messages  culturels qu’il met en exergue sont exprimés de façon subtilement politique.

Nous le constatons dans  JOUEUSES DE NGOMI (déjà mentionné). Le « ngomi » est un instrument à deux cordes, typique de la région de l’artiste.

Jadis, il était joué exclusivement par les femmes. Désormais, ce sont les hommes qui se le sont approprié et voient d’un très mauvais œil les femmes qui le pratiquent.

Précisons, néanmoins, que si les hommes l’ont adopté, c’est essentiellement en tant qu’ « arme » pour exprimer un message de paix. La sœur cadette de l’artiste joue d’ailleurs de cet instrument, de façon professionnelle, en dépit de l’interdiction dictée par les hommes.

L’artiste qui a réalisé ses études artistiques à l’IFA (INSTITUT DE FORMATION ARTISTIQUE de Mbalmayo, au Caméroun), ne s’abandonne jamais à une surcharge de matière pour attaquer la toile. Tout « excès » existant se justifie dans sa fonction créatrice : conception du volume pour les tissus (cfr. TOTEMS), structures portantes pour chaque cadre (cfr. JUST FOR DREAM).

Il retravaille toujours ses tableaux à la sciure de bois et n’hésite jamais à utiliser des éléments extérieurs tels que le papier ou divers accessoires en fer, interagissant avec la perception immédiate du visiteur.

Bien que jeune, il totalise déjà vingt-six ans de travail et nous avoue qu’il n’aurait jamais pensé trouver dans la peinture l’objet de sa vocation.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il espère de l’art africain contemporain, il axe ses espoirs sur une amélioration concernant les structures existantes permettant d’élargir les possibilités à l’accès au Marché de l’Art pour les artistes Africains qui se battent face à ce qu’il qualifie de « chasse gardée ».

WILLIAM KAYO se bat avec son art pour permettre au Monde d’accéder à la classe d’âge du dépassement.

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Collection "Belles signatures" (© 2014, Robert Paul)

François L. Speranza.

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Une publication
Arts
 
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Lettres

N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.

 

A voir: 

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza


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  François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles (30 avril 2014).

(Photo Robert Paul)

Au vernissage du 30 avril 2014:

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Madame Fadila Laanan, Ministre de la culture et William Kayo

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William Kayo et Robert Paul

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administrateur théâtres

 

12272774680?profile=originalMy name is Billie Holiday  de et avec Viktor Lazlo

 

« La tristesse est là, désormais inséparable de la chanteuse ; on entend à chaque pause de la voix, dans les plis de la mélodie, un à quoi bon ? lancinant, le pourquoi pas ? d’une inquiétude sourde ; on devine ses yeux fermés sur un pleur intérieur, sa tête un peu penchée de côté, comme tendue vers une autre voix mystérieuse, ses mains enserrant le micro, tremblant imperceptiblement. On entre dans sa mélancolie comme y entrent ses partenaires, respectueux de ce qu’ils sentent en elle de vulnérabilité et de douleur profonde, et lui faisant écho sobrement. Ce n’est pas encore la détresse ; une lassitude plutôt, la volupté du laisser-faire, une sorte de nostalgie envahissante contre laquelle on sait qu’on ne peut rien - que pleurer. Elle chante, car elle a ce don bouleversant, cette capacité à transformer les larmes en notes de musique et à égrener ses sanglots en arpèges. »

Les Chants de l’aube de Lady Day

Danièle Robert

 

Au Public en cette fin d’année 2011, un spectacle de fête et d’émotion, pour les yeux et les oreilles, célèbre une voix légendaire, celle de la  chanteuse américaine Billie Holiday. Malgré une vie traumatisante dès la prime enfance, l’absence du père (Clarence Holiday, 17 ans), la débrouille forcée de la mère (Sadie Fagan, 13ans), des violences répétées tout au long de sa vie et la déchéance dans laquelle elle sombre à cause de l’alcool et les drogues, elle sera une diva fascinante et une figure unique dans l’histoire du jazz. « Ma mère m’a aimée dès qu’elle senti un coup de pied dans son ventre alors qu’elle frottait par terre. » « Ma mère était mon grand amour, c’était mon mac ». A propos de Clarence : « Some day he will come along. I’ll do my best to make him stay ». Question universelle :  Pourquoi les enfants maltraités aiment-ils toujours leurs tortionnaires ? 1936, Billie  a 21 ans : «You go to my head   and you linger like a haunting refrain, And I find you spinning 'round in my brain Like the bubbles in a glass of champagne. » «Though I'm certain that this heart of mine Hasn't a ghost of a chance In this crazy romance You go to my head, you go to my head»

