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Histoire de la littérature belge

II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.


1. La Belgique puissance mondiale.


Découvertes scientifiques, progrès du machinisme, développement industriel de la Wallonie à partir de 1890 entraînent un essor tel que, à la fin du siècle, la Belgique devient l’une des premières puissances économiques du monde. Sous l’impulsion de Léopold II, les Belges construisent des routes, des canaux, des installations portuaires, sans compter des chemins de fer en Chine et le métro du Caire. Il y a aussi l’exploration et la colonisation progressives du Congo. En 1885, l’Acte général de Berlin reconnaît le roi pour souverain-propriétaire du bassin congolais, promu état indépendant et neutre. S’ensuit la lutte anti-esclavagiste, l’exploitation des richesses naturelles, l’évangélisation, l’action sanitaire. C’est en 1908 que le Parlement accepte le transfert de la colonie à la Belgique.

Cependant, la prospérité masque une misère encore considérable, et la lutte des opprimés se développe. En 1885, plusieurs associations ouvrières se groupent en un Parti Ouvrier Belge, dont l’influence ira grandissante : entre 1886 et 1914, toute une législation sociale est à peu près créée, pour réglementer les conditions de travail et la protection des travailleurs. En 1893 est instauré le suffrage universel « plural ». par ailleurs, le mouvement flamand se développe. En 1898, le flamand devient langue officielle de l’Etat belge ; en 1910, une pétition circule pour la flamandisation de l’université de Gand ; et en 1912, Jules Destrée peut adresser au Roi sa célèbre lettre : « Sire, il n’y a pas de Belges »…
Il y eut cependant un "art social" bien réel avec la création de la Section d’Art du Parti Ouvrier Belge (POB) (Voir: Aperçu des thèses de Paul Aron développées dans son livre Les Écrivains belges et le socialisme (1880-1913). L’expérience de l’art social : d’Edmond Picard à Émile Verhaeren)

Enfin, devant les menaces venues de la France, mais surtout de l’Empire allemand, la militarisation du pays s’accentue : instauration du service militaire personnel en 1909, au moment où Albert Ier monte sur le trône ; en 1913, service militaire obligatoire pour tous les hommes âgés de 20 ans.

Dans le domaine artistique, c’est une période non seulement de grande activité, mais de renouvellement profond, notamment en architecture et en peinture. Certes, l’année 1883 voit s’achever le prétentieux Palais de Justice de Bruxelles (Joseph Poelaert). Mais un courant nouveau se développe à partir de 1890 : le « Style 1900 », dit aussi "Art Nouveau », représenté par des architectes audacieux comme Victor Hankar, Henry Van De Velde, et surtout Victor Horta qui construit à Bruxelles la Maison du Peuple. Notons aussi des sculpteurs de talent comme Jef Lambeaux, mais plus encore Constantin Meunier dont l’œuvre puissante glorifie le travail manuel (« Le Puddleur », 1886). Quant à la peinture, elle rompt définitivement avec les formules éculées pour se lancer avec bonheur dans des directions nouvelles :

-l’impressionnisme d’un Théo Van Rysselberghe, qui adopte une lumineuse technique pointilliste ;

-l’univers symboliste, dont le meilleur représentant reste Fernand Khnopff (« Le silence », 1890), mais où s’illustrent aussi William Degouve De Nuncques, Jean Delville, Léon Frédéric, Xavier Mellery, Constant Montald.

-l’expressionnisme, annoncé par les œuvres profondément originales d’un Léon Spilliaert ou d’un James Ensor (« Entrée du Christ à Bruxelles », 1888), et qui trouvent un accomplissement notoire dans la première « école de Laethem-Saint-Martin », avec Jacob Smits, Karel Van De Woestijne, Georges Minne, etc. Le public lui-même s’intéresse davantage à l’art, grâce entre-autres à des expositions qu’organisent des amateurs comme le « cercle des XX », fondé en 1883, et qui deviendra en 1894 « La Libre Esthétique », favorisant de nombreux échanges avec la France, et contribuant à la découverte de l’impressionnisme en Belgique.


2. Le Naturalisme

Bien qu’il ne constitue pas en Belgique un mouvement littéraire de première grandeur, le naturalisme y inspire plusieurs œuvres durables. Dès avant 1880, la misère du prolétariat et les luttes sociales intéressent les artistes. Surtout, les thèses d’Emile Zola (« L’Assommoir » paraît en 1877) et son « Ecole de Médan » apportent à l’ « art social » les assises théoriques qui lui manquaient : influence de l’hérédité et du milieu, prééminences des instincts, déterminisme des destinées humaines, exigence de vérisme dans la description.
En 1880 paraît dans « L’Europe » un feuilleton intitulé « Un Mâle » et signé Camille Lemonnier, histoire des amours libres entre le braconnier Cachaprès et une jeune fermière nommée Germaine. Le scandale qu’il déclenche réveille l’indolence coutumière du public belge en matière de littérature, tandis qu’à Paris le livre (paru en 1881) suscite l’intérêt d’Alphonse Daudet, de Joris-Karl Huysmans. C’est le début du succès –et d’une longue série de romans, parmi lesquels « L’Hystérique » (1885), « Happe-Chair » (1886), « Au cœur frais de la forêt » (1900), « Claudine Lamour » (1893).

L’œuvre abondante de Lemonnier est certes inégale, sa puissance d’évocation et l’audace de certaines scènes étant souvent affaiblies par un style ampoulé, un vocabulaire exagérément recherché. Son retentissement est pourtant considérable. En Belgique, l’écrivain est considéré comme le chef de file du renouveau littéraire, et déclaré « Maréchal des Lettres » lors d’un banquet organisé en son honneur en 1883. Il a d’ailleurs à subir les vexations de la Justice, sous prétexte d’ « outrage aux bonnes mœurs », une parti du public se montrant choquée par la crudité, sinon la violence de certaines pages.
Les autres manifestations du naturalisme en littérature ont moins d’ampleur. Il est néanmoins intéressant de noter les marques de ce courant dans les premiers recueils d’Emile Verhaeren (« Les Flamandes », 1883 ; et, dans une moindre mesure, « Les Moines », 1886), dont la sensualité et le prosaïsme lui valent à la fois le scandale et le succès.
Verhaeren est un broyeur de syntaxe, un forgeur de formules qui marquent, un cracheur de mots sonores qui disent l'écartèlement du monde, les massacres intérieurs, les paysages déchirés, les cervelles à la torture. Verhaeren de la "Trilogie noire", où s'inscrivent "Les Soirs", "La débâcle", "Les Flambeaux noirs". Verhaeren aussi des vents marins, des plaines mornes et des villages où les hommes dans leur métieur -meunier, cordier, fossoyeur, forgeron- grandissent aux dimensions du mythe.
D’autres écrivains, romanciers-conteurs, sont de stature moins imposante. On ne saurait oublier toutefois le nom de Georges Eekhoud, qui publie « Kees Doorik » en 1883, « Kermesses » en 1884, « La nouvelle Carthage » en 1888 : récits à caractère régionaliste mettant en scène des drames souvent violents, écrits avec un âpre réalisme.


3. Revues et débats d’idées.

Mars 1881 : l’avocat bruxellois Edmond Picard et son ami Octave Maus créent « L’Art Moderne », journal hebdomadaire de critique artistique (voir article: l'art moderne en Belgique"), musicale et littéraire. Militant socialiste, Picard souhaite une littérature « nationale », et engagée dans le combat politique et social. Ses thèses trouvent dans le public de nombreux échos favorables.

En décembre de la même année apparaît une autre revue, « La Jeune Belgique », dirigée par Max Waller, avec pour collaboration G. Eekhoud, J. Destrée, C. Lemonnier, Georges Rodenbach, E. Verhaeren, etc. Sa devise : « Soyons nous », c’est-à-dire oeuvrons en Belgique au développement d’une littérature originale. Quant au programme, il repose sur le principe parnassien de « l’Art pour l’Art », exclut toute préoccupation politique, se veut accueillant à l’égard de tous les genres, de toutes les écoles, y compris le naturalisme. La revue se montre surtout agressive à l’égard des Potvin et autres « retraités de la littérature »…

C’est en 1883 que débute entre les deux revues un polémique qui aura le mérite de secouer l’indifférence belge quant aux questions esthétiques. Tenant d’un « art social », Picard s’en prend à la doctrine de l’Art pour l’Art : elle a pour effet de couper les écrivains de la réalité historique contemporaine, et des les brider dans des problèmes de pure forme. Bien entendu, les « Jeune Belgique » contre-attaquent : la question d’une littérature « nationale » déclenche un débat passionné de plusieurs années.

Indifférent, lui aussi, àl’hypothèse d’un art spécifiquement belge, Albert Mockel lance en 1886 un nouveau périodique, « La Wallonie », qui sera principalement la tribune du symbolisme. C’est une voix de plus qui s’ajoute au concert, et un enjeu supplémentaire dans la polémique. En 1885, « La jeune Belgique » révèle au public belge « Les Chants de Maldoror », publie en 1887 un « Parnasse de la Jeune Belgique » où figurent plusieurs poètes de tendances symboliste, rend hommage à Verlaine en 1888… En dépit de quoi elle passe pour adversaire résolue des symbolistes, face à « L’Art Moderne » où Verhaeren, en 1887, loue la poésie de Stéphane Mallarmé.

De nombreuses autres revues surgissent à la même époque, en un foisonnement qui dénote un souffle nouveau, une volonté d’audace et d’indépendance qui auront peu d’équivalent dans l’histoire littéraire de la Belgique : « La Société Nouvelle », « Le Réveil », « La Nervie », « L’Art Jeune », « Le Coq Rouge », etc. Loin de s’enfermer dans un nationalisme étriqué, leurs collaborateurs nouent de nombreux liens avec la France. Suivant l’exemple de Max Waller, ils accueillent les textes d’écrivains français, publient eux-mêmes à Paris, se font reconnaître internationalement comme interlocuteurs et créateurs.

Par l’effervescence qu’elles suscitent, les revues littéraires de ces deux décennies instaurent en Belgique un débat peu habituel, contraignant le public et les autorités à reconnaître l’existence et l’importance de l’activité littéraire dans la vie du pays. « La Jeune Belgique » en tête, elles font naître des vocations littéraires, répandent le goût de l’art et des lettres, ébranlent les conformismes et les habitudes, attirent sur la Belgique l’attention de l’étranger. Elles contribuent donc à faire de cette période un moment privilégié de l’histoire littéraire belge, en léguant aux générations ultérieures quelques problèmes fondamentaux :

-est-il indispensable, souhaitable, impossible, nuisible de chercher à créer une littérature « nationale », douée de caractères spécifiques ?

-une donnée fondamentale de l’œuvre littéraire est sa langue. faut-il qu’elle reste parfaitement correcte, irréprochable ? Ou est-il important de se forger une langue originale, moins éloignée de la réalité locale ?

-l’art doit-il servir des causes qui lui sont extérieures ? Ou vaut-il mieux pour lui rester étranger à tout combat qui ne soit pas purement esthétique ?


4. Le Symbolisme


Dans « Les Poètes maudits » (1884), on sait que Paul Verlaine révèle entre autres Tristan Corbière et Arthur Rimbaud. C’est l’année suivante qu’apparaissent en Belgique les premiers échos de la nouvelle poésie française. De part et d’autre de la frontière, le mouvement dès lors ne fait que s’amplifier. Il faut noter toutefois que le symbolisme belge sera moins mallarméen que verlainien : la recherche de l’hermétisme (à ne pas confondre avec le sens du mystère) y tient moins de place que la musicalité du vers, la tonalité nostalgique, les thèmes du rêve et du souvenir. De plus, excepté Verhaeren, peu de ses citoyens usent d’une langue tourmentée, de néologismes ou de ruptures syntaxiques –ce qu’Albert Giraud appellera le « macaque flamboyant ».

Peut-être le premier recueil marqué par la sensibilité nouvelle est-il « Pierrot lunaire », d’Albert Giraud (1884) ; mais il reste encore fortement parnassien dans sa forme. Il faut attendre 1889 pour qu’apparaissent les premières œuvres pleinement symbolistes, dues à Maurice Maeterlinck : « Serres chaudes » d’abord, une poésie qui d’emblée donne le ton (sensibilité extrême, mélancolie, images obsédantes comme le lys, le paon, etc.).

J’entrevois d’immobiles chasses,
Sous le fouet bleu des souvenirs,
Et les chiens secrets des désirs,
Passent le long des pistes lasses.


Vient ensuite « La Princesse Maleine », drame teinté d’irréalisme de l’amour impossible entre Hjalmar et Maleine, dans une atmosphère crépusculaire où rode l’ombre de la mort. Cette pièce révèle Maeterlinck au public belge et étranger, grâce à un article très élogieux d’Octave Mirbeau dans « Le Figaro » d’août 1890 : la jeune œuvre est dite « admirable et pur chef-d’œuvre », « géniale », « supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare »…
Suivent alors d’autres pièces : « L’intruse », « Les Aveugles » (1890), et surtout « Pelléas et Mélisande » (1892), sans doute l’œuvre la plus célèbre de Maeterlinck, qui sera mise en musique par Claude Debussy et par Gabriel Fauré. Reprenant le thème de « Tristan et Yseut », elle le transpose dans un climat de rêve, de fragilité, de fatalité. Elle illustre bien la conception « méditative » que Maeterlinck se fait du drame symboliste, et qu’il explicite dans « Le Trésor des Humbles » (1896) : « il m’est arrivé de croire qu’un vieillard assis dans son fauteuil, attendant simplement sous une lampe, vivait, en réalité, d’une vie plus profonde, plus humaine et plus générale que l’amant qui étrangle sa maîtresse, le capitaine qui remporte une victoire ou l’époux qui venge son honneur ». Cette vision est celle de la première période maeterlinckienne, laquelle prend fin avec le siècle et laisse place ensuite à un symbolisme moins contemplatif. « L’oiseau bleu » (1908) est l’œuvre la plus représentative de la seconde période, « féerie » selon le sous-titre, en tous cas fable poétique accessible à tous les âges.

