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La petite palestinienne,

 

 

Mon cœur se resserre, s'attriste, s'endeuille.

Hier une petite palestinienne a été tuée dans

un camps de réfugiés.

Une grande enfance, dont la peau était brune,

la chevelure nattée acajou,

 s'en est allée,

 a cessé à jamais de respirer.

Était-ce Naïma, Nejma ou Laïla, qu'importe ?!

Je sais seulement que ses pensées étaient bleues

à l'instar de la mer,

sur cette terre ensanglantée et sombre.

Ses pensées avec le soleil copinaient.

Aujourd'hui, une clarté manque déjà  à la terre, une chaleur ;

 l'océan s'assombrit, rétrécit .......

La petite fille, vêtue de blanc, est tombée d'un coup,

sur le sol éventré, non sans grâce, en silence ;

pas même un cri ne s'est échappé d'elle, pas le temps !

Près d'elle, une autre grande enfance,

 était agenouillée et recueillie, en larmes,

 bouche bée !

Tout en blondeur et menue, elle s'appelait Sarah,

était israélienne, tremblait.

Chacun de ses mots adressé à l'inanimée,

était une rose, ou bien un lys !

Elle est restée là, jusqu'à l'aube ;

elles étaient si complices, proches.

Presque des sœurs.

Alentour tout s'était tu,

tombait sur elles une pluie de lumière ;

alors, j'ai planté sur cette terre buvard,

un très grand drapeau vert,

celui de l'univers,

vers lequel, une blanche colombe s'élançait,

pour enfin s'y poser, y rester, s'imposer !

L'arbre unique de la Paix.

Alors, Sarah sur la pointe des pieds,

 s'en est allée, discrète ;

A jamais un point lumineux, une étoile.

Depuis, sur l'enfant inanimée et brune,

s'épanouissent, respirent et s'éternisent,

des roses, des lys blancs.

Il fait bleu.

J'écris de plus en plus clair.

Les temps sont mélangés,

tant je suis bouleversée.

NINA

 

 

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À Sainte-Anne-de-Bellevue.Québec

Photos-2014 0022

 

 

 Certes éblouissant, enchanteur,

Est l'espace qu'offre Sainte-Anne

Quand longeant le fleuve, on y flâne,

Enviant les navigateurs.

Les bateaux blancs, nombreux l'été,

S'attardent au quai avant l'écluse.

Leur luxe quelquefois méduse,

Il évoque la volupté.

Les promeneurs, les jours fériés,

Déambulent sur les deux rives.

Dans les restaurants, on s'active,

Offrant des menus variés.

Puis, à la tombée du soleil,

Sur l'eau et dans le ciel immense,

S'installe la magnificence,

Qui cause un trouble sans pareil.

21 juillet 2014

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Un grand écrivain.

 

Il est temps de faire une fin, comme on dit. J’ai 70 ans depuis hier. Encore un âge à chiffres ronds. J’ai eu 20 ans, l’âge de la mort de l’adolescent. 40 ans, l’âge des remises en question. 60 ans, celui de la pleine maturité. Celui que j’ai aujourd’hui est de toute évidence mon passeport pour l’éternité !

Je vis seul depuis vingt ans. Ma femme est morte, jamais je n’ai pensé à vivre avec une autre. Une épouse qu’on a aimé, ce n’est pas un livre qu’on referme pour en ouvrir un autre.

Le sexe ? Au début, je m’étais procuré par l’entremise d’un site spécialisé un mannequin, une sorte de poupée d’un mètre soixante de hauteur qui avait toute l’apparence d’une femme véritable.

Je ne m’en suis jamais servi. Je l’ai conservé très longtemps. Un jour, je l’ai découpé en petits morceaux et je m’en suis débarrassé. A un certain âge, les pulsions sexuelles s’émoussent. On peut  passer pour chaste et l’être effectivement sans gros efforts.

En réalité, je n’ai jamais compris la chasteté qu’on affiche par fidélité à la femme décédée. Ou de l’amant disparu.

Il m’est arrivé de tromper Henriette mais je n’aurais pu vivre avec une autre qu’elle. Je ne crois pas ceux qui prétendent n’avoir jamais succombé aux charmes d’une femme séduisante.

Je suis un écrivain. Mes lecteurs ne sont pas nombreux mais ils sont d’une grande qualité. Ils attendent mon prochain livre. A chaque fois, ils attendent mon prochain livre. Aujourd’hui leur grande qualité a un goût un peu acide.

Un jour, mon ami Delcourt est venu me faire une proposition.

- Ecoutes, Jacques. Marc veut lancer une petite revue hebdomadaire. De l’importance d’une brochure. Bon marché. On y parlera de livres, de ceux qu’il vend en particulier, et, c’est la nouveauté, la dernière page sera consacrée à une nouvelle écrite par un écrivain connu. J’ai pensé à toi.

Henri secondait Marc Lambin, le propriétaire d’une grande librairie très courue.

- Il aime Faulkner, la revue s’intitulera : Mosquito. C’est moi qui suis chargé des textes hors ceux qui promeuvent les livres. Tu seras payé, bien sûr. Pas des masses mais …

J’ai accepté. Il y avait longtemps que je ne voyais plus mon nom sur la couverture d’un livre ou au bas d’un texte. J’ai pensé que c’était une occasion à saisir. La dernière page. La page de couverture, celle que le lecteur compulse en premier lieu.

