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Un rêve

 

J’ai fait ce soir un rêve curieux. Nous étions, Julie et moi, dans une voiture, il me semble que c’était une décapotable, et nous roulions sur une route de campagne  pour nous rendre chez un de mes amis.

Julie, parce ce qu’elle était seule elle aussi, était la compagne de certaines de mes nuits. J’ignore qui de nous deux avec les gestes de l’amour comblait la solitude de l’autre mais nous y mettions tant d’ardeur que c’était une façon de nous efforcer tous les deux de survivre.

C’était la première fois que je me rendais chez Marc avec Julie mais elle semblait connaître la route aussi bien que moi.

C’était une côte sans fin. Le moteur peinait tellement que j’avais peur que la voiture ne s’arrête. Elle nous aurait entraîné en arrière, et j’aurais été incapable, je le savais, de la retenir. J’appuyais sur la pédale avec une obstination de maniaque.

La villa de Marc est apparue au sommet de la côte sous le soleil immobile de midi. C’était un bâtiment de béton gris et de verre bleu, une large terrasse l’entourait, il n’y avait ni arbre ni verdure, on aurait dit un dé tombé au milieu du désert.

Nous avons abandonné la voiture, et Julie s’est avancée vers les marches de l’entrée, la tête haute, la poitrine tendue, les yeux brillants, comme devait s’avancer l’avant-garde d’une armée conquérante lors d’une guerre sans merci.

Dans le living il n’y avait personne. C’était une pièce immense, presque vide, seule une table de marbre en occupait le centre comme l’autel d’une église des temps futurs. Les murs étaient blancs. A l’un d’eux, sur presque toute la largeur, pendait un tableau qui représentait une femme nue peinte en ocre, une jambe repliée, le visage inexpressif et les yeux sans iris. Le fond du tableau était vert sous l’effet phosphorescent d’un néon de dancing.

J’ai regardé Julie. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point elle était blonde. Son regard était dur, elle avait le visage creusé comme à l’instant le plus aigu de nos étreintes.

Nous sommes entrés dans une autre pièce. Un homme était en train de peindre tandis qu’un autre, derrière lui, le regardait avec une fixité de mannequin. J’ai demandé si Marc était là. L’homme qui peignait a répondu sans détourner la tête :

- Marc a du s’absenter, il va revenir d’un instant à l’autre.

Julie s’est approchée de la toile. Les deux hommes se sont tournés vers Julie. Comme à chaque fois que des inconnus l’observaient, elle a souri avec ce lent mouvement de la tête qu’ont les oiseaux de proie avant de prendre leur envol.

C’est alors qu’un troisième homme est entré dans la pièce. Un homme jeune, la poitrine nue sous une veste de toile, je me souviens qu’il n’était pas rasé.

Il s’est dirigé vers Julie, il l’a regardée intensément, et puis seulement il a souri à son tour.

- Vous êtes une amie de Marc ?

Julie s’est tournée vers moi. Ses yeux avaient cette palpitation inquiète que je lui avais déjà vue, et qui me donnait à chaque fois l’impression que quelque chose d’important la bouleversait. Je me suis  avancé et j’ai dit que j’étais un ami de Marc.

- Marc n’est pas là. Il ne va pas tarder.

Mais c’est Julie qu’il continuait de regarder.

- Vous avez bien fait de venir.

Julie s’est redressée inconsciemment.

- Venez, nous allons attendre Marc sur la terrasse. Il fait si beau aujourd’hui.  

Il lui a pris la main et Ils sont sortis.

- Reste, je reste bien moi.

C’était celui qui regardait peindre son ami qui me parlait. J’ai secoué  la tête.

- Non, je vais y aller.

En même temps je pensais: qu’ai-je besoin de lui répondre mais je ne bougeais pas.

- Où est Marc ?

Le peintre avait cessé de peindre et nous nous sommes regardés tous les trois.

C’est alors que Marc est apparu. Il portait une chaise et il a traversé la pièce sans nous voir.

J’ai crié :

- Marc!

Il n’entendait pas. J’ai regardé les deux autres.

