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Ecriture,

 

Elle fut mon second baptême,

bleu et aéré,

dans un espace démesuré et clair,

à mille lieux de ma mère.

Bien avant elle,

assourdie j'entendais l'existence,

dans un espace vertigineux et blême,

à deux pas de ma mère.

Avant elle,

j'étais une étrangère à l'égard de moi-même,

la vie je la portais, sans stylo et sans livre,

l'esprit et le corps,

terriblement fâchés l'un envers l'autre,

reclus !

Depuis elle,

la vie m'a inondée,

de vous, de l'essentiel,

pourtant je suis en équilibre,

dans cet entre-deux chaud, jamais hostile,

où mes battements et mes peines,

jusqu'à mes plus secrètes peurs,

ont  trouvé leur espace pour exister vraiment.

Vois comme tu es superbe,

douée pour m'insuffler la vie,

m'apprendre la patience,

pour rencontrer l'instant,

le recevoir, à fond le respirer ;

alors qu'hier, bien trop pressée,

 je négligeais encore !

Depuis elle,

l'alphabet multicolore,

à l'instar des nombres,

je le sais infini,

car j'écris !

 

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Le prince

"Le prince" est une oeuvre de Machiavel (Niccolo Machiavelli, 1469-1527), assurément la plus lue et la plus discutée, la plus exaltée et la plus dénigrée, de la littérature politique de tous les temps. Elle fut écrite de juillet à décembre 1513, dans la villa (appelée l' "Albergaccio") de Sant'Andrea in Percussina, près de San Xasciano, où Machiavel s'était retiré depuis le mois d'avril, après être tombé en complète disgrâce auprès des Médicis, le nouveaux maîtres de Florence. Il faut en chercher le motif occasionnel dans les rumeurs qui se répandirent au début de l'été sur les projets du pape Léon X en vue de créer un Etat au profit de ses neveux Julien et Laurent de Medicis; ces rumeurs incitèrent Machiavel, inquiet du destin de Florence et de l' Italie, et désireux d'exprimer sa pensée mûrie pendant tant d'années d'expérience politique, à interrompre son commentaire sur Tite-Live (voir "Discours sur la première décade de Tite-Live") pour écrire ce nouveau et le plus bref traité. Le 10 décembre, dans une lettre restée célèbre à son ami Francesco Vettori, il l'annonça en ces termes: "J'ai composé un opuscule, "De Principatibus", où je creuse de mon mieux les problèmes: ... ce que c'est que la souveraineté, combien d'espèces il y en a, comment on l'acquiert, comment on la garde, comment on la perd". Plus tard, en 1516, il plaça en tête de son traité une dédicace à Laurent de Médicis, mais le texte devait lui rester inconnu. "Le Prince" est une oeuvre qui est sortie d'un seul jet de l'esprit de son auteur, et les tentatives de quelques savants pour distinguer des phases successives dans son élaboration se sont révélées vaines. Le titre n'en fut pas définitivement arrêté par Machiavel: il l'appelle tantôt "Des principautés", tantôt "Du prince"; ses amis et les copistes des premiers manuscrits dirent aussi "Des principautés". Mais la tradition a préféré adopter "Le prince", soulignant par là la place importante que tient dans l'ouvrage le portrait même du chef de l'Etat. C'est une oeuvre posthume: la première édition parut en 1552 à Rome, chez Antonio Blado, et à Florence chez Bernardo Giunta.

Ce traité, fort bref, comprend 26 chapitres; l'enchaînement logique en est d'une extrême rigueur et le plan se développe sans interruption, ni digressions. Dans les neuf premiers chapitres, qui répondent à la question: "Combien d'espèces il y a de principautés et par quels moyens elles s'acquièrent", sont étudiés les divers processus de constitution des principautés: le chapitre X traite de la capacité générale d'un Etat pour lutter contre un ennemi extérieur, tandis que le chapitre XI est consacré à un type particulier de principauté, celui des Etats de l'Eglise, pour lesquels sont sans valeur les lois qui régissent la vie des autres Etats. Plus particulièrement encore, dans les chapitres III à V, est étudié la conquête de nouvelles provinces par un Etat déjà formé et organisé, alors que les chapitres VI à IX étudient la formation "ex novo" d'une principauté quelconque (comme celles de François Sforza et de César Borgia). Avec les chapitres XII à XIV, on entre dans les grandes questions générales qui concernent la vie intérieure de l' Etat et qui se résument bientôt en une seule: l'organisation des forces armées. C'est ici que Machiavel, après avoir développé sa critique âpre et mordante des milices mercenaires et des troupes auxiliaires, après avoir durement et même injustement condamné les princes italiens de son temps, s'efforce de montrer la nécessité pour un Etat d'avoir des "armées nationales" ("armi proprie"), qui soient "composées de sujets, de citoyens ou de serviteurs même du prince": "Les mercenaires ne valent rien et sont fort dangereux; et si un homme veut fonder l'assurance de son Etat sur les forces mercenaires, il ne sera jamais soutenu ferme, car elles sont désunies, ambitieuses, sans discipline, déloyales...; en temps de paix, tu seras pillé d'eux; en temps de guerre, -des ennemis. La cause de cela est qu'ils n'ont d'autre amour... qu'un peu de gages, ce qui n'est pas suffisant à faire qu'ils veuillent mourir pour toi" (Ch. XII). Cela fait, c'est-à-dire une fois établie l'organisation militaire, Machiavel ne voit plus d'autres réformes générales à introduire dans l'Etat; les problèmes économiques, financiers, etc., restent très loin de sa pensée. Aussi passe-t-il à l'examen des questions relatives à la personne même du Prince, aux moyens dont il doit user pour se maintenir au pouvoir, aux qualités qu'il doit posséder. Les chapitres XV à XXIII sont donc consacrés exclusivement au portrait du Prince. L'analyse de Machiavel est, dans cette partie, du plus grand réalisme. Lui-même a pleinement conscience de dire des choses que personne n'a jamais osé dire quand, au chapitre XV, attaquant les philosophes et écrivains qui "se sont imaginé des Républiques et des Principautés qui ne furent jamais vues, ni connues pour vraies"; il affirme vouloir "écrire choses profitables à ceux qui l'entendront", et pour cela, "suivre la vérité effective de la chose" plutôt que "l'imaginer". Et voici maintenant les préceptes contenus dans le chapitre XVI: mieux vaut être tenu pour parcimonieux et ne pas gaspiller les richesses de l'Etat que de passer pour généreux et d'accabler ses sujets d'impôts; ceux du chapitre XVII: mieux vaut être cruel quand il le faut qu'inutilement miséricordieux; mieux vaut être craint et respecté qu'aimé et insuffisamment respecté. Voici surtout les fameux préceptes du chapitre XVIII, le plus discuté et le plus critiqué de l'ouvrage: il est nécessaire pour le Prince de savoir être renard et lion en même temps; il est nécessaire pour lui de ne pas observer la parole donnée (le serment), lorsque cette observance tourne à son détriment et qu'ont disparu les motifs qui l'ont fait donner; il est nécessaire de paraître miséricordieux, fidèle, humain, sincère, pieux, mais de savoir aussi ne pas l'être; il est nécessaire, en somme, de "ne pas s'éloigner du bien s'il le peut, mais de savoir entrer dans le mal s'il y a nécessité". Tout cela parce que, dans les actions des hommes et surtout des princes, "on considère la fin". Que le Prince fasse donc en sorte de vaincre et de maintenir l' Etat; les moyens seront toujours jugés honorables et loués par tous. Enfin, dans les chapitres XXIV à XXVI, on en arrive aux rapports directs de l'ouvrage avec la situation italienne du moment. Comme il l'a été dit, c'est la possibilité de nouvelles combinaisons politiques en Italie qui poussa Machiavel à écrire "Le prince"; on trouve donc à la fin du traité, resté jusque-là de caractère théorique et général, l'examen des causes qui ont fait perdre leurs Etats aux princes d' Italie (ch. XXIV); puis une analyse du destin, pour savoir s'il est possible ou non à l'énergie et à l'habileté de l'homme d'y résister (ch. XXV); enfin la conclusion, selon laquelle il est présentement possible à un prince prudent et "vertueux" -c'est-à-dire capable- de créer un Etat nouveau et fort, qui puisse garantir l'Italie contre les invasions des "barbares", en balayant la "domination barbare" des Français et des Espagnols (ch. XXVI). Et le traité s'achève sur les vers de Pétrarque tirés du poème "O mon Italie!" "Vertu contre furie - Armes prendra, et tôt défera, -car ès coeurs d' Italie - Vaillance antique est encore et sera". C'est donc sur un cri de passion, sur une imploration douloureuse et angoissée à un "rédempteur" de l' Italie, que se clôt le traité qui, durant 25 chapitres, avait eu au contraire la froide clarté d'un raisonnement implacablement sûr. Machiavel ne pense pas encore à l'unité politique de l' Italie; le nouveau prince qu'il appelle devrait prendre la tête du combat contre l' étranger, mais en réalité il ne dominerait directement qu'un Etat fort, probablement celui de l'Italie centrale.

