......au gré d'un lancer de dés !
Toutes les publications (165)
Espace Art Gallery a le plaisir de vous convier à l’exposition :
«Des couleurs et traces aux lignes précieuses »
Britt VOGELS (Be) peintures
CLEG (Fr) peintures
Marlène DESSARZIN (Ch) peintures
Sophie – Mathilde TAUSS (Fr) sculptures
Du 06 octobre au 24 octobre 2010.
INVITATION AU VERNISSAGE
Mercredi 06 octobre de 18 h 30 à 21h 30.
Drink de bienvenue et petits sandwichs fourrés.
Espace Art Gallery 35 rue Lesbroussart 1050 Bruxelles.
Ouvert du mardi au samedi : 11h 30 à 18 h 30 et
le dimanche sur rendez-vous.
GSM : 00 32 497 577 120
&
INVITATION POUR UNE SOIRÉE FESTIVE
avec les auteurs Bruxellois des Éditions Chloe des Lys,
le samedi 23 octobre 2010 à partir de 20h00
Participants : Bob Boutique, Billington Olivia (Livvy),
Bokhorst Hermine, Damman Marie (*M*C),Hiernaux Gauthier,
Leruth Dominique, Magerotte Alain, Malengreau Raymonde,
Milie Kate, Ndanyuzwe R.M.G, Plasschaert Daniel, etc...
Invitation à l’initiative du réseau des Arts et des Lettres
en Belgique Francophone
Voir: http://www.bandbsa.be/foires/ixelles2010.htm
&
INVITATION A VOIR LA COLLECTION
Espace Art Gallery II 49 rue Lesbroussart 1050 Bruxelles
En mezzanine de Espace Yen
Du 04 septembre au 30 octobre 2010
Ouvert du lundi au samedi : 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 22 h 30
Téléphone : 02/649.95.89
Site de présentation de Espace Yen :
https://artsrtlettres.ning.com/group/larttable
&
INVITATION A VOIR LA COLLECTION
« AFTER WORK »
Drink tous les mercredis lors des vernissages
De 18 h 30 à 21 h 30
Espace Art Gallery
35 rue Lesbroussart à 1050 Bruxelles
Britt Vogels (Be)
Pèlerinage vers l'inconnu...
« Ma vie durant en suivant le sillage de mes maîtres spirituels, je traverserai les nuages noirs pour rejoindre le soleil et trouver les partitions d'une musique qui fait danser la vie. Comme Smohalla je chercherai la sagesse dans les rêves et m'appliquerai à ne rien dire si ce n'est pas plus beau que le silence.
En suivant Taisen Deshimaru, je prendrai conscience que l'océan est en moi. Comme l'enseigne Bouddha, je vaincrai la colère par l'amour. Mon pinceau tout comme celui de Ting, se laissera guider par l'idée et Hokusaï m'aidera à percer le mystère pour que chaque trait, chaque point soit vivant, que les auras de sable et de pierres radient de sagesse, que les reflets d'or illuminent la vie et que les fragiles silhouettes se mettent à danser....
Bienvenue au pays des trésors enfouis, des secrets non dévoilés, des énigmes non élucidées....du Dokan rempli par l'amour universel, des empreintes du temps mêlées au présent...là où l'on cherche le silence, moins fastidieux que l'ivresse des mots....là où l'on suit un pèlerinage dont la destination est inconnue. »
Cleg (Fr)
Peintre-reporter d’Afrique
Aujourd’hui coach et psychothérapeute, Christian Legrand expose ses toiles depuis 7 ans sous le nom d’artiste CLEG. Longtemps mordu de photoreportage, il s’est découvert une passion pour la peinture il y a vingt ans avant de se jeter réellement à l’eau en 2003. Amoureux de Nicolas de Staël, Gauguin, Matisse et des fauvistes, il a su puiser dans ses voyages au long cours (l’Algérie, le Sénégal, Mali, Ethiopie, le Kenya, l’Egypte, les îles tropicales) l’inspiration sensuelle à son art : les odeurs et les ambiances des marchés, l’énergie vibrante et les éblouissements de l’Afrique, la gourmande anarchie d’un monde où tout devient matière, puissante symphonie en même temps que douceur et sérénité. Au spectacle de ces terres de contrastes, il découvre le monde et se révèle à lui-même. Les personnages qu’il met en scène restent sans visage, anonymes et humbles, nimbés d’une mystérieuse présence qui rassure, qui calme l’angoisse de la séparation universelle. Dès lors, ce moment de vie saisi en pleine lumière dans une joyeuse déclinaison de couleurs chaudes devient un message d’harmonie délivré dans la paix et la fluidité. Christian Legrand ouvre grand cette fenêtre sur un univers qui n’appartient qu’à son regard subjectif de peintre-reporter de l’Afrique qu’il aime, celle du 21e siècle, et qu’il veut faire partager.
Marlène Dessarzin (Ch)
Les pérégrinations du voyageur
La création fait partie intégrante de l'homme, il découle de sa personne tant d'émotions, tant de sentiments contraires qu'il ne peut exprimer qu'à travers elle.
L'enfant dans les premières années de sa vie ne craint pas l'échec, il s'anime, s'extériorise sur bien des supports, des matières qu'il estime. Puis pour la plupart, survient l'absence stérile jusqu'au jour où l'esprit dans sa révolution intime rencontre l'opposition. La création devient dès lors l'unique nourriture substantielle que le voyageur peut absorber véritablement.
Il découvre des déserts dans l'écume et l'ardeur dans les fleuves, il s'enivre d'altitude et prend connaissance des profondeurs, il s'émerveille d'inconnu et craint par la suite l'éloignement. Le voyageur solitaire finit par se perdre dans ses pérégrinations.
De là revient les expériences premières, la découverte de l'identité pour ce faire, plume, pinceau, matière qui du geste esquissent les horizons de l'intimité, ses vacillations, ses tremblements et ses frayeurs. L'enfant silencieusement revisite la conception tentant de retracer la quiétude et l'unité dans ses fondements.
Sophie – Mathilde Tauss (Fr)
Sculpteuse d’humanité Vit et travaille depuis 1986 dans le Vexin près d'Auvers-sur-Oise.
Partage son temps entre l'exercice de sa profession de psychiatre-psychothérapeute et la sculpture (modelage et taille de pierre).
Inititation aux multiples étapes du moulage et de la fonte dans l'atelier de Jean Cappelli, de 1983 à 1987.
Collaboration avec Patrick Paumelle et son équipe depuis 1988 dans leur fonderie champenoise.
Elève "libre" aux Beaux-Arts de Paris dans l'atelier de Jacques Delahaye de 1989 à 1992.
A travaillé régulièrement à Carrare dans l'atelier Nicoli de 1985 à 1998.
Accueillie dans les carrières de Laurens (Hérault) par Michel Anglade depuis 1999.
Dialogues ...
Jeux d'ombre et de lumière, accueil des contrastes, des opposés, en les réunifiant.
Ying yang, animus anima...
Réconciliation sans fusion, dans le respect de l'espace, de la distance de l'un à l'autre.
Enseignement dans toute relation, à soi-même, à l'autre, au monde...
Formes et informes, déroulements, enroulements, spirales, verticales, hélicoïdales,Vide et matière, aspérités, accroches, points de rencontre, jeux de brillance, de texture, de couleurs, espaces, lignes de fuites, points d'absence.
Emergences et retraits, alternances...
De la matière à l'invisible, dialogues...
A voir du 06/10/2010 au 24/10/2010 au 35 rue Lesbroussart à 1050 Ixelles
Il est où l'incendie?
L’INCENDIE DE LA VILLE DE FLORENCE
Texte de : OLIVIER COYETTE
Joué avec brio au THÉÂTRE DE LA BALSAMINE
21/09/2010 >> 02/10/2010
avenue Félix Marchal - 1030 Bruxelles – Belgique Site Web : http://www.balsamine.be
Le public est sous le livre qui égrène les images de merveilles humaines, époques et horizons confondus. Brouhaha étourdissant, tant il y en a. Quand la page blanche se meut, la page est pliée en deux, au creux du pli, quatre femmes, de chair, de cheveux, de rires, d’humeurs et de voix surgissent et s’élancent au plus près du public, comme la voile dans le vent. Qui souffle ? Pour aller loin, au près serré, à travers les déferlantes…. Nouvelles Euménides ? Leur chaleur caresse le premier rang, facettes dévoilées, elles Vivent. Leurs voix émeuvent, leurs gestes captivent, parlent les yeux… Ecoutez-les respirer, faites de même, voyez battre leur col plein de vie, vous sentirez la vie déferler. C’est ce qu’elles font tout au long du spectacle, une ode à la vie.
Quatre voix de femmes qui ne font qu’une, qu’un chant réveillant la torpeur moderne. A la bouche un poème d’élan juvénile, de ravages, d’existence. J’aime donc j’existe… Elles racontent, en faisant tout autre chose - qu’on se gardera bien de vous dire, pour ménager l’effet de surprise. Ne sont-elles pas toutes multi-tâches… ? Elles racontent, en feuilletant une encyclopédie. Mais sous ce réel récité, il y a l’à venir qui va éclore des bouches vivantes…
Le poème a été écrit pour elles, par elles ? Par un homme qui veut percer leur mystère, les connaître enfin, les dévoiler, qui a lâché ses balises pour traverser l’océan. Il y a tant de culture, de tissu complexe fabriqué par l’humanité, tant à découvrir, à apprendre, à faire connaître. Où est l’essentiel ? Wikipedia s’en mêle… recherche: la ville de Florence est passée au peigne fin…. L’histoire, l’actualité, peintures d’une époque, d’une réalité ? L’art, peinture d’une réalité plus haute ? Jamais vue ?
Voici une pièce de théâtre audacieuse et innovante… Las, voici l’avenir, une page blanche, lieu de tous les possibles, angoisses gommées, tant la vie peut être présente et vive, si on le veut. Que sommes-nous maintenant, une cacophonie ? Alors que tout se joue à l’intérieur. Et qu’il faut oser dire, atteindre le vrai et le senti, faire péter les nœuds, se mettre en colère, pleurer et trouver et pincer cette corde ou cela vibre et où cela vit… la femme ose, la vie déferle. Nous ne sommes pas des cellules virtuelles ou mortes…
« Qu'ils soient croyants ou pas, les artistes donnent du sens à l'histoire de l'humanité même s'ils sont inconnus. Les grandes avancées se font aussi avec ces milliers de pas anonymes qui laissent leurs empreintes sur les chemins de l'âme du monde. Quelqu'un connaît-il le nom de toutes les étoiles ? Pourtant, elles brillent toutes. Plus les artistes s'obstinent à créer hors de toute gratification, privés de toute a sécurité, plus ils se rapprochent des sentiers de Dieu. Peu importe s'ils sont athées ! Même lorsque la société n'en veut pas, l'artiste fait don de sa création à l'universel, à l'Intemporel au Créateur et peut-être aux hommes lorsqu'ils estimeront en avoir besoin.
