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« Le Pain de Vie » Artistes : Silviane Tirez (peintures), Alain Larivière (peintures), Lou Delman (sculptures), et Carole Duffour (sculptures). Vernissage le : 25/11/2009 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 25/11 au 13/12/2009. « Signes, Matières, Formes et Couleurs » Artistes : Jean-Pierre Artin (peintures), Brigitte et Jean-Marc Millet (céramiques), Roger De Bruyn (bijoux). Vernissage le : 16/12/2009 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 16/12 au 10/01/2010. « Du Maitrisé au Maitrisable » Artistes : Le Xiao Long (encres de Chine), Laura Bazzoni (photographies), Emma Lapassouze (peintures), Baldelli (sculptures), Adèle Vergé (sculptures). Vernissage le : 13/01/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 13/01 au 31/01/2010. « Alchimie et Impermanence » Artistes : Pittorex (laques, oxydations) et Martine Hirtzmann (peintures). Vernissage le : 03/02/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 03/02 au 21/02/2010. « 40 ans sur les chemins de l’amitié » Artistes : Daniel Thys (peintures, dessins, encres de Chine, divers…) Vernissage le : 24/02/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 24/02 au 14/03/2010.
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Emile Verhaeren le grand barbare doux

La Belgique ne tarda pas à reconnaître en Verhaeren son plus grand poète lyrique, suivie de l'Europe, par le canal du Mercure de France. On a dit de lui qu'il était un « grand Barbare doux », et le mot est aussi joli que juste.
On l'a appelé aussi « le Victor Hugo du Nord », et c'est déjà beaucoup moins acceptable. Le rattacher à un autre poète ou même à une école (il a traversé le symbolisme comme un bateau traverse un chenal) serait injuste et absurde.
En 1907 déjà, Bazalgette, qui fut le premier à écrire sur lui, disait : «Verhaeren ne procède de personne. » Et c'est vrai, il est seul, comme le vent, comme la mer, comme l'arbre, comme ces forces de la nature auxquelles il a pour toujours donné une voix. Il a une vue juste et profondément fraternelle des êtres et des choses, et en même temps comme agrandie, infiniment, par les effets harmoniques de ses adverbes sauvages.

Le poète fermé au monde

Émile Verhaeren est né à Saint-Amand, sur les bords de l'Escaut. C'est là que, jusqu'à l'âge de douze ans, « il joue avec le vent, cause avec le nuage », entre un père retiré des affaires (il était drapier à Bruxelles), une mère douce et attentive, et le frère de celle-ci, dont l'huilerie voisine crachait ses fumées sur l'Escaut. Après deux ans passés à l'institut Saint-Louis de Bruxelles, il entre, à quatorze ans, au collège Sainte-Barbe de Gand, cette pépinière de poètes flamands d'expression française. Ses études achevées, il vint partager pendant un an le bureau de l'oncle. Puis il partit pour l'université de Louvain et, en 1881, pour Bruxelles, où il s'inscrivit comme avocat stagiaire. Edmond Picard eut tôt fait de lui indiquer la voie de la poésie dans laquelle déjà Verhaeren ne demandait qu'à s'engager. De 1883, date de parution du premier recueil Les Flamandes , jusqu'à sa mort brutale, en gare de Rouen, Verhaeren publia une trentaine de recueils parmi lesquels, alternant l'épopée et le lyrisme, ouvrant le chemin du monde moderne aux hommes les plus déshérités, mais sachant aussi dire à voix basse l'humble amour du foyer (il avait épousé Marthe Massin en 1891), se retrouve, intact, généreux et naïf, un romantisme socialiste plus pur et plus profond qu'on ne l'a dit. Sa patrie l'appréciait et, académicien, il donna des conférences en Allemagne, en Suisse, même en Russie.

Tout avait commencé dans le malentendu. L'apparition des Flamandes , en 1883, fit scandale. Devant la levée de boucliers des bonnes âmes plus éprises de confort moral que de poésie, il ne se trouva que trois défenseurs : Edmond Picard, Albert Giraud, d'une manière plus réservée, et Camille Lemonnier, qui
venait de publier Un mâle , pour plaider la défense du jeune poète. Déjà, le naturalisme se disposait à fêter un nouveau disciple. Mais, dès 1886, Verhaeren publie Les Moines . A la sensibilité lourde succède le mysticisme le plus évident. Pour comprendre cette démarche, sans doute faut-il conjuguer la
connaissance des caractères les plus secrets de la poésie et de la Flandre.
D'ailleurs, tout s'explique mieux si l'on sait que Verhaeren enfant se rendait souvent au cloître des Bernardins de Bornhem, aux portes de Saint-Amand, et qu'au moment d'écrire ses Moines il se retira pendant trois semaines au monastère de Forges, près de Chimay. Que se passa-t-il ensuite ? Le poète se ferme au monde et publie coup sur coup ses trois livres les plus noirs : Les Soirs (1887), Les Débâcles (1888) et Les Flambeaux noirs (1890). La mort rôde au long de ces recueils, et il semble que la folie, née d'un désespoir aussi vaste que vrai, veuille trouver en Verhaeren un chantre lucide. Les dates aussi jouent un rôle. L'époque moins spectaculairement révolutionnaire que la fin du XVIIIe siècle est d'une importance historique énorme. Une certaine idée de l'homme change véritablement de sens au profit d'une certaine idée de masse. Ce n'est certes pas un hasard si des hommes aussi différents que Louis II, le premier Wittelsbach régnant, et Nietzsche, et Van Gogh furent, pour ainsi dire ensemble, touchés de l'aile de la folie, et tous trois si tragiquement. Poète plus sensible que d'autres aux souffles du dehors, Verhaeren fut alors soumis à ce grand vent fou de l'époque. S'il fut préservé, c'est sans doute parce que, n'étant pas encore allé au fond de lui-même, il ne pouvait céder à ce vertige sans se trahir.

Le poète ouvert au monde

Verhaeren s'ouvre alors au monde. Il assume les changements, voit mourir les campagnes et naître non plus la cité mais la Ville. Il fait alors ce que les poètes ont fait de tout temps : il va aimer ce monde qui se forge devant lui, et il va l'aimer assez pour en extraire une beauté, redoutable sans doute mais réelle, qu'il exaltera. C'est la longue suite des grandes oeuvres : Les Apparus dans mes chemins (1891), Les Campagnes hallucinées (1893), Les Villages illusoires (1894), Les Villes tentaculaires (1895).
Il parvient même un peu plus tard à traduire ce monde nouveau devant lequel il a d'abord tremblé avec un accent de plénitude qu'il ne connaissait pas encore : Les Visages de la vie (1899), Les Forces tumultueuses (1902), Toute la Flandre (1904), La Multiple Splendeur (1906). Entre-temps, comme un repos entre deux tâches gigantesques, il a su donner à l'amour intime quelques-uns de ses plus beaux chants : Les Heures claires (1896) et Les Heures d'après-midi (1905). Il poursuit dans la voie ainsi tracée, et Les Rythmes souverains (1910) seront séparés des Blés mouvants (1912) par l'admirable musique de chambre des Heures du soir (1911). C'est curieusement dans le théâtre, un théâtre très poétique, qu'il lui arrive de traquer encore ses démons personnels : Le Cloître en 1900, Philippe II en 1904 et Hélène de Sparte en 1908. On y retrouve le climat et comme l'écho des peurs d'autrefois. Partout ailleurs, le poète, en s'ouvrant au monde, a dominé son angoisse, dit son amour et peint, en Flamand qu'il était, cet univers mouvant, changeant et volontaire.

Verhaeren, certes, fut souvent loué, parfois même compris, et quelquefois injustement méprisé. Du « grand Barbare doux » certains n'ont voulu retenir que le « Barbare ». Il n'appartient à aucune école. Enfin, ce romantisme socialiste auquel généreusement il rêvait a fait place à des réalités plus rudes. Verhaeren est l'un des rares grands poètes d'expression française à ne survivre que dans les anthologies. Les oeuvres elles-mêmes, aujourd'hui dispersées dans les bibliothèques et les greniers, ne sont plus accessibles.
De sorte que l'on assiste à l'évolution d'un monde que le poète vit naître et dont il traduisit la naissance avec une fougue et un talent comparables à ceux d'un Walt Whitman sans pouvoir s'y référer.