Malgré tout, l'invocation de Machiavel demeure à travers les siècles comme l'une des plus puissantes expressions de l' esprit national italien. Par ailleurs, "Le prince" représente la plus nette et la plus limpide expression d'une doctrine politique qu'on ait jamais formulée. Ici, tout est "politique"; toute autre considération, morale ou religieuse, est mise de côté; le "ce qui doit être", autrement dit l'aspiration à une vie plus haute cède la place à "ce qui est", c'est-à-dire à la considération de la réalité, sans souci de la transformer. Le "politique" est ici ressenti presque instinctivement, d'une manière si immédiate et si forte qu'il ne permet d'entendre aucune autre voix, sinon celle de l'intérêt de l' Etat. L' Etat à son tour se confond avec la personne du Prince, il prend les formes de l'homme, il est ramené à la mesure d'un être humain; l'intérêt de l' Etat se confond donc avec l'intérêt de son chef. Cette façon de réduire le problème à celui d'un individu rend encore plus serrée et plus convaincante l'unité de pensée du traité; les normes théoriques trouvent une illustration immédiate et complète dans quelques figures de grands princes: Ferdinand le catholique, roi d' Aragon, François Sforza, César Borgia. De là vient également la force extraordinaire du style, dépouillé et concis, la plasticité des expressions. Car au point de vue littéraire, "Le prince" est un chef-d'oeuvre, l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la prose italienne. L'oeuvre, bientôt traduite dans la plupart des langues et répandue dans toute l'Europe, connut une énorme popularité, comme peut-être n'en eut jamais aucune autre; c'est surtout pendant la seconde moitié du XVIe et la première moitié du XVIIe siècles qu'elle fut l'objet d'accusations et d'invectives extrêmement violentes. En elle parut se résumer ce qu'on a appelé le "machiavélisme"; aussi souleva-t-elle l'indignation de tous les adversaires de la doctrine en question.

 

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Un rêve

 

J’ai fait ce soir un rêve curieux. Nous étions, Julie et moi, dans une voiture, il me semble que c’était une décapotable, et nous roulions sur une route de campagne  pour nous rendre chez un de mes amis.

Julie, parce ce qu’elle était seule elle aussi, était la compagne de certaines de mes nuits. J’ignore qui de nous deux avec les gestes de l’amour comblait la solitude de l’autre mais nous y mettions tant d’ardeur que c’était une façon de nous efforcer tous les deux de survivre.

C’était la première fois que je me rendais chez Marc avec Julie mais elle semblait connaître la route aussi bien que moi.

C’était une côte sans fin. Le moteur peinait tellement que j’avais peur que la voiture ne s’arrête. Elle nous aurait entraîné en arrière, et j’aurais été incapable, je le savais, de la retenir. J’appuyais sur la pédale avec une obstination de maniaque.

La villa de Marc est apparue au sommet de la côte sous le soleil immobile de midi. C’était un bâtiment de béton gris et de verre bleu, une large terrasse l’entourait, il n’y avait ni arbre ni verdure, on aurait dit un dé tombé au milieu du désert.

Nous avons abandonné la voiture, et Julie s’est avancée vers les marches de l’entrée, la tête haute, la poitrine tendue, les yeux brillants, comme devait s’avancer l’avant-garde d’une armée conquérante lors d’une guerre sans merci.

Dans le living il n’y avait personne. C’était une pièce immense, presque vide, seule une table de marbre en occupait le centre comme l’autel d’une église des temps futurs. Les murs étaient blancs. A l’un d’eux, sur presque toute la largeur, pendait un tableau qui représentait une femme nue peinte en ocre, une jambe repliée, le visage inexpressif et les yeux sans iris. Le fond du tableau était vert sous l’effet phosphorescent d’un néon de dancing.

J’ai regardé Julie. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point elle était blonde. Son regard était dur, elle avait le visage creusé comme à l’instant le plus aigu de nos étreintes.