Transcender son existence vers un but qui n'a pas d'utilité immédiate est un acte de foi. Il est souvent mal compris et l'artiste a parfois l'impression de vivre sur une autre planète ».
Martina Charbonnel : "Une aventurière de Dieu "
Une série vite faite par un jour prometteur.. de soleil.
Pour l'aspect créatif, faut voir la suite
Dans les lignes maîtresses de la poésie contemporaine, Daniel Leuwers mentionne les forces de l’inconscient dans le flux du langage. Cela veut-il dire que le poète transcrit souvent spontanément ce qu’il ressent en des mots jaillissants qu’il ne contrôle pas ?
En une telle situation, l’écriture poétique devrait provoquer certains émois chez le lecteur d’une suite de phrases éloquentes, paraissant incongrues. C’est ce que j’ai éprouvé en lisant des poèmes de Farid Chettouh qui a fait le choix de la poésie contemporaine.
Il est évident que d’autres poètes de la modernité n’écrivent pas de la même façon. Ils jouent sur la valeur polysémique des mots et les écrivent souvent les uns à la suite des autres,sans leur assigner de signification. Le résultat pourrait être harmonieux mais il est souvent décevant sinon aberrant.
C’est sans doute en faisant ce constat que certains poètes ont renoncé à cette nouvelle façon d’écrire tout comme les surréalistes avaient abandonné le dadaïsme, jugé stérile, après s’y être adonnés avec ravissement.
J’ai apprécié la modestie et l’honnêteté de Denis Roche dans ses commentaires sur ce qu’il appelle la poéticité, menant à la méculture, alors qu’il qualifie ses poèmes de mécrits pour les désavouer. , cessé toute
Contrairement à lui, des poètes contemporains, souvent, ne possèdent pas le sens critique leur permettant de reconnaître la médiocrité de leurs écrits. Ils se congratulent et s’abusent mutuellement.
Il est heureux que la poésie, libérée de certains impératifs codifiés, soit devenue accessible à un grand nombre d’êtres sensibles et que des associations culturelles encouragent son épanouissement et son rayonnement, en préconisant qu’elle demeure musicale et intelligente.
Yves Duteuil a chanté la langue de chez nous. Il faut lui conserver toutes ses harmonies.
La poésie a certes des effets profitables. La joie nous vient souvent de la réalité.
22 août 2010
Toute pédagogie reprend l'engendrement et la naissance d'un enfant: né gaucher, il apprend à se servir de la main droite." De même que le gaucher contrarié peut se servir, pour des usages variés, de ses deux mains, de même, l'homme vraiment cultivé est à la fois grammairien et styliste, littéraire et scientifique.
Mieux: il sait, comme Hermès, dieu des messages, "faire communiquer les domaines séparés du savoir, comprendre que la littérature dit la science qui retrouve le récit qui, tout à coup, anticipe sur la science".
Ce n'est pas un jeu gratuit: s'instruire "en tierce-place entre ces deux foyers" du savoir, c'est éviter l'hégémonie totalitaire d'un discours dominant, et, par là, contribuer à la paix qui est le bien suprême de l'éducation morale, et à l' invention qui est "les seul acte d' intelligence vrai".
Né à Agen en 1930, Michel Serres entre à l'Ecole navale en 1949 et à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm en 1952. Agrégé de philosophie en 1955, il est, de surcroît, titulaire d'une licence de mathématiques et d'une licence de lettres classiques.
De 1956 à 1958, il sert comme officier sur divers vaisseaux de la Marine nationale: escadre de l'Atlantique, escadre de la Méditerranée. Puis il enseigne la philosophie, l'histoire des sciences et la logique mathématique à Clermond-Ferrand, Vincennes, Paris I.
Elu en 1990 à l' Académie française, il est, depuis 1984, full professor à l'Université californienne de Standford, où il a rejoint René Girard.
L'horreur de la guerre
Il semble qu'après sa thèse de doctorat, soutenue en 1968 ("Le système de Leibnitz et ses modèles mathématiques"), son oeuvre tout entière ait été motivée par l'horreur de la guerre, horreur qui explique aussi sa démission rapide de la Marine nationale:
"Je ne voulais pas servir les canons et les torpilles, la violence était déjà, elle est restée, toute ma vie, le problème majeur" ("Eclaircissements", entretiens avec René Latour, François Bourin, 1992).
Or, la violence a plus de têtes que l' Hydre de Lerne: les siennes repoussaient sitôt qu'elles étaient tranchées; Hercule n'en triompha, selon la légende, qu'en les coupant toutes d'un seul coup.
Mille visages, déjà apparus dans les cours de récréation, quand les batailles entre enfants se déclenchent "sous le regard paterne et aveugle de l'instituteur", revenus à tous les moments de l'histoire du siècle pour ce qu'il faut bien appeler "la génération de la guerre" ("Eclaircissements", op. cit. p. 10):
"Ma jeunesse va de Guernica -je ne peux pas regarder le célèbre tableau de Picasso -à Nagasaki, en passant par Auschwitz".
On les retrouve même là où on pensait s'en être le plus éloigné, dans la recherche scientifique et les colloques intellectuels, car "l' éloquence vocifère pour terrifier les parleurs alentours", et à notre époque qui a célébré à Hiroshima les noces de la science et des puissances destructrices, "la culture continue la guerre par d'autres moyens".
L'oeuvre tout entière est une réaction à la peur, "cette peur qui peut passer pour la passion fondamentale des travailleurs intellectuels", et qu'affronta -peut-être pour l' exorciser-, l'officier de marine. S'expliquent ainsi d'abord la passion pour Leibniz, ensuite les travaux "structuralistes", enfin l' idéal de culture défini dans le "Tiers-instruit".
A la source: Leibniz
Le sujet de thèse ne fut pas un hasard, et il n'est pas dû seulement au fait que le penseur allemand inventa l'algèbre et, même, la moderne topologie. Le choix est surtout dû au fait qu'il tenta toujours de concilier la recherche rationaliste de l' unité et le respect de la multiplicité, de la diversité, de la différence, affirmée dans le principe "des indiscernables" (il n'y a pas deux feuilles d'arbres parfaitement semblables): "L' individu est le profil de l' universel" ("Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques").
La méthode de Leibniz:
"multiplier autant qu'il se peut les cas singuliers, les variétés et les degrés, avant de découvrir l'invariant de la variation" (op; cit., p. 559).
L' invention mathématique de Leibniz fut le calcul différentiel qui traite des variations infiniment petites des variables d'une fonction unique, et il inspira son effort pour dépasser et concilier le monisme et le pluralisme.
La paix a tout craindre d'une science hégémonique qui prétend imposer sa vérité à toutes les autres, mais aussi, inversement d'une dispersion des disciplines éclatées et incapables de communiquer, vivant en une diaspora que cherche à éviter le structuralisme.
Les travaux structuralistes
Michel Serres fut longtemps considéré, avec Claude Lévi-Strauss, comme le théoricien le plus fidèlement accordé à la méthode structuraliste. Lévi-Strauss tirait celle-ci de la linguistique de Jakobson et de F. de Saussure, et tentait de montrer que les sociétés, à l'instar des langues, sont des systèmes dont les lois déterminent à leur insu les individus.
Le structuralisme de Michel Serres est, lui, d'inspiration mathématique et se réclame de Bourbaki (nom donné à un groupe de mathématiciens français qui, depuis 1939, ont une exposition formalisée et systématisée de leur science):
"On peut maintenant faire comprendre ce qu'il faut entendre d'une façon générale, par une structure mathématique. Le trait commun des diverses notions désignées sous ce nom générique est qu'elles s'appliquent à des ensembles d'éléments dont la nature n'est pas spécifiée; pour définir une structure, on se donne une ou plusieurs relations où interviennent ces éléments (...); on postule ensuite que là où les relations données satisfont à certaines conditions (qu'on énumère) et qui sont les axiomes de la structure envisagée" ("Les grands courants de la pensée mathématique", Cahiers du sud, 1948, p. 40-41).
L'intérêt des mathématiciens pour les structures venait de ce qu'ils définissaient moins leur discipline comme une science des nombres et des quantités que comme une science de l'ordre.
Employer la méthode structurale, c'est considérer les ensembles plus que les contenus de ces ensembles: ceux-ci, en effet, peuvent avoir la même organisation globale, bien que les contenus soient différents. On dira alors, que ces ensembles ayant même structure, sont "isomorphes".
Le travail structural consistera à comparer ces structures: la méthode structurale est une méthode "comparatiste".
L'influence de Dumézil
Georges Dumézil (1898-1986) fut, par ses études sur les mythes indo-européens un maître en la matière et un inspirateur de Michel Serres. Plutôt que de comparer des dieux isolés entre eux, Dumézil compare des panthéons (ensemble de divinités): il fait voir ainsi que la même structure organise les panthéons des divers peuples indo-européens, et qu'il y a correspondance entre le panthéon de chaque peuple et sa conception de l'ordre social, de l'Inde à la Scandinavie, et à l'antiquité gréco-latine: tripartisme des divinités (souveraineté, guerre, fécondité, Jupiter, Mars, Quirinus) et tripartisme de l'organisation colective (oratores, bellatores, laboratores).
Par ses divers travaux, Michel Serres va dans le même sens, mais avec encore plus d'audace: il ne rapproche pas seulement, dans les cinq volumes d' "Hermès", des panthéons entre eux, mais des textes littéraires et des théories scientifiques, des mythes et des sciences, des fables et des systèmes sociaux, des récits et des machines.
Don Juan et le potlach
Un exemple: Michel Serres associe les relations d' échange et de communication, telles qu'elles sont définies dans l' "Essai sur le don" de Marcel Mauss, texte fondateur de l' ethnologie contemporaine, et telles qu'elles apparaissent dans le "Dom Juan" de Molière.