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1. La guerre et ses lendemains Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique. C’est le début de cinq années d’occupation, plus dures encore qu’en 14-18, au cours desquelles la résistance s’affirme courageusement, tandis que rexistes et nationalistes flamands du VNV se livrent à la collaboration. Après le débarquement de Normandie, l’offensive Von Rundstedt dans les Ardennes et la victoire définitive sur l’Allemagne nazie, le problème du retour de Léopold III en Belgique divise le pays : c’est la question royale, marquée par une série de graves violences principalement dans les provinces de Liège et du Hainaut, et qui se dénoue par l’intronisation de Baudouin Ier. Durant les années 50, l’évolution économique et politique du pays peut se ramener à quelques faits saillants : reconstruction et relance de l’économie avec le soutien du Plan Marshall ; association de la Belgique à de grands consortiums internationaux (ONU en 1946, Benelux en 1947, OTAN en 1949, CECA en 1954, Euratom en 1957) ; conflits croissants entre les deux communautés linguistiques du pays, mais aussi entre unitaires et fédéralistes ; nouvelle guerre scolaire, ponctuée par la loi « Collard » (1955) et le Pacte scolaire (1959), entre catholiques et socialistes. Sur le plan culturel et intellectuel, il faut noter que, durant de longues années, le choc de la guerre paraît curieusement amorti. Certes, les tendances révolutionnaires de l’entre-deux-guerres (surréalisme compris) semblent complètement oubliées, l’américanophilie s’installe : l’heure n’est plus au pro-communisme ni même à une réflexion ou à une littérature « engagées ». Mais, comme beaucoup d’autres pays, la Belgique semble vouloir oublier au plus vite les affres de 40-45, et se soucier prioritairement de retrouver le bien-être matériel, en renouant avec des valeurs morales jugées « éternelles » -et dont on discerne mal la collusion avec la montée du fascisme dans les années 30 (respect de l’autorité, des valeurs bourgeoises comme la famille et la patrie, éducation paternaliste et puritaine, etc.) Il faudra attendre la révélation très progressive de l’horreur concentrationnaire, et une lente prise de conscience idéologique, pour que, à retardement, ce consensus avoue ses premières fissures (ainsi pourrait-on interpréter la révolte étudiante de mai 1968). Entre-temps, ni les intellectuels, ni les écrivains, ni les artisans n’entament de réflexion sur le sens profond de leur activité. Durant cette période, et sauf de minces exceptions, il n’y a pas d’avant-garde en Belgique, pas de contestation de l’ordre établi, de querelle d’école –pas même de roman existentialiste. C’est le règne d’un « bon ton » plus ou moins consentant. 2. Le « grand possible » Durant l’occupation, les circonstances font de la lecture un loisir privilégié. Mais, la frontière avec la France étant fermée, et la censure allemande veillant, la création littéraire est amenée à se réfugier dans trois genres très « détachés » de la réalité contemporaine –lesquels d’ailleurs poursuivent leur essor après la Libération : le récit fantastique, les histoires policières, la poésie non-engagée. Ce n’est pas que dans ces œuvres l’angoisse née de la guerre ne transparaisse nullement, mais elle s’y exprime toujours d’une manière indirecte, méconnaissable. Témoin le rêle de la peur et de l’horreur dans les contes fantastiques, celui de la violence ou de la mort dans le roman policier, etc. En 1941 paraît « Sortilèges » de Michel De Ghelderode, recueil de « contes crépusculaires » qu’on a rapprochés des sombres fictions d’Edgar Poe. Dans chacune de ces histoires en effet, on assiste à la progressive et inéluctable montée de l’angoisse, qui se matérialise autour du narrateur en un décor oppressant : seul un événement imprévu, ou un violent effort de la volonté lui permet finalement de s’en délivrer, et de retrouver l’apaisement. Le plus célèbre « fantastiqueur » belge reste Jean Ray, dont les meilleurs récits paraissent eux aussi en pleine guerre : « Le Grand Nocturne » (1942), « Les Cercles de l’Epouvante » (1943), « Malpertuis » (1943), sans compter « La Cité de l’indicible peur » (1943) et bien d’autres. certes, cette œuvre abondante a de nombreuses faiblesses, sacrifiant souvent à la redite et à la facilité. Certes, elle n’hésite pas à recourir à l’arsenal le plus éprouvé (et le plus disparate) des récits d’horreur : vampires, fantômes, créatures monstrueuses, diable en personne, phénomènes surnaturels de toutes sortes, situations angoissantes jusqu’au paroxysme. Il n’en reste pas moins que, évitant le vieux piège de l’explication rationnelle finale, et laissant habilement sans visage précis les êtres de l’ « autre monde », Ray nous livre des histoires douées d’un réel pouvoir d’envoûtement, parmi lesquelles émerge son seul roman : « Malpertuis ». A la même veine appartiennent les recueils de Thomas Owen, tels « Les chemins étranges » (1943), « La cave aux crapauds » (1945), « Cérémonial nocturne ». Mais ils se caractérisent par une absence quasi complète d’exotisme : les événements et créatures étranges apparaissent sur fond de banalité, le contraste accentuant l’impression d’épouvante. Tout autre est l’œuvre de Marcel Thiry. Son insolite est plus ample, plus raffiné, plus méditatif. L’auteur est hanté par la fatalité du vieillissement, de la jeunesse qui disparaît irrémédiablement, par le motif de la femme aimée qui a disparu et qu’il s’agit de retrouver. Dans « Echec au temps » (1945), qui relève d’une science-fiction « douve », un quatuor de jeunes gens tente de modifier rétroactivement l’issue de la Bataille de Waterloo : entreprise chimérique, mais combien symptomatique, qui vise à renverser l’immémoriale tyrannie du temps et de la mort. Ce me^me récit revient, sous des aspects divers, dans les sept contes intitulés « Nouvelles du grand possible » (1960), et dont le plus remarquable est « Le concerto pour Anne Queur » : fable émouvante et inquiétante, où un peuple d’immortels finit par disparaître dans le suicide collectif. Aux côtés de Marcel Thiry, citons « Nouvelles réalités fantastiques » de Franz Hellens (1941), auteur lui aussi d’excellentes nouvelles dans ce genre littéraire dangereux (précisons que plusieurs de ses recueils n’appartiennent pas à la période 1940-1960 : « Réalités fantastiques » date de 1923, « Herbes méchantes » de 1964, « Le dernier jour du monde » de 1967). Par contre, on s’étonnera peut-être de voir figurer ici « Octobre long dimanche », de Guy Vaes (196). Et pourtant, ce roman hors du commun manifeste une vive expérience de l’étrangeté. Bizarrement passif, Laurent se laisse successivement couper de toutes ses attaches sociales : emplois, amis et amies. Il semble accepter sans remords ni acrimonie cette lente déperdition, jusqu’à se retrouver jardinier d’un domaine dont il aurait dû hériter : inquiétant cheminement d’un être qui, tout en continuant de vivre, est en train de « quitter » ce monde. 3. Le roman policier Il est généralement admis que le récit policier est une « invention américaine » (pensons à Edgar Poe, à Raymond Chandler, à Dasihell Hammet), popularisé dans la France d’avant-guerre par des collections comme « Le Masque » ou « L’Empreinte ». Sous l’occupation, Stanislas-André Steeman –déjà célèbre en France, et qui vient de publier son fameux roman d’énigme « L’assassin habite au 21 » (1939) –lance une collection intitulée « Le Jury », rapidement auréolée d’un succès flatteur . Le créateur du commissaire Wens devient alors une sorte de gloire nationale, et il est vrai que plusieurs de ses œuvres témoignent d’un métier très sûr : « Légitime défense » (1942), « Haute tension » (1953), « Six hommes à tuer » (1956), etc. En tout une quarantaine de volumes, qui dénotent une grande virtuosité dans la technique narrative, mais aussi d’une verve et d’un humour qui les mettent aux antipodes des Simenon. Plusieurs auteurs mineurs se sont consacrés au policier : Max Servais, Louis-Thomas Jurdant, etc. Une place spéciale doit être réservée à deux spécialistes du fantastique : Jean Ray, avec sa longue série des « Aventures d’Harry Dickson », « le Sherlock Holmes américain » ; et Thomas Owen, auteur d’ « Hôtel meublé » (1943), des « Invités de huit heures » (1945), du « Portrait d’une dame de qualité » (1946). Nous voici à l’écrivain belge le plus célèbre au monde : Georges Simenon. Quant la guerre commence, il a déjà, comme Steeman, publié bon nombre de titres qui l’ont fait connaître d’un large public. En 1940 paraît « Le bourgmestre de Furnes », l’un de ses meilleurs romans, de la veine de ceux qui ont valu à Simenon la réputation non d’un auteur de policiers, mais de romans psychologiques. Citons encore, à titre d’échantillons, « L’horloger d’Everton » (qui date de la période « américaine », soit 1945-1955), des enquêtes du commissaire Maigret. Tous les livres de Simenon, à des titres divers, sont des oeuvres d’atmosphère. Elles relèvent d’une sorte de « néo-naturalisme », dans la mesure où les personnages semblent fréquemment menés par une fatalité incontournable, et leur comportement comme pré-déterminé par le lieu dont ils sont issus. Mais leur intérêt provient surtout d’une écriture parfaitement adaptée à l’imaginaire du récit, de l’absence d’importunes « explications » psychologiques, de motifs obsédants comme le regard, l’attente, le silence. 4. La poésie à l’honneur On l’a dit, la période voit s’épanouir d’autre part une poésie souvent d’excellente qualité, bien qu’elle ne soit révolutionnaire ni dans ses thèmes ni dans son langage. Soulignons à cet égard, le dynamisme précieux d’éditeurs comme Georges Houyoux, André de Rache, Pierre Seghers ou Henri Fagne, qui permettent à de nombreux jeunes poètes de se faire connaître. Sans oublier des « relais aussi utiles que les Midis de la Poésie à Bruxelles, les Biennales de Knokke, « Le Journal des Poètes », etc. Parmi les meilleurs recueils qui voient le jour dans les années 50, citons « Le voleur de feu », de Robert Goffin (1905), à la tonalité quelquefois proche d’un Cendrars. Citons surtout ceux qui figurent longtemps, Henri Michaux mis à part, considérés comme les deux meilleurs poètes belges de langue française : Norge et Marcel Thiry. Le premier publie « Les râpes » en 1949, « Les oignons » et « Le gros gibier » en 1953, « La langue verte » en 1954. Son œuvre se caractérise par une sorte de sagesse bonhomme mêlée de sensualité, mais aussi par un ton savoureux qui rappelle fréquemment les adages et chansons populaires. Sorte de fabuliste moderne, mais sans emphase ni sermon, Norge pourchasse l’hypocrisie et la prétention, sensible seulement à ce que la vie a de plus vrai. Atmosphère toute différente dans les recueils de Marcel Thiry, par exemple dans « Usine à penser des choses tristes » (1957), à la coloration toute nostalgique. Et c’est parfois suprême ou bien l’avant-suprême Que nous verrons jaunir un été sursitaire. Voici l’aster avant-suprême ou bien suprême ; Le signe violet se lève sur Cythère. Il serait injuste, enfin, d’oublier « La marche forcée » de Liliane Wouters (1954), « Magie familière », de Roger Goossens (1956), ou encore « Géologie », d’Henry Bauchau (1958). Sans apporter à l’art poétique de profond renouvellement, de tels recueils, avec leurs indéniables qualités, sont bien représentatifs de l’esthétique dominante de cette époque, où le sentiment d’insatisfaction forme pierre angulaire. 5. Le règne des éditeurs parisiens Sous ce titre un peu provoquant, il s’agit de caractériser un phénomène typique de l’après-guerre : l’édition littéraire belge devenue quasi inexistante, bon nombre de manuscrits (sinon d’écrivains) prennent la route de la France. La production romanesque de l’époque –c’est elle que nous visons ici, en exceptant le fantastique et le policier- est dominée par l’analyse psychologique et les problèmes moraux. Pour le reste, elle présente guère d’unité, et se constitue plutôt d’œuvres à chaque fois singulières, dont plusieurs sont d’ailleurs d’authentiques réussites. Ainsi en va-t-il pour « Blessures », de Paul Willems (1945), où sur fond de village campines, la pure et frêle Suzanne succombe sous la méchanceté d’un entourage trop dur pour elle. Pour « Le Rempart des Béguines », de Françoise Mallet-Joris (1951), histoire de l’amitié tendrement immorale entre Hélène adolescente et Tamara, la maîtresse de son père. Pour « Léon Morin, prêtre », que Béatrice Beck publie en 1952, montrant la nécessaire soumission du désir aux interdits moraux. C’est la même année que paraît « Notre ombre nous précède », d’Albert Ayguesparse, peinture terrienne qui renoue habilement avec le roman de mœurs. En 1953 sort de presse « Thomas Quercyé, de Stanislas d’Outremont : malgré son pathétique, l’héroïsme un peu artificiel du personnage central fait du roman une œuvre de morale autant que de fiction. « Les mémoires d’Elseneur », de Franz Hellens (1954) constituent peut-être son roman le plus riche et le plus fort. Composé de trois parties dont les rapports sont en partie énigmatiques, il raconte l’itinéraire inquiétant de Théophile, enfant criminel, puis navigateur de l’étrange, et enfin ascète qui renonce au monde. Dans cette terrible épopée, où passe le souffle de la tragédie antique, les pulsions oedipiennes le disputent à la recherche de l’absolu et de l’apaisement définitif –que le héros finit par trouver dans un mystérieux paysage de neige. Il faut mentionner le merveilleux « Tempo di Roma », d’Alexis Curvers (1957). Le jeune Jimmy, épris de la jolie Geronima, ne s’est pas aperçu avant la mort de Sir Craven qu’il en était aussi aimé : l’intrigue serait mince si elle n’était étroitement associée à la « présence » et au charme de Rome, dont les couleurs, les odeurs, la lumière sont rendues avec une finesse rarement atteinte. Quant à « Saint-Germain ou la négociation », de Francis Walder (1958), il rapporte les discussions historiques entre calvinistes et catholiques, au 16e siècle ; mais il s’attache surtout à une étude psychologique raffinée des interlocuteurs, et aux dédales les plus subtils de l’argumentation diplomatique. 6. La « Belgique sauvage » Quelques rares isolés se tiennent à l’écart de l’académisme officiel et des cercles feutrés qui caractérisent l’époque : souvent des survivants de l’aventure surréaliste ( dossier surréalisme suivra), ou de jeunes créateurs qui en ont été directement marqués. Véritables marginaux de la littérature, ils poursuivent opiniâtrement leur tâche anticonformiste, le plus souvent sans grande notoriété, tâchant de maintenir la fragile flamme de la contestation des valeurs établies. En 1947, un groupe « surréaliste-révolutionnaire » apparaît en Belgique. Christian Dotremont est parmi ses fondateurs et bientôt, sous son impulsion, voit le jour fin 1948 le groupe « Cobra », qui s’illustre surtout dans le domaine des arts plastiques, et s’écarte d’ailleurs radicalement du surréalisme. Il se rend célèbre notamment par des « peintures-mots », dont les nombreux « logogrammes » de Dotremont. En 1952, André Blavier crée à Verviers la revue « Temps mêlés ». L’année suivante, c’est « Phantomas », dont l’animateur principal est Théodore Koenig. Le n° 11 (décembre 1971) comportera un important supplément intitulé « La Belgique sauvage », sorte de panorama de tout ce qui, dans l’après-guerre, s’érige en refus de la culture officielle : ainsi la revue « Daily-Bûl », fondée en 1957 par André Balthazar. Pour diverses, persévérantes et désintéressées qu’elles oient, il faut reconnaître que les initiatives de ce genre ne donnent pas lieu à des œuvres importantes. Elles sont dominées de très loin par le personnage d’Henri Michaux qui, vivant en reclus, publie dans ces années certains de ses plus beaux textes, aux titres significatifs : « L’espace de dedans » (1944), « Ailleurs » (1948), « Face aux verrous » (1954), « L’infini turbulent » (1957). Admiré de beaucoup, Michaux n’est imité par personne ; et s’il est considéré avec René Char et Francis Ponge comme l’un des plus grands « poètes » français, c’est en solitaire qu’il poursuit son parcours exigeant. D’une étonnante lucidité, il évite avec une sûreté miraculeuse tous les pièges habituels de la littérature et de la pensée, en explorant jusqu’à l’extrême limite du possible les pouvoirs et les frontières de l’esprit humain, fût-ce dans l’expérience de la drogue. Moins ésotériques sont les œuvres de Louis Scutenaire (« Les degrés », 1945 ; « Les vacances d’un enfant », 1947) ; de Christian Dotremont (« La pierre et l’oreillers », 1955) ; d’Achille Chavée (« Entre puce et tigre », 1955), etc. Elles ont, entre autres, l’intérêt de préserver un « contre-pouvoir » dans la sage Belgique littéraire de l’époque. Histoire de la littérature belge I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé II. 1880-1914 : Un bref âge d’or. III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire V. 1960-1985 : Entre hier et demain
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LA MUETTE est une initiative des éditions BDL à Bordeaux (<<www.editionsbdl.com>>), partenaires de l'INA en France, (direction: Jean-Luc Veyssy).Dirigées à Bruxelles par Bruno Wajskop, les éditions LA MUETTE se présentent en Belgique comme un nouvel éditeur belge à part entière, et en France comme la collection belge des éditions BDL.LA MUETTE et les éditions BDL sont dirigées par une véritable équipe d'éditeurs.(Vincent Peillon, Antoine Spire, Fabienne Brugère, Guillaume le Blanc, Serge Audier, Philippe Chanial, Jean Cléder, Dominique Emmanuel Blanchard et un clin d'œil bienveillant de Francis Dannemark)POLITIQUE - ACTUALITÉ - HISTOIRE, ARTS & PATRIMOINE - LITTÉRATURE – SCIENCES HUMAINESPolitique belge: dans ce domaine, nous privilégions les textes de qualité, sans exclusive, en refusant l'extrémisme.Sciences humaines: LA MUETTE publie des textes d'auteurs belges dans le domaine de la psychanalyse au sens large.C'est ainsi que l'œuvre de Serge André continuera enfin d'être publiée. Le catalogue complète la large collection des éditions BDL dans le domaine des sciences humaines.Littérature: La littérature belge trouve naturellement sa place parmi nos collections, avec des auteurs d'envergure (Stefan Liberski), mais aussi avec des œuvres littéraires de personnalités médiatiques (Jacques Mercier), et des textes brillants d'auteurs que nous désirons faire connaître en France et en Belgique.PREMIERS OUVRAGES À PARAÎTRE EN MARS 2010(Viviane Teitelbaum : Quand l'Europe se voile – CNCD : Refonder les politiques de développement – Jacques Mercier : Excès – Jacques Wautrequin : 60 ans de crises – Paul Ardenne & Barbara Polla : Peintures, please pay attention please)Diffusion / Distribution : France: CED / LES BELLES LETTRES - Belgique : SDLC LA CARAVELLEContact : Bruno Wajskop - ++32 497 57 48 59 - <<mailto:wajskop.bruno@wanadoo.fr>><<www.editionsbdl.com>> - <<www.lamuette.be>>
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Cher(e)s ami(e)s,Mesdames, Messieurs,Je vous invite à découvrir notre nouvelle page d' information Myspace Emile Verhearen à Roisin.La Renaissance du Musée est annoncée, il semble que cette FOI encore la voix du peuple a été entendue.Je vous souhaite une belle visite sur ce dossier ouvert et réalisé par l'oeil attentif de Manu Paz pour la réalisation infographie, montage vidéo; René Legrand qui est présent et actif sans compter et qui depuis 2004 se bat pour que l'âme d'Emile Verheraen puisse dormir en Paix à Roisin.Merci à vous tous qui soutenez le projet, sans vous, ceci ne serait pas possible.La victoire sera la NOTRE!Un merci particulier également à Nicolas Lemmers, l'arrière petit neveu du Poète et concepteur du projet "L' Hommage Musical", pour son regard attentif de tous les instants.Bien à vous tous,Pour le groupe,Muriel Vigneronhttp://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=510868063
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La peinture soutenue par les mots