Nous sommes entrés dans une autre pièce. Un homme était en train de peindre tandis qu’un autre, derrière lui, le regardait avec une fixité de mannequin. J’ai demandé si Marc était là. L’homme qui peignait a répondu sans détourner la tête :

- Marc a du s’absenter, il va revenir d’un instant à l’autre.

Julie s’est approchée de la toile. Les deux hommes se sont tournés vers Julie. Comme à chaque fois que des inconnus l’observaient, elle a souri avec ce lent mouvement de la tête qu’ont les oiseaux de proie avant de prendre leur envol.

C’est alors qu’un troisième homme est entré dans la pièce. Un homme jeune, la poitrine nue sous une veste de toile, je me souviens qu’il n’était pas rasé.

Il s’est dirigé vers Julie, il l’a regardée intensément, et puis seulement il a souri à son tour.

- Vous êtes une amie de Marc ?

Julie s’est tournée vers moi. Ses yeux avaient cette palpitation inquiète que je lui avais déjà vue, et qui me donnait à chaque fois l’impression que quelque chose d’important la bouleversait. Je me suis  avancé et j’ai dit que j’étais un ami de Marc.

- Marc n’est pas là. Il ne va pas tarder.

Mais c’est Julie qu’il continuait de regarder.

- Vous avez bien fait de venir.

Julie s’est redressée inconsciemment.

- Venez, nous allons attendre Marc sur la terrasse. Il fait si beau aujourd’hui.  

Il lui a pris la main et Ils sont sortis.

- Reste, je reste bien moi.

C’était celui qui regardait peindre son ami qui me parlait. J’ai secoué  la tête.

- Non, je vais y aller.

En même temps je pensais: qu’ai-je besoin de lui répondre mais je ne bougeais pas.

- Où est Marc ?

Le peintre avait cessé de peindre et nous nous sommes regardés tous les trois.

C’est alors que Marc est apparu. Il portait une chaise et il a traversé la pièce sans nous voir.

J’ai crié :

- Marc!

Il n’entendait pas. J’ai regardé les deux autres.

- Viens.

Le peintre a posé la main sur mon épaule, et il m’a entraîné vers le living.

Dans le living, la table était toujours nue mais il y avait désormais des chaises tout autour. La main du peintre a pesé plus fort sur mon épaule.

Jacques, je savais qu’il s’appelait Jacques mais je ne sais pas comment je le savais, Jacques est entré avec Julie. Il lui a demandé de s’asseoir. Moi, c’est le peintre qui m’a demandé de m’asseoir. Marc était là, lui aussi. Nous sommes restés silencieux un moment.

- Je vois que vous vous connaissez tous.

J’ai répondu :

Non. Nous allons partir, nous reviendrons une autre fois.

 Jacques s’est  mis à rire.

- Et vous nous priveriez de la présence de Julie ?

J’avais le sentiment étrange que nous étions les personnages d’une pièce de théâtre dont j’étais le seul à ne pas connaître le texte.

- Tu ne trouves pas qu’elle a de beaux yeux ?

Il a pris les mains de Julie dans les siennes.

Sans qu’aucun mot ne sorte de ma bouche j’ai voulu dire que ce n’était pas vrai, que Julie n’avait pas de beaux yeux, qu’elle avait des yeux transparents qui ne reflétaient que la seule couleur de ses passions : calcul, abandon et haine tout à la fois. Je le savais, moi. Pourquoi disait-il qu’elle avait de beaux yeux ?

Julie scintillait comme si le soleil l’avait embrasée. Elle a détaché de son cou son foulard, elle a posé une main sur sa poitrine, et elle a demandé au peintre pourquoi il avait peint une femme belle mais sans yeux ?

- Ce n’est pas une femme, c’est un tableau. Vous, vous êtes une femme.

Puis il a demandé si nous étions mariés, Julie et moi. Julie a saisi ma main.

- Nous sommes des amis, de grands amis.

Le peintre a éclaté de rire. Julie avait les joues en sang. Jacques s’est penché vers elle, il lui a dit quelque chose à l’oreille, elle a serré ma main.

J’avais chaud et je me sentais ridicule soudain dans mon complet. J’ai tiré sur mon nœud de cravate.

- Ote donc ta cravate.

Julie avait l’air excédée.

Ils avaient tous les yeux fixés sur moi.

Lorsque Julie faisait l’amour, c’était comme si elle naissait à chaque fois. Ses forces étaient bandées pour un destin dont elle pressentait que l’amour était la seule raison d’être. Son corps était la face lumineuse de son sexe, et son sexe était la source de sa vie. Et moi, je savais maintenant combien il m’était nécessaire.

- Il a bien de la chance. Est-ce qu’il en est conscient ?

Je me suis levé et j’ai dit à Marc que nous allions partir.

- Pourquoi, pourquoi? Ce n’est qu’un jeu. Un simple jeu. Demande-lui si elle veut, elle ?

Je n’ai pas répondu. Julie ne me regardait pas. Autant que ses mains, sa bouche, ses seins, le regard des hommes était la preuve de son existence, et avec ou sans moi, elle voulait continuer d’exister.

C’est alors que je me suis réveillé.

 

 

 

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Énergie estivale

 

Me donne un regain d'énergie

Un ciel d'été qui m'émerveille.

D'un même bleu, il ensoleille

Et prend des teintes qui varient.

 

Un ciel d'été qui m'émerveille

J'y vois en action la magie;

Il prend des teintes qui varient.

Se créent des formes sans pareilles

J'y vois en action la magie.

Dans le silence, je surveille.

Se créent des formes sans pareilles.

Je suis médusée et ravie.

Dans le silence, je surveille

Sublime beauté, poésie.

Je suis médusée et ravie.

Mets mon allégresse en bouteilles.

13 juillet 2014

 

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Le retour de Golem

 

 

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Depuis j’ai appris que ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre né de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 10 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux  de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se lève à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Mon ami Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit,  après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie réelle.

La phrase et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a  racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie.

Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vaincre ou périr, c’est la loi de la vie.

Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles.

Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. En revanche, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que je serais prêt à n’importe quoi la remettre dans mon lit. On appelle ça la passion.

Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot.

Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure.  Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

 Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne soit jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue.

On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage.

Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur. Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Il s’agissait du Golem, je le savais. Le temps d’aujourd’hui et celui du passé pouvaient être le même.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens. Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir.

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts, quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque ! Je me sentais investi.