Toutes les institutions montrent que l'obligation de donner et de recevoir est un phénomène social total, autour duquel se cristallisent les pratiques du groupe: échanges économiques, échanges matrimoniaux, échanges linguistiques, fêtes religieuses où les sacrifices invitent les divinités à rendre plus que ce que la société gaspille pour elles. Or Don Juan perturbe cette règle fondatrice de la vie culturelle pour les Indiens d' Amérique et les indigènes de Polynésie, règle dont, dès le début de la pièce, son valet Sganarelle a rappelé la valeur à propos du tabac:
"Il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve?".
Ensuite "les trois conduites de Don Juan, vis-à-vis des femmes, du discours, de l' argent, forment trois variations parallèles sur le thème du tabac" (Michel Serres, "Hermès I, la communication", 1968).
Don Juan perturbe la relation: il veut prendre sans donner en échange: il est mauvais payeur, sans parole et menteur, multiple séducteur. "Mais aurions-nous pu lire Dom Juan sans Mauss"?
Balzac et Descartes
Et pourrions-nous comprendre la diférence entre les descriptions de Balzac et de Musil sans montrer que les premières correspondent à une conception classique du déterminisme, les secondes à la physique rendue possible par la thermodynamique de Carnot, les théories de Boltzmann, etc.
Hasard, indéterminisme, semblent remis en question. Or c'est sur eux que s'appuient les descriptions de Balzac: il localise exactement le héros dans des lieux déterminés. Ces lieux sont emboîtés les uns dans les autres. La maison est à la ville ce que celle-ci est à la région, à la province, et la province au pays "Et donc tout est prévu ou prévisible dans cet universel réglé" ("Passage du Nord-Ouest").
Musil et l' indétermination de l'élection
Bien différente est la description chez Musil, écrivain autrichien (1880-1942), dans "L'homme sans qualités". Musil commence par dire les conditions météorologiques. Celles-ci ne déterminent aucune situation singulière, mais un grand nombre de situations. Puis Musil se penche sur la ville et la caractérise par des flux globaux plus ou moins rythmés: "une sorte de liquide en ébullition".
Ensuite, la description va des trajectoires individuelles à des considérations globales, et revient aux individus. Du point de vue global, on sait qu'il y a des accidents dans la ville, mais, pour les trajectoires individuelles, ces accidents sont imprévisibles ou prévisibles par des lois statistiques.
Par ces isomorphismes entre une théorie physique et une description romanesque, entre une théorie ethnologique et un drame théâtral, Michel Serres fait ingénieusement communiquer des domaines du savoir trop souvent séparés. On pouvait tirer bien d'autres exemples de ses nombreuses approches structurelles.
C'est ainsi qu'il retrouve la machine à vapeur dans l'accumulation du capital (Marx), dans le désir qui ignore le poids du réel (Freud), dans la volonté de puissance de Nietzsche, dans les deux sources de la morale chez Bergson, une chaude et l'autre froide, dans le roman de Zola, dans la peinture de Turner.
Tous les textes s'entr'expriment les uns les autres. S'annule alors la différence du texte et du texte vrai, de la fable et de la science, du mythe et du savoir: "Il n'y a pas de mythe pur que le savoir pur de tout mythe" ("La traduction").
Ou encore: "Un savoir sans illusion est une illusion toute pure". Certes, la science dit l'ordre, mais la science la plus nouvelle (voir "La nouvelle alliance" de Progogine et Stengers I.) apprend que le désordre est un cas particulier, et un moment de l'ordre.
Hermès agent de circulation
Qui est Hermès? Deleuze l'appellerait un "personnage conceptuel", un de ces êtres qu'inventent les penseurs pour représenter leurs concepts: messager, comme le dieu grec, intercepteur, traducteur, distributeur, il circule d'une discipline à une autre, les empêchant d'une part de se clore frileusement sur elles-mêmes, d'autre part de chercher à régir les autres. Ce transmetteur d' information est aussi un moyen de paix: il écarte la domination d'une science qui se croit reine et l'éclatement en domaines qui s'imaginent étrangers.
Entre eux, il occupe une tierce place, celle des relations et des réseaux de circulation. Mais, pour jouer son rôle, il faut tout un apprentisage qu'explique "Le tiers-instruit", et l'idéal de cet apprentissage, ainsi défini:
"Métissage, voilà mon idéal de culture, Blanc et noir, sciences et lettres, monothéisme et polythéisme, sans haine réciproque, pour une pacification que je souhaite et pratique. Toujours la paix, pour un enfant de la guerre" ("Eclaircissements", op. cit., p. 47).
Elever, instruire, éduquer
Le livre est divisé en trois parties: élever, instruire, éduquer, Formation du corps, développement de l'esprit, enseignement moral de l' âme.
"Enfin, qui suis-je au total? L'ensemble du volume entre l'être-là et le point exposé en ce lieu, thèse le plus souvent basse, et l'exposition. Cette distance couvre au minimum tout l'arbre et un immense espace, parfois. J'appelle cette dimension grande: l' âme".
L'élevage du corps
Le corps, certes, n'est pas sans importance, pour cet enfant de marinier des bords de la Garonne.
"Il a été fasciné par les corridas, il a couru, sauté, volé sur les manèges des kermesses, fait l'école buissonnière, bu du vin des vignobles des douces collines, il a joué au rugby, cassé des cailloux sur les chantiers, s'est engagé comme marin et a failli mourir dans un incendie avant d'étudier les mathématiques et la philosophie (Anne Crahay, "Michek Serres, la mutation du cogito" (1988).
Un gaucher contrarié
L'apprentissage d'une tierce instruction de l' intelligence qui ne soit ni littéraire ni scientifique seulement, mais à l'intersection des disciplines séparées, il l'a acquis d'abord dans son corps, quand l'instituteur a fait de lui un "gaucher contrarié", le forçant, lui, gaucher, à écrire de la main droite.
Comme si dans ce corps complété s'était inscrite très tôt ce qui sera la règle à suivre toute la vie: savoir écrire de la main droite et travailler de la main gauche, c'était se préparer au refus des connaissances éclatées.
Le gaucher contrarié annonce le métissage et le mélange des sources de culture. Et, faire l'éloge du corps ainsi réconcilié, c'est aussi se prédisposer à prêcher pour la tolérance ou
"l' amour, qui jouit de l'autre, dans son voisinage le plus proche, vivre heureux, et pour le devenir, ait au moins eu la chance ou le droit de naître".
A noter ceci: le gaucher contrarié n'est pas l' ambidextre, puisqu'il tient le marteau ou la raquette de la main gauche, et le stylo de la main droite, et, qu'en lui ne s'identifient pas les deux moitiés séparées restées symétriques et devenues équivalentes. Elles s'entrecroisent et se complètent, comme les deux moitiés du cerveau, chez "l'hermaphrodite latéral". Ce métissage, vécu d'abord, dans le corps, deviendre l'idéal entier d'une instruction non hémiplégique.
L' instruction de l' intelligence
"Toute pédagogie reprend l'engendrement et la naissance d'un enfant: né gaucher, il apprend à se servir de la main droite, demeure gaucher, renaît droitier au confluent des deux sens: né Gascon, il le reste et devient Français, en fait métis".
Le métissage se réalise par la conjugaison de la littérature et de la science, des cultures multiples et de la science universelle, de la grammaire et du style, de l'acquisition du savoir et de l' invention, des sciences "dures" (mathématiques, physiques) et les ciences sociales.
Littérature et science:
"La littérature dit la science qui retrouve le récit qui, tout à coup, anticipe sur la science". En exemple: "Zola raconte la famille des Rougon-Macquart et, ce faisant, apprend la génétique de son temps(...) Romancier, il chante le geste d'une tribu et les tribulations de ses membres, mais en suivant à la trace les éléments du génome, prend le geste précis des savants qui le décriront". Ce qui fait que se découvrent "des lacs de prémonition, des poches de sciences infuse dans des moments exquis de littérature".
Comprenons: il ne s'agit pas de dire, comme les marxistes, que l'oeuvre littéraire reflète la science de l'époque. Elle précède celle-ci, la pressent, en la prémonition, possède l' intuition "vague, mais rigoureuse d'un savoir et d'une épistémologie futures".
Verlaine et la science moderne
Le célèbre sonnet de Verlaine, tiré de "Sagesse", qui commence par
"L' espoir luit comme un grain de paille dans l' étable.
Que crains-tu de la guêpe, ivre de son vol fou?"
Donne lieu à des rapprochements séduisants.
Avec beaucoup de virtuosité, Michel Serres s'efforce de prouver que le poète ne dit pas seulement la science de son temps, mais qu'il anticipe aussi celle de l' avenir. La tierce-instruction naît de telles confluences.
Lucrèce et Prigogine
Lucrèce, poète latin (98-55 av. JC) fait figure de précurseur. Echappant à la mécanique des solides, pensant la matière comme un flux chaotique, pressentant le passage de son désordre à des structures ordonnées, il a véritablement annoncé Prigogine
Une philosophie inventive
D'une manière générale, la philosophie se doit d'être une anticipation des pensées ou des pratiques futures. Elle doit inventer et plus précisément: "Elle a pour fonction d' inventer les conditions de l' invention".
Deux voies doivent être suivies pour accéder à cette tierce place.
-Il faut renoncer à une manière critique ou judiciaire de philosopher. Cette méthode consiste à jouer au détective et au censeur en définissant les conditions de possibilité du savoir vrai ou du discours sensé, en combattant ceux qui ne respectent pas ces conditions, en engageant ainsi des guerres, et des controverses perpétuelles. Elle est celle des philosophes du langage (l'école analytique d' Oxford), par ailleurs utiles et respectables (Serres fut le premier à enseigner en France la logique mathématique), des "philosophes du soupçon" qui soumettent les fondements des autres systèmes à une analyse critique, mais prétendent quant à eux y échapper.
-Il faut savoir raisonner scientifiquement avec style.
"J'ai eu l'occasion heureuse d'écouter de très grands professeurs d' algèbre et d' analyse. Leur style m'est resté comme un idéal, où la vérité rigoureuse s'accompagne de la beauté: démonstrations rapides, élégantes, foudroyantes mêmes, moquerie de la médiocrité lente, colère devant la recopie et la répétition, estime unique de l' invention" (Serres, "Eclaircissements").
