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La possession du monde

12272990672?profile=originalIl s’agit d’un essai de l'écrivain français Georges Duhamel (1884-1966), publié en 1919. Ecrit pendant la première guerre mondiale, ce livre est une suite de dix méditations: I "L'avenir du bonheur"; II "Richesse et pauvreté"; III "La possession d'autrui"; IV "A la découverte du monde"; V "Introduction à la vie lyrique"; VI "Douleur et Renoncement"; VII "Les réfugiés"; VIII "La recherche de la grâce"; IX "Apostolat"; X "Essai sur le règne du coeur".

Cet ensemble est écrit pour convier les hommes à la recherche de tout ce qui peut "alléger la détresse actuelle et future des mondes", à la recherche "des mobiles d'intérêt qui subsistent, pour l'âme, dans une existence harcelée de difficultés, de périls et de déceptions". Georges Duhamel nous invite à honorer plus que jamais les ressources incorruptibles de la vie intérieure. Purement spirituelle, la conquête, ici, comporte l'union la plus étroite avec la vie quotidienne et avec les joies que peuvent procurer ses jeux, ses spectacles, ses vicissitudes.

Sites, visages, caractères, autant de richesses inestimables pour qui s'avise d'en recueillir les signes chez soi ou chez autrui et d'en composer son trésor intime. Si la destruction, le désordre, la mort interrompent le dialogue familier que chacun poursuit avec la meilleure partie de lui-même, le présent demeure avec tout ce qu'il contient de profond, d'impérissable. La simplicité de l'auteur, la sincérité de son émotion, son style dépouillé et ferme, tout cela confère à son livre une chaleur touchante.

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Sammy Le bienheureux

 

J’ai fait la connaissance de Sammy Lebienheureux dans le magasin  que tenait mon père. J’y étais vendeur parce que je ne savais rien faire d’autre. J’étais davantage au courant des évènements qui se déroulaient en Union Soviétique ou en Chine. Les noms de  Jdanov, Mao-Tsé-toung et Chu en Lai m’étaient plus familiers que ceux de nos fournisseurs habituels.

Un jour que nous nous trouvions, mon père et moi, sur le seuil du magasin, il faisait très ensoleillé, nous étions en juillet, un monsieur qui portait deux pièces de tissus sur l’épaule, s’arrêta devant mon père.

- Comment va un juif ?

- Comme ci comme ça.

- Je reviendrai vous saluer si cela ne vous ennuie pas. Cette ville est une ville très bonne pour le commerce.

J’ai appris que Sammy était un marchand ambulant. Ses deux pièces de tissus sur l’épaule, il les achetait chez un grossiste, il sonnait aux portes et prétendait qu’il était un marin, qu’il avait perdu tout son argent aux cartes, et que pour rentrer chez lui, là-bas très loin, il était résigné à vendre une pièce de tissus anglais véritable au prix qu’on voudrait bien lui donner.

Il se trouvait toujours une âme généreuse pour lui acheter une de ces pièces de tissu anglais au prix d’un vulgaire chiffon qui rétrécira au premier lavage. Parfois, elle achetait les deux pièces si Sammy acceptait de réduire son prix. Personne n’était volé. Le prix donné n’était pas un prix convenable pour un tissu anglais mais le tissu anglais n’était pas anglais.

Il arrivait parfois, avait-il confié à mon père, que des veuves sans lui acheter une pièce de tissu dont elles n’avaient que faire lui ouvraient leur lit. Naturellement, il ne se faisait pas payer. Sammy ne paraissait pas d’une très grande intelligence mais il était manifestement robuste et honnête. En l’occurrence, c’était suffisant.

Mon père lui offrait un verre de thé brûlant qu’il serrait avec précaution entre ses mains jointes et qu’il buvait à petites lampées.

- Voyez-vous, je suis surpris qu’un juif puisse vivre ici, sans un juif à qui parler. Si vous n’étiez pas juif, je ne pourrais pas penser que vous l’êtes.

C’est vrai que de juifs, ici, il n’y avait que nous. Mais

je ne comprenais pas la nature de son raisonnement. Il  me paraissait soit irrationnel soit d’une profondeur singulière. Il me plongeait dans une aussi profonde perplexité que lorsque j’avais lu pour la première fois l’Etre et le Néant.

 Sammy appréciait ma présence. Celle d’un jeune homme qui avait vraisemblablement beaucoup à apprendre de la vie. Et Sammy avait beaucoup de choses à enseigner. Hélas, beaucoup de gens ignorent ce qu’ils ignorent de sorte que c’était parler en vain la plupart du temps.

Sammy nous rendit visite durant un an environ, il venait tous les lundis. Je suppose qu’il ne se reposait pas le reste de la semaine. Il y avait vraisemblablement d’autres villes de province qui disposaient d’amateurs de tissu anglais et de veuves en peine d’amour.

Surpris de ne plus le voir, il n’était plus venu depuis six mois, mon père  interrogea des marchands de tissus.

- Sammy Lebienheureux ? Tu es sûr qu’il s’agit d’un juif ?

L’un d’eux leva les bras au ciel.

- Shlomo, le grand con ? Pourquoi ne le disais-tu pas.

Il va très bien. Il ne vend plus des pièces de tissu comme un marchand ambulant mais des costumes pour hommes qu’il fait fabriquer par des tailleurs à domicile.

. Tu le connais ?

- Un peu. Dis-moi, il est marié ?

C’est une question quasi rituelle quand on se renseigne au sujet de quelqu’un.

- Tu es au courant alors ? Ne le répète pas. Il va épouser la femme d’Armand.

- Armand va divorcer ?

-.Non. Il va épouser la veuve d’Armand.

- Veuve ? Armand est mort ?

- Armand est très malade. Et il est très fortuné. Rita est un beau parti.

Deux ans plus tard mon père apprit que Sammy ne fabriquait plus de costumes. Il avait investi une partie de son argent, celui de Rita, dans deux magasins situés dans deux des artères les plus commerçantes de la ville.

Hésitant quant à la voie à suivre, les deux magasins étant rentables, l’argent qu’il gagna, plutôt que de le réinvestir dans ses affaires, il l’immobilisa dans les briques. Ce fut son premier appartement. Lorsqu’il en eut cinq, il cessa de vendre des vêtements pour vendre des appartements.

Au même moment, c’est un phénomène assez répandu, ses amis cessèrent de dire Shlomo le grand con.

Le temps s’est écoulé. Je croyais avoir oublié Sammy Lebienheureux. Mais quelques années plus tard j’ai rencontré un homme dont la silhouette était identique à la sienne et qui portait sur l’épaule deux pièces de tissus. Je me suis avancé, j’ai dit :

- Vous êtes Sammy Lebienheureux ? Vous me reconnaissez ?

Il a eu l’air surpris. Il a secoué la tête.

- Je m’appelle Salomon. Salomon Glichlich.

- Mais non ! Vous êtes Sammy. Vous possédez des magasins, des appartements, vous êtes fortuné, et votre épouse, la belle Rita…

- Pauvre garçon. Oui, oui, oui. Il me semble que je vous reconnais en effet. Vous êtes le jeune garçon dont m’avait parlé un juif de province. Un garçon rêveur, m’avait-il dit, qui rêvait d’écrire des histoires mais qui était incapable de distinguer le rêve de la réalité.

Des magasins, des appartements, pourquoi pas ? Cela ne doit pas être désagréable que d’être riche. Sais-t-on jamais. Quand je raconterai à ma femme, Dora, ma rencontre d’aujourd’hui, je suis certain qu’elle dira :

- Que Dieu vous entende !

 

Figure 1·  

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La quenotte perdue

 

 

portrait de cacao

Cacao, paraissant troublée,

Montre à sa mère la dent de lait

Qu’elle aurait bien pu avaler.

Il faut vite la consoler.

Rieuse, sa mère lui dit:

Tu étais pourtant avertie,

On perd ses dents quand on grandit.

Il en pousse d’autres. Souris!

Ces propos semblent rassurants;

Elle sourit à pleines dents.

Un peintre ami capte l'instant

Il dessine un portrait charmant

15 mai 2005

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Message de tendresse

 

 

Danie, j’aimerais t’embrasser,

Te dire des mots qui égayent,

Je suis loin de toi mais, tu sais,

L’énergie se transmet; j’essaye.

Quand le sort ,soudain, prend pour cible,

Un être que nous chérissons,

Lui inflige un état pénible,

Navrés, nous nous attendrissons.

