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12273371693?profile=originalStatuette en « rubis-zoïsite »

(7x7 cm)

 

      Il a d’abord fallu trouver la pierre. Une roche unique, l’anyolite, trouvée au pied du Kilimandjaro dans la mine Mundarara, près de Longibo en Tanzanie, pays des éléphants. Cette roche est constituée de zoïsite chromifère, d’un beau vert pomme (silicate), de rubis, un corindon auquel le chrome donne sa couleur rouge, et de tschermakite noire (un silicate riche en calcium du groupe des amphiboles).

Puis la pierre a voyagé jusqu’en Inde, pays à culture millénaire, pays légendaire…

 

12273371899?profile=originalLe maître et l’élève.

Lapidaire cinghalais et son apprenti (ca 1910)

 

      Là un lapidaire a repéré un rubis suffisamment gros pour y sculpter un personnage, en appréhender la forme, la position, l’environnement qui lui conviendrait selon l’emplacement du corindon dans le bloc de zoïsite verte. Œil expert, science de la matière.

 

12273372866?profile=originalStatuette en « rubis-zoïsite », détail.

 

Il a choisi Ganesh, le fils de Shiva et de Parvati. Ganesh, le dieu de la sagesse et de la connaissance du panthéon hindouiste. Symbole de l’union entre le macrocosme et le microcosme, il est traditionnellement figuré avec un gros corps de couleur rouge, une tête d’éléphant portant une seule défense et quatre bras. Il tient un aiguillon à éléphant dans sa main avant droite pour maîtriser le monde, une mangue, une offrande, dans la gauche qui récompensera celui qui cherche la vérité. Ses deux autres mains tiennent respectivement un nœud coulant pour capturer l’erreur et un trident (trishula, l’arme de Shiva), l’arme qui détruira la convoitise. Il est représenté assis en tailleur sur son trône de lotus, une couronne sur la tête, une jambe repliée, et entouré de cobras royaux (nagas).

 

12273373099?profile=original Ganesh est souvent accompagné de Mûshika, le rat qui lui sert de véhicule.

 

Ganesh comprend le monde. Le lapidaire comprend Ganesh. Le lapidaire connait et maîtrise la pierre.

Toute une éducation.

 

12273373890?profile=originalGanesh, sagesse et éducation

 

Il sait tout de ses attributs. Il l’invoque avant d’entreprendre afin de lever tous défis qui s’imposent à lui. Et les difficultés ne manquent pas…

Le rubis est très dur (9 sur l’échelle de Mohs, 10, pour le diamant, étant le dernier échelon), et cette grosse masse d’un rose soutenu fera un dieu fort convenable, qu’il taillera dans cette riche matière. Un bout de la trompe de corindon, pur et incolore, achromifère, donnera même une illusion parfaite. La zoïsite (dureté 6-6,5), vert feuille de lotus, sera idéale pour le trône. Le noir de l’amphibole (dureté 5-6) pouvant évoquer la lutte entre le bien, l’intelligence, et le mal, l’ignorance.

Humble travail du lapidaire pour un dieu très populaire. Ganesh mérite bien sa réputation d’enlever les obstacles.

 

12273374475?profile=originalUn dieu populaire…

 

12273375057?profile=original… notamment lors des mariages.

Une prière est d’abord consacrée à Ganesh,

dieu de la chance et de la sagesse, gage d’un ménage heureux.

 

      L’hindouisme fait bon ménage avec l’ayurvéda, « science de la vie ». Si l’on peut accorder quelque crédit à la médecine ayurvédique, dont un avatar moderne est la lithothérapie auquel je n’en accorde aucun (au contraire de la phytothérapie)… mais après tout je vous ai bien donné à voir un éléphant rose…

 

12273375257?profile=original

 

      Quoi qu’il en soit donc, selon les textes védiques (le Garuda Purana et le Graha Gocara), le rubis (manikya) conférerait courage et fortifierait le cœur, améliorerait la circulation sanguine, tout en vous débarrassant de la tristesse et de l’emprise de la sensualité. Egalement prescrit pour traiter la paralysie, la schizophrénie… Souverain… ce « joyau rouge » (shona-ratna).

Légendes, magie, pragmatisme, les médecines traditionnelles procèdent souvent par analogie (la toile d’araignée, composante de certaines préparations, était ainsi réputée piéger la fièvre). Le rubis, dont la couleur la plus prisée est dite « sang de pigeon », variété que l’on trouve au Myanmar (Birmanie) à Mogok, est donc tout indiqué pour les maladies du sang.

 

12273375458?profile=originalCristal naturel de rubis (Mysore, Inde)

 

Dans le sous-continent indien on le trouve du côté de Mysore (Inde du Sud) et de Ratnapura (Sri Lanka). Là où le bât blesse encore c’est que le « rubis » (de ruber, rouge, rubeus, rougeâtre) est un nom autrefois donné à plusieurs pierres rouges avec qui il est confondu (le spinelle, de plus souvent trouvée dans les mêmes gisements comme à Mogok, anciennement dit rubis balais, voire le grenat, la rubellite…). C’est dire si son utilisation médicale relève de la science exacte.

 

12273375501?profile=originalSpinelle gemme dans sa gangue de marbre (Mogok, Myanmar)

 

On donne le nom de « gemme » à une pierre pure, noble, précieuse.

      Pour en revenir à notre « rubis », il ne peut pas être qualifié de "gemme", de pierre précieuse, au sens moderne en gemmologie ou en minéralogie. S’il en a la moelle il n’en a pas les qualités substantielles, la pureté et la transparence, quoique le cristal soit parfait et translucide.

Par contre, au sens ancien on donnait le nom de gemme à toutes pierres fines, montées en bijou ou ouvragées, coupes, aiguières, vases, nefs… ainsi parle-t-on des gemmes de Louis XIV ou de celles entrant dans les trésors des maharadjas.

 

12273375686?profile=originalChrist à la colonne

(anonyme, XVIIe siècle)

Héliotrope (jaspe sanguin ou « pierre de martyrs »), cristal de roche (colonne) et or émaillé (piédestal).

Cette extraordinaire statuette fit partie de la collection de gemmes de Louis XIV, grand amateur de pierres dures.

Même registre de couleurs, fond vert moucheté de rouge,

pour une pierre bien différente.

Les taches de sang ne sont pas appliquées, surajoutées, elles sont inhérentes à la pierre, constituantes du matériau. Le lapidaire a su faire ressortir et répartir les taches rouges naturelles et disséminées de la  pierre à dominante vert sombre pour figurer les stigmates de la flagellation. Il faut seulement être un sacré interprète de la pierre pour en traduire sa réalité.

« Pierre de sang »*, ou « jaspe d’Orient » comme on disait au temps du Roi Soleil, d'excellente qualité que l’on trouvait en Inde près de Rajkot sur la péninsule de Kathiawar.

Le Christ mesure 13 cm de haut.

(photo Louvre captée sur le net)

 

Quoiqu’iconoclaste, le rapprochement entre ces deux statuettes n’est pas fortuit. Le « rubis-zoïsite », de par sa couleur, se rapproche de la « pierre de sang » (pitoniya, ou « joyau de sang », raktamani), verte ponctuée de rouge, à laquelle en Inde on attache beaucoup d’importance. Son rouge est celui de la peau de Vala, un démon, que la divinité (Deva) du feu, Agni, transmua en « pierre de sang » et dispersa dans l’eau du fleuve Narmada, une des sept rivières sacrées. Une pierre donc censée apporter richesses et purifier le sang.

Par ailleurs, Indra, roi des dieux (devas), souverain du ciel, dieu du tonnerre et de la foudre, dans la tradition védique de l’Inde ancienne, est souvent représenté avec la peau rouge et montant son éléphant blanc, Airavata.

 

      Si le rubis, opaque (appelé parfois « racine de rubis »), comme la zoïsite verte (seule sa variété tanzanite, bleue, quoique souvent chauffée pour en rehausser le ton, peut être titrée « fine », « précieuse » ou « gemme ») de notre statuette ne peuvent être qualifiés de gemmes au sens strict, l’art consommé du lapidaire lui donne la noblesse d’une gemme digne d’entrer dans des collections princières.  Et suffisamment noble pour représenter un dieu.

Et le modeste et anonyme artisan capable de tailler un tel objet précieux peut bien être élevé au rang d’artiste.

 

12273376474?profile=originalUne autre statuette de Ganesh en « rubis-zoïsite »

(photo captée sur le net)

Forcément différent… selon la taille et la position du rubis

que le lapidaire découvrira… ou pas dans sa gangue verte.

S’il a ses codes, immuables, sa production ne peut pas être de série.

Créateur ou non ?

 

      En minéralogie, la couleur n’est pas non plus en soi un critère spécifique d’identification. Ainsi le corindon sera appelé en gemmologie « rubis » s’il est rouge, « saphir » bleu ou d’une autre couleur, à condition que le nom soit suivi de l’adjectif de couleur (saphir jaune, vert…), ou même rose-orangé pour le très rare « padparadscha », couleur fleur de lotus. Par ailleurs, l’émeri qui servait à polir les pierres, est constitué de corindon. Admettons qu’il est difficile parfois  de s’y retrouver dans cette toile.

La couleur, on l’a vu, est due à la présence de traces généralement métalliques, le chrome par exemple pour le rubis. La zoïsite quant à elle sera verte en présence de chrome, rose en présence de manganèse (elle est alors appelé thulite, qui n’en est donc qu’une variété), bleue en présence de vanadium (et alors appelée tanzanite)…

 

12273377055?profile=originalRoses pourpres de pierre

comme un cœur en hiver.

Un autre exemple de ce qu’on peut obtenir avec cette pierre faite essentiellement

de corindon rouge (rubis) et de zoïsite verte…

 

Sculpteur ou lapidaire ?

      Le sculpteur travaille généralement le calcaire, le marbre en particulier, pierres tendres. Le lapidaire façonne les pierres dures. La dimension de l’œuvre peut permettre de les distinguer, monumentale pour l’un, miniature pour l’autre.

Différences qui souffrent de si nombreuses exceptions que l’on ne peut en tirer une règle.

Alors il faut bien admettre des critères distinctifs beaucoup plus subjectifs. Il manque peut-être à notre statuette la patine du temps, qui peut faire la valeur de l’objet. Surtout, défaut rédhibitoire, il lui manque une signature, qui fait le renom de l’artiste… et de son propriétaire. Et lorsque l’antique se conjugue à l’estampille on parlera plus volontiers d’objets d’art, d’exception. Prestige d’une particule.

Pas de vrai distinguo soit, mais d’aucuns sont plus distingués.

J’espère avec ce nouvel article vous avoir fait découvrir de toutes les couleurs, soyez indulgents toutefois, je n’ai pas quatre bras.

 

Michel Lansardière

(texte et photos coll. M.L.)

* Traduction littérale de l’Anglais « bloodstone ». Le plasma est un jaspe vert parfois tacheté de jaune, tandis que la sanguine, que peintres et dessinateurs connaissent bien, est un oxyde de fer, l’hématite ou oligiste.

 

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Convulsé d’halètements
Me tenant la main,
Affectueusement
Tu oublies ton destin.
Vie sans vergogne
Débutée en Pologne
Transportée en Belgique
La Belle et, . . . Magique.
Toi mon vieux,
Tes yeux dans mes yeux,
Me redis l’amertume
Ce parcours sans fortune
Mauvaises passes liées,
Chapelets de grains brûlés,
Guerre, Camps, Mines, Rages,
Peines, douleurs, en bagage.
En cherchant l’air
Pour mieux parler
Oxygéner tes chaires
Tes poumons lacérés
L’air du dehors,
Qui sauve le corps.
L'oeil oblique regardant
Ce sale truc angoissant
Ses signaux égrainés
Crispent ton ventre décharné
Tu serres mes doigts
Je sens ton effroi
Te battre tu l’as fait
Avec force et envie.
Vaincre, gagner la vie,
Ne jamais être défait.
Hélas un mal s'arroge
Un droit, il te ronge
Avale tes minutes de vie.
Avec une folle frénésie.
Tenté de résister
Vaincu, tu as plié
Je t’ai vu fatigué,
Usé, tu as pleuré.
Pour une première fois
Tu pleurais devant moi.
Larmes-prières pour Marie
Aux miennes réunies.
Juin 86...sombre mois
Murmurant quelques rimées
Elle est venue à toi.
La Camarade acharnée
Implacable, cruelle,
Laide mais réelle,
Elle mit sa main glacée,
Sur ta bouche émaciée
Lutter, la tenir ouverte,
Laisser l'air entrer.
Sans pitié pour toi,
Ignorante de mon désarroi
Elle t'arrachait la vie.
Sans empressement
Laissant juste l’exuvie.
Ton plus jeune fils, Robert Tadeusz.
Tu avais juste soixante deux ans.
Je voudrais tant Papa
Que tu reviennes vers moi,
Pour, encore une fois,
Sans penser à demain
Te tenir la main,
Elle qui m'a tout appris,
Une poigne qui m’a nourri,
La caresser, comme tu aimais
La serrer aussi, à jamais
Tes yeux, vers moi se tourneraient
Tendrement, je te regarderais
Affectueusement dans les yeux,
Je chuchoterais au mieux
Les mots vrais de mon coeur
Ceux qui naissent du bonheur
Les plus beaux, pour ce nom, "Papa"!
Mais, des mots me restent.
Les voici, juste pour toi :
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La gloire amoureuse, un extrait

Prince des embaumeurs,puisses-tu nous rapprocher l'un de l'autre.Prince des embaumeurs,Serre-nous l'un contre l'autre.Prince des embaumeurs,libère la vie,ouvre nos lèvres.Arrache au souffle la parcelle de mortet jette-la au loin à l'abri du rocher.Ces sourires mouillés sont des morts qui renaissentpoussés par des fleuves d'azur.Des démons charriés par nos bouches de confusion,par les torrents de feu qui agitent, meurtris,le tissu invisible de l'émoi.Couverts de flammes et de folie,nos baisers se touchent dans l'au-delà.Nos baisers se touchent et se séparent,convois du renoncement aux choses,projetés épars en torches liquidessur les yeux mi-clos d'une mort rajeunie.VAux parapets de la tour, accoudé,le joueur contemple le spectacle de la vallée verdoyante qui s'étend au-dessous des terrasses.Immobile sur le lac supérieur de la pensée,il écarte le ciel saigné à blanccomme un trou laissé vide.Dans la poussière qui recouvre son front,une femme dénudée dort paisiblement.Il y a tant d'allées et venues dans ces yeux,de brins d'herbe oubliés, de terres révolues.A ses pieds sous la mousse, coule un fin filet d'eau, une ombre qui ruisselle vers les tentes de chanvre.Un chant de liesse fugace, d'écritures et de traits,de guerriers, de danseurs qui s'effacent miroitants à mesure que passent les barques.Immobile sur le lac supérieur de la pensée,le joueur dans un saut majuscule,crucifie en riant,le visage étonné de l'attenteet grave dans la mousse,les chroniques de sa résurrection.VIEt tel un cerveau de pierre,la cave où nous logeonspour quelques nuits d'amournous paraît immenseavec ses couloirs glissants,ses parois moites,où l'on devine plus qu'une simple invitation.Nous vidons toutes les bouteilles, tu es blancheet lunaire.Cet amour immaculé.Cet amour similaire aux ajours.Cet amour émasculé, ensorcelé.Cet amour blessé dans son ventre et dans son sang.Et tel un cerveau de pierre la cave où nous gisons s'emplit de regards, de sable et de songes uniques.Et tel un cerveau de pierre,elle nous recouvre de ses peines,de ses dictionnaires,de ses voûtes basses où résonnent nos cris d'enfants.Dehors,le ciel splendide et calmedescend les marches du palaiset jaillit anonyme.Pur sous le soupirail attentif.VIILe ciel habite un point fragile entre tes yeux,entre nadir et zénith.J'y suis allé un soir de pluieentre deux rêvespour retrouver l'ancien rivageet sa clarté divine.Je me suis promené longtemps,au point de mire de deux existences,à l'endroit sacrilège où se forment les vies de chair.Aux pieds de ces tours Saturniennes.Et c'est sans doute que douloureuxce même soir,plus fou que d'habitudej'ai brisé d'un coup secle vase d'airain,accédé aux formes les plus reculéesde ton amour magnifié.Vers séculaires à l'empreinte de cesfragments sculptés qui brisèrent l'infidélité en la nommant.J'ai lu en songeant,parcourant le ponton dans l'espace.j'ai lu, j'ai soudé,un sarment de ta folie sur mon ventre désert.J'ai lu, agité ta foliecomme un flambeau ruisselant d'argile,sculpté la hanche du Géantqui gardait en silence,la couronne de la reine légendaire.Qui voudra me croire ?Le ciel habite un point fragile entre tes yeux.Le ciel de ta signature de chair, le haut du précipice.J'y suis allé cueillir des perles et des fleursDeux sourires légers gardaient l'entrée de tes blessures.Le point fragile entre tes yeux.j'y suis allé un jour de pluie,entre deux rêves inachevés.La maison de l'ancienne passion.Il y a du givre sur la fenêtre,des roses sèches sur le tapis.
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Monsieur Robert Paul.