On le constate ; l’imaginaire symboliste s’accommode mieux du théâtre et de la poésie que du roman. Une exception de taille, le célèbre roman de Georges Rodenbach « Bruges-la-Morte » (1892) : un veuf inconsolable tente de retrouver, en une jeune femme rencontrée par hasard, l’image et l’âme de la disparue. Le roman connaît à l’époque un retentissement considérable : le décor automnal de vieux quais, de mornes béguinages donne de Bruges une image mythique, celle de la ville morte qui lentement s’enfonce dans l’oubli.

La même année paraît « Dominical », premier recueil de l’Anversois Max Elskamp, qui donnera encore « Six chansons de pauvre homme » (1895), « Enluminures » (1898 », etc. Poésie touchante, faussement naïve, où se déploie une langue originale faite de tournures rares, d’ellipses, de formules insolites.

Et prime en joies, et tout béni
Gens de chez moi, voici Lundi :

Messes sonnant, cloches en tête,
Avec leurs voix qui disent fête,

Et le soleil après, et puis,
Ceux des outils tout beaux d’habits.

Dans sa vie comme dans ses livres qu’il illustrait de merveilleuses gravures naïves taillées par lui-, Elskamp se montre captivé par la tradition populaire et folklorique anversoise, la quotidienneté des artisans et des humbles, la spiritualité orientale. Tous ces éléments donnent à son œuvre une saveur reconnaissable entre toutes, douce, fraîche mais sans mièvrerie aucune. Elle lui assure dans le symbolisme belge une place unique, un peu comparable à celle de Verlaine du côté français.

Autre grand nom du symbolisme, Charles Van Lerberghe publie en 1898 « Entrevisions », poèmes en vers libres où l’influence de Maeterlinck s’avoue nettement. Puis c’est « La Chanson d’Eve » (1904), sorte re réécriture poétique de la Genèse en quatre parties (« Premières Paroles », La Tentation », La Faute », Le Crépuscule »), véritable chef-d’œuvre de la littérature symboliste : par la formulation sobre, pure de tout prosaïsme et de toute lourdeur, par les images lumineuses, la musicalité sans pompe ni maniérisme, et surtout le souffle spirituel qui traverse l’ensemble du livre. Car il ne s’agit pas d’un recueil de pièces autonomes, mais d’une sorte de légende merveilleuse faite d’une succession de petits tableaux, ce qui donne à « La Chanson d’Eve » une opportune mais discrète unité.
Bien d’autres œuvres, bien d’autres auteurs participent de près ou de loin au mouvement symboliste : « Mon cœur pleure d’autrefois » (Grégoire Le Roy, 1889), « Chantefable un peu naïve » (Albert Mockel, 1891), « La Solitude heureuse » (Fernand Severin, 1904), etc.

Quelle que soit leur valeur respective, elles témoignent toutes de l’importance de ce courant dans la Belgique de l’époque, et des mutations profondes qu’il provoque dans la définition même de la littérature, entre autres :

-rejet de la versification traditionnelle et adoption du vers libre, moins oratoire et moins pesant ;
-priorité de l’atmosphère sur l’anecdote ou la description ;
-importance du mystérieux, de l’allusif, du rêvé (qui a valu aux symbolistes le reproche de soumission aux modèles nordiques, de trahison envers la tradition classique française de la « clarté »).


5. Du symbolisme à l’expressionnisme


Une place doit être faite aux recueils d’Emile Verhaeren, difficilement classable dans l’une des rubriques précitées, et dont l’influence sera durable et forte en Belgique comme en dehors. Son premier recueil, « Les flamandes » (1883), forme une évocation exubérante qui, on l’a dit, doit être rapprochée du naturalisme notamment par la place qui y est faite aux instincts, à la recherche du plaisir physique. C’est ensuite une œuvre apparemment plus mystique, « Les Moines » (1886), où transparaît cependant le même goût des contrastes violents, des qualifications paroxystiques.
Après cette période, viennent trois recueil qui s’affranchissent définitivement de toute attache parnassienne, et qu’on a nommés quelquefois la « trilogie du désespoir » : « Les Soirs » (1887, « Les Débâcles » (1888), « Les Flambeaux noirs » (1890), œuvres marquées par l’angoisse et la folie, sans équivalent dans la poésie de l’époque. Par contre, c’est au symbolisme qu’on peut associer « Les Apparus dans mes chemins » (1891), recueil contemporain du mariage de l’auteur avec Marthe Massin, et où se déploie une confiance retrouvée dans la vie.

On regroupe fréquemment « Les Campagnes hallucinées » (1893), « Les Villages illusoires » (1895) et « Les Villes tentaculaires » (1895), comme relevant eux aussi de l’esthétique symboliste. Il faut ajouter que le premier et le deuxième de ces recueils ont également partie liée avec le régionalisme, en ce qu’ils montrent la campagne victime de la ville, alors que le troisième prend pour thème le monde ouvrier –et qu’on y trouve les germes de ce qu’on appellera plus tard l’expressionnisme. La confiance dans la modernité, la fascination de l’univers urbain s’expliciteront d’ailleurs dans des livres ultérieurs comme « Les Forces tumultueuses » (1902).

L’œuvre abondante de Verhaeren (il faudrait citer beaucoup d’autres titres) est à la fois constante et diverse. Constante par la force d’évocation, les formules percutantes, l’impression de force souvent rude qui se dégage du poème. Diverse en ce qu’elle reflète successivement, sans pour autant s’y inféoder, les principaux courants littéraires qui animent la période 1880-1914. Elle jouit, de par cette double qualité, d’un statut exceptionnel dans l’histoire de la littérature belge.


6. Essor du régionalisme


Le début du 20ème siècle est marqué, littérairement, par le développement d’un genre qui se prolongera bien au-delà de la guerre 14-18 : le récit régionaliste. Certes, celui-ci plonge ses racines dans le 19e siècle, chez les romanciers réalistes ou naturalistes, notamment dans des œuvres comme « Kermesses », de Georges Eekhoud. Mais entre 1900 et 1914, à l’heure où les autres courants s’essoufflent un tant soit peu, et où la « simplicité » défendue par Francis Jammes est relayée en Belgique par un Thomas Braun, la nostalgie du terroir devient un thème majeur. Il est certain que le développement industriel, avec la destruction progressive de paysages et de modes de vie traditionnels, a largement contribué au développement de ce courant.

Quoi qu’il en soit, c’est en 1900 que paraît « La Bruyère ardente », de Georges Virrès, suivie en 1904 par « Le pain noir » (Hubert Krains, et « Le cœur de François Remy » (Edmond Glesener). Plus tard viennent « Les Dix-Javelles » (Georges Garnir, 1910), « Le Maugré » (Maurice des Ombiaux, 1911), sans parler de Georges Rency, de Louis Delattre, etc.

En fait, aucun vrai chef-d’œuvre ne se détache de cette abondante production. La nostalgie d’un monde campagnard en voie de disparition, la peinture de mœurs frustes et de paysages ruraux, une sentimentalité souvent mièvre imposent au genre régionaliste des limites étroites, et en font une littérature qui manque singulièrement de puissance. Sans doute un public relativement important se satisfait-il de tels récits, qui le rassurent en confortant ses tendances les plus conservatrices. Ainsi le courant régionaliste révèle-t-il, en creux, l’inquiétude de toute une part de la population face à la transformation du pays, que l’industrialisation et ses séquelles accomplissent sous leurs yeux.


Histoire de la littérature belge

I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé

II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.

III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude

IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire

V. 1960-1985 : Entre hier et demain

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Le monde opaque, un extrait

... Ces moments si rares
Que nous eûmes tant de peine
À déchiffrer
Toi sous la lucarne qui rêvais
De l’enfant abandonné
Dans sa tour de pierre
Moi penché sur les astres
Rêvant de l'intime durée
Du fond de l’espace
Depuis le vase constellé du porteur d’eau
Jusqu’aux lèvres de la vierge errante
Ces routes fragiles parcourues
À grand peine
À corps perdu
À l’insu de nos songes de parcimonie
Ces moments qui nous suivent
Et nous contournent maintenant
À perte de vue
Couvrant l’horizon écarlate
De triptyques chamoisés...


... Tous nos gémissements de fêtes foraines
Ces respirations souterraines de l'amour
Ces moments complices
Noués aux deux bouts
Lancés dans la course des essieux
Le temps quadrillé sans relâche
À l’affut du moindre frisson
Avec ses pentagrammes illisibles...



... Des semaines et des jours
D’éclairs oubliés
Des moments de floraison galante
Gravés dans la paume d’une main
La main retenue des moments
Cousus sur nos lèvres durcies
Qui retiennent leurs paradoxes
Et offrent leur démesure
Au moindre gémissement tardif
La félicité d’une vie fugitive


Ces carcans accouplés
Ces corps momentanés
Couchés n’importe où
Sur le sol
Dans les tombeaux pillés
Les interstices sales
Les crevasses boueuses
Goûtant le suc des arbres
Ces corps de préludes
Au règne de la nature invisible...


... Seuls comme deux enclumes
Sous la pluie battante
Battant le soc exténué de la vie opaque
Ces moments de douleur qui se hâtent
Ces moments de conspiration bâtarde
Qui s’emparent de nous
Dans notre mort étroite
Sans fondations
En des cieux où la chair aspire
À plus d’humanité...



... Et je n'ai plus aimé le monde.
Mais toi, sombre comme hier
Et l’ovale joyeux
De tes clavicules tremblantes
J’ai mis à mal
Le souvenir de nos incendies
De nos ligatures
De ton ventre hanté
Par les esprits du marais
Dans un miroitement de songes acides
De plaies ruisselantes
Toujours et partout
Le cantique effrayant de l'offrande
De l'autre à l'autre
De l'autre pour l'autre
De l'autre dans l'autre
Amoureux qui s'effondrent pantois
Au creux d’une peur partagée
S'immolant dans le feu
Pour se terrer plus bas
Épuisant la maigreur de la soif
Les hanches soudées dans


L’enclos de leurs ébats
Humides de vie
L’amour qui tourne tel une hélice
La volupté féroce de l'éternité
Qui renouvelle sa peau
Et le serment initial de la passion
Mutation de gestes recomposés
Alors dans cet amour caudal
Est-ce toi encore
Ou l'autre qui prend ma place
Ce malandrin infernal
Qui se joue de tout ...
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La littérature belge d'expression française.

Comment se présente le problème même d'une littérature française en Belgique?
Si des éléments comme l'appartenance régionale, le peuple, le climat ou le décor de la vie ont leur importance dans la formation de l'esprit des écrivains et, par là, dans l'aspect de leurs produits, il n'en reste pas moins que ce qui les crée écrivains, ce qui les fait entrer en littérature, c'est le fait que cet esprit se donne un moule de langage. En se coulant dans ce moule l'esprit s'achève, et surtout il cesse de n'être qu'une chose intérieure pour devenir esprit formulé, exprimé, et naît ainsi à l'existence littéraire. Voilà pourquoi, au-delà de l'infinie diversité individuelle, il existe des patries d'esprits en tant que manifestés par le langage. L'une de ces patries est la littérature française, et le Belge qui use du français, sa langue naturelle, en fait encore plus irrécusablement partie qu'un Panaït Istrati ou un Julien Green par exemple, puisque le français est pour lui cette chose qu'on n'a pas eu à choisir, chose profonde, portée en soi dès l'enfance, qui est vous-même et par quoi l'on se projette hors de soi pour les autres - et d'abord pour d'autres qui pratiquent le même idiome. Même des Flamands de souche - un Maeterlinck ou un Hellens - s'ils sont venus à la patrie littéraire française, c'est parce que la langue française, parlée par eux dès l'enfance, était celle qui leur permettait de se dire le plus véridiquement: eux non plus n'ont pas choisi. Cette littérature - qu'on l'appelle «connexe et marginale» (G. Picon) ou «seconde» (G. Charlier) - est et ne peut être (par nature et non par choix, mais ayant été forcée à cause de sa situation périphérique de confirmer cette nature par la constance d'une volonté) qu'une littérature française.
C'est bien là son identité. Mais une fiche d'identité ne dit pas le caractère. Ces oeuvres, littérairement françaises mais qui ont germé et pris visage dans le milieu particulier des anciens Pays-Bas ou de la principauté de Liège, n'y aurait-il pas certains traits de sensibilité, d'orientation mentale ou de style que l'on pourrait déceler à des degrés divers, sinon dans toutes, du moins dans un grand nombre d'entre elles? Il ne faut pas oublier qu'en dépit du voisinage de la France ce milieu continue à vivre un peu à sa manière et selon des habitudes et une conscience de soi qui sont assez différentes de celles de Paris et, à plus forte raison, de la Suisse, du Québec ou du Liban. La littérature belge, c'est la sorte de littérature française qui pouvait naître dans un pays comme la Belgique, et elle aura tout de même plus de particularité qu'une littérature de Provence ou de Bretagne, parce que l'existence d'une frontière politique signale et entraîne bien des raisons d'être sui generis.