 

  Entourée par quatre musiciens de jazz très attachants et complices, Viktor Laszlo nous offre sa voix troublante, sa démarche de reine, ses postures sensuelles, son mystère pour conter, chanter et incarner la résilience de l’exceptionnelle chanteuse. « Comment est-ce possible d’arriver si loin et de se détruire autant ? ».  Viktor Laszlo use de tout son charme pour adapter les chansons de la diva noire et dialogue  même de temps en temps avec elle grâce à la fée vidéo. Parfois on peut les imaginer en duo, à moins que Viktor Laszlo, perchée sur un tabouret ne refasse en solo la bande son d’un document du siècle dernier. Comme Billie Holiday, sa voix est déchirée et déchirante, le rythme est fait de ce swing si particulier alternant avec une mélancolie profonde et très intime.

Le pianiste égrène des notes perlées, ce sont des perles de sang pour la chanson la plus poignante :  Strange Fruit en hommage aux noirs punis par pendaison. Difficile de retenir ses larmes.  You’ve changed, Don’t explain, Fine and mellow…. Love for sale, Summertime, Georgia … , ces chansons  nous plongent dans l’émotion et le vécu tragique  de l’artiste. Toutes les chansons sont aimablement  traduites en français dans le programme mais tout  le charme est dans la version originale qui remue le cœur et le corps tout entier. On est sous le charme de deux femmes qui se sont rejointes par la poésie et la musique pour traduire la colère, le désespoir et la folie de l’amour. Il n’y a pas de plus beau cadeau pour fêter la fin de 2011 et faire un retour inoubliable sur une des richesses du 20e siècle.

 

 

Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees

Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit suspendu aux peupliers.

Pastoral scene of the gallant South,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolia sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh!

Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum de magnolia doux et frais,
Puis l'odeur soudaine de chair brûlée !

Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.

C'est un fruit que les corbeaux cueillent, 
rassemblé par la pluie, aspiré par le vent,
Pourri par le soleil, laché par les arbres,
C'est là une étrange et amère récolte.
 
 
 
 

Spectacle musical

MY NAME IS BILLIE HOLIDAY

de et avec VIKTOR LAZLO
avec Viktor Lazlo (chant et narration), Michel Bisceglia (piano et direction musicale), Werner Lauscher (contrebasse), Marc Lehan (drums), Nicolas Kummert (saxophones)

DU 13/12/11 AU 07/01/12

Réveillon de Nouvel An au théâtre


Réveillon de Nouvel An au théâtre 

31 décembre 2011,

une soirée chaleureuse pour

les amoureux de théâtre !

 

Commencez votre soirée dans des bulles de champagne,

assistez ensuite, à 21h00, à une représentation de votre choix…

 

Georges Dandin in Afrika d’après Molière

Quand j’avais 5 ans je m’ai tué d’Howard Buten

My name is Billie Holiday  de et avec Viktor Lazlo

 

La place de spectacle et la coupe de champagne au Public pour 35€

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René Char, Lettera amorosa

char.jpg "Ni bluette sentimentale, ni mol épanchement, l'adresse amoureuse condense chez les poètes les plus vifs enjeux de l'existence et c'est en elle sans doute qu'ils portent la langue à son plus haut degré d'incandescence. La question de l'autre, celle du désir et de la perte, est au coeur de la poésie, comme un pas de danse sur l'abîme; l'amour/la poésie, deux visages d'un même mystère." (Jean-Pierre Siméon).

 

« Je ne puis être et ne veux vivre que dans l’espace et dans la liberté de mon amour » écrivait René Char dans le poème Lettera amorosa.

Lettera amorosa, (La Lettre d’amour) est le titre d’un poème de René Char paru en 1953, emprunté à un madrigal du compositeur italien Claudio Monteverdi.