Il marche sous la pluie de Novembre, le parapluie inclné en direction de la bourrasque, c'est signe de détermination poétique, courber son parapluie. Les autres passants, plus terre à terre sans doute, ne marchent plus et se sont abrités sous les porches, dans les abris que leurs offrent les quelques arbres qui restent encore debout dans cette avenue large, si large qu'elle fait penser à l'Escaut du temps jadis, de ce temps ou les peintre y plantaient leurs chevalets et ou les poêtes s'y pendaient sous les ponts, mettant fin à leurs jours.

Il y avait aussi, quelques dessinateurs venus du haut de la ville pour immortaliser le vent, les gouttes d'eau, le vide de la nuit.

Monsieur Paul, défiant les automobiles et les fiacres, les vélomoteurs et les cylindres des géantes cylindrées, n'avait de cesse de saluer ceux que le maire de la ville appellait ses enfants. Pour nous, artisans qui rêvions de devenir artistes, la gloire n'était rien à moins d'être bénie et paraphée par le sourire ou l'apostrophe de Monsieur Robert Paul. 

L'art d'aimer l'art, une fameuse cuisine qui demande mieux que de bonnes épices. Le voici qui nous construit une maison sur la gauche de l'aube, une auberge à l'orée d'un escalier interdit ou encore, un boudoir rigolo pour nos soirs de misère. Vous l'avez déja vu sourire, amusé de nos cabrioles colorées ? Avez-vous déja saisi une émotion inconnue dans ses yeux de maître d'oeuvre ?

Glissez-vous sous son parapluie, sous ce royaume secret se cache le reflet de la ville, de nos pas, de l'infinie attention de l'homme pour ses petits cabotins. Mais il sait si bien pardonner lorsque le vert déborde et que les voyelles s'emballent. Il est l'heure. On se boit un café, à l'abri, chez lui, chez vous, chez nous. Have a good evening dear Mister Paul. 

 

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Il s'agit d'un ouvrage historique de Jacques Bainville (1879-1936), publié en 1935. On ne trouvera point dans ce livre d'étude politique approfondie de la dictature et de l'évolution de ses formes à travers les siècles. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation: l'auteur se contente de raconter la vie des dictateurs, laissant au lecteur le soin de méditer sur les similitudes qui rapprochent les tyrans de l'antiquité et les monarques absolus du siècle classique des dictateurs de 1935. L'argument du livre est que la dictature est le fruit naturel de la démocratie, qu'elle apparaît dans l'histoire des régimes démocratiques selon une sorte de "loi de retour éternel" (ce sont les mots mêmes de Bainville). La dictature n'est pas une mode: elle peut répondre à des nécessités, à l'exigence des faits, et c'est pourquoi, par exemple, les Romains l'avaient légalisée en certaines circonstances. Les causes immédiates de son apparition peuvent être néanmoins très diverses: nécessité de salut public, pour parer à une invasion étrangère, -réaction contre l' anarchie et la ruine, -mouvement de défense sociale contre le communisme: ou bien encore, la dictature peut être la forme extrême et violente prise par la démocratie égalitaire pour vaincre ses adversaires. A Athènes, dans l' antiquité, ce sont, avec l'accroissement des richesses, l'élévation de la bourgeoisie et l'abaissement de la classe pauvre, les luttes sociales acharnées qui introduisent la dictature: les deux partis, épuisés, prenaient l'habitude de s'en remettre à un tiers pour juger leurs différends. Le dictateur est alors surtout un légiste. Mais on voit aussi, avec Pisistrate, apparaître le "tyran" plus proche de nos dictateurs modernes, car il prétend toujours s'appuyer sur le peuple et n'assure son pouvoir que par la démagogie et la violence. A Rome, le sénat, aristocratique, craignait par dessus tout l'élévation trop rapide d'un homme politique: cependant, voulant corriger les défauts de la République par l'autorité, le sénat avait prévu et légalisé la dictature au nom du salut public en cas de guerre extérieure ou civile.

Le moyen âge ignore la dictature et celle-ci, ce qui confirme la thèse de Bainville, ne reparaît qu'en Angleterre, précisément pays de système parlementaire, avec Cromwell. En Europe continentale, avec le "ministériat" de Richelieu et la dictature royale d'un Louis XIV, on est en présence, au XVIIe siècle, d'un système autoritaire absolu, mais ces dictatures, sont dominées, animées, réglées par l'idée royale et nationale. Le "despotisme éclairé" est une sorte de dictature "dictatique" et "pédagogique": il s'agit, renforçant le pouvoir royal, d'imposer de vive force les "lumières" à la masse du peuple, et, pour cela, de briser les résistances des vieux "préjugés" et de leur citadelle, la religion... La dictature de Robespierre, qui rappelle la dictature romaine car elle est exercée au nom du "salut public", s'apparente aussi à ce "despotisme éclairé": car il s'agit bien d'une dictature "pédagogique" (comme sera plus tard également la dictature soviétique) où la Révolution est identifiée à un homme et à un bureau politique. Les dictatures napoléoniennes nous découvrent une constante de la politique française: les 18 brumaire ne sont possibles en France qu'à ceux qui détiennent déjà une part du pouvoir.... Après avoir envisagé rapidement les diverses dictatures de l' Amérique latine, Bainville en arrive aux dictatures contemporaines: celle d' Ataturk qui rappelle le "despotisme éclairé" d'un Pierre le Grand ou d'une Catherine II et qui a mis au service du mimétisme occidental toutes les ressources du despotisme oriental; le fascisme, pour lequel Bainville nourrit une certaine sympathie, et dont il condamne ici les pseudo-imitations françaises que préparaient alors certains. Dans le fascisme, Bainville voit autant un mouvement de réaction contre l' anarchie que l'ultime règlement de compte entre les "interventionnistes" et les "neutralistes" de 1915, ces derniers étant restés au pouvoir, malgré l'entrée en guerre de l'Italie et la victoire. S'il s'attaque vivement à Hitler, Bainville montre au contraire la plus grande sympathie pour la dictature de Salazar, au Portugal.

Notons, pour conclure, que si Bainville considère avec une certaine satisfaction les dictatures d'avant-guerre comme une revanche des systèmes d'autorité que les hommes de Versailles avaient prétendu bannis à tout jamais par le "progrès", il voit cependant plus loin et s'efforce de montrer que les dictateurs ne sont point des sauveurs, mais bien les expressions les plus féroces et les plus dégénérées du gouvernement "démocratique" qu'il a toujours vivement critiqué et combattu.

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Dimanche

Dimanche

le temps va battre
de son aile
d’oiseau endormi

s’écoulera
mot
à mot

chantera la durée
sous le halo
de l’abat-jour

*
Martine Rouhart

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Du 02-10 au 31-10-20, l’ESPACE ART GALLERY (83, Rue de Laeken, Bruxelles 1000) a le plaisir de vous présenter une exposition consacrée au peintre français, Monsieur OMER AMBLAS, intitulée : DEVOIR DE MÉMOIRES.  

Quelles sont les constantes entre un paysage et un visage humain? Le visage, à l’instar du paysage est un terrain perméable aux émotions car il s’imprime sur l’autre dans les expressions variables d’un état d’âme. Et qu’est-ce qu’un état d’âme sinon l’expression d’un vécu ressenti dans sa réalité immédiate?   

Tels des paysages, les visages d’OMER AMBLAS présentent souvent des régions aux anfractuosités telluriques rappelant les stigmates d’une âme qui interroge ses états progressifs dans sa finalité créatrice.

Le visiteur le remarque au premier regard. Quel que soit le format des toiles exposées, le thème de prédilection de cet artiste est le visage humain. Un visage modelé selon sa volonté en lui conférant une dimension hyperbolique, à la charnière entre peinture et sculpture, concrétisée par la présence du masque. Le volume du visage s’enserre dans le module du cercle. Et l’élément qui confère la ligne de force au faciès est l’élaboration du nez, conçu comme une arête fine, scindant le visage en deux parties distinctes. Les yeux et la bouche ne sont que délicatement esquissés. Un trait, tout aussi léger, souligne la circonférence du visage incluant le nez dans toute sa longueur ainsi que les yeux et la bouche sommairement exprimés. Remarquons qu’à aucun moment la représentation du personnage ne varie tant dans son attitude que dans ses attributs. Néanmoins, le jeu du traitement chromatique impose sa force sur la viabilité de la composition, rendant cette immuabilité identitaire extrêmement parlante et dynamique. L’autre élément contribuant à dynamiser l’œuvre de l’artiste est la matière étalée au couteau sur la toile, laquelle laboure littéralement la surface, accentuant ainsi la présence des chairs, à l’origine d’une forte sensualité plastique. Les couleurs, généralement très vives, accentuent la vitalité de l’œuvre. Y a-t-il une symbolique dans la conception des visages? Force est de constater que nous nous trouvons face à une sphère reposant sur un cou faisant office de socle. La dimension sphérique du crâne n’est pas sans rappeler celle du globe terrestre. Campé au centre de la toile, il surgit de l’arrière-plan, généralement monochromatique, tel un astre.

De plus, sa conception sphérique fait qu’il est comme propulsé vers l’avant, comme s’il voulait sortir de l’espace scénique.

L’artiste traduit ses états d’âme. Cela se remarque par la présence de coups de brosse, étalés sur la surface, « effaçant » presque les éléments caractérisant le visage, tels que les yeux et la bouche. Cette sorte d’ « effacement » se poursuit au tréfonds de l’identité de ses personnages. Certains d’entre eux sont censés être des femmes. Mais aucun indice concernant le genre ne transparait à l’œil. Les seules indications apparaissent dans les titres. Force est de constater que l’artiste a créé des personnages (pour le moins) asexués.  

Situés sur deux niveaux, le premier espace de la galerie propose des œuvres de grandes dimensions. Elles se caractérisent par une série de visages labourés, presque à outrance, par un passage répété par la brosse et le couteau. Les « éléments » se retrouvent dans sa peinture : la terre, ou plus exactement, le sol terreux sont consubstantiels à l’expression de ses états d’âme. L’artiste les expose dans un mariage mystique, triomphant à l’intérieur d’un Moi tout en nuances. Que se soit dans les petites dimensions comme dans les grandes, nous retrouvons la même esthétique. Néanmoins, les grandes dimensions offrent de par leur espace, l’opportunité d’un plus grand développement graphique.

Les états d’âme de l’artiste passent de phase en phase. D’un visage net de supplément de matière, le rendant totalement discernable, OMER AMBLAS passe progressivement vers un visage aux accents tourmentés.

JASE (80 x 80 cm-technique mixte) 

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Cette oeuvre nous propose un crâne à l’aspect d’une planète posé sur un cou lui servant de socle. L’expression est, sinon « heureuse », du moins « sereine ». Rien ne laisse entrevoir l’émergence d’une passion. Mais au fur et à mesure que le visiteur avance à l’intérieur de l’exposition, l’atmosphère devient plus dense. Observons qu’à aucun moment elle ne devient tendue. Elle prend simplement des accents plus « sérieux ».

ARDALOS (100 x 100 cm-technique mixte)

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Cette toile subit un intense traitement au couteau. Son passage sur la surface de la toile a pour but d’aplatir les glacis pour les faire ressortir dans d’infinies variations chromatiques. Les couleurs usités sont le rouge, le bleu, le blanc, le vert et le noir, en dégradés.

MATHILDE (100 x 100 cm-acrylique sur toile)

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Cette image survient telle une apparition. A’ partir du contraste créé par le noir, enserré à l’intérieur du jaune-or, faisant office de « cadre », un visage semble sortir de la nuit.

Nous avons évoqué plus haut le côté « asexué » des personnages. MATHILDE ne déroge aucunement à la règle. Par sa seule sa dimension épiphanique surgissant de la nuit tel un rêve, une féminité inattendue prend naissance. De plus, le contraste réalisé par la note noire à l’intérieur du jaune, confère à l’ensemble l’aspect d’une niche, à l’intérieur de laquelle apparait l’image d’un sacré.  

A’ la manière d’un ectoplasme, les couleurs tendres par lesquelles est conçu le visage le rendent doux. Les traits fins soulignant l’arête du nez ainsi que le contour des yeux et du bas du visage, renforcent cette douceur.  

Les couleurs par lesquelles il est conçu sont le blanc sur la partie gauche du visage (droite par rapport au visiteur), le bleu, le rouge, le noir et le jaune, en dégradés. A’ peine affirmées, elles contribuent à illuminer cette apparition. Il y a, notamment dans cette œuvre, la volonté picturale d’un effacement exprimé dans la conception du visage. Cela traduit le ressenti de l’inachevé, conçu comme le passage d’un rêve, lequel ne peut acquérir la même profondeur qu’une chose aboutie. D’où l’importance de cet effacement que l’on pourrait traduire par le passage physique d’une Mémoire s’estompant.   

ZETHOS (110 x 110 cm-technique mixte)

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Cette œuvre est l’empreinte d’un souvenir de l’artiste. La matière couleur ocre dominant l’entièreté de l’espace jusqu’à la partie gauche (droite par rapport au visiteur) du visage, est en réalité de la terre provenant du Berry, une région très prisée par l’artiste. C’est avec cette terre qu’est réalisée la poterie locale. L’artiste en a été tellement fasciné, qu’il a demandé à ce qu’on lui en donne un peu pour pouvoir l’utiliser dans la réalisation de cet opus. Le résultat est spectaculaire! La dominante ocre confère à la toile un statut carrément sculptural. Et le mot n’est pas trop fort. Car il y a de la « sculpture » dans l’œuvre de l’artiste. Particulièrement si nous considérons ses peintures comme des « masques », tant dans le sens psychologique du terme : la mise en scène de la Persona que dans l’acception culturelle du vocable : l’origine guadeloupéenne de l’artiste fait que l’atavisme africain apparaît comme un lointain appel.

L’artiste a d’ailleurs pratiqué la sculpture sans être sculpteur pour autant. Autant cette œuvre est le fruit d’une expérimentation consistant à utiliser cette terre du Berry comme matériau à appliquer sur sa toile, autant la pratique de la sculpture a été pour lui l’occasion de se frotter à une forme d’art inconnue.

Si le visage humain est conçu en forme sphérique, c’est parce qu’il évoque la vie dans l’avènement de la naissance du Monde. L’artiste ne parle jamais de « portraits » en ce qui concerne ses visages mais bien d’ « états d’âmes anonymes » car ils touchent l’Etre humain dans son tréfonds, tout en les rendant personnels.

Ses visages évoquent dans leur intériorité toutes sortes de joies et de souffrances répondant à la sensibilité de l’artiste ainsi qu’à sa culture personnelle, structurée par ses lectures. La matière est pour lui l’âme du tableau car elle participe à le rendre vivant.

Et le contact avec la matière est tel qu’il peint à quelques centimètres de la toile. Même si la perfection n’existe pas, la peinture est ce qu’il appelle un « jeu » lequel doit le mener à un niveau de satisfaction personnelle. Et cette satisfaction s’accomplit lorsqu’il atteint l’aboutissement pictural dans l’équilibre des couleurs. L’artiste dont le talent fut découvert par sa maîtresse d’école, n’a pas toujours peint des visages. Une fois entré dans le domaine artistique, il a peint des personnages entiers. Le visage est arrivé le plus naturellement du monde. Progressivement, il a séduit un public exigeant qui n’a eu cesse de lui passer des commandes. Autodidacte à ses débuts, il a suivi une formation en dessin. Une fois entré aux Beaux Arts, il s’est inscrit en architecture. Ce passage aux Beaux Arts lui a donné l’opportunité d’étudier l’Histoire de l’Art. Découvert par Jean Porte, il a initié son parcours artistique. Il est très côté à Paris et depuis sa première grande exposition au Grand Palais, en 1981, il continue à faire l’objet de nombreux événements artistiques. L’artiste travaille essentiellement au couteau. Une fois que le fond est en place, la matière arrive sur le couteau le plus adapté. Les glacis sont aplatis par l’instrument pour mieux les faire ressortir. La technique usitée est mixte (poudre de marbre, mortier, huile…). L’acrylique fut sa première forme d’expression. Insatisfait, il s’orienta vers l’huile laquelle permet de l’accoupler avec de la matière telle que de la poudre de marbre (évoquée plus haut) et des médiums. OMER AMBLAS ne se réclame d’aucune influence, sinon celle de la vie de tous les jours. Que l’on nous permette, néanmoins et ce avec tout le respect qu’on lui doit, d’évoquer furtivement, en ce qui concerne la conception de ses visages (particulièrement les yeux et la petite bouche en cœur) le nom du peintre belge Roger Somville.

Nous avons demandé à l’artiste s’il le connaissait. Il nous a répondu par la négative. Bien sûr, l’on ne peut en aucun cas établir une comparaison stricte entre ces deux esthétiques. Néanmoins, ce sentiment émoustille la curiosité du visiteur. Cela fait partie de ces quelques beaux imprévus de la vie.   

