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Une aventure banale

 

C’est à Londres que j’avais retrouvé Isabelle.

Ce fût un coup de tonnerre lorsqu’on apprit que Louis avait quitté Isabelle. Il avait téléphoné afin qu’elle ne s’inquiète pas. Il avait dit qu’il partait, et il avait raccroché. C’est ce qu’Isabelle me dit au téléphone deux jours plus tard lorsqu’elle se fut persuadée qu’il ne reviendrait pas.

- J’étais honteuse au point que je me serais enfermée.  Tu comprends ? C’est comme si après tant d’années, il m’avait repoussée en me disant tu es moche. Dis, toi aussi, tu penses que je suis devenue trop laide pour un homme ?

J’étais à Londres pour mes affaires quand je l’ai  rencontrée ce jour-là. Il devait être cinq heures de l’après-midi, et je rentrais lentement à mon hôtel pour me reposer avant de me préparer à sortir pour dîner et finir la soirée dans un bar. Un programme banal mais efficace pour combler l’ennui.

- Isabelle, qu’est-ce que tu fais ici, tu es seule ?

Elle eut un instant de surprise avant de me reconnaître, puis elle parut soulagée et, en haussant les épaules comme on invoque la fatalité, elle dit :

- Tu vois, moi aussi, je me promène.

- Louis est ici ?

- Probablement, mais pas avec moi. Louis n’a pas besoin de moi. Qui a besoin de moi ?

- Ne dis pas d’idioties. Viens, nous allons prendre quelque chose, et tu me raconteras.

Nous sommes allés à mon hôtel, et dans le fond du bar, assis devant une table sur laquelle le barman avait déposé deux whiskys et une coupelle d’olives, elle m’avait raconté son séjour à Londres.

Elle savait que Louis était à Londres. Comment ?, elle ne me l’a pas dit. Et elle voulait de toute force le rencontrer. Elle voulait savoir pourquoi il était parti. Elle voulait qu’il le lui dise, les yeux dans les yeux. Si ça avait été pour une autre femme, peut-être qu’elle l’aurait compris mais elle savait que ce n’était pas pour une autre femme, elle s’était renseignée discrètement, la seule femme avec laquelle il l’avait trompée, la femme du dentiste, avec laquelle il aurait pu partir, n’avait pas quitté son mari.

- Alors, si ce n’était pas pour une autre femme, c’était à cause de l’âge qu’il avait. Les hommes, à un certain âge, sont saisis d’une sorte de fièvre, ils veulent recommencer leur vie. Puis, ils regrettent, on ne recommence rien du tout, mais ils pensent qu’ils ne peuvent pas revenir chez eux parce que leur épouse ne leur pardonnera pas. Certains tombent de plus en plus bas. Ils ont tort, en tout cas lui avait tort, je ne suis pas comme ces femmes-là.

Ils en avaient parlé toute la nuit, m’a-t-elle dit. Elle l’avait supplié de passer cette nuit avec elle, même si ce devait être leur dernière nuit.

- Et nous nous sommes aimés comme tu ne peux pas imaginer. Je me suis même abaissé à des gestes, à toi je peux le dire, dont je n’aurais pas pensé que j’en étais capable et que j’ai découverts avec lui au point que ce matin, étendue sur le lit pendant qu’il était dans la salle de bains, j’étais sûre qu’il reviendrait avec moi. Lorsque je suis revenue de la salle de bains à mon tour, il avait quitté la chambre, et quand je suis descendue dans le hall, mon cœur battait à se rompre, à la réception on m’a dit que le monsieur avait réglé la chambre et qu’il était parti. Je suppose qu’ils m’ont prise pour une prostituée, et moi, je me demande s’ils n’avaient pas raison.

Elle m’a saisi la main, j’ai cru qu’elle allait pleurer. Nous avons dîné au restaurant de l’hôtel, nous avons repris un verre au bar, nous avons parlé, et c’est tout naturellement qu’elle m’a accompagné dans ma chambre.