1. La vie littéraire en petit pays

Dans une première phase d'éclat de la littérature francophone de Belgique, vers 1890, les projecteurs se sont braqués sur Rodenbach, Verhaeren et Maeterlinck, moins déjà sur Lemonnier, et ont encore beaucoup moins touché des auteurs comme Van Lerberghe, Elskamp ou Mockel. Assurément, la phase plus récente n'est pas demeurée tout à fait dans l'obscurité: l'on n'ignore ni un Simenon, ni un Henri Michaux ni un Ghelderode. Cependant, beaucoup de leurs concitoyens qui paraissent les valoir n'ont aucunement éveillé l'attention de Paris. C'est là le drame de la plupart des écrivains belges d'aujourd'hui: pour eux, pas d'audience française veut dire pas d'audience du tout - et même, jusqu'à un certain point, pas d'audience chez eux.
Or, vers 1890, certains facteurs permirent à quelques Belges d'être découverts par la France, dont l'évolution littéraire du moment privilégiait des traits propres à ces écrivains: «Il y avait eu dans le symbolisme un génie qui correspondait à celui de nos marches nordiques» (M. Thiry). Répondant à cet appel, une Belgique un peu embrumée de germanisme a eu son «tour de chant» sur la scène française: l'enfant Septentrion dansa et plut. La raison principale de ce succès fut donc la rencontre d'une demande et d'une offre, mais il ne faudrait pas négliger certaines circonstances d'un ordre plus personnel. Quelques années auparavant, des écrivains parisiens d'avant-garde avaient été accueillis en Belgique par des revues, des cercles de conférences, des groupes de jeunes poètes: le reflux fut la gratitude efficace de ces écrivains devenus influents.
Ensuite, la marche du Nord n'eut plus de produits de choc à présenter. Or, c'était de plus en plus cela qu'il fallait: on voulait du poète maudit! Ce n'est pas que la Belgique en manquât tout à fait, mais l'expérience montre que pour qu'un Corbière ou un Rimbaud sorte de la coulisse, il est bon qu'il soit déjà connu de quelqu'un qui appartient à la littérature en vue. Et, d'ailleurs, les valeurs littéraires belges de ce siècle-ci sont en général de l'ordre du sage, du sensible, de l'intime. Après 1918, les Vikings ont disparu et l'on assiste en Belgique à la «relève wallonne». Tout change alors, et peut-être ce qui commence est-il un temps de vérité. Dangereuse la vérité, dans un monde de plus en plus amoureux du spectacle... Et, sans doute, cette Flandre si avantageusement déployée avait dû beaucoup de son succès au fait de n'être en grande partie que phantasme. Même chez les conteurs ou les poètes (on songera au Thyl Ulenspiegel, à la Bruges de Georges Rodenbach, au Verhaeren de Toute la Flandre, des Campagnes hallucinées et des Villages illusoires), et à plus forte raison chez Maeterlinck, Crommelynck ou Ghelderode, l'on a affaire à du théâtre.
C'est finalement sur les tréteaux que l'exotisme belge a le mieux révélé sa nature irréaliste. Moins historique et paysagère que dans le pittoresque de De Coster ou dans le lyrisme épique de Verhaeren, pas du tout idyllique et naïve comme dans les vers de Max Elskamp, la Flandre (pas toujours nommée d'ailleurs) du premier théâtre de Maeterlinck, du Cocu magnifique ou de Hop signor est évidemment toute imaginée à partir des données, déjà elles-mêmes fort élaborées, des peintres des XVIe et XVIIe siècles. De cette Flandre des musées qu'interprétait un délire, Michel De Ghelderode a pu dire dans un moment de sincérité bien éclairante: «De nos jours, Flandre n'est plus rien qu'un songe.» Songe très «littéraire», et qui ne se rencontre d'ailleurs guère chez les auteurs de langue flamande: la Flandre de Guido Gezelle ou de Stijn Streuvels est beaucoup plus modérée, plus authentique. Le fait qu'un Verhaeren ou un Ghelderode parlaient d'elle en français leur accordait beaucoup de liberté, le décalage linguistique permettait le mirage. Flandre étant un mot talisman qui donnait le départ à la fantaisie créatrice. Aussi y a-t-il une Flandre personnelle de chacun de ceux qui l'ont évoquée et n'est-ce à coup sûr pas dans leurs oeuvres qu'il conviendrait de chercher une image de la Belgique d'aujourd'hui, ni même de ce que purent être la Flandre des comtes et des communes, ou la Lotharingie des ducs de Bourgogne, ou même les Pays-Bas de Charles Quint et de PhilippeII. Mais, de l'histoire littéraire les mythes des poètes font légitimement partie. Ce fut indubitablement un rêve esthétique valable que ce curieux forçage de couleurs et son exploitation aux fins de l'expression à demi factice de tempéraments et de sentiments eux-mêmes un peu sollicités. Pièce importante à conserver dans le dossier «écrivains français de Belgique», et, après tout, dans le dossier d'ensemble de la littérature française. Les comparatistes pourront y observer une floraison un peu folle et tardive du vieil arbre d'illusion dont Herder et Walter Scott sont les racines, et dont le tronc porta notamment certaines pages de Michelet et Notre-Dame de Paris.
Avec la relève wallonne, on sort indubitablement de ce romantisme symbolico-expressionniste si bien fait pour attirer l'attention. Quelles qu'en soient les raisons, les Wallons s'étaient peu montrés jusque-là (à peine pourrait-on citer un Octave Pirmez, ce sous-Amiel), ou bien ils se confinaient dans le lyrisme intime et l'étude régionaliste. Après 1918 ils se manifesteront davantage, en même temps que l'évolution politique détournera de plus en plus les écrivains de naissance flamande de s'exprimer en français. Qu'apportent les Wallons? Plus de mesure assurément, une introspection plus exacte et partant moins dramatique, le goût des réalités quotidiennes, la sobriété du style, en poésie le retour fréquent au mètre classique et à un vocabulaire moins excessif, un lyrisme d'écoute et de notation plutôt que de proclamation et de grands décors. Une telle littérature a certes les moyens de retenir, encore faut-il qu'on veuille bien lui porter attention. De tels écrivains ne vont pas vers le public, mais l'attendent. En partie parce que leur situation effacée par rapport à la littérature venant de Paris les décourage de rivaliser avec elle, ils créent de plus en plus pour eux-mêmes et pour quelques amis. C'est sans doute la raison pour laquelle, dans ce milieu de siècle, la littérature française de Belgique s'est vouée surtout à une poésie qui reste assez loin des hermétismes nouveaux, ou à un genre de narration qui a peu de rapports avec les formes sur lesquelles se porte aujourd'hui en France la dilection de la critique. Comment s'étonner que reste dans sa pénombre un peu déçue une littérature qui se fait selon son goût à elle et ses nécessités internes sans se mouler sur l'attente qu'on pourrait avoir d'elle et sans fournir de matière facile à la publicité, cette reine contemporaine? Tout cela maintient certes une particularité belge, mais une particularité qui peut être perçue comme celle du démodé.
Provinciale donc, cette littérature? Il convient de voir dans la Belgique actuelle une réserve plutôt qu'une province.


2. Une littérature sans écoles

Le «Thyl Ulenspiegel» de Charles De Coster

La première oeuvre qui ait vraiment compté est le roman-poème de Charles De Coster (1827-1879). Curieuse épopée en prose qui, dans le troisième quart du XIXe siècle, a tenté une synthèse tout à fait personnelle du réalisme et du romantisme. Énergique et frais, le «rêve flamand», coulé en un français savoureux, y a plutôt couleur que truculence. La gravité et la vigueur y restent pures, et le tragique y alterne avec l'humour dans un contrepoint équilibré. Il n'est peut-être pas inutile d'indiquer que l'ascendance de l'écrivain était mi-flamande, mi-wallonne, et qu'il ne vécut jamais en Flandre. Ami des peintres, grand lecteur de Rabelais, il s'était intéressé au folklore flamand, qui lui avait donné la matière d'un recueil de style réaliste et archaïsant, les Légendes flamandes (1858). Dans les années qui suivirent il écrivit ses Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandre et ailleurs. Le livre parut en 1867, puis fut de nouveau publié deux ans plus tard avec une préface fantaisiste, la «préface du hibou».
Le sujet est double: cela démarre comme l'histoire anecdotique d'un joyeux drille, mais bientôt, sans quitter celui-ci, on bifurque vers les bûchers et les combats d'un siècle tragique et Walter Scott se tresse à Rabelais sans que cela fasse tort à une complexe et attachante unité de ton, de coloris et de sentiment.
D'où venait ce Thyl Ulenspiegel (dont De Coster a quelque peu euphonisé le patronyme)? Au début du XVIe siècle, la traduction flamande d'une compilation d'origine rhénane avait introduit et popularisé dans les Pays-Bas le type et le caractère de ce farceur allemand. On lui invente un tombeau à Damme, près de Bruges, et c'est là que De Coster fera naître son héros, dont il placera l'existence au temps des persécutions religieuses et de la révolte des «gueux» contre le pouvoir espagnol. Car il y a dans le récit tout un aspect historique que passionne d'ailleurs une perspective d'anticléricalisme moderne, et le germe fécond de l'ouvrage a été la rencontre de ces deux sources: un recueil de farces populaires et les ouvrages des historiens. Greffer ainsi l'histoire et la passion politique, choses tragiques, sur un fond de facétie et de vitalité rustique, et envelopper le tout dans la poésie d'un paysage et d'un climat, voilà qui ne pouvait être le fait que d'un écrivain doué d'une imagination extrêmement vivante et d'un remarquable doigté d'artiste. Une de ses réussites a été de servir son plat flamand à la sauce d'un français du vieux temps, poivré çà et là de quelque terme germanique qui donne l'exotisme.
Ulenspiegel est un ouvrage que la sympathie inspire mais qui mise de toute évidence sur un style. Style très consciemment conçu et travaillé, qui fait reluire sans la trahir la simplicité populaire, et qui sera assez souple pour passer sans accroc, quand le sujet le demandera, d'un verset de ballade à une prose plus abondante et plus dramatique, quitte à revenir ensuite au verset bref et serré qui reste la trame rythmique, le pas de route du récit-poème. Le mouvement des aventures s'entrelace à la succession tranquille des saisons, car ce livre est une image de la vie humaine dans ce qu'elle a d'instable à cause des hommes, de stable à cause de la nature. Contrepoint aussi de la vie quotidienne et de l'histoire, puisque les personnages s'appellent aussi bien PhilippeII et le Taciturne que Lamme, Nele ou Katheline. De Coster a fait de ce Thyl emprunté une véritable création, unissant en lui l'espiègle tricheur au héros généreux et conscient, en en faisant aussi un amoureux et un poète. Bien qu'il ne soit à aucun degré un don Quichotte, il voyagera accompagné d'un Sancho, ce bon Lamme Goedzak qui est la figure replète et douillette du peuple de Flandre, alors que Thyl en est la figure aiguë, enthousiaste et sarcastique.

Le groupe de la Jeune Belgique

De Coster mourra sans avoir connu le mouvement d'éveil littéraire des années quatre-vingt, représenté principalement par le groupe et la revue La Jeune Belgique. Les manuels belges ne tarissent pas sur cette glorieuse épiphanie, et surtout sur Georges Rodenbach (1855-1898) et Albert Giraud (1860-1929). On connaît la grâce élégiaque du premier. Son roman Bruges-la-Morte fut célèbre, et l'on retrouvera des échos de sa mélancolie aussi bien chez les crépusculaires italiens que chez les symbolistes russes ou chez un postsymboliste de France comme Samain. Vaporeux comme Verlaine, il a dans ses meilleures pièces une lucidité cristalline qui doit quelque chose à Mallarmé, et en cela, il annonce les Clartés un peu mystérieuses du Wallon Albert Mockel. Quant à Albert Giraud, très admiré en son temps, ce fut un parnassien solide et le chef de file du groupe. On peut rapprocher de lui Fernand Severin, plus sensible cependant, touche de préraphaélisme, et dont le vers musical et pur a la fermeté des stances de Moréas. Mais l'époque avait été envahie par deux grandes oeuvres et deux grands noms: Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck. Serres chaudes et les recueils de la première phase verhaerénienne ont opposé au parnassisme de Giraud et de ses amis l'apparition d'un symbolisme belge qui ne manquait ni de suggestivité ni de vie. Or le symbolisme belge est fort riche, et les noms moins connus d'Albert Mockel, de Charles Van Lerberghe et de Max Elskamp méritent qu'on s'arrête à eux.

Albert Mockel

Avec Mockel (1866-1945) apparaît Liège, et avec Liège l'Ardenne, les bois, la sensibilité musicale du Wallon. Wallonie est le nom qu'il donna à une revue où collaborèrent tous les symbolistes de Paris et qui est devenu aujourd'hui celui de la Belgique francophone. Lui-même, Rhénan aéré par l'Ardenne et tenté par le Midi, se situe à une limite très délicate, et c'est sans doute cette délicatesse qui, le rendant compréhensif aux nuances diverses de la nouvelle école, l'ouvrant à ses courants et l'invitant à fixer les points communs de son effervescence, a assuré le succès assez extraordinaire de ces cahiers du Nord dont la place reste marquée dans l'histoire de la grande mutation moderne du lyrisme.
Le symbolisme, à certains égards, est né d'une analyse du fait poétique. Mockel en a pris sa part dans ses Propos de littérature où il parle de Régnier et de Vielé-Griffin, dans ses études sur Mallarmé et sur Van Lerbergh. À le lire, le symbolisme devient une chose presque précise, en tout cas soigneusement fondée sur une méditation dont on dira qu'elle était philosophie esthétisante plutôt qu'esthétique de philosophe. Dans la pratique de sa propre poésie il a suivi sa spontanéité sensible, et en cela il se révélait bien wallon. Sa sonorité ne cherche pas à être imitative des choses mais suggestive des climats intérieurs. Voulant traduire le flux de l'âme, il a fait confiance aux frémissantes souplesses du vers libre. Après Chantefable un peu naïve et Clartés, il a évolué vers une technique qui, sans abandonner la finesse sonore et l'émotivité du rythme, se rapprochait peu à peu des régularités traditionnelles. Dans La Flamme immortelle (1924), cette intelligente symphonie dédiée à l'amour, l'ancien animateur de la Wallonie était presque entièrement sorti du symbolisme.