Introduire des mots dans la peinture est un procédé ancien, il est presque aussi vieux que l'invention de l'écriture, en effet on le trouve déjà dans l'Egypte pharaonique, plus tard, en Occident, tableaux et tapisserie, comporteront les noms des personnages et bien d'autres indications écrites, facilitant la compréhension de l'oeuvre. Le texte cependant reste un élément étranger, marginal qui ne joue qu'un rôle secondaire dans la composition de l'oeuvre. Marier texte et images dans une unité indissoluble est, semble-t-il, une recherche propre à notre siècle, déjà les cubistes et les futuristes l'ont réalisé dans leurs collages, ils utilisent des papiers imprimés, qui apparaissent à la fois comme un matériau original et comme une référence. Il ne s'agit pas de textes qui éclaireraient la signification de l'ensemble, mais les fragments de partitions ou de journaux font partie de la composition au même titre que le tracé ou les formes peintes. Poussant l'invention plus loin des peintres, à partir des années 20, ont inséré dans leurs compositions des textes complets, une phrase, un poème écrits à la main qui jouent le même rôle qu'un dessin parmi les personnages ou les taches de couleur. Ainsi, par exemple, en 1925, Joan Miro, alors sous l'influence du surréalisme, écrira-t-il, à travers toute la surface de sa toile, d'une belle écriture moulée, une poésie: "Le corps de ma brune - parce que je l'aime- comme ma chatte habillée en vert salade- comme de la grêle c'est pareil". La peinture est en quelque sorte soutenue par les mots, elle se marie avec eux, leur absence désorganiserait ses belles arabesques, parallèlement le tracé peint donne sens aux mots, les réinvente en quelque sorte. Par la suite, on retrouve souvent des signes d'écritures jouant le rôle de figures dans tel ou tel ensemble au tracé très libre comme chez Paul Klee. Plus tard encore le pop art fit intervenir dans des tableaux des bulles de bandes dessinées et différents éléments graphiques de la civilisation contemporaine, comme des étiquettes d'emballages ou des signaux routiers. Mais le groupe Cobra suit de plus près l'invention de Miro en mêlant comme lui des textes poétiques à des peintures; en outre, à l'instigation d'un de ses fondateurs, Christian Dotremont, Cobra a introduit une nouvelle manière de d'organiser l'oeuvre en donnant une part égale à deux auteurs, qui travaillent à quatre mains. Rappelons que ce groupe a été constitué en 1947 par des artistes, peintres et écrivains, évoluant en Belgique, en Hollande et au Danemark, d'où son nom: CO (penhague)- BR(uxelles)- A(msterdam). A l'individualisme des surréalistes, ces nouveaux venus substituent une collaboration étroite. Ainsi le poète Christian Dotremont devient souvent le co-auteurs des oeuvres des ses amis peintres, il ne se contente pas de leur dicter un texte, mais il s'empare d'un pinceau, et écrit à travers la toile d'Asger Jorn, de Pierre Aléchinsky et de quelques autres . Ces associations se multiplient, Serge Vandercam pour sa part travaille avec Dotrement et avec Joseph Noiret. Le texte court ou fragmenté est intégré comme un élément plastique à part entière. Le style très libre de Cobra permet de confondre les grands mouvements de la couleur avec le graphisme généralement monochrome, et donc lisible, des mots intégrés. La peinture elle-même tire sens des mots, c'est l'ensemble qui est en une peinture ou, si l'on préfère, un poème. Les tableaux- mots, permettent aux poètes du groupe de participer à des inventions communes. Une des premières oeuvres caractéristiques de cette manière de faire est sans doute, en 1948, la toile de Dotremont et de Jorn intitulée Je lève, tu lèves, nous rêvons où l'écriture épaisse de Dotremont se marie étroitement avec les taches de couleur, équilibrant la composition et lui donnant sens: "une main qui n'existe pas rencontre (la nuit)une main qui va bientôt apparaître JE LEVE TU LEVES nous rêvons une bonne taches de gros temps sur une mer parfaite." Le titre avec ses majuscules et deux mots en italique, nous rêvons forment le centre du tableau. C'est cette intégration de l'écriture qui est expressive, c'est elle qui donne un sens onirique à l'ensemble; toute la composition dépend de la place où s'inscrivent les lettres du texte. Non seulement le papier ou la toile servent de supports mais encore, avec Vandercam associé à Dotremont, des boues ramenées des Fagnes. Sur cet étrange matériau l'écriture se trace à la pointe ou à la mirette du potier. L'expérience des tableaux-mots se poursuivra avec la plupart des peintres du groupe jusque dans les années 60, à cette époque Christian Dotremont travaille avec Karel Appel, pour créer Dors dans ton langage (Kunstmuseum, Silkeborg). Parallèlement il invente en 1962 les logogrammes inspirés entre autre de la calligraphie japonaise et chinoise. Il avait affirmé dans le passé que " le mot est la matérialisation symbolique de l'objet ", il découvre qu'on peut "peindre la poésie / sans modèle ni mode.". Il est donc possible de peindre des mots dans la spontanéité d'une écriture libérée de toutes règles soumise seulement au rythme du texte, à l'inspiration du poète. La plupart du temps il travaillera désormais seul, créant d'extraordinaire graphies au pastel gras et ensuite à l'encre de chine sur papier. La difficulté de lecture est désormais telle qu'il lui faut écrire une deuxième fois les textes en petites italiques courantes et intégrer le poème ainsi décrypté dans la composition. Le tableau à ce moment est constitué entièrement par les mots. Un certains nombre de logogrammes ont été "encadrés" dans des marges d'Aléchinsky ce qui est une autre manière de travailler à quatre mains. L'idée de l'intégration du mot au tableau fera son chemin, on ne s'étonne pas de la retrouver chez des artistes de chez nous, tel Englebert Van Anderlecht qui n'a pas participé au mouvement Cobra, mais qui connaît évidemment les habitudes de ses concitoyens, en revanche, il est plus étonnant de voir, en 1955, débuter une série de l'Américain Robert Motherwell autour des mots Je t'aime ( en français). Les tableaux ne sont plus faits en collaboration, même lorsque le texte est la citation d'un poète, le peintre reprend toute son autonomie, c'est lui qui trace les mots, lui qui les déplace, qui les déchire comme fera Vandercam lui-même avec Noiret. Bien que tous deux aient participé à Cobra, ils abandonnent la technique du tableau à quatre mains, mais le mariage étroit du texte et de l'image, ou mieux le rythme du poème traduit en couleur, reste essentiel. Peut-être faut-il parler aussi du Français Ben qui, d'une belle écriture d'école primaire, inscrit des aphorismes en blanc sur fond noir ou en noir sur fond blanc, mais ici la peinture disparaît au profit d'un message satirique. En revanche actuellement l'usage de majuscules romaines remplace de plus en plus souvent le graphisme qui se liait si bien à la joyeuse invention des peintres, il semble lié au désir d'échapper à l'improvisation qui caractérisait aussi bien Miro que les compagnons de Noiret ou de Dotremont et qui subsistait lorsque le peintre redevenait seul maître de sa composition. Ce travail est fait en quelque sorte à l'inverse des logogrammes, il ignore la spontanéité du geste, le sens passionné des mots qui deviennent peinture dans un lyrisme chaque fois renouvelé. Il vise à l'objectivité d'un message universel. On voit un exemple assez remarquable de cette rigueur dans une composition en céramique bleue qui orne le métro de Bruxelles dans la station Parvis de Saint Gilles, pour laquelle Françoise Schein a imaginé de composer le texte des Droits de l'homme, en petit blocs séparés d'une lettre chacun, ce qui provoque l'étonnement des passants. C'est en suscitant la curiosité qu'on espère attirer leur attention et les inviter à la lecture de ce qui leur est donné à voir. Cette fragmentation régulière donne aussi au texte un aspect monumental voire une sorte de sacralisation qui souligne le message et marque avec force les intentions de la plasticienne. On pourrait dire, comme pour les logogrammes, que l'alliance mots-peinture est totale. Tout ceci témoigne assurément, s'il en était besoin, de l'absence de frontière entre les arts, entre les paroles et les couleurs, entre l'écrit et le peint, qui caractérise notre temps.
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Dans son essai « Art et scolastique » (1920), Jacques Maritain, lié avec de nombreux peintres modernes, en particulier Rouault et Chagall, Maritain essaya très tôt d'édifier une philosophie de l' art sur les principes du thomisme. Exposées ici dans un style savant et ardu, très "scolastique", ces théories restent néanmoins étroitement liées aux débats particuliers de l'époque; elles veulent avant tout dénoncer mais aussi comprendre cette recherche de la "gratuité", du "désintéressement", qui était la grande revendication de nombreux milieux artistiques des années vingt. Avec "Art et scolastique", l'auteur ne donne pas, au sens propre du mot, une esthétique, mais plutôt une "poétique". Son point de départ n'est pas le sentiment du Beau, mais la notion de l' Agir, qui à la fois procède de l' intelligence et se distingue du pur connaître, et aussi la réalité de l' art, qui se distingue du pur Agir comme une vertu dont la fin est de bien faire son oeuvre. Ici, l'art est surtout envisagé comme une activité spécifique, possédant ses lois propres, dans ses conflits possibles avec les règles de la moralité, dans ses analogies aussi avec l'ordre spirituel. Mais Maritain défend résolument l' art de toute soumission intrinsèque à la morale et aux fins spirituelles: "L' art, dit-il, apparaît comme quelque chose d'étranger en lui-même à la ligne du bien humain, presque comme quelque chose d'inhumain, et dont les exigences cependant sont absolues". Il n'en reste pas moins que la marque humaine, celle des mains mais aussi celle de l' âme, est imprégnée sur l'oeuvre d' art. "L'oeuvre chrétienne veut l' artiste saint, en tant qu'homme".

