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Friedrich du néant par Eric Migom
C’est en 1883 que parut « Ainsi parlait Zarathoustra » de Friedrich Nietzsche. C’est l’oeuvre philosophique et poétique capitale de Nietzsche, celle où les grandes idées du "Surhomme" et de "L'éternel retour" atteignent leur forme la plus achevée, leur signification la plus joyeusement positive.
Après dix années de préparation dans la solitude des Alpes, Zarathoustra éprouve le désir de faire don aux hommes du miel de sa sagesse et descend à la ville: mais le peuple n'écoute pas sa voix inspirée, car il ne pense qu'à applaudir les acrobaties d'un danseur de corde et rit des paroles qu'il ne comprend pas. Zarathoustra devra donc se chercher des disciples auxquels il pourra adresser ses "Discours", défis belliqueux aux anciens idéaux, conçus en un style biblique.
Le premier de ces discours est une parabole intitulée "Les trois métamorphoses": on y apprend quelle doit être l'évolution de l'esprit humain, depuis l' obéissance, symbolisée par le chameau, jusqu'à la négation violente personnifiée par le lion et enfin à la pure affirmation dont l'enfant est l'image. Les discours suivants abordent les sujets les plus divers: ils s'élèvent contre la pusillanimité des médiocres qui se réfugient dans la tranquille somnolence de la morale; contre la métaphysique qui discrédite le monde en prêchant l' abstraction; contre l'aridité livresque d'une culture trop formée sur elle-même; contre l' ascétisme qui fait penser à la mort; contre le culte de l' Etat qui étouffe les hommes en faisant d'eux les esclaves d'un organisme impersonnel; enfin contre la vulgarisation de la pensée. D'autres discours contiennent par contre d'exaltantes affirmations: l'un glorifie la guerre comme stimulant des énergies humaines; un autre reconnaît, dans le dédoublement de soi, fruit de la solitude et de la méditation, la forme la plus belle d' amitié; un autre encore oppose aux valeurs abstraites la valeur de la vie, qui porte en elle-même son but; un dernier enfin enseigne la débordante générosité de la vertu saine qui aime à se donner.
Zarathoustra se retire à nouveau dans la solitude de la montagne; après "des mois et des années", il revient à sa prédication contre les "idéalistes": la Vie doit triompher et l'homme se libérer, par la victoire sur lui-même, du pernicieux instinct d' obéissance, pour se hausser à l'affirmation joyeuse de sa propre volonté. De nouvelles polémiques sont alors engagées contre les faibles prosternés dans la crainte de Dieu, contre les altruistes, les prêtres et les vertueux, contre ceux qui prêchent l' égalité, contre les savants, les poètes qui enseignent des chimères, contre les politiciens.
En opposition avec ces polémiques, Nietzsche nous donne en intermède les trois magnifiques chants de Zarathoustra: le "Chant nocturne" où est exaltée la plénitude du bonheur qui aspire à donner sans cesse; la "Ballade" qui fête la vie dans sa spontanéité; le "Chant funèbre" qui est un hymne magnifiant la volonté de puissance. Enfin Zarathoustra, après avoir célébré la sagesse humaine comme divine imprévoyance et confiance dans la vie, délaisse une fois encore ses amis.
Ayant compris la doctrine de l' "Eternel retour", forme la plus haute de l'affirmation, il se présente pour la troisième fois aux hommes et glorifie maintenant l' inconscience du bonheur: il chante les puissances naturelles dont le déchaînement est une forme violente et merveilleuse de consentement, célèbre la victoire sur la mélancolie et invite les humains à se dépouiller de leur gravité: car pour la sagesse de Zarathoustra, il faut avoir "le pied léger". Il dicte enfin ses "nouvelles tables" des valeurs qui, en honneur de l' amoralité constructive de la vie, boulversent les antiques concepts fondés sur le principe du bien et du mal. Mais déjà Zarathoustra est retourné à sa solitude: après un pénible égarement dans le doute, il chante la plénitude de son âme et de la vie, invoquant l' éternité au nom de la joie.
C'est enfin la dernière partie du livre, une sorte de "tentation de Zarathoustra". Dans la solitude, il est surpris par l'appel d'un cri d'angoisse: s'étant mis en quête, il rencontre successivement sept créatures qui figurent symboliquement la survivance des antiques valeurs ou le travestissement des valeurs nouvelles: un devin qui incarne le dégoût de la vie; deux rois, écoeurés de la fausseté du pouvoir; un "scrupuleux d'esprit" empoisonné par son propre positivisme; un magicien, esclave de sa propre fantaisie inépuisable; le dernier pape, errant sans but depuis que "Dieu est mort"; l'homme le plus laid du monde qui par rancoeur a tué Dieu; le mendiant volontaire en quête de la félicité sur terre. Ces hommes supérieurs se sont réfugiés auprès de Zarathoustra. C'est ainsi que commence le banquet en l'honneur du "Surhomme" qui, surgissant de la masse, lui imprime une nouvelle vigueur. Mais aussitôt que Zarathoustra s'est éloigné, ses hôtes se sentent saisis d'une espèce d'angoisse équivoque: eux qui ne peuvent vivre sans Dieu, s'inclinent pour adorer un âne. Mais Zarathoustra revient à l'improviste, balaie cet opprobe, puis entonne le "Chant de l' Ivresse", ultime affirmation de la foi dans l'Eternel Retour; il termine par le "Rondo de Zarathoustra", intense et brève poésie dans laquelle est invoquée, comme dans le chant de minuit, la profonde, profonde Eternité". Ainsi prend fin, dans le matin radieux, l'histoire de Zarathoustra et ce sera bientôt l'avènement de vrais disciples.
Nietzsche a appliqué dans sa fable la loi du "talion", en voulant que ce soit ce même Zarathoustra, "qui créa l'illusion d'une organisation morale du cosmos", qui enseigne aux hommes à se libérer du moralisme. Quant au mythe du "Surhomme" il jaillit des plus pures profondeurs de la pensée nietzschéenne; cependant ce nom que l'auteur dit avoir "récolté dans la rue", lui vint de Goethe (voir "Faust", I, 1 et "Dédicace" des "Poésies").
La valeur artistique de Zarathoustra n'est pas toujours égale: un symbolisme lourd n'en est pas absent; des jeux de mots allant jusqu'au calembour douteux, une éloquence trop chargée, d'autant plus emphatique qu'elle est moins persuasive, se rencontrent souvent dans l'ouvrage. Tel quel, c'est néanmoins un chef-d'oeuvre poétique et, malgré la multiplicité des sources (qui vont de la Bible aux poésies de Goethe, de la prose de Luther aux aphorismes des moralistes français), il conserve une originalité totale. Nietzsche put à bon droit se vanter, comme il le fit auprès de son ami Rohde, d'avoir, avec "Ainsi parlait Zarathoustra", porté la langue allemande à sa perfection.
Cette oeuvre de Nietzsche inspira directement Richard Strauss (1864-1949) qui, en 1896, donna un poème symphonique intitulé: "Ainsi parlait Zarathoustra" (op. 30) qui est des plus brillants.
« Chapelet » (1914), second recueil de la poétesse russe Anna Akhmatova représente avec "Soir" (1912) l'essentiel de l'oeuvre de jeunesse d'Akhmatova et de sa contribution à l' "akméïsme".
Akhmatova, qui commença à écrire à onze ans, rejoignit en 1910 le mouvement "akméïste" (du grec "akme" -sommet), qui s'opposait au mouvement symboliste. L'akméïsme, à l'époque des débuts littéraires de la poétesse, était animé par Nicolas Goumilev, qu'Akhmatova allait bientôt épouser. La théorie de l'akméïsme distinguait en poétique quatre disciplines principales. D'abord celle qui concerne les mots qui sont pour la poésie ce que la chair est pour l'organisme et qui constituent la matière d'une "réflexion stylistique"; puis la "composition" qui forme l'ossature autour de laquelle se distribuent les éléments d'une oeuvre poétique. La "phonétique" s'occupe du rythme, des rimes, des voyelles et des consonnes, que Goumilev compare au sang qui circule dans un organisme vivant. L'image mentale ou la motivation profonde de l'acte créateur sont le "système nerveux du poème" qui fait l'objet d' eïdologie".
Certains critiques se sont demandé en quoi, ainsi défini, l'akméïsme était différent du classicisme, lequel requérait, tout autant, un équilibre dans la distribution de matériaux verbaux et un tempérament poétique qui tend à une vision d'ensemble du monde. "En 1910, dit Anna Akhmatova dans une courte préface au recueil de ses poèmes paru en 1961, la crise du mouvement symboliste a été suffisamment marquée et les poètes débutants n'adhéraient plus à ce mouvement. Certains rejoignaient le futurisme, d'autres l'akméïsme. Je suis devenue akméïste." C'est donc sous la bannière de ce courant que la poésie d'Akhmatova se révèle héritière du classicisme russe. Mais le trait le plus personnel de l'écriture d'Akhmatova c'est sa force sous-jacente, c'est le lyrisme contenu qu'elle enferme avec un rare sens de la mesure dans des formules poétiques aussi succintes qu'évocatrices.
