A l'occasion de l'inauguration de la Foire de Bruxelles ce 19 juillet, la députée Marion Lemesre qui ouvre officiellement les festivités in situ, a posté sur sa page Facebook le poème que voici, en hommage aux forains :
Du forain, elle disait, un gaillard bâti comme... toujours
elle ajoutait, je l'aurais tué cet homme...
Comme un géant qui aurait le crâne chauve et luisant,
la nuque courte, un singlet de coton écru, des mains de bateleur
Comme ça, pour rien
A force, peut-être...
Tous les étés, le long du boulevard du Midi,
de la porte de Hal à la porte de Ninove
Tous les étés de l'enfance, la nuit
Quand elle disait, le manège des balançoires à chaînes... sa voix
se brisait
C'était le premier carrousel de la foire. Chaque année, il occupait
le même emplacement. Avec son limonaire et ses commandes
semi-manuelles, il faisait vieillot aux côtés des attractions importées
d'Amérique
C'était un après-midi torride
Elle devait porter une robe claire, un modèle de l'été, corsage ajusté,
taille prise dans une large ceinture, jupe plissé soleil descendant à mi
mollets. Dans les cheveux, un turban assorti à la robe. Souvent
Elle avait la beauté des stars de cinéma de l'après-guerre
L'après-midi n'est pas le vrai temps de la foire
L'enfant le savait
Le forain encagé derrière les longues chaînes verticales des balançoires
immobiles, somnolait les mains posées sur les poignées de cuivre qui
actionnaient la mécanisme du carrousel
Elle s'approcha, lui parla, le paya
Un tour, un adulte, un enfant...
Le manège rien que pour eux
L'enfant aurait préféré plus tard. Dans la nuit du boulevard, quand
la foule, les rires, les airs de musique, les tirs à la carabine Quand
c'est vraiment la foire
Cascade de coups sur la caisse claire, ouverture percutante de
l'orgue limonaire
Au début...
sûr qu'elle devait tenir la balançoire de l'enfant serrée contre la sienne,
le carrousel se déployer lentement, ouvrant à chaque tour davantage
ses plis métalliques,
la rengaine de l'orgue s'égrener dans l'air chaud du boulevard
l'enfant faire effort pour se maintenir au fond du siège trop grand de la
nacelle et être dans cet état indivis de désir et de crainte du moment
tout proche où le manège tournerait à plein régime
Le forain pesait de tout son poids sur les leviers de commandes, déjà
presqu'à bout de course
Elle voyait,
sa jupe battre contre ses jambes nues...
les balançoires vides tournoyer au-dessus de leurs têtes...
l'enfant glisser sous la barre de protection, lente esquive du petit corps
le vide...
Elle hurlait qu'elle ne pourrait le retenir, qu'il lui échappait, qu'il allait...
Elle suppliait le forain d'arrêter son manège tandis que les nacelles
s'entrechoquaient en d'effroyables ferraillements
Elle implorait cet homme aveugle et sourd
Un bohémien, bien sûr !
Aux oreilles de l'ogre infanticide, l'orgue de Barbarie continuait de
débiter ses morceaux de musique. Le tempo du ragtime ne s'infléchit
jamais d'un cri, d'un hurlement d'une supplique. Ne se clôt qu'à la fin
de son orbe, au détour d'une ultime syncope
Sitôt le limonaire muet, le forain actionna les commandes de freins
S'immobilisa
L'enfant sauta à terre, il riait. L'homme lui caressa la tête, en souriant
Et pourtant,
des forains, elle disait...
et que sa robe était en charpie
in, De Clercq, Jacqueline, "Courts Circuits, haute tension", Maison de la Poésie d'Amay, coll. Traverses, 1996.
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