Dans "Frontières de la poésie", Maritain devait poursuivre sa recherche à la fois dans un sens plus métaphysique (comparaison entre l'idée créatrice chez l'homme et chez Dieu) et avec plus d'attention pour les problèmes esthétiques concrets. Il fait d'abord une distinction importante entre Poésie et Art. Apparentée à la métaphysique et à la mystique, la poésie est comme une saisie imparfaite, au coeur même des apparences, de la marque divine empreinte sur toutes choses. L' art, au contraire, est essentiellement création et n'obéit qu'aux lois de sa création même. C'est ainsi qu'il a été conduit à revendiquer une liberté totale; il ne veut être attentif qu'à ses règles propres; il ne tient plus compte de l'homme. Mais il se refuse ainsi à la poésie, il devient stérile et inhumain. S'il est sans doute absurde de vouloir subordonner l' esthétique à l' éthique, il reste cependant que l'homme artiste relève pareillement de l'une et de l'autre. Son oeuvre n'a rien à voir avec la morale mais lui-même est sujet de la morale. D'une certaine manière l'artiste vaudra ce que vaut l'homme: si la "pointe active de l' âme", l' instinct supérieur, n'est pas ému par les réalités les plus hautes, la mesure même de la raison reste mesquine. Elle est exclue des profondeurs d'en haut et d'en bas et elle préfère bientôt les méconnaître. L'ouvrage contient également une série remarquable de notes brèves, sous le titre de "Dialogues" (en particulier sur Dostoïevski et Gide), trois études sur Rouault, Severini et Chagall et "La clef des chants", essai sur la musique moderne à propos de Stravinsky, Satie et Lourié. Maritain est encore revenu sur le problème du rapport entre le spirituel et le poétique dans sa "Réponse à Jean Cocteau".

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A la recherche du temps perdu (Proust)

Roman de Marcel Proust (1871-1922), écrit entre 1908-1909 et 1922 et comprenant sept sections dont les trois dernières parurent après la mort de l'auteur. Les titres de ces sept volumes sont par ordre chronologique de publication: Du côté de chez Swann (à compte d'auteur chez Grasset en 1913, puis dans une version modifiée chez Gallimard en 1919), A l'ombre des jeunes filles en fleurs (Gallimard, 1918, prix Goncourt 1919), le Côté de Guermantes (en 2 tomes, Gallimard, 1920 et 1921), Sodome et Gomorrhe (en 2 tomes, Gallimard, 1921 et 1922), la Prisonnière (Gallimard, 1923), Albertine disparue (ou la Fugitive, Gallimard, 1925) et le Temps retrouvé (Gallimard, 1927).

Des conditions dans lesquelles furent publiées ces sept sections de l'oeuvre définitive, retenons essentiellement le souci manifesté très tôt par Proust que le roman formât une unité bien structurée et close, ainsi que les difficultés qu'il éprouva à concevoir les ruptures que supposait cette partition en sept volumes. Difficultés dues au fait que Proust souhaitait que chacun d'eux présentât une certaine autonomie. Ce qui frappe d'autre part c'est le considérable élargissement de la perspective entre la conception initiale du roman (soumise essentiellement à l'opposition temps perdu / temps retrouvé) et le résultat final. Dans l'intervalle se seront produits de multiples remaniements et de considérables ajouts qui auront eu pour conséquence d'enrichir toujours davantage cette immense fresque, sans que Proust abandonne jamais l'idée d'un achèvement de l'oeuvre, que la mort seule ne lui a pas permis de mener à terme.

Ce roman se présente sous la forme d'une autobiographie fictive où le narrateur évoque les différentes étapes, parfois analysées dans le plus grand détail, de ce que fut sa formation, envisagée essentiellement comme le chemin, entrecoupé de multiples voies de traverse, d'une vie qui l'a finalement mené à l'écriture sans qu'il prît vraiment conscience, dans les moments où il la vivait, de cet inéluctable destin. Celle-ci prend pourtant racine dans la plus tendre enfance, laquelle constitue le cadre du premier volume.