Charles Van Lerberghe

C'est aussi dans le pays wallon que le Gantois Charles Van Lerberghe (1861-1907), après avoir fait le tour de l'Europe, rencontra le décor prédestiné de son lyrisme: sa Chanson d'Ève, qui fut en son temps un événement de la poésie française, avait été achevée en 1904 dans la vallée de la Semois. Avant cela Van Lerberghe avait ouvert la voie au théâtre symboliste par son acte Les Flaireurs et publié en 1898 un volume de poèmes diaphanes et tremblants qui porte le titre significatif d'Entrevisions. Un poème, disait-il, «ne me plaît tout à fait que lorsqu'il est à la fois d'une beauté pure, intense et mystérieuse», et il ajoutait avec sa merveilleuse modestie: «C'est dans ce domaine que je tâtonne.» C'est que la vie, pour la sensibilité de ce poète, est un rapport ondoyant entre une subjectivité en attente et un monde qui à demi-mot lui répond, tangence effleurante du moi plein de ferveur timide et d'un dehors prêt à perdre sa nature étrangère. Le recueil des Entrevisions contient quelques merveilles de poésie toute pure, à peine palpable. On y voit poindre plus d'un des thèmes que rassemblera l'oeuvre de maturité. En même temps le vers lerberghien y avait fait ses gammes, et le poète pouvait déjà se définir à lui-même sa poésie: «un brouillard de lumière». Mais ce qui permettra la cristallisation en un seul symbole de toute la sensible spéculation en suspens sera une certaine image de femme. Cette image, il en a cherché longtemps le modèle chez telles jeunes filles rencontrées au fil de ses voyages, mais le critique Henri Davignon a pu dire: «À la fin, il fait de méprises successives la gloire de la seule Ève à laquelle il a cru, pour l'avoir inventée.» Quant à son paradis, nous avons vu que c'est un val d'Ardenne qui lui en a donné, non assurément le détail, mais le vaporeux rayonnement: «Souvent, dit-il, il me faut coudre avec du fil blanc un peu d'eau à un bout d'aube ou une flamme à un pan de vent.» Car Van Lerberghe est un Ariel.
La Chanson d'Ève, c'est musical, chatoyant d'une richesse d'images dont chacune reste sobre, le monologue de l'âme humaine devant le monde. À travers l'émerveillement un peu perdu du faune mallarméen y passent les questions et les alarmes, la dialectique dedans-dehors de la Jeune Parque; mais dans cette modulation qui va de l'émerveillement au désespoir, rien n'est violent et le pessimisme même a sa grâce de joie. En vérité c'est là un poème philosophique qui en même temps exprimerait la tonalité sensible d'un être. Et la symphonie aux mouvements admirablement conduits se résoudra en une cadence des plus classiques dans le miraculeux diminuendo de la mort d'Ève.

Max Elskamp

L'âme de Max Elskamp (1862-1931) ressemblait certes un peu à celle de Van Lerberghe, elle aussi était fraîche et sensible, mais la nature artistique du poète anversois le poussait plutôt à s'exprimer non en pureté mais en naïveté. Il n'a pas la profondeur spéculative du penseur de La Chanson d'Ève, mais il a vécu un drame intérieur qui se révélera surtout dans sa deuxième période de création. Sa poésie est une longue chanson à petite voix, et chez lui plus que chez tout autre on peut dire que c'est le ton qui fait la chanson. Dès Dominical (1890), le poète dit la couleur de ce qui peut le rendre heureux: les dimanches, les cloches, les joies humbles, l'amour; c'est un Francis Jammes plus nerveux, subtil dans sa simplicité apparente, et qui demanderait à l'ellipse, au rythme populaire, à une oralité délicieusement archaïsante la transposition de l'aveu en une poésie. Pourtant la mélancolie s'insinue bientôt dans l'élan joyeux. Elskamp voit la vie comme une suite de jours, de semaines et de saisons, pans de joie et de peine commençant, finissant et recommençant sans trêve. Le temps, le lieu, la bonté, voilà des thèmes de ce «moi» qui tout naturellement s'identifie au «nous» pour chanter l'almanach intime des gens de son pays. Verhaeren a dit, de En symbole vers l'apostolat, que c'était un livre que François d'Assise aurait oublié d'écrire. Tout cela donnera son ultime et tendre flambée dans La Chanson de la rue Saint-Paul. Cette première phase évoquait un monde en rond, «un pays comme Dieu le veut», et en même temps faisait à petites touches le portrait d'une âme. Mais que va-t-il arriver à cette âme? Dans la seconde suite de ses recueils, le poète ne dira plus ce qu'il souhaitait de la vie, mais ce que la vie a fait de lui. Elle en a fait d'abord en 1914 un exilé, dont la plainte amère et douce, encore liée à l'aventure de son peuple, inspire Sous les tentes de l'exode (1921). Ensuite, Chansons désabusées et Aegri somnia (posthume, 1933), d'autres recueils encore, feront entendre l'élégie d'un destin personnel fait de déréliction, de tête-à-tête avec soi-même et d'une longue nostalgie. La confiance a été trompée, mais le désabusement va se chanter sur les mêmes rythmes et selon le même intimisme sincère que jadis la foi ingénue. Dépouillement, nudité, jaillissement direct continuent à donner un son très humain à ces récapitulations désolées, à cette comptabilité de l'âme, à ces «regrets Villon» qui n'en finissent plus. Il y a sans doute dans la littérature universelle des poésies plus serrées, plus ornées, plus riches de sens comme de son, mais sans doute n'existe-t-il pas une oeuvre où l'auteur soit plus présent à chaque mot, entre les mots, dans la lancée même du rythme.

Poètes et prosateurs d'aujourd'hui

Le courant lyrique

Parmi les poètes apparus dans l'entre-deux-guerres, il faudrait distinguer d'Odilon-Jean Périer (1901-1928), mais aussi de René Verboom, Pierre Nothomb, Roger Bodart, Maurice Carême, Géo Norge, Jean Tordeur... Mais il ne s'agit pas de glisser au palmarès, et nous nous limiterons à deux figures, fort différentes l'une de l'autre mais que recommande également leur valeur d'authenticité: Armand Bernier et Marcel Thiry.
Le charme de l'oeuvre d'Armand Bernier, dont l'essentiel a été réuni sous le titre Le Monde transparent (1956), réside dans la continuité et la cohérence sensible de sa coulée. Une émotion méditante n'a cessé de la conduire dans une nudité d'expression tout à fait remarquable. «Je ne puis lire une oeuvre d'Armand Bernier, a dit Marcel Arland, sans être frappé tout ensemble par la pureté harmonieuse de sa voix et par sa ferveur.» Jules Supervielle lui aussi a beaucoup aimé ce poète en qui il pouvait reconnaître quelque chose de fraternel. À travers de multiples étapes, une âme a cherché l'équilibre et s'est construit peu à peu une vue d'univers. Aux «quatre songes pour détruire le monde» succèdent et répondent «les vergers de Dieu» puis «la famille humaine», et enfin tout se c
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James Ensor (1860-1949) fut une figure majeure de l’avant-garde belge de la fin du XIXe siècle et précurseur du mouvement expressionniste, James Ensor fut un artiste engagé et auto-critique. Au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers, les tableaux La mangeuse d'huîtres, les intérieurs bourgeois, marines et études de la période réaliste des débuts d'Ensor, Adam et Ève, Les Anges rebelles, L'étonnement du masque Wouse, Squelettes se disputant, L'homme de douleurs et la plus belle composition de masques d'Ensor, L'intrigue, sont exposés dans deux salles. Nulle part au monde ne sont exposées en permanence autant d'oeuvres d'Ensor. Pourtant, ceci est loin de constituer la totalité de la collection Ensor du musée. Seize autres tableaux et plus de cinq cents dessins ne sont montrés qu'au cours de présentations temporaires, dans le musée et dans les institutions-soeurs de Belgique et de l'étranger. Cet ouvrage se veut un panorama de l'entière collection de tableaux, enrichi d'un choix représentatif de la collection de dessins, afin que le lecteur puisse prendre connaissance de la plénitude du trajet artistique qu'Ensor a accompli en plus de cinquante ans. Editeur : BAI - ISBN-EAN13 : 9789085864691 Une déclaration de James Ensor est à écouter sur le page principale du Réseau
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Il s’agit de récits autobiographiques de Marguerite Yourcenar (1903-1987), en trois volumes: Souvenirs pieux(1974); Archives du Nord (1977); Quoi? l'Éternité (1988).

Après la publication de l'Oeuvre au noir, Marguerite Yourcenar entreprend, en 1969, le premier volume du Labyrinthe du monde, vaste fresque familiale à laquelle elle se consacrera jusqu'à sa mort.

Souvenirs pieux évoque les ancêtres maternels de l'auteur. L'ouvrage, qui doit son titre aux images religieuses traditionnellement envoyées à l'occasion d'un décès, est composé de quatre sections. Dans la première, "l'Accouchement", Marguerite Yourcenar conte sa naissance et la mort, survenue quelques jours plus tard, de sa mère, Fernande. La deuxième partie, "la Tournée des châteaux", retrace l'histoire de cette famille de l'aristocratie belge dont Fernande de Cartier est issue et dont l'auteur trouve les premières traces au XIXe siècle. Dans la partie intitulée "Deux Voyageurs en route vers la région immuable", Marguerite Yourcenar s'attarde sur le personnage d'un oncle de sa mère nommé Octave Pirmez, écrivain fade et bien-pensant mais d'une personnalité attachante, profondément marqué par le suicide de son jeune frère Fernand, dit Roméo. La dernière section, "Fernande", narre l'enfance et la jeunesse de Fernande puis sa rencontre et son mariage avec M. de C., un veuf d'une cinquantaine d'années qui sera bientôt le père de Marguerite Yourcenar.

Archives du Nord est le pendant paternel de Souvenirs pieux. La chronologie y obéit toutefois à un cheminement inverse: au lieu d'opérer, à partir de sa naissance, une remontée dans le temps, l'auteur part ici des temps les plus anciens pour arriver peu à peu à dessiner la figure de son père. Ainsi, la première partie dépeint tout d'abord la formation et l'évolution géologiques de ces terres du nord de la France dont son père est originaire ("la Nuit des temps") puis retrace, à partir du XVIe siècle, la généalogie de la famille paternelle des Cleenewerck de Crayencour ("le Réseau"). Dans la deuxième partie, Marguerite Yourcenar évoque longuement la figure de son grand-père. Elle reconstitue l'histoire de son adolescence ("le Jeune Michel-Charles") puis de son triste mariage avec la dure et sèche Noémie, issue de la riche bourgeoisie lilloise. Michel, le père de l'écrivain, est l'un des enfants nés de cette union ("Rue Marais"). Enfin, dans une troisième partie intitulée "Ananké", l'auteur conte l'histoire de son père: sa fuite du milieu familial pour embrasser une carrière militaire, sa désertion et son exil pour l'amour d'une jeune et belle Anglaise, son premier mariage avec Berthe puis, après la mort de la jeune femme, l'union avec Fernande et la naissance de Marguerite.

Le troisième volume, Quoi? l'Éternité, est demeuré inachevé, la mort de l'auteur en ayant interrompu la rédaction. L'ouvrage s'inscrit dans la continuité chronologique d'Archives du Nord. Marguerite Yourcenar évoque les premiers temps du veuvage de Michel dans la propriété familiale du Mont-Noir, à Bailleul ("le Traintrain des jours"), et la figure de la soeur de ce dernier, Marie, qui mourut jeune dans un tragique accident ("Necromantia"). Les quatre chapitres suivants ("Un grain d'encens", "le Trépied d'or", "la Déchirure" et "Fidélité") sont consacrés à Jeanne, une amie d'enfance de Fernande qui fut, durant quelques années, la maîtresse de Michel et qui incarna, pour la petite Marguerite, une sorte de mère idéale. Le personnage d'Egon, le mari de Jeanne, servira plus tard de modèle à l'écrivain lorsqu'elle composera Alexis ou le Traité du vain combat. Après avoir retracé ses premiers souvenirs d'enfance ("les Miettes de l'enfance") et les dernières amours de son père ("les Miettes de l'amour"), Marguerite Yourcenar dépeint les années sombres de la Première Guerre mondiale ("La terre qui tremble, 1914-1915", "La terre qui tremble, 1916-1918" et "les Sentiers enchevêtrés"). L'écrivain projetait de rédiger encore une cinquantaine de pages dans lesquelles elle aurait notamment relaté les fins respectives de Jeanne et de Michel.

Composé à l'aide d'archives et de témoignages, ce triptyque familial procède d'un type d'inspiration assez voisin de celui de Mémoires d'Hadrien ou de l'Oeuvre au noir. Dans tous les cas, en effet, la création romanesque de Marguerite Yourcenar se trouve étroitement liée à un travail d'historien et à un regard de moraliste porté sur la destinée et le temps humains.

Dans le Labyrinthe du monde, toutefois, la part de la fiction est fort minime. Certes, l'oeuvre est pour beaucoup le fruit de l'imagination de l'auteur qui parvient à redonner vie à des personnes disparues en se fondant sur une documentation souvent étique, aride ou fragmentaire. Mais cette imagination est avant tout au service d'une restitution et s'interdit la fabulation, l'écrivain préférant souvent le silence à l'invention pure et simple. Le vivant est ainsi laissé à sa complexité jamais démêlée, comme à ses mystères demeurés opaques. L'ouvrage, bien que fourmillant de personnages et embrassant de multiples époques, séduit par son aspect dépouillé. Au seuil de la mort, et une fois accomplies les grandes tâches romanesques de la maturité, projetées d'ailleurs pour la plupart dès la première jeunesse, Marguerite Yourcenar se consacre à une matière brute et humble. Après l'empereur (Mémoires d'Hadrien) et le philosophe alchimiste (l'Oeuvre au noir), elle choisit des personnages ordinaires que son travail extrait patiemment de l'anonymat et du dédale de la généalogie, non pour en détacher des aspects exceptionnels mais au contraire pour montrer l'inexorable flux de la vie, cette sorte de machine aveugle qui broie dans la multitude et engloutit dans l'oubli les existences individuelles. Les figures maternelle et paternelle sont certes privilégiées dans la mesure où elles sont le point de départ des recherches, mais le Labyrinthe du monde, livre sans héros, est aussi un livre dépourvu de personnages vraiment principaux. Les séductions et les mirages de la totalisation sont bannis, l'écrivain préférant laisser son ouvrage livré à l'éclatement, à l'inachèvement et à l'ordinaire qui sont le lot de la vie même.

