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Dernier Volet de l'Évocation de la"Fille d'Apollon" :

quelques détracteurs de la poétesse

I

Critique un rien condescendante de Rémy de Gourmont
sur l'œuvre d' Anna de Noailles

"du Verlaine pour femmes du monde."
 (R. G.)

"Je te garde sur la Domination un article de Rémy de Gourmont,

qui est un liebig de bon sens."

J.Rivière à Alain-Fournier, 7 sept. 1905


LA PROSE DE MADAME DE NOAILLES

                            


                              On peut, je pense, caractériser ainsi le romantisme : prédominance du sentiment sur la raison. Les romantiques raisonneurs eux-mêmes, tels que Jean-Jacques Rousseau ou Michelet, n'échapperaient pas à cette définition. Elle laisserait sur la frontière un poète tel qu'Alfred de Vigny ; elle engloberait au contraire un philosophe qui, comme Théodore Jouffroy, laissa sa raison trembler au frémissement de ses nerfs.
                             Nous connûmes bien des sortes de romantiques. Il y en eut d'exaspérés, il y en eut de doux. La gamme descend de Victor Hugo à Gérard de Nerval. On n'en vit presque aucun, cependant, et pas même Alfred de Musset, abdiquer toute raison : le plus fou eut ses heures de sagesse, je veux dire des heures où l'intelligence reprenait le gouvernement de la sensibilité. Il n'y a qu'une exception : George Sand.
                            Je ne voudrais pas comparer Mme de Noailles à George Sand : elle ne le mérite pas encore tout à fait, et il faut espérer qu'elle ne le méritera jamais entièrement. Mais enfin, toutes deux sont femmes, et elles en abusent. Le mérite de Mme de Noailles est d'en abuser avec élégance. De plus, elle écrit dans une jolie langue, toute fraîche. Son style a des grâces et même des enchantements : la lisière d'un bois, le matin, avec un pré qui descend vers un ruisseau, et toutes sortes de feuilles, de fleurs, d'herbes, de bêtes, de bruits, de lueurs. George Sand, que Nietzsche a si bien nommée «la vache à écrire»,  écrivait en effet comme un ruminant ; le ruminant passionné n'en est pas moins un ruminant.
                            Quelques-uns des plus agréables écrivains d'aujourd'hui, en prose ou en vers, étant des femmes, il est difficile de prétendre que la femme n'est point faite pour la littérature. Si c'est pour elle un métier factice, est-ce donc pour l'homme un métier naturel ? L'homme, de même que la femme, est fait pour vivre sa vie et non pour raconter des vies qu'il n'a pas vécues. Il faut une grande habitude de la civilisation pour supporter sans rire l'idée qu'il y a à Paris deux ou trois mille créatures humaines qui vivent enfermées en de petites chambres, la tête penchée, les yeux vagues, une plume aux doigts. Cela est d'autant plus comique que le résultat de ces écritures, hâtives ou fiévreuses, demeure généralement inconnu. Les hommes persévèrent longtemps. Plus pratiques, les femmes désirent toucher rapidement le but. Chaque nouvel éditeur, chaque nouvelle revue, chaque nouveau journal voient venir à eux des martyrs de l'espoir littéraire qui avouent détenir en des tiroirs des douzaines de romans inédits. Il est très rare que les femmes soient aussi tenaces ; cependant, comme le nombre de celles qui écrivent s'accroît sans cesse, le moment approche où, aussi peu favorisées que les hommes, elles devront attendre et vieillir, en pleurant sur les moissons de leur génie.
                           Présentement, elles sont à la mode.
                           M. Maurras en a compté quatre, dont le talent de poétesse ne le cède au talent de poète d'aucun de leurs contemporains. Quatre, c'est peu. Il y en a d'autres ; il y en a quatre ou cinq autres, au moins : je pense que les dieux ont voulu qu'elles soient neuf, comme les Muses. Presque toutes rédigent, alternativement des romans et des poèmes ; la plus célèbre est Mme de Noailles.
                          Si le romantisme pouvait renaître, l'auteur de la Domination en serait le thaumaturge.                