Fait de précision et de clarté, le discours poétique de la jeune Akmatova est harmonieux. La source d'inspiration du "Chapelet" et du "Soir", c'est le monde des émotions intimes, son sujet central est le destin de la femme. Dans ses toutes premières oeuvres, Akhmatova est déjà capable de donner une résonance universelle à un autoportrait lyrique, et ceci avec une exquise économie de moyens, avec une finesse et une précision du dessin qui font penser à une épure, bien plus qu'à un croquis. Dans une de ses poignantes poésies de la dernière époque, "l'épilogue", du recueil "Requiem", on lit: "Oui, je connais les traits qui se déforment, / Sous les paupières vient nicher la peur, / Et le profil devient cunéiforme / Sous le stylet pointu de la douleur." C'est avec "le stylet pointu de la douleur" que sont ciselées plutôt qu'écrites, toutes les poésies d'Anna Akhmatova, dont le sens inné du tragique a trouvé une matière inépuisable dans la réalité de son époque et dans sa propre biographie.
Envoi dans l'illumination.
Patrick Virelles s'en est allé aujourdh'ui, à 70 ans. Je regrette qu'il ne soit plus là pour partager avec nous son amour des mots. Leur rondeur, leur 'fumet' comme il disait. Les mots doivent avoir du 'noyau', de la texture. La vérité est dans le vin capiteux des mots. Encore faut-il savoir vendanger et vinifier. il y a tant de mots qui n'ont pas d'odeur, des mots aseptisés, des mots - les plus terribles - ceux de la langue de bois qui nous donnent froid dans le dos et ne disent que leur contraire. Que de scories sur notre chemin et dans nos oreilles rabattues, les mots politically correct, si énervants d'hypocrisie. Les mots qui tuent et nous assourdissent. Les mots, cela doit être la fête, la vibration, la lumière, même s'ils font dans le sombre. Ils sont rares ces écrivains qui fabriquent des perles qui parlent et luisent dans leur robe de nacre au fil des phrases, des MOTS QUI FONT NAîTRE LE PLAISIR ET LES CONVERGENCES, des mots sculptés, des mots d'humour qui réveillent l'amour.
J'avais enfoui dans mon jardin ce petit bijou:' Les pigeons de Notre-Dame' comme un vrai trésor de gaité et d’humanité, je vais me précipiter pour lire ses autres écrits, à la recherche des pains perdus.
Comme épitaphe, je souhaite partager une très belle phrase, la dernière du livre 'Helena Vannek' d'un autre écrivain belge, Armel Job. "L'éclair de Guido t'aveugla, chère maman. J'espère que la lumière ardente de cet autre Fils de l'homme, tellement plus mystérieux, a rendu la clarté à tes yeux qu'une lueur trompeuse consuma." Envoi dans l'illumination.
Que la terre lui soit légère et le souvenir vif et tendre.
La paix des poissons rouges installés dans leur bocal lumineux sur le piano dénonce silencieusement les vastes angoisses qui étranglent chacun des acteurs. Quand la pièce devient un peu ‘lourde’, cela fait plaisir de les regarder et d’écouter le pianiste impassible. Plus que le passage brutal de monologues intérieurs en bulles, aux dialogues sans cesse avortés, (tiens les poissons… !) c’est justement ces non- transitions abruptes, dans le même souffle, bourrées de violence, qui sont géniales et vous coupent le souffle. Tous les acteurs se figent dès qu’une bulle éclate : belle trouvaille. Les adresses iconoclastes et blasphématoires où chacun crie son étouffement semblent ruiner toute communication et pourtant elles disent enfin la vérité de chacun. Magistral ! Les apparences sont si pacifiques, le discours à autrui est tellement recomposé et tricheur, ad nauseam! Le vocabulaire fort cru peut certes déconcerter certains spectateurs, mais il semble que cela fasse partie de la pièce… soyons ouverts ! Constat : quel que soit le kvetch, maîtrisé ou non, ce dernier finit toujours par avoir le dernier mot, quelles que soient les ruptures, les remises en question, les nouveaux départs. Pourquoi ne pas le reconnaître quand il vient, ce kvetch, l’accueillir et ne le considérer que comme une simple ombre au tableau. Ou trouver quelque recette anti-kvetch , comme s’intéresser d’abord aux autres , plus qu’à soi-même, le nombrilisme est omniprésent. L’altruisme est en effet totalement absent dans la pièce : comme « l’absente de tout bouquet»? Qui sait! La clé peut-être ! La scénographie est habile et bien menée, mais on se serait passé de certaines longueurs, les passages lutins qui sont tout, sauf lutins, plutôt tristes comme le kvetch! Mais on rit car les acteurs sont bons!
Kvetch, Atelier 210, Théâtre, Bruxelles
Les Lettres à Sophie Volland, c'est l'abondante correspondance adressée par Diderot à sa grande amie et confidente.
Diderot fit la connaissance de Sophie Volland en 1755: il avait alors 42 ou 43 ans et elle de 39 à 40 ans. Bien que nous ne sachions rien d'elle, il est certain que Sophie Volland avait une très forte personnalité, un esprit fort cultivé et fort juste. Grimm dit d'elle, répétant le mot du célèbre médecin Tronchin, que c'était "une âme d'aigle dans un corps de gaze". Cette rencontre fit naître une grande passion réciproque, dans laquelle intervint malencontreusement la mère de Sophie, envers qui Diderot semble avoir eu à la fois de l'affection et une irritation qu'il ne peut dissimuler. Les deux amis prirent l'habitude de se voir deux fois par semaine, exception faite pour les fréquents séjours de Diderot à la campagne chez les d' Holbach, ses voyages et les longs mois que Sophie passait avec sa mère dans leurs terres. Ce sont justement ces absences qui nous ont valu les "Lettres", enflammées au début, puis tendres, affectueuses, confiantes, qui nous permettent de suivre l'évolution de cet attachement qui ne se termina que par la mort des deux amants, disparus à quelques mois l'un de l'autre (1784).
Les premières lettres sont de 1759 et, immédiatement, elles nous donnent des renseignements précieux sur l' "Encyclopédie". La crise qui manqua d'en arrêter définitivement la parution vient de se terminer: d' Alembert s'est retiré de l'entreprise et c'est à Diderot, poursuivi par les libraires et seul responsable, qu'incombe toute la tâche, d'autant plus difficile à mener qu'elle est maintenant clandestine. Le voilà qui s'occupe, le plus souvent nuitamment, de l'impression des fameuses planches dans l'atelier de Le Breton, qui rassemble et compile les documents, qui écrit lui-même des articles de philosophie, d'histoire et surtout de sciences appliquées. Une lettre datée du château du Grand Val, résidence des d' Holbach (3 octobre 1759), est particulièrement intéressante, car elle nous montre dans quelle ambiance Diderot composait ses articles. Il en expose au salon les grandes lignes (il s'agit ici de l'article sur les sarrasins) et nous fait grâce d'aucun des commentaires humoristiques, cyniques, voire burlesques, des différentes personnes présentes et surtout des dames. Ainsi revit devant nous ce cadre dans lequel fut conçu le grand ouvrage, cette société qui poussait l' irrespect jusqu'au blasphème et la liberté d'expression jusqu'à la trivialité. Dans sa correspondance, Diderot tient également Mlle Volland au courant des travaux littéraires qu'il menait de front avec l' "Encyclopédie", et particulièrement de sa collaboration à la "Correspondance" de Grimm. C'est ici que nous prenons la vraie mesure de Diderot, de son dévouement et même de son héroïsme, à l'égard de l' "Encyclopédie", pour laquelle il sacrifia, sans en escompter de bénéfices, la meilleure partie de sa vie et de lui-même. A côté de cet immense travail, les oeuvres personnelles comptent peu: Diderot écrit à la hâte des articles pour Grimm, il commence ou reprend ses propres oeuvres seulement quand l' "Encyclopédie" lui en laisse le loisir. A partir de 1769, Diderot, toujours accablé de travail, donne plus de temps à ses oeuvres, c'est alors qu'il écrit le fameux "Entretien entre D'Alembert et Diderot" et qu'il fait jouer "Le Père de famille", qui connaît immédiatement un succès triomphal.
Enfin en 1772, l' "Encyclopédie" est entièrement parue; après plus de vingt ans d'un labeur acharné, Diderot peut enfin profiter de sa liberté, mais il n'est plus jeune. Néanmoins, il entreprend ce voyage en Russie, auquel Catherine II le conviait depuis si longtemps, ceci malgré les conseils de la famille Volland à laquelle il reste toujours très attaché; il entretient maintenant d'excellentes relations avec Madame Volland; quand à ses rapports avec Sophie, ils ont toujours le même caractère passionné, la même tendresse impétueuse.