OMER AMBLAS est un peintre qui comme tous les excellents artistes, oblige le visiteur à passer et repasser devant chacune de ses toiles. Car ce dernier pourrait avoir la sensation d’une approche « facile » dans son exploration. En réalité, l’œuvre se révèle des plus complexes à interpréter. Enrobée d’une poésie mêlée d’onirisme et de magie, elle nous ramène à notre for intérieur où bien des ectoplasmes, rageurs ou candides pointent leur visage, ivres d’une issue. Ils sont le passage de nos Mémoires.

François L. Speranza.

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 Collection "Belles signatures" © 2020 Robert Paul

N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis. 

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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L'artiste OMER AMBLAS et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

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Photos de l'exposition d'OMER AMBLAS à l'ESPACE ART GALLERY  

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                         L’ABSTRACTION ENTRE EXTÉRIORITÉ ET INTÉRIORITÉ : L’ART DE CHRISTIAN HÉVIN.

Du 08-11 au 30-11-19, l’ESPACE ART GALLERY (83 Rue de Laeken, Bruxelles 1000) a eu le plaisir de présenter l’œuvre du peintre français, Monsieur CHRISTIAN HÉVIN, intitulée : DE L’EXTÉRIORITÉ A’ L’INTÉRIORITÉ.    

CHRISTIAN HÉVIN nous entraîne vers une dimension particulière dans le domaine de la forme « abstraite ». Concernant l’œuvre de cet artiste, le terme « forme » prend des proportions particulières, car ce qu’il nous offre, ce sont sinon, des « paysages », du moins des « impressions paysagistes » de conception abstraite dans leur technique. Ces « impressions » baignent dans un brouillard chromatique, enveloppant la partie supérieure et inférieure de la toile, dévoilant généralement un point central, à partir duquel plusieurs zones de couleurs s’imposent en tant que référents visuels, formant le point d’ancrage du regard. Cette zone chromatique centrale tranche nettement avec les couleurs enveloppantes entourant le centre de la toile. Elles sont à la fois extérieures et intérieures à l’œuvre, en ce sens où elles servent de lien entre les zones traitées dans l’espace pictural. Mais, au-delà de cela, l’artiste pose une question, à savoir : « qu’est-ce qu’une forme abstraite ? ». S’agissant d’ « impressions paysagistes », la question n’est qu’effleurée, en ce sens que l’artiste ne s’attarde pas sur des détails. Tout flotte dans un tourbillon aux couleurs chatoyantes. Certes, cette abstraction se fond dans un vocabulaire pictural tributaire, à l’origine, de la peinture figurative, car elle est souvent délimitée par un trait horizontal faisant office de ligne d’horizon. Par conséquent, un système culturel pictural structurant notre manière de lire une œuvre. Cette lecture s’inscrit sur des niveaux variables : parfois la ligne d’horizon occupe la partie médiane du tableau, parfois elle s’élève très haut, atteignant l’orée du ciel. Car si ligne d’horizon il y a, cela signifie  qu’il y a volonté de portraiturer un « paysage » en bonne et due forme avec les conventions de perspective attribuées à l’image de culture occidentale depuis la Renaissance. Et des conventions il y en a : silhouette indéfinissable vue de loin, campée au centre de l’espace, comprise entre l’avant et l’arrière-plan du tableau, témoignant d’une conception spatiale classique. Le chromatisme est essentiellement constitué de couleurs vives. Une fois encore, nous assistons à la transmission culturelle d’une technique par l’explosion des couleurs, dynamitant littéralement le paysage, lequel n’est pas sans évoquer l’intériorité irradiée d’un Turner.

Les couleurs usitées sont le jaune, le bleu, le rouge, le noir, toutes conçues dans des tonalités vives. Le blanc n’est que rarement utilisé.

En réalité, même si certaines toiles représentent des paysages nocturnes, le visiteur se retrouve agréablement perdu, en ce sens qu’il ne sait plus trop où il se trouve. Conscient de se trouver au centre d’un paysage, il est subjugué par la violence vitale des tableaux. La spécificité même de ces couleurs réside dans le fait qu’elles sont à la fois très vives tout en étant très épurées par le traitement par la matière. 

ABSTRACTION 6071 (80 x 80 cm-acrylique sur toile)

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Cette œuvre à dominante blanche, englobe la totalité de la composition. La toile est traversée par un nuage à dominante brun-rouge, au milieu du plan médian. Cette même zone est agrémentée par une note bleu vif, accentuant le contraste. A’ quelle réalité ce mirage pourrait-il bien être ancré? A’ la naissance du jour sur la mer? A’ son crépuscule? Il n’empêche qu’il s’agit de la mer. Une mer transcendée par le sacré de l’abstraction.

ABSTRACTION 6011 (80 x 80 cm-acrylique sur toile)

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est basé sur une opposition entre le ciel opaque matérialisé par les nuages et la partie inférieure de la toile sur laquelle il se réfléchit. La composition est divisée en deux plans par deux fils en cuivre extrêmement fins, faisant office de « rails » sur lesquels figure une image interprétable comme étant celle d’un convoi. Ce convoi joue avec la perception rétinienne, en ce sens que sur les trois éléments (wagons) qui le composent, seul le dernier affichant la couleur rouge vif est tangible au regard. Les deux autres qui le précèdent se fondent dans l’arrière-plan. Le visiteur peut donc concevoir la présence de ce convoi, soit placé dans un temps d’arrêt, comme le souligne la couleur rouge vif du dernier wagon, accrochant dans sa pause, l’œil du visiteur. Soit, par le biais du chromatisme bleu-vert de la motrice et du wagon qui la suit, fondu dans l’arrière-plan, avoir le sentiment que le train sillonne l’espace à toute vitesse et que sa présence ne s’inscrit que dans le rendu du moment observé. Cet effet d’optique est renforcé par la matière appliquée au traitement des nuages donnant consistance à leur matérialité.

ABSTRACTION 9049 (120 x 120 cm-acrylique, métal sur toile)

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On y retrouve   les fils de cuivre extrêmement fins, caractérisant l’écriture picturale de l’artiste, appliqués sur la zone noire centrale, divisant le haut du bas de la toile. Ce trait créatif se révèle, dans la réalité visuelle, être un détail à peine perceptible.  

ABSTRACTION 9336 (120 x 120 cm-acrylique sur toile)

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est une explosion de jaune contrastant avec la partie supérieure du tableau dominé par l’élément sombre, souligné par le bleu (en dégradés), le vert et le noir. La partie inférieure est contenue par le brun uni au rouge. Une ligne de démarcation, associant le brun, le vert et le rouge, sépare la zone jaune (explosion de la couleur) de la partie sombre du haut de la toile. Cette œuvre est (comme toutes celles de l’artiste) dictée par la force de l’émotion. Cela se perçoit par l’explosion de ce jaune, évoquée plus haut, comparable à celui d’un Turner. 

CHISTIAN HÉVIN, qui peint depuis longtemps, a commencé par le figuratif en 1957 (il avait à l’époque sept ans). Il est passé depuis à l’abstraction. Son expérience artistique est multiple. En effet, il a été décorateur pour le théâtre, designer et illustrateur. En tant que peintre, il a évolué dans l’hyperréalisme des années ’70. Au début, il ne voulait pas vendre ses tableaux, il désirait les partager. Il a fini par abandonner les expositions sans jamais abandonner la peinture. Depuis quinze ans, il est entré dans l’aventure de l’abstraction avec, comme il le dit lui-même, un bonheur inégal mais avec, néanmoins, une liberté totale. Il a repris les expositions avec la volonté de vendre ses toiles. Il a peint quelque six-cent tableaux depuis approximativement sept ans. Il a, notamment, exposé à Moscou, au Qatar, à Amsterdam, à Lille et à Paris. Même s’il évolue désormais dans l’abstrait, il ne place aucune ligne de démarcation entre le figuratif et l’abstrait. Cela se perçoit, notamment, avec (6011 – mentionné plus haut) dans laquelle, même noyé dans un brouillard abstrait et déformant, le convoi devient à la fois un point dans le temps visuel et une sensation, à la fois optique et picturale, de la vitesse. Mais c’est désormais un nouveau genre d’abstraction que l’artiste essaie d’atteindre. En effet, il recherche une écriture picturale la plus expurgée de couleur pour arriver à un minimalisme chromatique. Néanmoins, il est assez conscient pour se rendre compte de la difficulté à atteindre une émotion par le biais d’une unique couleur. De même qu’il est également assez lucide pour s’apercevoir que la seule clé lui permettant le passage entre l’extériorité et l’intériorité (Le titre de son exposition), demeure l’abstraction.

L’artiste a utilisé l’huile pendant quarante ans pour se tourner ensuite vers l’acrylique. Sa technique est simple : il utilise le sable, la terre, les pigments pour obtenir une couleur « gesso » (la craie, en italien). Les pigments sont à  base de terre, ce qui aide la matière à supporter la lumière.

Désormais, il utilise le  médium acrylique, porteur d’une grande fluidité. Bien que ce ne soit pas le cas en ce qui concerne l’exposition qui lui est consacrée, il lui est même arrivé d’utiliser de la poussière interstellaire comme pigment provenant de météorites.

Opération qui lui a demandé deux ans de récolte pour obtenir une quantité minime de poussière. Il travaille à la fois sur toile et sur bois. Il utilise de la cire d’abeille encaustique en « technique froide », c'est-à-dire qu’après avoir fait fondre cette cire, dans de l’essence de térébenthine, il l’ajoute à divers pigments.

CHRISTIAN HÉVIN, qui a fréquenté les Beaux Arts à Lille, a suivi des cours de dessin quand il avait douze ou treize ans. En plus de son cursus normal, il a également pris des cours sur les propriétés de l’huile et de la couleur. Parmi ses projets, il ambitionne de s’exprimer à travers la sculpture. Et l’on est d’emblée curieux du résultat. De quelle façon une future œuvre sculpturale pourra-t-elle rendre compte d’une telle volonté d’abstraction? Quel passage le mènera donc de l’extériorité à l’intériorité? Nous attendons cette œuvre avec impatience.

François L. Speranza.

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Collection "Belles signatures" © 2020 Robert Paul

 

N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis. 

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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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L'artiste CHRISTIAN HEVIN et François L. Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

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Photos de l'exposition de CHRISTIAN HEVIN à l'ESPACE ART GALLERY    

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LA NATURE DANS LA FORME ET LA LUMIÈRE : LA VISION DE LUCILE VAN HERCK  

L’ESPACE ART GALLERY (83, Rue de Laeken, 1000 Bruxelles) qui fête ses quinze ans d’existence, a inauguré l’année 2020 par une exposition tenue le jeudi 09 janvier, consacrée à l’œuvre du peintre belge, Madame LUCILE VAN HERCK, intitulée : RÉVÉRENCE AU RÈGNE VÉGÈTAL

L’œuvre de LUCILE VAN HERCK résulte d’un mariage mystique entre la matière picturale et la Nature vivante dont elle s’inspire. Ou, pour mieux dire, qu’elle réinterprète dans une surcharge d’éléments polymorphes, l’origine de formes inconnues dont seule la tonalité chromatique indique la provenance tellurique.  Car c’est bien les fruits de la terre que l’artiste célèbre. Les tonalités usitées sont, globalement, le vert, le jaune, le brun et le rouge. Tout ce qui rappelle la feuille aux différents stades de son existence. Le brun (en dégradés) est associé à l’écorce de l’arbre. La matière, travaillée au couteau, accentue la consistance de l’écorce. Le fruit de la Nature et la main de l’artiste sont à l’unisson. Mais il ne s’agit pas d’une simple approche de la peinture avec la Nature dans sa représentation. Il y a de la part de l’artiste une volonté interprétative, notamment dans DIVAGATION.

DAVAGATION (94 x 73 cm-huile sur toile)

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Cette œuvre offre un univers d’aperceptions s’imprimant sur la persistance rétinienne, jusqu’à évoquer un vocabulaire technique proche de l’abstrait.

GRAND MAȊTRE (100 x 80 cm-huile sur toile)

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Cette oeuvre accuse une volonté figurative dans la représentation du sujet, campé en son milieu (lequel prend sa source à partir de l’avant-plan de la toile) dont la cime est occultée par les limites de l'espace pictural. Le tronc domine la composition par son volume en offrant un arrière-plan sur lequel se profile un ersatz de paysage forestier, traité de façon schématique : quatre zones chromatiques composées de vert foncé (à l’avant-plan), de vert clair annonçant le plan médian qu’une forte note brune prolonge, sur la droite. Une quatrième zone bleue se profile, rapidement rejointe par le brun et le vert clair, sur la gauche. En réalité, il s’agit de deux espaces divisés par la masse imposante du tronc de l’arbre. L’arrière-plan s’inscrit dans une série de minuscules trouées laissant transparaître le bleu du ciel. L’écorce de l’arbre est soulignée par un minutieux travail au couteau.

L’ensemble de l’œuvre baigne dans une brillance faisant ressortir chaque élément. Ce qui s’avère être une constante que nous retrouvons sur la presque totalité de l’œuvre exposée.

En réalité, l’artiste nous propose deux écritures picturales : une écriture que nous pourrions qualifier de « fluide» et une deuxième plus « rugueuse ». Les deux étant reliées par un dénominateur commun, à savoir une vision inconditionnelle de la Nature.

C’est à partir de photographies que l’artiste travaille en les réinterprétant, guidée par la puissance de ses émotions. Il y a (comme nous l’avons spécifié plus haut), deux écritures, autant « fluide » que « rugueuse » dans l’expression de son rendu par rapport à la matérialité, voire la corporalité de la Nature. Dans le premier cas (la fluidité), il s’agit d’une Nature carrément en éclosion, tout en douceur, personnifiée par L’ÉTÉ.

L'ETE (100 x 73 cm-huile sur toile)   

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Cette oeuvre se perpétue dans FLAMBOIEMENT, montrant un feu de brindilles. 

FLAMBOIEMENT (100 x 73 cm-huile sur toile)

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La toile se divise sur deux niveaux : la partie inférieure (avant-plan) composée des cendres du bois et la partie supérieure représentant les flammes ravageant. Une zone blanche dans la partie centrale de la toile assure la transition entre les deux étapes. Il s’agit d’un feu, non pas de destruction mais bien traduisant une pulsion de vie, laquelle se trouve au centre de l’émotion à l’origine du geste créateur de l’artiste. Bien qu’il s’agisse d’un univers de fureur, l’atmosphère demeure apaisée par le traitement de la lumière apportée à la composition. Sans doute est-ce dû à la zone noire de l’avant-plan, atténuant considérablement l’impact pulsionnel exprimé par le feu. On la retrouve d’ailleurs, parsemée sur les six petites zones formant l’arrière-plan. C’est un peu comme si cette haute note noire contenait en elle-même ce qui impulse la dynamique au tableau. Nous retrouvons d’ailleurs cela dans ÉTÉ (mentionné plus haut), où cette même note noire, à l’arrière-plan, met en exergue les couleurs vives de la végétation baignée de soleil avec néanmoins, une saveur douce et nocturne.   

Une deuxième écriture picturale, essentiellement « rugueuse », exprime la corporalité des choses. Une corporalité, entre brut et abstrait, laissant libre cours à des aperceptions réveillant l’imaginaire du visiteur.

Des aperceptions manifestes parcourent ESPOIR (92 x 63 cm-huile sur toile).

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Il s’agit d’une étendue d’eau gelée illuminée par le soleil. L’artiste a utilisé du vernis de retouche sur l’huile dans un but de protection.

Sont-ce des oiseaux aux ailes déployées, rayonnant dans le haut de la composition? Nous retrouvons cet  univers magique qui illumine l’ensemble de l’œuvre.

Une surprise nous attend avec ÉVASION (100 x 70 cm-huile sur toile)

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Nous nous trouvons à la charnière entre deux étapes : une étape s’inscrivant dans la corporalité affichée de la deuxième écriture, à peine décrite : la conception du ciel entre crépuscule, nuages et résidus de ciel bleu. Associée au souvenir de la note noire lisse, à l’avant-plan, assurant  calme et stabilité dans l’équilibre de l’œuvre. Un côté « surréaliste » baigne le tableau. Mais à y regarder de près, l’œuvre participe de l’ombre chinoise. Car elle semble conçue à contre-jour.

La peinture de LUCILE VAN HERCK témoigne d’un rapport mystique avec la Nature. Un rapport qui se concentre, comme le précise l’intitulé de l’exposition, sur l’élément végétal et l’on perçoit l’empreinte d’une communion entre elle-même et l’élément naturel qu’elle projette sur la toile. Cet amour se retrouve surtout dans les couleurs qu’elle apporte à la forme. Comme signalé plus haut, le point de départ est une photographie, à partir de laquelle la forme se crée tout en se déployant sur l’étendue de la toile, d’où la présence de nombreuses aperceptions ressenties par le visiteur. Dès son enfance, l’artiste a pratiqué le dessin. Elle a ensuite fréquenté l’école Maurice Quentin de la Tour à Saint Quentin, se spécialisant dans le pastel avant de rompre avec l’enseignement académique. Foncièrement indépendante, c'est-à-dire autodidacte, elle a très vite divorcé de l’académie pour trouver sa propre voie. L’artiste peint à l’huile. Dans son parcours artistique elle a également réalisé des portraits. LUCILE VAN HERCK associe forme et couleur dans un long chant bucolique qui flambe en mille illuminations dans l’imaginaire du visiteur. 