                           Aucun écrivain d'un talent égal n'a paru, depuis George Sand, qui se soit aussi follement laissé conduire par le sentiment et par le caprice. Peu d'hommes, même de ceux qui n'ont pas beaucoup de suite dans les idées, seraient capables de concevoir un roman aussi désordonné et aussi obscur que la Domination. Mais, concevoir ? Qu'y a-t-il de conçu en un tel livre, si ce n'est le titre et les premières pages ? C'est un gazouillis d'oiseau lyrique, et presque rien de plus. Il vole, cet oiseau, il plane, il redescend ; il nage alternativement dans tous les azurs, celui des cieux, celui des eaux, celui des âmes, celui des yeux.
Il va au gré de son caprice, ou plutôt au gré de sa logique particulière, car il n'y a point de caprices, même chez les oiseaux, il y a obéissance aux directions mystérieuses d'une nature que les hommes ne comprennent point.
                          La nature de Mme de Noailles semble être de s'arrêter à moitié chemin, de s'asseoir et de songer qu'il est doux d'avoir oublié le but de son voyage. Celui qu'elle vient de nous conter se perd dans les brumes qui ont caché au pèlerin la cime de la montagne, mais avec quel charme elle nous les décrit, ces baumes, et que d'azur encore jusque dans ces ténèbres !
                          La Nouvelle Espérance était l'histoire d'un égoïsme féminin ; la Domination aurait pu être l'histoire d'un égoïsme masculin : ce n'en est que l'ébauche, et à peine visible.
                          C'est un jeune homme qui se croit destiné à conquérir le monde. Son ambition touche à la folie : « Que mon jeune siècle s'élance comme une colonne pourprée, et porte à son sommet mon image ! » Ayant publié un livre qui est remarqué, il compare ses ivresses à celles qui, sans doute, au même âge, troublaient le « jeune Shakespeare ». Tout cela est exposé longuement, sans ironie aucune ; on croit à un essai de caricature, c'est une intention d'épopée.
                          Cet amant prématuré de la gloire se destine également à être l'amant de beaucoup de femmes :
                         « Les femmes, dit-il, ne me font pas peur. »
                          Une troisième ambition doit tenter un homme si ardent. Il médite avec émotion cette phrase célèbre : « César pleura lorsqu'il vit la statue d'Alexandre. » Alors, l'éclat de ces deux noms divins, ces larmes, et ce qu'il y a chez le héros d'humain et de surhumain fondirent le cœur du jeune homme, exaltèrent en lui l'orgueil et l'âpre volonté. »
                          Tel est le thème triple et unique du roman. On songe à Balzac. Mais Balzac lui-même recule. Il y a des limites au génie. Raconter les actes, développer la psychologie d'un homme qui va être à la fois Shakespeare, Don Juan et César, qui cela pourra-t-il jamais tenter ? Une jeune femme sourit avec nonchalance ; elle a lu des contes de fées où il arrive des choses encore plus merveilleuses. Mais dans la    Domination, il n'arrive rien que des histoires d'amour. Le héros de Mme de Noailles n'est même pas Don Juan ; il est l'amoureux, le très ordinaire amoureux, celui des aventures qu'il est plus difficile d'éviter qu'il n'est glorieux de les avoir connues.
                          Depuis George Sand et Musset, Venise est le seul cadre qui convienne aux amours romantiques ; il faut, paraît-il, à certains épanchements, l'abri des gondoles. On ne peut pas être lyrique dans un compartiment de chemin de fer ; l'usage s'y oppose ; la gondole, cependant, autorise les plus sublimes divagations. Venise ! Là seulement on peut aimer avec distinction. Il y a aussi Bruges-la-Morte. Mme de Noailles n'a pas manqué de faire participer cette ombre illustre aux émotions de son héros. Héros, du moins, de l'impertinence, car, chose singulière, ce roman, écrit par une femme, respire le dédain de la femme, créature sans importance et qui n'existe que dans le désir de celui qui les aime. C'est une idée qui n'est pas tout à fait déraisonnable, et les femmes elles-mêmes semblent l'admettre, car elles sentent bien qu'elles ne vivent plus dès qu'on cesse de vivre pour elles. Elles ont encore plus besoin d'être aimées que d'aimer, encore qu'il leur soit cruel de détester qui les aime. Mais, vraie pour la femme, cette idée serait-elle fausse pour l'homme ? Si différentes que soient les manifestations extérieures de la sensibilité dans l'un et l'autre sexe, son essence est la même. On voit d'ailleurs, dans la recherche de l'amour, les femmes montrer une réserve qui prouve que leurs besoins d'affection ne sont pas irrésistibles. Les femmes se laissent séduire ; mais les hommes, bien plus encore, et bien plus facilement.