Du côté de chez Swann. Pour le narrateur, l'apprentissage commence par la découverte d'un monde clos et recelant déjà tous les germes de ses observations à venir: Combray. Une légère fêlure dans les rapports du jeune enfant avec sa mère (le traditionnel baiser du soir une fois refusé) devient la source d'une angoisse en quelque sorte matricielle. Tout est initiation dans cette première section: l'univers est divisé en deux côtés séparés présentant chacun une combinaison thématique propre. Du "côté de chez Swann" se situe le désir (pour Gilberte) et la prise de conscience de l'existence du mal, le "côté de Guermantes" révélant quant à lui toute la force de l'envie de prestige. L'enfant découvre la lecture (George Sand et Bergotte) et rêve sur les noms propres. Les impressions résurgentes de ce premier volume (c'est grâce à la saveur d'une madeleine trempée dans le thé que l'adulte les retrouve) sont déjà largement nourries des réflexions postérieures du narrateur et de l'écrivain lui-même. Ce premier tome comporte, seule partie du roman écrite à la troisième personne, la longue narration d'une passion vécue, bien avant la naissance du narrateur, par un voisin de Combray, Charles Swann. La rencontre d'Odette donnera à cette figure en vue du Faubourg Saint-Germain l'occasion d'expérimenter douloureusement les débordements d'une jalousie en laquelle se concentrera bientôt tout son amour. Il découvrira du même coup le milieu bourgeois du "clan" Verdurin et trouvera une consolation à entendre une "petite phrase" de la sonate de Vinteuil.


Dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, nous retrouvons le narrateur adolescent fréquentant chez les Swann. Odette, que Swann a fini par épouser et dont l'élégance raffinée fascine le jeune homme, offre la possibilité à celui-ci, en l'invitant dans son salon, de rencontrer l'écrivain Bergotte. Il découvre également, au théâtre, la Berma, comédienne de grand talent. Dans ces deux cas sa déception initiale fait place, après mutation, à une profonde admiration. Il éprouve pour Gilberte, la fille de Swann, son premier grand amour bientôt suivi du chagrin d'une rupture dont il prend l'initiative. Les "jeunes filles" du titre, c'est à Balbec (lieu de villégiature sur la côte normande) que le narrateur les remarque. Au Grand Hôtel il fait la connaissance de Mme de Villeparisis et de son neveu Robert de Saint-Loup. Le baron de Charlus, oncle du précédent, croise également dans les parages. Deux rencontres se révéleront particulièrement marquantes pour la suite du roman: celle du peintre Elstir, auquel le narrateur doit une certaine initiation esthétique, et celle d'Albertine qu'il différencie progressivement de l'essaim où elle se fondait tout d'abord.


La carrière mondaine du jeune homme prend son essor dans le Côté de Guermantes. Avant d'être admis dans ce saint des saints qu'est le salon de la duchesse de Guermantes, à laquelle Saint-Loup refuse de le présenter, il devra apprendre les règles du "monde" chez Mme de Villeparisis. Mais ce milieu, surtout caractérisé par son insignifiance, ne lui apporte qu'une déception chronique. Tout à ses préoccupations arrivistes, il est soudain confronté à la mort d'un être cher: sa grand-mère. La douleur qu'il éprouve, quoique réelle, n'est pas aussi intense qu'il l'aurait cru. Il revoit Albertine, qui lui accorde le baiser qu'elle lui refusait à Balbec.


Sodome et Gomorrhe s'ouvre sur une longue scène amoureuse entre Charlus et le giletier Jupien, suivie d'une dissertation sur l'homosexualité. Les anomalies de comportement du baron s'expliquent désormais. Lors d'une soirée chez la princesse de Guermantes, les conversations se concentrent sur l'affaire Dreyfus: il y est surtout question des remous et regroupements stratégiques que cet événement provoque dans les milieux mondains. Les rapports du narrateur avec Albertine deviennent de plus en plus étroits et, pendant un second séjour à Balbec en sa compagnie, il commence à la soupçonner d'être lesbienne. Il découvre le "clan" Verdurin que fréquentent également Charlus et son nouveau "protégé", le jeune musicien Morel.


La Prisonnière. Il s'apprête à rompre avec Albertine mais, subitement sûr de ses attirances gomorrhéennes, il décide de rentrer avec elle à Paris et parvient à la résoudre à la vie commune chez lui. Cette claustration à deux tourne cependant très vite au cauchemar: les pressions inquisitoriales du jeune homme, en proie à une succession de plus en plus effrénée de périodes d'apaisement et de torture ("les feux tournants de la jalousie"), se heurtent à la duplicité experte d'Albertine. Pendant une soirée chez les Verdurin il entend, profondément bouleversé, le septuor de Vinteuil. Il décide de rompre avec son amie, désespérant de pouvoir jamais la "posséder" vraiment.


Albertine disparue. Mais un matin au réveil, il apprend, "le souffle coupé", que celle-ci l'a quitté. Il reçoit peu à peu la nouvelle de sa mort. Commence pour lui un long travail de deuil où sa blessure, maintes fois ravivée par la confirmation qu'il acquiert des moeurs de la jeune femme, se cicatrise progressivement. Il voyage, se rend à Venise, et finit par considérer son histoire avec Albertine comme celle d'un autre.

Le Temps retrouvé. Bien des années plus tard, à Tansonville, lieu de son enfance, le narrateur découvre que les deux "côtés" de Guermantes et de chez Swann se rejoignent en fait, comme ont fini par se rejoindre dans le mariage Gilberte et Saint-Loup. La lecture du Journal des Goncourt et deux séjours qu'il fait à Paris pendant la guerre de 1914-1918 lui fournissent de quoi alimenter de longues et fécondes réflexions. Dans cette atmosphère de fin du monde chacun tient à se prononcer sur les hostilités. Les Verdurin répètent les communiqués de l'état-major, Charlus ne craint pas d'affirmer sa germanophilie et Saint-Loup s'engage héroïquement au combat, où il sera tué. Il sera donné au narrateur d'observer encore, dans cette sorte de Pompéi en sursis qu'est devenu Paris, le baron qui se fait fouetter, enchaîné, dans une chambre de l'hôtel de passe tenu par Jupien. Alors qu'il est invité à une matinée donnée par la princesse de Guermantes, trois événements anodins (il trébuche contre des pavés inégaux, entend un bruit de cuiller et se frotte à une serviette empesée) provoquent en lui, comme jadis la saveur de la madeleine, la même involontaire résurgence de souvenirs. Il découvre la supériorité de l'art sur la vie et considère qu'en celui-ci réside la seule possibilité de récupérer le temps perdu. Le "bal de têtes" auquel il assiste ensuite, galerie hallucinante des figures, maintenant décrépites, qu'il a connues jadis, lui apprend qu'il n'est plus temps désormais de différer davantage le passage à l'écriture: son livre sera comme une "cathédrale", comme les Mémoires de Saint-Simon ou les Mille et Une Nuits de son époque.


Aux yeux de qui a trop attendu de l'extérieur, la vie ne peut apparaître que décevante et arrive un moment où semblable désappointement fait éprouver à certains le besoin de la réviser, de la prendre en écharpe dans un geste qui sera à la fois d'exhibition, de protection, d'aide et de réparation. Ils peuvent trouver dans cette motivation inaugurale la voie qui mène à l'écriture. Et c'est un tel projet que forme Proust, une telle envie de démonstration qu'il a en tête lorsqu'il s'embarque vers 1908-1909 dans une aventure dont il ne sait pas trop, ou sait trop bien, où elle va le conduire. Désir de prouver que l'écriture recèle la puissance de collecter l'essentiel de ce qu'un être aura vécu pour l'assembler harmonieusement en un seul texte en mettant au point un dispositif qui comprendra deux temps essentiels: celui du déploiement et celui de la récapitulation. Déploiement de l'infinie variété des circonstances où la "jouissance directe" fut sans lendemain et récapitulation de cette expérience en gerbes dont chacune contiendra des occurrences de même famille, afin d'arriver à la racine des impressions pour les rendre définitivement tangibles et source d'une satisfaction plus profonde et plus durable.

On comprend dans ces conditions que la visée ne soit plus d'action, mais d'approfondissement, et que l'objectif ne soit plus situé à l'extérieur mais dans le monde interne des sensations restées obscures parce que trop rarement explorées, monde pour lequel la réalité visible forme cependant un détour nécessaire. La fonction de la littérature selon l'être proustien réside dans cette densification de la vie, rendue d'autant plus "digne d'être vécue", affirme le narrateur, "qu'elle me semblait pouvoir être éclaircie, elle qu'on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu'elle était, elle qu'on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre". Ce livre, pour le futur entrepreneur d'une telle reconstruction, est évoqué à l'aide de diverses images: d'abord, logiquement architecturale, celle de la cathédrale, puis plus modestement artisanale, celle de la robe, et enfin, plus prosaïquement culinaire, celle du boeuf mode. Cela pour dire que cette oeuvre évoque le souci d'une certaine spiritualité (l'écriture comme une prière quotidienne), celui aussi de la parade, nécessaire transmutation esthétique, à vocation défensive, de la réalité humaine et celui enfin de la façon dont elle sera ingérée par le lecteur, qui doit être "nourri" tout en éprouvant du plaisir et qui constituera ici une préoccupation primordiale.

Car un tel roman ne pourra trouver son véritable accomplissement que s'il a su répondre pleinement à son objectif affiché d'être un legs. Ce désir de transmettre constitue la dimension essentielle dans laquelle doivent être lues ses innombrables références, littéraires, picturales et surtout musicales: fréquentation d'oeuvres dont le narrateur dit qu'elles lui ont donné "une valeur d'éternité, hélas! momentanément", et qu'il aurait voulu léguer celle-ci à ceux [qu'il aurait] pu enrichir de [son] trésor". Du sommeil (comme symbole paradoxal de l'engagement obtus dans le réel mais aussi de capacités qu'il est toujours possible de réactiver) à la somme (combinaison, suffisamment ordonnée pour être partagée, de ce qu'un être aura pu engranger de joie prise aux réalisations esthétiques d'autrui), voilà qui pourrait peut-être caractériser le long cheminement de ce roman. Pour cela, un véritable travail d'extraction se révèle nécessaire: "Je savais très bien que mon cerveau était un riche bassin minier, où il y avait une étendue immense et fort diverse de gisements précieux."