Elle s’est déshabillée devant moi avec autant de naturel, j’imagine, qu’elle se déshabillait devant Louis. Après un certain nombre d’années de mariage, entre époux on se déshabille pour se mettre au lit sans nécessairement penser à autre chose qu’à dormir. Puis un geste, un attouchement fortuit, une envie qui naît chez l’un ou chez l’autre, ou chez les deux, porte le corps de l’un vers celui de l’autre.  

Isabelle a continué de parler avec autant d’abandon que si j’étais réellement celui à qui, elle l’avait déjà dit, on pouvait entièrement se confier.

- Tu as été son ami, tu comprends pourquoi il est parti ?

Elle était incapable de dire : pourquoi il m’a quittée. C’est comme s’il l’avait rejetée, et elle ne comprenait pas qu’on puisse la rejeter. 

J’ai mis ma main sur sa poitrine, et nous nous sommes endormis jusqu’au matin.

Isabelle prenait l’avion vers la fin de la matinée, je l’ai accompagnée jusqu’à l’aéroport, nous nous sommes embrassés, nous nous sommes promis de nous revoir dès que je serais rentré.

Je ne pouvais quitter Londres que deux jours plus tard. Ce serait drôle, ais-je pensé, si je rencontrais Louis par hasard.

Un soir, elle est arrivée chez moi les yeux brillants, le corsage froissé, incapable de masquer sa nervosité. Elle avait rencontré dans un bar du haut de la ville, il y avait des années qu’elle souhaitait savoir comment les choses s’y passaient, un homme qui lui avait offert à boire. Ils avaient beaucoup ri ensemble. Il lui avait proposé de terminer la soirée dans un autre bar, et avant de monter dans sa voiture, il avait ouvert le coffre pour lui montrer un fusil à pompe qu’il emportait toujours avec lui.

- La ville est parfois dangereuse la nuit.

Elle avait été littéralement fascinée. Il devait être un homme dont il valait mieux ne pas savoir de quoi il vivait même s’il avait avoué être représentant en lunetterie. Une couverture probablement, tous les membres du milieu en ont une.  

Dans la voiture, il avait plongé sa main dans son corsage, et lui avait saisi les seins. Elle ne s’était pas offusquée de sa brutalité mais il avait dit en glissant une main sous sa jupe :

- Tu aimes ça, hein, faire la putain ?

Elle ne l’avait pas supporté. Elle avait ouvert la portière, et elle s’était précipitée vers une station de taxis. C’est du moins ce qu’elle m’avait dit.

 Lorsque je venais chez Isabelle j’y passais la nuit. Elle me racontait comment elle vivait, comment elle envisageait de refaire sa vie.

- Je n’ai plus vingt ans, je ne veux pas vieillir seule. Et je crois que je suis encore assez belle pour plaire.

Elle me caressait en ajoutant:

Qu’est-ce que tu en penses, toi?

Un jour, au téléphone, elle me dit qu’elle avait rencontré par hasard un ami d’enfance. Pas d’enfance en réalité, mais un ami à Louis, à elle et à quelques autres du temps de leur adolescence. C’est Louis qu’elle avait épousé mais ça aurait pu être lui, c’est ainsi qu’elle le raconta.

André, cet ami d’enfance, elle l’avait rencontré par hasard dans le hall d’un hôtel du boulevard où elle était entrée pour boire un café. Lui sortait du bureau d’un fournisseur. A chaque fois qu’il venait le voir, il avait l’habitude de prendre un verre dans le hall de cet hôtel. Manifestement, ils avaient été surpris tous les deux.

- Et Louis?

- Nous nous sommes séparés.

Il l’ignorait. Il voulait l’inviter à dîner, enfin si personne ne l’attendait, c’est drôle comme le hasard fait bien les choses, elle n’avait pas changé, pourquoi ne s’étaient-ils pas revus plus tôt, ils étaient des amis, non?

- Tout ce qu’il voulait, c’était coucher.