Le style est, ici, dans la vitesse, cette "élégance de la pensée": "aller en écrivant d'un point du ciel à un autre".
La science n'a pas le monopole de la raison
Il ne faut pas croire ne pouvoir trouver la raison que dans les sciences:
"Je suis rationaliste dans la plupart de mes pensées et mes actions, comme tout le monde! Mais je ne le suis pas, si l'on définit la raison comme un ingrédient qu'on ne trouve que dans les sciences".
Pour une confluence
Située à la confluence de la littérature et des sciences, de la philosophie et des sciences, de la grammaire et du style, la tierce-instruction cherche aussi à faire se rencontrer les sciences sociales ou humaines (sociologie, psychanalyse, ethnologie, etc.) et les sciences dites "dures" (mathématique, physique), ou exactes.
Un livre précédent avait montré la difficulté d'une telle entreprise ("Hermès V: Le passage du Nord-Ouest", 1980). Le passge du Nord-Ouest était une image éloquente des "relations compliquées" entre les deux groupes de sciences et de l'aventure que suppose le voyage des unes aux autres. Les chemins sont rares et parfois barrés pour celui qui navigue dans le passage du Nord-Ouest de l' Océan Atlantique au Pacifique, par les parages froids du Canada septentrional, à travers un dédale très compliqué de golfes et cheneaux, bassins et détroits. Si elle est tracée sur une carte, la voie est ou paraît cependant différente à chaque traversée. "Nous avons à nous instruire, en tierce place, entre ces deux foyers".
Le tiers monde
Mais celui qui s'y aventure rencontre les affamés, les pauvres tiers exclus du tiers monde. S'instruire, dès lors, c'est aussi entendre leur plainte, et tenter d'y répondre. Elle dit le mal immémorial, et ses figures majeures: la violence, la souffrance, la misère (des malheureux du Sud ou du quart monde).
En faire, comme trop souvent les sciences sociales, un simple objet de savoir, ou l'ignorer, comme la science occidentale, en se réclamant de la pureté, de la rigueur, de l'abstraction, ce serait méconnaître "une liaison originaire" de la raison et du pathétique de l'existence: "La science rencontre la culture lorsqu'elle s'incarne et rencontre ou produit douleur, mal et pauvreté". Dès lors, "à égale distance des deux, le tiers-instruit est engendré par la science et la pitié". Il en fut toujours ainsi: "Platon se donnait le droit de parler du soleil, mais son texte dit aussi bien le paysan lydien dans sa grotte sombre". Car le Mal n'a pas d' âge, et les humanités ne cessent de le rappeler, alors que les sciences le méconnaissent:
"Les sciences dures vont leur destin sans homme, et risquent donc l' inhumanité, de même que les sciences humaines vont de leur monde sans chose et risquent donc l' irresponsabilié". ("Eclaircissements").
Au nom de l' efficacité, elles imposent l'oubli du "cri continuel de souffrance", dont, par contre, les humanités sont les dépositaires. Dès lors, pour entendre ce cri, et tenter d'y répondre, il faut autre chose qu'une instruction intellectuelle de l'esprit; une éducation morale de l' âme, ou encore une sagesse.
L' éducation de l' âme
Si la paix est le bien suprême, le mal n'est qu'un autre nom de la violence: "A elle seule, la violence le résume" ("Eclaircissements"). Pour l'endiguer, empêcher son expansion exponentielle, il faut trois vertus: la retenue, la prescription, l' invention de relations. Les deux premières, encore négatives, respectent l'obligation minimale d'éviter de faire du mal à autrui (fût-ce en prétendant organiser son bien, "ce qui revient souvent à lui faire violence". La troisième se tire de l'obligation maximale: aimer non seulement la personne la plus proche "mais tous les ensembles globaux, individus, collectifs et inertes".
Aimer, ou relier, communiquer, échanger.
Retenue
"L'humanité commence avec cette retenue". Et avec sa langue, la litote; et sa science la réserve, s'il est vrai que persévérer sans cesse dans son être ou dans sa puissance "caractérise la physique de l' inerte et de l' instincs des bêtes".
S'il est vrai surtout que l'expansion sans fin d'une science, de la philosophie, d'une politique prépare sa domination totalitaire, par une sorte de folie dangereuse: "folie de la vérité solaire", d'une science qui, ivre d'elle-même, et imbue de son savoir, se prend pour la Vérité totale (scientisme) et "finit par tuer des hommes", par permettre Hiroshima et Nagasaki.
Folie d'une philosophie, qui ne se contentant plus d'engendrer des hommes d' oeuvres, engendre des hommes de pouvoir, persuadés de connaître le sens de l'histoire, et prêts à sacrifier des générations entières à son "progrès" (avatar du marxisme). Folie d'une puissance politique qui fière de ses techniques, de ses modes d'organisation, entend les imposer à tous les peuples, pour ce qu' "elle croit être leur bien" (l' Occident et le tiers monde).
Aujourd'hui, c'est surtout la science qu'il importe de rappeler à la réserve, car elle a jeté une OPA "sur la totalité de la raison, de la culture, et des moeurs", elle a
"tous les pouvoirs, tout le savoir, toute la raison, tous les droits aussi, toute la plausibilité ou la légitimité" ("Eclaircissements").
Michel Serres rappelle souvent son rationalisme et son refus de voir la raison confisquée par la science. Tel est le principe de la tierce-instruction intellectuelle et de l' éducation morale.
Prescription
La violence est d'abord issue de la vengeance, qui prend les apparences de la justice: loi du talion où l'agressé prétend se faire justice lui-même.
La justice essaie de la remplacer, de substituer à une raison apparente des règles juridiques vraiment rationnelles, par ses pensées ou pesées (les deux termes ont la même éthymologie), soucieuses de rétablir un équilibre que le délit, le crime rompirent.
La même exigence de balance compensatrice se retrouve dans les égalités mathématiques, les invariances cosmologiques, les relations physiques réversibles, les justifications philosophiques. Il s'agit, dans tous les domaines, de montrer que tout est en ordre. Et que tout recommence.
Mais, ce faisant, la justice risque d'être "jumelle de la vengeance et imitant ses compensations ou réparations". Voilà pourquoi la prescription (ou l'oubli, le pardon) essaie d'aller au-delà:
"En position tierce entre le droit et le non-droit, la prescription oppose ses laps de temps, annuels ou trentenaires aux règles inviolables et invariables". Par elle, "le temps t'innocente, comme un fleuve baptismal."
Elle permet, seule, le respect du vrai droit naturel, mieux que ce qu'on appelle d'ordinaire ainsi en le fondant sur une nature immuable, et le dépassement du droit positif:
"Pour les droits les plus positifs, nos actes se plongent dans le temps, mais pour la prescription ils se font et se forment de temps, leur vraie matière première".
Et ainsi, ils se conforment à la nature qui "court et coule de biffurcations en biffurcations", "d' oublis en souvenirs et de mémoire en perte sèche", ni "définitivement stable", ni "follement ou irrationnellement instable". L'ouverture du temps permet l' invention incessante de relations et d'échanges dont Hermès est le héros ou le hérault.
L' invention de relations
Le moi se crée et se forme, intellectuellement et moralement, par l'ensemble des relations, ensemble changeant, qu'il entretient avec la Terre globale: "La relation produit la personne", et la personne invente la relation.
Le sujet loin d'être un centre unifié et immobile, est "assujetti aux liens de la communication". Devenir sujet, c'est comme l'éthymologie le suggère, se jeter sous, être subjugué:
"Je définis le moi par les contacts, les voisinages, rencontres et relations: oui dans la communication, je me construis en me jetant aussitôt sous mon vis-à-vis".
Si la relation est chaque matin à réinventer, elle a pour condition l' errance, et donc des risques d'égarement:
"Où vas-tu? Je ne sais pas. D'où viens-tu? J'essaie de ne pas m'en souvenir. Par où passes-tu? Partout et le plus possible, encyclopédiquement".
Philosophe, Michel Serres fait le projet -peut-être irréalisable-, de définir les conditions de possibilité des liens: "Je vise un transcendantal des relations" ("Eclaircissements").
La paix, bien suprême, est à ce prix, "qui suit l' invention et la conditionne": que les êtres multiples pluriels ne restent pas séparés, mais qu'ils ne soient pas unifiés, par une Domination, un Parti, une Cause. "La paix, mais aussi la vie".
Michel Serrez a dit l'influence qu'eurent sur lui Brillouin, Monod, Jacob, Schrödenger: "Comment l' organisme vivant retarde-t-til la décadence? (la décadence, c'est-à dire l'accroissement de l' entropie, de la désorganisation-l' entropie maximale étant la mort).
"La réponse est évidente: en mangeant, buvant, respirant et (dans le cas des plantes) en assimilant. Le terme technique est métabolisme. Le mot venu du grec signifie changer ou échanger (...).
"En d'autres termes, la chose essentielle en métabolisme est que l'organisme réussisse à se débarrasser de toute l' entropie qu'il ne peut s'empêcher de produire tant qu'il vit" (Erwin Schrödinger, "Qu'est-ce que la vie?, 1948).
Les itinéraires d' Hermès ou du tiers-instruit n'ont pas d'autre fin.
Trois axes
"Le Tiers-instruit" se démarque de trois façons des traditionnels de l' éducation.
Le tout est d' inventer
D'abord, par sa façon de définir le but de l' instruction:
"Le but de l' instruction est la fin de l' instruction, c'est-à-dire l' invention". Car "L' invention est le seul acte d' intelligence vrai. Et le seul moyen de s'opposer, dirait Schrödinger, à l' entropie négative, dont la forme extrême est la mort. Celui qui n'invente pas est ailleurs que dans la vie. Mort".
Sont dévaluées du même coup les institutions d' enseignement et de culture:
"J'ai admiré ma vie durant la haine de l' intelligence qui fait le contrat tacite des établissements dits intellectuels".
L' enfant occulté
Cette réflexion sur l' éducation se caractérise aussi par le refus d'étudier l' éducation comme un passage de l' enfance à l'âge adulte. Pas de réflexion sur l'état d' enfance, sur les relations de l' enfant et de l' adulte, sur la signification et le sens du changement.