Enfin nous pouvons, grâce aux "Lettres", suivre les étapes du voyage. Diderot séjourne d'abord à La Haye, de mai à août 1773 chez l'ambassadeur de Russie, le prince Galitzin, et ce n'est qu'en octobre qu'il arrive à Moscou. L'amie des philosophes, l'impératrice lui fait un accueil chaleureux, elle traite Diderot comme un ami et celui-ci refuse ses présents pour conserver son franc-parler. "J'ai vu la Souveraine, je l'ai vue tous les jours, je l'ai vue seul à seul, je l'ai vue depuis trois heures, toujours jusqu'à cinq, souvent jusqu'à six." Le philosophe ne tarit pas d'éloges sur celle que Voltaire appelait la "Sémiramis du Nord"; pour lui, "c'est l'âme de Brutus sous la figure de Cléopâtre; la fermeté de l'un et les séductions de l'autre", "Si elle règne jusqu'à quatre vingt ans, comme elle me l'a promis, soyez sûre qu'elle changera la face de son empire". C'est du retour à La Haye où Diderot séjourne de nouveau quelques mois avant de regagner Paris, qu'est datée la dernière lettre de cette correspondance (3 septembre 1774). Nous ne savons rien des rapports des deux amants au cours des dix dernières années de leurs vies, sinon par ce témoignage de la fille de Diderot, Mme de Vandeul, à propos de Mme Volland: "Il prit pour sa fille une passion qui a duré jusqu'à la mort de l'un et de l'autre."
Non seulement les "Lettres à Sophie Volland" nous aident à mieux comprendre quels furent le rôle et l'influence de Diderot en son temps et comment il mena à bien cette tâche énorme qu'était l' "Encyclopédie", mais elle nous font pénétrer dans son intimité, dans sa vie de tous les jours: ses rapports avec les Encyclopédistes, sa vie de famille traversée de scènes continuelles avec sa femme, Diderot ne cache rien de ses fautes, de ses folies, il déplore son caractère brouillon; mais sa franchise qui va jusqu'à l'inconséquence, sa spontanéité, la passion qu'il met en toutes choses nous le rendent fort sympathique. Cependant ses "Lettres" sont alourdies par d'interminables tirades où Diderot expose inlassablement son amour. Quelques jugements esthétiques fort singuliers nous surprennent et nous montrent selon quels critères, exclusivement littéraires et sentimentaux, Diderot jugeait des oeuvres d'art; ils confirment ainsi l'impression qu'on retire de la lecture des "Salons". Diderot écrit au courant de la plume et son style est le plus souvent débraillé, voire incorrect, les répétitions et les négligences sont fréquentes dans les "Lettres" généralement fort longues, dont le caractère direct s'en trouve d'ailleurs renforcé. Cette correspondance n'était pas destinée à la publication. Les "Lettres" sont non seulement un document irremplaçable sur l'époque, ce sont de véritables Mémoires de Diderot ou plutôt son Journal intime. Ecrites seulement pour lui-même et pour celle qu'il aimait, elles nous peignent, sans retouche, le véritable et vivant portrait du grand homme.
Damien Valère et 14-18. Petites Séquelles d'une Grande Guerre.
Arthème, le fils de François Champdeblés, l’auteur de 27 pièces décoiffantes, nous attend ce soir au Jardin de ma sœur. Esprit de famille ? L’estaminet est charmant et témoigne par son exiguïté, ses tables usées et ses éclairages dorés, de l’ancienne vie de village du quartier du Vismet ! Pompon L’ancien chat noir y répandit ses grâces et ses maléfices pendant 17 ans de connivence avec les artistes, jusqu’en mars dernier. Et son âme nous hante encore toujours lorsque l’on caresse les jeunes minets Mariette et Gaspard… de la nuit , les nouveaux maîtres des lieux !
Le spectacle commence : Jean Champdeblés, un grand-père placide assis à une table qui recèle un tiroir secret se redit une lettre d’amour. Est-ce la magie des chats qui réveille le personnage ou une pompeuse ouverture musicale qui fait apparaître sur la cheminée les tranchées, les soldats, toute la misère de la grande guerre. Et l’homme se transforme en jeune enfant de village qui pose ses questions innocentes sur la guerre, la patrie, son père disparu. Tout s’enchaine, ponctué de fragments musicaux de Prokofiev. Pour l’époque, pour l’enchantement qu’est l’enfance, pour la peur du loup… et la victoire sur la déraison des dictatures ? Pourtant Damien, nom d’emprunt, le père aux cheveux d’or, ne revient pas. Le drame s’installe. L’enfant devient otage. Il se console avec un chat roux débordant d’amour qui vient de quelque part. La suite du spectacle est magnifique… allez écouter avec ravissement un conteur vrai, un auteur, une histoire vraie. Celle de son grand-père. Ce n’est pas Bruges mais Ypres avec son cortège d’atrocités… au cœur de laquelle, un amour splendide est né, plus beau que tous les châteaux et les bijoux de la vicomtesse, marraine de guerre.
Tout est dit, du début jusqu’à la fin avec une immense tendresse, des silences éloquents, et un regard dans lequel brille le bonheur. Les silences lourds et le mépris ont perdu la partie, le jeune Jean a tout compris même s’il n’a jamais défié ses parents avec la moindre question embarrassante. Du vrai, passé par le filtre de la création pour en extraire un élixir de vérité émouvante. Et la voix de Maria Callas pour l’amour fou.
Au Jardin de ma sœur jusqu’au 10 juillet, les vendredis et samedis soirs
A l'angle du Quai au Bois à Brûler et de la Rue du Grand Hospice, à 1000 Bruxelles
(Marché au Poisson,
Métro Sainte Catherine)
Tel: +32.2.217. 65.82
E-mail: info@leJardindemaSoeur.be
Flo sort du Prado nue, un tableau sous ses bras qui n'existent pas, plus de bras et l'histoire s'arrête là sur les marches de l'escalier de pierres patinées. Ecrasées de soleil, les pierres brûlent les pieds nus de ces touristes venus voir les Velasquez, Goya et autres horreurs picturales.
Flo Ménine acry et marouflage sur toile 1er état
80x60
Pourtant parmi ce Flot incessant, quelques amoureux de la peinture ont encore les yeux humides, remplis de Ménines, monstres et gens de la couronne.
Ces gens qui aiment la peinture au delà de l'objet sont rares. Ceux qui aiment l'âme plutôt que l'image, le fond plutôt que la forme.
Ils sont ceux qui savent encore rêver.
L’Espace Art Gallery a le plaisir de vous présenter du 09/06/2010 au 27/06/2010 l’exposition « Du Clair-obscur aux Couleurs de la vie ». Le VERNISSAGE a lieu le 09/06 de 18 h 30 à 21 h 30 et l’exposition du mardi au samedi inclus de 11 h 30 à 18 h 30.
Monique Jansen (Be)
Monique Jansen a délibérément sélectionné un nombre limité de photos en vue d’obtenir un impact maximum.
Ce que l'observateur constatera c’est, l'interaction entre la lumière et l'ombre, les zones sombres dans les images. Elle demande donc au visiteur plus qu'un regard oblique sur les images, mais de poser des questions, faire réfléchir le spectateur. Cette omission délibérée de certains éléments crée une atmosphère mystérieuse.
La plupart des photos ont été prises lors de ses voyages en Asie, y compris des destinations telles que l'Inde, le Tibet, le Myanmar (anciennement Birmanie). Monique Jansen n'a pas seulement une fascination pour la culture de ces régions où elle a vécu des contacts chaleureux avec les populations locales. C'est aussi la principale force qui émane de ses tableaux: une histoire derrière chaque image.
Elle participe à de nombreux projets, comme par exemple une collaboration avec Globereports.be et la coopération pour un livre pour enfants. Malcolm Arnold, un artiste australien qui vit au Bangladesh est l'inspirateur de ce livre.
Chanon Lauffer (Nl)
Chanon est une autodidacte. Elle est née et a grandi à Amsterdam, le 1er avril 1979.
C’est une peinture du cœur, une artiste expressive. Ce que son cœur lui dit se reflète dans sa vision de la vie et son identité.
Elle crée un art personnel, sans règles ni restrictions. Chanon veut s’émanciper de toutes les restrictions techniques et créer un espace pour le sentiment. Son travail puise son inspiration dans sa propre vie.
Au cours des 6 dernières années Chanon a raconté son histoire, principalement en utilisant l'acrylique, sur différents supports : carton, papier, résine acrylique, papier de couleur à l'eau, etc…
Kristeen Van Ryswyck (Fr)
« Quelques mots sur mon œuvre . . . .
Je peins les couleurs de mon âme avec mon tempérament, mes émois, mes ressentis, ma passion ...
Je tiens à captiver votre regard afin que vous puissiez me rejoindre dans mon univers fait d'ambiances poétiques, énigmatiques, surprenantes, curieuses, troublantes...
Univers imprégné de passion, de vie, d'amour, de joie, d'énergie, de rires, de soleil, de lumières...
Je vous ouvre la porte de l'irréel afin que votre sensibilité puisse y enfanter les plus belles histoires, les plus beaux voyages de votre imagination ...
Que vous ressentiez par mes harmonies colorées, mieux que par des mots, les émotions, les sens, les perceptions, les troubles, les réactions, les émois qui me sont propres...
Je vous ouvre la porte de voyages ensorcelants au plus profond de votre âme...
Laissez-vous guider, oubliez les mots "comprendre" et "expliquer"...