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais dû la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps. A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

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12273027097?profile=original"Labyrinthe du monde et paradis du coeur" est une oeuvre allégorique, philosophique et satirique du grand humaniste tchèque Jan Amos Komensky, plus connu sous le nom de Comenius (1592-1670). Publiée en 1631, elle est, d'après l'historien français Ernest Denis, celle qui dégage le mieux de la race tchèque, tel qu'il fut  formé par son histoire, peuple déchiré entre l' Occident dont il tient sa civilisation et l' Orient, auquel il appartient de par ses origines et les nécessités de son autonomie. Dans ce poème, l'auteur entreprend un voyage autour du monde, en compagnie de deux gaillards qu'il baptise "Je-sais-tout" et "Illusion". Il est muni par surcroît de lunettes propres à travestir la vérité, à moins qu'on ne les mette de travers. Le monde n'est qu'une immense cité, traversée par six voies principales qui toutes convergent vers une place de laquelle s'élève le château de la Sagesse. Dans la partie ouest de cette cité, se trouve un autre château, où règne la Fortune, entourée de ses favoris. le poète parcourt les rues, observe les habitants, dans leurs travaux et leurs vicissitudes, pénètre dans les deux châteaux en question. Ayant appris que toutes les formes de gouvernement dans le monde se fondent sur la bassesse, le mensonge et l' illusion, il envoie au diable ses lunettes, abandonne ses deux compagnons et va visiter les mourants: pour se retrouver devant la mort d'abord et devant Dieu ensuite. Aveuglé par la lumière divine, il tombe à genoux; mais le Christ le relève et le réconforte. Le poème se termine sur une prière, pleine d'inspiration: là, la satire fait place à un chant plein d'élévation et de mansuétude -lequel, d'ailleurs, s'était fait jour dès le début du poème, lorsque l'auteur avait été amené à décrire les misères humaines. La langue de Comenius, malgré les influences latines et allemandes, courantes à cette époque de son pays, peut être considérée comme un modèle de la langue parlée tchèque, du moins au XVIIe siècle.

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POSITIVER!

12273026691?profile=originalNina, Adyne (et les autres!), si vous aimez les messages positifs, vous aimerez sûrement ce petit livre, "Agir et accueillir" (épuisé chez l'éd mais j'ai des exemplaires...), très amicalement.

Le cancer, mot effrayant, souvent tabou. Il y a un avant et un après. Tout bascule, mais pas nécessairement ni complètement dans le mauvais sens. À l’instar d’autres maladies ou accidents graves de la vie, c’est une épreuve difficile, physiquement et moralement. Mais parvenir à accepter le coup du sort, tenter de l’apprivoiser, c’est se donner les moyens de l’affronter, s’affermir, grandir un peu ; c’est agir et non pas seulement subir. C’est aussi s’élever vers les autres, aimer, apprendre à recevoir, à tout accueillir. Ce témoignage est un appel à la vie, à goûter l’instant présent, un message de joies toujours possibles, un petit pas vers une certaine sérénité. Le texte, poétique et optimiste, ouvre un chemin de réflexion personnel et spirituel face à la maladie. L’auteure, âgée de cinquante-cinq ans, juriste, est passionnée de littérature, de philosophie et de musique. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, l’écriture a toujours fait partie de sa vie, des articles juridiques, des nouvelles, des poèmes. Exprimer par écrit son profond ressenti a d’abord été une expérience personnelle pour l’aider à surmonter l’onde de choc qui l’a ébranlée. Cela lui a aussi donné l’occasion de concrétiser son rêve de publier un récit, de laisser ainsi un « petit quelque chose derrière elle ». Quoi qu’il advienne.

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Concours annuel au Cercle Artistique de Spa

Salle Quirin, jardins du casino SPA   Belgique

du 13/7/2014 au 1/8/2014

salle non accessible du 16/7 au 22/7 pendant les Francofolies

PREMIER PRIX DECERNE            A             ADYNE GOHY

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Chaque année, au mois de juillet a lieu un concours réservé aux membres du cercle; un thème spécial afin de départager les oeuvres. Nous sommes nombreux à présenter chacun deux oeuvres.

le thème: Atmosphère d'un endroit fascinant

En ce jour de vernissage les résultats sont proclamés et notre chère aquarelliste

Adyne Gohy a remporté haut la main le premier prix

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Je suis très heureuse de vous faire part de cet évènement car trop modeste notre Adyne pour se mettre en avant, j'ai souhaité faire ce billet pour l'honorer comme elle le mérite.

Jacqueline Nanson

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Une douce réminiscence

 


 

Zéphyr, doux vent de ma jeunesse!

Quand le sirocco détesté,

A la fin d’un jour désertait,

Il répandait de la tendresse.

Descendu de l'espace bleu,

Il parcourait l'immense plage

Où je glanais des coquillages,

Contemplant l'astre fabuleux.

Je frissonnais sous ses caresses,

Amusée en les accueillant.

Je ne peux oublier ce temps,

Qui fut celui de l’allégresse.

Souvent taquin, jamais méchant,

Il parfumait, à sa manière,

De façon bien particulière,

Mes cheveux en les embrouillant.

 

12 juillet 2014

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Si tu n’as rien à dire

 

Si tu n’as rien à dire

Tu pourras bien écrire

Des vers et des couplets

Savants et versifiés

Chargés de rimes riches

Et de tes mots fétiches

La versification

D’ancienne tradition

Ne pourras rien pour toi

Poète en désarroi

 

Si tu n’as rien à dire

Tout cela sera vain

De l’encre pour le pire

Comme un pain sans levain.

 

Car l’âme du poète

Va puiser dans ses mots

Le sentiment que prête

La puissance du beau.

 

Il se rit de la forme

Au-delà de la norme

Va chercher dans son âme

Et dans ses illusions

Le fil fin d’une lame

Qui coupe la raison

Qui affranchit du temps

Libre comme le vent.

