Quand il m'a dit qu'on ne devrait jamais savoir qui a écrit un livre, j'ai compris qu'il devenait un ennemi. Ce que je refusais de voir m'est apparu limpide. L'œuvre que j'ai construit depuis des années et qu’à présent je rends publique lui est par essence insupportable. Je ne sais si nos chemins divergent. Ils n'ont peut-être convergé que tant que l'effort était de mon côté et que je m'adaptais à lui, mais l'amour a ceci
d'extraordinaire qu'il permet de s'oublier pour entrer et parfois se perdre dans la lumières d'un autre. Pour l'artiste une telle abnégation n'est ni une faiblesse ni un manque de confiance en soi. C'est une façon de se dépasser. Mais pour aller plus loin, vient le temps de reprendre sa direction, son unicité, son chemin.
Il se peut qu'il aime plus ou moins ce que j'écris. Là n'est pas la question. On peut ne pas apprécier une création sans contester à son auteur le droit d'y apposer son nom.
Chez lui, il s'agit plutôt d'un rejet de principe qui n'atteint même pas le stade de la critique puisqu'il répugne à lire les livres que je signe. Il lui arrivait pourtant souvent d'être sensible à ce que j'écrivais lorsque c'était sans prétention et surtout dans un cadre fixé par lui.
Bons ou mauvais, les écrits seraient contraints à la discrétion comme ces copies de baccalauréat délibérément anonymes pour que le professeur qui les corrige ne juge rien d'autre que la pertinence des propos.
Sauf qu'entre et le candidat au bac l'artiste qui signe son œuvre, il y a un cheminement de vie, de pensée et d'affirmation de sa singularité que l'on pourrait appeler processus d'individuation.
La création est une forme de don de soi mais pour que ce don se transforme en partage et ne soit pas sacrificiel, l'intégrité de l'artiste doit être respectée.Cette intégrité ne peut exister sans identification passant par la divulgation d’un nom, que ce soit celui qui lui a été donné à la naissance ou celui qu'il s'est choisi. A partir de là ce nom devient inextricablement lié à sa création.
Loin d’être un privilège uniquement réservé à des auteurs dont le nom apparaît
comme une marque faisant la promotion d’un produit de marketing, signer un
livre est un acte d'une importance capitale. C'est une question d'existence.
Exister est le sens de toute ma vie. Mettre mon nom sur une œuvre, c'est être auteure du livre de ma vie, d’une partition que nul ne peut composer à ma place ; c’est me réapproprier le nom qui m'a été donné à la naissance et devenir avec lui, jusqu’à ce que peut-être, il en subsiste quelque part une trace après moi, au-delà de moi. Signer mes livres, c’est transcender mon identité.
Présenter sous un même nom deux livres aussi antagonistes que " la grognasse" et "une aventurière de Dieu" m’engage bien plus que si j'avais publié la "grognasse" sous pseudo. Assumer de telles oppositions dit quelque chose qui ne se trouve ni dans "la grognasse" ni dans " une aventurière de Dieu ", mes pièces de théâtre se trouvant à mi-chemin entre les deux styles.
En m'expliquant qu'on ne devrait jamais savoir qui écrit un livre, il a nié le sens profond de mon existence. A-t-il seulement compris à quel point ce point de vue était violent pour moi ? Sans doute mais ceci n’a plus d’importance car il faut parfois savoir se dire adieu.Pour une fois j’illustre cet article avec une de mes peintures L’écriture et la communication ne me laissent plus beaucoup de temps pour la peinture.ca rira mieux dans quelques mois quand j’aurais publié
tous mes livres…
Pour en savoir plus sur ma démarche picturale et le mouvement CONJONCTION
Tous mes livres publiés et PDF
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