Simplement, laissez-vous imprégner, y être sensible, réceptif, perméable ...
Si ces œuvres vous parlent, vous touchent, vous troublent, vous captivent et vous attirent....
Alors laissez votre âme s'imprégner...
Laissez-vous porter...
Rejoignez-moi dans mon imaginaire... »
Sophie Raine (Fr)
« Je désire créer des figures humaines qui dansent et vous entrainent, communiquer ma joie de vivre en saisissant, l'espace d'un instant, l' « arrêt-sur-image » du mouvement. Je découpe, tords, polis, soude l'acier inox à mon rêve d'éternité ».
Ses dernières expositions :
2005
Exposition personnelle - Bouchemaine -Angers (France)
Exposition « L'Art du Trot » Vincennes – Paris
Foire de Paris – (France)
Art Fair International - Shanghai – (Chine)
Exposition Art Libre - Toit de la Grande Arche- Paris (France)
2006
Exposition « La Galerie » - Tourgeville (France)
Exposition « Art Cité » - Paris (France)
La Sculpture en Liberté- Roquebrune/Argens – (France)
Exposition personnelle Abbaye de Bouchemaine – Angers (France)
2009
« La Galerie » - Tourgeville (France)
Exposition de sculptures – Cogolin – (France)
L'art Abordable – Paris (France)
2ème prix du Concours « Art monumental » château d'Aine (France)
Art Shopping – Carré du Louvres – Paris (France)
GMAC – Paris (France)
Galerie Référence – New-York (USA)
Réalisation de Trophées
Pour « l'Art en Direct « pour :
Danone, Peugeot, Renault, BNP, Spie Batignolles, Total, Skoda, BMS SNAAM, Capital Image......
A voir donc du 09/06/2010 au 27/06/2010 au 35 rue Lesbroussart à 1050 Ixelles.
Autre jeu:
Passer du corps et de ses courbes à l'authenticité des façades de la ville de Sienne.
Je ne dis pas que les courbes d'un corps ne sont pas authentiques.
Les courbes incitent à la générosité.. les courbes sont naturellement "Italiennes"
Piazza del Campo 80x60 acry et marouflage sur toile
Gegout©2010
La piazza del Campo n'a pas besoin de courbes pour séduire.. je suis encore une semaine après notre retour sous l'emprise de cette place.
Cette place s'impose par sa force sans coquetterie.
Ici la beauté se situe au delà du joli..
Je garderai longtemps le choc avec cette rencontre, ce premier regard lorsque l'on tourne au coin d'une rue et on se retrouve nez à nez face à ces façades.
J'en frissonne encore..!
L'Amour fou d’André Breton (1937), mêlant le récit à la méditation et à l'imaginaire poétique, relate des événements vécus par l'auteur entre 1934 et 1936: la rencontre avec Jacqueline, qui devient bientôt sa deuxième femme, leur voyage à Tenerife et la naissance de leur fille Aube. Dans cet ouvrage, l'auteur renoue avec le type d'inspiration et d'écriture qui avaient présidé à Nadja.
Le texte de l'Amour fou est, tout comme l'était celui de Nadja, accompagné d'illustrations. L'ouvrage s'ouvre sur l'évocation d'une scène fantasmatique qui conduit Breton à une méditation sur l'amour et sur la beauté, cette dernière étant explicitement placée dans la continuité de l'ultime phrase de Nadja: «La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas» (I). L'auteur rappelle ensuite une enquête de la revue Minotaure qui interrogeait les participants sur «la rencontre capitale de [leur] vie». Cela lui inspire une réflexion sur le hasard, défini comme «la rencontre d'une causalité externe et d'une finalité interne»: «Il arrive cependant que la nécessité naturelle tombe d'accord avec la nécessité humaine d'une manière assez extraordinaire et agitante pour que les deux déterminations s'avèrent indiscernables» (II). La découverte de certains objets, véritables «trouvailles» dont le sens s'éclaire peu à peu, participe de ce hasard (III).
La rencontre décisive d'une femme «scandaleusement belle» a lieu le 29 mai 1934. Breton reçoit alors la fulgurante révélation de la dimension prophétique d'un poème, intitulé "Tournesol", qu'il avait écrit en 1923: l'aventure imaginaire du texte poétique trouve son «accomplissement tardif, mais combien impressionnant par sa rigueur, [...] sur le plan de la vie» (IV). Le poète séjourne ensuite aux Canaries avec sa nouvelle épouse. La description de l'exubérance sensuelle du paysage volcanique, foisonnant d'espèces végétales, exprime métaphoriquement la jouissance amoureuse du couple, en pleine harmonie avec les grandes forces primitives de la nature (V). Après cette expérience des sommets, symboliquement marquée par l'ascension du pic du Teide à Tenerife, le couple s'installe dans la durée d'un quotidien où l'amour semble susceptible de s'user. Cette fois, c'est la platitude d'une plage bretonne qui, le 20 juillet 1936, sert de décor symbolique à une sinistre promenade durant laquelle Breton et sa femme éprouvent un «sentiment de séparation». Le poète montre toutefois que de telles dépressions sont provisoires et illusoires et que l'amour fou, qui résiste à l'érosion du temps, en triomphe (VI). Breton adresse enfin à sa fille une lettre qui se termine par ce voeu: «Je vous souhaite d'être follement aimée» (VII).
L'Amour fou est un hymne superbe à l'amour: «La recréation, la recoloration perpétuelle du monde dans un seul être, telles qu'elles s'accomplissent par l'amour, éclairent en avant de mille rayons la marche de la terre. Chaque fois qu'un homme aime, rien ne peut faire qu'il n'engage avec lui la sensibilité de tous les hommes. Pour ne pas démériter d'eux, il se doit de l'engager à fond.» L'ouvrage tient à la fois du récit autobiographique, de la méditation philosophique, de la poésie et du conte magique. La réflexion y côtoie la relation d'anecdotes et le lyrisme; l'analyse et la description du sentiment y voisinent avec le fantasme et l'évocation érotique.
L'Amour fou s'inscrit dans la continuité du Second Manifeste du surréalisme qui donnait pour «mobile» fondamental à «l'activité surréaliste» «l'espoir de détermination» «d'un certain point de l'esprit» où les contradictions «cessent d'être perçu[e]s contradictoirement». Breton précisera les contours de cet idéalisme dans les Entretiens (1952): «Il va sans dire que ce point, en quoi sont appelées à se résoudre toutes les antinomies qui nous rongent et que, dans mon ouvrage l'Amour fou, je nommerai le "point suprême", en souvenir d'un admirable site des Basses-Alpes, ne saurait aucunement se situer sur le plan mystique. Inutile d'insister sur ce que peut avoir d'hégélien l'idée d'un tel dépassement de toutes les antinomies.» L'image poétique, dans son énigmatique fulgurance, met ainsi le verbe en fusion: «La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas.» De même, l'amour fou réalise la synthèse entre l'amour unique, exalté par le romantisme, et les amours multiples. Toutes les femmes aimées avant elle annoncent la femme suprêmement aimée dont la figure résume en quelque sorte celles qui l'ont précédée.
Pour Breton, la femme aimée est la fée médiatrice. Elle lui ouvre la voie vers une relation privilégiée au monde qu'elle magnifie et transfigure: «Cette profusion de richesses à nos pieds ne peut manquer de s'interpréter comme un luxe d'avances que me fait à travers elle, plus encore nécessairement à travers vous, la vie. [...] Vous ne faites qu'un avec cet épanouissement même.» La femme révèle au poète les secrets enfouis, ceux qui échappent à la logique et relèvent d'une sorte de concordance universelle et magique. La promenade initiatique effectuée à ses côtés la nuit de la rencontre donne sens tant à la vie qu'à la poésie de Breton, les deux aspects étant d'ailleurs indissociables. Ainsi, une anecdote passée, survenue «le 10 avril 1934, en pleine "occultation" de Vénus par la Lune», prend soudain une dimension prémonitoire. Alors qu'il déjeune dans un restaurant, Breton capte cette scène entre le plongeur et la serveuse: «La voix du plongeur, soudain: "Ici, l'Ondine!", et la réponse exquise, enfantine, à peine soupirée, parfaite: "Ah, oui, on le fait ici, l'On dîne!" Est-il plus touchante scène?» Il y a là comme une prophétie de la venue prochaine de Jacqueline, ondine ou sirène tant dans l'imaginaire mythique que dans la réalité: «Le "numéro" de music-hall dans lequel la jeune femme paraissait alors était un numéro de natation.» L'exemple le plus frappant de ces coïncidences miraculeuses réside bien sûr dans le sens tout à coup révélé, à travers les événements de la première nuit, d'un poème automatique écrit onze ans plus tôt.
Le monde devient ainsi un vaste et sidérant univers de signes. L'amour fou est bien l'expérience surréaliste suprême dans la mesure où il réunit le réel et l'imaginaire, la poésie et la vie.
Tirelant l'alouette
Tire à lire clair et net.