Or, nous n’avons aucun recours,

Pour atténuer sa souffrance,

Sinon lui dire notre amour,

Porteur d’une douce espérance.

Te voilà condamnée au lit.

Sans doute accueillant la sagesse.

Dès que le courage faiblit,

Elle aide autant que la tendresse.

Comme les belles joies le font,

Les tristes torts s’ensevelissent.

L’oubli se veut parfois profond.

Viendront à toi d’autres délices!

5 novembre 2010

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La valse du temps



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Je, tu, il, nous vous elles,

sous un parapluie.

 

Je, tu, il, nous, vous, elles,

perdus dans la nuit.


Je, tu, il, nous, vous, elles,

sans aucune crainte.

 

Je, tu, il, nous, vous, elles,

valsant dans le vent.


Je, tu, il, nous, vous, elles,

passe, passe le temps!


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Dame Mélancolie

 

J’avais certes oublié Dame Mélancolie.

Elle me susurrait de douces mélodies

Et m’apportait un baume aux instants de souffrance.

Comment suis-je arrivée à tant d’indifférence?

Elle me susurrait de douces mélodies.

Mon âme s’apaisait, surprise et attendrie.

Comment suis-je arrivée à tant d’indifférence?

Dame Mélancolie avait ma préférence.

Mon âme s’apaisait, surprise et attendrie.

Comme elle m’entourait de soies, de broderies,

Dame mélancolie avait ma préférence.

Je l’accueillais émue même les jours de chance.

 

Comme elle m’entourait de soies, de broderies,

En ramenant à moi d’anciennes rêveries,

Je l’accueillais émue même les jours de chance.

Je la retrouverais ravie, dans le silence.

29/6/2005

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LESLIE BERTHET-LAVAL OU LE VERTIGE DE L’ANGE

L’Année 2014 s’ouvre par une très belle exposition intitulée DIFFERENTS REGARDS SUR L’ART : PEINTURES ET SCULPTURES, qui se tient dans le cadre du 26ème anniversaire d’ALZHEIMER BELGIQUE asbl, du 15-O1 au 02-02-14 à l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, Bruxelles 1050).

Cette exposition nous invite à découvrir l’œuvre de Madame LESLIE BERTHET-LEVAL, une peintre Française qui nous propose une vue personnelle d’une des plus hautes dimensions du surnaturel : celle de l’ANGE.

Par tous les siècles et dans toutes les cultures, la figure de l’ange a servi d’intermédiaire invisible entre l’humain et le divin, par le biais de formes les plus inattendues.

Le thème de l’ANGE se décline chez LESLIE BERTHET-LAVAL d’une façon qui abandonne le discours mythologique classique pour aborder les méandres d’une mythologie personnelle, laquelle comme toute mythologie qui se respecte, transforme le récit initial pour le restituer à mesure des fluctuations de son vécu et de sa sensibilité.

La signature de l’artiste se retrouve dans une écriture virevoltant dans un méandre labyrinthique à la géométrie axée principalement sur le module du cercle tantôt abouti, tantôt inachevé. Au centre de cette écriture faussement confuse et festive, la figure humaine évolue dans un cinétisme personnel, scintillant de mille couleurs, dans lequel les personnages se perdent et ressuscitent, émergeant du trait, conçu comme une infinité de sillons, à partir desquels la figure s’incarne dans son propre volume. (MES ANGES – huile sur toile – 165 x 260). 

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Cette communion entre trait et matière se perçoit surtout dans ce diptyque*
12272988466?profile=originalreprésentant un personnage en mouvement (panneau de gauche), répondant à un cheval bondissant (panneau de droite). Cette œuvre est une invocation au mouvement à l’intérieur duquel, le trait assurant la viabilité de l’action est précisé par un apport considérable de matière étalée au couteau assurant une totale mise en relief.

L’ensemble se présente comme un véritable réseau de pistes polychromées à dominante jaune, blanche et bleue, conférant à l’ensemble l’essence même du mouvement.

Entre les deux panneaux un rapport dialectique s’installe : le chromatisme de la  scène de droite répond à celui de la gauche. Les zones blanche et jaune du panneau de droite répondent à la haute note mauve parsemant la presque totalité du panneau de gauche.

Il est impératif de prendre son temps avec une artiste telle que LESLIE BERTHET-LAVAL, car une myriade de détails construisent le tableau, notamment cette foule de segments conçus à la matière étalée au tube (considéré par l’artiste comme le prolongement de sa main) qu’elle vide frénétiquement, d’un coup, lorsqu’elle crée « en apnée » comme elle le dit elle-même. Il s’agit, avant tout, d’une peinture intuitive que l’artiste amorce au fusain : l’ébauche de la courbe restée parfaitement visible sur la toile. Ce trait qu’elle exprime frénétiquement, met en exergue son incontournable talent de dessinatrice. Le trait, appuyé dans sa matière par le couteau, précise, explore les contours du corps en dynamisant le mouvement. Ce dernier galvanise à la fois la courbure du cheval (panneau de droite) ainsi que la posture du personnage du panneau opposé. Ce même mouvement a une fonction antithétique, en ce sens qu’il est formé de demi-cercles brisés en leur milieu (la séparation entre les deux panneaux). Le mouvement rotatoire de droite répond à celui de gauche exactement comme pour les couleurs. L’artiste puise également dans la culture iconographique du passé : la tête du cheval s’inspire de l’esthétique baroque de Rubens. 

Le mouvement ne peut à lui seul dynamiser l’espace de la toile. Il faut un autre élément qui le révèle au regard : la lumière.

La particularité de L’ANGE PORTEUR DE LUMIERE (huile sur toile – 150 x 50 cm)

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réside dans le fait que cette œuvre peut être regardée sous divers éclairages. L’artiste précise d’ailleurs que ce tableau a été conçu pour être observé la nuit. Et ce n’est nullement une fantaisie car cette étude est avant tout une réflexion sur la lumière en tant que matière à la fois tactile et visuelle : la lumière existant dans sa matière propre naissant du cœur de la nuit.

Le sujet même « baigne » pour ainsi dire dans la lumière : LUCIFER que les Romains associaient à Venus, l’étoile du matin et que le Livre d’Hénoch de la tradition biblique assimile à Satan (l’ange déchu).   

Même dans l’obscurité la plus dense, cette œuvre brille de tous ses feux car la  lumière transperce l’ombre faisant de sorte que l’image existe : il n’y a pas d’image sans lumière !

« Que la lumière soit et la lumière fut » n’est pas une banalité rhétorique. Elle est au centre d’un phénomène à la fois physique et philosophique : celui du visible.

Avec L’ANGE PORTEUR DE LUMIERE, tout brille, tant dans les couleurs que dans le trait accentuant la pose ainsi que le visage de l’ange. L’artiste a fait appel à un modèle pour prendre la pose voulue. De même qu’il a fallu un long travail de mémorisation concernant le dessin préparatoire pour pouvoir le restituer. Œuvre à dominante rouge, ce tableau marie une symphonie de tonalités audacieuses : le jaune, le violet, le bleu, le vert et le noir. Savamment agencés, ils sont portés au regard par la couche d’huile étalée à la brosse, révélant à l’œuvre le soleil qu’elle porte en son sein. Notons que la position des bras de l’ange rejoint celle du personnage du diptyque. Ils sont écartés, presque en signe d’accueil, terminés par des mains tendues dans un état de grâce. D’ailleurs, c’est l’état de grâce qui caractérise Lucifer. Il faut le considérer comme un ange baignant encore dans sa pureté originelle. Il se trouve au cœur d’une spiritualité en dehors des sentiers battus, car si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que Lucifer fut, au regard de la tradition biblique, la première créature souffrante. Une créature qui, en quelque sorte, préfigure l’Homme dans ses pulsions narcissiques.

Les anges de LESLIE BERTHET-LAVAL participent des ancêtres illuminant notre mémoire. Ils se manifestent dans nos rêves, transportés par le véhicule de l’imaginaire. Ils nous définissent et nous protègent. Bien que l’artiste s’émeuve devant les manifestations de spiritualité exprimées par les croyants de toutes confessions, ses propres anges sont issus d’un élan immanent, se nourrissant de problématiques universelles.

L’artiste qui affectionne l’huile, a travaillé souvent la nuit, la plupart du temps inspirée par la voix de Luc Arbogast, un chanteur du répertoire médiéval et classique, pour mieux s’imprégner de l’atmosphère du sacré.

