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12273002868?profile=originalIl s'agit d'un roman de  Jean Giono (1895-1970), publié à Paris chez Grasset en 1935.

Écrit entre le 2 février 1934 et le 19 janvier 1935, Que ma joie demeure renoue avec l'inspiration panthéistique de la trilogie inaugurée par Colline. Il revêt toutefois une ampleur, tant par son volume que par les multiples réseaux symboliques et mythiques qu'il esquisse, qui le distingue des
premiers romans, beaucoup plus brefs et resserrés. Il fait en outre pendant au roman suivant, Batailles dans la montagne: «On m'a accusé de pessimisme pour Que ma joie demeure. Peut-être, car c'est le livre de la bataille des esprits; Batailles est le livre de la bataille des corps» (Journal, 4 février 1936).

Jourdan, un cultivateur d'une cinquantaine d'années qui vit sur le plateau de Grémone, en Haute-Provence, rencontre un homme d'environ trente ans, Bobi, dont les paroles aussitôt l'envoûtent (chap. 1). Jourdan et sa femme Marthe accueillent Bobi chez eux, à la Jourdane; ce dernier est acrobate et leur montre ses tours (2). Jourdan présente Bobi dans les diverses fermes du plateau: celles de Carle, de Randoulet, de Jacquou et de Madame Hélène, une riche veuve qui vit seule avec sa fille Aurore (3). Bobi invite ensuite Jourdan à répandre son blé sur l'aire, et le spectacle des oiseaux affamés par l'hiver et venus s'assembler devant la ferme émerveille ses habitants et les emplit d'une joie jusqu'alors inconnue (4). Jourdan, qui a planté cette année-là des fleurs sur les terres jadis réservées aux cultures, donne ses économies à Bobi qui revient, au printemps, avec un cerf qu'il a acheté pour eux. Les paysans, ayant aperçu avec émotion l'animal laissé en liberté sur le plateau, se rendent tous à la Jourdane où ils partagent un joyeux repas, ce qui n'était jusque-là jamais arrivé (5-7). Aurore, adolescente ombrageuse, et Joséphine, jeune femme sensuelle mariée avec Honoré, sont fascinées par Bobi. D'un commun accord, les convives décident d'aller chercher des biches pour le cerf et, peu après, les hommes quittent ensemble le plateau et reviennent avec des biches qu'ils lâchent sur le plateau de Grémone (8-11). L'automne passe et Bobi rencontre un jour Aurore dans la campagne; elle se montre très agressive et il ne semble pas comprendre qu'elle l'aime. Carle donne la liberté à son étalon et Jacquou à ses juments car c'est la période des amours.
Quant à Randoulet, il a acheté un immense troupeau de moutons qu'il laisse pâturer librement sur le plateau (12-15). Sa fille Zulma, une innocente transfigurée par sa mission de bergère et devenue la «reine des moutons», vit avec eux dans la grande prairie. La découverte de la liberté apporte bonheur et rêves à tous, mais Madame Hélène et Aurore souffrent de leur solitude. Bobi pense à la jeune fille mais c'est Joséphine qui devient sa maîtresse. Un magnifique métier à tisser, construit pour Marthe à la Jourdane, est l'occasion d'un nouveau repas collectif durant lequel tous décident de récolter leur blé ensemble et de le mettre en commun (16-20). Aurore se désespère et, durant la récolte du blé, qui prend des allures de fête, elle se suicide. Bobi, accablé de tristesse, quitte le plateau et meurt peu après, foudroyé dans la campagne. Chacun rentre chez soi; c'est la fin de l'oeuvre collective (21-25).