En voici un extrait : « Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité. Tu élèves au bord des eaux des affections miraculeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’action, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres.»

La destinataire de cette Lettre d’amour désignée par le mot « iris » et dont le poète ne révèle pas le nom est peut-être Marguerite Caetani, princesse Bassiano, « bonne et terrible, amie affectueuse et tigre cruel », aux dires de Paul Valéry.

« Poète à poigne », colosse au cœur tendre – il mesurait 1 mètre 94 – René Char était un homme entier, « tout en droiture, en colère et en refus » qui refusait interviews et honneurs.

Souvent qualifiée d’hermétique, la poésie de René Char affirme cependant la sensualité de la réalité sensible à travers les paysages, les végétaux et le bestiaire de la Provence. Poésie du mot plus que de la phrase, du geste plus que du mot, elle est proche du silence.

Fait exceptionnel, les œuvres complètes du poète parurent de son vivant, en 1983, dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade.

Son ami Albert Camus déclara en 1957, lors d’une conférence donnée à Stockholm avant la remise de son Prix Nobel : « Cette œuvre est parmi les plus grandes, oui vraiment les plus grandes que la littérature ait produite. Depuis Apollinaire en tout cas, il n’y a pas eu dans la poésie française une révolution comparable à celle accomplie par René Char. »

René Char, œuvres complètes, introduction de Jean Roudaut, bibliothèque de la Pléiade NRF Gallimard. René Char, Lettera amorosa, illustrations de George Braque et de Jean Arp, NRF Poésie/Gallimard, n° 430, 2007
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Nietzsche: Humain trop humain

"Humain trop humain" est un ouvrage du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900), commencé au cours de l'été de 1876, achevé en 1878 et publié au printemps de la même année. Conçu à Bayreuth, il fut en majeure partie dicté à Peter Gart, alors étudiant à Bâle. La première édition était dédiée à la mémoire de Voltaire, dont c'était le centenaire le 30 mai 1878.

L'ouvrage se présente sous la forme d'une série de 638 aphorismes tirant leurs titres de sujets divers et ordonnés en neuf parties, conçues à l'origine comme autant de "Considérations inactuelles" et devant faire suite aux quatre précédentes déjà publiées entre 1873 et 1876.

Dans la première partie "Des choses premières et dernières", Nietzsche fait observer que le monde métaphysique constitue, par définition, la plus indifférente des connaissances, aussi indifférente que doit l'être "au navigateur dans la tempête la connaissance de l' analyse chimique de l'eau" (Aphorisme 9). A la métaphysique, il opposera donc sa propre philosophie "historique", tendant à retrouver dans tout ce que la pensée avait considéré jusque là d'origine transcendante, une sublimation d' humbles éléments humains. Cette philosophie nouvelle doit consacrer son triomphe dans une histoire des origines de la pensée, qui ne verra, dans ce que l'homme appelle "monde", que la somme des erreurs et des élucubrations de l'esprit humain, héritées des plus anciennes générations. Pour l'auteur, l'origine de l' idée métaphysique est le langage, qui, doublant en quelque sorte la réalité, place un nouveau monde à côté du monde réel: erreur bénéfique qui permit le développement de la raison et, en particulier, celui de l'activité logique et de ses concepts. Il n'hésite pas à  remonter la succession phylogénétique, jusqu'aux rudiments d'une vie bestiale, pré-humaine, et plus loin encore, à la vie végétale, afin d'y retrouver l'origine des concepts, sans soupçonner une seul instant l'insuffisance d'une telle démarche dans un domaine où seule l' analyse transcendantale pourrait prétendre se frayer une voie. Selon Nietzsche, c'est au niveau de notre existence végétale que remonterait la notion d' égalité", justifiée par la paix éternelle dans laquelle vivent les plantes. De ce concept illusoire d' égalité, l'idée de nombre aurait plus tard tiré son origine, -de même, le principe des "substances" provient du fait que les yeux trop faibles des premiers organismes voyaient en tout la "même chose": quand à l'idée de liberté, elle se serait formée à partir de la croyance erronée en l'existence de choses isolées, sans rapport avec le reste. Dans d'autres aphorismes, l'auteur voit l'origine de la métaphysique dans ce "malentendu" qui naquit "à propos des rêves": à des époques encore frustes, n'en vint-on pas à croire que l'on vivait, en dormant, dans un deuxième monde irréel. Nietzsche a cependant conscience de tout ce qui peut se trouver détruit par une philosophie libérée de la métaphysique: étant donné que le monde en tant qu'erreur est considéré par lui comme quelque chose de "profond, de merveilleux", et que la disparition de la métaphysique implique l'énorme avantage de supprimer toute impulsion à l'accomplissement d'oeuvres grandes et durables. Mettant alors un frein à son esprit de négation, il voit dans sa critique un mouvement "rétrograde", qui ayant pris connaissance des raisons psychologiques des conceptions transcendantes, reconnaît ensuite qu'un plus grand progrès humain est dû à ces anciennes erreurs.