J’imaginais déjà la surprise d’Henri, de Marc lui-même, devant ce qui serait une sorte de testament spirituel dans lequel je dirais les choses qui comptent avec des mots qui frappent. Des phrases au bout desquelles le lecteur lèvera les yeux au ciel pour réfléchir. Peut être même qu’il se retiendra de pleurer.  Henri m’avait réservé quatre semaines, quatre pages. J’avais huit jour pour rédiger la première, la dernière sera vraisemblablement le dernier chapitre d’un texte profond, et celui d’une vie.

Je passais beaucoup de temps devant mon ordinateur. Aucun des textes que j’écrivais ne survivait à une relecture. C’était banal, j’effaçais. Je recommençais à nouveau, j’effaçais encore. Parfois, je ne me relisais pas. Peine perdue. En me levant, avant même de me raser, je relisais ce qui subsistait de la veille. Et j’effaçais.

Le jour où Henri allait venir pour chercher mon texte, je n’avais rien à lui remettre. J’étais paniqué. C’était reconnaître l’indigence de mon imagination et la mort de l’écrivain que j’avais été.

Presque de force, je me suis assis devant mon clavier, et j’ai commencé à taper. Pour l’amour d’une femme, c’est le titre qui m’était venu à l’esprit.

«  Ce jour là, Dieu sait pour quelle raison, Suzanne était entrée au Majestic, et s’était assise dans un des siège d’où on pouvait voir entrer les clients.

Vers trois heures de l’après-midi, elle était assise depuis vingt minutes à peine, Roland poussait la porte battante de l’entrée suivi du porteur de bagage.

Il y eut comme un éblouissement dans les regards croisés qu’ils échangèrent.

Une demi-heure auparavant, ils ne savaient rien l’un de l’autre, et voilà que c’était comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ils savaient l’essentiel l’un de l’autre. Que faut-il connaitre de plus dans la vie que le chemin qui désormais s’ouvre devant vous ?

Roland s’était dirigé vers elle. Suzanne s’était levée lentement comme si elle avait été mue par une force intérieure irrésistible. Il lui saisit les mains et s’inclina. Le hall, si bruyant un instant auparavant était devenu aussi silencieux que la nef d’une église. Chacun  des personnages qui s’y trouvaient s’était figé dans son attitude. On eut dit des statues. De celles dont un mage aurait sculpté les personnages d’un théâtre où l’amour régnait en maitre. Seul.

- Venez ; dit-il. Tu es belle, tu sais.

Ses yeux brillaient d’un éclat dont elle devinait la raison. Le désir du premier homme pour la première femme. Elle était prête à s’y soumettre. Son corps lui dictait ses attentes.   

Ils se dirigèrent vers l’ascenseur qui menait aux chambres. Le brouhaha soudain avait repris. Mais tout le monde les regardait et se posait la question ;

- Que va-t-il se passer ? »  

C’est le texte glissé dans une enveloppe de papier kraft que je remis à Henri. Il n’eut pas la curiosité de le lire.

- Je suis déjà en retard.

J’avais signé, en signe de dérision : Daphnée de Delly.

Peu de temps auparavant, pour meubler des périodes d’inaction de plus en plus fréquentes j’ai commencé à compulser des sites sur Internet. Sites d’inconnus ou d’institutions. De temps à autres,  je compulsais le site de la Bibliothèque Royale. Elle était en train de numériser ses archives.

Un jour, surprise ! Sous un numéro d’enregistrement, mon nom m’est apparu, daté de 1946. Il s’agissait d’une nouvelle envoyée à une revue qui l’avait mise; disait-elle, en attente. Malheureusement, avant même que ma nouvelle n’ait été publiée, la revue avait cessé de paraître faute de liquidités. Le fonds avait été repris par la Bibliothèque Royale.

Le titre de la nouvelle était : L’amour d’une femme. J’étais âgé de 25 ans en 1946. Ma première œuvre avait été une histoire d’amour. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer.

Une idée m’était venue. Pourquoi le texte d’un écrivain âgé devait il évoquer l’expérience ou la réflexion d’une vie ? Toutes les vies se valent. Toutes les réflexions se valent. Ce serait le sens de du texte promis à Henri. Une sorte de testament spirituel. J’y ai travaillé toute la semaine. Sans résultat satisfaisant. C’était mièvre. Quant à la nouvelle que j’avais remise à Henri, personne, au sein de la rédaction de la revue, ne s’était aperçu de ce que j’avais substitué au texte qu’ils attendaient un texte à la facture et au ton tout à fait différents.

Soit, me dis-je, cela me donne une semaine de plus. Et, en une demi-heure à peine, j’ai donné une suite à l’amour d’une femme. Daphnée de Delly venait de me sauver une fois de plus.

« Le serveur avait apporté une bouteille de Bollinger. Roland lui avait fait signe de sortir. Il était aux côtés de Suzanne, et tous les deux contemplaient la Méditerranée du haut de leur balcon. L’air était doux. »

Puis, je résume, il se passait quelque chose qui nécessitait quatre à cinq lignes.

« Tous les deux s’étaient approchés du lit princier dont une femme de chambre avait relevé les draps. » 

Glissé dans une enveloppe de papier kraft, format A4, je l’ai remise à Henri.

-Navré, je ne peux pas rester Jacques, l’imprimeur n’attend pas.

En se retournant, il me dit :

- Merci, Jacques. Merci. Je savais bien que j’avais frappé à la bonne porte.

Je pris la décision de lui dire la vérité dès qu’il reviendrait. Soit pour rompre à jamais avec moi, soit pour prendre le texte de la troisième semaine. Celui pour lequel il avait, comme il le disait, frappé à la bonne porte.