Parmi les minerais ramenés à la surface, la musique occupe une place prépondérante, parce que les traces essentielles de l'existence y sont en quelque sorte inscrites comme des fossiles, et qu'elle possède, véritable mémoire, la vertu d'en retracer l'histoire. Elle est le véhicule grâce auquel la profondeur peut être atteinte et donner ainsi tout leur sens aux événements d'une vie. C'est dans l'interrogation qu'elle fait entendre que le narrateur puise la ressource de comprendre, par exemple, que toutes ses amours précédentes n'auront été que de "minces et timides essais" avant sa grande passion pour Albertine, en laquelle se concentre ("comme une incision en pleine chair") tout ce qu'il est capable d'accomplir sur ce terrain. C'est par l'intermédiaire de la musique, véritable "retour à l'inanalysé", que peut nous être révélé "tout ce résidu que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes", et qui ne peut être communiqué à autrui que par un travail de transmutation artistique. Elle détient la ressource de donner toute sa puissance à l'"appel" que le narrateur aura entendu sous diverses formes dans son existence, chaque fois comme le signe qu'existe une possibilité de compensation à toutes ses souffrances. Grâce à elle, il découvre aussi que de semblables créations, qui recèlent comme "un corps à corps d'énergies", ne sont possibles que parce qu'elles font contraste avec le monde environnant, avec toute la fadeur et l'insignifiance des êtres dont la "vulgaire allégorie" constitue cependant un élément révélateur indispensable. Ce n'est que contenus dans une "gaine de vices" que la vertu, le talent, voire le génie peuvent se manifester. De ce point de vue tous les éléments, même les plus "impurs", d'un parcours, trouvent leur utilité, en ce qu'ils ont représenté d'indispensables étapes pour aboutir à l'oeuvre en laquelle il devient ainsi légitime qu'ils soient relatés, dès lors que cette oeuvre est un roman. Le travail de la signification se forge à partir du prosaïque, c'est en lui qu'elle puise la solidité de son enracinement. Et ce n'est pas un hasard si le narrateur a connu sa plus grande émotion esthétique au beau milieu du salon Verdurin, malgré sa médiocrité, les diverses manifestations de futilité de ceux qui le fréquentent, l'hystérie de la "Patronne", etc. Ce furent là les ingrédients nécessaires, les circonstances indispensables à cette joie sans nom qu'il éprouva, puisque c'est précisément grâce aux subtiles "conjugaisons" qu'elles permirent qu'il a pu entendre le septuor de Vinteuil.

D'une certaine façon, quel est le lecteur un peu conséquent de Proust qui ne finit pas par reconnaître le salon Verdurin ou autres lieux proustiens qu'il héberge peu ou prou en lui-même? "Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eût peut-être pas vu en soi-même." D'où l'insatisfaction de l'écrivain lorsque certains l'appellent "fouilleur de détails" après avoir lu ses premiers textes. Alors qu'il cherchait avant tout à élaborer les "grandes lois" (de la mondanité, de l'amour, de l'art) qui président à sa présence au monde en tant qu'être singulier, Proust n'en inaugure pas moins cette "esthétique du détail" qui s'épanouira au XXe siècle, c'est-à-dire cette technique d'écriture qui consiste à décrire les réalités les plus quotidiennes dans une langue d'une grande perfection formelle et qui tire toute sa valeur de décliner avec le plus de précisions possible les caractéristiques d'une perception unique. Celle-ci peut se donner à lire en particulier dans le vaste tissu de métaphores qui sera progressivement élaboré par l'écrivain pour approcher au plus près de ce qu'il observe, comme une sorte de nasse dans laquelle il enserre les éléments de l'expérience accumulée, en résistant à la facilité de l'image toute faite: "La vérité ne commencera qu'au moment où l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport [...], et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau style." La survenue et la sélection des images sont comme la signature de l'être. C'est la "différence qualitative" obtenue par la tension toujours maintenue au plus vif entre les pôles opposés d'une très longue série où s'attirent et se repoussent à la fois, pour se rejoindre parfois, l'objectif et le subjectif, le masculin et le féminin, le noble et l'ignoble, le rêve et le réel, les ténèbres et la lumière, l'angoisse et "l'espérance mystique", la mort spirituelle et la possibilité d'une renaissance.

L'écriture proustienne tire son énergie de ces oppositions énoncées sans manichéisme comme les données d'une expérience, comme un viatique offert à qui veut en "prendre de la graine": "Cette vie, les souvenirs de ses tristesses, de ses joies, formaient une réserve pareille à cet albumen qui est logé dans l'ovule des plantes et dans lequel celui-ci puise sa nourriture pour se transformer en graine..."Pour devenir écrivain, le narrateur aura dû surmonter la longue "procrastination" dans laquelle son engagement trop brûlant dans le monde, sa recherche avide de possessions, son refus crispé de préserver la part du mystère l'auront tenu enfermé. Il lui aura fallu accepter la résistance des êtres et des choses à toute tentative d'annexion, laquelle ne pourrait d'ailleurs qu'aboutir à une aliénation réciproque, comme le lui aura démontré sa vie commune avec Albertine qu'il aura lui-même contribué, par les exigences vampiriques dont il aura fait preuve avec elle, à transformer en "être de fuite". Son écriture, loin de s'en trouver stérilisée comme le furent ses tentatives d'intervention et d'intrusion dans la vie d'autrui, va pouvoir désormais s'alimenter de l'ouverture à toutes les formes enfin admises de l'altérité. Le texte proustien regorge de toutes les manifestations de ces débordements, de ces échappées, eu égard aux limites étroites du moi. L'oeuvre doit viser à en exprimer la richesse, la vertu fécondante. Les signes majeurs que constituèrent pour l'écrivain tous ces noms propres qui lui offrirent un accès à l'inouï, une rupture dans les habitudes (Guermantes, Gilberte, Albertine, Saint-Loup, Charlus, Balbec, Verdurin, etc.), lui auront permis d'élaborer sa palette, grâce aux changements de régime qu'ils auront instaurés dans sa vie. Son oeuvre ne sera donc que l'une des partitions possibles par lesquelles on peut interpréter le monde, et trouvera sa place parmi toutes celles qui furent ou seront extraites du "clavier incommensurable". Le lecteur sera ainsi à même de vérifier que "la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature".
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Il est des hommes et des femmes qui, par leurs convictions et leurs réalisations, demeurent les socles et les fondements de nos histoires. La Maison de la Laïcité François Bovesse est l’héritière de la mémoire de tous ceux qui ont défendu avec vigueur les idéaux humanistes de tolérance, de démocratie, de justice sociale et de progrès, qui sont au cœur de sa propre existence. Elle avait ainsi réalisé, il y a quelques années, une première brochure consacrée à François Bovesse, ancien gouverneur de Namur assassiné par les rexistes à la fin de la dernière guerre. Pouvait-elle s’ arrêter simplement à l’homme dont elle avait emprunté le nom ? Les Laïques et humanistes du pays mosan ont été nombreux, comme en attestent déjà les brochures dédiées à Léopold De Hulster ou à Willy Peers ! René Close, un autre gouverneur, fait également partie de ceux dont l’amour absolu de la liberté, de l’égalité et de la fraternité a été le moteur de son action et de ses choix. Il a été résistant face au joug ennemi et à l’inhumanité. Avocat, il a assumé des défenses risquées à une époque de rigidité morale peu respectueuse des détresses humaines. Il a forcé le destin économique d’une province endormie sous de pesantes et frileuses traditions. Il s’est toujours préoccupé d’améliorer les conditions de vie de tous, surtout des plus malchanceux ou mal lotis. Il avait foi dans l’avenir et le progrès. René Close l’a toujours affirmé : la libre pensée, cette certitude inébranlable en la capacité de chacun d’entre nous de distinguer lui-même, pour ce qui le concerne, de la justesse de ses actes, l’a guidé dans chacun de ses engagements. Les documents et témoignages rassemblés dans cette brochure, en perpétuant la mémoire de l’un des plus illustres laïques namurois, contribuent tout à la fois à nous souvenir de ses actions et à éclaircir le sens de nos propres engagements. Une initiative de la Maison de la Laïcité François Bovesse en collaboration avec l’association Les Amis et Disciples de François Bovesse et la Province de Namur, ainsi qu’avec l’aide de la Ville de Namur, de Caudalie communication et de l’imprimerie Nuance 4.
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Pourquoi Bruxelles fut un haut lieu du surréalisme

On peut se demander pourquoi la capitale d'un petit royaume aux marches de la francité s'est trouvé par deux fois le terrain fécond de mouvements d'avant-garde, symbolisme et surréalisme, qui bouleversaient toutes les traditions. Le Bruxelles d'alors était une ville bourgeoise de moeurs provinciales, où les gens ne semblent pas prêts à s'engager dans des controverses littéraires ou artistiques. Dans cette cité divisée en haut de la ville opulent et bourgeois et bas de la ville plus populaire, on reconnait à tous les habitants un certain bon sens et de l'humour. Ceux du haut de la ville sont instruits, et pour la plupart intéressés par les expositions, ils lisent romanciers et poètes. Ils vont au concert et à l'opéra, chez eux, ils chantent ou pratiquent des instruments mais c'est un public traditionnel qui accepta avec quelque lenteur certains aspects du symbolisme mais qui fut tout à fait rétif lorsque dans les années 20, le surréalisme se manifesta dans ses murs. Il reste que c'est en cette ville que se forma un des groupes les plus actifs du surréalisme, il compta dans ses rangs des peintres et des poètes mais aussi des musiciens, il faut donc croire que malgré l'hostilité de la majeure partie du public le milieu était favorable. A y bien réfléchir la situation de Bruxelles n'est pas si mauvaise qu'on pourrait le croire d'abord, bien qu'elle comptat à l'époque fort peu d'étrangers parmi ses habitants c'est une ville assez ouverte, des échos de manifestations artistiques lui viennent de Paris certes mais aussi de Cologne, de Berlin ou d'Amsterdam, en outre l'auto-dérision si puissante aujourd'hui existait déjà, poussée à l'excès, elle pouvait susciter parmi les jeunes, excédés de l'ambiance ouatée des hôtels de maîtres, l'envie de casser les trop beaux miroirs. C'est ainsi que, à l'exemple de Dada, la violence verbale se manifeste dès 1925 dans de petites revues comme Oesophage et Marie lancées par R. Magritte et J.L.T. Mesens cependant que d'autres, Paul Nougé, Camille Goemans et Marcel Lecomte, publient de véritables tracts dans Correspondance. Un autre aspect fut peut-être déterminant: sans être une simple bourgade Bruxelles n'était pas une très grande ville, loin d'être perdus dans l'anonymat des foules, les gens avaient presque tous un visage les uns pour les autres. Dans un tel milieu le mépris ou le respect ont plus de sens parce qu'ils visent des personnes et non des idées. Les surréalistes se présentèrent d'amblée comme hostiles à la société dans laquelle ils vivaient et leurs revues éphémères apparurent comme de véritables pamphlets qui bouleversaient le paysage tranquille de leurs concitoyens. Mais dans de telles circonstances l'hostilité entre les bourgeois et les artistes du groupe pouvait jouer le rôle d'un levier qui servait le mouvement et soudait entre eux les artistes. Les expositions de Magritte furent longtemps désertes et le public ignorait encore superbement les collages de Mesens dans les années 50, mais c'est contre les traditions bourgeoises de leurs concitoyens qu'un certains nombre de textes ou de peintures virent le jour et cette hostilité fut un ferment et une raison de poursuivre la lutte. Le mépris des intellectuels Bruxellois renforça la conviction d'être de véritables révolutionnaires d'un Nougé ou de J.L.T Mesens. Le surréalisme a vécu à Bruxelles dans un milieu relativement restreint, plus d'une invention de Magritte vise à la fois à fasciner le spectateur et à ébranler les idées reçues, il en va de même pour les textes de Nougé ou de Lecomte. Ces oeuvres s'adressent à la fois au petit groupe qui accepte les principes du mouvement et à ceux, un peu plus nombreux, hommes en chapeau melon et dames portant voilette, qui forment le public bourgeois à la fois désiré et honni. C'est ce jeu déroutant d'amour haine qui suppose qu'on se connaisse qu'on se croise dans la rue, qu'on soit très proches les uns des autres qui est une originalité féconde du surréalisme bruxellois.
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"Lire Marcel Proust aujourd'hui" par Michel Joiret