François L. Speranza.

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Collection "Belles signatures" © 2020 Robert Paul

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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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L'artiste LUCILE VAN HERCK et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

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 Photos de l'exposition de LUCILE VAN HERCK à l' ESPACE ART GALLERY

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                                      QUAND LA CARICATURE SAUVE LE MONDE : L’ART DE MARC VIOULÈS

Du 04-09 au 27-09-20, l’ESPACE ART GALERY (83, Rue de Laeken, 1000 Bruxelles) a eu le plaisir d’exposer l’œuvre du peintre français, Monsieur MARC VIOULÈS, intitulée : TRANCHES DE VIE.   

L’œuvre de MARC VIOULÈS est régie par la ligne directrice de la caricature dans toute la noblesse de sa nature. Cela est dû au fait qu’il y a, parmi tant de choses, l’empreinte de la bande dessinée dans son écriture picturale. Mais il y a également la grandeur d’un Daumier dans sa satyre corrosive. Son œuvre nous offre une critique parfois acerbe mais toujours humoristique de la société contemporaine. Ses failles, ses inconsistances et ses tares sont mises en exergue par une écriture associant forme et couleur pour atteindre son but. Parmi les sujets présents dans cette exposition, c’est avant tout la thématique du couple qui est à l’honneur. Le couple et tout ce qui y gravite autour. Il s’agit manifestement du couple contemporain, campé dans une série de situations particulières. Force est de constater que la composition est toujours associée au titre qui l’accompagne. Nous pourrions carrément dire « qui la sous-tend ».

Suivant la dialectique proposée par titre de l’exposition, la thématique du couple est présentée de façon (socialement) évolutive. Par « socialement », nous entendons un ensemble d’émois et de pulsions, lesquels vont en se répercutant dans leur image sociale. Cela se concrétise par une série de toiles intitulée NOUS DEUX. L’artiste débute son parcours par l’enfance de l’amour, en nous présentant l’image des premiers émois amoureux.

LA MÉLODIE DE L’ACNÉ (81 x 65 cm-huile sur toile)

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Une atmosphère de candeur régit cette mélodie où l’acné n’est que l’indicateur de l’étape humaine du couple : la prime jeunesse. Elle se manifeste à titre picturalement indicatif sur le visage des personnages. La composition est fort intéressante. Tout est régi par le signe (comme d’ailleurs l’ensemble des œuvres exposées). A’ l’avant-plan (à droite), se trouvent les signifiés de la mélodie, à savoir l’électrophone avec le disque qui tourne. Au centre, sont indiqués à la fois la couverture extérieure du disque avec sur le haut à droite, le logo en forme de « V » renversé que l’on retrouve sur le disque ainsi que l’illustration montrant un groupe de sept personnages tournés vers la mer, desquels se déploie tout en longueur leur ombre.

Un détail significatif exprimant le parcours du temps se manifeste dans la deuxième couverture, intérieure celle-là, posée à côté de l’enveloppe extérieure.

En effet, dans un passé assez lointain, les disques étaient emballés dans deux couvertures (une extérieure, l’autre intérieure). Le plan moyen de l’image nous montre le couple tendrement enlacé. L’arrière-plan est constitué du papier peint ornant la chambre. Les figures à l’avant plan sont « en lévitation » dans l’espace, en ce sens qu’elles semblent flotter. Cela est dû à la position allongée du couple, bercée à l’intérieur d’un espace ondulant qui les recueille dans une forme de chrysalide chromatique. Ce qui confère la matérialité essentielle à l’électrophone, c’est précisément le disque qui tourne sur lui-même. Il est figuré en plan, dominant l’appareil campé de trois-quarts, reposant sur une table. Les couvertures sur le lit sont également conçues en plan. Celle extérieure s’affirme bien droite tandis que la couverture intérieure traduit l’enflure d’un pli du fait qu’elle repose sur le bord du lit. Le plan moyen montrant le couple est un exemple de raccourcis créant le rythme. Du couple, le premier personnage émergeant au regard est le garçon, campé dans son entièreté physique. A’ partir de ce premier personnage, naît la jeune fille dont nous ne percevons que le visage, posé sur le bras du jeune homme. Elle n’apparaît que par « à-coups », en ce sens que tout ce qui se révèle de son corps ce sont ses jambes et ses bras. L’arrière-plan enveloppe l’ensemble engendrant une consistance chromatique. Le chromatisme tient, comme dans toute l’œuvre de l’artiste, un rôle primordial. Les couleurs tendent vers l’harmonie : le bleu (en dégradés), le vert du papier peint et le blanc immaculé de la couverture intérieure du 45 tours se conjuguent et se répondent sans le moindre antagonisme. Tout contribue à l’existence de la mélodie amoureuse. Il y a, néanmoins, un élément troublant : nous avons évoqué la présence de l’électrophone, du vinyle ainsi que des couvertures pour disques. Ce qui tant dans l’imaginaire comme dans le vécu (probable) du visiteur évoquent des images du passé. Déjà, le fait d’avoir utilisé le mot « électrophone » participe du passé. Par conséquent, il nous faut imaginer que la prime jeunesse de ce couple date déjà de plusieurs années. Quelle est alors la surprise de constater que le pantalon du jeune homme est coupé au rasoir sur plusieurs endroits, comme ceux des jeunes d’aujourd’hui! L’artiste a voulu mettre en scène une nostalgie qui ne l’est déjà plus, en ce sens qu’il s’est plu à illustrer la renaissance d’une technologie laquelle semblait moribonde, sinon morte, celle du vinyle.

En cela, par le choc sémantique créé par la présence du jeune aux pantalons striés au rasoir et du 45 tours d’antan, il a voulu peindre une jeunesse « intemporelle ».

Pour la petite histoire, il s’est plu à représenter sur la couverture un groupe de  rock français nommé « Archive » dont l’enregistrement proposé par le vinyle est sorti vers 2010.

Interrogé à ce sujet, il parle d’un « éternel recommencement », en se demandant si, somme toute, l’Homme ne serait pas un être ontologiquement nostalgique. Néanmoins, indépendamment de tout questionnement, l’idée d’un départ dans la vie sociale coïncidant avec l’élément pulsionnel amoureux et formateur sont indiscutablement présents.  

Procédant dans leur parcours à la fois intime et social, le couple accède à la procréation.

UN LÉGER COUP DE BARRE (146 x 114 cm-huile sur toile)

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Cette toile nous démontre la maestria de l’artiste en tant que cadreur de toute première force. La forme, morcelée en plusieurs éléments, s’inscrit pleinement dans les dimensions du cadre. Un cubisme, autant personnel que discret, structure la toile. A’ l’avant-plan, se distinguent, en premier lieu les pantoufles des personnages. Celles de l’homme oscillent entre deux variations sur le bleu, alternant sur des stries d’intensité chromatique différentes. La position du personnage masculin, affalé sur le divan permet aux jambes de se plier pour rejoindre, derechef, les pantoufles par le biais de l’utilisation du trait de couleur rouge, démarquant les zones et précisant également le volume du rendu physique de l’homme. Le repli des jambes ainsi que des bras (désarticulés par l’intensité de l’effort), accélèrent ce cubisme discret. Remarquons que l’artiste utilise une technique picturale remontant à l’Antiquité classique que l’on nomme « le rabattement interne », consistant à ramener les éléments vers l’intérieur de la toile pour augmenter le côté à la fois « rationnel » mais « fouillé » de la mise en scène spatiale. Participant de ce même jeu cubiste, la chemise du personnage, réalisée en un damier blanc et bleu, accentue la tension rythmique dans la dynamique de l’ensemble. Par sa posture, le personnage féminin contribue à ce même discours rythmique.

Son bras droit (gauche par rapport au visiteur), posé sur l’épaule de son compagnon, crée par un balancement des bras, une diagonale qu’appuie la direction prise par son visage, tourné vers la droite (la gauche par rapport au visiteur).

Autre manifestation au cubisme discret, le divan, « ramassant » le couple est conçu en une série de huit segments, chacun d’entre eux étant séparé par un trait rouge, celui-là même servant à structurer la silhouette de l’homme, à l’intérieur de sa forme. La dernière manifestation de ce cubisme discret, nous est apportée par la décoration du papier peint, constituée d’un décor imaginaire rappelant le motif floral. L’expression du couple, unique tant pour l’homme que pour la femme, traduit l’immense l’effort physique et moral par l’impact métaphorique d’une énorme fatigue sociale. Les yeux sont fermés. La bouche est ouverte. Les traits du visage obéissent dans leurs traitement au reste de la composition : ils sont délimités par le même trait de couleur rouge, évoqué plus haut, accentuant le relief à l’origine du volume. La femme montre sa maternité par la présence de son sein sorti du corsage. En réalité, son sein est le seul élément plastique indiquant qu’elle possède un corps : celui de la maternité. Partant de son visage pour se poursuivre avec son cou, le sein duquel s’échappe une goutte de lait, termine cette suite composée de trois signes charnels, mettant en exergue trois parties identifiables de son être féminin et social. Le jeu des mains, unissant les personnages, est également fort intéressant. Par leur relâchement, elles accentuent la mollesse des corps. Remarquons la main gauche (droite par rapport au visiteur) du personnage masculin tenant d’un doigt la tétine de l’enfant. Comme pour l’homme, les jambes de la femme, repliées sur elle-même, accentuent l’élément cubiste mentionné plus haut. Insistons sur le fait qu’à l’intérieur de la géométrie structurant les jambes des personnages, se profilent une série de stries évoquant les reliefs créés par les plis des étoffes. Ces stries sont blanches pour mettre en relief le pantalon bleu de l’homme et bleu-foncé pour souligner les plis du vêtement vert de la femme. Le seul personnage « vivant » du groupe est l’enfant qui l’air espiègle, fixe le visiteur. Notons que même si cette scène est régie par une forte charge humoristique et caricaturale, cette situation se retrouve dans l’histoire de la peinture depuis le 2ème siècle jusqu’à la Renaissance, dans la représentation de l’Enfant Jésus assis sur les genoux de la Vierge allaitant. On la nomme d’ailleurs « La Vierge du lait ». Bien que l’enfant ici représenté ne soit pas en train de téter comme on le voit dans les sujets sacrés, une goutte de lait transparait du sein nu de la femme. Cette goutte de lait sanctionne l’image de la maternité dans son statut social. Il arrive souvent que dans l’art religieux, l’enfant interpelle le visiteur en le fixant du regard. C’est le cas en ce qui concerne l’œuvre de l’artiste.

La pantoufle retournée, à l’avant-plan, contribue à souligner cette atmosphère de chienlit. La couleur dominante est assurément le bleu. Celui-ci alterne de façon harmonieuse avec le rouge, à la fois clair et foncé ainsi qu’avec le vert du vêtement de la femme. De même qu’il épouse le jaune tendre de l’abat-jour, duquel émane une lumière douce et claire ainsi qu’avec le blanc ressortant de la chemise à carreaux du personnage masculin.  

Si LA MÉLODIE DE L’ACNÉ ainsi que UN LÉGER COUP DE BARRE (évoqués plus haut) faisant partie de la série NOUS DEUX traduisent les débuts de l’existence du couple (le premier amour et la constitution de la famille), la série LE SEXE, annonce avec LA BROUETTE THAÏLANDAISE l’embourgeoisement affirmé du couple dans tout ce qu’il y a de plus délicieusement pervers.   

LA BROUETTE THAÏLANDAISE (81 x 65 cm-huile sur toile)

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Le regard acerbe que l’artiste lance à cette phase traversée par le couple, met en exergue à la fois le côté « voyeuriste » de ce dernier mais également la peur existentielle vis-à-vis de sa défaillance croissante par rapport à sa propre libido, que l’on peut ressentir (malgré la charge caricaturale) comme l’antichambre de la mort. Trois éléments de perspective structurent la toile : le lit occupant l’ensemble de l’espace, à l’avant-plan, avec le couple qui y est comme « prisonnier » tenant le « Kamasutra » grand ouvert, occupant le plan moyen. Le couple, enveloppé à l’intérieur d’un grand coussin, regarde les illustrations érotiques di livre. L’attitude des personnages ne se prête à aucune équivoque : ils sont médusés par ce qu’ils voient. Nous pouvons même nous risquer à dire « apeurés » par ce qu’ils découvrent. Observez l’attitude de la femme qui « s’agrippe » à son mari. Est-ce la peur? Est-ce le désir? Force est de constater que Freud avait raison : peur et désir se conjuguent. Et ils se conjuguent dans le cadre rassurant d’un univers bourgeois qui étouffe doucement ses propres angoisses. C’est à ce stade qu’intervient le rôle du chromatisme. L’œuvre se structure principalement sur deux couleurs : le vert (en dégradés) et le jaune. C'est-à-dire des couleurs tendres. Le vert de la couverture et du baldaquin répondent au jaune du coussin et des abat-jours. Seul le blanc du drap tranche avec l’ensemble.

On devine les jambes des personnages qui le soulèvent, créant ainsi le volume. L’arrière-plan, toujours constitué de papier peint, nous propose des motifs géométriques, contribuant à structurer l’ensemble à l’intérieur d’un cadre se voulant « rationnel » mais qui déjà, par la situation même, trahit ses propres angoisses. La couleur rouge bordeaux du Kamasutra, le nu féminin au centre de la couverture du livre, appuie le côté « agité » du drap se soulevant frénétiquement. Les deux abat-jours, chacun dans une extrémité par rapport à l’autre, terminent la composition. Tous deux exhalent une lumière se mariant à celle du coussin.

LES PREMIERS SIGNES (81 x 65 cm-huile sur toile)

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Au contact premier avec cette œuvre, l’on pourrait croire qu’il n’y a que deux personnages : l’homme et la femme. En fait, ils sont trois, en comptant le miroir.

C’est ce dernier qui les révèle au visiteur. Car ceux-ci, même s’ils sont supposés se trouver devant le miroir, sont « enfermés » à l’intérieur de leur propre reflet. Le couple peut être le reflet du visiteur qui constate l’évocation des signes du temps sur son propre visage. Comme toujours, avec l’artiste, une série de signes nous conduisent vers l’essentiel : à l’avant-plan, le lavabo (schématisé), viennent ensuite la tablette avec dessus les produits de beauté. Arrivé à l’arrière-plan, celui-ci nous conduit vers le nœud du discours, à savoir le temps qui passe. En haut du miroir, une paire de luminaires exhalent une lumière vive qui nous illumine. Car, au-delà de l’évolution du couple en tant que tel, le discours de l’artiste devient universel, en ce sens qu’il parle au visiteur. Le personnage du miroir, tout torsadé, appartient à l’univers du conte de fée : « Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle! » Dès lors, il est intéressant d’observer la gestuelle des personnages : la femme s’aperçoit de la présence d’un cheveu blanc (est-ce le premier?). L’homme, lui, constate ses premières rides. A’ l’instar de LA BROUETTE THAÏLANDAISE (cité plus haut), la composition se termine dans ses extrémités par deux éléments, à savoir le porte dentifrice (à gauche) et un globe en verre (à droite).

L’artiste s’exprime également dans les petits formats.

LES BONS SOUVENIRS (55 x 44 cm-huile sur toile)

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Le couple, apaisé, parcoure l’album des photos comme l’on arpente sa vie. La femme pose son doigt sur une photo. L’homme a l’attitude du rêveur, disons du « rêveur pensif ».

Une fois encore, ils sont enserrés à l’intérieur d’un élément matériel qui les unit, à savoir le divan. L’arrière-plan est constitué d’une cheminée, sur laquelle reposent un miroir accompagné d’une pendule, au centre.

Une pile de vieux livres sur la droite ainsi que la statuette d’un singe sur la gauche. L’avant-plan est structuré à la fois par l’album des photos et un gsm, sur la gauche et d’un porte-monnaie, sur la droite. Le gsm se trouve du côté de la femme.

Le porte-monnaie se trouve du côté du mari. Il y a là, comme une antinomie résistante par rapport au temps qui passe. L’image du vieux couple ayant traversé les décennies que l’on imaginerait tranquillement assis au coin du feu, vestige d’une image d’Epinal, altérée par la présence du gsm, soulignant la modernité au diapason du siècle. Notons que l’engin se trouve devant la femme…le mari se contentant de compter sa mitraille! Les couleurs sont essentiellement vives (rouge et bleu, en dégradés), traduisant la joie de vivre.

La chaise esquissée sur la gauche est conçue dans la tonalité verte (en dégradés). L’abat-jour terminant la composition est réalisé en jaune vif.

Nous avons évoqué plus haut la satyre corrosive digne d’un Daumier. Cela se ressent dans la réalisation des GRANDES DÉCISIONS (130 x 97 cm-huile sur toile).