C’est quoi l’inspiration ? Sait-on comment elle vient, la question m’éblouit à proprement parler en passant devant l’armoire ans laquelle je rangeais des livres, des dossiers, des photos et des objets auxquels je tenais ou croyais tenir.

Henriette m’avait acheté une vieille bible qu’elle avait trouvée lors d’une brocante. Elle datait de 1885, le titre et le dos portait la mention : bible, en lettres d’or. Je ne voyais plus qu’elle. 

Tout de la vie des êtres humains se trouve dans des textes anciens : Bible, ancien et nouveau testament, le cantique des cantiques, etc. Mais les lecteurs y cherchent ce qui ne s’y trouve pas. Il faut se rendre à l’évidence, c’est le même roman que les écrivains réécrivent à chaque génération.

Une vulgaire copie. Amour et mort. Les hommes, en gros, se ressemblent depuis la nuit des temps. Dieu, pour ceux qui y croient, n’a pas eu beaucoup d’imagination. Si les récits sont mièvres, c’est que les faits le sont.

Henri était toujours aussi pressé. L’imprimeur ; disait-il.

- Il faut que je te parle, Henri.

- Oui ?

Il s’était assis en face de moi. Je le voyais, il avait soudain conscience de la solennité du moment. Henri et moi, nous sommes des amis de toujours. Il y avait dix ans de différence entre nous mais je ne m’en suis rendu compte que peu de temps auparavant. Le jour, précisément, où il est venu me proposer de lui fournir de la copie pour Mosquito.

- Les textes que je t’ai fournis n’étaient pas de moi. En réalité, ils étaient de moi mais d’un autre moi. Ils étaient inspirés du jeune homme que j’ai été il y a longtemps.

- Oui ?

- Une bluette. Rien qu’une bluette. 

- Oui ?

Si tu l’avais lue, ou Marc ou dieu sait qui, vous me l’auriez jetée à la figure.

Henri s’était levé.

- Mais je l’ai lue, Marc l’a lue, des lecteurs et des lectrices nous ont téléphoné, le tirage de la semaine dernière semaine a augmenté de 20%. Tu comprends, Jacques. Les lecteurs et les lectrices en ont marre des crimes ou des autobiographies déguisées de gens qui disent tous la même chose. Ils veulent de l’amour. De l’amour, pas des histoires de fesses qu’ils connaissent parfois mieux que ceux qui les écrivent.

Il avait l’air angoissé.

- Dis, Jacques, tu m’as préparé le texte de la troisième semaine ?

- Mais…

Il prit une chaise et l’enfourcha, les bras croisés sur le dossier.

-Je ne partirai pas sans lui, Jacques. Même si je dois y passer la nuit.

Je me suis rassis devant l’ordinateur, et me suis remis à taper.

 

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Sans fleurs ni couronnes.

Echange épistolaire, sans coup de feu, bref mais orageux, entre deux personnes qui se sont aimées et déchirées à belles dents.

Elle :

A Loulou,

Missive incisive,

et canine.

Lui, lapidaire :

Vieille rosse,

A nos noces !

Mots l'air de rien assassins.

P.S. : l'auteur, souffrant de pancréatite aiguë, exprime sa bile.

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Le confort individuel

 

Soliloque

Comme on a chacun une vie,

Qui parfois brusquement s'arrête,

On éprouve toujours l'envie

D'une confiance parfaite.

Hélas! En dépit de la foi,

Quand une journée paraît belle,

Peut s'installer le désarroi,

Un feu se forme d'étincelles.

La mer glacée est caressante,

On s'y abandonne grisé.

Une énergie tourbillonnante

Entraîne au fond un corps brisé.

Imprévisible, le destin

Au cours du temps, comble ou épargne.

Il nous convie à un festin

Ou nous manifeste sa hargne.

La nature abonde en splendeurs

Elle incite à la poésie,

Met un baume sur la douleur,

Fait que l'on vénère la vie.

Il faudrait s'occuper de soi,

Ne plus se soucier des autres.

Nous tentons d'opter pour ce choix.

En restant attachés aux nôtres.

Grâce à des efforts, on occulte

Sauvageries et cruautés

Et l'on fait du confort un culte,

Afin d'être heureux d'exister.

19 juillet 2014

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Dans mon jardinet, au couchant

 

Photos-2014-0061.JPG

Je me sens habitée le soir,

À l'extérieur restant passive,

Par une grâce qui ravive

Ma joie de vivre et mon espoir.

Le ciel illimité m'attire

En un espace lumineux,

Qui se révèle somptueux

Alors que le couchant s'étire.

La splendeur de divins tableaux

M'exalte en se renouvelant.

Le spectacle est ensorcelant.

Je le reçois comme un cadeau.

Ma petite rue est déserte.

Les gens restent cloîtrés chez eux.

Un jour chargé rend paresseux.

Ils ne ressentent pas de perte.

Quand le long enchantement cesse,

Je reste au frais paisiblement.

Il ne fait pas sombre vraiment,

J'accueille un courant de tendresse.