C’est une autodidacte qui  a étudié l’architecture d’intérieur, ce qui lui a permis de se familiariser avec les plans, les courbes, les divers problèmes de perspective ainsi qu’avec le dessin qui (comme nous l’avons spécifié plus haut) la définit d’emblée.  

L’artiste fut initiée à la peinture par sa grand-mère, elle-même peintre. La restauration du patrimoine fait partie de ses intérêts les plus brûlants.

Formée sur le terrain, elle a participé à la restauration de nombreux sites, tels celui de la galerie Apollon du Louvre ainsi que ceux d’églises et de châteaux de la région lyonnaise.

Lumière et couleur sont pour elle synonymes d’énigmes et de vibrations. Ce qui a fini par influer sur des concepts tels que l’Impressionnisme qu’elle identifie à la pâte utilisée ainsi qu’à la préparation des couleurs et aux détails. Et à l’Expressionnisme qu’elle associe au sentiment impalpable qui nous renvoie à notre propre histoire.

C’est le propre des ANGES de LESLIE BERTHET-LAVAL qui sondent notre part divine. Ce sont nos pulsions originelles, qu’emporte au gré de la lumière, l’Ange dans un vertige de grâce.

François L. Speranza.

 

 

Une publication
Arts
 
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Lettres

 

N.-B.: 

Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.

         

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L'ange porteur de lumière (version nocturne)

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12272985674?profile=originalIl s'agit d'une oeuvre poétique de Pernette du Guillet (vers 1520-1545), publiée à Lyon chez Jean de Tournes en 1545.

 

Pernette du Guillet, qui rencontra Maurice Scève en 1536, entretint une courte liaison avec le poète, dont elle fut vraisemblablement la Délie. A l'instar des autres poètes de l'école lyonnaise, elle cultive un éclectisme qui réunit les influences néoplatoniciennes, le pétrarquisme et la veine marotique.

 

Son oeuvre poétique, très brève, publiée par les soins d'Antoine du Moulin, humaniste lyonnais, se compose de 57 pièces hétéroclites: des épigrammes _ chansons, un long poème allégorique et un «coq à l'asne» proche des fatrasies médiévales. La plupart de ces poèmes chantent les louanges d'un amant «éloquent», riche d'un «hault sçavoir», et insistent sur la nécessité de maintenir l'amour dans les limites de l'honneur et de la chasteté.

 

Comme Maurice Scève, Pernette du Guillet attribue à l'amour un pouvoir de transmutation morale: «Car quand Amour à Vertu est uny, / Le coeur conçoit un désir infiny, / Qui tousjours desire / Tout bien hault et sainct.»

Conformément aux théories néoplatoniciennes, l'union de l'amour et de la vertu s'épanouit en connaissance: le coeur jouit alors d'un «hault sçavoir» où il trouve, loin du vulgaire, sa véritable assise. Si la perfection de l'amant est source d'émulation littéraire («Preste moy donc ton eloquent sçavoir / Pour te louer ainsi, / Que tu me loues!»), elle engendre, plus profondément, le désir d'une fusion spirituelle: «Je tascheray faire en moy ce bien croistre / Qui seul en toy me pourras transmuer.»

 

Ce souci de pureté, méprisant des aiguillons de l'«Amour vicieux», n'exclut pas çà et là d'étranges jeux pervers: témoins ce poème où l'amante rêve de se baigner nue devant l'amant, pour mieux se refuser ensuite à la hardiesse de ses attouchements. Proscrite par la spiritualité de l'exigence amoureuse, la chair n'en resurgit pas moins sous forme de dénégation.

Si la poésie de Pernette du Guillet se rapproche bien souvent de la thématique scévienne, elle n'atteint que rarement la pureté et la concision de son modèle: l'ensemble du recueil manque d'unité et, surtout, d'une véritable refonte et assimilation des influences; en outre, la recherche systématique de l'abstraction ne témoigne pas, comme dans Délie, d'une concentration exigeante de la pensée.

 

Il serait injuste cependant de reléguer ces Rimes au rang de pures curiosités. Le long et mélancolique poème final, intitulé "Confort", représente sans doute l'une des plus belles réussites de la poésie amoureuse du XVIe siècle. Dans cette épître de consolation, adressée à un amant tourmenté par l'impossible union charnelle et tenté de se réfugier dans la mort, l'amante ne cesse d'en appeler à une éthique endurante et orgueilleuse: «Car le tourment, que tu souffres pour elle, / Estre te doit joye continuelle / A ton esprit, et doulx contentement, / Et au travail très grand allegement. / Car il n'est rien, tant soit grand, en ce monde, / Qui vaille autant que ce mal, qui te abonde.»

Pernette mourut à 25 ans, emportée  par une épidémie de peste...

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Le hault pouuoir des astres a permis -
(Quand ie nasquis) d'estre heureuse et seruie :
Dont, congnoissant celui qui m'est promis,
Restee suis sans sentiment de vie,
Fors le sentir du mal, qui me conuie
A regrauer ma dure impression
D'amour cruelle, et doulce passion,
Où s'apparut celle diuinité,
Qui me cause l'imagination
A contempler si haulte qualité.

 

 

Rymes 2

La nuict estoit pour moy si tresobscure
Que Terre et Ciel elle m'obscurcissoit,
Tant qu'à Midy de discerner figure
N'auois pouuoir - qui fort me marrissoit :
Mais quand ie vis que l'aulbe apparoissoit
En couleurs mille et diuerse, et seraine
Ie me trouuay de liesse si pleine
(Voyant desià la clarté à la ronde)
Que commençay louer à voix haultaine
Celuy qui fait pour moi ce Iour au Monde.

 

 

Rymes 3

Ce grand renom de ton meslé sçauoir
Demonstre bien que tu es l'excellence
De toute grace exquise pour auoir
Tous dons des Cieulx en pleine iouyssance.
Peu de sçauoir, que tu fais grand nuysance
A mon esprit, qui n'a la promptitude 
De mercier les cieulx pour l'habitude
De celui-là, ou les trois Graces prinses
Contentes sont de telle seruitude
Par les vertus, qui en lui sont comprinses.

 

 

Rymes 4

Esprit celeste et des Dieux transformé
En corps mortel transmis en ce bas monde,
A Apollo peulx estre conformé
Pour la vertu, dont es la source, et l'onde,
Ton eloquence auecques ta faconde
Et hault sçavoir, auquel tu es appris,
Demonstre assez le bien en toy compris :
Car en doulceur ta plume tant fluante
A merité d'emporter gloire et pryx,
Votant ta veine en hault stille affluante.

 

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administrateur théâtres

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La mythologie grecque et l'opéra baroque


George Petrou direction - Myrsini Margariti soprano - Mary-Ellen Nesi mezzo - Irini Karaianni mezzo - Armonia Atenea


Georg Friedrich Händel Ouverture (Alessandro, HWV 21), Aria "Se nel bosco" (Arianna in Creta, HWV 32), Recitativo & aria "Dove son - qui ti sfido" (Arianna in Creta, HWV 32)
Johann Adolf Hasse, Sinfonia (Artemisia)
Christoph Willibald von Gluck Aria "Non so frenare il pianto" (Antigono), Dance of the blessed spirits - Dance of the furies (Orphée), Recitativo & aria "Ma fille, Jupiter" (Iphigénie en Aulide)
Giovanni Paisiello Recitativo & duet "E mi lasci cosi ? Ne giorni tuoi felici" (L'Olimpiade), Terzetto "Sciogli oh Dio le sue catene" (L'Olimpiade)
Jean-Baptiste Lully, Suite (Phaeton)
Antonio Vivaldi Aria "Vedro con mio diletto" (Il Giustino, RV 717), Aria "Siam navi" (L'Olimpiade, RV 725)

La musique, source d’émerveillement ? La culture, message d’apaisement ! Voici un orchestre que l’on a très  envie de revoir sur nos scènes de Belgique et qui  a eu le privilège d’inaugurer la nouvelle présidence de l’Union Européenne ce 14 janvier dernier au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Il s’agit de l’ Armonia Atenea dirigé par un fougueux chef qui adore les périodes baroques, classiques et romantiques et dont la discographie est saluée par la critique internationale, George Petrou. L'orchestre a été fondé en 1991 par les Amis de la Société de musique d'Athènes avec l'inauguration du Megaron, la salle de concert d'Athènes. Orchestre résident du Megaron, il se partage depuis 2011 entre le Centre culturel Onassis et Megaron d'Athènes.
Ses anciens directeurs artistiques sont des figures prestigieuses : Neville Marriner, Christopher Warren-Green et Alexander Myrat.
L'orchestre parcourt l’Europe du  Musikverein au Théâtre des Champs - Elysées , à l'Opéra Royal de Versailles, au Concertgebouw, à la Salle Pleyel…
L'orchestre a une longue liste de cd enregistrés chez DECCA, SONY CLASSICAL, EMI Classics, MD G ou ECM Records et  a reçu de nombreuses distinctions internationales («Diapason 5», BBC musique «enregistrement du mois» et l'Opéra- «Découverte»). Les parutions récentes comprennent les premiers enregistrements mondiaux de Alessandro Severo de Haendel et Il Trionfo di Clelia de Gluck (OMD).