Un ouvrage de Michel Joiret, indispensable pour les professeurs qui font voeu d'enseigner la vie profonde à travers les oeuvres littéraires, mais aussi à tous les curieux intéressés par une des plus grandes voix de la littérature mondiale. Michel Joiret suit ici une grille d'analyse et un plan de lecture rigoureux pour passer en revue différents personnages, thèmes, caractéristiques d'écriture de Marcel Proust nous montrant à quel point les "figures" de l'écrivain, aussi modelées soient-elles par la société de son époque, sont proches de nous et nous offrent de nous-mêmes un portrait en miroir. Michel Joiret est poète, romancier, essayiste, anthologiste, enseignant, fondateur du Projet de lecture Charles Plisnier de la Province du Hainaut, directeur de la revue littéraire "le Non-dit", animateur de voyages et séminaires de réflexion sur les lieux qu'ont hantés de grands écrivains. Il signera, en date du samedi 27 février 2010 son dernier livre "Les masques verts du commandeur", lors d'une séance de signatures que j'initie à l'Espace Art Gallery. Je vous parlerai plus amplement de l'oeuvre de Michel Joiret dans ce blogue à cette occasion. A la recherche du temps perdu
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Biographie de Max Elskamp (1862-1931)

Robert Paul a dédié ce réseau Arts et Lettres à Max Elskamp.

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D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Suit une brève biographie d'Elskamp.


Max Elskamp est né le 5 mai 1862 à Anvers, non loin de l'église Saint-Paul. A cette époque, la ville possédait encore toute sa noblesse flamande, marchande et maritime. Les anciens quartiers, aux ruelles étroites et, tour à tour, grouillantes et silencieuses, firent sur l'enfant une impression profonde. Toute son oeuvre sera pénétrée de l'odeur sauvage du fleuve, où de grands coups de vent jetaient la senteur du goudron et des cargaisons, et les notes rauques des sirènes. Ses yeux s'étaient ouverts sur les bassins aux mâtures nombreuses, les écluses, les embarcadères et leurs pilotis, les magasins d'épices rares et exotiques, les marins aux parlers rudes et divers, les allées et venues des débardeurs et des filles, les voiliers aux noms touchants et magnifiques et les petites gens du quartier. Tout enfant encore, Max Elskamp suivra ses parents dans une maison neuve, au boulevard Léopold, dans un quartier neuf, lui aussi, et patricie, comme on disait alors. Mais ce vaste et magnifique hôtel, où pourtant devait s'écouler sa vie, occupera moins sa pensée que le décor de ses premières années. Jeune garçon, il était invinciblement attiré par le port et y passait toutes ses heures de liberté.

Son père avait été banquier; artiste de goût, il menait son fils au Musée et lui montrait une admirable collection de primitifs. Sa mère, rêveuse et mystique, atteinte d'une maladie mystérieuse, lui apprenait à éviter de faire souffrir. C'est d'elle qu'il tint en horreur, qu'il gardera toute sa vie, de la force brutale, son attention aux choses les plus humbles, sa curiosité de leur sens caché, et une sensibilité très subtile et très discrète, une sensibilité de solitaire. Max Elskamp doit à son père le sens de la beauté des images, de la ligne et de la couleur, et une dignité de grand seigneur timide. L'hérédité nordique, du côté paternel, s'alliait en lui à l'hérédité française et wallonne que lui avait transmise sa mère. Les vacances d'été dans la campagne wallonne au sein d'une famille joyeuse alternaient pour lui avec le séjour rêveur et solitaire, près du grand port flamand.

Elskamp fit quelques voyages. Il connut le métier des marins et des bateliers. Il s'intéressa à tous les anciens artisanats aux traditions séculaires. Le nom des objets et des outils, leur forme parfaite par l'usage, les gestes et les tableaux et les chansons de l'humble vie populaire, il recueillit tout dans sa mémoire et dans son coeur. Il reçut ainsi la leçon de l'apparence et de la vie profonde des choses, et l'intuition prolongeait l'étude.

Comme tant de fils de famille riche, à l'époque, il fit des études de droit. Mais il ne s'intéressa guère au barreau et le quitta après très peu de temps. Il éprouva un grand et pur amour pour une jeune fille qu'un autre épousa et emmena en Egypte. Il ne se consola jamais de l'avoir perdue. Ce furent des années vraiment désolées. Il se rapprochera davantage de son père et ce fut entre eux une admirable amitié. Sa mère mourut, puis, tragiquement, sa soeur. Lorsqu'en 1911, son père mourut, il sembla qu'il n'avait plus qu'à songer à la mort. Lui-même était malade et croyait qu'il ne guérirait plus.

Il avait écrit des poèmes qui furent publiés d'abord en plaquettes et en livres de haut luxe. Il en surveillait attentivement la typographie. Il les agrémentait de gravures qu'il taillait dans le bois selon les modes des anciens imagiers. Ils furent réunis en un volume qui parut au Mercure de France en 1898, sous le titre de "La Louange de la Vie" (Brève présentation suivra) . Ce volume comprend "Dominical", Salutations dont d'angéliques", "En symbole vers l'apostolat", Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre" (Texte intégral suivra). La même année parut encore un recueil: "Enluminures" (Brève présentationsuivra).

Le poète se tut alors. Il s'était épris de folklore et rassemblait d'importantes collections. Les instruments qui ont servi à étudier les astres ou à mesurer le temps l'intéressaient particulièrement: horloges, gnomons, sextants, astrolabes, etc. Il s'en procura de toutes provenances, fit à leur propos des calculs et des études. Il semblait s'être fait dans sa solitude une manière de quiétude: ce n'était peut-être qu'une forme du renoncement. Quelque chose d'obscur le détournait de la littérature. On put croire alors que l'oeuvre du poète était terminée. Il se livrait à des recherches de technique et de science.

Ce fut la guerre de 1914, et l'exode vers la Hollande des civils qui voulaient éviter les horreurs de l'occupation allemande. Max Elskamp s'en fut par les routes à Berg-op-Zoom. Il y mena la vie misérable des réfugiés en exil. Sa dépression morale fut extrême et sa faiblesse inquiétante. En 1915, Henry van de Velde (voir le très précieux hommage qu'il rendit au poète), son plus ancien et son plus fidèle ami, parvint à le décider à rentrer à Anvers. Max y retrouvera sa maison abandonnée et le silence qu'il aimait. Il reprit ses occupations coutumières. Il se remit à la recherche et à l'étude des témoins émouvants de la vie populaire. Les souvenirs, belles images, occupaient de leur douceur ou de leur peine ses insomnies. Il se remit à graver le bois et à écrire des poèmes. La guerre prit fin. Ses journées se suivaient dans leur régularité et leur monotonie: mêmes occupations, entretiens avec quelques intimes, promenades avec la même amie, son "Accoutumée", comme il disait.

Après la période de la prostration, du silence et de l'exil - c'est ainsi qu'il la désignait lui- même - vint une période de production intense, de 1920 à 1924. Un premier recueil: "Sous les tentes de l'exode" (1921) (Brève présentation suivra), nous apporte le témoignage d'une sensibilité émue par les événements. Puis ce furent les "Chansons désabusées" (Brève présentation suivra) et "Maya" (Brève présentation suivra), --- (Texte intégralsuivra) où revivaient ses souvenirs d'amour et les anciens thèmes de sa rêverie (1922). En 1923, les "Délectations moroses" nous rappellent ses hantises et sa longue peine. "La Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégralsuivra) évoque de la façon la plus émouvante ce qu'il a le plus profondément aimé: les siens et le vieux quartier de ses premières années. En 1923 encore, "Les Sept Notre-Dame des plus beaux Métiers", le plus bel album de ses oeuvres xylographiques. En 1924, les deux derniers recueils qui parurent sous son contrôle: "Aegri Somnia" (Brève présentationsuivra) et "Remembrances".

Mais la maladie était venue, l'affreuse maladie et des obsessions terribles. La cloison s'était rompue entre l'univers et la vie intérieure. On a parlé de démence, d'accès de fureur et d'heures de dépression. Le poète est mort le 10 décembre 1931.

Il laissait quelques recueils de poèmes inédits. On en a publié la partie la plus importante et sans doute la plus belle: "Les Fleurs vertes", "Les Joies blondes", deux recueils qui parurent en 1934. Mais d'autres recueils demeurent inédits, dont il faut convenir qu'ils présentent des répétitions, des incohérences ou des traces de défaillance.