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Réalisée en pleine époque du premier confinement dû au Covid-19, cette œuvre à forte dominante bleu, nous montre un groupe de onze fonctionnaires de l’Etat entourant le « décideur » chargé de prendre La décision irrévocable de tuer le virus (sur la gauche et à l’avant-plan). D’emblée, l’on observe que, contrairement à ce que pourrait évoquer en nous le titre, ces « grandes décisions » ne se prennent pas collectivement mais bien par une seule personne : le personnage à l’avant-plan. On le remarque avant tout par le fait que lui seul jouit du « privilège » d’avoir les chairs du visage mises en valeur, voire « personnalisées » par la lumière. Son attitude pensive, signe de réflexion aigüe, appuie l’action décisionnelle à venir…si jamais elle viendra! En outre, les onze personnages l’entourant ne sont que des comparses n’ayant pas droit au chapitre, renforçant ainsi une ambiance d’emblée théâtrale, à cheval entre Daumier et Courteline. En réalité, les visages des comparses sont, à y regarder de près, privés d’humanité. Ce sont, en fait, des masques au teint cadavérique à l’instar de la totalité de la scène à l’atmosphère macabre.

Le seul personnage « humain » n’est autre que le décideur car son visage, bien que caricaturé, exprime le poids de la décision à prendre. Une atmosphère à la fois bleue et nocturne inonde l’espace, mettant en relief chacun des personnages. Cette œuvre est carrément une parabole adressée à notre société.  

Les constantes régissant l’œuvre de l’artiste se retrouvent essentiellement dans un jeu de mains de type expressionniste ainsi que dans des visages caricaturés à l’extrême, lesquels aboutissent au bout de l’expression dictée par la situation ou le sentiment.

L’œuvre est surtout régie par un dialogue « ubuesque » dans la scansion narrative des couleurs, au service de la trame picturale. Le visiteur remarquera que l’artiste a toujours éprouvé un immense attrait pour la bande dessinée. Le dessin qu’il a pratiqué très jeune a été le moteur de la vocation d’artiste. Sa formation est académique.

Dès l’âge de dix-sept ans, il a fréquenté les Beaux Arts de Lorient, sa ville natale, où il s’est formé en architecture, perfectionnant ainsi ses recherches sur la perspective. Une fois obtenu son diplôme en architecture et en décoration à l’âge de vingt ans, il a axé ses recherches vers l’aquarelle pour se diriger ensuite vers la technique à l’huile au début des années ’90. Breton d’origine et de culture, il s’est dans un premier temps dirigé vers les « marines » et les paysages champêtres avant de trouver sa propre écriture. De très grands noms de la bande dessinée et de l’animation ont influencé l’artiste, tels que Hergé et Walt Disney. Dans un autre registre, Van Gogh et Buffet ont eu sur lui une grande influence. Cela se constate dans l’importance constante qu’il accorde aux couleurs. Celles-ci témoignent des phases tant humoristiques que désopilantes dans le déploiement d’un chromatisme vif, souvent à outrance. Elles assument une saveur létale lorsqu’il faut aborder des thèmes tels que le Covid-19, à l’instar des GRANDES DÉCISIONS (mentionné plus haut). Concernant la caricature, Honoré Daumier joue incontestablement le rôle de mentor. La problématique du couple, pris en tant que baromètre social, est le thème de prédilection qu’il décline dans toutes ses phases. L’artiste se considère « fâché avec la société ». Qui ne le serait pas ? Et c’est à ce moment-là qu’intervient l’humour, souvent corrosif, lequel se déclenche par la recherche du titre.

En effet, il ne vous aura pas échappé qu’il est en adéquation totale avec le sujet. En réalité, l’artiste attaque la toile par le titre en tant qu’idée de départ mais comme dans toute création qui se respecte, cette idée de départ peut par la suite, déboucher sur autre chose. Il est décidé à poursuivre cet itinéraire tant qu’il aura des choses à exprimer, en se concentrant sur la conception des personnages dans l’expression faciale, laquelle se voudra de plus en plus minimaliste dans le but d’arriver à l’essentiel. Bien que cette exposition présente à la fois des grands et des petits formats, l’artiste se sent décidément à l’aise avec les grandes surfaces, lesquelles lui permettent de s’exprimer davantage.

MARC VIOULÈS, par sa verve picturale, met le doigt sur ce qui forge notre société. Certains de ses aspects sont hilarants, d’autres sont moins glorieux et certains d’entre eux sont même tragiques. Son extraordinaire talent de peintre devient « prophétique », en ce sens que par le miroir qu’il nous tend, il souligne sans pour autant les juger, nos propres failles.

François L. Speranza.

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Collection "Belles signatures" © 2020 Robert Paul

N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis. 

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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L'artiste MARC VIOULES et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles

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12273354864?profile=original12273355289?profile=originalPhotos de l'exposition de MARC VIOULES à l'ESPACE ART GALLERY  

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       RYTHMES ET BRILLANCES : DE LA CONTEMPORANÉITÉ DE L’ŒUVRE DE GILLES WERBROUCK   

La galerie d’art et antiquariat LE 300 (300, Chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles) a le plaisir de présenter l’œuvre de l’artiste belge, Monsieur GILLES WERBROUCK, axée sur ses compositions réalisées en tapisserie.

Il y a dans l’art de GILLES WERBROUCK la volonté de communier avec l’esthétique contemporaine. Cette approche esthétique se concrétise, notamment, dans l’emploi de la couleur noire. Une couleur noire, laquelle depuis Soulage, capture la lumière pour la réverbérer de l’intérieur vers l’infini. Ceci vaut pour la peinture. Mais il s’agit ici de tapisserie. Ce n’est donc pas un tableau que nous avons devant les yeux mais bien une œuvre tout en fils et en mailles. La tapisserie est apparue dans l’histoire de l’Art dès l’Antiquité Classique et proche-Orientale, en produisant des scènes de toutes sortes, toujours au diapason avec le substrat culturel des époques dans lesquelles elle s’est inscrite. La tapisserie permet à l’artiste d’explorer les possibilités que lui offrent les couleurs tant dans leurs variantes en rapport avec la lumière comme avec la création du volume. Néanmoins, comme le précise l’artiste, c’est avec la couleur noire qu’il trouve son medium d’expression majeur. L’artiste l’explore sous toutes ses « coutures ». L’image n’est pas trop forte puisqu’il s’agit de tapisseries et que le crochet n’est jamais loin! Une constante souligne l’introduction de la tapisserie dans la sphère de l’Art : elle délimite elle-même son propre cadre tout en se déployant au sein de l’espace. Par les matériaux qui la constituent, elle exprime les volumes en s’affirmant dans l’espace scénique constitué à l’intérieur de ses propres dimensions. Ce qui la distingue c’est que, de par sa nature, elle expose souvent sa matérialité comme le ferait une sculpture déployant son volume. A’ l’instar de la peinture et de la sculpture, la tapisserie est régie par le rythme (qu’il soit régulier ou saccadé) lequel introduit le mouvement la rendant vivante. Bien qu’elle s’inscrive dans l’esthétique du moment, la tapisserie ne « copie » pas la peinture. Jamais elle n’est à sa remorque. Elle exploite ses propres caractéristiques physiques qui la rendent unique, c'est-à-dire qui lui permettent de s’ouvrir à l’Art.  

 

L’ŒUVRE AU NOIR

# KM008 

12273358091?profile=original(200x100 cm-coton et lin tricoté sur machine domestique avec des flottés dans lesquels ont été tirés à la main de la bande magnétique (deux films VHS) et fini au tressage, monté sur cadre)

Cette œuvre est une longue composition rectangulaire, axée sur un espace parsemé à la fois de petits carrés conçus en bande magnétique VHS ainsi que de six lignes verticales ondulantes structurant l’espace, également réalisées dans des morceaux de bande magnétique. Horizontalement, l’œuvre s’étale sur huit lignes également noires démarquant l’espace. Il y a donc une volonté d’imposer un rythme dans la dynamique qui s’affirme au regard du visiteur. Chaque morceau de film est relié par du fil de la couleur dominante, pratiquement invisible à l’œil nu.

Il y a dans cette œuvre une adéquation entre Image et Mémoire dans l’utilisation de la bande magnétique VHS. Le passé se mêle à la sonorité de la mémoire. Petit bout par petit bout, le visiteur se rend compte de l’extrême minutie du rendu. Car il se trouve devant l’archéologie d’une œuvre « filmique » dont les tesselles magnétiques témoignent d’une Mémoire passée, atomisée en un univers cosmique, scintillant dans des ersatz de matière lointaine. 

# KM002

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(80 x 60 cm-bande magnétique (trois films VHS) au crochet monté sur toile peinte)

La tapisserie se distingue dans la manifestation plastique de sa matérialité. Contrairement à l’œuvre précédente, le dessin est extrêmement présent sur la surface de l’espace. Cette pièce exprime parfaitement l’objectif que l’artiste s’est toujours fixé, à savoir introduire sa formation de styliste de laquelle il est issu à la composition en cours de réalisation. Le sentiment de l’élaboration du tricot habillant la pièce envahit l’imaginaire dans la prise de conscience du visiteur.

Les mailles évoquent autant le tricot que le filet de pêche, c'est-à-dire l’élément enveloppant qui protège le corps de l’œuvre tout en le singularisant.  

 

 

L’ŒUVRE AU VERT

# KM001

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(50 x 50 cm-coton et polyester tricoté sur machine domestique et monté sur toile peinte)

Cette pièce, bâtie sur le module du carré, est un jeu subtil de mailles oblongues entourées de petits cercles. Elle démontre également le brio de l’artiste évoluant tant dans les petits formats comme dans les grands.

L’ŒUVRE AU ROUGE

# KM006 (Diptyque)

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(120 x 40 cm-laine vierge tricoté sur machine domestique et monté sur toile recouverte de tissus à sequin)

Nous avons ici un compromis avec l’esthétique de l’œuvre précédente. Seul le module rectangulaire permet un plus grand développement à la fois dans l’exécution comme dans le résultat. Ce qui suit est fort proche de l’esthétique picturale en ce qui concerne la scansion de l’espace. Ce diptyque se structure sur trois champs :

sur la droite : nous avons une série de mailles oblongues du même style de celles présentes sur la pièce verte (titre).

au milieu : une séparation de fils rouges verticaux joue sur le rythme de la pièce.

sur la gauche : une série d’entrelacs et de lignes horizontales formant un ensemble de pleins et de vides.

 

L’ŒUVRE AU GRIS

# KM005

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(80 x 60 cm-fil métallique, coton, mohair, raphia et polyester, traité sur machine domestique et créant les plis à la main et tricotant et monté sur toile)

Il s’agit d’un espace carré, structuré dans sa hauteur par une série de cinq lignes de démarcations séparant une série de quatre espaces verticaux, chacun d’entre eux étant séparé par une sorte de rebord, créant un jeu d’élévation planifié sur seize niveaux dans sa verticalité. Cette pièce, de par son chromatisme à dominante grise, ses excroissances en raphia passées à la main et ses seize niveaux se superposant les uns sur les autres, en élévation, donne le sentiment d’être face  à une sculpture.  

Ce qui émane de l’œuvre, c'est-à-dire sa nature profonde traduit les débuts de l’artiste qui ont cimenté son langage.

En effet, la mode, comme mentionné plus haut fut son premier véhicule dans l’expression de son art. L’image du tricot, également exprimée plus haut, se distingue dans la réception immédiate de l’œuvre. L’artiste « habille » sa pièce comme il « habillerait » un corps humain. Il développe des pièces pour tapisserie conçues avec de nouvelles techniques pour le tricot, axées sur le design textile, telles que la couleur, le fil ainsi que la manière de monter ses pièces.

Comme nous l’avons spécifié, des trois couleurs usitées, l’artiste privilégie le noir qu’il aborde après avoir effectué un grand travail de recherche. Il faut, selon ses dires, trouver les bons matériaux pour arriver au résultat espéré. A’ son avis, le noir n’est pas une couleur mais un élément « neutre » lequel éveille des sentiments différents par rapport aux autres couleurs. Pensez qu’il en est à ce point fasciné que, de la tête aux pieds, il s’habille de la même couleur. Et c’est encore celle-ci à le projeter dans l’art contemporain, en contribuant à créer une modernisation de l’image du tricot.

Comme vous l’aurez remarqué, nous avons jusqu’à présent, employé le mot « artiste » pour définit GILLES WERBROUCK. Néanmoins, celui-ci préfère être qualifié d’ « artisan » car il travaille devant sa machine pour donner vie à ses œuvres après bien des calculs. Cependant, l’approche savante résultant de ses œuvres, nous font pencher vers le qualificatif d’ « artisan d’art » car le jeu des variations de la lumière engendrée, notamment par le noir, sa conception de l’espace sont celles d’un artiste en bonne et due forme. Tout est en correspondance.

Les éléments se répondent, assurant ainsi le rythme nécessaire à la dynamique de l’œuvre. De plus, les pièces produites sont uniques dans leur essence et ne sont pas destinées à être reproduites à volonté, comme dans l’artisanat. La pièce produite a une valeur artistique, en ce sens qu’elle se distingue d’une autre. Evidemment, l’œuvre artisanale n’est en rien inférieure à l’œuvre d’art. Disons que dans le cas de GILLES WERBROUCK, la relation avec l’esthétique contemporaine s’avère indéfectible.

L’artiste est l’auteur de deux Masters en Knitting Design obtenus aux Beaux Arts de Bruxelles et à la Trent University de Nottingham.

Sa technique consiste dans l’élaboration de mailles à l’instar du tricot. Il peut les passer à la main comme il peut se servir d’une machine domestique. Avant chaque étape, l’artiste traduit son idée dans un échantillonnage basé sur l’essai de plusieurs points de tricot, de mélanges de fils pour les textures et les rendus. Ce travail préparatoire est de conception ancienne car déjà au 17ème siècle, ce que l’on nommait les « peintres-cartonniers » préparaient des esquisses destinées à la tapisserie. Conçues aux dimensions de la tapisserie, elles prenaient le nom de « cartons ». Inspirées de la peinture classique, c’étaient de véritables œuvres d’art.

GILLES WERBROUCK, lui, travaille sur machine domestique, c'est-à-dire avec une technologie contemporaine. Néanmoins, l’idée maîtresse ne varie pas. 

Il commence par sélectionner les fils à utiliser (coton, lin, laine ou fantaisie : lurex, polyester, raphia, bande magnétique VHS). Un bon travail requiert plusieurs textures de fils pour donner un maximum de légèreté et de relief. L’artiste forme ensuite un échantillon de 50 rangs sur 50 aiguilles qu’il lave pour que ce dernier adopte la forme initiale à l’œuvre pensée. La dernière étape consiste à noter sur papier combien d’aiguilles et de rangs sont nécessaires pour tricoter la forme à produire. Pour ce faire, il est limité à 200 aiguilles et doit trouver des solutions pour contourner ce problème. Le choix des aiguilles est déterminant pour créer le volume. Au fur et à mesure que passe le chariot de la machine, la pièce descend et se matérialise.    

GILLES WERBOUCK nous transporte dans un univers où la tapisserie a toute sa place, en l’installant dans les rythmes, les spirales et les cinétismes issus du 20ème siècle, leur assurant ainsi la pérennité légitime que leur permet notre 21ème siècle débutant. En cela, il assume le rôle de tout véritable artiste : grâce à sa machine domestique, fille du métier à tisser présent depuis l’Antiquité, il assume de par son talent et sa vaste connaissance, la charge de passeur de cultures dans le sillage séculaire de la création.

Précisons que GILLES WERBROUCK est le co-fondateur de la galerie d’art et d’antiquariat LE 300 en collaboration avec OMAR EL YATTOUTI, LAURA CHEDEVILLE, PAULINE MIKO, HUGUES LOINARD et soutenu par MEWE. Les photos exposées ont été réalisées par MIKO.

François L. Speranza.

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N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis. 

Robert Paul, éditeur responsable

A voir:

Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza

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Portrait de l'artiste GILLES WERBROUCK  (photo prise par MIKO)

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“L’âne culotte » est un roman d'Henri Bosco (1888-1976), publié en 1937.

Constantin Gloriot, le narrateur, raconte l'aventure qui lui est arrivée lorsqu'il avait douze ans. A cette époque, dans le village de Provence où il vit avec ses grands-parents, un âne mystérieux, surnommé l'âne Culotte par les enfants parce qu'il porte des braies en hiver, intrigue les habitants. On sait qu'il vient d'une ferme de la montagne, et sert un certain M. Cyprien dont les villageois ne parlent qu'avec crainte et méfiance. Un jour, Constantin, malgré l'interdiction de sa grand-mère, décide de suivre l'âne, qui le mène jusqu'à son maître. Il découvre alors un véritable "paradis", un verger poussé en pleine montagne, où les animaux charmés vivent sans crainte. M. Cyprien le charge de porter une branche d'amandier en fleurs au curé du village, l'abbé Chichambre. Mais, menacé par une petite fille du village, Anne-Madeleine, Constantin se voit obligé d'aller couper une seconde branche d'amandier. Il est surpris par M. Cyprien, qui lui apprend qu'il ne faut pas toucher au paradis. Dès lors, les événements se précipitent. Par Hyacinthe, la petite servante de ses grands-parents, qui connaît aussi le "paradis", Constantin découvre que, depuis sa faute, M. Cyprien a disparu, jusqu'au jour où celui-ci revient en secret et emmène avec lui Hyacinthe, qu'on ne reverra plus. Le journal de M. Cyprien, découvert et annoté par l'abbé Chichambre, et lu beaucoup plus tard par le narrateur, vient compléter l'histoire: M. Cyprien, ancien navigateur et magicien, a voulu recréer le paradis sur terre qu'il avait connu dans une île. Il devait léguer son pouvoir sur les animaux et les plantes à Constantin. Mais la faute de celui-ci l'a convaincu de l'omniprésence du mal, et l'a poussé à repartir, pour créer un nouveau paradis en compagnie d'Hyacinthe à qui il transmettra son savoir.