Pour Marguerite Yourcenar, écrire l'histoire familiale, c'est moins chercher à vaincre le temps que prendre la mesure du caractère éminemment contingent de toute existence: "L'angle à la pointe duquel nous nous trouvons bée derrière nous à l'infini. Vue de la sorte, la généalogie, cette science si souvent mise au service de la vanité humaine, conduit d'abord à l'humilité, par le sentiment du peu que nous sommes dans ces multitudes, ensuite au vertige" (Archives du Nord). A cet égard, la dernière oeuvre de la vieillesse est aussi apprentissage de la mort.

Extrait du Testament des siècles de Robert Paul

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Critique André VERDET


Jean Claude LEPROU, un sculpteur dont le rigorisme verticalo-géométrique atteint les vertus d’une poésie de lignes

et de volumes, dont les contrastes s’abstraient en des formes

qui recherchent la discrétion dans une vigueur contenue.

Qu’importe le matériau employé : qu’il soit de bois, de métal, et

qu’il s’aventure dans l’essai réussi de la laque, l’œuvre présente

le visage épanoui d’une intègre unité sans faille.

J’aime l’œuvre de cet artiste dont le talent à la fois créatif et créateur va bien au-delà de sa trop grande modestie à l’écart des publicités tapageuses

ANDRE VERDET

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Histoire de la littérature belge
I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé

1. La Belgique sous Léopold Ier (1831-1865)


Après Waterloo, et à l’instigation de l’Angleterre, les grandes puissances victorieuses de Bonaparte décident en 1814 d’unir la Belgique à la Hollande. Il s’agit d’opposer un rempart à l’impérialisme de la France, mais aussi aux idées révolutionnaires qui y ont cours. Les quinze ans de vie commune avec les Hollandais vont d’ailleurs apporter aux Belges une remarquable prospérité matérielle, de même qu’une réduction sensible de l’analphabétisme, Guillaume Ier s’appliquant à développer l’enseignement de l’Etat. (Dossiers: 1: Histoire de la Belgique avant l'indépendance 2: Histoire de Belgique à la Révolution de 1830 3: Le Congrès de Londres de 1830 pour régler la "Question belge"
4: Art et Nation dans la Belgique du début du XIXe siècle) 5: L'influence de la Nation sur la musique
6: Histoire de la révolution belge de 1830

Toutefois, l’association est fragile. Les Hollandais sont en majorité calvinistes, les Belges catholiques. En traitant la Belgique à certains égards comme un pays conquis, par exemple dans le domaine linguistique, Guillaume Ier suscite un mécontentement grandissant, qui conduit en 1830 à l’indépendance belge. Le document essentiel retraçant ces événements reste le monumental ouvrage de Louis Bertrand, "Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830"

Ce sera principalement les milieux de presse qui joueront un grand rôledans la fondation de l’Etat belge et la création d’une « opinion publique » nationale (1830-1860)


Sous le règne de Léopold Ier, de 1831 à 1865, priorité est donnée au renforcement de l’indépendance nationale. Marquée par l’habileté et la détermination, la politique extérieure du souverain permet d’écarter du jeune état les menaces annexionnistes françaises. Par contre, une grave crise économique sévit jusqu’en 1850, soulignée par une longue famine en Flandre. Entre-temps, après une décennie d’unionisme, l’antagonisme Libéraux-Catholiques se développe, particulièrement à propos de l’enseignement ; de même, le français ayant été choisi comme seule langue officielle, la question linguistique préoccupe plusieurs intellectuels flamands, tel l’Anversois Henri Conscience, dont le célèbre « Leeuw van Vlaanderen » paraît en 1838 ?
Dans le domaine des arts, la Belgique (voir: L'Art moderne en Belgique) naissante ne produit rien d’original. L’architecture est dominée par un néo-classicisme « raisonnable », qu’illustrent par exemple les Galeries Saint-Hubert à Bruxelles, achevées en 1847. Côté musique, c’est l’âge d’or du « bel canto », comme en témoigne le triomphe de la Malibran. Quant à la peinture, elle est marquée d’abord par un romantisme souvent théâtral et déclamatoire, dont émerge cependant le nom d’Antoine Wiertz (« La belle Rosine », 1847). Le réalisme s’installe à partir de 1851, sous l’influence de Gustave Courbet ; c’est ainsi que Jean-Baptiste Madou, Charles De Groux, Joseph Stevens choisissent des thèmes plus humbles et un style plus modeste.


Quant à la littérature, elle est également envahie, surtout jusqu’en 1850, par un romantisme édulcoré. L’influence de Victor Hugo, de Lamartine, le goût pour la « petite » histoire, puis l’admiration croissante pour Balzac donnent le ton. Par ailleurs, divers milieux et personnages souhaitent que le jeune royaume se dote sans tarder d’une littérature nationale. On demande que les œuvres prennent pour thème quelque aspect de la Belgique ou de son histoire, et l’on accueille avec une bienveillance souvent injustifiée les récits ou les vers d’allure patriotique.

Parallèlement, critiques et publicistes s’emploient à définir l’esprit belge, la mentalité spécifique de ce pays qu’ils refusent de considérer comme un simple accident de l’histoire européenne. Entre le monde latin et le monde germanique, il s’agit d’exprimer les caractères de l’ « âme belge », sorte d’identité culturelle intermédiaire. Mais la méfiance envers l’impérialisme français d’une part, l’engouement romantique d’autre part font que l’on incline davantage vers le « génie du Nord » que vers celui du Sud, que l’on se sent plus proche « de la rêverie allemande que de la vivacité française » (« Revue de Belgique », 1846).

La production littéraire, cependant, ne répond pas à de tels espoirs. La poésie, très abondante, est ampoulée et affectée, comme si elle n’avait retenu du romantisme que ses défauts. Les moins mauvais sont en premier lieu André Van Hasselt (dont « Les quatre Incarnations du Christ » ne paraîtront qu’en 1867), Théodore Weustenraad (« Le Remorqueur », 1840 ; « Le Haut-Fourneau », 1844), auxquels on peut joindre, à titre documentaire, les noms d’Edouard Wacken et de Charles Potvin : leur théâtre et leurs vers connaissent à l’époque un réel succès, mais sont devenus aujourd’hui quasiment illisibles. Dans le domaine du récit s’illustrent Henri Mocke (« Gueux de mer » ; « Gueux des bois », 1828), Marcellin La Garde (« Val de l’Amblève », 1858).

Comme pour la peinture, le milieu du siècle sonne en littérature le déclin de l’esthétique romantique. Non qu’elle disparaisse complètement du jour au lendemain, bien au contraire ; mais les œuvres romantiques ultérieures dont plutôt figure de survivances, et l’intérêt du public s’atténue. En 1856 une nouvelle revue, animée par Félicien Rops, Paul Reifer, Charles De Coster : « Uylenspiegel –Journal des débats artistiques et littéraires ». C’est elle qui en 1857, à propos de « Madame Bovary » (qui vient de paraître en volume), lance le débat sur la question du réalisme. Se développe alors un genre qui se réclame de Champfleury, de Balzac, de Flaubert, et dont la fortune sera grande : le roman de mœurs, qui prend la relève du « récit historique ». Un bon exemple en est donné par « Mademoiselle Vallantin » de Paul Reider (1862) : rompant avec la respectabilité bourgeoise de sa famille, l’héroïne se livre corps et âme à son amant, ce qui en fin de compte ne lui apportera pas le bonheur si ardemment désiré.


2. Les débuts de Léopold II (1865-1880)

Monté sur le trône à la mort de son père, en 1865, Léopold II se préoccupe d’abord de consolider l’indépendance du pays, et particulièrement sa défense militaire. Avec la guerre franco-prussienne et la défaite de Sedan en 1870, Napoléon III cesse de constituer un danger pour la Belgique ; mais déjà se profile la menace allemande avec Bismarck, et le renforcement de l’armée s’avère de plus en plus indispensable.

A l’intérieur, les esprits sont occupés par le problème social, la question électorale (on parle , déjà, de suffrage universel…), l’obligation du bilinguisme dans la région flamande, mais aussi l’exploration du Congo, le développement de l’agriculture et du machinisme (en 1865, Solvay crée sa première usine de soude, à Couillet). Peu de renouvellement, par contre, dans le domaine des arts. L’architecture reste principalement d’inspiration gréco-romaine. La musique de César Franck n’est connue que d’un public réduit. Néanmoins, des peintres comme Félicien Rops (« Les sataniques ») ou Henri Evenepoel accèdent à la notoriété, sans oublier Hippolyte Boulenger qui domine l’école paysagiste de Tervuren.

La littérature se partage entre les ultimes survivances du romantisme et un réalisme sans réelle envergure. Quelques noms méritent une mention : « Heures de solitude », d’Octave Pirmez (1869), sorte de journal de voyage dont le thème central, selon l'auteur, réside dans « le Moi passager dans l’Univers éternel » ; la mélancolie du héros, qui rappelle Chateaubriand, est malheureusement évoquée dans un style souvent affecté. « Le roman d’un géologue », de Xavier De Reul (1874), est un récit largement autobiographique où l’auteur relate sa vie itinérante et sentimentale : un collectionneur de fossiles s’éprend d’une jolie Tyrolienne nommée Hulda, dont la vie s’achève avec le livre…

Plus convaincant, sans nul doute, est « Dom Placide » d’Eugène Van Bemmel (1875), présenté comme les « mémoires du dernier moine de l’Abbaye de Villers » : histoire toute romanesque d’un jeune moine pris par l’amour, et qui contient quelques passages émouvants. Par ailleurs, en 1875, Caroline Graviere publie « Mi-la-sol », sorte de plaidoyer en faveur de la jeune fille pauvre qui, après avoir été séduite, doit subir la réprobation collective : on a voulu y voir l’amorce d’une revendication féministe. Trois ans pus tard paraît « Un coin de la vie de misère », de Paul Heusy, recueil de quatre contes qui annoncent le naturalisme en prenant pour objet le malheur des humbles.

Dans cet ensemble plutôt terne, il faut réserver une place exceptionnelle à « La légende d’Ulenspiegel » que Charles De Coster publie en 1857, sorte d'épopée moderne illustrant la lutte de la Flandre et des Pays-Bas contre Philippe II : accompagné de son fidèle Lamme Goedzak, Thyl l’Espiègle devient le héros d’une révolte populaire qui aboutit à la libération de la future Hollande, au terme d’aventures où se mêlent le tragique et le facétieux. On peut reconnaître dans cette œuvre au moins quatre « antécédents » littéraires différents :
-l’élément épique, dans l’affrontement entre deux nations et la « croisade » de libération entreprise par Thyl ; dans le rôle important de l’héroïsme, des exploits guerriers ; dans le fait que les personnages sont des « types » plutôt que des individus ;
-le roman courtois, dont on sait qu’il accorde une place primordiale aux thèmes de la quête, et de l’exploit comme épreuve éliminatoire ;
-l’élément carnavalesque, illustré spécialement par Rabelais, revient ici dans le mélange intime du comique et du dramatique. Ulenspiegel est à plusieurs égards un héros-bouffon, et s’il n’oublie jamais l’essentiel, il en tempère la gravité par un sens constant de la farce ;
-le roman historique enfin, inventé par walter Scott, dont Robin des Bois annonce à certains égards le personnage de Thyl –sans oublier le goût des archaïsmes et d’un pittoresque vaguement « médiéval ».

On a dit à juste titre que « La Légende d’Ulenspiegel » est l’œuvre inaugurale, fondatrice de la littérature belge de langue française. Et il est vrai que par sa force et sa verve, par ses références discrètes à l’histoire nationale, par sa méfiance envers les dogmes et son amour de la liberté, elle va donner enfin au public belge la « référence » imaginaire qui lui manquait.

Histoire de la littérature belge

I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé

II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.

III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude

IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire

V. 1960-1985 : Entre hier et demain

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Camille Lemonnier (1844-1913)

C'est une oeuvre abondante (70 volumes environ) qu'a laissée ce romancier, un des écrivains belges de langue française les plus importants de son époque. Très mal reçu par un milieu littéraire bruxellois voué au conformisme et qui s'était déjà méfié de De Coster, Lemonnier, qui dut même à plusieurs reprises se défendre devant les tribunaux des audaces naturalistes qu'on lui reprochait, jouit cependant de la reconnaissance de ses cadets, les écrivains de La Jeune Belgique qui, en 1883, au moment où lui fut refusé le prix quinquennal de littérature, organisèrent un banquet en son honneur et lui décernèrent le titre de «maréchal des lettres belges». Dès 1871, il avait été remarqué à Paris par l'impressionnante description qu'il avait donnée dans Sedan (réédité en 1881 sous le titre Les Charniers ) des morts et des décombres après la bataille. Mais c'est surtout avec Un mâle (1881) que Lemonnier s'est fait connaître. Racontant l'amour d'un braconnier, Cachaprès, pour Germaine, la femme d'une famille paysanne huppée et respectable, Un mâle oppose la violence de la passion aux conventions sociales qui régissent le monde agricole. Le réalisme du récit alterne avec de fréquentes évocations lyriques de la nature, et surtout de la forêt, dont Lemonnier fait une sorte d'espace idyllique, pur de toute contamination de la société, où l'homme peut trouver à se revivifier. Cette rêverie sur la forêt et sur le refuge maternel qu'elle constitue reviendra, amplifiée, dans des oeuvres ultérieures où la fiction romanesque cèdera le pas à une prose plus poétique, comme L'Ile vierge (1897), Adam et Eve (1899) ou Au coeur frais de la forêt (1900). Après le monde paysan, décrit également dans Le Mort (1882), Lemonnier analyse diverses facettes du monde bourgeois. L'Hystérique (1885) raconte l'histoire d'une femme plongée par la névrose dans la soumission à un prêtre, tandis que Madame Lupar (1886) et La Fin des bourgeois (1892) insistent sur le rôle de l'argent et du pouvoir dans la société. Quant à la classe ouvrière, c'est surtout avec Happe-Chair (1886) que le romancier l'aborde, y brossant une fresque de l'univers des laminoirs, à la même époque à peu près où Zola, avec Germinal , évoque les mineurs des charbonnages. Au centre du récit se déchire un jeune couple dont l'homme est un ouvrier modèle mais dont la femme est présentée comme assoiffée de luxure. C'est moins la condition ouvrière qu'un puissant déterminisme psychologique qui est donné ici comme cause de la misère. Avec L'Hallali (1906), Lemonnier reviendra encore au monde des campagnes en décrivant la décadence d'une famille noble et propriétaire de terres. Il avait auparavant publié plusieurs romans dans la veine du roman psychologique dont, à partir de 1890, Bourget s'était fait le champion ; ainsi Claudine Lamour (1883), qui évoque le monde des cafés-concerts. Citons également, dans l'importante production romanesque de l'auteur d'Un mâle , Le Petit Homme de Dieu (1903), qui se passe dans la petite ville de Furnes et où tous les rôles bibliques de la procession annuelle des Pénitents sont tenus par les habitants, ce qui amène l'auteur à imaginer de curieuses superpositions entre la vie réelle des personnages et celle des figures symboliques qu'ils représentent. Comme chez de nombreux romanciers de son époque, la peinture constitue chez Lemonnier une référence capitale et son style descriptif et évocateur lui doit beaucoup. L'écrivain fut d'ailleurs également un critique d'art de qualité : Gustave Courbet et son oeuvre (1878), Les Peintres de la vie (1888), Henri de Braekeleer, peintre de la lumière (1895), Alfred Stevens et son oeuvre (1906).
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Le grand secret. (Maurice Maeterlinck; 1921).