Dans la deuxième partie, "Pour servir à l'histoire des sentiments moraux", l'auteur aborde le problème éthique. Nietzsche tient pour essentielle, à l'égard de la morale, la proposition selon laquelle nul n'est responsable de ses actes, à telle enseigne que juger équivaut à être injuste. L'homme n'est qu'un amas changeant de sentiments. Les hommes cruels ne sont rien d'autre que "des arriérés dont le cerveau, par suite de tous les accidents possibles au cours de l' hérédité, n'a pas subi une série de transformations assez délicates et multiples" (Aph. 43): la méchanceté est rare, et même, n'existe pas. Le mensonge lui-même n'a aucune signification morale, puisque dire la vérité n'a d'autre raison que la commodité, le mensonge exigeant imagination et mémoire: un enfant qui grandit dans une atmosphère familiale compliquée, apprendra naturellement à mentir, et en toute innocence. Un principe absolu et transendant n'est donc pas nécessaire à l'explication des soi-disant valeurs morales: par exemple, une armée valeureuse convaincue de l'excellence de la cause qu'elle défend. En général, la morale est une "autodécomposition"; il est impossible d'être altruiste: si une mère par exemple se sacrifie pour son enfant, c'est qu'elle porte son fils "en elle-même", et préfère cette part d'elle-même à tout le reste.

La troisième partie, "La vie religieuse" contient en germe les thèmes (développés par la suite dans "L' Antéchrist" de la lutte que Nietzsche mènera contre le christianisme, tenu pour une "haute ordure", en raison de son culte morbide de l' absurde morale et logique, de son "asiatisme" et de son exaltation du mépris de soi. Quant à leur origine, les religions découlent d'une part d'une fausse interprétation de la nature, de l'autre du besoin, propre à toute morale ascétique, d'exalter une part de soi en tant que partie intégrante de Dieu, parallèlement à un abaissement et à une "satanisation de l'autre face de sa personnalité.

La quatrième partie "De l' âme des artistes et des écrivains", entend surtout définir les caractères essentiels de l' art, qui doit, dans ses productions, présenter les caractères d'une immédiate et soudaine révélation, alors qu'en réalité il suppose une patiente et complexe élaboration logique et critique. Quant à la fonction essentielle de l' art, Nietzsche la voit dans sa force d'élévation en tant qu' initiation au sentiment de l' innocence du devenir.

Les "caractères de haute et basse civilisation" sont recherchés et définis par l'auteur dans la cinquième partie. Ici, il s'attache surtout au mystère des origines du génie, remontant à ces conditions premières que sont la nature et l' histoire, et à ce qui distingue l'esprit libre, l' "esprit fort", de l'esprit bon selon les critères du vulgaire. Pour Nietzsche, la nature emprisonne le génie tout en exaltant au plus haut degré sa volonté de libération. L'esprit de la civilisation est ressenti comme l' union, à l'image du centaure, de deux instincts opposés, l' angélique et le spirituel. Seule une extrême tension des énergies en conflit engendre le climat propice à l'apparition du génie, tandis que le "bon" caractère n'est que soumission aux circonstances. Dans cet esprit, l'auteur donne une puissante interprétation de la Renaissance italienne, l'opposant à la Réforme protestante comme la lumière s'oppose à l'ombre.