Familier de toutes les images chrétiennes, Max Elskamp ne fut pas catholique. "Religion vague et invoulue, dit-il, car je ne crois pas." Mais s'il fuyait les dogmes, il était pourtant "l'être le plus religieux" (Jean de Bosschère nous l'assure). Sa piété pour les choses et pour les hommes simples qui révèlent, sans le savoir, par des signes, ce qu'il y a d'essentiel en eux, suit des routes pour ainsi dire franciscaines et le mène à la mystique populaire. Dans l'évocation des croyances et des rites, "résonne la hantise mystique". Sa curiosité et le besoin de pénétrer plus profondément dans la compréhension de l'être et de sa solitude le conduiront à une sorte de bouddhisme qui n'était pas le bouddhisme et où il alliait deux sensibilités, la flamande qu'il s'était formée dans la solitude, et la chinoise qu'il avait rêvée; mystique de douceur, de silence et de paix. Mais sa pensée ne put s'y arrêter. Il était obsédé par des spéculations dont on ne trouve l'expression que dans sa correspondance. Il poursuivait, dans son absolu, le mystère de l'Etre, de l'Unité, du Temps et de l'Eternité. Ses dernières années lui apportèrent une douloureuse féerie pleine de persécutions, qui n'étaient pas toutes imaginaires.

Il vivait au plus haut de sa vaste et belle demeure, remplie de curiosités et d'oeuvres d'art. La chambre qu'il habitait était, tour à tour, la cellule monastique d'un fervent lecteur de l'"Imitation de Jésus-Christ", et l'atelier d'un artiste féru de la scrupuleuse perfection de l'artisan des anciens métiers. Sorte de moine laïc, préoccupé d'astronomie et de pensées secrètes. De là-haut, comme d'une tour, dans sa rêverie, ses confusions et ses clartés, "il était l'homme le plus vivant d'Anvers,, il était l'âme même d'Anvers, son honneur et sa légende". Il fuyait le contact des négociants et des grands armateurs. Solitaire et comme regardant au plus profond de soi-même, c'était la ville en lui en tout ce qu'elle a de durable et de meilleur, dans les joies et les douleurs, dans les prières et les chansons du peuple.

Cette vie d'Anvers, il nous la lègue dans son oeuvre, comme il fait revivre le quartier où il passa son enfance. "La rue Saint-Paul où je suis né, rue de consulats, maritime, joignant l'Escaut. Notre maison se trouvait pour ainsi dire enclavée dans l'église Saint-Paul, et mon enfance s'est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée, chef-d'oeuvre d'un sacristain en délire, où l'on voyait, entre les barres de fer, Christ au tombeau et dans de grandes et terribles flammes rouges, brûler sans fin les âmes du Purgatoire. En août passaient chez nous les baleines, les géants des Ommegancks flamands; et les hivers, si près du fleuve, les nuits d'hiver surtout étaient affreuses et trop emplies de bruit du vent, des glaces et de la marée. . ." Toute la vie véritable de sa vieille ville flamande, nous la retrouvons partout dans ses livres, mêlée à sa pensée, et site de ses souvenirs, particulièrement dans sa "Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégral suivra) --- (Brève présentation suivra), où il nous a parlé de lui et des siens de la façon la plus émouvante.
Les premiers recueils de Max Elskamp, réunis dans "La louange de la vie" en 1898, nous le révèlent tel qu'il ne cessera d'être. Les thèmes de ses chants - il en parlait comme de l'"enfantin missel de notre Passion selon la vie" - s'ordonnent en suites régulièrement organisées. Déjà sa manière est fixée. Elle peut sembler d'un ton si préconçu qu'on a voulu y déceler de l'artifice. Il s'était choisi un style très consciemment personnel. Evitant à la fois les épanchements et l'accent "pleurard", comme il disait, il était parvenu à ralentir le débit et à concentrer les images. Il ne tarda pas à s'aperçevoir que ce ton et son rythme correspondaient à ceux des anciennes chansons flamandes Sa langue, une langue bien personnelle, faite d'ellipses et de tours syntaxiques inusités, création unique dans nos lettres, donnait l'impression d'archaïsme et s'adaptait merveilleusement à la nature de son inspiration. On a dit qu'il avait emprunté aux symbolistes, à Verlaine et à Mallarmé. Mais il suffit de lire une seule de ses strophes, un de ses couplets, pour découvrir ce que sa manière et son rythme ont de personnel. La langue des symbolistes, qui, chez d'autres, paraît une affectation et une préciosité vaines, est, chez lui, non un balbutiement ni un ornement, mais la forme même de la sensibilité. "Langue prodigieuse, dit Jean Cassou, faite d'appositions, de participes adjectivés, d'ablatifs absolus, de substantifs sans articles, langage tout naturellement synthétique, c'est-à-dire en contradiction complète avec le génie français, mais qui impose à notre raison sa densité paradoxale, son chant en sourdine, ses basses tenues, sa douce et lente marche d'orgue. Il ne s'agit point ici de disposer un discours, mais de juxtaposer en les retenant gauchement, par le moyen le plus immédiat, des images modestes et touchantes." Max Elskamp, craignait qu'on lui en fût grief; il disait, dans un moment de découragement: "J'écris trop au Nord". Et il marquait par là ce qu'il y a d'étrange dans sa manière, et aussi d'archaïque, souvenir des vieilles chansons populaires. Rien ne pouvait mieux convenir qu'elle à une pensée qui n'a rien d'actuel et dont on peut dire qu'elle vit hors du temps, dans un décor que les âges passés lui ont transmis.

Gens des vieux métiers et des corporations, dans des ruelles de béguinage, que longent derrière leur murs clos des jardins bien ordonnés. Joie quotidienne et gestes réguliers. Heures prévues comme à l'office et dont chacune a sa couleur et son objet. Saisons alternées. Passages des barques et lumières des jardins, prières devant chaque Madone, au coin des rues. Telles sont les visions du poète. Mais dans ces visions qu'il transcrit en bon imagier qui connaît les choses, sans déformer leur réalité, se trouve une réalité seconde, "celle du rêve et de l'absolu". De la réalité familière toujours vivante, il s'évade dans un monde à son image, mais où les choses cachées ont une vie claire, un monde où tout est de l'âme, où tout chante des paroles humaines, très simples et très chargées. Flandre est parée de ses plus belles saisons, de ses plus belles couleurs. Les anges et la Vierge y vivent, comme ils vivaient voisins des bonnes gens de jadis. Le paysage est un signe, un miroir intérieur où se reflète le coeur du poète. Il semble s'en tenir à ce qu'il voit; mais l'attention de son coeur - sa tendresse - est si grande que tout s'en trouve magnifié. Humblement, il nous propose ses "Enluminures", comme s'il copiait les apparences. Or, mystiquement, ce sont des présences qu'il évoque devant nous, par la force de son amour. Mystique, sans doute il l'est, bien qu'il n'adhère à aucune croyance. Mais il a l'amour de cette évidence qu'est pour lui la vision. C'est une foi encore, personnelle et secrète et qui le remplira de plus en plus de souffrance que de joie. Il souffre amèrement de souvenirs anciens. Il souffre aussi d'une douloureuse peine métaphysique. Mais il souffre seul, lui, le doux qui a horreur de la force, le pacifique qui craint de blesser les fleurs ou les objets, le disciple de l'Ecclésiaste qui mesure la vanité des choses et de nos souffrances mêmes, et qui n'arrive pas à se résigner, lui le bouddhiste pour qui toute vie est sacrée. Ses peines et ses pensées sont encloses dans ses belles images, avec une tendre discrétions.

Les chansons se succèdent évoquant tous les aspects d'une pensée qui se replie sur les images familières et sur les anciennes affections. Ce seront encore les "Chansons désabusées", "Maya", "Aegir somnia", "Les Délectations moroses". Mais depuis l'exil et "Les Tentes de l'Exode", il y a dans plus d'un poème quelque chose de moins indirect. Le lien demeure entre les faits particuliers de la vie et le chant qui en procède. L'aveu est plus nettement circonstancié. L'oeuvre en conserve quelque chose de tremblant et de plus fiévreux. Un accent nouveau se mêle à l'ancienne diction. Ce sont toujours des chansons "d'une perfection villonesque". Le tour populaire et la fraîcheur n'en sont pas feints, - car le poète est toute sincérité. Mais ce ne sont plus seulement ces petits airs comme on s'en chante pour bercer, pour calmer sa peine d'être un homme. Le poète est toujours possédé par sa volonté d'art. Son style et sa langue, comme ses rythmes familiers, lui sont si habituels que, souvent, le vers s'assouplit, se précipite. La pensée profonde qui "accompagne presque tous ses chants", les déborde constamment. La douleur, celle de la dureté de sa vie comme celle des souvenirs qui le harcèlent, lui est insupportable. Le destin est trop lours pour qu'on l'accepte sans percevoir l'effort. Il est altéré de perfection, et il n'y a plus de commune mesure entre la pensée, toute métaphysique, et les chansons. Le rêve même est trop pénible. Et celui qui avait prêché la paix et la joie et l'amour, défaille. Il lui arrive d'essayer de se distraire en décrivant des objets ou des estampes. Ses poèmes "ne sont jamais des peintures futiles". (Jean de Bosschère nous le signale utilement). Ces poèmes sont "des signes". Max Elskamp semble se hâter de tout dire pour pouvoir enfin se taire lorsqu'il éprouvera le besoin de crier sa plainte. Cette discrétion est bien aussi d'un homme de chez nous. Il peut se faire que nous l'ignorions, car il n'est pas fréquent que ces poètes profonds et renfermés écrivent ou parlent: contemplatifs, leur poésie est en eux et on a de la peine à la deviner, car elle se nourrit de solitude et de silence.

 

D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Et voir encore ici: Max Elskamp et le presse privée en Belgique (documents issus de ma collection privée)


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« Passage de Mémoire » est un concours de nouvelles en langue française organisé par l’asbl Territoires de la Mémoire en 2009-2010. Il s’agit ici de prendre les mots « passage de mémoire » comme la transmission ou la réception d’un événement tragique de l’Histoire (Shoah, génocide des Tutsis, crimes contre l’humanité, guerres, colonisation, etc). Le mot « nouvelle » comme une « oeuvre littéraire, proche du roman, qui s’en distingue généralement par la brièveté, le petit nombre de personnages, la concentration et l’intensité de l’action, le caractère insolite des événements contés ». Et le mot « fiction » signifiant le « produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité ». Il est ouvert à tous, quels que soient l'âge, la nationalité ou le lieu (pays) de résidence des participants. Les permanents et les membres de l’Assemblée générale de l’asbl Territoires de la Mémoire ainsi que leurs familles et les membres du jury ne peuvent pas participer au concours. Un livre reprenant les des deux textes primés et une sélection de nouvelles reçues sera édité dans la collection « Libres Ecrits » des Territoires de la Mémoire. Date limite de remise des textes : 8 mai 2010
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