"Impression d'un explorateur dans la région du mystère"; tel pourrait être le sous-titre de ce traité de Maurice Maeterlinck (1862-1949), sorte de brève histoire de l' occultisme, publiée en 1921. La recherche des sources du fleuve mystérieux qui coule à travers toutes les religions, les croyances et les philosophies, nous conduit dans l' Inde sacrée: de là ce courant se répandit sans doute en Egypte, dans la Perse antique, en Chaldée, imprégna le peuple hébreu, s'infiltra en Grèce et dans le nord de l'Europe, atteignit la Chine et même l'Amérique où la civilisation aztèque fut tributaire de la civilisation égyptienne. De l'occultisme primitif nous connaissans donc trois dérivations: la dérivation Egypte-Perse-Chaldée-Grèce (les "mystères" religieux grecs); l' ésotérisme judéo-chrétien, avec les Esséniens, les Gnostiques, les néo-platoniciens alexandrins, les Kabbalistes du moyen âge; enfin l' occultisme moderne, plus ou moins imprégné des précédents, qui englobe non seulement les théosophes, mais les spirites et tous les philosophes métapsychiques d'aujourd'hui. De ces divers courants, depuis les textes les plus anciens de la littérature sacrée hindoue jusqu'aux manifestations variées de l' occultisme moderne de Blavatsky, Besant, Steiner, et à la "Métapshychique contemporaine", l'auteur fait un tableau fort éloquent où il s'efforce de prouver que ces fleuves et ces ruisseaux de l' occultisme ont transmis jusqu'à nous des puissances, sans doute beaucoup plus spiritualistes que celles de l'esprit moderne. Pour saisir et dominer ces puissances nous devons donc nous spiritualiser, cultiver le jardin de notre âme, c'est-à-dire notre subconscient, par le renoncement et la concentration spirituelle. Le style suggestif et infiniment poétique de Maeterlinck, l'atmosphère purifiée, peuplée de paradoxes éthérés qui s'échappent avant qu'on ait le temps de les saisir, les subtiles points d'interrogation et un vague idéalisme sentimental, répandu un peu partout, ont été la cause du grand succès de cet ouvrage. Mais tout cela ne suffit pas à dissimuler l'absence d'unité de pensée, et le caractère arbitraire de certaines affirmations d'ordre historique. Il s'agit, non pas d'une doctrine, mais de variations poétiques subtiles et ingénieuses sur des thèmes qui ont toujours passionné l'humanité.

Extrait du Testament des siècles de Robert Paul

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L'actualité de Jean Baudet

Jean Baudet nous signale la sortie de presse de son dernier livre « A la découverte des éléments de la matière », chez Vuibert, Paris (176 pages). Il s’agit de l’histoire de la compréhension de la composition ultime de la matière du monde, depuis l’invention du rationalisme par Thalès de Milet, il y a 2600 ans, jusqu’à la découverte des éléments « trans-uraniens » après la seconde guerre mondiale. En passant par les quatre éléments de Platon, les trois principes de Paracelse, les corps « simples » de Lavoisier et l’extraordinaire tableau des éléments chimiques de Mendéléev… Cette aventure passionnante de l’esprit humain est une de ses plus remarquables réussites, car la connaissance des « éléments » constitue désormais la base de la Chimie, et en fait de toute la Science, et de la Technologie qui en dépend. Il est curieux, surtout à notre époque qui goûte fort le charme délétère des « incertitudes », de méditer ce fait qu’un Grec qui a voulu connaître « la nature des choses » a initié un mouvement qui a conduit l’humanité (je veux dire une très petite partie de celle-ci) à comprendre de quoi le monde est fait (y compris les êtres vivants), et donc à être capable de le transformer ! Cet ouvrage est le neuvième de son « Histoire de la pensée scientifique ». Les huit volumes précédents sont également parus chez Vuibert, et traitent de l’évolution des grandes disciplines (Mathématique, Physique, Médecine…). Ce travail constitue la base de sa réflexion philosophique, qui a abouti en librairie sous forme de trois essais, publiés chez L’Harmattan (Paris) : - Mathématique et vérité, - Le Signe de l’humain, - Une philosophie de la poésie. Voir www.editions-harmattan.fr. Il s'est aussi penché plus spécialement sur l’activité intellectuelle d’un petit pays non dénué d’intérêt, ce qui a conduit à un volume publié chez Jourdan (Bruxelles) : - Histoire des sciences et de l’industrie en Belgique. Ce volume sera suivi (début 2010) par un ouvrage complémentaire intitulé : - Histoire des lettres et de la pensée en Belgique.
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Cobalt international gallery asbl

Cobalt international gallery a.s.b.lLe concept.A pour but de promouvoir les artistes national et international dans tous les domaines de l’art,artistes peintres, sculpteurs, céramistes, photographes, graphistes.La création.La Cobalt international gallery a été fondée en Mai 2004 en a.s.b.l.Monsieur Fierlafijn Michel, Madame Vanderstucken Frieda , Monsieur Vantuykom Stephane (web master) Madame Smeets Monique,Leur ambition était de valoriser les artistes via ,notamment ,des expositions thématiques rendant compte de ‘ L’air du temps ‘ de la création ,dans la forme comme dans le fond .depuis l’ouverture de la galerie ,près d’une centaine d’artistes ont ainsi pu exposer leurs ouvres ,souvent pour la première fois.La galerie.Cobalt international gallery vous propose une salle d’exposition de charme et de caractère composée en trois zones de plus ou moins 180 m2Programme.La galerie vous proposera plusieurs expositions attractives et variées par an. Le programme de l’espace cobalt international gallery sera ponctué d’évènements artistiques de durées réduites pendant les expositionsCobalt international galleryRue Vandernoot 23 b/ 21080 BruxellesMetro SIMONISMetro BELGICALe Mercredi et le Vendredi de 16h à 19h.Le Samedi et le Dimanche de 13h à 18h.Pour plus d’informations , merci de nous contacter.Gsm / 0476/771/663 0478/ 711 097E-Mail / cobaltgallery@gmail.comSite / www.cobaltinternationalgallery.comBlogs / http://cobaltgallery.skynetblogs.behttp://cobalt.dhblogs.be
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"Je ne connais aucune oeuvre dans laquelle soient enfermés autant de silence, autant de solitude, d'adhésion et de paix, autant de royal éloignement de toute rumeur et de tout cri" (Rainer Maria Rilke, 1902). La pièce la plus célèbre de Maurice Maeterlinck doit une part de sa notoriété à l'adaptation musicale de Claude Debussy créée à l'Opéra-Comique le 30 avril 1902, sous la direction de Messager, en dépit des démêlés survenus entre l'auteur et le compositeur. Une nouvelle édition modifiée conformément aux représentations de l'Opéra-Comique paraîtra chez Paul Lacomblez en 1902. Très mal accueillie par la critique mais soutenue par une jeunesse enthousiaste, l'adaptation de Debussy restitue parfaitement l'atmosphère ésotérique de l'oeuvre. Par son dépouillement volontaire qui manifeste un retour à la simplicité classique, Pelléas et Mélisande marque une date importante dans l'évolution du drame symboliste.

Le prince Golaud, un homme d'âge mûr, rencontre une jeune fille en larmes au bord d'une fontaine. Il ignore qui elle est, d'où elle vient et pourquoi elle pleure, mais une couronne au fond de l'eau ainsi que ses vêtements indiquent une origine princière. Golaud épouse Mélisande et la ramène au château "très vieux et très sombre [...] très froid et très profond" où l'attendent son père Arkël, son demi-frère Pelléas et son fils né d'un premier mariage, Yniold (Acte I).

Pelléas conduit Mélisande près d'une fontaine dite "des aveugles" où la jeune fille laisse tomber l'anneau d'or offert par Golaud. La frêle Mélisande avoue son malheur, dont elle ignore la cause: "Je vais mourir si on me laisse ici" (Acte II).

Pelléas doit quitter le château pour se rendre au chevet de son ami Marcellus. Avant de partir, il veut embrasser Mélisande et la surprend, à la fenêtre d'une tour, coiffant sa longue chevelure qui inonde le jeune homme: "Je t'embrasse tout entière en baisant tes cheveux." Arrive Golaud qui met fin à ce qu'il appelle des "jeux d'enfants", mais demande à Pelléas d'éviter Mélisande, prétextant sa délicatesse et son émotivité; il se sert du petit Yniold pour savoir ce que se disent les jeunes gens en son absence (Acte III).

Pelléas fixe un dernier rendez-vous à Mélisande: "Il faut que tout finisse [...]. J'ai joué comme un enfant autour d'une chose que je ne soupçonnais pas [...]. J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée." Pelléas et Mélisande s'avouent enfin leur amour et s'embrassent, lorsque, dans la nuit, surgit Golaud qui tue Pelléas. Mélisande s'enfuit épouvantée (Acte IV).

Au matin, les servantes découvrent les corps de Mélisande et de Golaud devant la porte du château. Mélisande n'est que légèrement touchée: "Ce n'est pas de cette blessure qu'elle meurt, un oiseau n'en serait pas mort [...] ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée [...] elle ne pouvait pas vivre", dit le médecin à Golaud, fou de remords, implorant son pardon et réclamant toute la vérité sur l'amour de Pelléas et Mélisande. Un amour que la jeune femme avoue très naturellement. Cet aveu trop facile torture Golaud: "La vérité, la vérité", hurle-t-il. Mais Mélisande est déjà trop loin et Arkël demande qu'on la laisse en paix: "Il faut parler à voix basse [...] l'âme humaine aime à s'en aller seule." Le petit être silencieux et mystérieux s'éteint sans un mot (Acte V).

Le drame "banalement passionnel", pour reprendre l'expression de Maeterlinck, d'un amour fatal qui conduit à la mort est mené ici selon une lente et irrésistible progression des sentiments. L'évolution de Pelléas et Mélisande n'est marquée que par une succession d'états d'âme, sans aucun éclat dramatique ou effet lié aux événements. L'action ne provient que du resserrement progressif de l'emprise du destin sur les personnages: le schéma dramatique est donc essentiellement émotionnel. Pelléas et Mélisande ne prennent que tardivement conscience de l'amour qu'ils se portent. Si dès l'acte I leurs paroles sont révélatrices de leurs élans inconscients, de leur muette attirance, c'est l'épisode de la fontaine, où Mélisande, jouant avec l'alliance offerte par Golaud, la laisse tomber dans l'eau, "peut-être aussi profonde que la mer", qui éclaire les jeunes gens, confirmés dans leurs sentiments après la scène de la tour, où la longue chevelure de Mélisande inonde Pelléas comme autant de liens inconscients. Mais ce n'est que lors de son agonie que Mélisande accédera à une révélation totale. Elle est parvenue, grâce à l'amour, à un niveau de perception qui l'éloigne définitivement du monde des humains; d'où son incompréhension face aux cris de Golaud réclamant vérité et pardon.

Si Golaud incarne le jaloux mis à nu avec sa soif de domination totale sur l'être aimé, avec son obsession de la vérité, son désespoir d'homme à qui tout échappe, Mélisande, elle, reste mystérieuse jusqu'au bout. Ambiguë et troublante, elle est la figure même du destin; malgré sa beauté funeste elle n'est pas un être de chair, mais avant tout une âme - et en même temps une poupée mue par une force obscure, Dieu, ou la fatalité.

Aucune véritable péripétie dans cette pièce de "théâtre immobile", qui conduit inexorablement ses héros vers la mort. Dans ce texte où pourtant existent l'amour, la jalousie, la colère, les personnages parlent comme dans un songe, se touchent à peine, sont incapables de nommer les choses et se contentent de proférer des paroles transparentes, chargées pourtant de symboles, et qui semblent arrachées à une incommunicable rêverie intérieure. La pièce se nourrit d'actes banals, dénués en apparence de toute signification. C'est le quotidien dans ce qu'il a de plus dérisoire et d'écrasant qui comble le silence de ce théâtre dont l'auteur n'a "d'autre intérêt que celui qu'inspire la situation de l'homme dans l'univers".

Extrait du Testament des siècles de Robert Paul

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Mon site-blog.