- Viens.

Le peintre a posé la main sur mon épaule, et il m’a entraîné vers le living.

Dans le living, la table était toujours nue mais il y avait désormais des chaises tout autour. La main du peintre a pesé plus fort sur mon épaule.

Jacques, je savais qu’il s’appelait Jacques mais je ne sais pas comment je le savais, Jacques est entré avec Julie. Il lui a demandé de s’asseoir. Moi, c’est le peintre qui m’a demandé de m’asseoir. Marc était là, lui aussi. Nous sommes restés silencieux un moment.

- Je vois que vous vous connaissez tous.

J’ai répondu :

Non. Nous allons partir, nous reviendrons une autre fois.

 Jacques s’est  mis à rire.

- Et vous nous priveriez de la présence de Julie ?

J’avais le sentiment étrange que nous étions les personnages d’une pièce de théâtre dont j’étais le seul à ne pas connaître le texte.

- Tu ne trouves pas qu’elle a de beaux yeux ?

Il a pris les mains de Julie dans les siennes.

Sans qu’aucun mot ne sorte de ma bouche j’ai voulu dire que ce n’était pas vrai, que Julie n’avait pas de beaux yeux, qu’elle avait des yeux transparents qui ne reflétaient que la seule couleur de ses passions : calcul, abandon et haine tout à la fois. Je le savais, moi. Pourquoi disait-il qu’elle avait de beaux yeux ?

Julie scintillait comme si le soleil l’avait embrasée. Elle a détaché de son cou son foulard, elle a posé une main sur sa poitrine, et elle a demandé au peintre pourquoi il avait peint une femme belle mais sans yeux ?

- Ce n’est pas une femme, c’est un tableau. Vous, vous êtes une femme.

Puis il a demandé si nous étions mariés, Julie et moi. Julie a saisi ma main.

- Nous sommes des amis, de grands amis.

Le peintre a éclaté de rire. Julie avait les joues en sang. Jacques s’est penché vers elle, il lui a dit quelque chose à l’oreille, elle a serré ma main.

J’avais chaud et je me sentais ridicule soudain dans mon complet. J’ai tiré sur mon nœud de cravate.

- Ote donc ta cravate.

Julie avait l’air excédée.

Ils avaient tous les yeux fixés sur moi.

Lorsque Julie faisait l’amour, c’était comme si elle naissait à chaque fois. Ses forces étaient bandées pour un destin dont elle pressentait que l’amour était la seule raison d’être. Son corps était la face lumineuse de son sexe, et son sexe était la source de sa vie. Et moi, je savais maintenant combien il m’était nécessaire.

- Il a bien de la chance. Est-ce qu’il en est conscient ?

Je me suis levé et j’ai dit à Marc que nous allions partir.

- Pourquoi, pourquoi? Ce n’est qu’un jeu. Un simple jeu. Demande-lui si elle veut, elle ?

Je n’ai pas répondu. Julie ne me regardait pas. Autant que ses mains, sa bouche, ses seins, le regard des hommes était la preuve de son existence, et avec ou sans moi, elle voulait continuer d’exister.

C’est alors que je me suis réveillé.

 

 

 

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Commentaires

  • Heureux de vous faire sourire, Rolande. C'est un beau compliment.

  • La fin est surprenante car l'on ne s'y attend guère. Du moins en ce qui me concerne.

    Vous avez vraiment l'art de maintenir notre  attention et votre talent y contribue largement.

    En lisant, c'est vrai, une impression de se mouvoir dans un univers décalé se précisait . En fait, l'univers était pur onirisme.

    Et pourtant, dès le départ, vous annonciez la couleur.

    Bravo pour les cornichonneries souriantes.

  • Merci Suzanne. Suivez mes cornichonneries sut FB, elles vous feront sourire. Peut-être.

  •  Savoir se raconter le rêve que l'on a fait comme des heures vécues intensément, c'est là un talent de conteur

    que je trouve admirable.On n'invente rien, on a existé .

    Merci de nous offrir, sans aucun complexe,  vos différents émois noctrunes.

    Suzanne W-S

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