Le concert de ce soir va mettre en lumière la mythologie grecque à travers les siècles et particulièrement au 18e. Tout d’abord avec l’ouverture d’ «Alessandro » de Haendel (HWV21 (1726) où l’illustre génie guerrier d’Alexandre est remplacé par un personnage plutôt comique, mégalomane et naïf…L’ouverture est énergique, sous-tendue par une armée de cordes, un théorbe et deux flûtes aux modulations magiques. On entendra aussi un clavecin dans la suite joyeuse du Phaëton applaudir en cours de route pour son charme et sa grâce brillante.

 

On a tout de suite  craqué pour la voix exquise de Myrsini Margariti  la soprano  de l’aria « se nel bosco resta solo » de l’Arianna in Creta de Haendel.  Une belle voix douce, juvénile et claire qui  jette des frissons dans les violons qui l’accompagnent. Sa maîtrise de la diction est impeccable et précise et les notes élevées sont d’une fluidité extraordinaire : de subtiles  caresses lyriques qu’elle accompagne  de gestes gracieux des mains. Mais elle est aussi capable de registres dramatiques très toniques. Une voix qui enivre comme un parfum de figues. Ses harmonies semblent gorgées de soleil alors qu’elle porte une robe bleu nuit à bustier imprégné d’étoiles.  La mezzo soprano Mary-Ellen Nesi lui donne une réplique passionnée dans une belle voix expressive, faite pour la chaleur et la volupté de la nuit. Elle a endossé une robe turquoise évoquant la mer à midi.  La musique de Haendel palpite  sous les  très beaux légatos et écume de colère et d’indignation dans le récitatif et l’air : « Qui ti sfido, o monstro infame ! » C’est un Poséidon  furieux au féminin.  Le son coule, débordant de puissance, d’humanité et de présence musicale. Les cordes soulignent le drame de façon précipitée.  

Irini Karaianni, dans une somptueuse robe aux reflets orientaux mordorés va interpréter Antigone dans  un extrait de l’opéra de Gluck (1756) « Non so frenate il pianto ». Elle va interpréter la révolte et les lamentations d’Antigone avec beaucoup d’adresse, sans être aussi convaincante que les deux premières dont le  duo (un extrait de Olimpiade (1786) de Paisiello) est le moment phare du concert. Les deux chanteuses complices font surgir dans l’imaginaire tout un chœur de femmes qui oscillent entre raison et sentiment, orgueil et volupté. Dans les extraits de  Vivaldi, la mezzo expose son allure noble, offre sa voix souple qui témoigne d’une grande sensibilité, les modulations de l’orchestre simulent des vagues de désir. On croit voir Nausicaa à l’œuvre avec Ulysse! Puis c’est au tour de Myrsini Margariti d’offrir à nouveau ses vocalises vertigineuses, son souffle inépuisable qui couvre trois octaves. L’atmosphère est lourde et menaçante dans Iphigénie en Aulide  de Gluck (1774), les cors lancinants suggèrent les ténèbres et les prémices du sacrifice. Un trio final  «Sciogli of Dio le sue catene » (Giovanni Paisiello, le compositeur préféré de Napoléon Bonaparte) rassemble les trois chanteuses applaudies avec force par une communauté de spectateurs ravis et un chef d’orchestre rayonnant.  Ah le soleil de Grèce, et la fascination de  ses mythes immortels qui ont façonné le capital culturel européen!  

Le lien de ce concert: http://www.bozar.be/activity.php?id=14292&selectiondate=2014-01-14

Notre prochain rendez-vous:

http://www.bozar.be/activity.php?id=13432

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Une histoire de juif

 

Histoire d’un juif.

 

J’étais journaliste à cette époque. Il y a longtemps que je souhaitais d'aller en Israël. Non pour y vivre comme Hector qui en était revenu, ni comme Michel qui y était enterré. Je me demandais si Israël ressemblait à l'idée que je m'en faisais. Un Israël mythique avant d'être un territoire.

C'est l'image qui me venait sous la plume. Une terre où des intellectuels s'étaient faits agriculteurs, envahie par des malheureux qui n'avaient pour but que de vivre comme des êtres humains après avoir vécus comme des bêtes.

C'était aussi une formule qui pouvait s'inscrire dans un article. Mais dans cet Israël là, terre de Sion et des Hébreux,  les palestiniens avaient une présence qui tenait du théâtre, et perturbait mon raisonnement.

Peut être que l’incroyant que j'étais avait envie de mettre ses pas dans ceux du christ.

Le rédacteur en chef avait approuvé.

- Un article sur Israël, ce n'est pas une mauvaise idée. N'oubliez pas de parler des Arabes.

Je suppose qu’il y en avait, mais je n'ai pas rencontré d'Arabes en Israël. A Jaffa peut être, à proximité de la mer, dans un établissement semi-restaurant, semi-bistrot, où un employé du consulat m'avait invité à manger une friture. C'était à la fois le patron et le serveur.

- Il n'est pas juif ? Je ne vois pas de différence entre lui et ceux que vous appelez des Sabras.

- Je n'en vois pas non plus. Il n'est pas juif, c'est sûr, mais les israéliens ne sont pas juifs non plus, dans leur majorité je veux dire. Ils ne sont pas très portés sur la religion, vous savez. Et ils n'apprécient pas tellement les juifs qui ne vivent pas en Israël, religieux ou non.

C'est une nation qu'ils s'efforcent de créer. Ils prétendent d’ailleurs, pour se distinguer des juifs de l'étranger, qu'ils ne sont pas juifs mais israéliens. Cet homme là, il est israélien, si vous lui posez la question.

-  C'est compliqué d'être juif. Mon père disait qu'un juif, lorsqu'il veut se gratter l'oreille gauche passe le bras droit derrière la tête. C'est pour eux qu'on a inventé la formule: pourquoi faire simple quand on peut faire " compliqué ".

-Tu es juif, toi aussi?

C'était un garçon de grande taille, blond et les yeux rieurs.

- Pourquoi. Je n'ai pas le type?

Je suis resté trois jours en Israël. Le temps de mettre mes pas, effectivement, dans ceux du christ, et de visiter Jérusalem où se côtoyaient juifs orthodoxes et arabes.

L'article que j'ai écrit en rentrant, après un tableau d'ambiance, insistait sur l'entente des juifs avec les arabes, et celle des arabes avec les juifs. Deux peuples sans doute, mais une seule nation. J'en ai eu beaucoup de compliments.

Lorsque des amis m'ont proposé d'adhérer aux amitiés belgo-palestiniennes, j'ai signé une pétition qui prônait l'amitié entre les peuples, et j'ai proposé d'assister à un colloque qui devait avoir lieu au Caire.

Finalement, je ne suis pas parti. Jean Clément, un jeune avocat qui était devenu mon ami, le secrétaire du mouvement, après une réunion du bureau, m'avait demandé de rester. Il avait l'air ennuyé.

- Ca ne va pas, Jean?

- Ils ne t'ont pas accordé de visa.

- Quel visa? Qui ça ils?

- Ce n'est pas notre faute, Pierre. Ils m'ont téléphoné de l'ambassade. Ils disent que ce ne serait pas indiqué qu'un juif participe à ce colloque, au Caire.

- Ils t'ont demandé si j'étais juif? Tu leur as dit que j'étais juif? Je rêve, dis-moi. C'est la guerre, et les allemands sont toujours là.

J'avais le cœur qui battait, mes joues étaient brulantes.

- Je t'en prie Pierre. J'ai demandé tous les visas, pour chacun d'entre nous, dans le même courrier, en même temps. C'est ton nom qui les a frappés. Je ne savais même pas que c'était un nom juif. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si tu étais juif ou non. Et même si tu es juif, c’est ton droit, ça n'empêche pas.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait.