Je vous présente mon site-blog (plutôt site car je n'y publie pas les commentaires mais blog dans la forme). Il s'agit de mes productions récentes en peinture (huile sur bois) et peinture numérique (collages réalisés sur photoshop à partir de peintures personnelles).Voici le lien : www.ambertcec.blogspot.com
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Le Congrès des francoromanistes allemands à Essen 29.9-2.10-2010 lance un appel à communication intitulé Bruxelles surréaliste. Topographies d´une citéToutes les informations sont disponibles sur le site de Fabula.Les organisateurs sont Thomas Amos (Heidelberg)/Christian Grünnagel (Heidelberg)
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ALPHA-BETISE-ATION

A tu ne sais pasSi tu dois t'a-B-sserEt C DOu siCa t' E disDe te dé-F-endrePour m'accomplir GSouvent pensé H-angerI as-tu réfléchi toi aussiCi J nos coeurs et nos erreursMais K tu soudain tu es blèmeL est pourtant loin notre histoireSi tu m' M encoreLaisse mourir la NO oubliettesEt que la P soit avec nousQ ne rage douce-amèreR sur nos deux viesN' S pas suffisantT pas sur de toi tu doûtesU serai-je là d'un subterfugeTant pis j'y VEt un W pour une double victoireVictoire de la m' X ité antique et décadanteMême si les gent' YDevront se passer de nos ZFrédéric Halbreichoctobre 1996
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Au sujet de l'amitié de La Boétie et de Montaigne, tout le monde connaît l'explication de Montaigne: "C'était parce que c'était lui, c'était parce que c'était moi". Mais connaît-on ce que fut l'amitié entre Max Elskamp et Henry Van De Velde, deux immenses figures belges? Vous pourrez trouver sur ce sujet, en téléchargement, un véritable document de Van De Velde: "Henry van de Velde entretient ses Collègues de l'Académie libre Edmond Picard de la formation poétique de Max Elskamp et d'une amitié de plus de 50 ans" (15 juin 1933) Téléchargez ce document à partir de https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/lhommage-de-henry-van-de-velde
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1. Le choc de la guerre

Le 4 août 1914, les Allemands envahissent la Belgique pour atteindre plus sûrement la France. Ils ne réussiront jamais à forcer la capitulation de l’armée belge, qui tient quatre longues années dans les tranchées de l’Yser. Dès la libération, la reconstruction du pays recommence, inaugurant paradoxalement une décennie de prospérité économique (les « années folles ») que vient interrompre la crise mondiale de 1929. La réduction de l’activité industrielle engendre alors un chômage qui s’accroît de façon inquiétante jusqu’en 1934. C’est l’année suivante seulement que l’économie du pays commence à se redresser, ce que symbolise l’Exposition de Bruxelles de 1935. Entre-temps, l’Europe assiste impuissante à la montée des fascismes : l’Allemagne quitte la Société des Nations en 1933, la Belgique elle-même connaît l’inquiétant succès d’un Léon Degrelle. Redoutée ou déniée, l’approche d’une nouvelle guerre est de plus en plus inéluctable.
La Belgique de l’entre-deux guerres se retrouve devant plusieurs problèmes non résolus en 1914. Le suffrage universel sans restriction (sauf pour les femmes) est instauré en 1919. Grâce à une égalité politique enfin complète, les socialistes envoient à la Chambre de nombreux députés, et participent à plusieurs gouvernements, ce qui permet d’améliorer considérablement le sort du prolétariat. Quant à la question linguistique, elle entre dans une phase décisive, grâce à la majorité flamande du Parlement : ainsi la flamandisation de l’université de Gand est-elle votée en 1930.

Sur le plan culturel, le choc moral provoqué par la guerre ébranle les modèles et les convictions qui dominaient l’avant-guerre. Deux phénomènes se sont produits durant le conflit : le pacifisme internationaliste (avec en France Romain Rolland, René Arcos, etc. Et en Belgique Clément Pansaers, Frans Masereel, etc.) qui contrarie le patriotisme officiel ; et surtout le communisme, victorieux en Russie avec la Révolution d’Octobre 1917. C’est pourquoi, de 1918 à 1939, deux grands tendances intellectuelles dominent :

-le rejet du monde d’avant-guerre et de ses valeurs, puisque c’est lui qui a « produit » le conflit et son cortège d’horreurs. La volonté d’instaurer une culture nouvelle prend deux directions distinctes, qui parfois se combinent entre elles :
a) esthétique (modernisme et surréalisme inspirent des formes radicalement neuves) ;
b) b) idéologique et politique (développement de la littérature engagée, du courant prolétarien).
-la reprise de formules « traditionnelles » (surtout dans le roman), mais au service de thèmes qui manifestent une profonde inquiétude quant à l’homme, à son identité, à son avenir : hantise de l’enfance, expérience de la folie, etc.


2. Esprit Dada et modernisme

De décembre 1917 à mai 1918 (soit encore en pleine guerre), à La Hulpe, Clément Pansaers édite un mensuel appelé « Résurrection », à teneur à la fois expressionniste, antimilitariste et internationaliste. On y trouve mêlés des textes d’écrivains allemands, belges et français, une étude de Pansaers sur « la littérature jeune allemande », etc. Après le n° 6, l’occupant interdit d’ailleurs la revue, tandis qu’à l’Armistice, son animateur est inquiété par des compatriotes zélés. Bien que son audience soit restée très limitée, « Résurrection » inaugure en Belgique la profonde mutation littéraire et artistique des années 20. Dès 1919, Pansaers écrit à Tristan Tzara pour lu signifier son adhésion au mouvement Dada.

La guerre finie, se développe à Anvers une intense activité intellectuelle qui se concrétise en 1920 par la naissance des revues « Lumière » (Roger Avermaete) et surtout « Ca ira » (sous l’impulsion de Paul Neuhuys). Sous ce titre « révolutionnaire » s’affaire une avant-garde quelque peu disparate, unie davantage par ce qu’elle rejette que par ce qu’elle poursuit. Le n° 16 (novembre 1921) est resté le plus célèbre : mené par Pansaers, intitulé « Dada - Sa naissance -sa Vie – sa mort », il fait le bilan du mouvement. « A plusieurs dadaïstes manquait certainement un critérium clair et net. Ne sachant pas très bien ce qu’ils voulaient, ils étaient entraînés dans le courant, qui essaya de rétablir l’ancien équilibre de 1914. Ils proclamaient la négation et passant à l’affirmation pour eux-mêmes, ils le faisaient à la remorque de Gide ou vaguement de Stéphane Mallarmé. Dada n’était plus, en dernière analyse, que Tam-Tam-Réclame » (p. 15).
Au même moment, Franz Hellens lance à Bruxelles les « Signaux de France et de Belgique », qui en 1925 prend le titre célèbre « Le Disque vert ». De tendance moins subversive que les prédécesseurs, ce périodique d’un excellent niveau se montre attentif à des phénomènes typiquement modernes, consacrant par exemple des numéros spéciaux à Charlot, à Freud, au suicide. Il constitue d’autre part un important trait d’union entre la France et la Belgique (on y trouve les noms d’André Malraux, de Jean Paulhan, de Jean Cocteau, de Blaise Cendrars, etc.), activant ainsi les indispensables échanges entre écrivains également soucieux de renouvellement. En 1923, Michaux en devient co-directeur.
Plusieurs autres publication littéraires et/ou artistiques voient le jour en cette période, lui assurant un dynamisme qui rappelle –le contenu excepté- celui des années 1880-1890. Toujours en 1921, Paul Vanderborght lance « La Lanterne sourde ». De 1922 à 1929, les frères Bourgeois dirigent avec Pierre-Louis Flouquet « 7 Arts », d’inspiration constructiviste, mais dépourvu de toute volonté d’engagement. Son titre le suggère, la revue milite seulement pour l’interpénétration des différentes pratiques artistiques et littéraires, et défend une conception de la poésie qui allie la rigueur et la sensibilité.
Bien entendu, les revues ne sont pas les seules en ces années 20 à proclamer le désir de renouveau né de la guerre. Il y a des récits provocants de Clément Pansaers « Pan Pan au Cul Nu du Nègre » (1920), « Bar Nicanor » et « Apologie de la paresse » (1921), le recueil « Salopes » et les collages de Paul Jostens, fortement marqué par le dadaïsme. Il y a d’autre part une série de plaquettes poétiques qui ne relèvent pas d’un courant particulier, mais témoignent d’une volonté commune de modernité –et qui, pour ce motif, peuvent se regrouper sous le terme générique de « Modernisme ». Ainsi « Le canari et la cerise » (1921° et « Le Zèbre handicapé » (1923) de Paul Neuhuys. « Des fragments du monde vivement colorés s’y trouvent (…) évoqués au gré de la fantaisie de l’écrivain, de même que des personnages aimés ou moqués, ou encore des bribes qui semblent toujours prêtes à dériver on ne sait quel inattendu » (Paul Emond) ». Plus classiques de facture, les poèmes de Norge ou d’Odilon-Jean Perier reflètent bien l’esprit du temps : poursuite vaine d’un idéal de pureté, rejet de ce qui est vil, étriqué, hypocrite. Mais là où Périer chante le décor citadin, avec ses toits et sa luie (« Notre Mère la ville », Norge évoque un désir d’évasion et de vérité inextinguible (27 poèmes incertains », 1923 ; « Plusieurs Malentendus », 1926.
Autre recueil caractéristique de l’époque : « Jazz-band », de Robert Goffin (1922), où perce nettement l’influence d’Apollinaire, de Cendrars.

Je me souvins jadis de chants d’église
Et ce soir j’écoute le jazz-band
Qui est le plus beau Te Deum du monde
Des nègres hurlent de tous leurs instruments
Et le jazz-drummer derrière son tambour
Est simple ainsi que Diogène.

Sans doute beaucoup d’autres titres pourraient-ils encore être cités, tels « La Courbe ardente », de René Verboom (1922). Il en est au moins un dont il faut souligner l’importance, notamment parce qu’il inaugure une carrière littéraire exceptionnelle : « Les rêves et la jambe », d’Henri Michaux (1923). Beaucoup des œuvres que nous avons qualifiées de « modernistes », il faut le souligner, sont éditées par « Ca Ira » ou « Le Disque vert », qui ne se contentent pas d’être des revues, mais construisent des foyers d’intense activité, où les rencontres et les discussions contribuent à former ce qui a manqué si souvent en Belgique : un milieu littéraire.



3. A l’enseigne du surréalisme

C’est dans le mouvement surréaliste que va, comme en France, se manifester de la manière la plus « organisée » le rejet de la culture et de l’esthétique traditionnelles. Il apporte sur la scène artistique et littéraire une cohérence théorique, une « logique » que les autres tendances novatrices, plus anarchiques, ne possèdent pas ou ne souhaitent pas. En 1919, André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault créent la revue « Littérature » où paraît le premier texte surréaliste, « Les Champs magnétiques ». Quant à la Belgique, il faut mettre en évidence une œuvre de Frans Hellens qui paraît en 1921 : « Mélusine ».

Sans être véritablement surréaliste, ce roman surprenant (seul antécédent peut-être qu’on puisse lui donner : « Impressions d’Afrique », publié en 1910 par Raymond Roussel) introduit dans le récit des éléments prémonitoires : le discontinu, la prédominance du rêve, l’image incongrue. Ainsi le tableau célèbre :

Après quelques heures de marche, nous aperçûmes une chose inattendue dans le vide accoutumé du désert. Devant nous se dressait une imposante cathédrale à deux tours carrées, sombres, presque noires. de loin, on pouvait la croire toute entière en bronze massif. Les rayons du soleil africain, avant de disparaître, embrasèrent un moment l’édifice.

Il faut attendre 1924-1925 pour qu’apparaissent les premières (et discrètes) manifestations surréalistes : une série de tracts intitulés « Correspondance », œuvre conjointe de Paul Nougé, de Camille Goemans et de Marcel Lecomte. Ce trio bruxellois est dominé par la forte personnalité de Nougé, communiste de la première heure, ami de René Magritte, esprit d’une rigueur et d’une profondeur remarquables, et dont le style à la fois lapidaire et légèrement énigmatique donne à ses textes polémiques un intérêt littéraire quasi supérieur à ses autres écrits.

Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère.
L’art est démobilisé par ailleurs, il s’agit de vivre. Plutôt la vie, dit la voix d’en face.
Nous poursuivions notre promenade, au passage délivrant de nos propres pièges quelques différences.
(« Correspondance », 22 novembre 1924).

Dispersés dans des publications confidentielles et devenus introuvables, les textes de P. Nougé sont restés longtemps inaccessibles. Grâce à Marcel Marien, ils ont été rassemblés et publiés, principalement dans deux volumes intitulés « L’expérience continue » et « Histoire de ne pas rire », où se traduisent les grandes préoccupations de l’écrivain : volonté de l’effacement de l’auteur, attention extrêmement perspicace au langage et à ses pouvoirs, refus de faire œuvre de « littérature », goût pour les aphorismes et les jeux de mots.
De telles options le montrent, les surréalistes bruxellois gardent leurs distances à l’égard de leurs homologues parisiens. Jamais ils n’adopteront les dogmes « bretonniens » de l’écriture automatique ou des hasards objectifs. Ainsi Camille Goemans, dont le recueil « Périples » paraît au Disque Vert en 1924, « La Lecture élémentaire » en 1929, etc.

Paysage fuyant
mobile comme l’eau
un arbre sous un arbre a fait un bond d’écume
les feuilles ont découvert les barques
et l’abîme l’abîme.
(La lecture élémentaire ».

Ainsi encore Marcel Lecteur, écrivain plus marginal qui ne se considère pas vraiment comme surréaliste, et dont les récits insolites en effet ne relèvent pas de cette école : « Applications » (1925), « L’homme au complet gris clair » (1931, « Les minutes insolites » (1936), « Le vertige du réel » (1936). Dans toutes ces nouvelles se joue un scénario privilégié : à force d’une attention extrêmement minutieuse aux détails les plus infimes de son environnement, le héros en arrive à découvrir une face cachée de la réalité ordinaire et bascule irrésistiblement dans cet « autre monde ».