Certains problèmes soulevés par les "sciences de l' éducation" sont ainsi étrangers au livre. Or, de l'"Emile" de Rousseau à "La crise de la culture" d'Hannah Arendt, ces problèmes ont été au coeur des méditations sur l' apprentissage. Michel Serres traite pourtant aussi, à sa manière, d'une crise de la culture, mais il la situe plus dans les relations entre les disciplines (éclatement du savoir, hégémonie de la science, mépris scientiste pour la littérature, le mythe, les "humanités", difficultés de la philosophie) que dans la perturbation de la communication enfant-adulte.
Le refus d'un temps linéaire
Enfin, par sa critique de la conception du temps linéaire, et du Progrès historique, Michel Serres rejette le présupposé fondamental des traités classiques sur l' enseignement et des modernes sciences de l' éducation: celle-ci est l'opérateur par excellence du progrès, car elle permet un perfectionnement, qui n'est plus seulement, comme chez les penseurs chrétiens, celui de l' âme aidée par la grâce, mais devient celui de l'individu vers les lumières de la raison ou l'accomplissement personnel.
Lessing donne le ton dans "L' éducation du genre humain" (1780) en affirmant sa foi dans l'amélioration morale de l'Humanité. Pestalozzi (1746-1827), promoteur suisse de l' éducation populaire, formule les principes d'un enseignement graduel orienté vers un idéal humanitaire. C'est un disciple de Rousseau. Celui-ci a défini la condition de possibilité de toute éducation: la perfectibilité propre à l'homme. Ensuite, ce postulat de base étant admis par tous, les discussions ne porteront plus que sur les méthodes à employer: traditionnelles ou progressistes.
Les conceptions de Michel Serres sur l' instruction, et l'ensemble de ses travaux sont fondés sur une autre façon de considérer le passage du temps. On suppose en général que le temps, qu'il soit continu ou discontinu, est linéaire. L'idée d'un temps linéaire se retrouve même chez ceux qui parlent de "coupures épistémologiques" (Bachelard, Foucault) ou de crises dialectiques (Hegel, Marx).
Or, une conception physique et une branche des mathématiques modernes conduisent à la remettre en question. D'une part, la théorie du chaos (voir "La nouvelle alliance" explique qu'un désordre donné dans la nature peut être ordonné par des "attracteurs fractals".
Dès lors, le temps semble couler de façon très complexe, "comme s'il" montrait des points d'arrêt, des ruptures, des puits, "des cheminées" d' accélération foudroyante, des déchirures, des lacunes ("Eclaircissements").
D'autre part, la topologie mathématique, ou "analysis situ", est définie comme l'étude des surfaces et des coubes élastiques; deux surfaces ou courbes sont considérées comme équivalentes lorsque l'une peut être amenée en coïncidence avec l'autre par une déformation pais sans déchirure et recouvrement. Alors
"le temps peut se schématiser par une sorte de chiffonnage". Ainsi "si vous prenez un mouchoir et que vous l'étaliez pour le repasser, vous pouvez toujours définir sur lui des distances et des proximités fixes.
Mais prenez ensuite le même mouchoir et chiffonnez-le, en le mettant dans votre poche: deux points très éloignés se trouvent tout à coup voisins, superposés même; et si de plus, vous le déchirez en certains endroits, deux points très rapprochés peuvent s'éloigner beaucoup".
Et l'on appelle topologie "cette science des voisinages et des déchirures", en l'opposant à la géométrie métrique, "science des distances bien définies et stables".
Disons que celle-ci étudie le mouchoir bien repassé et à plat, celle-là le mouchoir plié, chiffonné ou en haillons. Elle induit une théorie générale du temps, telle que "la distance de Madrid à Paris peut soudain s'annuler" et, inversement, "devenir infinie cette autre, de Vincennes à Colombes".
Si l'on conçoit le temps suivant ce modèle, le très ancien peut sembler contemporain de l' actuel, et deux réalités du jour très éloignées l'une de l'autre. Et les rapprochements, croisements, intersections, opérées par Hermès ou le tiers-instruit se trouvent justifiés.
Mais du même coup se trouve répudiée la croyance au Progrès qui était le postulat des sciences de l' éducation. S'y oppose, d'un autre côté, la conception, que Michel Serres dit tenir de ses ancêtres cathares, d'un "Mal" indéracinable, radical, irréductible.
Hiroshima et Auschwitz en furent les plus terribles manifestations, célébrant toutes deux -de façon différente- le mariage de la techno-science et de la pire violence, -autre nom du Mal. Si tout le Mal est radical, il faut tempérer l' optimisme des sciences de l' éducation (l'homme est perfectible) et se préparer à la lutte indéfinie qui cherche à dénouer ce que notre époque a monstrueusement accouplé. La tierce-instruction n'a pas d'autre fin.
Quand j’étais écolière et plus tard lycéenne, il m’a été offert des chants, des poèmes et des fables que je n’ai jamais oubliés.
À l’oral du certificat d’études primaires, nous présentions notre cahier de récitations dans lequel un examinateur pigeait, à son choix, le poème que nous devions dire. Moi, j’avais récité À la forêt de Gastine, de Ronsard.
La récitation d’un texte poétique est un moyen efficace de s’enrichir de mots et de les rendre disponibles. Elle donne parfois le goût de l’écriture ou du dessin. Elle permet d’affiner la sensibilité et de fortifier la mémoire.
De nos jours, on met des livres, abondamment illustrés, à la portée des enfants et on les encourage à lire. Ils trouvent sur les pages qui se suivent des vocables qui ne reviennent pas et sur lesquels ils ne s’attardent guère à retenir le sens précis ou l’orthographe.
À moins que la lecture soit expliquée, et que des mots deviennent familiers, je lui trouve peu d’avantages durables.
Avoir à copier et à apprendre un poème, fixe chaque mot tel qu’il y est écrit et la mémoire en conserve souvent l’orthographe.
À répéter des phrases harmonieuses, on apprend à s’exprimer agréablement et on en acquiert l’habitude.
Le poème, dont chaque mot avait été défini, était souvent donné en dictée, suivie d’une analyse grammaticale.
Les périodes de français firent ma joie pendant toutes ces années d’apprentissage de ma
langue et ce, surtout, grâce au plaisir de la récitation.
Je suis heureuse d’avoir bénéficié d’une pédagogie qui offrait à tous les enfants les
durables bienfaits de la mémorisation en les sensibilisant à la beauté du monde
19 septembre
Inséparablement liés,
En dépit des métamorphoses.
Or quand de vains regrets s’imposent
A-t-on le vouloir d’oublier?
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Elle est sensible, pétillante,
Aimant sa propre compagnie,
Mais la vue de son corps l’ennuie.
Passif, il demeure en attente.
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Il semblait danser en marchant,
Quand il était léger comme elle.
Elle évoque la demoiselle,
Qui rendait joyeux les passants.
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Sans un persistant goût de plaire,
Son âme et son corps, il se peut,
Resteraient complices tous deux,
Aussi assortis que naguère.
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21 septembre 2010
J'ai donné vie à Lune le jour où l'ensemble de mon vécu se mit en guerre contre lui-même. Anciennes blessures et joies comme une entité étrangère bâtissaient un bastion alien; alien ce mot si proche d'aliénation.
J'en suis aujourd'hui à la troisième semaine de ce maelström meurtrier.
Je porte Lune en moi, lourdement, péniblement. J'attends le développement de cet embryon. Elle se nourrit de mon énergie. Affaiblie, tous les piliers que j'avais érigés, que je croyais inébranlables et sur lesquels je me suis toujours appuyée, ont été frappés dans leur fondation et dans leur structure: ils tanguent dangereusement. Tout imprévu engendre un malaise nouveau. Je devais m'attendre à ce que, tôt ou tard, Lune pointe le nez. J'ignore si elle verra le jour. Il faudrait pour cela que le ciel reste à découvert. Les nuits me sont plus propices m'offrant dans le sommeil des moments de trêves réparatrices.
Le choc du conscient et de l'inconscient, je l'avais souvent lu, entendu. Je redoutais de le vivre.
Malheureusement, on ne choisit pas vraiment. Le conscient lutte aussi longtemps qu'il peut, jusqu'au jour où il trouve face à lui l'autre, celui qui durant tant d'années a pu grossir, se faire des muscles d'acier, enseigner à son regard l'acuité, se nourrissant du conscient inattentif. Lune, mon inconsciente, vomit aujourd'hui l'amoncellement de tout ce qui n'a pas été digéré quand il le fallait.
Lune est la nouvelle moi et si j'ai pu l'aimer les premiers jours, aujourd'hui, je commence à lui vouer une profonde haine . Son stade embryonnaire n'est sans doute qu'un passage obligé ouvrant sur la Lune fœtale que je pourrai regarder sous un autre angle, celui d'un futur être vivant ayant sa place ou non dans ma maison.
Trois semaines ...... ce n'est déjà plus la crise, c'est la guerre.
Une seule envie: hurler au secours !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Il faut vivre avec son temps!
Oui, mais lequel?
la phrase clé de notre temps
C'est à coup sûr...
Pas le temps!
Pour réorganiser votre playlist, cliquez sur la chanson et traînez la où vous voulez sur la liste.
lire Fabienne Coppens — Eugénie
Quand les orpins dorés commencent à rosir ,
En offrant leur nectar aux actives abeilles ,
Qu’un vent léger anime les arbres et les tiges,
Que des nuages blancs s’attardent dans le ciel,
Le soleil se fait doux, tendre comme un sourire.
On se sent enchanté mais cependant ému,
Car on perçoit déjà le souffle de l’automne.
................................................................................
Dans les jardins , les fleurs qui vont s’épanouir,
Seront le dernier don d’ un été fructueux.
Bientôt nous reviendra, grandiose, magique,
Le spectacle grisant des arbres somptueux
Car l’automne, au Québec, est une apothéose,
Les flammes des couleurs, transcendent les forêts.
.............................................................................................
16 septembre 2010
L’heure prochaine
Notre lac n’a plus la couleur du ciel en fleurOù nous avons pleuré nos plus terribles peines.
Des rides noires, en nids d’abeille, plissent son cœur
Sous le souffle du vent à la fétide haleine.
J’aime pourtant y musarder, les yeux en poche,
Malgré les berges sauvages qui me retardent.
La vie est au loin, la paix profonde si proche.
Le corbeau immobile à la branche du chêne,
Tour centenaire où un siècle fou se lézarde,
Le corbeau sombre, colore l’heure prochaine.
Quelques vers à songe
Mon âme s’est décapitée aux aiguilles
Devenues couteaux à dépecer mes horloges,
équarrisseuses de souvenirs.
