Songe ou mensonge ? Complicité de deux géants russes…Pouchkine et Rimsky Korsakov. Que nous réserve l’aube nouvelle ?
Quelque part dans un empire
Plus lointain qu'on ne peut dire,
Vivait le grand roi Dadon,
Qui dès l'enfance eut le don
D'infliger par son courage
À ses voisins force outrages.
Or ce roi, quand il vieillit,
Voulant loin des chamaillis
Connaître des jours paisibles,
A son tour devint la cible
De ses voisins qui dès lorsLui causaient beaucoup de tort…
Ainsi commence le conte russe écrit par Pouchkine (1799-1837) en 1834. Jugé irrévérencieux, par ses remarques caustiques sur le Tsar Nicolas I, celui-ci fut déjà censuré.
La satire gagne encore en puissance avec le librettiste, Vladimir Belsky et la musique de Rimsky Korsakov (1844-1908). Il fut à son l’époque plus difficile de faire sautiller Le Coq d’or de sur la scène russe que de faire passer un chameau par le trou d’une aiguille…raconte à l'époque, le critique musical, Joel Yuliy Engel (1868-1927). Quoi de plus subversif d’ailleurs qu’un conte, pour critiquer ce régime tsariste pourri qui ne recule pas devant le crime et ne tient pas ses promesses? En 1905, le compositeur fut destitué, puis réintégré dans ses fonctions au Conservatoire pour avoir apporté son soutien public à des étudiants rebelles. La création du dernier opéra de Rimski-Korsakov eut finalement lieu le 24 octobre 1909 à Moscou dans un théâtre privé, après sa mort.
"Il a le rang et les vêtements du Tsar. Mais son corps et son âme sont ceux d'un esclave. À quoi ressemble-t-il? Les courbes impaires de son personnage rappellent celle d'un chameau, Et ses grimaces et caprices sont celles d'un singe ..." La musique transparente de cet opéra alerte et malicieux, composé près de 10 ans avant la révolution de 1917, regorge d’allusions parodiques au pouvoir en place, critiquant ouvertement ce roi malhabile, son régime autoritaire et arbitraire et l’asservissement de son peuple, pourtant libéré officiellement du servage en 1861.
Cet extraordinaire Coq d’or hélas rarement joué, est un vrai cadeau de décembre avec la très intelligente mise en scène du français Laurent Pelly et surtout sous la baguette d’Alain Altinoglu qui dirige, avec quelle force théâtrale, son premier opéra depuis sa prise de fonction comme chef attitré de La Monnaie! Alain Altinoglu préside à son orchestre comme un chef d’atelier de tapisserie musicale, assemblant les 1001 mélodies orientales de la composition en une immense fresque débordante de vie, qui met en scène une myriade de sonorités instrumentales bien adaptées à la voix des solistes.
En prime, cadeau dans un cadeau, entre le 2e et le 3e acte, Alain Altinoglu dépose la baguette, quitte l’orchestre, ouvre un piano et joue en interlude musicale les suites tirées de l'opéra avec la violoniste Saténik Khourdoïan … qui plane avec son archet, les yeux fermés. Pur bonheur, moment de grâce, d’extase peut-être, un saisissant contraste après la ridicule scène entre la sublime et séduisante reine Chemakhane (Venera Gimadieva/ Nina Miasyan) et le balourd roi Dido (Pavlo Hunka/ Alexey Tikhomirov), qui se comporte, à peu de choses près, aussi stupidement et vulgairement que certains touristes sexuels des contrées lointaines.
Cette nouvelle production de La Monnaie tend un miroir à la bêtise humaine et à tous les tyrans du monde. Le travail de la mise en scène où le peuple et le tas de charbon se confondent capte à contre-jour le jeu de foules versatiles. Souvenirs de tableaux expressionnistes ? Les magnifiques costumes de fourrure de renard argenté de la cour impériale se chargent au fur et à mesure la poussière noir charbon. Celle-ci finit par devenir de plus en plus envahissante, jusqu’à atteindre même le splendide costume de la reine Chemakhane, une truite d’argent enchanteresse si suggestive dans son torride solo érotique, devant un roi béat d’admiration! Le décor de ce deuxième acte n'est pas une immense corne d'abondance mais une immense nasse illuminée de désir dont le piège se refermera sur le roi incompétent. Les lumières (Joël Adam), elles aussi, comme les tonalités musicales, ne font que s’assombrir, et annoncer l’inéluctable déclin et la mort du monarque absolu. Le somptueux lit d’argent où paresse le roi est une pièce d’orfèvrerie qui une fois montée sur un tank dévastateur, dit tout de l’horreur de la guerre. Les figures déshumanisées qui accompagnent la Circé orientale font frémir.
Mais l’émerveillement est entier à chaque apparition du Coq d’or, un être mythique dont les postures sont plus vraies que nature. Le poitrail doré se gonfle de chants mystérieux chantés par la voix de Sheva Tehoval, tandis que la danseuse, Sarah Demarthe, accomplit le miracle mimétique sue scène par une danse d’une incomparable grâce animale. Les tressaillements de l’immense queue faite de plumes de paradisier, ou du moins on l’imagine, les sabots d’or qui chaussent les pattes délicates qui cherchent à éviter de se salir, et le refuge sur un radiateur pendant le sommeil injuste du tsar sont autant de secondes de beauté: tout chez cette figure fabuleuse, est matière d'espoir, matière à rire et à plaisir, comme échappée des Contes du Chat Perché!
La féerie subversive est bourré d’humour : « Tout conte est mensonge mais n’en contient pas moins quelque allusion. Puisse-t-il servir de leçon à maints braves jeunes gens. » dit Pouchkine et le facécieux Astrologue (Alexander Kravets) de conclure : « Seule la tsarine et moi-même y étions bien vivants ! Les autres, chimères, élucubrations, fantômes blafards, vacuité… » Notre société semble être accablée des même maux de décadence et de désarroi… Quel coq d’or risque subrepticement de s’animer et de pourfendre son crâne ?
http://www.lamonnaie.be/fr/program/10-le-coq-d-or
liens utiles:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Pouchkine
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Coq_d'or_(op%C3%A9ra)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_II_(empereur_de_Russie)
« Le Coq d'or » a séduit la presse ! –
– Opéra magazine 14.12.2016
Le Coq d'or, (...) est admirablement servi par la Monnaie de Bruxelles depuis hier soir. Lecture orchestrale enivrante d’Alain Altinoglu, (...) et mise en scène de Laurent Pelly réussissant le juste dosage entre onirisme, fantasmagorie et satire dans une œuvre hésitant entre différents genres.
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– La Libre Belgique, 14.12.2016
Un Coq d’or noir, étincelant et poétique. Après un « Capriccio » de grande classe, voici un « Coq d'or » qui pourrait marquer les mémoires.
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– Le Soir, 15.12.2016
Une féerie somptueusement maligne.
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– L'Echo, 15.12.2016
Une mise en scène savoureuse de Laurent Pelly : un régal d’insolence douce, absurde et taquine (…)
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– FAZ.NET, 15.12.2016
«Der goldene Hahn» is eine Prachtpartitur.