C’est en 1932, au moment où des grèves violentes agitent la région de Mons et de Charleroi, que se constitue à La Louvière un deuxième foyer surréaliste : le groupe « Rupture », mené par Achille Chavée, et dont l’engagement politique est le souci principal. Il connaît en 1935 une année particulièrement féconde : premier recueil d’Achille Chavée (« Pour cause déterminée ), premier (et unique) numéro de la revue « Mauvais temps », où l’on trouve parmi d’autres les noms d’André Lorent, De Fernand Dumont, de Constant Malva. L’année suivante, Chavée s’engage dans les Brigades Rouges Internationales, tandis que deux recueils de lui paraissent aux éditions « Rupture » : « Le Cendrier de chair » et « Une fois pour toutes » (1937). Bien que moins connu, F. Dumont reste l’écrivain le plus attachant du surréalisme hennuyer, avec notamment « La région du cœur » (ensemble de tris contes paru en 1939). Il est en tous cas celui qui a le mieux assimilé et appliqué le « programme » littéraire défini par Breton, sans abdiquer toutefois sa sensibilité personnelle.


4. L’engagement de gauche

On l’a vu, l’engagement politique préoccupe beaucoup des écrivains qui se rattachent au dadaïsme, au modernisme et au surréalisme; pour être complet, il faut signaler dans les années 30 un certain nombre de groupes, de revues et d’œuvres qui, sans s’intégrer à l’un des courants précités, témoignent de l’aspiration à une littérature engagée, d’inspiration prolétarienne. C’est le cas pour la revue « Prospections », fondée en 1929 par Charles Plisnier et Albert Ayguesparse ; pour le « Front Littéraire de Gauche », instauré à Bruxelles le 24 juin 1934, où figurent les mêmes, Constant Malva, etc. Bien que relativement éphémères, ces créations manifestent une inquiétude partagée, qui sans doute doit être mise en relation avec la montée du fascisme dans l’Europe de l’époque.
Les œuvres les plus durables de ce courant sont sans conteste les romans de Charles Plisnier. Et d’abord « Mariages » (1936), tableau d’une société bourgeoise où la loi du profit aboutit à écraser les aspirations profondes de l’individu. Maus aussi « Faux passeports » (1937, recueil de nouvelles où sont évoquées diverses figures de révolutionnaires, et pour lequel la presse est encore plus élogieuse que pour « Mariages ». Plisnier reçoit à cette occasion le prix Goncourt.

Dans le même ordre de préoccupations, mais avec beaucoup moins de netteté idéologique, «Ma nuit au jour le jour », de Constant Malva (1938). Saisissant dans sa simplicité, ce « journal » décrit le travail au fond de la mine –accompli dans des conditions telles que, même dépeintes sans acrimonie particulière, elles constituent une sévère dénonciation de l’exploitation capitaliste.

En politique, parut en 1933 l'important ouvrage de Henri de Man "L'idée socialiste", un exposé sur la philosophie de l'histoire et du socialisme.



5. L’avant-garde dans l’isolement

De même qu’ Emile Verhaeren fut un « inclassable » pour son époque, l’entre-deux guerres voit s’accomplir une œuvre qui ne peut être rattachée à aucune autre : celle d’Henri Michaux. Ecrivain d’une originalité irréductible, comme en témoignent « Fable des origines » (1923), et surtout les premiers grands recueils édités à Paris : « Qui je fus » (1927), « Ecuador » (1929), « Mes propriétés » (1929), « Un barbare en Asie » (1933).

Sous-titré « Journal de voyage », « Ecuador » témoigne tout particulièrement des choix qui caractérisent, dès ce moment, le travail de Michaux : une exigence d’absolu, poursuivie au travers des aventures les plus risquées (en l’occurrence, une épuisante traversée de l’Amérique du Sud, des Andes à l’embouchure de l’Amazone) ; un mépris pour l’indigente « réalité » des choses, à quoi le narrateur préfère les pouvoirs mal explorés de l’univers mental ; l’image inquiétante du corps morcelé ; la diversité des registres stylistiques, qui alternent dans le texte, le poétique prenant le relais du narratif.

Ce n’est qu’un petit trou dans ma poitrine,
Mais il y souffle un vent terrible,
Dans le trou il y a haine (toujours), effroi aussi et impuissance,
Il y a impuissance et le vent en est dense,
Fort comme les tourbillons.



6. Le populisme et alentour

Le populisme, qui cherche à décrire de façon réaliste la vie quotidienne des gens du peuple, est un courant littéraire et artistique sans frontières très nettes. Pour nous en tenir à la Belgique, il est certain qu’il a partie liée avec le régionalisme et avec la littérature prolétarienne, auquel on l’assimile quelquefois. Ce qui caractérise les récits populistes, c’est bien entendu l’évocation des humbles et même de la misère (son expression extrême : le « misérabilisme »), mais en l’absence de tout réquisitoire, de toute revendication. Là où le courant prolétarien implique l’insertion dans un combat essentiellement collectif, le populisme n’envisage que des destinées individuelles, et se complaît souvent dans un fatalisme qu’éclairent quelquefois l’une ou l’autre lueur d’espoir.
En premier lieu, il faut citer les livres attachants de Neel Doff, romancière dont l’enfance s’est déroulée à Amsterdam dans une misère noire ; dès avant la guerre, elle l’avait racontée dans « Jours de famine et de détresse » (1911). « Keetje » paraît en 1919, « Keetje trottin » en 1921- sans doute ses meilleures œuvres, scandées par les images de la faim, de la prostitution, de la cruelle dureté des nantis à l’égard des miséreux, mais aussi par une indomptable confiance dans la vie. Paru en 1926, « Campine » évoque la période où, ayant trouvé l’aisance, elle vient en aide aux frustes paysans d’une Campine arriérée.

Bien que le ton y soit plus caustique et l’univers plus égocentrique, ce sont un peu les mêmes thèmes que l’on découvre dans deux romans d’André Baillon : « Histoire d’une Marie » (1921) et « En sabots » (1922). Largement autobiographiques, ces deux récits évoquent la vie de la prostituée un peu naïve mais généreuse que Baillon épouse en 1902 ; puis leur existence campagnarde en Campine, où l’écrivain s’était passagèrement essayé à l’élevage des poules. Ce qui retient particulièrement l’attention, c’est le mélange d’extrême simplicité et d’humour parfois grinçant avec lesquels sont relatés les péripéties les plus quotidiennes, comme si l’auteur se tenait constamment à distance de sa propre histoire.

Plus dur est « La Bêtise », de Constant Burniaux (1925), où sont mis en scène avec un vérisme quelque peu expressionniste les enfants des quartiers misérables d’une grande ville –souvenir de l’époque où l’écrivain était instituteur dans les Marolles bruxelloises. On retrouve dans « Une petite vie » (1929) l’alternance imprévisible du narrateur entre une ironie cruelle et une compassion attendrie pour les déshérités, dont tout l’universel moral se ramène en une sentimentalité « bête ».

Mais le monde de la ville (le côté pauvre et âpre de la ville), s’il est en effet le thème préféré des romans populistes, cède parfois la place à celui du travail manuel. Témoin « Le village gris » de Jean Tousseul (1927), croquis de la vie campagnarde au pays des carrières, avec ses bonheurs et ses petits drames, mais qui frôle souvent la sensiblerie. Ce défaut est absent des deux livres de Constant Malva « Histoire de ma mère et de mon oncle Fernand » (1932), et « Borins » (1935), témoignages d’un ton sobre et d’autant plus saisissant sur les conditions d’existence dans le Borinage.

Beaucoup d’autres titres pourraient trouver place dans cette rubrique. Mais il faut bien reconnaître que, comme pour le régionalisme, il s’agit d’un genre dont les potentialités littéraires ne sont pas renouvelables à l’infini. Et qui, lui aussi, offre une fâcheuse propension au pitoyable et au larmoyant. Comme les chansons de la même eau, les récits populistes se contentent souvent d’émouvoir à peu de frais, et seules méritent d’être retenues les œuvres qui comportent autre chose que des clichés factices. A cet égard, il faut mentionner les premiers romans de Georges Simenon, tels « Pietr-le-letton » (1929, première apparitions du commissaire Maigret, ou « Le testament Donadieu » (1936). Certes, l’intrigue est ici pour l’essentiel de nature « policière ». Mais les décors et les personnages de Simenon sont le plus souvent tirés des quartiers et des milieux populaires imprégnés de grisaille et de malchance.

En 1933, Robert Vivier publie « Folle qui s’ennuie », où il chante la vie modeste et tranquille des petites gens, mais sans atteindre la force des romans de Marie Gevers « La ligne de vie » (1937) et « Paix sur les champs » (1941. Ces récits dépeignent avec finesse et exactitude la fruste existence des paysans campinois au début du siècle, avec leur âpreté au travail et au gains, les mœurs brutales sinon primitives, l’importance des superstitions ; mais aussi, en dépit des obstacles, la victoire de l’amour et de la vie sur le passé maudit.


7. Naissance d’un théâtre

L’entre-deux guerres est aussi une période qui voit apparaître en Belgique un théâtre nouveau. Au début des années 20, pourtant, la situation n’est guère propice : divertissement mondain réservé à la bourgeoisie aisée d’une part, salles subventionnées pour les pièces à vocation « littéraire » d’autre part. Ce divorce se double d’un problème de création : les œuvres symbolistes d’un Maurice Maeterlinck sont déjà loin, le renouvellement de l’imaginaire et de l’écriture dramatiques paraît malaisé.

C’est dans cette ambiance que surgissent deux des plus grands dramaturges belges : Fernand Cromelynck et Michel de Ghelderode. Le premier se fait connaître avec « Le cocu magnifique », farce grinçante créée à Paris en 1920 : torturé par la jalousie, le héros préfère tout plutôt que l’incertitude, et offre sa femme à qui la veut, ce qui bien entendu a pour effet d’accroître son désespoir. Viendront ensuite « Les amants puérils » (créé en 1921), « Tripes d’or » (1925), « Une femme qu’a le cœur trop petit » (1934), etc. Ce qui caractérise le théâtre de Crommelynck, outre un sens aigu de la scène et du dialogue qui lui donne une vivacité hors-pair, c’est le mélange intime de comique et de gravité : les ressorts les plus secrets de l’âme humaine s’y révèlent d’une façon d’autant plus frappante au « sérieux » encombrant du drame psychologique –ce qui justifie la comparaison souvent faite avec Molière.

Tout autre est l’atmosphère qui se dégage des pièces de Michel De Ghelderode, dont les premières « grandes » apparaissent à la fin des années 20 : « Escurial » (publié en 1928, créé en 1929), « Barabbas » (créé en 1929, publié en 1931). S’y trouvent déjà les caractères spécifiques de l’univers ghelderodien : irréalisme carnavalesque, figures grotesques ou masquées qui sont autant de « types » et non de « personnages », présence constante de la mort allié à la bouffonnerie, mise en relief des instincts les plus élémentaires. La démesure est ici plus accentuée encore que chez Crommelynck, et rappelle quelquefois la farce moyenâgeuse. La faconde s’accroît encore dans ces chefs-d’œuvre que sont « Sire Halewyn » (1934), « Pantagleize » (1934), « La ballade du grand macabre » (1934), « Magie rouge » (1935), pièces qui feront scandale à Paris après 1945.

D’autres dramaturges, bien que d’une puissance et d’une originalité moindres, méritent d’être mentionnés : Henri Soumagne, avec notamment « L’autre Messie » (1924) et « Bas-Noyard », pièces à coloration étonnamment expressionniste. Et Herman Closson, dont le « Godefroid de Bouillon » (1933), au-delà de l’argument « historique, s’attache à dévoiler les motivations les plus secrètes des personnages.


8. A la recherche du « moi »

Cette période littéraire se constitue aussi, et à un titre nullement accessoire, d’une série de romans « psychologiques » : récits à base le plus souvent autobiographique, où le narrateur se livre à une difficile investigation autour de son « moi », et plus généralement à une quête de l’identité personnelle. De facture généralement plus traditionnelle, ces œuvres insistent notamment sur le rôle primordial et subconscient de l’enfance dans la formation de la personnalité, explicitant avec plus ou moins de netteté ce que les psychologues appellent le « roman familial ».

A cette tendance se rattachent plusieurs romans de Franz Hellens, surtout « Le Naïf » (1926), « Frédéric » (1935), « Les filles du désir » (1930). Ils manifestent plusieurs constantes caractéristiques de l’écrivain : la volonté de reconstituer les peurs, les rêveries, les fantasmes dont se nourrit et se construit l’imaginaire enfantin ; l’importance donnée à l’image (bienveillante ou non) de la mère, qu’il s’agira de retrouver en d’autres femmes, ; l’élargissement de la « réalité » pure et simple par le rêve, qui ouvre à la vie mentale son territoire illimité, à la fois exaltant et inquiétant.

Une place un peu latérale doit être faite à certaines œuvres d’André Baillon. Non tant aux écrits franchement autobiographiques de la fin de sa vie, comme « Le neveu de Mademoiselle Autorité » (1930) ou « Roseau » (1932), où la relation anecdotique nuit souvent au drame de l’aventure intérieure. Mais surtout aux œuvres qu’on pourrait dire « de la folie » : « Un homme si simple » (1925), « Délires » (1927), « Le perce-oreille du Luxembourg » (1928) : ici se révèle de la façon la plus nue l’intransigeance névrotique d’un héros pour qui le simple fait de vivre constitue une épreuve quasi insurmontable, et dont la seule défense réside dans cet humour grinçant qu’il dirige autant vers lui-même que vers on entourage.

Figure un peu comparable, Jean de Bosschère publie « Marthe et l’enragé » en 1927, « Satan l’Obscur » en 1933 : thèmes de l’adolescence révoltée dans une petite ville de province, du rejet dont souffre la jeunes infirme, de l’individualisme forcené qui répugne à toute forme d’hypocrisie sociale… Certes, il n’y a rien d’aussi amer dans « Madame Orpha », publié par Marie Gevers en 1933. Mais ce roman n’est pas aussi innocent qu’on le croit généralement. L’idylle entre Orpha (par ailleurs épouse d’un respectable fonctionnaire) et le jardinier Louis est vue par les yeux d’une fillette au seuil de l’adolescence : de par la personnalité du témoin, cette aventure banale est revêtue d’une dimension discrètement initiatique, la découverte par l’enfant de la réalité terrible et douce de la passion amoureuse.


Histoire de la littérature belge

I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé

II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.

III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude

IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire

V. 1960-1985 : Entre hier et demain

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