A planter des graines d’amour
dans les déserts cuisants
D’existences perverses,
Mon cœur s’est enlisé
Dans les sables mouvants
De l’absurdité.
A chaque porte ouverte,
Ton visage est absent.
A chaque lune naissante,
La solitude hurle ton nom.
Jamais, il ne lui fait écho.
Je déambule claudicante
Dans les couloirs de Rouge-Mort,
Une fleur sanglante entre les lèvres.
Ma poitrine en recueille
Les gouttes tièdes
Mais mon cœur s’essouffle
Chaque nuit un peu plus.
L’amour manqué n’a plus rendez-vous
Au pays des verts espoirs.
Une heure encore
A déserté le cadran.
S’avance en triomphe
L’intemporelle cadence
Des armées de la Mort.
Le vent se lève à l’ouest
Alors que le soleil déjà se meurt.
C’est la dernière nuit de sève.
L’arbre à rêves, dépouillé
De son ultime ardeur,
Trône sur le reg
Des mémoires calcinées.
Leurs cierges dont la mèche
A tout offert de sa virginale ferveur,
Ne sont plus que des parodies de dentelles
Et la cire écoule sa désespérance
Au pied de mes ex-voto.
Sur les dalles froides et ternes
De la Superbe et de la Convoitise,
S’acharnent
Quelques vers à songe
Autour d’un lambeau pourrissant de féerie.
Les feux follets sont
Les nouveaux réverbères
Au cimetière de mes émerveillements.
Sur fond de papier marouflé sur toile. Travailler encore et encore pour la peinture.
100x100 acry et marouflage de papier brun sur toile
Je suis sans bras, sans voix.
L' image a toujours eu une grande influence sur les hommes, mais ses pouvoirs ont varié suivant les révolutions techniques et les croyances collectives. L'ouvrage trace les grandes lignes de cette histoire qui relève d'une science nouvelle, la "médiologie".
Les trois ères distinguées sont en même temps trois "âges du regard", car l' image tire son sens du regard.
-Le regard jeté sur l' idole antique, puis l' icône chrétienne fut magique, puis religieux. Le visible était la manifestation de l' invisble (la mort, le divin).
-Le regard "esthète" fut humaniste: des collections d' oeuvres se constituèrent en dehors des lieux du culte, puis des musées. Si l' idole reflétait l' infini, l' oeuvre d' art révèle une individualité créatrice.
-Le regard du téléspectateur n'aperçoit ni le visible derrière l' invisible, ni le sujet que sa création objective. Que voit-il alors? Certains répondent "le monde", et jugent et comparent la télé à une fenêtre ouverte. Régis Debray en doute et montre ce que l'image télévisuelle empêche de voir. Il laisse le débat, très vif à ce suje, ouvert.
Un héritier passé à la révolution
Né en 1940, Régis Debray eut le parcours classique d'un "héritier" brillant: Ecole normale supérieure, agrégation de philosophie, études d'histoire, ethnologie, lettres.
Jeune enseignant, il rencontre en 1965 Fidel Castro, le leader cubain. Rencontre décisive, il devint un partisan de la Révolution en Amérique latine, et publia en 1967 "La révolution dans la révolution", puis "Essais sur l' Amérique latine". Parti en mission de journaliste dans les maquis boliviens, il fut arrêté, suspecté d'être un ami d'Ernesto Guevara, dit le Che, figure mythique du régime cubain, et d'être venu avec lui organiser la lutte armée. Il fut condamné à trente ans de prison, passa en fait trois ans dans les geôles boliviennes, car il fut délivré en décembre 1970 à la mort du dictateur Barrientos.
Ses livres de l'époque développaient l'idée suivante: il ne faut pas attendre les "conditions objectives" pour lancer en Amérique du Sud des soulèvements contre les dictatures et l' impérialisme nord-américain. malgré le statu quo imposé par la coexistence pacifique entre les USA et l' URSS, des guérillas, appuyées sur des foyers (focos) locaux de lutte, peuvent d'emblée être entreprises. Il théorisait et fondait les conceptions, dites "foquistes", que le Che avait de son côté mises en pratique jusqu'à sa mort. Les "Conversations" avec Salvador Allende (1971, Maspero) et "La critique des armes" (1974, Seuil), marquèrent un recul critique par rapport à la période révolutionnaire.
Mais les livres suivants, "Le scribe" (1977, Grasset), "Le pouvoir intellectuel en France" (1979, Ramsay), "Critique de la raison politique" (1981), semblèrent témoigner d'une remise en question des positions précédentes, comme, d'ailleurs, ensuite, l'activité de conseiller de François Mitterrand au palais de L' Elysée. Remise en question qui parut d'autant plus mystérieuse qu'elle ne décalquait pas celle de certains acteurs de mai 1968 qui vomissaient Marx ou Mao-Tsé-Toung, après les avoir idolâtrés.
Ne l'oublions pas: en mai 1968 Régis Debray était incarcéré à Camiri. "Le scribe" posait le problème suivant: "Que faut-il que soit la société pour qu'elle ait, hier comme aujourd'hui, organiquement besoin d'un corps indicateur de sens?" (Critique de la raison politique").
"Le pouvoir intellectuel en France" montrait que l'action de l' Université a été relayée par les médias qui régentent l' édition. La question centrale des deux livres était celle de la domination: à quelle condition est-elle possible? La "Critique de la raison politique" fournissait la réponse, ou des éléments de réponse, en dévoilant que "la nature du politique est définitivement de nature religieuse", et ceci en raison du "principe d'incomplétude" qui régit toutes les organisations collectives et qui se prétend la simple extension aux faits humains du théorème mathématique de Gödel:
"Il n'y a pas de système organisé sans clôture, et aucun système ne peut se clore à l'aide des seuls éléments intérieurs au système".
Toute société tire sa cohésion de la croyance en un principe transcendant, que ce soit la Nation, l' Etat, la Cause, l' Humanité, le sens de l' histoire, etc. Sans une telle croyance, on ne comprendrait ni les délires collectifs de ceux qui rêvent ensemble aux lendemains radieux ni la structure des groupes stables.
La présence de certains invariants politiques, comme la hiérarchie, en témoigne: l' éthymologie montre que la hiérarchie suppose le respect de ce qui est sacré ("hieros" signifie en grec "sacré").
Dès lors, il ne sert à rien de tuer Dieu si c'est pour mettre à sa place l'idole de la Révolution, et l'illusion d'une libération totale de toute forme de domination. Si celle-ci ne peut que se répéter, elle se transmet par des médiations différentes qu'explorent le "Cours de médiologie générale" (1991) et "Vie et mort de l' image" (1992).
Vie et mort des images
Le livre est susceptible d'intéresser l'historien, auquel il propose une étude ambitieuse du devenir des images -de l' Idole antique aux modernes médias-, le philosophe, car il ouvre à une réflexion sur l' art et sur la thèse classique, depuis Hegel, d'une "mort de l' art", le sociologue parce qu'il s'interroge sur les effets de la communication télévisuelle. Suivons le fil de cette triple problématique, qui correspond, d'ailleurs, au découpage de l'ouvrage en trois parties (intitulées "Genèse de l' image", "Le mythe de l' art", "L'après-spectacle"), mais qui parcourt l'ensemble du livre.
Histoire de l' image
Pour comprendre le devenir historique de l' image, il faut d'abord en appréhender l'origine, en tracer la périodisation (les trois âges du Regard), enfin en définir la fonction (symbolique), les conditions objectives (techniques), les effets (politiques).
Ces derniers points constituent l'objet propre de la médiologie, science interdisciplinaire qui essaie d'être un trait d'union entre trois disciplines (technologie, sémiologie, histoire des mentalités), et de répondre à trois questions: comment l'image se fabrique-t-elle? Quel sens est transmis? Par quelle autorité?
L'origine
"La naissance de l' image a partie liée à la mort". Par les premières "idoles" et les premières représentations artistiques, les hommes opposèrent à la disparition et à l'absence de ceux qui furent ces doubles qui en perpétuent le souvenir et maintiennent la permanence. L'étymologie même le montre: "idole" vient d'eidôlon, qui signifie, en grec, "fantôme des morts", "spectre", et ensuite seulement "image", "portrait".
On comprend ainsi que le premier objet d' art ait été la momie d' Egypte, et que les sépultures furent les plus lointains ancêtres des musées. "Nous opposons à la décomposition par la mort la recomposition par l' image".
A ce titre, l' Image eut d'abord une fonction magique. "Magie et image ont mêmes lettres, et c'est justice". C'est qu'il n'y a "qu'un dogme en magie: le visible est la manifestation de l' invisible".
Et une pratique fondamentale: transformer le réel en simulant le changement. Un tel recours au "faire semblant" magique caractérise les époques où les hommes se sentent écrasés par les forces extérieures.
Le passage de l' idole à l' art, puis de l' art à la vision électronique est proportionnel à une maîtrise de plus en plus grande de la Nature. Et, si les arts modernes recherchent une "magie à retardement", parfois en vain, ou un substitut de la magie, bien des conduites collectives de destruction des statues ou des portraits de chefs désormais abhorrés relèvent d'une "mentalité magique" et montrent que nous n'avons jamais fini de tuer en nous le vieil homme: "Les huguenots contemporains de Montaigne, lettrés et humanistes par ailleurs, au coeur de la grande vague iconoclaste de 1561, s'acharnent sur l' image du roi", lui coupent les bras, les jambes, la tête.
A l'inverse, d'autres images sont l'objet d'une dévotion superstitieuse: le chevalier de la Barre ne fut-il pas, en plein siècle des Lumières, torturé et décapité, pour avoir donné un coup de canif à un crucifix et de ne pas s'être découvert devant le Saint-Sacrement? Il y a des exemples plus récents.
Mais, "si la mort est au commencement", l' image n'aura jamais de fin, car nous ne vaincrons jamais notre finitude, notre condition d'êtres périssables. Et les plus antiques images auront encore sens pour nous, seront valables de tout temps, hors du temps.
Si le besoin d'image demeure, intemporel, les images changent dans un devenir historique qui peut se découper en trois périodes.
Les trois âges du Regard
Pourquoi cette place accordée au regard? Il faut bien comprendre, d'abord que "regarder n'est pas recevoir, mais ordonner le visible, organiser l' expérience" et que l' image a changé comme a changé le regard jeté sur elle:
"L' image tire son sens du regard, comme l'écrit de la lecture, et ce sens n'est pas spéculatif mais pratique".