Ils s’étaient revus à trois reprises, il avait parlé de divorce le premier jour, puis il avait dit que la vie était compliquée mais qu’il fallait assumer, puis il avait proposé de la revoir. Elle ne s’était pas donné la peine de répondre. Mais c’était comme si une fissure s’était faite dans sa poitrine, c’est ainsi qu’elle définissait ce serrement qu’elle avait ressenti entre les côtes, tu crois que c’est le cœur? Peut-être qu’elle était moins séduisante depuis que Louis l’avait quittée. Peut-être qu’il faut être deux pour qu’une femme soit vraiment belle?

Elle ne voulait pas penser à l’avenir. On vieillit deux fois quand on vieillit seule, et deux fois plus vite. Elle effaça André de sa mémoire.

Je voyais Isabelle assez souvent. Il y avait entre nous, c’est ainsi que je le traduisais avec une sorte de lâcheté peut être, une connivence presque fraternelle. De plus j’admirais sa détermination à oublier Louis, à faire comme s’il n’avait jamais existé, à se reconstruire comme elle disait.

A chaque fois qu’elle avait une aventure je m’en réjouissais avec elle. Mais c’était toujours une aventure sans lendemain parce qu’elle ne voulait pas se lier en attendant qu’elle ait choisi celui avec lequel, elle disait « un homme ayant vécu », elle se sentirait en sécurité tant mentalement que physiquement.

- Tu comprends, disait elle, je veux que nous ayons la même façon de penser pour le connaître mieux que n’importe quelle autre femme, et pour qu’il ait envie de moi jusqu’au dernier de nos jours.

 Elle éclatait de rire.

 -Enfin, le plus tard possible. On peut, paraît-il, faire l’amour jusqu’au delà de quatre vingt ans.

Cette situation, qui m’arrangeait je l’avoue, durait depuis quelques temps.

- Tu te souviens de George?, me dit-elle un jour.

Il était avec André, Michel et Louis, un des garçons avec lesquels, adolescente, elle sortait, heureuse, au centre d’une cour attentive à lui plaire. On lui avait dit, c’est André qui le lui avait dit, que George était devenu dépressif depuis que sa femme l’avait abandonné car elle ne supportait plus sa propension à toujours attendre le pire, à le souhaiter presque.

- Il y a des hommes comme ça. Même Louis parfois, si je n’avais pas été là pour le reprendre en mains. Et les affaires de George du coup allaient à vau-l’eau. Isabelle s’attendrissait en songeant à celui qui avait été le plus timide des garçons, le plus reconnaissant lorsqu’elle lui souriait, celui qui était le plus prévenant, et toujours disposé à aider un ami. Elle se souvenait de cette anecdote qu’il avait lui-même racontée en se moquant de lui-même: il avait un jour servi d’alibi à un de ses amis qui trompait sa femme, et qui avait séduit celle que lui, George, aimait sans oser le lui dire.

- On était en pleine tragédie.

Isabelle avait haussé les épaules.

- Eh bien moi, j’ai envie de le revoir. Peut-être qu’il a besoin qu’on lui tende la main. Je sais ce que c’est: un être qu’on laisse.

Cette compassion qu’elle se découvrait pour George allait de pair avec un certain détachement à mon égard. Pendant deux mois elle ne m’avait plus donné de ses nouvelles. Lorsque je téléphonais, c’est son répondeur qui me demandait de laisser mes coordonnées mais elle ne rappelait pas.

J’éprouvais une sensation bizarre. Je ne voulais pas croire que c’était parce que les récits d’Isabelle me manquaient, et cette simplicité avec laquelle elle se mettait au lit, nue, après s’être lavée en me parlant depuis la salle de bain.

Peu de temps plus tard, j’ai appris par des amis qui nous étaient communs que George allait beaucoup mieux. Isabelle et lui se voyaient régulièrement, ils avaient pris une semaine de vacances ensemble dans un appartement qu’il possédait à la côte.

Il avait repris goût aux affaires, et Isabelle l’aidait de son mieux. Sans trop le montrer, les hommes, m’avait-elle dit un jour, n’aiment pas ça.

On disait, ce sont ces mêmes amis communs qui le disaient, qu’ils envisageaient de se marier dès que leurs problèmes de divorce seraient réglés. Je n’ai plus revu Isabelle. Peut-être est-ce moi qui aurais dû l’épouser.

 

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