Ce matériel qui, dans l'étrange et quelque peu mystérieux "atelier" du boulevard Léopold, à Anvers, voisinait avec des instruments de physique, d'astronomie, de musique, des souvenirs de voyage, des portraits de famille, des oeuvres d'art et des bibelots de toutes espèces, n'était pas une fantaisie d'artiste; ces établis, ce pupitre à composer, cette presse étaient bien des outils d'un artisan, les instruments de travail quotidiens d'un bon ouvrier du livre.
Et cet ouvrier n'était pas un improvisateur; il avait appris son métier, -et il en était fier.
"Je connais le métier à fond, écrit-il à un ami d'enfance (1), et je pourrais même gagner ma vie en le pratiquant; le brave père Buschmann, il y a 20 ans, et chez lequel j'ai travaillé pendant 6 mois, m'a tout appris, y compris la trempe de papier. J'ai commencé par le commencement, remettre les caractères retirés des formes, "tête en haut" dans les "casses"; puis cette chose très difficile à faire: le "noeud", c'est-à-dire de réunir les lignes composées au moyen d'une ficelle, pour les mettre dans les formes; cela se fait d'une seule main et rien ne peut tomber. -Je connais tous les secrets des serrages, des hausses, de la mise en train, qui est ce qui coûte le plus cher dans la typographie soignée. "Et c'est pour cela que j'aime à contrôler le tirage de mes livres moi-même."
Si l'élève était reconnaissant à son maître des leçons qu'il en avait reçues, celui-ci se plaisait, de son côté, à reconnaître la part de collaboration du poète dans le travail d'édition de ses oeuvres. Quelques mois après la publication du "Jeu de loto dans les Flandres", l'imprimeur Buschmann communique à Max Elskamp la lettre de félicitations qu'il a reçue de M. Thibeaudeau, directeur de l'atelier de composition et d'impression de la Fonderie Peignot de Paris, et il ajoute: "Je ne puis en aucun cas agréer, sans vous en transmettre la grosse part, toutes les flatteuses appréciations que M. Thibeaudeau réserve au petit volume" (2).
Ce "petit volume" était en effet un petit chef-d'oeuvre élaboré avec quelle patience, quel goût, quel souci minutieux et délicat de l'ornementation et de l'exécution typographique! On a trouvé dans les papiers du poète deux manuscrits autographes du "Jeu de loto", quatre copies dactylographiées par l'auteur (la dernière réservant la place des bois), sans compter de multiples essais de couleurs et de mises en page et plusieurs suites d'épreuves corrigées. En vérité, Max Elskamp n'abandonnait rien à la fantaisie de l'imprimeur; il tenait à tout combiner lui-même, à tout prévoir, à tout essayer. C'est ce qu'il appelait "contrôler" le tirage de ses livres.
Ce souci de la présentation, Max Elskamp l'a eu dès le début de sa carrière d'écrivain. Ses premiers vers, reproduits par le procédé de la pâte à polycopier, n'a-t-il pas imaginé de les présenter sur des fonds d'estampes japonaises? Tiré à 15 exemplaires et dédié à son "bon ami en couleurs douces et frêles Henri Vandevelde", L'Eventail japonais, fantaisie de jeunesse -il date de 1886- que le poète semble avoir désavoué par la suite (3), est aujourd'hui à peu près introuvable.
Les trois premiers recueils de vers imprimés par J.-E. Buschmann, sont "rehaussés à la couverture d'une ornementation par Henry van de Velde" (Dominical, 1892, -Salutations dont d'angéliques, 1893, -En symbole vers l'apostolat, 1895).
C'est Henry van de Velde qui imprime, en 1895, les "Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre", mais cette fois, c'est l'auteur lui-même qui s'est chargé de graver les bois qui ornent le petit livre, -livre exquis dont la présentation provoque l'enthousiasme d'Emile Verhaeren. "Les dessins que l'écrivain tailla dans le bois, écrit-il dans l'Art moderne (4), sont d'une naïveté savoureuse et si adéquate au texte et si artistement puérils qu'on n'imagine aucun professionnel qui es eût pu traiter ainsi."
Dès lors, le poète n'abandonne plus à d'autres le soin d'orner ses livres. Pendant de longues années et, pour ainsi dire, jusqu'à la fin de sa carrière, le labeur du graveur rivalise chez lui avec celui de l'écrivain. Et c'est par centaines que les bois sortent des mains de l'artiste pour aller fleurir les pages du poète (5).
Enluminures (1898), l'Alphabet de Notre-Dame la Vierge (1901), les Commentaires et l'idéographie du jeu de loto en Flandre (1918), Sous les tentes de l'exode (1921), Chansons désabusées (1922), la Chanson de la rue Saint Paul (1922), les sept Notre-Dame des plus beaux métiers (1923), Chansons d'amures (1923), Maya (1923), -chacune de ces oeuvres est pour Max Elskamp l'occasion de multiples recherches tant au point de vue de l’ornementation que de la présentation typographique. Sur sa table de travail s’accumulent les essais de mise en pages, les épreuves de bois et quelquefois de feuilles entières tirées sur « L’Alouette », les recherches de couleurs, et ce n’est que lorsqu’il a établi de son œuvre une véritable maquette, qu’il consent à la livrer à l’imprimeur. On pourrait suivre dans les papiers que les héritiers du poète ont généreusement offert à la Bibliothèque royale les étapes successives de l’élaboration de presque tous ses livres, depuis le manuscrit original jusqu’à la maquette définitive que le travail d’impression modifiera à peine. Certaines œuvres de petites dimensions, telles que « Les sept œuvres de miséricorde » ou « Le petit dictionnaire de médecine judiciaire » de Charles Dumercy, ont été entièrement tirées sur « L’Alouette » par le poète lui-même.
Max Elskamp avait sur ce qu’il appelle « l’architecture du livre », des idées très arrêtées. Il considérait la typographie comme une « forme de matérialisation plastique de la pensée ». Partant de cette donnée que le point typographique règle tout l’établissement du livre, il en déduisait que la décoration de celui-ci doit être soumise à des règles étroites. Il n’admettait pas « l’illustration ». Le mot comme la chose lui faisait horreur. « La plus grande erreur de « l’illustration » dans le sens d’ « histoires », dit-il dans ses notes est de n’être que la compréhension d’un passage du livre par « l’illustrateur » seul. Flaubert l’avait si bien compris qu’il répudia toujours les offres « d’illustrations » qui lui furent faites. Seul l’auteur d’un livre pourrait « illustrer » son livre et encore reste à voir s’il y trouverait profit ; il matérialiserait la notation de sa pensée, lui donnerait une forme absolue dans une autre plan de notation où, pour cette raison même, il y aurait une grande difficulté d’adéquation. Seule une « illustration » qui serait un symbole de la pensée pourrait être acceptable et alors encore, il ne s’agirait plus ici que d’une ornementation et non une illustration. D’une façon générale, l’illustration donnant une précision graphique à la formulation de la pensée, ne semble être justifiée que pour les ouvrages de science, anatomie, géographie, architecture, en d’autres termes chaque fois qu’elle prend le titre de « planche » au sens étroit du mot » (6).
Ailleurs, parlant de l’ornementation de la page, l’auteur d’ « Enluminures » formule les règles suivantes : « Le bas de page doit être considéré comme le sol permettant de bâtir en élévation. C’est un point d’appui d’où l’ornementation logiquement prend racine. Pour être plus logique, c’est la dernière ligne d’une page justifiée qui est la limite de ce sol. Il y a une erreur à ce propos souvent commise, c’est d’insérer dans les livres des planches oblongues en les mettant dans le sens vertical. La décoration du livre ne peut être entendue que dans un seul sens, elle doit être vue dans la position de lecture des pages, c’est-à-dire qu’on ne doit pas pouvoir voir une illustration retourner ou pencher le livre ; le point de vue est fixé (comme en perspective) par le texte qu’on doit considérer comme l’horizon de lecture. »
Il n’est pas moins catégorique quand il parle des procédés de reproduction.
« Toute reproduction mécanique qui exige pour le tirage de l’épreuve une presse autre que la presse typographique doit être rejetée. Toute reproduction mécanique permettant pour le tirage de l’épreuve l’emploi de la presse typographique, mais exigeant pour ce faire le subterfuge d’un papier spécial, tel le papier couché pour la simili-gravure, doit être rejetée. En d’autres termes, nous considérons comme ne répondant point à la plastique typographique du livre, tout procédé ne permettant pas d’imprimer d’un même tirage l’ornementation avec le texte du livre. »
Ces notes et d’autres retrouvées dans les papiers du poète, étaient destinées à une étude sur la typographie du livre, à la publication de laquelle Max Elskamp paraît avoir renoncé par crainte de déplaire à ses « confrères ». « Quant au travail que j’ai préparé sur la typographie du livre, écrit-il à l’éditeur Van Oest (7), il n’est terminé qu’en partie, bien que tout à fait construit. Je ne crois pas qu’il soit de nature à intéresser beaucoup le public, et quant aux imprimeurs, ils n’en seront pas enchantée, pour le motif que je tombe leurs procédés les plus chers… »
Ne regrettons pas outre mesure que le poète n’ait pas cru pouvoir donner suite à son projet. Les réalisations sont là qui peuvent nous consoler de la perte de la théorie : elles attestent suffisamment que Max Elskamp fut « un des artisans du livre les plus originaux que notre pays ait produits ».