Dans la sixième partie, "L'homme dans la société", nombre d' aphorismes soulignent crûment la vanité et l' égoïsme qui constituent le fond de toute amitié, des luttes, des polémiques et en général de tous les rapports humains: l'influence des moralistes français du XVIe au XIXe siècles est manifeste dans ces pages: mais certains aphorismes se réfèrent encore tacitement à d'humaines valeurs morales, comme la bienveillance, la générosité. Cette partie s'achève sur une remarquable envolée dans laquelle, abandonnant toute justification de l' égoïsme, Nietzsche appelle la venue de l'ère joyeuse où, au lieu du vieil adage: "Amis, il n'y a pas d' amis!", on pourra dire: "Ennemis, il n'y a pas d' ennemis".

Avec la septième partie, "La femme et l' enfant", l'auteur se livre à de pertinentes remarques. Le mariage, selon lui, doit être fondé sur l' amitié, être semblable à une "longue conversation". Les traits essentiels de l'esprit féminin sont notés avec beaucoup de lucidité, à l'encontre des opinions superficielles et couramment admises. On y relève également de pénétrantes observations relatives au drame de l' enfance, souvent sacrifiée en raison du désordre moral des parents.

Avec la huitième partie, Nietzsche jette un "Coup d'oeil sur l' Etat". Son tempérament aristocratique le conduit à dénoncer, dans les deux maux opposés de la démagogie et de l'idolâtrie de l' Etat, le plus grand péril pour le développement de l'esprit. Pour lui, le socialisme n'est rien d'autre que le frère cadet du défunt despotisme. Le dernier aphorisme ne voit dans les opinions publiques que des paresses privées.

"L'homme avec lui-même" constitue le sujet de la neuvième et dernière partie. Deux thèmes principaux: la valeur de la justice intellectuelle opposée au fanatisme des convictions absolues, fruit de la passion et de la paresse d'esprit: et la consicence qu'a Nietzsche de sa mission, vivement ressentie dans tous ses aspects: sentiment de danger moral qui s'associe secrètement à sa volonté de libération; fatigue et angoisses de l' isolement; mais aussi joie de la recherche aventureuse, altière et solitaire allégresse de la découverte, toutes choses qui seront exprimées d'admirable façon, sous une forme mythique, dans la dernière page: "Le voyageur" (Aph. 638).

"Humain trop humain, comme les ouvrages qui lui succéderont, doit sa forme aphoristique, souple et variée, à l'intime nécessité d'expression d'un esprit qui se cherchait sans cesse, et aux limites que ses infirmités imposaient à l'auteur, l'empêchant d'atteindre à une transcription plus complexe de sa pensée. La belle préface, que Nietzsche écrivit pour la deuxième édition de l'ouvrage, précise mieux qu'on ne le pourrait faire, quelle place revient à ce livre dans l'évolution spirituelle de son auteur: livre tout vibrant d'une suprême "volonté de santé" s'opposant à un romantisme morbide: passage du romantisme pessimiste à l' ironie positive qui justifie en quelque sorte la dédicace à Voltaire. Nietzsche du reste devait devenir lui-même le titre de son ouvrage: "Là où vous voyez des choses idéales, moi, je vois des choses humaines, hélas! trop humaines! Je connais mieux l' homme".

 

 

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Topoï                                                                 

 

Du mardi 24 au samedi 28 avril 2012 à 20h30

                  16, Rue de la Samaritaine. 1000 Bruxelles ( Sablon )

                                                  www.lasamaritaine.be                                                            

 

Une voix chaleureuse

Des guitares aux cordes en métal

Un clavier 88 touches aux sons électroniques

Une chasseuse de sons

Une chanteuse de fonds

De l'humour à la douceur

De l'émotion au surréalisme

De la plume à l'ordinateur

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Fabienne et Pascale vous proposent 

un nouveau spectacle aux reliefs sonores habités

Participez à l'univers onirique des chansons aux thèmes actuels

Pascale Snoeck: Sound Design/compositions/claviers

Fabienne Coppens: voix/compositions/guitares

Production Quoi d'Autre ASBL 

Avec le soutien du Collectif Travaux Publics ASBL 

et Interstices ASBL

Régie: Camille Coeckelberghs

Réservations au 02.511.33.95 (24h sur 24) ou samaritaine@skynet.be 24h (au moins) à l'avance

Entrée: 15€ - Prépaiement ou groupe: 12€, trois jours au moins à l'avance au compte BE93 0682 1876 8167

10€ avec carte d'étudiant. 