 

Dire est sa seule quête

Au poète

Se dire au plus profond

 Vrai Poète 

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Une conquête amoureuse




Cela remonte si loin. J’ai été terriblement malheureux. Ne riez pas, je souhaitais mourir. Aujourd’hui, je souris, c’est vrai. Pas du jeune homme niais que j’ai été mais de l’impossibilité dans laquelle je me trouve d’être aussi malheureux à nouveau.
J’avais vingt ans. Je me rendais à Paris pour y passer le week-end chez ma tante. Elle avait mis à ma disposition  une chambre de bonne gentiment meublée dans le quartier de l’Odéon.
J’avais l’intention de me promener à travers le quartier latin, de visiter un musée, d’aller au théâtre le soir. Le samedi, j’avais rendez-vous avec Julien Lenoir, un ami que je m’étais fait, à peine plus âgé que moi, un séducteur-né.
Nous devions passer la soirée dans ce qu’on qualifierait aujourd’hui de discothèque, le « bal à Jo », rue de Lappe. On y dansait le tango et la java entrainé par des joueurs d’accordéon qui enchainaient les danses sans répit. Les filles en devenaient soûles et les garçons, légers comme des bulles, s’élevaient vers le ciel de toutes les espérances.
Julie se serrait contre moi et lorsque la danse cessait, elle me prenait la main jusqu’à ce qu’une autre recommence.
- Tu as une touche.
Julien avait dansé avec d’autres filles. Quelques fois, il invitait Julie.
- Elle est drôlement bien foutue. J’imagine que tu vas la mettre dans ton lit, veinard.
Finalement nous sommes restés à trois, assis à une table, devant un verre de vin pour Julien et Julie, un whisky pour moi. Julie dansait avec chacun de nous, l’un après l’autre, elle était infatigable.
Elle avait la joue contre la mienne en dansant le tango. De la langue, elle me mouillait l’oreille en parlant.
- Je veux rester avec toi.
- Et Julien ?
- Julien, ça m’est égal.
J’étais devenu profondément amoureux. Nous avons bu quelques verres encore, ma timidité avait disparu, et nous sommes sortis. Julie, entre Julien et moi, nous tenait par le bras. En marchant, de la cuisse, nous nous frottions contre les siennes.
Lorsque nous sommes arrivés dans ma chambre, Julie s’est tournée vers moi.
- Nous restons tous les trois ?
Julien avait commencé de se déshabiller. J’étais paralysé. Julie me fixait sans sourire. Elle avait ôté son pull, et dégrafé son soutien-gorge. J’ai ôté mon pull moi aussi. Julien s’était glissé sous les draps à l’extrême bord du lit.
- Vous venez, il ne fait pas très chaud.
- Tu viens ?
Julie était en culotte, les seins dressés qu’elle caressait d’une main en me tendant l’autre.
- Je ne sais pas ce que j’ai, c’est le whisky, j’ai besoin de prendre l’air.
- Reviens vite. Nous allons réchauffer le lit en attendant.
Je suis sorti. Rue Croix des petits champs, au rez-de-chaussée de l’immeuble, il y avait un café où tous les matins lorsque je logeais chez ma tante je prenais un œuf dur, puis un café et un croissant. Ou un verre de vin blanc comme le faisaient d’autres consommateurs. Le café était fermé.
J’étais prêt à remonter dans la chambre mais j’avais besoin de boire ne serait-ce qu’un verre d’eau. Il suffisait de marcher un peu, l’air était tiède et le ciel particulièrement clair, je trouverais facilement un café encore ouvert.
Paris, la nuit, était à cette époque une ville merveilleuse. A croire qu’il y avait deux villes qui se substituaient l’une à l’autre en fonction du jour ou de la nuit. Peut être que c’est le cas de toutes les villes ? Ou à cause de ceux qui marchent la nuit et qui sont différents de ceux qui marchent le jour.
J’étais exalté. J’avais envie de rire. Julie était nue devant mes yeux. Les seins dressés, elle me tendait la main. J’ai marché jusqu’au pont de l’Alma. Puis plus loin encore en longeant la Seine. Peu de gens se promènent la nuit. Ceux qui le font se croisent parfois mais ne se voient pas. C’était comme si la ville ne se déroulait que pour vous au fur et à mesure de vos pas. A un certain moment, il était trois heures du matin, je me suis senti fatigué. Je voulais rentrer mais il n’y avait pas de rame de métro avant six heures. Je me suis assis sur un banc pour l’attendre. Sur le quai d’en face un homme était assis qui somnolait. Il aurait pu être mon reflet.
Il était près de sept heures lorsque je suis arrivé rue Croix des petits champs. Le café du coin était déjà ouvert. Je suis monté directement à ma chambre. La porte était fermée mais je n’ai eu qu’à la pousser.
Il n’y avait personne. Le lit avait été refait. Je suppose que Julien et Julie étaient rentrés chez eux après m’avoir vainement attendu.
Je me suis assis sur le bord du lit. Soudain, la tête entre les mains, je me suis penché en avant et je me suis mis à pleurer.

 

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Manet qui dansa avec les fleurs

Dès 1862 et jusqu’à sa mort en 1883, Edouard Manet ne cessa de peindre des fleurs. Elles accompagnent toute une partie de l’œuvre du peintre, tour à tour symbole de féminité, témoin d’un sentiment amoureux, figure de l’amour vénal et emblème de la mort. 


La pivoine, symbole de l’agonie 

La même fleur est très présente dans les peintures de Manet. L’écrivain André Fraigneau commente : « Le vase aux pivoines de Manet (1862) est le récit de la mort d’une fleur, ou pour employer un terme médical, plus précis dans sa cruauté : sa courbe d’agonie ». Françoise Cachin poursuit : « ... du bouton de droite aux fleurs épanouies du haut du bouquet et de la gauche pour terminer la volute au centre où les pivoines sont sur le point de s’effeuiller, la dernière ayant déjà perdu une partie de ses pétales ».

Le vase aux pivoines, Edouard Manet,1865

Le vase aux pivoines, Edouard Manet,1865

Dans Branches de pivoines blanches et sécateur, il développe le thème du cérémonial funéraire, avec ses simples fleurs et leurs pétales étalés, prêts à être jetés, nouvelle version ici du thème des Vanités.« Toute une part d’ombre se dessine dans la peinture de Manet. Le sens du drame, les images de mort apparaissent bien avant que la maladie ne vienne l’assombrir » explique Françoise Cachin.

Branche de pivoine blanche et sécateur d'Édouard Manet

Branche de pivoine blanche et sécateur d’Édouard Manet
Musée d’Orsay

Les fleurs : symbole de son amour des femmes

Mais réduire les fleurs de Manet à l’image de la mort se révélerait inexact. Les fleurs symbolisent également son amour des femmes ; un amour peint dans Le déjeuner sur l’herbe et l’Olympia qui fera scandale en 1863. S’il s’agit du même modèle (Victorine Meurent), les messages de ces deux peintures sont pourtant différents. Le déjeuner sur l’herbe symbolise la femme libre, sans fleur ni bijou qui « après un rapide et gai déshabillage irradie » écrit Michel Déon de l’Académie française. « On s’attarde plus sur son visage que sur sa violente nudité tant ce visage si parlant s’amuse de notre surprise » poursuit l’académicien.