19 juillet 2014

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Emissaire de paix JGobert

Petit émissaire créé par les fées pour visiter le monde, je parcours les continents, les mers, les endroits les plus isolés, dans les régions les plus lointaines.  Mes pouvoirs sont illimités et incroyables pour les mortels.  Je sonde les âmes et les cœurs et m'introduis au plus profond de tous ces êtres . J'entrevois ainsi chaque parcelle de vie où qu'elle soit pour en rendre compte dans le grand livre de la vie.  Chaque être est ainsi connu, reconnu dans son contexte, dans  le déroulement de la vie et en fait un maillon important pour l'univers.
Je voyage dans le ciel sur un fil d 'or et d'argent. Ce fil est attaché à d'autres bien plus importants et rejoint ainsi l'univers tout entier. Ce fil me relie à une toile infinie. Celle-ci reprend la terre et d'autres planètes. J'ai des frères comme moi un peu partout et notre nombre est notre force.
Nous ne sommes pas belliqueux et notre bonté est une de nos qualités essentielles.
 
Mais j'entends des cris, des gémissements d'enfants sous le bruit sourd des bombes. Des hommes tuent d'autres hommes et font pleurer des femmes et des enfants. Leurs pleurs, leurs douleurs m'atteignent en pleine face et me figent sur place sur ce fil d'or et d'argent.  Incapable d'avancer et de comprendre ce qu'il se passe dans ce coin de terre, où les armes n'arrêtent pas de tuer. J'entends des cris dissimilés sous les gravas et les petits corps mourant respirer à peine.
J'hurle à mon tour d'un cri qui déchire le monde et qui monte rejoindre mes frères qui, à leur tour, hurlent et ne comprennent pas pourquoi.
Pourquoi les innocents doivent ils payer ? Mais personne ne répond, n'entend nos cris, ni ceux de ces enfants mourant. Les fées nous ont-elles menti quand à notre pouvoir de sonder les âmes et les cœurs et de rependre la bonté. Notre mission est-elle si peu importante ? Avons-nous donc si peu de pouvoir que personne ne bouge? Nos cris sont ils si faibles dans ce monde face à des forces de mort ? 
Mon fil se déchire lentement sur cette partie de terre où les plus faibles sont touchés. La bonté fuit et je ne peux la rattraper. Ma mission est perdue et mon fil cassé. Je tombe vers eux et avec eux pour m'éteindre à jamais. Les fées m'ont menti. Je ne suis pas l'émissaire de bonté et de paix.
 
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Des funérailles mémorables.

 

 

 

Nous étions nombreux : des parents, des amis et des  retraités. Sans parler d’un club sportif qui avait envoyé un représentant. Depuis longtemps nous ne fréquentions plus ses installations sportives mais nous avions continué de payer notre cotisation. Ce n’est pas comme certains qui cessent de payer leur cotisation dès qu’ils n’ont plus l’occasion de jouir des installations du club ou des facilités du bar.

Albert que nous enterrions ce jour là avait 83 ans. Il avait eu un malaise, il avait tenté de se retenir au buffet, il avait glissé et sa tête avait heurté le coin du meuble.

Heureusement un de ses gendres était médecin. Averti par sa belle-mère il était accouru immédiatement après avoir, l’habitude sans doute, appelé l’ambulance qui transporta Albert dans l’hôpital le  plus renommé de la ville. Celui qu’Albert aurait d’ailleurs choisi s’il avait pu choisir. Un de ses fils, médecin lui aussi, y envoyait également ses patients. Il n’y eut donc pas de controverse.

Albert ne s’était plus réveillé à l’exception de trois courtes périodes durant lesquelles il s’était exprimé. La première fois, il avait dit : où sont mes cigarettes ? La seconde fois, deux jours plus tard, il avait dit : c’est toi ?, en reconnaissant sa femme.

 Emue et en larmes, elle avait répondu : c’est moi mais il avait refermé les yeux.

Inutile de décrire l’indécision de ses proches qui passaient tour à tour de la résignation à l’espoir. Une dernière fois, c’était un samedi, vers deux heures de l’après-midi, il avait ouvert la bouche. Son gendre, sa fille et une de ses petites filles avaient penché leur visage.

- Merde alors !

Ce furent les derniers mots d’un homme dont je peux affirmer qu’il surveillait son langage.

- Il n’en a plus pour longtemps.

 Le médecin de l’hôpital avait raison. Deux jours plus tard son gendre rédigea le faire-part. Lui seul, profession oblige, avait conservé son sang-froid et pris sur lui la charge des démarches à faire.

 Quoi qu’on puisse penser : enterrer ou incinérer, sous le regard de dieu ou celui du grand architecte, il s’agit d’une organisation qui demande de la réflexion et un esprit de synthèse digne de celui d’un ingénieur.

Les vrais vieux n’étaient pas nombreux aux funérailles. Il y avait surtout les jeunes, ceux qui avaient moins de soixante ans, leurs enfants et les amis de leurs enfants. Albert avait toujours rêvé d’être un patriarche avec sa famille tout entière autour de lui. La mort lui avait accordé ce qui était peut être à la fois sa dernière volonté et sa volonté de toujours.  Beaucoup de ceux qui étaient absents l’étaient malgré eux. Ils étaient morts avant lui.

Ce fut une très belle cérémonie pleine de componction.

Dans une salle attenante au crématoire, il y avait du café et des sandwiches. Puis, les invités avaient étés invités dans un restaurant à la mode pour y entourer la veuve d’Albert que sa fille et son gendre, le médecin, ramèneraient chez elle après le repas.

Edouard, un de fils du médecin, qui avait un sens particulier de l’humour glissa

- Ils ont une tête d’enterrement.

On fit semblant de ne pas l’entendre.

J’étais probablement le plus attentif. J’avais le sentiment d’assister à la répétition générale d’un spectacle dont je serais bientôt le héros. 

Les funérailles ouvrent l’appétit. Arnaud, le gendre médecin, avait  concocté un menu équilibré accompagné d’eau pétillante et d’eau naturelle.