Nous ne jetons pas le même oeil sur l'album de famille, ou les photos sur la cheminée, les portraits dans les musées, les statues d'hommes célèbres, un retable dans une église, une affiche de cinéma.
Remarquons que Régis Debray montre tour à tour la place de l'accueil subjectif (regard) et des conditions objectives (techniques, structures sociales, paniques collectives), enfin des significations religieuses: l'ensemble lui permet d'une part de dépasser une position "idéaliste", selon laquelle le sujet pensant construit l'objet pensé, et une position réaliste, inverse, d'autre part de prétendre à un "matérialisme religieux".
Ainsi:
"l'évolution conjointe des techniques et des croyances va nous conduire à repérer trois moments dans l'histoire du visible: le regard magique, le regard esthétique, et enfin le regard économique: le premier a suscité l' idole; le second l' art, le troisième le visuel".
Nous ne pouvons qu'expliciter certaines significations essentielles du découpage en trois ères qui, d'ailleurs, souvent se chevauchent ("La télévision ne nous empêche pas d'aller au Louvre"). D'abord, les images changent avec les techniques de transmission: l'ère des idoles va de l'invention de l' écriture à celle de l' imprimerie (logosphère), l'ère de l' art de l' imprimerie et la télé couleurs (graphosphère); l'ère du visuel de la télévision couleurs à l'ensemble des techniques vidéo.
Ensuite, chaque ère est contemporaine d'une "révolution du regard": le regard jeté sur l' idole, puis l' icône chrétienne, est magique puis religieux: présence de l' Infini dans la figure finie. Le regard "esthète" est humaniste: si la Renaissance de l' art au XVe siècle fut contemporaine de l'importance accordée à la perspective, et donc au sujet humain; le champ artistique prit alors son indépendance par rapport à la théologie; des collections d'oeuvres, puis des musées, se constituèrent en dehors des lieux du culte; tandis que l' idole reflétait l' Infini, l'oeuvre d' art révèle une individualité créatrice et "s'adresse à un connaisseur". Et le (télé) visuel? Quel regard suppose-t-il? Un regard qui n'aperçoit pas l' invisible derrière le visible, ou le sujet que sa création objective. Mais que voit-il alors? Certains répondent "le monde" et disent que la télévision est une "fenêtre ouverte sur le monde".
Une vision sans regard
Mais Régis Debray en doute, et parle même d'une vision "sans regard". Précisons:
a. "La nouvelle divinité, c'est l' actualité", la télévision nous ouvre un présent toujours changeant.
b. Le réel extérieur se réduit à la représentation sur l'écran, il n'existe que s'il est mis en image. Plus de "référant", d'objet de l' image. Celle-ci ne dit qu'elle-même ou ne parle que des autres médias (émissions précédentes, magazines attendus, journaux, radio). A la limite, c'est plus une non-image qu'une image. Ce caractère tautologique de la communication télévisuelle a déjà été souligné par Baudrillard ("Simulacres et simulation", Galilée, 1981), ou Sfez ("Critique de la communication", Seuil, coll. Points, 1988); il indique plutôt un avenir qui nous attend, la limite extrême d'une tendance, la tendance à oublier les choses au profit de leur reflet lumineux, sur le petit écran. Il n'y a plus vraiment de regard si le regard est ce qui, du sujet, donne sens à l'objet, alors qu'il est fabriqué par l'image télévisuelle: comme elle, il ignore les énoncés négatifs, puisque "la figuration est par définition pleine et positive". Une possibilité (utopie, rêve, projet) ne saurait être montrée. Comment ce regard ne serait-il pas celui d'un individu "positif", c'est-à-dire qui ne sait plus qu'accepter ce qui est, et "ignore les valeurs d' opposition et le dépassement"? "Dis-moi ce que tu vois, je te dirai pourquoi tu vis et comment tu penses". Dis-moi aussi ce que tu vois, ou vois moins: les possibilités, les entités générales (le Droit, l'Homme, la Nature, etc.), les disjonctions (ou...ou), les conjonctions (si...alors), les liaisons temporelles ou logiques sont peu télégéniques. En résulteront "des esprits alogiques et sans liaisons, à courte vue, à l'image de nos programmes en mosaïque".
Enfin, l' Image, dans chacun de ses régimes successifs, est réponse à la peur, de la mort, cette "mère de l'humanité". L' idole païenne puis l' icône chrétienne reflètent l' Eternel, l' art (cet anti-destin, disait Malraux) cherche l' Immortalité de l'oeuvre, le téléspectateur s'étourdit dans l'actualité (la télévision, comme on dit, il faut que ça bouge"). N'est-ce pas une des stratégies par lesquelles l'homme contemporain occulte la mort.
Si l' Art n'est qu'un des moments de cette histoire de l' image, n'est-il pas légitime d'annoncer sa mort?
Mort de l' Art?
Le philosophe Hegel (1770-1831) avait inséré dans la préface de son "Esthétique" le faire-part suivant: "Il a perdu pour nous sa vérité et sa vie. Il nous invite à une réflexion philosophique qui ne prétende point lui assurer de renouveau, mais reconnaître en toute rigueur sa mort". Finalement, comme le dit bien Régis Debray, pour Hegel, "L' artiste, comme le héros, ne sait pas ce qu'il fait. S'il le savait, il serait philosophe". Dédain qui semble une constante ou un invariant dans l'histoire de la philosophie: Platon ne faisait-il pas dire à Socrate que
"Les poètes aussi ne sont point guidés dans leurs créations par la science, mais par une sorte d' instinct et par une inspiration divine, de même que les devins et les prophètes, qui, eux aussi, disent beaucoup de belles choses mais sans se rendre compte de ce qu'ils disent" "Apologie de Socrate, 22b).
Et il n'hésitait pas, dans la "République", à exclure les poètes et les peintres d'une cité idéale dirigée par les philosophes-rois. "Folie de la vérité solaire" à laquelle de nos jours s'en prend Michel Serres ("Le tiers-instruit").
Est-elle partagée par Régis Debray, lorsqu'il fait de l' art une période intermédiaire entre celle de l' icône et celle du visuel? Non, sa position est plus subtile:
"L' art est immortel (pour un individu); l' art est mort (dans l'histoire occidental des formes); la mort de l' art n'est point celle de l' image qui adviendra tant qu'il y a des hommes qui savent qu'ils doivent mourir".
Pour comprendre cette complexité, il est nécessaire de renoncer à une histoire de l' art qui verrait celui-ci progresser et parfois décliner, suivant un temps linéaire. En effet,
"Le spectacle des images nous plonge dans trois durées à la fois hétérogènes et simultanées: le temps hors temps de l' émotion; le temps moyen du cycle d'images dans lequel prend place telle ou telle; le temps linéaire et long de l'histoire du sapiens, le seul animal à faire trace. Le plan "individu"; la séquence "histoire"; le film "espèce".
L' art dans ou hors de l' histoire
Deux positions sont ici à dépasser, celle d'un art hors de l' histoire et celle d'une histoire de l' art progressant selon l'axe unifié de la ligne du temps.
L'intemporalité fut proclamée par ceux qui se refusaient à faire de l'histoire le tribunal de l' art, qui disent, comme Bonnard: "L' art, c'est le temps arrêté". Si un indivudu appartient nécessairement à son époque, l'art permettrait justement de lui échapper. Mais si "l'impression du connaisseur tend à l' éternel", "le milieu de création est historique". Ce qui fait que nous pouvons être boulversés par un temple grec ou une cathédrale gothique, mais que les meilleurs architectes contemporains ne cherchent pas à les imiter.
L'erreur inverse est celle des historiens qui affirment le Progrès de l' art, ou croient déceler son déclin, en s'appuyant sur le même présupposé d'un temps linéaire. Vasari, au XVIe siècle, chantait la revitalisation toscane de la peinture (Giotto, Michel-Ange) qui aurait succédé aux obscurités du moyen âge.
Wincklemann (1717-1768) croyait à la possibilité d'une renaissance par un retour à la simplicité de l' art grec. La même illusion les habitait: celle d'un évolutionnisme historique, d'une conception téléologique du devenir orienté ou réorientable vers une fin idéale.
Illusion qui se retrouve dans la croyance moderne aux avant-gardes chargées, telles des troupes d' élites, de guider le mouvement et de le dynamiser par les ruptures avec les divers académismes.
Tous ceux qui partagent ces illusions oublient qu'il y eut une ère de l' art, après celle de l' idole païenne puis l' icône chrétienne, avant celle du "visuel": "L' esthétisation des images commence au XVe siècle et finit au XIXe siècle". Son caractère spécifique? La "montée en puissance de l' artiste comme individu" (on parle du "divin Michel-Ange", et Charles-Quint annoblit le Titien).
Ses conditions de diffusion? La collection particulière, puis le Musée public (le British Museum ouvre en 1753, le Louvre en 1793).
Ses conditions politiques? Elles ont varié, et il faudrait distinguer plusieurs époques dans l'ère:
"La peinture sacrée a décliné avec la naissance de l' Eglise; la grande peinture d'histoire et mythologique, avec celle de la monarchie absolue; le portrait et les scènes de genre avec la bourgeoisie rentière".
Ses conditions subjectives? Education morale de l'oeil, une "conversion du regard à la terre" qui se manifeste par l'importance accordée au paysage.
La peinture de paysages, apparue chez les Flamands, s'est épanouie en Hollande. Mais aussi l'importance accordée au visage du peintre dont la subjectivité est essentielle: naissance et prolifération de l' autoportrait.
"Car on n'aime pas ce qu'on voit, on voit ce qu'on aime. Et quand une société aime un peu moins Dieu, elle regarde un peu plus choses et gens".
L'ère de l' idole est bien close. Pourtant, les débats actuels au sujet de la télévision ne sont pas sans rappeler ceux du deuxième concile de Nicée en 787: les ennemis des images (iconomaques ou iconoclastes) affrontaient leurs partisans (iconodules ou iconphiles). La télévision semble resusciter ces anciennes controverses, ce qui laisserait penser que, sur le fond, la question de l' image n'a pas beaucoup avancé depuis le VIIIe siècle.
La télévision en question
Quatre antinomies (contradictions de thèses adverses) sont au coeur du débat de ce que Debray appelle, de façon kantienne, "la dialectique de la télévision pure".