                           Voici les aphorismes de Mme de Noailles sur l'irréalité de la femme. C'est son héros qui parle, Antoine Arnault :
                        « Oui, toutes les femmes, toutes ces princesses de la terre, elles ne peuvent que plaire, et, si elles ne plaisent point, elles sont mortes : voilà leur sort. Elles n'ont pas d'autre réalité que notre désir, ni d'autre secours, ni d'autre espoir. Leur imagination, c'est de souhaiter notre rêve tendu vers elle, et leur résignation, c'est de pleurer sur notre cœur. Elles n'ont pas de réalité, une reine qui ne plairait pas à son page ne serait plus pour elle-même une reine. »
                          On lisait dans un petit roman, paru il y a quelques années et que je ne nommerai pas :        «Le privilège de vivre ! Mais vous seriez la seule, Hyacinthe, la seule entre vos pareilles ! Vous ne vivrez qu'en celui qui vous aura fait souffrir. » Les paroles de Mme de Noailles résument assez bien ce livre peu connu, et qui passa en son temps pour paradoxal (1). Cependant, comme toutes les femmes, elle exagère : et puis, ce n'est pas tout à fait la même chose de se réaliser dans la douleur ou de se réaliser dans le plaisir.
                          L'impertinence d'Antoine Arnault n'est ici que psychologique. D'autres hommes, qui ne le valent pas, ont sur les femmes des opinions plus bizarres encore et plus excessives. Où son insolence égoïste dépasse en horreur tout ce que l'on peut imaginer de la dureté grossière d'un amant repu, c'est quand il écrit, en la quittant, à une femme qui souffre déjà à cause de lui : « Quelle part de vous ai-je aimée en vous, je ne sais. Je me suis aimé moi-même sur votre douce et claire beauté. » Et ceci encore:                           «Oubliez-moi, et plus tard, si vous aimez l'orgueil, qu'il vous soit cher de penser que c'est vous que, dans Venise, Antoine Arnault a aimée... C'est vous qui chanterez dans mes livres au regard des jeunes hommes. Petite immortelle qui sans moi fût demeurée secrète, une dernière fois je vous contemple comme une créature vivante, et maintenant j'entre avec vous dans le jardin des souvenirs, âme endormie et divine... »
                         Seulement, la délaissée n'aura pas même la consolation, bien médiocre pour une femme qui aime, de figurer en quelque roman libertin, thème de descriptions trop claires, car Antoine Arnault n'écrira plus. Il se marie, devient amoureux de la sœur de sa femme et meurt en même temps qu'elle, sans que l'on sache de quoi, ni pourquoi, quand l'auteur, ennuyé de ce roman absurde, le clôt brusquement, sans aucune explication.
                         Des romans absurdes, il en paraît tous les ans des centaines ; mais celui-ci a cette singularité de déceler en même temps un très grand talent et même une sorte de génie du style. On s'est amusé à piquer, çà et là, dans ces trois cents pages, quelques phrases d'une correction équivoque : s'il fallait noter toutes les images délicieuses et neuves dont il est rempli, il serait plus court de transcrire le volume tout entier. Etant donnée l'incohérence de cette histoire, c'est du lyrisme intempestif, mais c'est du lyrisme.
                        Ainsi que le Visage émerveillé, on acceptera la Domination comme poème ; on en lira quelques pages, en oubliant qu'elles font partie d'un ensemble, car cet ensemble est incompréhensible. « La sensibilité, a dit M. Maurras, à propos de Mme de Noailles, diffère de l'art ; mais elle est la matière première de l'art. » C'est très exact. Ici la matière première est restée à l'état naturel, ou à peu près. On ne nous a pas donné une œuvre d'art, mais seulement les éléments avec lesquels cette œuvre, si les dieux l'avaient voulu, aurait pu être édifiée. Ils ne l'ont pas voulu. Ils ont laissé la femme étouffer le romancier, et le sentiment étouffer dans la femme le peu de raison constructive dont son intelligence était capable.
Ne jugeons pas les femmes qui écrivent d'après les vieux principes, qui furent posés par des hommes, pour des hommes. Il ne faut leur demander que ce que leur nature leur permet de donner. Cela peut très bien être supérieur, en certaines parties, à ce que donneraient les meilleurs d'entre nous. Mais il est surtout nécessaire que cela soit différent. Voici une femme qui écrit sans se guinder à imiter le ton des hommes : c'est déjà un grand mérite, et c'est un grand charme.
 