C’eut été parfait si Edouard n’avait pas commandé un whisky à titre d’apéritif. Apéritif que commanda Pierre lui aussi mais un whisky de quinze ans d’âge, le repas, devinait-il, serait repris dans ses frais.

Les femmes à l’exception de la veuve, se contentèrent d’un Martini.

- Avez-vous une préférence pour les vins ?

Edouard ajouta :

- Je ne parle pas de champagne. Celui qui s’imposerait serait du «Veuve Cliquot ».

C’est souvent de cette manière que finissent les funérailles. A la fin du repas les joues étaient rouges et les plaisanteries assez vertes. Albert tout compte fait, je le savais, aurait apprécié.

Moi, je mourrai en faisant un dernier mot d’esprit. Je l’avais noté sur un petit carnet.

Mort aux cons !

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Ecris moi

 

Ecris moi des mots chauds

Comme des libellules

Des ailes dans le dos

Et des rires crapules.

 

Ecris moi, toi le grand

Des chants comme des bulles

Des loups à grandes dents

Qui font peur et bousculent.

 

Ecris moi des poèmes

Qui sentent le bonbon

Assez simples quand même

Une fête aux marrons.

 

Ecris rien que pour moi

Des choses rigolotes

Pour que l’hiver, le froid,

Ne donnent la tremblote.

 

Ecris moi que j’ai peur

Des contes de sorcières

Qui se noient dans les fleurs

Et la mousse des bières.

 

Ecris moi des princesses

Et des princes charmants

Que l’amour tient en laisse

Et donne des enfants.

 

Ecris moi ça Papa

Et fait briller la lune

Dans le creux de tes bras

La plus belle fortune !

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A l'occasion de l'inauguration de la Foire de Bruxelles ce 19 juillet, la députée Marion Lemesre qui ouvre officiellement les festivités in situ, a posté sur sa page Facebook le poème que voici, en hommage aux forains :

Du forain, elle disait, un gaillard bâti comme... toujours

elle ajoutait, je l'aurais tué cet homme...

Comme un géant qui aurait le crâne chauve et luisant,

la nuque courte, un singlet de coton écru, des mains de bateleur

Comme ça, pour rien

A force, peut-être...

Tous les étés, le long du boulevard du Midi,

de la porte de Hal à la porte de Ninove

Tous les étés de l'enfance, la nuit

Quand elle disait, le manège des balançoires à chaînes... sa voix

se brisait

C'était le premier carrousel de la foire. Chaque année, il occupait

le même emplacement. Avec son limonaire et ses commandes

semi-manuelles, il faisait vieillot aux côtés des attractions importées

d'Amérique

C'était un après-midi torride

Elle devait porter une robe claire, un modèle de l'été, corsage ajusté,

taille prise dans une large ceinture, jupe plissé soleil descendant à mi

mollets. Dans les cheveux, un turban assorti à la robe. Souvent

Elle avait la beauté des stars de cinéma de l'après-guerre 

L'après-midi n'est pas le vrai temps de la foire

L'enfant le savait

Le forain encagé derrière les longues chaînes verticales des balançoires

immobiles, somnolait les mains posées sur les poignées de cuivre qui

actionnaient la mécanisme du carrousel

Elle s'approcha, lui parla, le paya

Un tour, un adulte, un enfant...

Le manège rien que pour eux

L'enfant aurait préféré plus tard. Dans la nuit du boulevard, quand

la foule, les rires, les airs de musique, les tirs à la carabine Quand

c'est vraiment la foire

Cascade de coups sur la caisse claire, ouverture percutante de

l'orgue limonaire

Au début...

sûr qu'elle devait tenir la balançoire de l'enfant serrée contre la sienne,

le carrousel se déployer lentement, ouvrant à chaque tour davantage

ses plis métalliques,

la rengaine de l'orgue s'égrener dans l'air chaud du boulevard

l'enfant faire effort pour se maintenir au fond du siège trop grand de la

nacelle et être dans cet état indivis de désir et de crainte du moment

tout proche où le manège tournerait à plein régime

Le forain pesait de tout son poids sur les leviers de commandes, déjà

presqu'à bout de course

Elle voyait,

sa jupe battre contre ses jambes nues...

les balançoires vides tournoyer au-dessus de leurs têtes... 

l'enfant glisser sous la barre de protection, lente esquive  du petit corps

le vide...

Elle hurlait qu'elle ne pourrait le retenir, qu'il lui échappait, qu'il allait...

Elle suppliait le forain d'arrêter son manège tandis que les nacelles

s'entrechoquaient en d'effroyables ferraillements

Elle implorait cet homme aveugle et sourd

Un bohémien, bien sûr !

Aux oreilles de l'ogre infanticide, l'orgue de Barbarie continuait de

débiter ses morceaux de musique. Le tempo du ragtime ne s'infléchit

jamais d'un cri, d'un hurlement d'une supplique. Ne se clôt qu'à la fin

de son orbe, au détour d'une ultime syncope

Sitôt le limonaire muet, le forain actionna les commandes de freins

S'immobilisa

L'enfant sauta à terre, il riait. L'homme lui caressa la tête, en souriant

Et pourtant,

des forains, elle disait...

et que sa robe était en charpie

in, De Clercq, Jacqueline, "Courts Circuits, haute tension", Maison de la Poésie d'Amay, coll. Traverses, 1996.