C. G.
1) M. Henri Damiens, cousin du poète. Lettre datée d’Anvers, le 9 mars 1921.
(2) « Laissez-moi en terminant, dit M. Thibeaudeau, vous exprimer toute mon admiration de technicien pour l’ensemble si artistique de votre édition. Bois des lettrines et des illustrations, caractères, mises en pages, cadre harmonieux, teintes, format, papiers, cartonnages, sont réunis là pour satisfaire pleinement la joie raffinée et délicate de l’élite de la bibliophilie. »
(3) « L’Eventail japonais » n’est rappelé dans aucune de ces listes d’ouvrages « du même auteur » que le poète aimait à placer en tête de ses livres.
(4) 12 janvier 1896.
(5) Max Elskamp a légué l’ensemble de ses bois gravés au musée du « Vleeschhuis » à Anvers .
(6) Pas plus que « l’illustration », Max Elskamp n’aimait la « mise en musique ». « J’ai toujours trouvé bon accueil chez les compositeurs de musique, écrit-il à un ami. Ils m’ont souvent demandé de mettre en musique de mes vers et je me suis souvent refusé à cela, parce que je crois que le commentaire musical ne peut rien ajouter à une pièce de vers, qui doit être complète par elle-même et doit avoir sa propre musique. »
(7) Lettre datée du 1er mars 1919.
La Fleur en Papier Doré, rue des Alexiens à Bruxelles |
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Maria CaunusPropos de Maria Caunus sur "La poésie portugaise" |
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Le livre de référence, paru aux Editions de l'Arbre à paroles, un anthologie par Robert Massart |
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Poésies d'Amelia Militao lues par Isabelle Bielecki Amelia Militao évoqua également des textes de Florbela Espanca et de Miguel Torca Une séance sous les auspices du Grenier Jane Tony, 29ème saison du cercle (Dir. Piet Lincken) au beau printemps 2010. (Photos Arts et lettres) |
Une page de mon CD-ROM consacré à l'oeuvre d'Eugénie De Keyser (Série Le testament des Poètes)
Présentation de son livre "Degas, Réalité et métaphore" édité par l'Institut supérieur d'archéologie et d'histoire de l'art à Louvain-La-neuve en 1981.
La conclusion de l'auteur:
Le souci de la vérité enracine profondément Degas dans son temps, dans une réalité
expérimentée au jour le jour, en ce Paris de fin de siècle, où il se mit en espalier
pour capter avidement ce qui se passait à portée de son regard. C'est pourquoi son
oeuvre nous raconte un monde presque aboli: chapeaux hauts de forme, tutus,
lumière du gaz, mais aussi tableaux de chevalet, passion du collectionneur, secret
jalousement gardé des corps et des sentiments. Mais à creuser tout près de soi,
comme il le fit, il arrive qu'on fasse apparaître ce que nul n'avait vu auparavant, et
qu'au-delà des grimaces d'une société et d'une époque, on mette à nu un visage où
chacun craint de se reconnaître.
La plupart des sujets qu'il a peints ne nous intéressent plus, mais Degas nous a
révélé une manière neuve d'envisager toutes choses. Il a cherché, dans la solitude
de son atelier, des moyens inédits de peindre, de modeler, de graver, de mélanger
les couleurs, d'unifier l'espace, non pour la vanité d'être différent des autres, mais
parce qu'il cherchait à dévoiler ce qu'il était seul à voir. Chacune de ses découvertes
mettait tout en cause, si bien qu'aujourd'hui, contemplant danseuses, nus ou
portraits, les limites de son époque disparaissent, et nous découvrons ce que peut
exprimer la peinture à propos de l'existence elle-même.
Son acharnement à dévoiler la vérité lui a permis de mettre à jour, sous la futilité de
la mode et des divertissements, l'emprise dévorante des objets, fétiches de
l'apparence, et l'amère découverte de l'incommunicabilité des êtres. Finalement, ce
qui est rendu visible, c'est l'impossibilité de posséder jamais l'objet de son désir, et
l'absurdité de projets toujours inaccomplis.
Le réalisme de Degas se manifeste à travers l'oeuvre entière, il est absolument
différent de celui de Courbet ou des impressionnistes, il s'appuie sur une
documentation minutieuse, qui rapproche le peintre des danseuses, des romanciers
de son temps, mais la documentation reste morte, si on ne la met pas en oeuvre
dans un sens déterminé. Ici, le voir se double d'un savoir. C'est pourquoi il faut une
longue cohabitation avec gens et choses pour déceler la vérité. Or, il y a deux
façons de cohabiter, la première met de plain-pied visiteur et visité, ce qui se
découvre là, c'est l'univers de ceux avec lesquels le peintre entretient des liens
d'amitié; la deuxième est celle de l'étranger, qui pénètre dans un univers auquel il
ne s'intégrera jamais, c'est Degas assistant aux exercices des danseuses et
s'intéressant aux métiers féminins et à l'intimité des femmes.
Le voir se double d'un savoir mais, en outre, ce qui est vu polarise les désirs. C'est
ce qui explique que les peintures de Degas nous montrent, non seulement des
objets-signes, des objets-métaphores, mais encore que chaque tableau, chaque
sculpture peut se lire comme une métaphore. Le spectacle attire Degas, parce qu'il
est l'image même du leurre, ce que montrent très bien les salles d'exercices, envers
du décor, jeu du faux et du vrai, de la réalité décevante et de son double, la scène
prestigieuse mais irréelle.
Les courses de chevaux et la danse permettent au peintre et au sculpteur d'exprimer
la manière dont il vit le temps. Ce que nous avons dit de sa façon de travailler, de
ses difficultés à finir, du goût qu'il a pour les techniques qui permettent de tout
recommencer toujours, est absolument parallèle à ce qui est exprimé dans les
oeuvres: rien ne peut être saisi, stabilisé, affirmé, une fois pour toutes, rien n'est
jamais donné, le projet dévore l'instant présent, dans une fuite perpétuelle, dans une
fuite vers "ce qu'on pourrait faire un jour.
La passion pour la vérité est un des moteurs de l'aspect décevant des rapports du
désirant et du désiré, c'est parce qu'on cherche à savoir, au-delà des apparences qui
se donnent complaisamment à voir, ce que peut être l'objet du désir, qu'on découvre
une fille vulgaire sous un tutu, qu'on aperçoit, traînant sur une commode, une
mèche de faux cheveux, mais ce n'est pas le seul moteur. La différence entre l'ami
et l'étranger joue également un rôle capital dans la métaphore du temps, selon
Degas.
Le leurre, le refus apparaissent là où se situe l'autre. Sous un certain aspect, la
femme est, dans l'oeuvre de Degas, irréductiblement étrangère. Elle appartient à un
monde dont on ne connaît ni la langue, ni les rites, qu'on découvre avec une sorte
d'étonnement et qui choque. Elle séduit par sa chair, par le prestige de sa grâce, elle
apparaît même comme le seul symbole possible de la vie dans son frémissement le
plus authentique, ainsi que le montrent les sculptures, mais il n'y a pas d'échange ni
de partage possible. On pourrait dire que le désir charnel, qui se manifeste dans les
danseuses et surtout dans les femmes à leur toilette, détruit toute possibilité de
dialogue entre les partenaires. C'est déjà ce qui est symbolisé dans "Intérieur".
Hommes ou femmes, enfants ou adultes, les personnages des portraits ont tout autre
dimension, mais c'est aussi le temps qui est exprimé dans ces peintures. Les enfants
s'en vont, ils grandissent, ils s'éloignent, les femmes se marient, elles vieillissent,
tout le monde est voué à la mort. Le rapport avec le spectateur n'est plus ici celui du
désir toujours déçu, mais celui du souci sans cesse en éveil. Les vérités amères sont
celles des ruptures possibles. Le jeu métaphorique des objets se situe au niveau des
liens affectifs, l'humour peut y trouver place, mais les choses prennent un aspect
poétique et sont destinées à créer un univers où se retrouvent les souvenirs.
Dans cet univers du souci s'inscrit le caractère irremplaçable des personnes et le
désir de les protéger, de les arracher au temps et aux séparations. Là aussi, le temps
dévore et éloigne. Une autre angoisse transparaît dans les rapports de Degas et de
ses modèles: comment, entre des êtres pareils, aller jusqu'au bout de la rencontre?
Les visages méditatifs, les étranges enceintes qui enveloppent les figures
témoignent de la crainte, toujours renaissante, d'être exclu, non seulement de la
chambre close où se réfugie l'autre, la femme anonyme, qui peut-être n'a pas d'âme,
mais du dialogue qui s'ébauche avec l'amie, et qu'on voudrait sans cesse
approfondir, recommencer, et devant lequel chacun se dérobe à l'intérieur de sa
méditation solitaire.