Le Déjeuner sur l'herbe, Edouard Manet, 1863

Le Déjeuner sur l’herbe, Edouard Manet, 1863

En 1865 L’Olympia est exposée au salon . 
Le scandale est ainsi résumé par Emile Zola : « Ce n’est plus la Vénus d’Urbin de Titien que Manet avait copié à Florence sept ans plus tôt, mais Victorine Meurent, son modèle du Déjeuner sur l’herbe, cette fille de nos jours, une fille de 16 ans que vous rencontrez sur les trottoirs et que l’artiste a jeté sur la toile dans sa nudité jeune et déjà fanée […] ». Quant à Paul Valéry, il parle de « vestale bestiale vouée au nu absolu ».

Les fleurs participent à ce scandale. La fleur d’hibiscus dans les cheveux ainsi que le bouquet fraîchement apporté en font « une fille vénale à n’en pas douter » écrit Michel Leiris.

Olymoia, Edouard Manet, 1863

Olympia, Edouard Manet, 1863

L’aspect vénal est également présent dans Le bal masqué à l’opéra, peint en 1873. Des hommes aux chapeaux haut-de-forme viennent apporter des fleurs aux danseuses dans l’espoir d’obtenir leurs faveurs.

Les fleurs sont aussi le symbole de sa passion pour Berthe Morisot. Dans Le bouquet de violette en 1872, il s’adresse à elle personnellement. Le tableau figure un bouquet de violettes posé sur son éventail et une lettre qu’elle devrait pouvoir lire. Il peint également Berthe Morisot au bouquet de violettes. Paul Valéry traduit cette fusion entre la peinture et le sentiment : « La peinture, c’est avant toute chose le noir, le noir absolu, le noir d’un chapeau de deuil […] Le désordre des mèches, les brides, des joues et du mur du fond »
Pour l’anecdote, cette passion pour Berthe Morisot restera platonique. Cette dernière décidera de se marier avec le frère d’Edouard Manet...

Le bouquet de violettes, Edouard Manet, 1873

Le bouquet de violettes, Edouard Manet, 1873

Un an avant sa mort en 1882, Edouard Manet peint Le bar aux Folies Bergère. Là encore les fleurs demeurent omniprésentes. Deux fleurs dans un verre, sur le marbre au premier plan entre les bouteilles et les fruits, juste devant le modèle. La serveuse a le regard absent, mélancolique. Un autre petit bouquet est accroché au corsage ; un intermédiaire entre le bouquet du bar et Suzon, le modèle. Malraux écrivit à ce sujet : « Ce que Manet apporte, non de supérieur, mais d’irréductiblement différent, c’est le vert du Balcon , la tache rose du peignoir d’Olympia, et la tache framboise du bar des Folies Bergère. C’était la tradition ramenée au plaisir de peindre ».

Un bar aux folies bergères, Edouard Manet, 1881-82

Un bar aux folies bergères, Edouard Manet, 1881-82

En 1882, son état de santé s’aggrave. Il n’a de cesse alors de peindre un jour sur deux des fleurs : fleurs coupées, fleurs en pot... 
Il peint ses derniers bouquets pour l’art de peindre. Il oppose les fleurs aux tiges, compare les couleurs des pétales à celle du mur ou d’un bord de table, oppose la transparence d’un verre et celle de l’eau…. DansFleurs dans un vase de cristal en 1882, l’enchevêtrement des tiges, leur mélange et la superposition des reflets redessinent un nouvel espace abyssal.

Fleurs dans un vase de cristal, Edouard Manet, 1882

Fleurs dans un vase de cristal, Edouard Manet, 1882
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Battements de coeur

 

Dans la chaleur,

mon coeur grisé

rythme l'ardeur.

Dans la tièdeur,

mon coeur lassé,

suit la langueur.

Dans la rigueur

mon coeur froissé

subit des heurts

Dans la douceur,

mon coeur bercé

s'endort ailleurs.

 

11 jullet 2014

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La tribu perdue

J’ai toujours été préoccupé par ce que certains apôtres de Jésus et leurs descendants ont prétendu. Mais longtemps après que les événements se sont produits.

Et davantage encore depuis qu’un grand nombre d’hommes  a dit que cette petite partie de Palestine a été la leur alors que des juifs, ces derniers siècles, n’y avaient trouvé qu’un désert. Ils sont nombreux à être morts pour que d’autres qu’ils ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam puissent s’y faire enterrer.

L’un des apôtres toutefois, mais il s’est fait jeter par sa hiérarchie déjà bien assise à l’époque, se demandait, après que la tombe de Jésus ait été découverte vide, si plutôt que d’être monté au Ciel pour y rejoindre son père, l’histoire était jolie mais peu crédible, si Jésus était mort en réalité, mort et bien mort, ou s’il n’avait pas été épargné à la suite de dieu sait quelles tractations, et poussé à quitter Israël qui portait un autre nom à l’époque, après avoir promis de ne jamais plus y revenir.

Déjà, des hommes n’aimaient pas d’autres hommes. Alors même qu’ils se disaient frères.

Bref, d’après lui, ils étaient partis. Ils étaient partis vers le Sud. Pourquoi vers le Sud ? Pourquoi pas vers le Sud ?

Ils étaient douze, eux aussi, comme les apôtres qui figurent sur la Cène. Si je peux me permettre cette réflexion : ils sont toujours nombreux lorsqu’il s’agit de se mettre à table. Moitié femmes, moitié hommes. Le Sanhédrin, s’il s’agissait de lui, avait bien fait les choses. Ou était-ce le représentant des romains ?  

Ponce-Pilate était un soldat de métier, il ne tuait qu’à contrecœur. Lorsqu’il avait besoin de davantage de morts, Il laissait les hommes s’entretuer. Il ne fallait pas les y forcer.

-Les hommes ont besoin de femmes, avait-il dit. Ou bien c’est le représentant du Sanhédrin qui l’avait dit, je ne m’en souviens plus.

Pourquoi me suis-je posé la question ? Je me suis toujours posé des questions qui paraissent absurdes à beaucoup. Six hommes. Six femmes. Et les autres apôtres ?

Lesquels des apôtres ont-ils suivi Jésus. Lesquels ont fait semblant de ne rien savoir ? Ils se sont enfermés pour méditer, ont-ils répondu à celui qui le leur a demandé.

- N’était-il pas celui que vous aviez choisi pour être votre roi ?

Ils avaient haussé les épaules. On peut choisir un Roi alors même qu’on est républicain au fond de l’âme.

Hommes et femmes. D’instinct, Jésus s’était rangé aux côtés de Myriam. Judas, quant à lui, avait saisi la main de Madeleine, elle avait baissé les yeux vers le sol. Cela signifiait, je suppose :

-Je te suivrai les yeux baissés.   