La télévision est-elle l'organe de la démocratie?
-Thèse:
La télévision sert la démocratie. Tout le monde y a accès. Elle intègre les malades, les isolés dans leur village, les vieux qui ne peuvent sortir. En faisant de la politique un spectacle, elle la rend plus attrayante. Elle informe celui qui lit peu. Elle dépassionne les débats, remplace la diatribe par le dialogue. Elle "fait triompher la transparence sur le secret".
-Antithèse:
La télévision pervertit la démocratie. Elle fait de la politique un spectacle. L'homme public a son conseiller image. Il est mis en valeur comme une marque de lessive, ou un habit.
Impossible de distinguer variétés et affaires publiques, comédiens, chanteurs, gouvernants (Montand, Reagan). Le "journal unique" est arrivé: le journal télévisé. Le pluralisme est en danger.
La "petite phrase" passe mieux que l'argumentation articulée. Le "pouvoir médiatique" n'a pas de contre-pouvoir. Le leader vaut plus par son charisme que par son discours (on recommande les phrases de moins de huit mots). Chacun chez soi, devant son poste: le "village planétaire" (McLuhan) est fait de maisons isolées. Le citoyen actif devient un consommateur passif d'images.
La télévision est-elle une ouverture au monde?
-Thèse:
La télévision ouvre au monde. C'est la fin des frontières, l'avènement du citoyen universel. L' imprimerie, à l'inverse, avait contribué à désagréger les empires, et renforcé les nationalismes. La télévision sert la prise de conscience planétaire, et, donc, les causes humanitaires, et la morale écologique.
-Antithèse:
La télévision escamote le monde. Les images des pays lointains n'apparaissent qu'en cas de catastrophe ou de guerres. Ces images proviennent de deux ou trois sources standard (comme Visniews, Associated Press). Celle-ci appartiennent à de très riches groupes financiers, plus riches que les détenteurs des journaux nationaux.
D'ailleurs, le peuple américain est le plus télévisuel et le moins bien informé sur le monde extérieur. La télévision américaine exerce une hégémonie mondiale. Le rapport Nord-Sud devient un rapport entre regardants et regardés. Les pays surdéveloppés ont le monopole des représentations culturelles.
"Un pays pauvre peut avoir de bons poètes, de bons romanciers et même un bon journal; il ne peut avoir une bonne télévision".
Ce qui, évidemment, ne facilite pas le dialogue des cultures. Certains impératifs politiques ou économiques dictent le tri des images montrables: "Une bombe irakienne sur un village kurde aura plus de chance de passer à l'antenne qu'une bombe turque".
La télévision est-elle une extraordinaire mémoire?
-Thèse:
La télévision est une formidable mémoire. Photo, cinéma, radio, magnétoscope, télévision pérennisent le passé, afranchissent de l' irréversibilité du temps, éternisent l' éphémère.
-Antithèse:
La télévision fétichise l' instant. On garde chez soi un journal, pas un journal télévisé. le journal écrit peu peut se relire, et donc susciter la réflexion. ce n'est pas vrai du journal télévisé: le scoop, le direct provoquent l'émotion. Il communique plus, informe moins. Les images de la guerre du Golfe faisaient vibrer, mais n'apprenaient pas grand-chose. La peur de l' ennui, lié à la répétition conduit à chercher le nouveau, le sensationnel, dont on s'abstient de montrer les causes et les relations avec des ensembles vastes ou des structures sociales complexes.
La télévision est-elle un opérateur de vérité?
-Thèse:
La télévision est un opérateur de vérité. Argument sans réplique: je l'ai vu à la télévision. Preuve par l' image. Un bon exemple: l'affaire Rodney King (1992). Un cinéaste amateur avait filmé à Los Angeles quatre policiers blancs rouant de coups un automobiliste noir, et son film leva tout doute judiciaire.
De surcroît, la télévision permet de voir les réalités en direct et les individus en gros plan. Ce qui n'est pas sans donner un fort sentiment de réalité. L'événement en direct est vécu en temps véritable. On a l'impression d'avoir ouvert sa fenêtre ("les étranges lucarnes") et d'assister à ce qui se passe, comme si on y était. Se confondent voir et savoir. Le gros plan sur les visages accentue cet effet: "On ne peut pas mentir à la télévision". Le moindre détail-un sourire furtif, une main qui se crispe, un oeil qui noircit-, trahit la personne. Il est plus facile de duper l'Ouïe que la vue.
-Antithèse:
La télévision est une fabrique de leurres. "L'effet de réalité oublie toutes les médiations (idéologiques, politiques, techniques, économiques) qui s'interposent entre la caméra et le monde. Le direct fait voir, suscite l'émotion, mais manque du recul et du temps nécessaires à la compréhension.
L'importance du gros plan amène les personnalités du spectacle artistique ou politique à ne plus valoir que par leur appartenance extérieure (le look); on leur apprend à "paraître être eux-mêmes", à sembler simples et naturels. Et le brio d'une répartie compte plus que la cohérence d'une argumentation.
Il y a plus: "l'effet de réalité finit par déréaliser l' actualité". En estompant son âpreté. En banalisant l'extraordinaire et en sublimant le banal. En faisant du monde une image. En "euphémisant catastrophes et réalités". En mettant les événements importants et les événements secondaires sur le même plan, puisqu'ils sont tous spectaculaires.
Autres points de vue
Il serait intéressant, pour conclure, de confronter la position interrogative de Régis Debray, qui ouvre au dialogue, d'une part à l'optimisme (tempéré) de McLuhan, d'autre part, aux dénonciations critiques de ceux qui rejettent la "société du spectacle", dont la télévision est un des vecteurs.
McLuhan
Les thèses de McLuhan (1911-1980), philosophe et sociologue de Toronto, ont largement contribué à lancer les débats sur l' audiovisuel ("La galaxie Gutenberg", trad. franç. 1967); "Pour comprendre les médias", trad. 1968).
Les circuits de diffusion et les moyens de communication d'une société définissent cette société, la façonnent, la modèlent. Ainsi, les collectivités humaines sont-elles passées par trois grandes phases: des communautés de parole, des communautés de l' écrit, puis de l' imprimé (la galaxie Gutenberg), des communautés des médias audiovisuels, dont le plus important est la télévision (la galaxie Marconi).
Pour comprendre la signification de cette histoire, il importe de bien distinguer les médias chauds et les médias froids. Un "médium chaud" délivre des messages qui ne demandent pas d'effort au destinataire: l'information transmise est prédigérée. Le "médium froid" délivre des messages qui requièrent un travail personnel. Si le principe de classification est intéressant, les exemples qui furent discutés, posent problème.
La télévision et le téléphone, comme parole, seraient froids. L' imprimé, l' écriture, la radio seraient chauds. la communication orale des premières sociétés (logosphère) favorisait l'existence tribale.
Dans la seconde phase de l'histoire (graphosphère), le primat de l'écriture puis de l'imprimé a encouragé la détribalisation, la fragmentation, la division.
La troisième phase est, par certains côtés, un retour à la première: toute société était alors une tribu, nous devenons par la télévision une tribu mondiale, un "village planétaire". Chaque membre de l'humanité se sent lié à tous les autres, à la vie de la totalité. La télévision a un rôle décisif: elle fait participer chaque spectateur, à ce qui se passe dans le monde entier. Elle "retribalise" (vidéosphère).
Faut-il s'en plaindre? Non, car la télévision est un médium froid dont l'image, composée de trois millions de points par seconde, laisse le téléspectateur sélectionner une centaine de ces points, "un déséquilibre entre la culture qui continue de survivre à une nouvelle culture". La crise culturelle actuelle vient de ce que nous vivons une telle période. Par exemple, nous donnons des cours traditionnels à des élèves-téléspectateurs. Adaptons notre enseignement à leur mentalité.
De manière plus générale, essayons de mettre nos sociétés à l'âge des mass médias. Sinon nous serons déphasés, en particulier par rapport à nos enfants. La crise actuelle sera dépassée quand nous saurons tirer parti de toutes les possibilités offertes par la télévision.
Remise en cause de McLuhan
-Les positions de McLuhan ont animé bien des discussions: "il est curieux de lire, sous la plume de McLuhan que la télévision a pour effet de susciter une "participation en profondeur", une implication intense de soi, alors qu'elle travaille, tout au contraire, à rendre les masses indifférentes, à dévitaliser toute la scène politique, à démobiliser les individus de la sphère publique" (Lipovetsky, "L'empire de l' éphémère, 1987).Et plutôt qu'une adaptation à la "galaxie Marconi", Lipovetsky prône une acceptation de "la galaxie des valeurs démocratiques" (autonomie, hédonisme, individualisme).
Mais l' individualisme démocratique traditionnel ou l' indivudualisme hédoniste moderne trouvent-ils leur accomplissement dans cette vidéosphère dont les images "sidèrent" (Baudrillard" et invitent à des attitudes de consommateur passif.
La société du spectacle
Ne font-elles pas partie intégrante et n'ont-elles pas un rôle important dans la constitution de ce que Guy Debord a appelé la "société du spectacle" (G. Debord, "La société du spectacle", Buchet-Chastel, 1967; "Commentaires sur la société du spectacle", 1988)? Le pouvoir des médias et l'importance du look sont des aspects de la "société spectaculaire". Il faut distinguer le "spectaculaire diffus" des marchandises exhibées, des images publicitaires ou télévisuelles, et le "spectaculaire concentré" des grandes cérémonies fascistes ou communistes.
Mais la société d'aujourd'hui est celle du "spectaculaire intégré": une administration puissante gère la diffusion de tous les produits de la société marchande. le règne des images est en fait la domination des propriétaires de systèmes spectaculaires.
Conséquences: confusion du réel et de l' image, caractère discontinu et instantané des informations, mise sur le même plan de l'essentiel et de l'accessoire, exposés de problèmes préfabriqués et simplistes. La société de l' image est un totalitarisme doux que masque la démocratie, à l' Ouest, et même désormais à l' Est: car la démocratie c'est "la liberté dictatoriale du Marché tempérée par la reconnaissance des droits de l'homme spectateur".
Entre l'optimisme mesuré de McLuhan et le pessimisme de Guy Debord, le livre de Régis Debray laisse sa place et ses chances à l'interrogation critique. Ce n'est pas son moindre mérite.