 

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Un homme de théâtre à Varsovie

   

Wladislaw Borowski était directeur de théâtre à Varsovie avant la dernière guerre. Jamais mon père ni ma mère n’ont prononcé son nom devant moi. C’était une sorte de tabou qu’ils observaient par respect pour ma grand-mère dont les cendres avaient flottées, je l’imagine, au-dessus d’Oswiecim, Auschwitz en français.

Il devait s’agir du frère de mon père. Il avait quitté la maison familiale, celle de ma grand-mère paternelle, parce qu’il était devenu amoureux d’une jeune fille qui n’était pas juive, et qu’il voulait l’épouser. Ma grand-mère, ais-je appris plus tard, refusait même d’entendre le nom de cette jeune fille qui n’était pas juive.

- Tout. Mais épouser, jamais. Un jour, c’est elle qui le désignera au bourreau qui le mettra sur le bûcher.

Je sais désormais d’où me vient cette vocation d’homme de théâtre qui a rempli toute ma vie jusqu’à ce jour. Mon père était cordonnier, mon grand-père était un petit marchand forain, mon arrière grand-père était un simple artisan. Personne dans mon ascendance ne s’intéressait aux arts.

Il m’arrive, par fatuité sans doute, de lire ce que dit Google à mon sujet.

Un jour, parmi d’autres Borowski, j’ai lu le nom d’un Wladislaw Borowski, homme de théâtre à Varsovie, mort durant la révolte du ghetto. La mention était reprise d’un texte publié sur un site de recherche généalogique.

Sur le site lui-même, sa personnalité était plus détaillée. Le lieu de sa naissance, le nom de ses parents, celui de son épouse, elle était la nièce d’un membre de l’épiscopat polonais, tout confirmait qu’il était ce frère que la mère qui l’avait rejeté se mourrait de ne plus voir. Cet homme que je découvrais, cet homme qui était mon oncle et qui comme moi, était un homme de théâtre. La transmission des gènes emprunte des chemins erratiques.

Faire du théâtre dans le ghetto de Varsovie durant le temps qui avait abouti à l’anéantissement des juifs du ghetto !

Quel théâtre ? Avec quels comédiens ? Dans quels décors ? C’est vrai que lorsque l’inspiration vous submerge, peu importe le lieu ou les comédiens. Peu importe qu’il y ait ou non des spectateurs. Un seul suffit pour constituer cet auditoire qui est à la fois votre adversaire et le miroir de votre talent, parfois de votre génie. Je n’arrêtais plus de penser à lui.

J’avais retrouvé une ancienne photographie qui représentait deux hommes devant la tombe de mon grand-père. L’un d’eux était mon père, sa casquette à la main. L’autre, un homme élégant, avait des traits que je retrouvais sur des photos que Cécile avait faites de moi lorsque nous vivions ensemble.

Je me demandais ce que j’aurais fait si c’est moi qui m’étais appelé Wladislaw, qui avais vécu dans le ghetto de Varsovie pendant que l’on parquait les juifs avant de les assassiner.

Du théâtre classique comme si de rien n’était, Shakespeare pour sa dimension tragique ? Une comédie pour un rire d’espoir ou de dérision ? Tout était possible.

Et le décor ? Le décor, aujourd’hui, n’est plus qu’une convention que le cerveau du spectateur reconstitue. Et lui, Wladyslaw, comment faisait-il dans cet endroit qui servait de théâtre à l’arrière d’une brasserie ?

J’avais demandé à Jean, le propriétaire du théâtre qui donnait mes pièces, de me réserver la salle.

- Pour quand ?

- Bientôt. Je ne peux encore rien te dire.

Je voulais d’abord en parler à Cécile. J’imaginerais les situations, elle écrirait les textes. Son nom figurerait sur les affiches, c’était ma façon de lui manifester mon amour. En revanche, celui de Borowski, ce nom qui était le nôtre à mon oncle et à moi, emplirait la salle à lui tout seul.

Les spectateurs venaient pour Borowski. Les auteurs me chipotent parfois pour un soupir omis, pour une virgule oubliée qui est censée donner à la réplique le rythme qu’ils avaient prévu. Ils feraient mieux de me donner un texte brut. Même le cérémonial du salut exige d’être réglé par le metteur en scène.

J’ai fini par trouver. Pourquoi parler de malheur dans la maison des morts. Ce serait une pièce intemporelle comme j’aurais pu en monter ici. Une pièce intemporelle, dont le temps serait simultanément celui de hier et celui d’aujourd’hui, qui nierait le ghetto, qui nierait la guerre, qui s’adresserait à tout le monde.

Personne ne se préoccupait de savoir si Ulysse n’était pas en réalité l’histoire d’un homme trompé par sa femme pendant qu’il parcourt le monde mythologique. Pénélope, dit-on, recommençait son ouvrage tous les jours en l’attendant. Qui donc peut en jurer ? Aujourd’hui que l’infidélité est à la mode, on sait qu’il y a d’autres occupations que le tricot lorsque l’époux est absent trop longtemps.

Je monterai une pièce comme il l’aurait vraisemblablement montée dans le ghetto. Avec des comédiens amateurs qu’il aurait recrutés n’importe où.

Si l’un d’entre eux lui aurait fait défaut, la maladie, la prison ou la mort, il n’aurait eu qu’à ouvrir la porte qui donne sur la brasserie, et il aurait crié :

- Qui d’entre vous veut jouer la comédie ? Un rôle vient de se libérer.