- Pour le bien du mouvement, les choses sont déjà tellement avancées, et nous avons des idées à défendre, je pense que tu aurais fait comme moi, j'ai dit: d'accord.

Le colloque, à ce que j'ai appris, avait été un succès. On avait cité la délégation belge dans la presse, et un officiel avait félicité Jean pour la hauteur de son intervention. J'aurais été satisfait, Jean avait utilisé certaines de mes formules dans son intervention.

Je n'ai plus participé aux réunions du bureau.

Un jour, j'ai cessé de proposer des articles au rédacteur en chef du journal. Je suis retourné à l’anonymat du secrétariat de rédaction. Il paraît que monsieur Balder, le patron du journal, en avait été surpris. Il aimait bien la manière dont, en quelques lignes, j'évoquais une atmosphère, une ambiance.

- En quelques lignes, Pierre se fond dans un milieu. On dirait qu'il en fait partie.

Oui, pensais-je, mais qui est Pierre?

Hélène était une collègue de bureau. Séparée de son mari, sans enfant, elle restait assez tard au bureau. Moi même, je ne quittais le journal que lorsque les rotatives étaient prêtes à tourner. Ensemble, nous allions prendre un verre avant de rentrer. Nous nous sommes mariés au désespoir de ma mère.  

- Souviens-toi. Lorsque nous avons passé la frontière en 1942. Souviens-toi des soldats allemands. Est-ce qu’elle aurait risqué sa vie pour toi ? Seule une mère juive est capable de le faire. Est-ce qu’elle risquerait sa vie pour quelqu’un dont tous ses frères disent qu’il n’est pas leur semblable ?

Et moi, pensai-je, est-ce que j'avais réellement envie d'être de ce peuple dont l'histoire baigne dans le sang?

Nous étions mariés depuis près de vingt ans lorsque les prémices du cancer se sont déclarés. Nous n'avions pas d'enfants. J'étais d'une génération où on associait les mots enfant à ceux de guerre et de mort. On disait: faire des enfants afin de nourrir la guerre. Ce sont toujours les jeunes qui meurent à la guerre.

Les vieux, en général, et les généraux, si je puis me permettre cette plaisanterie éculée, meurent dans leur lit. C'était ainsi durant les guerres des anciens temps. Les jeunes ne craignent pas la  mort. Les vieux, si! Ils ne craignent pas cet accident aussi absurde que celui de la naissance, ils craignent de ne plus vivre. Chaque jour dépose des images alluvionnaires dont on ne distingue plus les odeurs. Bons ou mauvais souvenirs, elles prouvent que vous avez existé.

Les jeunes ont moins de souvenirs que leurs ainés. Par contre, ils sont convaincus d'être la substance d'un grand dessein. Ils savant qu'ils ne peuvent pas mourir avant que ce dessein ne se réalise. Même sous les bombardements, à plat ventre sur le sol, je levais les yeux au ciel, et une étrange exaltation soulevait ma poitrine. Je ne pouvais pas mourir. La preuve, c'est que j'ai survécu durant de nombreuses années, et que je vis encore.

Hélène, elle, n'était pas immortelle. Proche de la mort, elle n'avait pas été animée d'une exaltation particulière.

Jusque là, je ne savais pas à quel point j'aimais ma femme. Le soir de notre mariage, comme des esprits forts, nous ne nous sommes pas juré de nous aimer toute la vie.

- Le plus longtemps possible.

Qui, en effet, peut prévoir l'avenir. Pour Hélène, j'ai été celui qu'elle à aimé jusqu'au dernier de ses jours.

Lorsque ma mère est morte, c'était quelques mois avant la mort d'Hélène, je n'ai pas éprouvé la sensation de vide que j'ai éprouvé à la mort d'Hélène. Peut être parce qu'il est naturel que les plus âgés meurent avant les plus jeunes, et contribuent ainsi à un juste équilibre des générations. Quand c'est le contraire qui se produit, il n'y a plus d'équilibre, et on aboutit à une civilisation de vieillards, sans beauté, sans énergie et sans courage.

Mon père est mort quelques mois après la mort d'Hélène. Je ne le lui avais pas dit. Il n'avait plus toute sa tête, comme on dit, Il méritait que les images qu'il voyait, les propos qu'il entendait ou croyait entendre, autant que ceux qu'il tenait lui-même, le ramènent aux époques de sa vie qu'il choisissait selon ses envies. Ou selon ses errements.

Il m'avait raconté la fin heureuse de l'un de ses amis. Agé de plus de quatre-vingt cinq ans, il avait marché entre les rails, à la rencontre des trams. En levant sa canne, il criait:

- Ce tram est à moi, de quel droit vous en servez-vous?

Des agents de police l'avaient entouré, il avait été placé dans un asile, et il était mort heureux, persuadé qu'il était propriétaire d'une flottille de tramways.

Cette année là, j'ai beaucoup côtoyé la mort. Je n'avais plus d'attaches réelles. Je me retrouvais seul comptable de ma vie. C'était une année curieuse. Je revoyais mon passé comme s'il s'agissait d'un film tourné à l'envers. Un de ces vieux films d'actualités qui ressemblaient à ceux de la naissance du cinéma. Les personnages couraient, les gestes saccadés. Tout semblait caricatural. Mais les morts, de plus en plus nombreux, ne se relevaient pas à la fin du spectacle.

Je me suis posé la question. Ces hordes humaines traversant la scène en tous les sens, étaient-elles liées a des images encore récentes, ou avaient-elles marqué ma mémoire, parce qu'elles se répétaient depuis des siècles?

Je me suis souvent demandé à quoi on pouvait reconnaitre qu'une guerre allait survenir. Pas une de ces petites guerres qui depuis quelques temps surviennent à différents endroits de la planète. Une guerre sérieuse avec des ennemis suffisamment proches pour qu'ils puissent se réconcilier rapidement. Que les survivants puissent se demander pourquoi ils se sont fait tuer.

Ce sont des guerres normales dont on enseigne la stratégie dans toutes les bonnes écoles militaires. Sans se préoccuper de la nationalité de l'auteur qu'on étudie.

Pour les juifs, durant la dernière guerre cela n'avait pas été pareil. Durant les guerres d'une certaine ampleur, comme il se doit, ils étaient assimilés d'office à la communauté de leur pays. Il arrivait que durant un assaut, un juif tuât un juif à l'uniforme différent du sien. Il en était profondément désolé, il répondait Sheema Israël à celui qui criait avant de mourir Sheema Israël. C'était le prix à payer pour continuer d'être l'homme d'un pays. Durant la dernière guerre, quel qu'ait été leur pays d'origine, il n'y eut pas de bons ou de mauvais juifs. Pour un grand nombre d'êtres humains, ils étaient tous mauvais. Tous, il fallait les éliminer. Durant cette guerre là, aucun de ceux qui sont morts n'a eu droit à une mort honorable. Ni à l'endroit où des proches survivants auraient pu se recueillir sur leur tombe. Ce n'est pas juste.

Je m'étais étendu sur l'herbe comme je le faisais de plus en plus souvent dès que le temps le permettait. La sonnette a retenti. Je n'attendais personne. C'était Hector que je n'avais plus revu depuis son départ pour Israël. Lorsqu'il en est revenu, il s'était engagé dans une firme dont les activités se développaient au Congo. Jusqu'au jour de l'indépendance du Congo, et du départ forcé des coloniaux. Les nouvelles que j'avais eues de lui l'avaient été par pur hasard.

- J'ai appris que ta femme est morte. Je suis désolé, Pierre.

Il paraissait ému. Il parlait comme si nous nous étions quittés la veille.

J'ai toujours partagé ma vie en périodes que, sans le vouloir sciemment, j'oubliais dès qu'une autre commençait. C'était une méthode qui permettait de vivre longtemps. Presqu'en paix.

Pourquoi suis-je vivant? Et non pas ceux qui ne sont pas morts de mort naturelle. Ils auraient eu mon âge aujourd'hui.

Parce qu'ils étaient juifs? Mais, c'est quoi un juif? Je me souviens que j'avais huit ans, lorsqu'à l'école primaire, un condisciple m'avait crié: "sale juif".

