C’est en 1849 que Kierkegaard publie cet ouvrage. Sous forme de trois "Discours" d'édification religieuse, il s'adresse aux affligés, les invitant à la contemplation des lys des champs et des oiseaux du ciel, divins maîtres selon l' Evangile de saint Matthieu. L' affligé repousse en effet la pitié humaine qui le tourmente, l' humilie et le conduit en outre à faire des "comparaisons": mais seul, au milieu de la nature, il est délivré de l' anxiété de la comparaison, car les êtres de la nature, entièrement différents, ne peuvent susciter son envie. La vue du lys et de l' oiseau le détourne de sa peine et lui rend le calme, lui apprenant à "se contenter de sa condition humaine".
Les lys sont merveilleusement parfaits dans leur simplicité: combien l'homme ne le serait-il pas davantage du fait qu'il est une créature humaine, chef-d'oeuvre de la création! Mais, séduit par son propre esprit insatisfait et capricieux, qui finit par lui faire oublier sa qualité humaine, l'incitant à se plaindre des différences entre l'homme et l'homme, ainsi poussé vers d'inaccessibles chimères, il finit par sombrer dans le découragement. L'enseignement du lys, à qui le tourment de la comparaison et de la jalousie est inconnu, délivre l'esprit de l'homme des préoccupations mondaines. L' oiseau, qui vit au jour le jour, insoucieux du lendemain, le libère de cet ordre matériel, car qui le nourrit, sinon Dieu? Aussi l'homme apprend-il qu'il est également nourri par le Père céleste: même lorsqu'il aura rempli ses greniers du fruit de son travail, il ne devra pas s'imaginer avoir subvenu de lui-même à ses besoins. Toutes nos préoccupations naissent de notre manie de comparer: l'homme se compare à son semblable et compare entre eux les jours de sa vie. Mais les lys et les oiseaux nous enseignent à être simplement et joyeusement nous-mêmes. Ils sont le ravissement divin de l'affligé, car la nature détient une capacité infinie de persuasion. Par les lys et les oiseaux, l'homme est amené à considérer "la munificence de la condition humaine".
Un penseur païen a déjà parlé de la supérieure dignité de l'homme, de la noblesse que lui donne la station droite, attitude de commandement. Mais ce docte oubliait Dieu. Le mérite d'une telle dignité ne revient pas à l'homme. Dieu l'a créé et il est semblable à Dieu, non par sa forme sensible et périssable, mais par la gloire invisible de l'esprit: l'homme peut avoir la révélation du Créateur et l'adorer, ce que jamais ne pourra faire la nature, privée de conscience. Et de même, l' oiseau, insouciant du lendemain, n'a pas le sens du temps et de l' éternité propres à la conscience humaine: aussi son influence est-elle bénéfique, mais inconsciente. Du seul fait qu'il peut travailler, souffrir, adorer, l'homme est infiniment supérieur aux lys et aux oiseaux, lesquels finissent même par s'attirer la compassion de l'affligé, venu vers eux pour être consolé. Car la vie de la nature est splendide mais éphémère, et sa beauté renferme une tristesse inexprimée. La liberté lui étant inconnue, elle sert la gloire de Dieu sans l'avoir choisi. La faculté de choix n'est réservée qu'à l'homme, lui seul peut choisir entre Dieu et Mammon: telle est sa gloire, tel est le caractère admirable de sa condition, par ailleurs extrêmement périlleuse. L'homme est donc infiniment supérieur à la magnificence de la nature, car il est libre, pouvant de son propre chef adhérer au royaume de Dieu: les lys des champs et les oiseaux du ciel lui ont appris "le bonheur réservé à la condition humaine".
Cet ouvrage admirable de simplicité et de force persuasive, vise à déterminer les catégories de "personne" ou d' "individu", essentielles à la pensée, religieuse mais anti-ecclésiastique, idéaliste mais anti-hégélienne, de Kierkegaard. Pour lui, l'homme authentique, l'homme pur et simple, n'atteint son "être" propre qu'en se mesurant à l' éternel, hors des rapports trompeurs de la vie sociale.