Et aussi Article 27 et Arsène 50: www.arsene50.be

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L'Essai sur le libre arbitre d'Erasme

12272997691?profile=original[De libero arbitrio diatribe sive collatio]. C'est le célèbre traité, publié en septembre 1524 à Bâle, par lequel Désiré Erasme de Rotterdam (Geert Geertsz, 1469-1536) prit position contre Luther et sa réforme religieuse.

Outrepassant la conception de saint Augustin, Luther affirme que le péché a déformé l'organisme psycho-physique humain dans sa substance, en le rendant absolument incapable de toute bonne action: seul le rachat du Christ peut accorder le salut. D'où la totale négation du libre arbitre chez l'homme, absolument passif entre les mains de Dieu.

Contre Luther, Erasme affirme ici la doctrine catholique qui veut sauver à la fois les droits de la liberté, sans lesquels il n'y a pas de vie morale, et les droits de la grâce, sans lesquels il n'y a pas de vie chrétienne. Le péché originel n'a pas détruit chez l'homme son aptitude au bien: il l'a seulement rendue embryonnaire. Le baptême la vivifie, ainsi l'homme peut parcourir le sentier de la vertu.

Le libre arbitre est la capacité de l'homme à s'appliquer aux choses qui conduisent au salut éternel ou à s'en écarter. Sans libre arbitre, il n'y a pas de responsabilité. Au "Libre arbitre", Luther répondit par le "Traité du serf-arbitre" et Erasme aurait répondu à son tour avec "L'hyperaspistes": la polémique eut des résonances énormes et contribua à délimiter, d'un côté, les orientations révolutionnaires de la Réforme, de l'autre le rationalisme et le personnalisme humaniste qui eut en Erasme un de ses plus illustres représentants. En effet, celui-ci bien qu'il ait cherché dans le "Libre arbitre" et dans "L'hyperaspites" à se concilier le catholicisme, fait preuve, à travers son équilibre élégant et clair, d'une attitude rationaliste, d'une indépendance d'esprit, qui conduisirent l'Eglise à condamner ses oeuvres.

A voir:

La maison d'Erasme à Bruxelles

 

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12272808888?profile=originalIl s'agit d'un recueil de poèmes en prose de Paul Claudel (1868-1955), publié dans diverses revues parisiennes (la Nouvelle Revue, la Revue blanche, le Mercure de France, l'Occident) du 15 septembre 1895 à mai 1905, et en volume au Mercure de France en 1900. L'édition définitive, très augmentée, paraît chez le même éditeur en 1907. En 1914, une édition dite «coréenne» fut composée à Pékin sous la direction de Victor Ségalen.

Le recueil s'ouvre sur une évocation de "Hong Kong" en versets, ajoutée en 1927: le poète a fixé le souvenir de la Chine éternelle. Le regard qu'il porte sur l'Extrême-Orient privilégie les thèmes qui structurent son espace intérieur: le son religieux de la cloche ("la Cloche"), le motif de la lumière ("la Lampe et la Cloche") et celui, récurrent, de l'étoile; la figure symbolique de l'arbre lui suggère ainsi des variations fuguées, du cocotier au pin en passant par le banyan. Souvent, le poète, «passant inexplicable», adopte une position extérieure à l'action afin d'accroître l'impression de mystère ("Jardins"); il tente de pénétrer l'esprit de la Chine au travers de ses constructions ouvertes ("Pagode", "l'Arche d'or dans la forêt"), du grouillement de ses cités antiques ("Ville la nuit") aux rues étroites ("Villes"), de l'architecture compliquée de ses temples ("Considération de la cité"). Le leitmotiv du seuil souligne la perméabilité réciproque du royaume des morts et de celui des vivants ("Fêtes des morts", "Tombes", "la Tombe"). Les demeures du poète-narrateur ouvrent toutes sur le spectacle du monde. Il finit par conjurer les douleurs de l'exil ("Pensée en mer"). Pour lui, la Chine présente «l'image du vide», symbole inversé de l'absolu, de Dieu, qu'elle ignore, lui préférant Bouddha ("Bouddha"). Il célèbre ("la Dérivation", "Salutation") alors avec d'autant plus d'ardeur les forces élémentaires: le Feu de l'énergie solaire ("l'Entrée de la Terre", "Ardeur", "Proposition sur la lumière"); l'Eau, élément unifiant ("le Fleuve", "la Source", "la Marée de midi", "la Terre quittée"); la Terre ("la Terre vue de la mer"); l'Air, puisque le poète respire au rythme du cosmos ("la Nuit à la Vérandah", "Splendeur de la lune", "la Descente"). Le poète-narrateur vibre au rythme des éléments cosmiques; «comme on dit qu'on comprend la musique, je comprends la nature, comme un récit bien détaillé qui ne serait fait que de noms propres» ("le Promeneur").