Six couples s’étaient formés. D’instinct. Déjà, le sexe quel que soit le nom qu’on lui donne, aujourd’hui on le baptise amour, prévalait sur tous les sentiments.   

Je ne serais pas sérieux si je prétendais connaître  le chemin qu’ils ont choisi. Je présume sans le garantir qu’ils ont choisi le soleil à son déclin pour se diriger vers ce qui pouvait apparaître comme un but lointain. Bien qu’on puisse se demander : cela veut dire quoi lointain ? On est toujours loin d’un but. A plus forte raison lorsqu’on l’ignore. Le continent sur lequel ils se trouvaient n’avait pas de limites à leurs yeux.

Ce que j’affirme en revanche, c’est qu’aujourd’hui on peut imaginer leur chemin et les péripéties de leur odyssée en voyant des hommes dans diverses contrées du monde qui s’expriment dans un idiome proche de l’araméen et, ces mêmes hommes, respecter certaines coutumes religieuses et culinaires proches de la religion et de l’histoire juive.

Des Chinois, des Jaunes !, qui prétendent  être juifs.

Des africains noirs, leur nom est Tutsi, qui se prétendent juifs ou descendants de juifs eux aussi. Des Indiens, des brahmanes, paraît-il.  Et combien d’autres peut-être…

Est-ce une plaisanterie ? On m’a laissé entendre que l’un des premiers papes de la chrétienté était juif.  A y bien réfléchir, à l’époque, une certaine confusion a pu exister jusqu’à ce que des règles se soient étables. Des règles juives.

Au Moyen-Orient, soit, direz-vous. Mais si loin de leur terre d’origine.

 Longtemps, longtemps après, le marchand Marco Polo atteignait la Chine par ce qu’on appelait la route de la Soie. En réalité, à l’instar des juifs, il a marché et marché sans être certain d’arriver.

Certes, son convoi était loin d’être rudimentaire. Etre un gros marchand, à son époque comme à la nôtre,  supposait une véritable richesse.

Mais ces douze juifs qui n’avaient qu’un bâton pour s’aider à marcher ?

Je n’avais jamais imaginé qu’il pût se trouver des juifs ailleurs que dans ces pays où on en rencontrait depuis des siècles à ce que disaient les juifs eux-mêmes. En Espagne par exemple où ils étaient si nombreux que les autorités avaient exigé qu’ils changent de religion et de nom. Je me suis laissé dire que Mendès était devenu le nom de ces Marranes.

Tout compte fait, c’était plus estimable que de les porter au bûcher, leurs livres et eux, comme le firent les pays à la religion mal affirmée, souvent en guerre avec un souverain au pouvoir instable parce qu’il était soutenu par des barons qui ne souhaitaient que prendre sa place. 

C’était en Juillet durant les vacances. Je m’étais rendu en Tunisie à destination d’un club de vacances mais je  m’y étais ennuyé. J’avais pris la décision de rentrer.

A Tunis, je m’étais promené dans la vieille ville. 

Soudain dans une rue étroite à proximité des souks, j’ai vu un homme assis devant la porte de son magasin, une boucherie, sur la vitrine de laquelle était peinte en bleu une croix de David.

-Vous êtes juif ?

Il parlait mal le français. Il avait opiné de la tête.

-Juif ? Yid ?

-Oui. Vous êtes un Yid ?

Il a haussé les épaules. Il a détourné les yeux. Il s’est penché sur le journal qu’il avait dans la main.

J’ai lu hier, étrange coïncidence, un texte rédigé par un historien qui relatait la dispersion du peuple juif depuis qu’il avait été chassé de chez lui, il y avait trois millénaires.

La tribu dont je parle n’était qu’une infime partie de ce peuple dispersé. Cette tribu, à cause de la fatigue sans doute, s’était scindée à de nombreuses reprises.

Plus drôle encore si je puis dire, mais je le dis avec un certain émoi, les prénoms que je porte, j’en porte trois, me posent question.

Le premier reprenait celui de mon grand-père décédé. C’est de tradition chez nous. En revanche, le second était choisi par mes parents : Lazare en l’occurrence. Mais l’un d’eux, mon dernier prénom, qui se transmettait depuis toujours sans que personne ne sache pourquoi, m’a troublé soudain. Mon dernier prénom est celui que portait ce juif qui avec Judas avait dirigé la tribu perdue, ce juif qui avait été crucifié : Jésus.

Est-ce que par hasard je serais son descendant ?

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Une fête de famille. JGobert

Les décennies de Jeanne se fêtent toujours en famille. Cinquante, soixante, septante sont des dates marquantes.  Un moment solennel dans la vie de cette famille et l’illustration d’une reconnaissance tacite de tous les membres du clan. Un grand jour où l’argenterie sort des tiroirs et les services en porcelaine sont dépoussiérés.  Les verres en cristal sur la nappe rose et blanche agrémentée de petits montages fleuris garnissent l’ensemble. Les petits papiers nominatifs arrivent avec la mission de positionner la famille autour de cette grande table. Un travail ardu pour la maitresse de maison.

Cet espace festif est divisé en deux, d’un côté, les jeunes avec les plus jeunes encore et de l’autre, les anciens, ceux qui font parties d’un passé commun et qui ont connu la famille disparue. Entre eux, une entente qui se révèle toujours amicale même si les petits tracas de la vie sont inévitables.

Les jeunes, bruyants, criards, s’amusent de bons mots et se taquinent. Le jeune cousin avec sa nouvelle fiancée est la tête de turc des autres. Ils se connaissent bien, et se voient à espace régulier pour un baptême, un enterrement, un anniversaire. Tous s’apprécient sous l’œil matriarcal de Jeanne.

Arrive le moment tant attendu de tous. Les cadeaux d’anniversaire de Jeanne. D’énormes bouquets de fleurs, un déversement de boites de toutes les tailles, un réassortiment complet de la cuisine avec tous les nouveaux ustensiles à la mode. Jeanne pourra travailler chaque jour pour nourrir sa tribu. Tous y ont pensé et acheté le cadeau le plus utile. A septante ans, des cadeaux solides et fiables qui pourront subir l’usure du temps.

A toute cette famille parfaite s’est joint le beau-frère et sa femme qui, bon gré mal gré, ont accepté l’invitation pour ne pas déplaire. Cette convocation, refilée rapidement à la dernière minute, laissant penser qu’un refus aurait été accepté facilement. Mais ce beau-frère assume et s’installe avec sa femme entre les deux parties de la table faisant limite. En face, des nouveaux voisins rendant service, sachant tout faire, importants pour cette tribu. Ils font maintenant partie de la fratrie. Ils ont amené un jeune chiot qu’ils triturent sur leurs genoux.