Ce qui est exprimé ne se limite pas aux images, c'est la structure picturale et le jeu
des volumes dans l'espace qui sont signifiants. Degas a été largement pris au piège
de la littérature, et il a pu croire, quand il essayait de mettre au point "La femme de
Candaule", qu'il suffisait de peindre un corps tranquille avec l'oeil "brûlant de
pudeur et de vengeance", pour exprimer l'émotion qu'il éprouvait devant un tel
sujet. Un an ou deux plus tard, il découvrait que l'espace n'est pas un lieu vide où
installer des personnages, mais une structure qui peut exprimer une situation
dramatique, comme il apparaît dans "La fille de Jephté", enfin il passe de
l'affabulation, où l'image est à la fois illustration d'une histoire et signe plastique, au
thème métaphorique. La danseuse, le cheval ne racontent plus rien et, parce qu'ils
ne racontent plus rien, ils renvoient à d'autres significations, où le temps et le désir
offrent d'inépuisables possibilités.
Parce qu'il n'y a plus de récit, l'espace prend tout son sens. Le corps sculpté peut, à
son tour, être un moyen de faire éclater la vérité du mouvement au-delà de tout
sujet, mais aussi d'exprimer, une fois de plus, le sens du temps et l'exclusion par
rapport au désiré.
Le caractère, à la fois subjectif et métaphorique de l'art de Degas, vient de ce qu'il
s'agit essentiellement d'un art du regard. Le sens de l'oeuvre se lit à partir du
spectateur, virtuellement présent devant elle. C'est évident pour les tableaux,
construits longtemps suivant des perspectives savantes et, par la suite, toujours
élaborées à partir d'un point de vue précis, mais c'est vrai aussi des sculptures, dans
la mesure où elles montrent, sous des aspects multiples, le corps de l'autre. C'est à
partir de là que Degas rend visibles les rapports avec autrui, qui sont l'essentiel de
ses préoccupations, et exprime le temps lui-même, comme rapport avec autrui.
L'angoisse qui se manifeste dans l'oeuvre est, à ce point de vue, quelque peu
différente de celle qui apparaît dans la correspondance de l'homme vieillissant, ou
dans sa manière de travailler. ce qui est en cause, d'une part, c'est l'impossibilité de
se réaliser; d'autre part, c'est la fragilité de tous les liens avec autrui et les obstacles
infranchissables entre les hommes, aussi bien dans le domaine de l'amitié que dans
celui des relations sexuelles.
Ce peintre du regard est donc un peintre de la solitude. Il montre l'isolement sans
retour, non de ceux qui sont représentés mais de celui qui, de la place où il assiste à
la représentation, découvre la vérité amère d'un monde d'où il est exclu et d'objets
désirables, refusés à son désir.
Eugénie De Keyser
A la fin du XIX°siècle, Bruxelles est un centre important de diffusion et de création artistique. Le pays est en pleine expansion. Soixante ans après son indépendance, le développement industriel et la politique coloniale stimulent les initiatives. La réaction sociale suit rapidement. En 1885, tandis que Léopold II devient souverain de l’état indépendant du Congo, le parti ouvrier belge est fondé. Un vent de liberté souffle également dans le milieu artistique. Comme les Impressionnistes à Paris en 1874, les artistes belges décident de prendre leur destin en main. La révolution artistique de 1884 prit prétexte d’une boutade lancée par un membre du jury officiel qui venait de refuser les toiles de deux ou trois peintres d’une méprisante intransigeance : qu’ils exposent chez eux! avait dit dédaigneusement cet homme plein de rage. Ils exposèrent donc chez eux.
Ils sont une vingtaine, d’où leur nom : le cercle des XX (1884-1893). Les premières signatures sont recueillies à la taverne Guillaume, place du Musée à Bruxelles, le 23 octobre 1883. Franz Charlet, Guillaume Vogels, Jean Delvin, Paul Du Bois, James Ensor, Charles Goethals, Fernand Khnopff, Périclès Pantazis, Franz Simons, Gustave Vanaise, Théo Van Rysselberghe, Guillaume Van Strydonck, Théodore Verstraete. Les adhésions de Willy Finch et de Dario de Regoyos arriveront par lettres. Achille Chainaye, Jef Lambeaux, Willy Schlobach, Piet Verhaert et Rodolphe-Paul Wytsman complètent la liste de manière à parfaire le nombre qui détermine le titre. D’autres associations avaient précédé les XX : la Société libre des beaux-arts (fondée en 1868) et l’Essor (fondé en 1876). Elles réagissaient contre l’académisme pour adopter une esthétique plus réaliste. Fondé sur le visible et non sur l’idéal, le réalisme s’intéresse d’abord à la nature pour faire place ensuite à la description de la réalité sociale. II s’attache à la précision de la forme et de la texture concrète des choses. C’est à la suite d’une scission de l’Essor que la fondation des XX est décidée.
L’originalité de la démarche des XX est d’avoir supprimé toute préséance et forme de jury. Leur idéal : l’égalité entre les artistes, pas de hiérarchie, pas d’école. Cet idéal n’est pas sans liens avec les tendances anarchistes qui circulent à l’époque : Bruxelles a servi de refuge aux opposants du Second Empire français. Dans un souci d’ouverture, les « vingtistes » inviteront vingt autres artistes à exposer. Chaque vingtiste a le droit d’exposer six oeuvres ; les invités, une. L’organisation de ces manifestations incombe à Octave Maus (1856-1919), avocat à la cour d’appel de Bruxelles et critique d’art, qui devient leur illustre secrétaire. Ils décident d’exposer ensemble chaque année, au mois de février. Une autre de leur spécificité, et non des moindres, est d’avoir organisé, en même temps que les expositions, des concerts et des conférences, ce qui transforme chaque exposition en un événement. II est vrai que l’Essor avait déjà organisé un concert de musique de chambre et une conférence en 1883. Cette idée sera donc reprise, mais surtout elle sera systématisée. Conformément aux idées wagnériennes à la mode à l’époque, toutes les expressions artistiques se valent et sont intimement liées (Gesamtkunstwerk). La première année une causerie sera d’ailleurs consacrée à Richard Wagner.
Catalogue de la Libre Esthétique en 1894
Théo Van Rysselberghe
Le cercle des XX est plus qu’un rassemblement d’artistes décidés à exposer ensemble. Ce sont des gens ouverts à la nouveauté dans tous les domaines, artistique, littéraire et musical. « La Musique russe » (1881, exposé aux XX en 1884) de James Ensor, exprime parfaitement l’univers des XX : Willy Finch, assis, écoute Anna Boch, qui joue au piano. Deux peintres, communiant dans la musique, tandis qu’un troisième immortalise ce moment par la peinture. Les XX, c’est avant tout un état d’esprit : « sur toute la ligne, la bataille contre la routine était engagée », disait Octave Maus. Etat d’esprit partagé et défendu par « L’Art moderne, revue critique des arts et de la littérature ». Hebdomadaire fondé en 1881 par Edmond Picard, la revue a très vite joui de la collaboration d’Octave Maus, son confrère au barreau de Bruxelles et de son jeune stagiaire, le poète Emile Verhaeren. En ouvrant ses colonnes aux artistes et aux poètes, en écrivant des articles de fond sur les mouvements d’avant-garde, l'art moderne a renforcé considérablement l’impact des Salons des XX et de la Libre Esthétique comme foyers de création et de liberté.
Après dix ans d’existence, le cercle des XX est dissout. La formule a fait ses preuves, mais a aussi atteint ses limites. Les artistes ont une personnalité individuelle extrêmement marquée. Les dissensions entraînent des rivalités et des tensions qui nuisent à la bonne organisation des Salons. La relève est assurée par la Libre Esthétique (1894-1914). Octave Maus en est plus que jamais le dynamique secrétaire. II est - seul - organisateur, directeur et inviteur, ce qui explique la continuité d’esprit avec les XX. Aucun artiste ne fait plus partie du comité organisateur. Celui-ci est composé de cent membres, choisis parmi des intellectuels sympathisants. Les salons de la Libre Esthétique perdent sans doute en invention ce qu’ils gagnent en organisation. Des expositions à programme font le point sur les mouvements d’avant-garde découverts par les XX. Ils continuent à présenter des artistes impressionnistes, néo-impressionnistes, symbolistes, et à faire la part belle aux arts décoratifs. Mais ils passeront sous silence la naissance du cubisme. Ils auront cependant largement contribué à la diffusion des différentes formes de pensée qui sont à la source du XX° siècle.
Le quatrième Salon de la Libre Esthétique
Théo Van Rysselberghe
1897
Dès le début de leur formation, les XX ont été sensibles à la présentation graphique de leur mouvement. Fernand Khnopff crée le logo, essentiel, comme moyen rapide d’identification. La couverture du catalogue de 1891, de Georges Lemmen, use de la ligne décorative avec une souplesse et une fantaisie dans la simplicité, très « art nouveau » avant la lettre. Le sujet reste cependant symbolique : « sur fond d’un soleil naissant et prometteur, se profilent les vagues tumultueuses et japonisantes d’une mer démontée par le grand affrontement des forces novatrices de l’art aux prises avec celles du passé. » L’année suivante, les recherches d’Henry van de Velde le conduisent à la même créativite linéaire lorsqu’il publie la couverture de « Dominical » de Max Elskamp. La Libre Esthétique utilisera un seul dessin comme couverture de catalogue durant toute son existence. De 1894 à 1914, les cyclamens de Théo Van Rysselberghe annonceront chaque année l’événement. Lettres et tiges s’entremêlent avec un grand souci d’harmonie qui rejoint les ondulations végétales d’un architecte comme Horta (hôtel Tassel, Bruxelles, 1893).