 

On a souvent classé Henri Bosco parmi les écrivains "régionalistes". Cette désignation hâtive rend bien peu compte de l'atmosphère de conte étrange qui est celle de l'âne Culotte. Certes, c'est toute la Provence, avec ses moeurs surannées - comme la messe dite à l'occasion des premières neiges -, ses animaux et ses plantes aux noms oubliés, qui est la véritable héroïne du roman. Mais on aurait du mal à y retrouver l'image simple et bon enfant qui en est souvent présentée dans la littérature française. Cette Provence est une  terre surnaturelle, où se fondent l'héritage folklorique et païen, et les légendes chrétiennes, comme en témoignent les dictons prononcés par la Péguinotte, la vieille servante des grands-parents de Constantin, mêlant conseils sur les récoltes et antiques superstitions. L'histoire de l'âne Culotte et de son maître M. Cyprien rappelle à la fois l'âne d'or d'Apulée, puisque l'animal est manifestement décrit en termes anthropomorphiques, et la Confession de saint Cyprien de Lucien, qui décrit le repentir du magicien qui croyait s'adonner à des pratiques divines alors qu'il servait le diable. On peut penser aussi à toutes les légendes proches du mythe d'Orphée, comme celle du "Charmeur de rats", puisque c'est au moyen d'une flûte magique, la Syrinx, que Cyprien exerce son étrange pouvoir sur les animaux. Cependant, à cela s'ajoute la dimension chrétienne de l'aventure: c'est le dimanche des Rameaux que l'âne Culotte emmène chez son maître M. Cyprien le jeune Constantin juché sur son dos à l'instar du Christ entrant dans Jérusalem. Mais l'enfant, loin d'annoncer un nouveau règne du paradis, est celui-là même qui, en cédant aux menaces d'Anne-Madeleine, et à un obscur besoin de violer la loi, introduit le désordre dans le domaine préservé de M. Cyprien.

 

Du reste, ce paradis n'était-il pas déjà vicié, condamné d'avance? De façon miraculeuse, l'enchanteur d'animaux avait réussi à attirer et à apprivoiser le serpent lui-même, qui vivait dans son verger. Un seul animal, comme nous l'apprend le journal de M. Cyprien, résistait à son pouvoir magique, et continuait à tuer: le renard. Dès lors le pari de M. Cyprien se heurtait à l'éternelle interrogation sur le mal: devait-il tuer le renard pour protéger les autres animaux? Constantin, en trahissant M. Cyprien, déchaîne les forces maléfiques, et celui-ci ne peut résister au désir d'égorger le renard. Il n'était qu'un pauvre magicien, et non un envoyé du Ciel.

 

Ainsi le roman apparaît-il clairement comme un roman d'initiation, fondé sur une quête du bonheur. Comme l'affirme Constantin, commentant le journal de M. Cyprien: "Nous voulons tous le paradis sur terre, et l'homme se croit né pour le bonheur." Sans doute est-ce une faute que de vouloir créer un Éden humain que nul Dieu ne garde. Mais si les promesses du Ciel sont les plus belles, elles sont annoncées par les dons de la Terre, célébrés en termes lyriques tout au long du roman comme les signes mêmes de la présence divine.

 

« Je les connais tous, les sites humains d'où sont partis les hommes, l'abri du charbonnier, la cuve à vin creusée dans la paroi du roc, le poste à feu oublié du chasseur et, quelque part en un lieu hanté de moi seul, perdu dans la broussaille, cette aire immense avec des talus et quatre grands fossés mangés par l'herbe. Un vieux peuple, rude et sensé, au cours d'une migration énergique, avait sans doute établi là, jadis, son camp à l'ombre de la Terre. »

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Le chantre du Luberon désira reposer dans le cimetière de Lourmarin. Il fit part de ses dernières volontés dans un texte publié par ses amis d'Alpes de Lumières :

« Enfin on chantera tes bêtes : renards, martres, fouines, blaireaux, nocturnes et le sanglier qui est peut-être ton dernier dieu (Mais silence, tu me comprends...)

Pour moi, si quelque jour, je dois tomber loin de ta puissance, je veux qu'on ramène mes cendres à Lourmarin, au nord du fleuve, là où vécut mon père et où, trop peu de temps, j'ai connu les conseils de l'Amitié.

Et que l'on creuse alors sur ta paroi, en plein calcaire, là-haut loin des maisons habitées par les hommes, entre le chêne noir et le laurier funèbre, un trou, ô Luberon, au fond de ton quartier le plus sauvage. J'y dormirai.

Et puisse-t-on graver, si toutefois alors quelqu'un prend souci de mon ombre, sur le roc de ma tombe, malgré ma mort, ce sanglier »


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Prélude aux combats

Le royaume des Pays-Bas, création des puissances victorieuses de la France napoléonienne, était miné par des maux graves. Des observateurs bienveillants, les diplomates de la Sainte-Alliance, ne cachaient pas les périls qui menaçaient cette union de deux peuples qu'opposaient les intérêts et les passions. Belges et Hollandais avaient été séparés par trop de conflits depuis le XVIe siècle pour qu'ils puissent, en quelques années, être réunis dans un ensemble barmonieux. Un génie politique n'aurait sans doute pas échoué dans cette tâche. Mais Guillaume 1er, financier avisé, certes, homme d'affaires connaissant les facteurs économiques de la vie des peuples, manquait de sens politique. Dans un monde où le libéralisme triomphait, ce despote éclairé, attardé dans le XIX. siècle, ne pouvait réussir à rapprocher les frères ennemis. A mesure que les années passaient, que la prospérité matérielle se développait, l'espoir de réaliser « l'amalgame » s'éloignait. Dans l'aisance et la puissance économique, les Belges trouvaient de nouvelles raisons de réclamer une part plus grande du pouvoir, que le roi, absolutiste étroit et obstiné, leur refusait.
La Révolution de 1830 a des causes profondes. Les rivalités commerciales, la fermeture de l'Escaut et l'exploitation systématique de nos provinces avaient laissé de l'amertume au coeur des Belges. Les catholiques et les calvinistes, depuis le XVIe siècle, ne s'étaient jamais rapprochés. Ils se haïssaient cordialement. Une évolution divergente depuis plus de deux siècles avait profondément marqué le caractère et l'esprit des populations du Nord et du Sud. Les moeurs, les traditions, le genre de vie étaient très différents dans les deux pays.
Dans les provinces du Sud, le régime français avait accentué la suprématie de la langue française au sein des milieux aristocratiques et bourgeois, classes dirigeantes de l'époque.
Même en pays flamand, le français était la langue des hommes qui avaient quelque influence dans la vie politique et sociale. Le prestige de cette langue, au XVllIe siècle, à travers toute l'Europe cultivée avait été énorme et les mesures administratives de la République et de l'Empire en avaient intensifié l'usage.
Au cours des quinze années de vie commune, aux Etats-Généraux, Belges et Hollandais s'étaient fréquemment dressés face à face. Cependant, les vieux libéraux belges, foncièrement anticléricaux, souhaitant le monopole de l'enseignement pour l'Etat, avaient à plusieurs reprises apporté au gouvernement leur appui Mais ils furent bientôt bousculés par une jeune équipe d'écrivains et d'avocats qui considéraien avec crainte les progrès de l'autoritarisme royal. Ces lecteurs du Globe. organe du néo-libéralisme français, songeaient plus à attaquer le empiètements et les conquêtes des ministériels qu'à combattre les « apostoliques ». qui réclamaient une application sincère de la Loi fondamentale et demandaient la responsabilité ministérielle, l'établissement d'un régime vraiment représentatif et l'inamovibilité des juges. Les journaux constituaient le meilleur moyen de diffusion de leurs idées. Or, la presse était toujours soumise, en fait, à un régime de contrôle très gênant. Les poursuites contre de Potter manifestaient bien le péril que courait cette liberté essentielle. Aussi la liberté de presse devint-elle une revendication formelle de ces jeunes libéraux.
Ces journalistes, ces avocats, ces bourgeois, qui étaient de langue et de culture françaises, étaient en outre menacés dans leurs habitudes et leurs intérêts par les arrêtés ministériels en matière linguistique. Aussi firent-ils valoir un autre grief: le mépris du gouvernement pour la liberté des langues.
Hommes jeunes, n'ayant pas connu l'Ancien Régime où l'Eglise détenait en fait le monopole de l'enseignement, ils se résignaient aisément à renoncer au monopole scolaire d'un pouvoir, néerlandais et autoritaire. Ils étaient prêts à un compromis avec les catholiques, qui, depuis 1815, n'avaient cessé de s'élever contre la domination gouvernementale protestante en matière d'enseignement. Dès lors, l'accord des libéraux et des catholiques devenait possible. L'union des oppositions était d'autant plus réalisable que, chez les catholiques, en Flandre surtout (fait quj prouve bien la diffusion du français dans les milieux intellectuels), les idées de Lamennais en faveur d'un catholicisme libéral, avaient fait de grands progrès.
Le rapprochement se précise de plus en plus. Le 8 novembre 1828, de Potter lance son fameux cri de ralliement: « Jusqu'ici, on a traqué les Jésuites. Bafouons, honnissons, poursuivons les ministériels! ». Le danger de cette Union est grave pour la stabilité du royaume. Sans doute, les catholiques du Brabant septentrional et du Limbourg «hollandais » se joignent à leurs coreligionnaires belges dans leurs revendications religieuses, sans doute, quelques libéraux hollandais commencent à réagir contre l'impitoyable fonctionnement du régime de Van Maanen, mais il s'agit là d'une minorité peu influente.
C'est essentiellement entre Belges et Hollandais que la lutte est ouverte. Les premiers se plaignent de l'accaparement des fonctions publiques par leurs adversaires. En 1830, n'y avaitt-il pas mille neuf cent quatre-vingts officiers hollandais, alors qu'il n'y avait que trois cent quatre-vingts belges?
Il n'est guère possible au roi de donner satisfaction aux opposants, car son Etat ne peut subsister que sous le régime rigoureux qu'il a imposé. Relâcher la pression administrative, céder aux demandes de l'opposition, c'est ruiner son oeuvre; admettre la représentation aux Etats-Généraux d'après la population, c'est provoquer l'écrasement des Hollandais qui ne sont qu'un peu plus de deux millions contre quatre millions de Belges. Aussi les Hollandais, comme par instinct, sont derrière le souverain de leur glorieuse dynastie d'Orange-Nassau.
I..e divorce idéologique entre les Hollandais immobiles et les Belges passionnés de libertés, se renforce de profondes oppositions entre les deux économies que le roi a tant fait pour amalgamer. La conciliation des intérêts divergents est délicate. En matière fiscale notamment, les Belges protestent contre les impôts de consommation sur le pain et la viande. Le roi s'est heurté à l'obstination du haut commerce hollandais et au dédain du grand capitalisme d'Amsterdam pour les Belges. Pendant que la Hollande refusait de s'adapter au monde nouveau qui naissait, les Belges développaient et modernisaient leur industrie, profitaient des créations bancaires de Guillaume 1er et Anvers, libre, renaissait magnifiquement. Aussi les Belges supportaient-ils de plus en plus difficilement de jouer un rôle secondaire dans l'Etat. Le fossé se creusait toujours davantage entre les deux parties et, au cours des années 1829 et 1830, les froissements se multiplient. Le fameux message royal du 11 décembre 1829, ouvre les yeux à de nombreux Belges sur les intentions de Guillaume. Message anachronique dans un monde porté par une puissante vague de liberté, il proclame les droits quasi absolus du souverain. Guillaume 1er cimente lui-même le bloc de ses adversaires.
De plus, les dernières mesures politiques du roi sont prises dans une conjoncture économique défavorable. L'Europe, en effet, depuis 1811-1817 est entrée dans une phase de baisse des prix et elle y restera jusqu'au milieu du siècle. Il en résulte de pénibles conséquences pour les finances publiques et pour les entreprises privées. Cette Europe, d'autre part, s'industrialise, la mécanisation fait des progrès. Sur le Continent, c'est en Belgique que ces progrès sont les plus rapides. Les crises du capitalisme industriel et financier se succèdent à un rythme régulier. Après les années difficiles de reconversion qui ont suivi la fin des guerres napoléoniennes, l'économie anglaise a été secouée en 1825 et 1829 et les répercussions en ont été sévères de ce côté de la Manche. La guérison est lente et 1830 n'est une année de prospérité, ni en Grande-Bretagne, ni en France, ni aux Pays-Bas. Dans ce dernier pays, la politique royale de soutien de l'industrie novatrice a provoqué un développement trop rapide de l'appareil de production. En mars et en juin 1830, la place de Verviers est brutalement frappée: faillite de banquiers, d'industriels. A Liège, en juin, « les nouveaux malheurs survenus dans le commerce rendant l'argent rare », le banquier de Sauvage réduit ses crédits. Cockerill, au printemps, est pressé par ses créanciers et implore l'aide du gouvernement. Les grands fabricants de tapis Overman et Cie de Tournai réclament aussi du secours et, en juillet, les fabricants de cotonnades gantois s'inquiètent de l'accumulation de leurs stocks. Enfin, la Révolution parisienne du mois de juillet a provoqué un choc néfaste au commerce et la confiance disparaît. A ce ralentissement d'activité, au cours du printemps et de l'été 1830, s'ajoute l'effet d'une hausse cyclique du coût de la vie depuis 1824. L'indice des produits végétaux indigènes est passé à Anvers de 65 en 1824 à 113 en 1829 et à 122 en 1830. L'hectolitre de froment qui valait 5,43 florins en 1824, vaut 10,93 florins en 1830. Aussi le pain a quasi doublé de prix. L'indice des prix des mercuriales est passé de 64,2 en 1824 à 97,3 en 1829 et à 107,5 en 1830. En outre, « un hiver aussi rigoureux que prolongé est venu accabler une grande partie de la population, multiplier ses besoins et naturellement occasionner une grande cherté dans les objets de première nécessité ». (Exposé de la situation de la province de Brabant méridional, juin 1830).
Dans cette économie qui n'est point encore moderne, le coût élevé des céréales est dû à la médiocrité des récoltes. Il n'entraîne pas la prospérité de l'ensemble de la classe agricole, mais des seuls gros producteurs. Les journaliers et les petits cultivateurs ne profitent guère de ce renchérissement des céréales.
En 1830, enfin, la soudure fut difficile et l'appréhension d'une production insuffisante poussait les fermiers à dissimuler leurs réserves. Les premières évaluations étaient pessimistes et, dans les tout premiers jours de septembre, les autorités en Hesbaye, dans le Limbourg et le Luxembourg, ne cachaient pas les très mauvais résultats de la récolte.
Les salaires n'ont point suivi le mouvement de hausse du coût de la vie. En 1827, le tisserand verviétois gagne le même salaire qu'en 1820, 1,48 franc par jour, et c'est un haut salaire. Sa fille gagne 42 centimes et son fils 52. Une femme se plaint amèrement, en septembre 1828, de ne recevoir que 85 centimes par jour. Si le chômage vient réduire le salaire réel, on peut aisément comprendre le malaise profond de la classe ouvrière.

