“L’âne culotte » est un roman d'Henri Bosco (1888-1976), publié en 1937.
Constantin Gloriot, le narrateur, raconte l'aventure qui lui est arrivée lorsqu'il avait douze ans. A cette époque, dans le village de Provence où il vit avec ses grands-parents, un âne mystérieux, surnommé l'âne Culotte par les enfants parce qu'il porte des braies en hiver, intrigue les habitants. On sait qu'il vient d'une ferme de la montagne, et sert un certain M. Cyprien dont les villageois ne parlent qu'avec crainte et méfiance. Un jour, Constantin, malgré l'interdiction de sa grand-mère, décide de suivre l'âne, qui le mène jusqu'à son maître. Il découvre alors un véritable "paradis", un verger poussé en pleine montagne, où les animaux charmés vivent sans crainte. M. Cyprien le charge de porter une branche d'amandier en fleurs au curé du village, l'abbé Chichambre. Mais, menacé par une petite fille du village, Anne-Madeleine, Constantin se voit obligé d'aller couper une seconde branche d'amandier. Il est surpris par M. Cyprien, qui lui apprend qu'il ne faut pas toucher au paradis. Dès lors, les événements se précipitent. Par Hyacinthe, la petite servante de ses grands-parents, qui connaît aussi le "paradis", Constantin découvre que, depuis sa faute, M. Cyprien a disparu, jusqu'au jour où celui-ci revient en secret et emmène avec lui Hyacinthe, qu'on ne reverra plus. Le journal de M. Cyprien, découvert et annoté par l'abbé Chichambre, et lu beaucoup plus tard par le narrateur, vient compléter l'histoire: M. Cyprien, ancien navigateur et magicien, a voulu recréer le paradis sur terre qu'il avait connu dans une île. Il devait léguer son pouvoir sur les animaux et les plantes à Constantin. Mais la faute de celui-ci l'a convaincu de l'omniprésence du mal, et l'a poussé à repartir, pour créer un nouveau paradis en compagnie d'Hyacinthe à qui il transmettra son savoir.
On a souvent classé Henri Bosco parmi les écrivains "régionalistes". Cette désignation hâtive rend bien peu compte de l'atmosphère de conte étrange qui est celle de l'âne Culotte. Certes, c'est toute la Provence, avec ses moeurs surannées - comme la messe dite à l'occasion des premières neiges -, ses animaux et ses plantes aux noms oubliés, qui est la véritable héroïne du roman. Mais on aurait du mal à y retrouver l'image simple et bon enfant qui en est souvent présentée dans la littérature française. Cette Provence est une terre surnaturelle, où se fondent l'héritage folklorique et païen, et les légendes chrétiennes, comme en témoignent les dictons prononcés par la Péguinotte, la vieille servante des grands-parents de Constantin, mêlant conseils sur les récoltes et antiques superstitions. L'histoire de l'âne Culotte et de son maître M. Cyprien rappelle à la fois l'âne d'or d'Apulée, puisque l'animal est manifestement décrit en termes anthropomorphiques, et la Confession de saint Cyprien de Lucien, qui décrit le repentir du magicien qui croyait s'adonner à des pratiques divines alors qu'il servait le diable. On peut penser aussi à toutes les légendes proches du mythe d'Orphée, comme celle du "Charmeur de rats", puisque c'est au moyen d'une flûte magique, la Syrinx, que Cyprien exerce son étrange pouvoir sur les animaux. Cependant, à cela s'ajoute la dimension chrétienne de l'aventure: c'est le dimanche des Rameaux que l'âne Culotte emmène chez son maître M. Cyprien le jeune Constantin juché sur son dos à l'instar du Christ entrant dans Jérusalem. Mais l'enfant, loin d'annoncer un nouveau règne du paradis, est celui-là même qui, en cédant aux menaces d'Anne-Madeleine, et à un obscur besoin de violer la loi, introduit le désordre dans le domaine préservé de M. Cyprien.
Du reste, ce paradis n'était-il pas déjà vicié, condamné d'avance? De façon miraculeuse, l'enchanteur d'animaux avait réussi à attirer et à apprivoiser le serpent lui-même, qui vivait dans son verger. Un seul animal, comme nous l'apprend le journal de M. Cyprien, résistait à son pouvoir magique, et continuait à tuer: le renard. Dès lors le pari de M. Cyprien se heurtait à l'éternelle interrogation sur le mal: devait-il tuer le renard pour protéger les autres animaux? Constantin, en trahissant M. Cyprien, déchaîne les forces maléfiques, et celui-ci ne peut résister au désir d'égorger le renard. Il n'était qu'un pauvre magicien, et non un envoyé du Ciel.
Ainsi le roman apparaît-il clairement comme un roman d'initiation, fondé sur une quête du bonheur. Comme l'affirme Constantin, commentant le journal de M. Cyprien: "Nous voulons tous le paradis sur terre, et l'homme se croit né pour le bonheur." Sans doute est-ce une faute que de vouloir créer un Éden humain que nul Dieu ne garde. Mais si les promesses du Ciel sont les plus belles, elles sont annoncées par les dons de la Terre, célébrés en termes lyriques tout au long du roman comme les signes mêmes de la présence divine.
« Je les connais tous, les sites humains d'où sont partis les hommes, l'abri du charbonnier, la cuve à vin creusée dans la paroi du roc, le poste à feu oublié du chasseur et, quelque part en un lieu hanté de moi seul, perdu dans la broussaille, cette aire immense avec des talus et quatre grands fossés mangés par l'herbe. Un vieux peuple, rude et sensé, au cours d'une migration énergique, avait sans doute établi là, jadis, son camp à l'ombre de la Terre. »
Le chantre du Luberon désira reposer dans le cimetière de Lourmarin. Il fit part de ses dernières volontés dans un texte publié par ses amis d'Alpes de Lumières :
« Enfin on chantera tes bêtes : renards, martres, fouines, blaireaux, nocturnes et le sanglier qui est peut-être ton dernier dieu (Mais silence, tu me comprends...)
Pour moi, si quelque jour, je dois tomber loin de ta puissance, je veux qu'on ramène mes cendres à Lourmarin, au nord du fleuve, là où vécut mon père et où, trop peu de temps, j'ai connu les conseils de l'Amitié.
Et que l'on creuse alors sur ta paroi, en plein calcaire, là-haut loin des maisons habitées par les hommes, entre le chêne noir et le laurier funèbre, un trou, ô Luberon, au fond de ton quartier le plus sauvage. J'y dormirai.
Et puisse-t-on graver, si toutefois alors quelqu'un prend souci de mon ombre, sur le roc de ma tombe, malgré ma mort, ce sanglier »