Trois sources se distinguent à l’origine de ce renouveau : il y a d’abord la vogue des estampes japonaises, dont la ligne expressive, les aplats de couleurs, l’audace des compositions et l’usage même du bois comme matrice de la gravure (xylographie) frappent les imaginations; ensuite, le mouvement Arts and Crafts en Angleterre lutte contre la standardisation de la machine tout en voulant un art pour tous ; enfin, le symbolisme redonne son sens à la ligne expressive et cultive les liens entre littérature et peinture, puis entre tous les arts. L’affiche devient un art à part entière. Le procédé lithographique (matrice de la gravure en pierre) se développe dans les années 1890, multipliant les estampes en couleurs. La loi sur la liberté de la presse (1881) encourage l’affichage. Les boulevards parisiens se transforment avec l’apparition des colonnes Morris. Le badaud s’habitue à la joie des couleurs fraîches. L’affiche des années 1890 est avant tout une réalisation tournée vers le désir, l’évasion. la dépense... (bal, spectacle, voyages). Elle est le fait des artistes, qui la portent au rang d’oeuvre d’art. Puis des professionnels vont l’utiliser pour la promotion de produits de consommation. Avec le développement de la société du même nom, l’orientation du désir vers la dépense va encourager le processus : la multiplication de l’image provoque le manque et incite à l’accumulation. Les moyens de diffusion de l’estampe se développent avec la multiplication des revues et l’édition d’albums. De nombreuses revues, parfois aussi intéressantes qu’éphémères, voient le jour pour défendre les idées symbolistes, dans le domaine littéraire, mais également artistique. Elles prennent parfois une coloration politique, teintée d’idées anarchistes ou de générosités socialistes.
Catalogue des XX en 1891
Georges Lemmen
L’estampe ne sert plus seulement d’illustration, mais elle devient autonome. Si la lithographie en noir et blanc continue à être utilisée, les artistes lui préfèrent la couleur. En utilisant une pierre différente pour chaque couleur (et non toutes les couleurs sur la même pierre), les Nabis perfectionnent le tirage de leurs épreuves. Ils vont même s’appuyer sur ce procédé pour retrouver dans leur peinture cette clarté décorative qui les caractérise. Lorsqu’un retour au noir et blanc se fera sentir, ce sera à partir d’une matrice en bois, au résultat plus expressif. La Libre Esthétique se fait immédiatement l’écho de ces nouveautés et présente de nombreuses estampes. Parallèlement, le renouveau des arts décoratifs s’étend à tout ce qui touche à la vie au quotidien. II y a une intention concrète d’un art pratique et social, qui passe par la résurrection des métiers d’art. De plus en plus, les artistes deviennent pluridisciplinaires : les peintres s’adonnent à la sculpture, à la céramique ou à la création d’objets usuels. Les objets vont faire leur apparition aux XX dès 1891. Gauguin, avec beaucoup d’audace, n’envoie au salon que des céramiques et des bas-reliefs, pas une seule peinture. C’est une manière de manifester l’égalité entre tous les arts.
En Belgique, les premiers artistes à s’être intéressés au Néo-impressionnisme seront aussi les premiers à se tourner vers l’art décoratif : Finch, Lemmen et van de Velde. Dès son ouverture en 1894, la Libre Esthétique affirme donc l’importance qu’elle accorde à l’art décoratif. « Une évolution s’affirme plus nettement d’année en année, une évolution des peintres et des sculpteurs vers un art surtout ornemental ou d’application industrielle » écrit Georges Lemmen (1865-1916) dans Le Réveil. L’auteur de l’article sait de quoi il parle. II a une oeuvre importante de peintre et de graphiste derrière lui. II apporte un soin particulier à l’intégration de la lettre et du décor dans les couvertures des catalogues des XX en 1891, 1892, et 1893. Puis il va plus loin dans sa démarche vers un art pour tous. Le mouvement anglais Arts and Crafts voulait réagir contre l’industrialisation en renouvelant les métiers d’art et l’artisanat. Les artistes des années nonante veulent réconcilier art et industrie. II faudra encore quelques années pour que ce souhait devienne réalité.
Affiche du VI° Salon des XX
Théo Van Rysselberghe
Salué comme un poète majeur de sa génération, notamment pour « le Cercle inquiet » (1973), Werner Lambersy (Belgique, né en 1941), hanté par la quête de soi et le rapport amoureux, renouvelle dans son recueil poétique « Maîtres et maisons de thé » son inspiration à partir d'une évocation très personnelle de la cérémonie japonaise du thé, le chanoyu.
Le recueil s'ouvre par deux poèmes dont le contenu paraît en flagrante contradiction avec le titre: "Il n'y a pas de maison[s] de thé" et "Les maîtres ne règnent sur rien". Le sens de cette apparente contradiction nous sera progressivement révélé par l'ensemble de poèmes en prose qui forme le coeur de l'oeuvre, poèmes sans liens formels entre eux, dépourvus de ponctuation, comme des pièces taillées à vif dans le Livre de l'Éternité: certains commencent par une parenthèse, d'autres par une proposition relative: «Où le portique serait écartement de jambes / écartèlement (le saut la nage l'amour ou la caresse) ouverture des bras...» D'une grande densité, ils sont répartis en quatre groupes dont deux postiches: page blanche avec citation énigmatique («le Portique», «l'Antichambre»), les deux autres («l'Allée», «la Chambre») formant le corps du texte. Parties faussement postiches d'ailleurs puisqu'il nous est dit que le portique est «transgression, passage, entrée» et l'antichambre, «rêve de la réalité, préparation», tandis que la chambre est «réalité du rêve, la rencontre». Nous comprenons peu à peu que l'architecture de la maison de thé et le cérémonial qui s'y déroule ne sont que la trame-prétexte d'une croisée des chemins où se rencontrent toutes les quêtes de l'absolu: l'initiation, l'amour, la poésie. Il n'y a pas de maître parce qu'il se confond avec l'invité, et il y en a autant que de maisons: celle de l'impulsion poétique (le maître apparent est le langage, le maître réel le silence), celle du vide dont le maître est la solitude, etc. Le recueil se termine par quelques poèmes au graphisme évoquant des nénuphars savamment dispersés sur un étang et magnifiant les thèmes centraux: «et c'est entre nous / le thé / le bol et l'eau / où nous trempons les lèvres / comme si c'était un temple / qu'on ne pénètre / qu'en laissant l'autre pénétrer.»
Ni régionaliste ni «belge», Werner Lambersy tend à l'universalité, et comme toute grande poésie, la sienne entretient avec le mode initiatique des rapports étroits, sur lesquels on peut gloser à l'infini. Mais il serait faux de limiter l'oeuvre à cette relation: elle est surtout prise de conscience que la cérémonie du thé est transposable dans le registre amoureux. La véritable rupture par rapport aux recueils précédents réside dans un mode d'écriture que l'on a qualifié par l'expression peu heureuse de «langage opaque». En réalité, dans une tradition mallarméenne, l'auteur utilise des blancs qui ponctuent le déroulement des images: «je t'aime et le vent est comme une main creuse autour de la maison de thé le vent est dur qui soutient le vol qui repousse dans l'arbre l'orgasme des feuilles...» Beaucoup plus forts que les silences en musique, ces blancs empêchent le lecteur d'en rester à la recherche routinière du sens et l'obligent à s'arrêter sur le mot pour en découvrir les virtualités, la polyvalence. On ne saurait cependant réduire à un système l'art d'un poète qui sait à la perfection «user des mots», de leur assemblage et de leur «au-delà».
Du 15 avril au 6 juin 2010
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Ben oui, il me fallait ça, je peaufine les derniers effets de derme, d'épiderme, je peaufine ma peau de lapin en argile. 12 peintures viennent de naître, comme une nuée de mouches sur la plaie.
Je glisse au long de mes veines bleutées, je m'enfonce au creux de moi-même.
9 peintures en forme de poliptyque 46x 27 acry et marouflage sur toile, je peaufine les 3 dernières qui seront ajoutées à cet ensemble
La peinture n'est pas douloureuse, le bloc opératoire un peu crade, l'infection guette mon pinceau, le certain vert envahit l'espace. Pas de cris , juste la musique de Schubert. Une Sonata.
Voici comment je peux me définir aujourd'hui.
A la recherche de mes ligaments, je fouille dans les poubelles de ma tête. J'ai déjà retrouver les stigmates d'une trépanation..je ne désespère pas de découvrir entre 2 boites de sardines à l'huile et piments, une partie de mes ligaments croisés.
triptyque au genou de gegout 46x27x3 acry et marouflage sur toile
En attendant cet instant je peins de biens tristes auto-portraits aux membres triturés, voici le dernier en sorte d'exutoire.