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Telle était l'atmosphère lorsque va éclater la nouvelle des « Trois Glorieuses ». Les réactions sont diverses.
Les libéraux sont ravis de la chute de Charles X, mais certains catholiques sont effrayés par la crise d'anticléricalisme qui secoue Paris, car l'exemple est contagieux et les liens avec la France sont nombreux. Les journaux français sont lus avec avidité et les contacts personnels entre certains hommes politiques des deux pays sont fréquents. Toutefois,il n'y a point imminence de crise révolutionnaire: Gendebien partira pour Paris le 21 août, chargé d'aviser ses amis français de la remise à plus tard de toute action violente. Cependant, le 25 août au soir, la représentation de la Muette de Portici, l'opéra d'Auber, est l'occasion d'une émeute. L'air, repris de la Marseillaise « Amour sacré de la Patrie » déchaîna l'enthousiasme dans la salle, tandis que sur la place de la Monnaie, la foule se massait. Déjà avant la fin du spectacle, un groupe se dirigea vers les bureaux du National, le journal exécré, rédigé par Libry-Bagnano, un homme fort méprisé. Quelques pierres furent lancées dans les vitres. Puis, renforcé, le groupe alla piller rue de la Madeleine, la maison particulière de ce scribe, ancien forçat. Celle du directeur de la police P. de Knyff est ravagée. Vers onze heures du soir, un autre groupe d'environ deux cents hommes bien armés, composé de gens du peuple, se dirigea vers l'hôtel du ministre de la Justice, Van Maanen, au Petit Sablon. Il commença par y démolir tout, méthodiquement, puis, à deux heures du matin, mit le feu à l'immeuble.
Des fusils, des sabres, des pistolets, des munitions avaient été enlevés de force chez des armuriers, chez des marchands de poudre, de plomb et de fer. D'autres armes furent arrachées à la maréchaussée, aux pompiers ou à des bourgeois. Les policiers et les gendarmes furent impuissants à rétablir l'ordre, tandis que de faibles détachements de troupe, grenadiers et chasseurs, -1200 hommes étaient cependant disponibles -patrouillèrent à partir de minuit, mais sans intervenir sur les lieux de pillages. A cinq heures du matin, des patrouilles et des groupes d'insurgés échangèrent des coups de feu. Puis, l'armée se concentra au Sablon et le 26 à midi, elle se retira à la place des Palais, tandis que les faibles effectifs laissés à la caserne des Annonciades et à la caserne Ste-Elisabeth furent désarmés par les émeutiers. Maîtres du centre de la ville, les mutins pillèrent au Grand Sablon la maison du généraI de Wauthier, commandant la Place, et, à huit heures du matin, un groupe de quatre cents hommes, drapeau rouge en tête, saccagea
l'hôtel du gouvernement provincial, rue du Chêne.
La Régence, c'est-à-dire l'autorité communale, (hormis le bourgmestre de Wellens, absent de la ville), le gouverneur de la province Van der Fosse, le directeur de la police et le commandant de la garde communale, réunis à l'hôtel de ville, donnèrent à la police des ordres qu'elle était incapable d'exécuter.
Déjà à six heures du matin, des bourgeois n'apercevant pas l'ombre d'un garde communal -la schutterij, la garde civique régulière de l'époque, récemment organisée, fonctionnait mal -avaient demandé des armes pour créer une garde et réclamé le retrait de l'armée afin d'éviter des frictions sanglantes entre le peuple et la troupe. L'autorisation leur fut accordée et le matin les premières patrouilles furent formées. Mais les bourgeois n'étaient pas en nombre et ils durent renoncer à disperser les attroupements. A trois heures de l'après-midi, sur la Grand'Place, Ducpétiaux attacha au réverbère placé au-dessus de la porte d'entrée de l'hôtel de ville un drapeau aux trois couleurs, rouge, jaune et noire, que Mme, Abts négociante du Marché-aux-Herbes -venait de confectionner en cousant des bandes de mérinos disposées horizontalement.
Pendant l'après-midi, dans des cabarets de la rue Haute, des meneurs instiguèrent des ouvriers, surtout des fileurs, à aller détruire, à l'exemple des Anglais de Manchester, les fabriques de la banlieue qui utilisaient des machines. A huit heures du soir, les fabriques de Rey et Bosdevex-Bal, à Forest, de Wilson à Uccle, industriels novateurs qui avaient installé des mécaniques, avaient été dévastées.
Mais le peuple était fatigué de ses longues courses et déjà des bourgeois avaient réussi à lui racheter ses armes. La nuit du 26 au 27 fut calme. Huit cents bourgeois montaient la garde. Le lendemain, le peuple, massé place Royale et place des Palais, menaça la troupe. Une intervention de la garde bourgeoise se termina par une fusillade: force resta à la garde. Dès ce moment, les attroupements cessèrent. La garde bourgeoise était maîtresse de la ville. Le commandement en chef en fut assuré par le baron Emmanuel Vanderlinden d'Hooghvorst. Un état-major fut constitué, un Conseil formé. Dans la ville, tous les insignes royaux avaient été brisés, les cocardes orange foulées aux pieds. Une « mauvaise farce d'écoliers » comme l'écrivit Gendebien avait donné le pouvoir à la garde bourgeoise.
Les bourgeois devenaient ainsi maîtres de la situation, mais bourgeoisie et peuple bruxellois étaient unis quand même dans la volonté d'empêcher l'entrée de nouvelles troupes. Le 28, l'annonce que des renforts sont arrivés à Vilvorde a excité la population bruxelloise. Le 31 août, les princes royaux envoyés par leur père pour rétablir l'ordre à la tête d'une armée imposante firent connaître leur intention d'entrer dans la ville avec leurs troupes et leur exigence de l'abandon par les bourgeois des drapeaux et des cocardes brabançonnes. Cette menace déchaîna le patriotisme. Bruxelles, toutes classes mêlées, s'apprêta au combat. Des barricades furent dressées, des arbres abattus. La garde fut mise sur un véritable pied de guerre. Le prince d'Orange céda aux supplications d'une seconde députation de notables et accepta d'entrer avec son seul état-major et sans troupe. Le lendemain, ler septembre, il fit donc son entrée dans la ville. Aux cris répétés de « vive la liberté» répondirent quelques « vive le roi ». Grand'Place, le bourgmestre lui adressa quelques mots, puis, au galop, le prince se rendit à son palais...

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L'occasion initiale, la Révolution de Juillet à Paris, est ainsi suivie, à moins d'un mois d'intervalle, de l'émeute bruxelloise. L 'allure de celle-ci fait réfléchir. Des étrangers ont participé aux bris de vitres, aux incendies, aux destructions. De l'argent a été distribué. Il y a eu des meneurs. Sont-ce des Français, voire des Anglais? Les témoignages sont imprécis et les enquêtes de police incomplètes. Faut-il admettre la thèse d'un policier hollandais, Audoor? Pour lui, tout aurait été soigneusement préparé, machiné, monté dans le détail. Ce seraient les bourgeois de Bruxelles qui auraient excité le peuple, auraient lâché la populace, pour avoir l'occasion de s'emparer du pouvoir réel dans la cité, d'évincer l'armée et la police. Cela nous paraît une explication a posteriori, car ces bourgeois craignaient réellement le peuple et étaient trop avisés pour jouer le rôle d'apprenti sorcier.
Le bris des machines, les « luddites » d'Uccle, de Forest, d'Anderlecht, sont le meilleur indice d'un malaise social. Dès avant la crise commerciale consécutive aux troubles politiques, les ouvriers avaient déjà attaqué les ateliers, mouvement spontané en grande partie, encore qu'il faille retenir l'intervention d'agents provocateurs.
A Verviers, le caractère social du mouvement révolutionnaire est évident. Depuis longtemps les ouvriers se plaignaient de la lourdeur des impôts de consommation et de l'introduction de nouvelles machines. Le 27 août au soir, les événements de Bruxelles furent connus et le lendemain la foule se porta devant l'hôtel de ville en criant « brisons les machines! » « à bas les employés du gouvernement! ». Un drapeau tricolore français fut planté sur le perron, des cris furent poussés « vive Napoléon! à bas Guillaume! ». Après qu'elle eut désarmé la garde communale, la foule envahit l'hôtel de ville, s'empara des armes entreposées dans les greniers, puis se dirigea vers les maisons des agents des contributions et des accises qu'elle pilla. La maison du notaire Lys fut saccagée. Le lendemain, les mutins voulurent incendier le Montde-Piété et clamèrent leur intention de se rendre dans les fabriques. D'autres allèrent dans la banlieue et y pillèrent les demeures des agents du fisc et les boulangeries. Pour calmer la masse déchaînée, le président de la « Commission de sûreté », qui avait remplacé l'autorité communale débordée, promit la remise au peuple des machines à tondre, une baisse du prix du pain de dix cents et la restitution gratuite par le Mont-de-Piété, de tous les objets garantissant des prêts inférieurs à dix florins.
Le 30 août, le Pays de Herve fut sillonné de bandes de pillards qui ramenèrent triomphalement à Verviers des charrettes de blé. Partout, ces insurgés arboraient les couleurs françaises, lacéraient les couleurs hollandaises, brisaient les armes royales. A Verviers, les officiers de la garde urbaine, constituée pour rétablir l'ordre, portaient une ceinture aux couleurs françaises, les gardes une cocarde et les onze postes de garde étaient ornés d'un drapeau français.
Les Verviétois furent imités par les ouvriers d'Aix-Ia-Chapelle qui détruisirent les machines chez Nélissen, fabricant de drap et pillèrent la maison de James Cockerill. A Dusseldorf on assista aussi à une explosion de rage populaire. A Lierre encore, chez Van den Berghe de Heyder, grand imprimeur de cotonnades, les ouvriers s'agitèrent à la fin d'août. Des bruits de pillage dans des fabriques d'Eindhoven et de Tilburg, qui circulèrent à la même époque, témoignent, quoique erronés, de l'agitation sociale. Rappelons qu'à Paris, l'agitation ouvrière n'a pas cessé au cours de l'été 1830.
Il y a donc un mouvement prolétarien, qui trouve l'occasion de son déclenchement dans des faits politiques: c'est à Bruxelles, le 25 août, que l'étincelle a jailli et c'est de là que l'explosion a gagné de proche en proche. Au surplus, certains avaient sans doute quelque avantage à ces désordres. Des agents provocateurs voulaient effrayer les bourgeois et les exciter à une répression de l'élan populaire, tandis que, nous dit Gendebien, « des intrigants laissèrent faire, pour masquer une onzième ou douzième faillite; on vit des industriels indiquer à leurs propres ouvriers les pièces de leurs machines à briser afin d'arrêter momentanément leur marche et légitimer la suspension des travaux et des paiements ». Enfin, à Bruxelles comme à Paris, on accusa des agents anglais d'avoir poussé à la destruction des machines par avidité et mercantilisme.
Ce mouvement social est violent, mais sans lendemain. Car les possédants ont pris peur. « Toute la propriété était menacée, elle a dû s'armer pour se soustraire aux suites funestes de l'effervescence populaire », écrivait le journaliste Levae à son ami de Potter, le 4 septembre. A Bruxelles, la bourgeoisie a désarmé le peuple et rétabli l’ordre. A Bruges, à Verviers, elle agit de même. Partout où l'ordre est menacé, des gardes bourgeoises sont constituées. Il est frappant de constater, dans la première semaine qui a suivi l'émeute de Bruxelles, l'identitédes réactions bourgeoises dans les différentes villes. Aux mouvements populaires désordonnés, dont les buts sont immédiats (relèvement des salaires, demande de travail, suppression d'impôts sur les produits alimentaires) répondent la constitution de gardes bourgeoises et la satisfaction partielle, dans les limites du possible, des revendications de la masse par la mise en chantIer de travaux publics, la fixation d’un maximum du prix du pain et l'abolition des impôts communaux sur l'abattage. A Verviers, l'arrêt momentané de certaines machines est même ordonné.
Le comte de Mercy-Argenteau retiré dans son château, décrit bien au chef du Cabinet du roi, Hofmann, le 31 août 1830, les convulsions sociales dans les centres industriels avec leurs répercussions dans la grande banlieue: « Pour comble d'adversité, le besoin de pain se fait sentir. Une multitude d'ouvriers est sans travail à Verviers. A l'heure où je vous écris deux à trois mille gens sont sur les quais de 'Liège criant pour du pain et repoussant si bien les forces armées que la régence a dû baisser le prix de 28 à 20 cents par carte à délivrer par le comité de secours. Verviers est dans un état épouvantable, les campagnes environnantes de même. On s'arme dans cette ville pour la défense autant qu'on le peut; à Herve, à Battice, à Dison on pille. Un seul moment de confusion ou de relâche dans l'activité des gardes amènerait d'épouvantables catastrophes à Liège ».