Le jour de la prochaine commémoration à Auschwitz, j'accompagnerai les organisateurs. Vers la fin de l'après-midi, je me rendrai à la baraque la plus éloignée. Je m'étendrai sur un des châlits. Peut être que c'est ma place que je retrouverai. Celle qui encombre ma mémoire. Peut être que c'est ce qu'ils veulent, ceux qui me regardent comme si je n'étais pas tout à fait l'un des leurs. Comme s'ils attendent cependant de moi que je leur dise quelque chose. Quelque chose que nous ne comprenons pas ni les uns ni les autres. Mais qui est important.

 

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« En mariage, trompe qui peut »

 

Afin de se faire épouser,

Nombreux hommes et autant de femmes,

Mentent d'une façon infâme,

Se permettent de tout oser.

Un malheur peut être évité;

Avant le jour un mariage,

Il faut chercher la vérité.

Tant pis quand on n'a pas douté.

Mais ne trompe plus qui le veut

Durant les liens du mariage

  Car cesse d'être vrai l'adage.

Le Droit dit ce qui ne se peut.

Vient le choix du concubinage

Laissant permis les coups de coeur,

Les errances emplies de saveurs,

L'ivresse du libertinage.

À chacun sa vie, son destin.

On se donne la préférence,

Avec plus ou moins d'élégance,

Or l'on souffre aussi, c'est certain.

Peut-on blâmer qui que ce soit,

Si la morale ne l'emporte?

L'envie d'être heureux est si forte!

Or s'impose la bonne foi.

18 janvier 2014

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Vieillir enseble

 

 

Le temps avait été beau, A la côte, Julie avait pris des couleurs. Ses yeux brillaient comme au temps où son amant et elle ne pouvaient se voir sans avoir envie de se toucher.   

Elle avait sa main dans la sienne. A la lueur de la lampe de chevet, il ne voyait pas si elle regardait le plafond ou si elle avait les yeux fermés. Elle s’était tue.

Il ne savait pas si elle dormait ou si elle faisait semblant. Lui, il était resté éveillé jusqu’au matin.

Annie, son mari et Julie, n’avaient pas été seuls à la côte. Annie avait invité François. Julie ne se souvenait pas bien de son patronyme, très vite ils s’étaient appelés  par leur prénom. Un veuf qu’Annie prétendait marier à Julie.

- Je parle de mariage. Quelqu’un avec qui on vieillira. Pas seulement pour faire l’amour.

Julie y pensait parfois. Mais après avoir fait l’amour malheureusement. Et parfois, elle pensait qu’elle n’était pas normale. Elle aspirait à une vie routinière mais prévisible.

Elle avait acceptée de venir à la côte parce qu’Annie était une amie véritable. Il y a les amis du jour et les amis de la nuit. Les uns et les autres peuvent se croiser quotidiennement, ils viennent de planètes différentes. Julie était partagée. A partir d’une certaine heure elle passait du monde du jour à celui de la nuit sans s’éloigner de chez elle. Mais son corps et sa façon de penser et de sentir devenaient différents. Au point qu’il y avait des décisions qu’elle ne prenait que l’avant-midi, et d’autres qu’elle n’envisageait qu’à la tombée du soir.

Annie était une amie du jour. De quelques années son aînée, elle considérait Julie comme une jeune sœur ignorante de la vie, et qu’elle se devait de protéger.

François était veuf d’une amie d’enfance qui l’avait suivi dans la capitale où il avait ses affaires. Il était le propriétaire d’une entreprise de distribution de mazout qui disposait de sept camions-citernes, et il possédait en outre quatre stations d’essence. Il prenait un air faussement contrit, et disait à Annie qui avait été la meilleure amie de sa femme :

- Je suis fortuné, c’est vrai.

Mais il ajoutait :

- C’est toujours ainsi, plus vous êtes heureux, plus quand vous cessez de l’être la facture est élevée.

- Tu ne peux pas rester seul, François. Il faut te remarier.

- Oui. J’y ai pensé. Mais avec qui ?

Annie réfléchissait très vite. Elle se promit de tout faire pour les mettre en présence, Julie et lui. François était un homme vigoureux dont elle devinait les besoins qui devaient l’être tout autant. Il ne fallait surtout pas qu’il s’amourachât d’une femme qui, à l’aide de quelques caresses, ne songerait qu’à profiter de son argent. La femme qui lui conviendrait, elle en était convaincue, c’était la jeune Julie. Son mari partageait son avis. Il partageait toujours l’avis de sa femme.

Annie et son mari avaient l’habitude, dès que venait le beau temps, de se rendre dans un hôtel de la côte face à la plage. Ils y faisaient de courts séjours consacrés à la promenade en regardant la mer.

C’est là qu’ils invitèrent Julie et François en confiant à l’un et à l’autre qu’ils leurs préparaient une surprise. Sans tout dire, Annie dit certaine choses. L’évocation de la mer auréolait ses propos d’un caractère romantique particulièrement bienvenu, pensait-elle.

François était arrivé dans l’après-midi. A trois, ils étaient allés attendre Julie à la gare.

C’est à table que Julie et François firent réellement connaissance. Annie les avait bousculés.

- Vous n’allez pas vous dire : monsieur et madame ? Voilà, c’est Julie et c’est François.

Un François timide comme un tout jeune adolescent. Durant presque tout le repas il parla presque seul de sa femme, de son enfance, de son métier, on eut dit qu’il se livrait à une véritable confession. Il avait les yeux fixés sur le visage de Julie qu’il n’osait pas regarder dans les yeux.

Pour ce qui le concernait, Annie pensait que c’était gagné. Elle servait le vin pour lui donner du courage et faisait briller les yeux de Julie.

Julie le trouvait bel homme. Un peu rustaud d’allure mais les gestes délicats. Elle avait accepté l’idée de passer la nuit avec lui avant même que François ne l’ait envisagé. Lui qui se demandait s’il ne risquait pas de brusquer celle dont il rêvait déjà de faire sa femme.

-Ne prenez pas exemple sur nous. Continuez la soirée aussi longtemps que vous le souhaitez. Nous, nous n’avons plus l’habitude de veiller.

Annie s’était levée. Elle embrassa Julie et François.

- Assied-toi auprès de Julie, François. C’est plus convivial que de lui faire face maintenant que vous êtes deux.    

François regarda Julie qui continuait de sourire. Il s’assit auprès d’elle.

-Maintenant que nous sommes seuls, je peux vous le dire, Julie. C’est une soirée merveilleuse.

Dans sa chambre, il avait réservé la suite matrimoniale, il avait à peine regardé Julie qui se déshabillait. Ils se connaissaient à peine, il craignait de la choquer. Julie n’imaginait pas qu’il y ait des hommes, au delà d’un certain âge, que la vue d’une femme nue pouvait encore intimider. Elle eut pour François un accès de tendresse soudain. C’est avec précaution qu’elle se glissa sur lui.

- Voulez-vous être ma femme, Julie ?

- Taisez-vous.

A la table du déjeuner, le lendemain matin, Annie leur proposa de faire une promenade dans l’arrière pays, et François leur proposa de passer la fin de l’après-midi au casino avant de dîner. Ils étaient tous les trois ses invités ; dit-il.

Au casino, il offrit à Julie des plaques pour jouer, elle ne voulait pas, il avait du insister, et il s’assit à la table de roulette.

Souvent, cela se passe de la même manière chez les novices. Julie gagna deux mille euros qu’il refusa qu’elle lui donne, et lui en gagna trois fois plus. Le mari d’Annie ne le dit pas à haute voix mais il pensa qu’il y avait des gens cocus.

François, après qu’ils soient retournés à l’hôtel, s’absenta durant une heure.

A table, sous sa serviette, Julie trouva une boite emballée à la marque d’un bijoutier réputé de la côte. C’était un bracelet constitué de deux anneaux d’or entrelacés, un blanc et un jaune.

- Chance au jeu, chance en amour.   

Cette nuit là fût pour François et Julie une nuit d’amour véritable. Il lui demanda une fois encore de devenir sa femme et elle promit de réfléchir. Puis, ils se tournèrent dos à dos. Ils faisaient semblant de dormir mais ne parvinrent pas à fermer l’œil avant un long moment. François, c’était la tendresse, la sérénité ; se répétait Julie.