 

Les textes de Connaissance de l'Est sont regroupés en deux séries d'importance inégale. Le passage du XIXe au XXe siècle semble faire le départ entre les deux sections: la première (52 textes) fut rédigée de 1895 à 1899 et la seconde (9 textes) de 1900 à 1905. Sur cette répartition dans le temps se surimpose la symbolique de l'espace, lorsque Claudel découvre l'autre côté de la planète et franchit les «eaux essentielles». Connaissance de l'Est restitue les impressions sur la Chine que le poète rédigea au cours de sa carrière diplomatique: elles forment une sorte de mosaïque, organisée autour de la figure omniprésente du poète-narrateur. Cet itinéraire en apparence fragmenté témoigne aussi d'un approfondissement dans la connaissance de l'Orient. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la littérature de voyages fait florès. Mais, bien souvent, le cosmopolitisme apparaît comme un simple prétexte à l'exotisme. Claudel ne semble pas tant céder à une mode que s'efforcer d'aller vers une poésie plus descriptive pour se déprendre de la subjectivité dont témoignent les Vers d'exil, pour se raffermir et se défaire de son angoisse d'exilé. Cette poésie paraît avoir eu pour lui une fonction cathartique. De plus, rédigées dans un style relativement plus accessible que des textes plus travaillés, d'un lyrisme moins débridé, ces petites pièces en prose offrent la possibilité de saisir ses préoccupations presque quotidiennes, en tout cas immédiates, et de définir la cohérence de son imaginaire. Certes, le décor se fait facilement exotique, l'auteur évoque la nature (les rizières, les montagnes, etc.), la ville (les labyrinthes citadins, les maisons de thé), et les lieux de culte avec leurs cérémonies et les attitudes rituelles des moines. Cependant, la description claudélienne ne peut être parfaitement objective: alors que l'auteur a pour projet avoué de pénétrer l'essence de l'Orient, il trahit ses obsessions personnelles et l'on pourrait relever des images communes avec Tête d'or, l'Échange, Partage de midi ou Conversations dans le Loir-et-Cher. D'un point de vue idéologique, la Chine lui apparaît comme une sorte d'espace vierge où prolifère une végétation monstrueuse mais dont l'homme demeure le maître, ignorant l'aliénation européenne par la machine. Cependant Claudel ne se satisfait jamais du seul visible. De la foule chinoise monte la musique secrète de la communauté humaine, accordée à l'harmonie cosmique: «C'est cela que je viens écouter, car quelqu'un, perdant son intérêt dans le sens des paroles que l'on profère devant lui, peut lui prêter une oreille plus subtile» ("Tombes"). Il ne trahit pas là des préoccupations d'ordre social; pour lui, la misère des Asiatiques tient à leur ignorance de toute notion de transcendance, à leur méconnaissance de Dieu. Cependant, la nature chinoise lui renvoie une image visible de son art poétique. L'objet révèle le poète à lui-même, lui donne une conscience pleine et entière de ses sens et de leur fonction.

 

Ainsi se dessine, de façon dramatisée et lyrique, la figure du poète en quête de lui-même dans un monde soumis à la menace de la démesure, mais accordé au rythme de la mer et pénétré par le feu de la lumière. Les tableaux se déploient et les images se multiplient, orchestrées par un poète qui emprunte son rythme à celui du cosmos. Toute description du monde équivaut à une célébration du Dieu créateur, et définit la fonction médiatrice du poète, interprète de la volonté divine en actes dans le monde.

 

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