Et quel rôle ! Il m’était apparu dans un rêve. Celui d’un juif, les joues creusées, les yeux enfoncés dans leur orbite, qui vous regarde sans vous voir, et que ses semblables, à l’exception de quelques uns, crucifieront parce qu’il leur promet le paradis au-delà de leur vie, et qu’il leur demande de s’aimer les uns les autres.

Deux pièces entremêlées montées parallèlement. Par mon oncle et par moi. Cécile, lorsque je m’étais allongé auprès d’elle m’avait dit :

- C’est insensé, Pierre. Que ton imagination alimente une pièce sur le ghetto, soit. Mais prétendre qu’elle est

montée par toi et par ton oncle Wladislaw mort il y a plus de soixante ans, c’est difficile à faire croire.

- Je ne serais pas le premier à être deux en un, la littérature est remplie de ces thèmes.

- En même temps peut être, successivement peut être, héritier d’un autre peut être ? Mais tous ces thèmes à la fois ?

Je le voyais bien, Cécile ne comprenait pas. Je dirai qu’il s’agirait de montrer à des spectateurs d’aujourd’hui une pièce qu’aurait pu monter un metteur en scène du ghetto avant ou pendant que le ghetto ne brule.

J’ai monté la pièce. Jean avait trouvé l’idée extraordinaire. J’envoyais au monde un message prophétique.

Les comédiens jouaient à l’avant-plan. A l’arrière il y avait un rideau de feu, quelques hommes qui tenaient une torche à la main.

Il y eut soudain un bruit de mitraillettes. Des soldats casqués avaient pénétré le théâtre et tiraient comme des fous. Un des comédiens, je devinais qu’il s’agissait de mon oncle Wladek, saisissait une torche et la jetait devant lui en criant.

Lorsque le théâtre a brulé, j’étais sur scène, côté cour. Les médecins de l’hôpital des grands brulés m’ont dit huit jours plus tard que j’avais refusé de me laisser emmener. Je criais :

- Vous ne m’aurez pas vivant.

 

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L'enfance de l'Art,

 

 

Trouver son Monde, le découvrir,

s'en emparer, l'offrir.

Ce monde en soi est à l'évidence,

une transparence,

Une porte bleue ou verte qui s'entrebaille,

puis s'ouvre sur ce Monde,

 qui dès notre naissance nous est montré.

Cette intériorité est une rivière déversée

dans l'océan planétaire,

 rempli de sang et d'encre tout à la fois,

 dès lors qu'elle s'exprime, nous délivre

et donc repousse les limites de la terre toute entière -

rivière et océan étant indissociables ;

La poésie, la peinture, la musique,

 étant des langages, des géographies sublimes,

bien qu'accidentées, tourmentées,

et dont l'immatérielle chair de chacun,

 humanise  et désaltère le Monde,

 devenu alors un inépuisable jardin.

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Et un 6ème pour la route!

Et un 6ème accouchement: mon premier essai sociologique vient de paraitre: http://www.edilivre.com/les-sous-teckels-virginie-vanos.html
En ce moment, il n'est disponible que via le site d'Edilivre, mais début septembre, j'aurais mon propre stock d'exemplaires.
En espérant que mes réflexions acidulées vous fassent sourire, bondir, réfléchir.... ou entreprendre une mini-révolution personnelle!

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En raison du drame survenu en Ukraine, et par respect pour les victimes et leurs familles, je bloque jusqu'à dimanche prochain  20 heures les communications des membres sur le Réseau: ( billets, photos, vidéos, etc.)..

Je ferai paraître les posts déposés ce week-end par les membres dimanche 20 juillet dès 20 heures.

Robert Paul

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Le meilleur des lots

 

 

Selon ce que dit Baudelaire,

Par des fées, à des nouveaux-nés,

Des dons furent attribués

Parmi lesquels, celui de plaire.

...

Il précisa que l’un des pères,

Complètement déboussolé,

Et qui se montra désolé,

Ignorait ce qu'on peut en faire.

...

Or c'était le meilleur des lots,

Comme le pensait une fée,

Qui était certes fort sensée

Mais ne voulut ajouter mot.

...

Vit satisfait car il espère,

Souvent du début jusqu’au bout,

Celui qui possède l'atout,

Le pouvoir envié de plaire.

...

31 août 2004

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Un amour d'occasion.

Lorsqu’elle est venue chez moi, elle savait que nous ferions l’amour ce jour-là. C’était un dimanche après-midi. Elle est revenue le lendemain et depuis nous avions pris l’habitude de nous retrouver tous les lundis.

Au début de ce qui allait devenir notre liaison je ne l’attendais pas à proprement parler. Je savais seulement qu’elle viendrait. Parfois à trois heures, parfois plus tard, selon un emploi du temps qu’elle répartissait minutieusement avant de quitter son domicile.

Quant à moi, sa venue faisait partie des évènements ordinaires qui faisaient la substance de ma vie quotidienne d’alors. A cette époque, ma femme était morte  depuis près d’un an, tous les évènements avaient la même coloration, celle de certains films muets à la technique imparfaite où toutes les images se suivent sans que l’une plus que l’autre ne retienne l’attention.

Avant de venir elle téléphonait. Elle disait :

- C’est moi. Tu es libre ? Je serai chez toi dans un quart d’heure.

J’étais toujours libre. Et elle était toujours chez moi un quart d’heure plus tard.

Nous nous mettions au lit dès qu’elle arrivait. Ensuite je me rhabillais rapidement tandis qu’elle se rendait dans la salle de bain.

- Tu ne m’as jamais demandé si je me sentais bien, m’a-t-elle demandé un jour. C’est comme si tu faisais l’amour tout seul.