* * *

Les événements qui ont suivi la représentation de la Muette de Portici à Bruxelles, sitôt connus dans les provinces, ont donc provoqué des remous. Dans de nombreuses villes, des gardes sont constituées. Des organismes nouveaux sont créés: des « Commissions de sûreté », corps municipaux, que les autorités régulières appellent à l'existence ou tolèrent. A Liège, Huy, Thuin, Dinant, Ciney, toutes bonnes villes de l'ancienne principauté de Liège, le drapeau
liégeois jaune et rouge est arboré. Mais l'esprit local triomphe à Verviers où ce sont le vert et le blanc qui, le 30 août, remplacent les couleurs françaises, symbole à la fois de libertépolitique, de sympathie française et d'aspirations sociales.
A Liège, le 26 et le 27 août, à Verviers, lors des troubles, la Marseillaise a été chantée par le peuple comme elle l'a été à Aix-la-Chapelle où le drapeau tricolore avait été également hissé. A Bruxelles, le drapeau français a été remplacé par le drapeau brabançon, appelé dès lors à une singulière fortune. Les couleurs des anciens Etats Belgiques sont adoptées par la garde et la population bruxelloises et imposées au prince d'Orange. Les couleurs de la ville de Bruxelles qu'on avait aussi arborées ont été abandonnées. Signe de ralliement des opposants au gouvernement de Guillaume 1er, les drapeaux brabançons rouge, jaune et noir sont hissés à Louvain, Nivelles, Namur, dans le Brabant wallon, en Hainaut, dans le Luxembourg et dans plusieurs villes des Flandres, à Ninove, Grammont, Courtrai, Wervicq, Harlebeke; mais en Flandre orientale, elles sont traquées par la police énergique du très ferme gouverneur Van Doorn.
Un drapeau, c'est un signe extérieur d'une importance capitale. Les autorité légales en sont pleinement conscientes. Pendant les entretiens qui précèdent l'entrée du prince héritier à Bruxelles le 1er septembre, la question des drapeaux et des cocardes tricolores est à la base des discussions et, au cours du mois de septembre, la chasse à ces emblèmes, organisée par les ministériels dans les centres où ils ont conservé la haute main, est aussi significative.
Un drapeau, des drapeaux plutôt, voilà le signe de ralliement de beaucoup d'habitants des provinces méridionales. Ont-ils un programme? A Liège, dès le 27 août, une députation est chargée de demander au roi le redressement des griefs, clairement exposés dans une remarquable pétition remise à la « Commission de sûreté » le 27 dans l'après-midi et que cette nouvelle autorité, créée par le gouverneur de la province, a adoptée. Le problème capital des rapports entre le roi et ses ministres préoccupe les Liégeois. « Nos réclamations en peu de mots les voici: Changement complet du système suivi jusqu'à présent; exécution franche de la loi fondamentale. Renvoi du ministère antipopulaire, dont les actes ont spécialement frappé la Belgique. Son remplacement par des hommes qui sachent enfin concilier les intérêts de toutes les provinces du royaume; qui acceptent, telle qu'elle doit l'être, sous un gouvernement représentatif, la responsabilité pleine et entière de leurs actes, seul moyen de retenir intact le principe de l'inviolabilité du Roi. L'organisation de la responsabilité ministérielle par une loi spéciale. Répudiation complète et sincère du système spécialement consacré dans le funeste message du 11 décembre 1829 ». Les Liégeois réclament en outre le jury en matières criminelles et surtout dans les procès de presse et autres procès politiques, la liberté entière de la presse et un nouveau système électoral. Mais ils veulent encore: « la liberté illimitée de l'enseignement consacrée par une loi », et une « loi consacrant la liberté du langage en toutes matières administratives et judiciaires ». Ils exigent des réformes économiques: l'abolition du million de l'industrie, la diminution des impôts et l'économie dans les traitements des fonctionnaires publics. Ils font valoir aussi des revendications nettement nationales, l'établissement de la Haute Cour dans une des villes de Belgique, la répartition égale des emplois publics entre le Nord et le Sud. La convocation immédiate des Etats-Généraux -que le roi
d'ailleurs a décidée le 28 -permettrait la réalisation de ce programme.
A Bruxelles, les bourgeois réunis et armés dans une garde qui a rétabli l'ordre et sur qui repose le maintien de la tranquillité publique, formulent eux aussi des revendications politiques. Elles sont énumérées d'une manière concise pour frapper le peuple dans un tract répandu par le Courrier des Pays-Bas que l'on trouve dans les corps de garde dès le 28 au matin. Ce document est moins complet que la pétition liégeoise. Il n'y est point question de liberté de l'enseignement, ni des langues. Mais des soucis immédiats apparaissent: soucis d'ordre politique, (cessation des poursuites intentées aux écrivains libéraux, annulation des condamnations en matière politique), et d'ordre social, (demande de suspension provisoire de l'abattage, distribution à tous les ouvriers infortunés de pain pour subvenir à leurs besoins jusqu'à ce qu'ils puissent reprendre leurs travaux). Le soir du 28, une assemblée de notables bruxellois a envoyé au roi une délégation pour lui exposer ses griefs. La pétition liégeoise, un vrai modèle, sera copiée par les bourgeoisies d'autres villes qui feront parvenir au souverain des adresses fermes et respectueuses.
Le meilleur moyen d'assurer le triomphe des libertés est évidemment de régler entre Belges seuls les problèmes politiques. La séparation apparaît vite comme le but dont la réalisation assurera les libertés essentielles. C'est de Paris, semble-t-il, que l'idée de séparation est venue. Le 29 août, Tielemans, un des exilés, parle déjà dans une lettre à son ami de Gamond « de gouvernement provisoire, de Belgique entièrement séparée, entièrement indépendante de la Hollande et gouvernée d'après une constitution qui lui convienne et qu'elle ait librement faite ou acceptée ». Deux jours plus tard, de Potter s'exprime très nettement dans une missive à ses amis de Bruxelles, Gendebien et Van de Weyer : « Pourquoi ne voulez-vous pas la séparation parlementaire et administrative de la Hollande dans laquelle se trouve nécessairement tout ce que vous demandez? » S'il faut en croire Gendebien, il aurait préconisé la séparation dans une entrevue confiante avec le prince d'Orange, le 1er septembre au soir. Mais le prince, le lendemain, ne songeait encore qu'à la démission de Van Maanen.
Le 2 septembre, quatre députés aux Etats Généraux, le comte de Celles, Charles Le Hon, François de Langhe, Charles de Brouckère, revenus de Paris où ils avaient vu les bannis et où ils avaient été électrisés au contact des vainqueurs de Juillet, en discutent avec Gendebien. Admis auprès du prince d'Orange le 3 au matin, Charles de Brouckère lui déclara que ses collègues partageaient l'idée qu'une séparation entre les parties septentrionale et méridionale du royaume était devenue nécessaire et que la démission du ministre Van Maanen n'était plus regardée comme suffisante pour calmer les esprits. Le ministre van Gobbelschroy vint confirmer ce fait au prince. La commission constituée par celui-ci le 1er septembre et présidée par le duc d'Ursel était réunie à ce moment au palais. Elle émit le voeu que pareille séparation pût être effectuée. Entretemps, le commandant et les chefs de section de la garde bourgeoise s'étaient assemblés au palais du prince d'Orange et ils manifestèrent aussi le désir de séparation, tout en acceptant la souveraineté de la dynastie des Nassau. Ils se prononcèrent en même temps avec force contre une réunion à la France.
Le prince exprima la crainte que les formes prescrites par la Loi fondamentale n'empêchassent le roi de donner à l'égard de la séparation une réponse positive, mais il se déclara prêt à appuyer sincèrement les voeux émis, en même temps qu'il acceptait la retraite en dehors de la ville des troupes qui bivouaquaient Place des Palais et dans les cours intérieures du palais depuis le 26 août.
Si la formule de la séparation « sous les rapports législatifs, administratifs et financiers» rallia beaucoup de Belges, elle eut cependant des adversaires farouches: les ministériels, magistrats, fonctionnaires et les amis du pouvoir, certains industriels et hommes d'affaires qui avaient trop reçu du régime pour ne point souhaiter qu'il durât. Dans les centres commerciaux comme Anvers, le projet de séparation est mal accueilli et une pétition se couvre de centaines de signatures de négociants, de propriétaires et de bourgeois, les 8, 9 et 10 septembre. La Chambre de commerce, le 11, proteste également contre ce voeu, tandis que la Régence appuye la requête des habitants. « Messieurs, du commerce et de l'industrie ont peur que le divorce accompli, les Hollandais ne mettent l'Escaut en bouteilles », écrivait le professeur Ph. Lesbroussart le 9 septembre. Gand proteste également et à Liège, à Bruxelles, à Mons, il y a des grands bourgeois qui verraient avec rage l'effondrement du royaume. Il en est aussi qui sans être « orangistes », le premier moment d'enthousiasme passé, réfléchissent aux inconvénients de briser une unité économique qui n'a pas été sans avantages. Et la perte du marché des Indes rend songeurs les gens pondérés. Le 5 septembre, une séparation obtenue par les voies légales satisferait la grande majorité des opposants. Mais comme ces Belges craignent une action énergique de l'armée royale, un retour brusque des troupes qui anéantirait tout espoir de voir accepter par le souverain le moindre changement, ils veulent rester armés. Ainsi la garde bourgeoise, à l'origine rempart de l'ordre, est devenue le bastion de la liberté. Cette attitude est strictement défensive. Si l'armée royale ne tente pas de rentrer dans la capitale, les chefs de la garde ne recourront pas aux armes. Cependant, il faut mettre la ville à l'abri d'un coup de main, car « la méfiance est mère de la sûreté ». Les ingénieurs Roget et Teichmann font élever des barricades. Le 8, une commission de défense, chargée de la direction des travaux militaires, est créée par l'état-major et le Conseil de la garde bourgeoise.
Puisqu'on reste sous les armes pour éviter la terrible éventualité d'une « agression » royale que font présager les articles violents de la presse hollandaise et les mouvements de troupes, car la concentration de l'armée du prince Frédéric se prépare minutieusement, ne convient-il pas de renforcer l'armature militaire de cette garde? Ainsi, insensiblement, à l'état major et au Conseil de la garde bourgeoise, certains songent à l'organisation d'une véritable petite armée. Le besoin d'hommes, de fonds, d'armes, exige l'établissement de relations avec les autres villes. La ligne Louvain-Liège est capitale pour la fourniture des armes. Liège est un des grands centres de l'armurerie en Europe; le gouverneur de la province Sandberg y évalue à cent mille les armes disponibles. Grâce au travail des ouvriers liégeois, maîtres en art de tourner les canons, les sarraus bleus ne devront point se battre avec des piques comme leurs frères polonais, quelques mois plus tard.
Le peuple de Louvain a chassé la garnison le 2 septembre et le rideau des troupes du général Cort-Heyligers, installé le 11 septembre, ne coupe pas complètement les communications. Dès le 7 septembre Charles Rogier et Florent de Bosse de Villenfagne sont entrés à Bruxelles à la tête du principal contingent de volontaires liégeois fort de 250 hommes. Des petits groupes d'hommes décidés de Namur, de Tournai, d'Alost, de Roulers (la troupe Rodenbach), des isolés de divers endroits sont aussi accourus.
Ainsi se constitue un noyau d'hommes armés. Ce sont des gens souvent démunis d'argent et la ville de Bruxelles doit les nourrir. Ils ont des chefs qui veulent parfaire l'équipement et l'armement de leurs hommes. Et où trouver les fonds nécessaires, sinon dans un renversement radical des institutions? Il faut se rendre maître des caisses publiques, ou du moins exiger la libre disposition des recettes de l'Etat, de la Province et de la Ville. Une tendance révolutionnaire se dessine donc nettement.
Le Conseil de Régence, à l'hôtel de ville, est évidemment effrayé de la tournure des choses. Mais il est impuissant et son pouvoir disparaît en fait. La « Commission de sûreté» formée le 11 septembre et où siègent Van de Weyer, Gendebien, Félix de Mérode, Rouppe et F. Meeus le remplace. Ce n'est pas un Gouvernement provisoire. Organisme bruxellois, cette Commission de sûreté n'a qu'un mandat limité: maintenir la dynastie, l'ordre public et défendre le voeu de séparation. Mais ses efforts furent médiocres et Gendebien se plaignit amèrement de son inertie.
Quant aux députés aux Etats-Généraux, convoqués à La Haye pour la session extraordinaire qui doit s'ouvrir le 13 septembre, ils ont, après hésitation, décidé de répondre à l'appel du roi. Leur absence de Belgique dans ces semaines agitées prive l'opposition de conseillers avisés. Avant leur départ, certains ont manifesté sans ambiguïté leurs sentiments patriotiques, tels le baron de Stassart, mais d'autres sont plus timides et Raikem, le 26 août, dans une lettre au gouverneur Sandberg, affirmait clairement ses sentiments parfaitement royalistes. Leur départ pour La Haye a d'ailleurs donné lieu à de très vifs débats et les extrémistes leur reprochèrent amèrement leur soumission au roi. Ces hommes mûrs, sages et prudents, décidèrent de se rendre à La Haye pour y faire triompher par les voies légales la séparation. Ils n'étaient pas du parti de l'aventure.

* * *

Parmi les leaders patriotes, on compte principalement des avocats et des journalistes, rédacteurs des feuilles de l'opposition. Lesbroussart, Van Meenen, Jottrand, P. Claes, Ducpétiaux, Van de Weyer, J.-B. Nothomb, collaborateurs du Courrier des Pays-Bas, Levae du Belge, Lebeau et les frères Rogier, du Politique, D. Stas et Kersten du Courrier de la Meuse, Van Meenen, d'Elhoungne et Roussel du Journal de Louvain, Beaucarne du Catholique des PaysBas, l'abbé Buelens de l'Antwerpenaer, Barthélemy du Mortier du Courrier de l'Escaut, Braas et Lelièvre du Courrier de la Sambre sont les adversaires intelligents et tenaces du gouvernement. Sont-ce là les hommes qui ont préparé l'émeute du 25 août? Il ne semble pas. Jean-Baptiste Nothomb, collaborateur du Courrier des Pays-Bas, est parti en vacances à la mi-août pour Pétange, après avoir écrit son bel article du 9 sur la responsabilité ministérielle, et les autres rédacteurs ont été surpris par l'événement. Le 14 et le 15 août, Gendebien et Van de Weyer avaient participé à des conversations secrètes avec des confrères, mais rien n'y avait été décidé. Cependant ces hommes ont su tout de suite tirer parti des événements. L'occasion était trop belle pour ne pas la saisir. Leurs journaux deviennent les organes du séparatisme et le ton des articles hausse singulièrement. Que surviennent, cependant, les grenadiers du roi et leur situation deviendrait périlleuse. Aussi, certains restent prudents. L'attitude de Jottrand et de Claes, les 13 et 14 septembre à Bruxelles, lors des discussions à l'hôtel de ville sur le projet de formation d'un Gouvernement provisoire, est significative: ils s'opposent à la constitution immédiate d'un tel organisme. Charles Rogier est plus avancé. Il est poussé par ses volontaires et à Bruxelles, il fait figure d'homme d'avant-garde. Quant à Van de Weyer, installé à la Commission de sûreté, il manifeste déjà ses talents de diplomate, mesuré et réservé.
On retrouve donc, parmi les chefs du mouvement, les journalistes qui n'ont pas ménagé les coups au gouvernement de Guillaume 1er depuis 1828. A eux se sont joints des avocats (à Liège, par exemple, Edouard Vercken, A. Bavet, Muller, Wauters), des notaires(Delmotte à Mons, Adolphe Jottrand à Genappe, Lefebvre à Mariembourg), des rentiers, des industriels.
D'anciens militaires qui se sont déjà signalés dans les campagnes de l'Empire ou qui ont servi sous Guillaume 1er, mais ont été découragés par un avancement trop lent, les hauts grades étant réservés aux Hollandais, sont aux postes de commande de la garde. Pletinckx, lieutenant colonel de la garde bourgeoise, est un ancien capitaine de l'armée des Pays-Bas. Dégoûté de l'accueil qu'il reçut en 1827, à son retour de la colonie, il avait démissionné. Aujourd'hui, il brûle d'une ardeur étonnante d'en découdre avec l'armée de Frédéric. Joseph Fleury-Duray, major de la garde bourgeoise, avait servi l'armée de 1819 à 1822. Le comte Van der Meere, autre major de la garde, avait été capitaine aide de camp du général Van Geen, tandis que le major Vander Smissen, commandant en second la garde bourgeoise, avait fait la campagne de Russie et commandait l'artillerie de la 3e division sous Chassé à Waterloo.
Fait remarquable, ces hommes sont jeunes: Charles Rogier a vingt-sept ans, Sylvain Van de Weyer vingt-huit, Félix de Mérode trente-neuf ans. Alexandre Gendebien a quarante et un ans mais un enthousiasme juvénile. Dans l'équipe du Politique, Firmin Rogier est l'aîné et il a trente-neuf ans, Paul Devaux vingt-neuf, Henri Lignac trente-trois. Jean-Baptiste Nothomb a vingt-cinq ans, le comte Van der Meere trente-trois ans, Joseph Pletinckx trente-trois, Joseph Fleury-Duray vingt-neuf, Bruno Renard de Tournay vingt-six et Félix Chazal vingt-deux.
En général, les patriotes investis par les circonstances de graves responsabilités ne songent pas encore à une rupture décisive, à une véritable révolution. Ils restent sur la défensive. Mais il y a aussi les partisans des solutions extrêmes. Ce sont des têtes chaudes, des aventuriers. Excités par le succès des révolutionnaires parisiens, ils désirent se battre. Ils sont sûrs de vaincre les troupes hollandaises. Par la force, ils veulent arracher l'indépendance nationale. Ce sont souvent des personnages étranges, pittoresques, quelquefois de véritables énergumènes, qui se battront bravement à l'heure du combat. Hissés sur le pavois, ils en retomberont vite. De ces « éphémères de la révolution », selon l'exacte expression de Louis Leconte, l'histoire a surtout retenu les noms de Van Halen, Stieldorff, Ernest Grégoire, Borremans, Mellinet. Ils n'ont pas peur d'exposer leur vie. Dès le début, ils sont de tous les coups durs. Ils s'affairent dans les sections de la garde, s'occupent d'armement, de formation de corps francs. Ils organisent des sorties de Bruxelles vers les avant-postes ennemis, car pour eux l'armée du roi, est une armée hollandaise, une armée ennemie. A leurs yeux la guerre a commencé. Il faut transformer Bruxelles en un camp retranché, multiplier les barricades, armer le peuple, constituer un véritable arsenal. Ils s'appuyent sur les volontaires arrivés de province, qui constitueront les cadres de vraies troupes de choc. Enfin, dans la population bruxelloise, les extrémistes trouvent une aide précieuse. Le bas peuple de Bruxelles est résolu à empêcher coûte que coûte la soumission de sa ville. Le petit bourgeois partage aussi ce sentiment. Une véritable passion animera ces hommes à l'heure de la lutte; cette masse bruxelloise s'emparera de l'hôtel de ville le 19 septembre et formera la grosse majorité des combattants des «journées ».
Il y a aussi le groupe pro-français: le comte de Celles, beau-frère du général Gérard et le baron de Stassart, anciens préfets de Napoléon, ainsi que Alexandre Gendebien, s'y distinguent. Ces hommes soulevés par la victoire bourgeoise à Paris, veulent-ils la réunion à la France? Comme Cartwright, le chargé d'affaires anglais à Bruxelles, l'écrira à son gouvernement, le 4 octobre 1830, il y a un parti français qui souhaite, sinon la réunion à la France, c'est-à-dire le retour au statut diplomatique de 1795-1815, du moins une dépendance de fait des provinces belges, une suzeraineté française par la présence sur le trône, à Bruxelles, d'un prince de la maison d'Orléans.
En août, le comte de Celles, accompagné de trois autres députés, est allé à Paris. Gendebien, le 21, s'apprêtait à s'y rendre. Mais les conseils de prudence donnés dans les milieux gouvernementaux les ont calmés. Sans doute, le parti du mouvement, les sociétés populaires parisiennes, sont décidées à porter secours aux insurgés belges, mais leur aide, nous le verrons, ne viendra qu'assez tard. Il était normal, d'ailleurs, que des Belges aient regardé avec anxiétévers Paris, tourné les yeux vers le nouveau gouvernement français, car, dans la conjoncture internationale, c'était de là que pouvait venir à l'époque le seul appui.
Les partisans de la France sont nombreux dans certains milieux industriels. A Verviers, par exemple, ils seront longtemps influents. Mais c'est après octobre seulement, en hommes d'affaires avisés, qu'ils révéleront leurs opinions. De même chez les politiques, il faut bien distinguer les véritables partisans de la France, des Belges qui se résigneraient, faute d'indépendance nationale dans l'Europe de 1830, à passer sous la coupe française plutôt que de retomber sous la domination de Guillaume 1er et de Van Maanen.
En septembre 1830, dans cette période confuse que nous cherchons à éclairer, ceux-là même qui passent pour les partisans les plus dévoués du rattachement à la France, se contentent de travailler avec leurs collègues des Etats-Généraux ou des Commissions de sûreté en vue de réaliser la séparation. Peut-être n'est elle à leurs yeux que la première étape de la fusion avec la France? En tout cas, dans le présent, ils joignent leurs efforts à ceux des Belges qui veulent se séparer des Hollandais pour obtenir dans l'ensemble des Pays-Bas les libertés nécessaires.
Les efforts des agents français en vue de déclencher un mouvement de réunion à la France n'ont pas eu grand succès. Les drapeaux français n'ont pas longtemps flotté dans les villes insurgées et les traces de souhaits de réunion ont disparu. Mais chaque fois que l'avenir redevenait incertain, la tendance française reprenait force. Ainsi, lorsque le peuple à Bruxelles a connu la proclamation royale du 5 septembre, qui ne redressait immédiatement aucun des griefs, le gouverneur du Brabant écrira: « on parle assez ouvertement d'appeler le duc de Nemours, second fils du duc d'Orléans Louis-Philippe, au trône de la Belgique. On voit, dit-on, le ruban tricolore français remplacer les couleurs brabançonnes que beaucoup de Belges commencent à abandonner », tandis qu'à Liège, au 10 septembre, le gouverneur Sandberg constate : « qu'il y a évidemment un parti qui pousse vers la France: l'insubordination de l'armée française est pour beaucoup là dedans, cela nourrit les espérances et un lieutenant en garnison à Givet écrit à son frère ici, que les soldats veulent à toute force marcher sur la Belgique ». Le 8 septembre, d'ailleurs, le Politique a fait paraître un article sur la possibilité d'une réunion à la France. C'est une menace non déguisée au gouvernement, au cas où il résisterait.
A l'action des journalistes et des extrémistes, aux manceuvres du parti français, s'opposent les forces de résistance au mouvement révolutionnaire. De plus, à la mi-septembre, la majorité des adversaires du roi ne rêve encore que de séparation et non de renversement de la dynastie. C'est le roi qui par son recours à la force va provoquer la rupture, déclencher la révolution.

Voir aussi:

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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