Daniel Plasschaert, La Gloire amoureuse, éd. Chloé des Lys; Le Monde opaque, éd. Chloé des Lys, 2009,
poèmes
, .
D’emblée, dans la Gloire amoureuse, le lecteur est prévenu: le bonheur, la gloire sont hors de notre portée, ou, du moins, d’un accès difficile:
Le visage de Dieu m’est caché
La beauté m’est voilée
Alors, pourquoi voudriez-vous que je sois
heureux aujourd’hui
Il y a, en ce recueil, des passages très familiers, comme on en trouve chez Toulet, mais en même temps très réalistes, et qui nous portent à voir les choses en noir. Mais aussi, des formules scintillantes, éblouissantes, qui tranchent sur l’universelle grisaille. J’ai été ainsi séduit par ce dialogue avec le facteur:
Bonsoir facteur, vous avez bien meilleure mine que la nuit précédente./Et le courrier bien rangé dans votre sacoche,/votre serment de n’en plus lire une ligne./Posez vos livres et buvons à notre gloire./Un éclat de givre scintille entre vos doigts./Le cuir de vos gants noirs est usé./Sous la surface, l’air est saturé de mauvais rêves./ Dans ce quartier coronaire où nous demeurons pour l’éternité, le va et vient des passants condamne nos pensées au recul volontaire des saisons./ Facteur, vous et moi sommes ailleurs./Nous sommeillons.,/dans ces singuliers lendemains/d’où ne naît aucune aube.
et, plus loin, p.27: Nous sommes le hasard, /la moisson d’un jeu divisé, un frôlement jeté pêle-mêle/dans la bouche ivre d’un joueur épuisé.
Ici sont posées les questions essentielles, et la réponse est souvent triste et désabusée: p.30, l’art du géographe tient dans une poignée de terre. Les images de la peur sont dominantes, et la protection qu’une femme peut apporter contre cet environnement sauvage et meurtrier. Ainsi, p.41:
il ne faut pas que je sorte/il faut que toute cette peur s’en aille pour de bon, ou encore, p.42: Je retourne avec fracas vers le socle où repose la soif d’aller.
Mais il y a chez les femmes de Daniel Plasschaert un peu de cette étrangeté à la fois familière et inquiétante qui meut celles de Paul Delvaux.
On retrouvera, dans Le Monde opaque, une sorte de peur devant l’amour, peur de sa disparition, de sa précarité.
…il partira. Elle partira./Emportant le grand signe/Du vivant dans leur mouvement/Roues d’où le pouvoir de l’invisible/Racontera la chute/De ceux qui sont vaincus/Par tous leurs jours de noces/Et les passants à la porte/Feront des signes/Et les parterres délaissés de leurs fleurs/Et les statues pâles/Comme des taches de clarté futile/ Elèveront leurs corps jusqu’à leurs bouches/ (…)
La femme se confond avec le monde, le monde tout entier devient elle. Il y a une force singulière en ces regrets pleins de vigueur:
Dans le désordre des armoires/Une lampe s’allume au détour des ruelles/Un journal froissé et ta photo/Que je glisse dans ma poche/Presque machinalement/Comme un voleur fatigué/Comme si j’allais un jour /Sortir de l’ombre portée de l’astre nocturne/L’idole lumineuse et magique/Qui rouvrirait le monde effacé/De ce que nous avons écrit/Et renié par mégarde…(p.51)
Une œuvre à la fois délicate et forte dans sa densité, et qui évoque à merveille, en prise avec les photos en grisaille prises par l’auteur, cette sorte d’étrange absence/présence amère et douce qui nous gouverne
Joseph Bodson