Elle ne s’était jamais posé la question : ses parents s’aimaient-ils? Vraisemblablement. Mais rarement, elle les avait vus qui s’embrassaient. Est-ce que cela prouvait quelque chose ? Peut être le faisaient-ils lorsqu’ils étaient plus jeunes. Comme la plupart des gens, ils ressentaient des pulsions sexuelles, et ils dormaient dans le même lit. En réalité, elle était incapable de dire à quoi ils ressemblaient lorsqu’ils s’étaient mariés. La photo de circonstance qu’elle avait regardée un jour, conventionnelle et retouchée, ne découvrait rien de leurs sentiments. Plus tard, le souvenir qu’elle en avait eu était celui qu’elle découvrait à chaque fois qu’elle les voyait. Un couple de gens patauds et profondément conventionnels sans plus aucun souci de plaire physiquement. Lui était déjà ventru, et sa mère avait les hanches larges. Est-ce que cet homme et cette femme qui étaient ses parents pouvaient se désirer l’un l’autre ? Ou être désirés par d’autres ? Quelle était la raison de leur mariage ? Le père avait dit un jour, et sa femme avait ri en disant qu’il était un imbécile, que la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, ce fut le coup de foudre.

A  son amant,  Julie  dit le lendemain qu’elle avait rencontré quelqu’un. Ce sont, parait-il, les paroles de circonstance.

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TATOO

 

Quand infusée,

 dans l'infiniment bleu je serais,

je voudrais tant avoir dans le clair-obscur d'ici,

marqué le cœur des gens ;

y avoir laissé mon tatou doux-amer ;

suave baiser ensauvagé, car libre,

qui ajouterait un peu de miel aux larmes !

Souvenir ; envolée blanche,

lente et claire,

volute un rien charnelle !

Douce morsure,

guérisseuse, un peu,

de l'indéchiffrable clair-obscur,

 un peu froid,

d'où je vous écris aujourd'hui !

Je voudrais tant,

Laisser en eux, mes plus beaux pas !

NINA

 

 

 

 

 

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Quand le destin frappe à la porte

 

Accueillant le destin qui frappe à notre porte,

Quand nous vivons sereins, à peu près protégés,

Nous formulons le voeu de ne rien voir changer;

Parfois, même le mieux ennuie en quelque sorte.

Quand nous vivons sereins, à peu près protégés,

Devenus libérés des envies les plus fortes,

Parfois, même le mieux ennuie, en quelque sorte;

N’étant pas désiré, il peut nous déranger.

Devenus libérés des envies les plus fortes,

Nous avançons tranquilles et d’un pas allégé.

N’étant pas désiré, il peut nous déranger,

L'inattendu venu que le destin apporte.

Nous avançons tranquilles et d’un pas allégé,

Renonçant aux excès perfides qui transportent.

L'inattendu venu que le destin apporte

Peut certes nous séduire ou bien nous affliger.

2 octobre 2009

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Mes vers, écrins de glace

 

 

Laissé en liberté, mon esprit se repose.

Or, il ne jouit souvent que d’une courte pause.

Voudrait-il m’entraîner ainsi qu’un cerf-volant,

Ma mémoire éveillée s'impose vitement.

 

Pendant que détendue, sans soucis, je paresse,

Je reçois, étonnée, des souvenirs que laisse

Le hasard imprévu qui régit le passé.

Amusée ou émue, je me mets à penser.

Ce soir, ne sais pourquoi, j’évoque des plaisirs,

Qui sont d'un autre temps, ne pourraient revenir.

J'ai capté, mis en vers, nombreux instants de grâce.

Ils sont inaltérés dans leur écrin de glace.

Toutes sortes d'émois autrefois éprouvés,

Fidèlement décrits, demeurent préservés.

Je connus très longtemps l’exaltation, l’ivresse;

J’apprécie tout autant la joyeuse tendresse.

 

27 juillet 2007

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Une attente voulue sereine

 

 

En attente pour un départ,

Jour et heure au gré du hasard.

Un fait certain est prévisible:

Nul retour ne sera possible.

Jour et heure, au gré du hasard.

On veut croire à un long retard.

Nul retour ne sera possible.

L'espoir s'installe, il est crédible.

On veut croire à un long retard.

Quand on survit sans avatars,

L'espoir s'installe, il est crédible.

À la peur, on reste insensible

Quand on survit sans avatars,

Sachant s'occuper avec art,

À la peur, on reste insensible.

Que la mort m'emporte paisible!

16 janvier 2014

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Une aventure banale

 

C’est à Londres que j’avais retrouvé Isabelle.

Ce fût un coup de tonnerre lorsqu’on apprit que Louis avait quitté Isabelle. Il avait téléphoné afin qu’elle ne s’inquiète pas. Il avait dit qu’il partait, et il avait raccroché. C’est ce qu’Isabelle me dit au téléphone deux jours plus tard lorsqu’elle se fut persuadée qu’il ne reviendrait pas.

- J’étais honteuse au point que je me serais enfermée.  Tu comprends ? C’est comme si après tant d’années, il m’avait repoussée en me disant tu es moche. Dis, toi aussi, tu penses que je suis devenue trop laide pour un homme ?

J’étais à Londres pour mes affaires quand je l’ai  rencontrée ce jour-là. Il devait être cinq heures de l’après-midi, et je rentrais lentement à mon hôtel pour me reposer avant de me préparer à sortir pour dîner et finir la soirée dans un bar. Un programme banal mais efficace pour combler l’ennui.

- Isabelle, qu’est-ce que tu fais ici, tu es seule ?

Elle eut un instant de surprise avant de me reconnaître, puis elle parut soulagée et, en haussant les épaules comme on invoque la fatalité, elle dit :

- Tu vois, moi aussi, je me promène.

- Louis est ici ?

- Probablement, mais pas avec moi. Louis n’a pas besoin de moi. Qui a besoin de moi ?

- Ne dis pas d’idioties. Viens, nous allons prendre quelque chose, et tu me raconteras.

Nous sommes allés à mon hôtel, et dans le fond du bar, assis devant une table sur laquelle le barman avait déposé deux whiskys et une coupelle d’olives, elle m’avait raconté son séjour à Londres.

Elle savait que Louis était à Londres. Comment ?, elle ne me l’a pas dit. Et elle voulait de toute force le rencontrer. Elle voulait savoir pourquoi il était parti. Elle voulait qu’il le lui dise, les yeux dans les yeux. Si ça avait été pour une autre femme, peut-être qu’elle l’aurait compris mais elle savait que ce n’était pas pour une autre femme, elle s’était renseignée discrètement, la seule femme avec laquelle il l’avait trompée, la femme du dentiste, avec laquelle il aurait pu partir, n’avait pas quitté son mari.

- Alors, si ce n’était pas pour une autre femme, c’était à cause de l’âge qu’il avait. Les hommes, à un certain âge, sont saisis d’une sorte de fièvre, ils veulent recommencer leur vie. Puis, ils regrettent, on ne recommence rien du tout, mais ils pensent qu’ils ne peuvent pas revenir chez eux parce que leur épouse ne leur pardonnera pas. Certains tombent de plus en plus bas. Ils ont tort, en tout cas lui avait tort, je ne suis pas comme ces femmes-là.

Ils en avaient parlé toute la nuit, m’a-t-elle dit. Elle l’avait supplié de passer cette nuit avec elle, même si ce devait être leur dernière nuit.

- Et nous nous sommes aimés comme tu ne peux pas imaginer. Je me suis même abaissé à des gestes, à toi je peux le dire, dont je n’aurais pas pensé que j’en étais capable et que j’ai découverts avec lui au point que ce matin, étendue sur le lit pendant qu’il était dans la salle de bains, j’étais sûre qu’il reviendrait avec moi. Lorsque je suis revenue de la salle de bains à mon tour, il avait quitté la chambre, et quand je suis descendue dans le hall, mon cœur battait à se rompre, à la réception on m’a dit que le monsieur avait réglé la chambre et qu’il était parti. Je suppose qu’ils m’ont prise pour une prostituée, et moi, je me demande s’ils n’avaient pas raison.

Elle m’a saisi la main, j’ai cru qu’elle allait pleurer. Nous avons dîné au restaurant de l’hôtel, nous avons repris un verre au bar, nous avons parlé, et c’est tout naturellement qu’elle m’a accompagné dans ma chambre.

Elle s’est déshabillée devant moi avec autant de naturel, j’imagine, qu’elle se déshabillait devant Louis. Après un certain nombre d’années de mariage, entre époux on se déshabille pour se mettre au lit sans nécessairement penser à autre chose qu’à dormir. Puis un geste, un attouchement fortuit, une envie qui naît chez l’un ou chez l’autre, ou chez les deux, porte le corps de l’un vers celui de l’autre.  