Dans cette famille parfaite se trouve la belle-sœur qui, par sa naissance, n’a pas la même nationalité qu’eux. On pourrait croire qu’à notre époque, plus personne ne fait attention à ce genre de critère. Mais, cela existe encore et on lui fait bien sentir.

Cette dame, coincée entre deux personnes qui lui tournent le dos, n’a pas accès à la conversation et reste de marbre.  Depuis toujours, ce beau-frère, très bien considéré, tire son épouse et ses enfants comme des parias dans cette famille.

 A espace régulier, il vit les désagréments d’avoir épousé une autre.  Cet homme refuse tacitement cet état d’esprit et inconsciemment lutte contre ce fait depuis son mariage. Toujours dans l’harcèlement de cette différence par sa famille, il reste marqué du seau de l’indignation.  Son épouse, indifférente et toujours blessée ressent cette discrimination contre ses enfants et elle-même. Digne devant leurs regards froids, elle refuse de chuter dans leur jeu qui,  pour son mari, serait une tragédie.

A notre époque où l’Europe a fait tomber les frontières intérieures, il est encore des gens vaniteux, prétentieux, imbus d’eux-mêmes pour se croire supérieurs aux autres et oser le faire sentir.  La belle-sœur, d‘un pays voisin européen, ne les juge que pour ce qu’ils sont. Son indifférence, son détachement montre qu’elle a compris depuis longtemps le niveau misérable de cette famille. Se battre contre la stupidité et l’antipathie n’apporte rien de positif  et ne risquerai que de la briser dans un combat inutile et sans intérêt. Elle en reste néanmoins amer.

La bêtise humaine n’a jamais eu de frontière.

 

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Vole oiseau !

L'oiseau n'a pas franchi la vitre du salon.
Attiré par quelque lueur avenante,
Il a volé vers une charmante raison
Qui l'appelait comme l'étoile filante.

Ce roi du Ciel qui partout niche à foison,
Vole de branche en branche, de toit en toit ;
Cet oiseau, n'a pas vu la vitre du salon
Belle et propre et lustrée chaque fois.

L'oiseau n'a pas franchi la vitre lustrée.
Ce roi du Ciel qui vole de branche en branche
Gît au sol maintenant, les ailes brisées.
L'oeil, mi-clos tourné vers la lueur, se penche.

Vole oiseau et que la vitre ne te brise.
Ne gît pas à ses pieds, elle n'est que miroir :
Ce sot reflet de ta vaine convoitise
Que les voyages bleus jamais ne pourront voir !


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Un caprice enfantin

 

Devenu par nécessité

Assagi, dès un certain âge,

On renonce aux enfantillages,

Semblant parfois le regretter.

Entouré de jeunes enfants,

En imitant leur innocence

Et leur charmante exubérance,

On vit de très joyeux instants.

Mais peu de gens ont cette envie.

Il leur paraît indispensable

D'agir en êtres raisonnables,

Face au sérieux de la vie.

L'impensable surprend sans cesse.

Parfois on n'ose pas y croire.

Arrivent chances ou déboires,

Des courants porteurs de détresses.

Un vieil artiste, n'ayant plus d'âge,

Lucide et fort talentueux,

Comblé, se sentant amoureux,

Se permit un enfantillage.

La congénère qu'il ébahit,

Par un tendre libertinage,

Lui écrivit de rester sage

Quand un caprice l'envahit.

10 juillet 2014

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L'enfance,

Paris, il est 17 H, c’est un jour d’été infiniment doux et lumineux.

 

Je suis assise sur un banc, dans un jardin public, non loin de la station République, je savoure chaque minute qui passe, qui s’étend, en regardant vivre et palpiter les gens. Les enfants jouent, s’activent et friment parfois ; ils sont  rendus quasiment silencieux par cette musique brésilienne et festive très forte ensoleillant la rue.

 

Je suis calme, sereine et contemplative, pleine de l’essentiel ; je suce un bonbon vert à la pomme, un livre posé sur mes genoux et j’existe.

 

Je suis bien.

 

Je regarde les enfants en leur disant secrètement dans ma tête ceci :

 

« Qu’Est-ce que vous ferez de tout ça plus tard, oui de tout ça, de cet or que vous fabriquez sans le savoir à chaque instant ?

 

« Ne le négligez jamais, ne le gâchez pas ; soyez l’artisan de vous-même tout le temps.

 

« Le soleil alors ne vous semblera jamais très loin, même dans les pires et les plus obscurs      moments de votre existence.

 

« Voilà la vraie mémoire, du moins la plus importante je pense.

 

« L’alchimie appartient à l’enfance.

 

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Hommes, mes frères !

 

 

 

C’est dans la maison de retraite où ses enfants l’avait placé à la mort de sa femme qu’il me l’a raconté.

Jerry qui fût son ami d’enfance avait été parmi les premiers à étrangler un soldat allemand pour lui prendre son arme. D’autres juifs l’ont fait après lui. Et la révolte du ghetto de Varsovie a éclaté.

Ce sont des juifs qui craignaient pour leur vie qui l’ont dénoncé. Il leur en restait si peu en réalité. Ils le savaient mais l’espoir fait vivre. Peut être lui ont-ils rendu service.

Les Allemands l’ont collé  contre un mur. Un officier a crié : feu ! L’un des soldats s’est retourné, la main au ventre, et a vomi. Il a dit : j’ai du manger quelque chose que mon estomac n’a pas supporté, saleté de nourriture polonaise. 

Ils l’ont abandonné. Il est resté replié contre le mur jusqu’à ce que la nuit tombe. Les rares passants s’écartaient. L’un d’eux s’est approché et a craché sur son visage.

- Un juif aurait été dénoncé par un autre juif ? Il le condamnait à mort ?

- Oui.

- Un juif ? Un autre juif ? Son frère ?

Il secoua la tête.

- J’y ai beaucoup réfléchi. C’est quoi un juif ?

Il y eut un moment de silence.

- Niemeyer, un pasteur je crois, en a accompagnés au camp, une femme, elle aussi en a accompagnés au camp.

Il se tut à nouveau.

- Cela ne compte pas qu’ils fussent juifs ou non. Ce qui compte, c’est qu’ils soient des hommes, des frères. Oui, je sais. Ceux qui l’ont dénoncé, celui qui a craché, jusqu’à ceux qui ont tiré et jusqu'à l’officier qui a crié feu avant de lamper une rasade de schnaps, tous étaient des hommes. Ses frères !

- Tous les hommes se ressemblent depuis toujours.

 

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