Giono explique en ces termes le titre du roman: «J'ai pris pour titre de mon livre le titre d'un choral de Bach: Jésus, que ma joie demeure. Mais j'ai supprimé le premier mot, le plus important de tout l'appel, le nom de celui qu'on appelle, le seul qui, jusqu'à présent, ait compté pour la recherche de
la joie; je l'ai supprimé parce qu'il est un renoncement. Il ne faut renoncer à rien. Il est facile d'acquérir une joie intérieure en se privant de son corps. Je crois plus honnête de chercher une joie totale [...]» (les Vraies Richesses, 1936, Préface). Puisant son inspiration et ses symboles aux sources du paganisme aussi bien que du christianisme, Giono mêle les allusions à des croyances et à des mythes multiples, créant ainsi un univers romanesque singulier, où cependant, la référence chrétienne demeure: car le personnage de Bobi s'apparente au Messie. Il est attendu avec ferveur par Jourdan qui a le pressentiment de sa venue: «Depuis longtemps il attendait la venue d'un homme. Il ne savait pas qui. Il ne savait pas d'où il viendrait» (chap. 1). Ce qu'attend Jourdan, comme tous les habitants du plateau, c'est que Bobi le guérisse de ses maux, lui donne une raison de vivre: Bobi apparaît donc comme le Sauveur, comme celui qui vient proposer aux hommes une issue à leur misère et à leur désespoir. Sa parole a le pouvoir de captiver d'emblée ceux quil'écoutent, et il utilise d'ailleurs parfois des tournures qui rappellent le ton prophétique des Évangiles: «Vous croyez que c'est ce que vous gardez qui vous fait riche. On vous l'a dit. Moi, je vous dis que c'est ce que vous donnez qui vous fait riche» (9). Ainsi, bien des aspects du roman justifient cette remarque de Bobi à propos de sa dimension messianique: «Ils m'ont reçu comme le Bon Dieu» (12).

Toutefois, Bobi est fort loin de prôner l'ascèse chrétienne. Le corps, dans le roman, est lesté de son poids de désirs dont se nourrissent la vie et la joie. Grâce au nouveau venu, les habitants du plateau retrouvent cette ardeur du corps qui va de pair avec celle de l'esprit. Bobi lui-même est acrobate, c'est-à-dire une sorte de magicien du corps, et cède à l'empire de la sensualité dans sa relation avec Joséphine. Dépourvu de toute référence religieuse, son message propose à l'homme une vie en harmonie avec les forces naturelles. La libération et le bonheur procèdent de cet accord et l'on a pu voir, dans Que ma joie demeure, la présence d'une inspiration dionysiaque, à travers notamment la figure du cerf, qui amorce l'initiation, ou les épisodes des festins. En fait, si la quête que le roman met en scène a bien une teneur mystique, cette dernière revêt une portée universelle qui dépasse la singularité des systèmes religieux. De plus, le bonheur à trouver se situe dans l'immanence: c'est à l'homme qu'il incombe de créer sa propre joie. Bobi n'apporte aucune doctrine aux habitants du plateau; il leur apprend simplement l'acceptation d'eux-mêmes: «La vie c'est la joie. [...] Elle est basée sur la simplicité, sur la pureté, sur l'ordinaire du monde!» (12). Il leur révèle les richesses qui sont en eux et dans la nature qui les environne mais qu'ils ne savaient plus voir, aveuglés par la routine, aliénés par la recherche du profit plutôt que par celle du bonheur.

Cependant, le dénouement du roman est pessimiste. Bobi échoue puisque c'est vraisemblablement à cause de lui qu'Aurore se tue et puisque, après ce triste épisode, tous recommencent à vivre comme ils le faisaient avant sa venue. Bobi lui-même est anéanti et, quoique sa mort prenne la dimension d'une apothéose - «La foudre lui planta un arbre d'or dans les épaules» (24) -, le dialogue intérieur qui la précède montre le déchirement du personnage en proie à un doute qui ne sera pas résolu. Quant à l'avenir sur lequel ouvre la fin du roman, il est des plus ambigus. «Il reviendra [...], j'en suis sûre» (25), se répète un des personnages à propos de Bobi. L'espérance, cette valeur si chère à Giono, voisine ici dangereusement avec le leurre.

La seule qui parvient à édifier un «paradis terrestre» (16), c'est la bergère Zulma, une jeune innocente. Elle demeure toutefois solitaire, incapable de communiquer vraiment avec les autres hommes et reine d'un paradis peuplé seulement d'animaux. Conformément à la tournure du titre, qui formule un voeu plutôt qu'il ne pose une certitude, le roman présente la joie comme une
aspiration plutôt que comme un acquis. Fragile et précaire, elle est à la portée de l'homme, mais celui-ci est-il capable de la saisir et de la retenir? Énigmatique, le dénouement laisse la question en suspens.

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Commentaires

  • La joie comme antidote à la possessivité ?  Je me rappelle ce merveilleux film "au nom de la rose", dans lequel le rire conduisait à l'ultime porte à ne pas franchir - L'Enfer -

    Qui croire ?  Etre heureux et laisser s'exprimer sa joie en flirtant avec les portes de l'Enfer ?

    Merci pour ce partage intéressant et la réflexion qu'il suscite.

    Amicalement,  Claudine.

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