Je la croyais mon amie. Je la trouvais plutôt jolie. Notre rencontre s’est faite fortuitement, un heureux hasard lors de la visite d’un musée. Ensuite beaucoup d’intérêts en commun, notre amitié commence pour ne plus finir, du moins je le pensais.
Au fil de nos rencontres, les confidences se font, les secrets s’ébauchent et s’esquissent. Sure d’elle, elle se montre généreuse, voir bienveillante avec moi et notre entourage. Je suis sous le charme. Ses grands yeux bleus me charment, détonnent. Ses jugements sont parfois révélateurs, voir accusateurs, détracteurs, ce que je mets sur le compte de l’artiste qui vit en elle.
Notre amitié s’éveille et se poursuit tranquille jusqu’au jour où nous avons un désaccord. Nos points de vue se séparent, s’affrontent, s’opposent. Ses propos me choquent et restent incompréhensifs. La discorde vient d’une affaire, d’un différend sur un homme que nous connaissons tous les deux. Mon avis est diamétralement opposé au sien et ses paroles me heurtent fortement sans encore savoir pourquoi. Je ne comprends pas.
Depuis notre rencontre, nous avons partagé de bons moments, quelques confidences de famille. Elle dit avoir une vie agréable, une mère et un père aimant, un mari attentionné et des grands parents toujours présents pour elle. J’en arrive même à l’envier de toute cette existence si parfaite. Quelque part, cela me dérange et je ne suis pas convaincu de la véracité de tous ces dires et sentiments ainsi dispensés. Je doute.
Dés de cet instant, instinctivement, je suis sur mes gardes. Je crains en sa bonne foi et en ses bons sentiments. Un repli s’opère et je suis persuadé qu’elle ne me raconte pas la vérité. J’en arrive à présager des paroles d’amitié qu’elle prononce.
Un second incident me déstabilise et vient se greffer sur ce que je méditais déjà. Ses propos sont édifiants, délirants et me laissent complétement figé dans mes pensées. Ce mari si parfait dont elle parle d’habitude est littéralement pris d’assaut par des paroles honteuses. Elle me fait peur et me laisse penser que sous cette assurance verbale, elle vit une contrainte mal saine. Une femme maltraitée à qui je pense d’abord mais une fois encore, ma raison ne me suit pas complétement sur cette voie et me laisse douter de mes réflexions.
Un troisième affrontement me scandalise et me choque, je reste sans voix. Cette fois, c’est à moi qu’elle s’en prend avec des paroles offensantes. Une dérive totale de sa vérité et encore et toujours, une réalité détournée, embellie comme pour me forcer à y croire. A cette époque, nos relations se font plus rares, s’espacent. Cette femme parfaite m'indispose.
Le hasard n’est jamais anodin dans les rencontres qu’il suscite. Un soir que le train ne m’avait pas attendu, je fais la connaissance d’une personne qui ne m’est pas inconnue. Un ami à elle qui se souvient de moi en sa compagnie et qui, apparemment veut en savoir un peu plus sur son devenir.
La conversation s’installe, moi sur la réserve et lui, dans un flot de paroles qu’il libère inconsciemment. Son récit sur cette femme me sidère. De cette assurance que je prenais pour une sorte d’arrogance n’est en fait qu’une manière de se protéger. Maltraitée dans son enfance par ses parents, elle continue à l’être dans sa vie de femme. Ses réactions envers ses parents sont irrationnelles et une fois encore faussées par une réalité différente.
Mais mes idées, mes réflexions ne me satisfont pas encore. Avec ces informations, il me reste un gros doute sur les sentiments de cette femme que j’évite le plus possible. Une émotion cachée me fait peur, comme si je percevais qu’elle dégage une aura maléfique qu’elle propage autour d’elle.
Je suis constamment investi de cette envie de savoir et de ce besoin d’explications que j’exige pour comprendre. Cette crainte de la confronter a disparu subitement. Elle me paraît beaucoup moins effrayante, et pourtant je suis bien loin de la réalité.
Cet ami en commun n’a pas fini de m’étonner et je le revois sur ce quai de gare. Sa conversation prend de nouveau la direction de cette femme et je comprends qu’il en a souffert terriblement. Il ne parvient pas à s’en détacher, à oublier et ressasse cette vieille histoire qui ne m’éclaire pas et m’embrouille plutôt.
J’apprends qu’elle a été très proche de lui. Qu’elle l’a fait souffrir, entrevoir l’avenir, douter pour finir par l’ignorer. Elle lui a fait beaucoup de mal. Cette discussion débouche sur des histoires que je ne veux pas entendre et sur un passage avec ses parents qui m’interpellent. Loin d’être la fille docile et gentille qu’elle prétend être. Elle les terrorise depuis des années et a réussi à les mettre dans une maison de retraite où ils sont complétement isolés et abandonnés.
Je n’arrive pas à croire cette histoire que je repasse en boucles. Je dois me rendre à l’évidence, cette femme est un être à part qui travestit la vérité pour mieux tromper son entourage. Perfide, menteuse, misérable, elle se déguise pour mieux survivre.
Dieu rit.