Isabelle a continué de parler avec autant d’abandon que si j’étais réellement celui à qui, elle l’avait déjà dit, on pouvait entièrement se confier.

- Tu as été son ami, tu comprends pourquoi il est parti ?

Elle était incapable de dire : pourquoi il m’a quittée. C’est comme s’il l’avait rejetée, et elle ne comprenait pas qu’on puisse la rejeter. 

J’ai mis ma main sur sa poitrine, et nous nous sommes endormis jusqu’au matin.

Isabelle prenait l’avion vers la fin de la matinée, je l’ai accompagnée jusqu’à l’aéroport, nous nous sommes embrassés, nous nous sommes promis de nous revoir dès que je serais rentré.

Je ne pouvais quitter Londres que deux jours plus tard. Ce serait drôle, ais-je pensé, si je rencontrais Louis par hasard.

Un soir, elle est arrivée chez moi les yeux brillants, le corsage froissé, incapable de masquer sa nervosité. Elle avait rencontré dans un bar du haut de la ville, il y avait des années qu’elle souhaitait savoir comment les choses s’y passaient, un homme qui lui avait offert à boire. Ils avaient beaucoup ri ensemble. Il lui avait proposé de terminer la soirée dans un autre bar, et avant de monter dans sa voiture, il avait ouvert le coffre pour lui montrer un fusil à pompe qu’il emportait toujours avec lui.

- La ville est parfois dangereuse la nuit.

Elle avait été littéralement fascinée. Il devait être un homme dont il valait mieux ne pas savoir de quoi il vivait même s’il avait avoué être représentant en lunetterie. Une couverture probablement, tous les membres du milieu en ont une.  

Dans la voiture, il avait plongé sa main dans son corsage, et lui avait saisi les seins. Elle ne s’était pas offusquée de sa brutalité mais il avait dit en glissant une main sous sa jupe :

- Tu aimes ça, hein, faire la putain ?

Elle ne l’avait pas supporté. Elle avait ouvert la portière, et elle s’était précipitée vers une station de taxis. C’est du moins ce qu’elle m’avait dit.

 Lorsque je venais chez Isabelle j’y passais la nuit. Elle me racontait comment elle vivait, comment elle envisageait de refaire sa vie.

- Je n’ai plus vingt ans, je ne veux pas vieillir seule. Et je crois que je suis encore assez belle pour plaire.

Elle me caressait en ajoutant:

Qu’est-ce que tu en penses, toi?

Un jour, au téléphone, elle me dit qu’elle avait rencontré par hasard un ami d’enfance. Pas d’enfance en réalité, mais un ami à Louis, à elle et à quelques autres du temps de leur adolescence. C’est Louis qu’elle avait épousé mais ça aurait pu être lui, c’est ainsi qu’elle le raconta.

André, cet ami d’enfance, elle l’avait rencontré par hasard dans le hall d’un hôtel du boulevard où elle était entrée pour boire un café. Lui sortait du bureau d’un fournisseur. A chaque fois qu’il venait le voir, il avait l’habitude de prendre un verre dans le hall de cet hôtel. Manifestement, ils avaient été surpris tous les deux.

- Et Louis?

- Nous nous sommes séparés.

Il l’ignorait. Il voulait l’inviter à dîner, enfin si personne ne l’attendait, c’est drôle comme le hasard fait bien les choses, elle n’avait pas changé, pourquoi ne s’étaient-ils pas revus plus tôt, ils étaient des amis, non?

- Tout ce qu’il voulait, c’était coucher.

Ils s’étaient revus à trois reprises, il avait parlé de divorce le premier jour, puis il avait dit que la vie était compliquée mais qu’il fallait assumer, puis il avait proposé de la revoir. Elle ne s’était pas donné la peine de répondre. Mais c’était comme si une fissure s’était faite dans sa poitrine, c’est ainsi qu’elle définissait ce serrement qu’elle avait ressenti entre les côtes, tu crois que c’est le cœur? Peut-être qu’elle était moins séduisante depuis que Louis l’avait quittée. Peut-être qu’il faut être deux pour qu’une femme soit vraiment belle?

Elle ne voulait pas penser à l’avenir. On vieillit deux fois quand on vieillit seule, et deux fois plus vite. Elle effaça André de sa mémoire.

Je voyais Isabelle assez souvent. Il y avait entre nous, c’est ainsi que je le traduisais avec une sorte de lâcheté peut être, une connivence presque fraternelle. De plus j’admirais sa détermination à oublier Louis, à faire comme s’il n’avait jamais existé, à se reconstruire comme elle disait.

A chaque fois qu’elle avait une aventure je m’en réjouissais avec elle. Mais c’était toujours une aventure sans lendemain parce qu’elle ne voulait pas se lier en attendant qu’elle ait choisi celui avec lequel, elle disait « un homme ayant vécu », elle se sentirait en sécurité tant mentalement que physiquement.

- Tu comprends, disait elle, je veux que nous ayons la même façon de penser pour le connaître mieux que n’importe quelle autre femme, et pour qu’il ait envie de moi jusqu’au dernier de nos jours.

 Elle éclatait de rire.

 -Enfin, le plus tard possible. On peut, paraît-il, faire l’amour jusqu’au delà de quatre vingt ans.

Cette situation, qui m’arrangeait je l’avoue, durait depuis quelques temps.

- Tu te souviens de George?, me dit-elle un jour.

Il était avec André, Michel et Louis, un des garçons avec lesquels, adolescente, elle sortait, heureuse, au centre d’une cour attentive à lui plaire. On lui avait dit, c’est André qui le lui avait dit, que George était devenu dépressif depuis que sa femme l’avait abandonné car elle ne supportait plus sa propension à toujours attendre le pire, à le souhaiter presque.

- Il y a des hommes comme ça. Même Louis parfois, si je n’avais pas été là pour le reprendre en mains. Et les affaires de George du coup allaient à vau-l’eau. Isabelle s’attendrissait en songeant à celui qui avait été le plus timide des garçons, le plus reconnaissant lorsqu’elle lui souriait, celui qui était le plus prévenant, et toujours disposé à aider un ami. Elle se souvenait de cette anecdote qu’il avait lui-même racontée en se moquant de lui-même: il avait un jour servi d’alibi à un de ses amis qui trompait sa femme, et qui avait séduit celle que lui, George, aimait sans oser le lui dire.

- On était en pleine tragédie.

Isabelle avait haussé les épaules.

- Eh bien moi, j’ai envie de le revoir. Peut-être qu’il a besoin qu’on lui tende la main. Je sais ce que c’est: un être qu’on laisse.

Cette compassion qu’elle se découvrait pour George allait de pair avec un certain détachement à mon égard. Pendant deux mois elle ne m’avait plus donné de ses nouvelles. Lorsque je téléphonais, c’est son répondeur qui me demandait de laisser mes coordonnées mais elle ne rappelait pas.

J’éprouvais une sensation bizarre. Je ne voulais pas croire que c’était parce que les récits d’Isabelle me manquaient, et cette simplicité avec laquelle elle se mettait au lit, nue, après s’être lavée en me parlant depuis la salle de bain.

Peu de temps plus tard, j’ai appris par des amis qui nous étaient communs que George allait beaucoup mieux. Isabelle et lui se voyaient régulièrement, ils avaient pris une semaine de vacances ensemble dans un appartement qu’il possédait à la côte.

Il avait repris goût aux affaires, et Isabelle l’aidait de son mieux. Sans trop le montrer, les hommes, m’avait-elle dit un jour, n’aiment pas ça.

On disait, ce sont ces mêmes amis communs qui le disaient, qu’ils envisageaient de se marier dès que leurs problèmes de divorce seraient réglés. Je n’ai plus revu Isabelle. Peut-être est-ce moi qui aurais dû l’épouser.

 

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Le manque de dignité

 

Le manque de respect de soi

M'a toujours paru pitoyable.

Je trouve certes méprisable

L'étalage d'un désarroi.

Quand on endure un vrai tourment,

Comme coupé par une hache,

Gémir ne me semble pas lâche;

Je conçois cela aisément.

Il est des drames effroyables

Qui peuvent nous emplir d'horreur.

Ils creusent des plaies dans des coeurs

Laissant des victimes immuables.

Celles-ci semblent remarquables.

On garde en tête leur image,

Le souvenir de leur courage,

Dont on voudrait être capable.

Chaque personne a ses tourments

Or essaie de sembler sereine.

On doit garder pour soi ses peines,

Instruire en cela ses enfants.

16 janvier 2014

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