Elle avait raison. J’apaisais une soudaine tension de mon corps mais j’aurais pu tout aussi bien m’en passer. Ou le faire avec une autre. Avec elle, c’est vrai, c’était mieux : je ne sortais pas de chez moi, je ne sortais pas de moi-même.  

Un jour, son mari lui avait téléphoné, elle ne savait d’où, et ce détail l’avait longtemps préoccupé comme s’il pouvait expliquer quelque chose de plus, il lui avait dit : je pars, et elle avait compris aussitôt qu’il se séparait d’elle. Peut être que l’intuition féminine, c’est de s’attendre toujours au pire ?

C’était une jolie femme riante et sensuelle. Elle aimait plaire et elle excitait les regards et les corps. Peut être que le regard des hommes lui donnait le sentiment d’exister ? 

A partir de ce jour-là cependant ses joues si pleines et si lisses se creusèrent. Regarde, disait-elle, j’ai des rides là. Un soir, avant de me quitter, elle m’a demandé de l’accompagner à Paris.  

- Je m’occuperai de l’hôtel, dit-elle.

J’ai souri.

-Tu es une femme très organisée. Tu sais tout faire.

Je l’avais accompagnée à sa voiture.

- Embrasse-moi. Je t’apprendrai à vivre à nouveau.

Elle aurait dû rester, ce soir-là. Lorsqu’elle est partie je me suis senti seul pour la première fois depuis la mort de ma femme, et sur le lit encore défait c’est son odeur que j’ai cherché. Pour en retenir la chaleur, j’ai posé la main sur l’endroit que son corps avait occupé. 

- Tu m’aimes ? Lorsqu’elle m’a posé la question je suis resté silencieux. Je ne savais pas ce qu’il fallait répondre, je suppose que c’est parce que je ne l’aimais pas d’amour. Mais est-ce qu’on sait ce que c’est que l’amour ?

Désormais, elle venait aussi le dimanche et elle restait de plus en plus tard. Avant de venir, elle me téléphonait pour me dire qu’elle avait pu se libérer ou, quand elle ne venait pas, pour me dire qu’elle n’avait pas pu le faire.

Le soir, elle téléphonait pour dire qu’elle était bien rentrée ou pour savoir ce que j’avais fait de ce dimanche sans elle ? Je répondais : rien, parce qu’il ne se passait rien lorsqu’elle ne venait pas.

Nous nous retrouvions presque tous les jours. Sous n’importe quel prétexte, je me rendais chez elle. A l’exception du lundi et du dimanche où c’est elle, toujours, qui venait chez moi.

De plus en plus souvent cependant, j’éprouvais le sentiment d’être l’objet d’une étrange distorsion du temps. La semaine se partageait en deux parties distinctes. L’une m’intégrait peu à peu, ordinaire et paisible, dans sa vie quotidienne, l’autre dans l’isolement de ma maison se déployait dans la fièvre et le malaise.

Nous restions au lit de plus en plus longtemps. Même après nous être aimés nous attendions à nouveau cette faim qui venait de nos ventres, et s’il nous arrivait de nous lever, nous nous couvrions à peine. Nos corps, comme s’ils étaient devenus notre sexe commun étaient l’objet douloureux de notre attente. Et la nuit, après son départ, j’avais envie d’elle encore.     

Ce qu’elle a qualifié plus tard de notre liaison durait depuis près de six mois. Un jour elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle ne savait pas à quelle heure elle viendrait, et qu’il se pouvait qu’elle ne vienne pas du tout.

- Tu n’auras qu’à téléphoner.

Elle ne savait pas, a-t-elle dit, si elle pourrait me téléphoner pour me dire s’il fallait que je l’attende ou non. J’ai répondu que ça n’avait pas d’importance, que nous nous verrions le lendemain mais ma voix s’était faite véhémente et je répétais qu’on pouvait toujours trouver le temps de téléphoner.

- Je te dis que je ne sais pas si je pourrai le faire. D’ailleurs, je t’en ai parlé.

Sa voix était calme, pas plus froide qu’en d’autres circonstances où nous nous étions opposés. Peut-être moins.

- Mais pourquoi ?

Il me semblait soudain que cette question était la question capitale de ma vie.

- Pourquoi ? Pourquoi ?

J’étais sûr qu’elle hésitait et que si j’insistais, elle ne pourrait pas résister.

- En tout cas, je t’attendrai.

Je l’ai attendue comme je l’attendais tous les lundis mais je savais qu’elle ne viendrait pas. J’étais accoudé à la table de la cuisine, la porte du bureau était ouverte, c’est là que se trouvait le téléphone.

En réalité, je ne m’attendais pas à ce qu’il sonne et j’aurais pu tout aussi bien fermer la porte mais ce soir-là il était une partie de moi-même, et il m’était aussi nécessaire que chacun de mes membres pour m’aider à résister à cette étrange sensation que j’avais de ne plus exister.

De quoi donc m’avait-t-elle parlé à quoi je n’avais pas prêté suffisamment d’attention? Pourtant, elle me racontait tout dans les moindres détails. Même si son récit n’avait jamais de continuité apparente, souvent en l’écoutant j’avais l’impression de l’avoir accompagnée toute la journée jusqu’au moment où elle sonnait à ma porte.

Je ne parvenais pas à m’en souvenir. Pourtant, je le vois bien aujourd’hui, tout était important de ce qu’elle me disait. Elle a dû me dire, mais je ne l’avais pas entendu, que l’incohérence est l’ordre de la vie.

 

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