 1 : Il s'agit du Fantôme de Remy de Gourmont [note des Amateurs].[texte relu par Grégory Houdusse, 25 avril 2002]
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Kaléiscope de clichés et reproductions picturales d'Anna de Noailles

II

Deux Textes critiques sur Anna de Noailles

par Jean-Jacques Lévêque


Publiés à l'adresse Internet suivante :
http://soleildanslatete.centerblog.net
Jean-Jacques Lévêque Historien d'art :

                            a) Elle aussi est condamnée à "garder la chambre" pour raison de maladie. Elle est aussi, née Brancovan, fréquente, surtout après son mariage avec un de Noailles, ce monde que Proust avait déjà investi. Le même, entre futilités, vanités et calculs, qui n'altère pas les forces principales de son génie propre. Une adhésion sensuelle, profonde, avec la nature. Retirée dans sa chambre du 40, rue Scheffer (dans le 16° arrondissement de Paris), elle poursuit une œuvre surtout poétique : L'ombre des jours, Les Éblouissements, Les Vivants et les morts, Les Forces éternelles.
                            Sa gloire quasi officielle cache la part la plus captivante de sa démarche. Une saturation sensuelle qui vidant le corps de sa substance, nourrit un verbe d'ardeur et de souffrance, à la sensualité chargée de coloration orientale due à ses origines.
                            Tout comme Proust exploite avec ferveur les souvenirs d'une enfance aux riches connotations sensorielles et mémorielles, Anna de Noailles s'appuie sur le caractère merveilleux (et d'un luxe tapageur) mais qui l'écrase, entretenu dans l'hôtel particulier du 34 avenue Hoche, où l'on cultive le souvenir d'ancêtres prestigieux, en leurs terres de Valachie et dont se sent débiteur son père Grégoire Bassaraba de Brancovan, et la "campagne" des bords du lac de Genève où sa famille possède une villa à Amphion, où elle "écoutait, les voix de l'univers".
                            Une œuvre formée dans l'enfance et formulée dans le tapage d'une vie d'abord mondaine avant d'être recluse.

                 

                             Quel contraste d'appréciations, cher monsieur, entre votre première critique, celle-ci, et la deuxième, pour laquelle, vous m'avez, à votre insu, transformée en passionaria...


                         

                             b) Anna de Noailles, les Éblouissements.
                                      par Jean-Jacques Lévêque


                           Les éblouissements tyranniques, les étreintes diaphanes, les voix innombrables d'Anna de Noailles nourrissent une œuvre qui a connu une singulière estime, et poussée par le jeu de la mondanité, a gagné une audience qui fausse la hiérarchie des valeurs poétiques de son époque.
                          Même Proust (il est vrai volontiers flagorneur) n'hésite pas à parler de génie. Capricieuse, névrosée, d'une éducation soignée, et d'une vive intelligence quand elle est "naturelle", Anna de Noailles porte en elle toute la flamme bigarrée de ses origines slavo-balkanaises. Un mélange de fantaisie bariolée et d'enthousiasme authentique que gâche un goût excessif de l'emphase et un égocentrisme poussé à ses extrêmes. Ses origines aristocratiques, son alliance de convention avec une vieille famille française, la situant dans une sphère volontiers portée à l'auto-satisfaction. Dans son œuvre (trop abondante) Anna de Noailles multiplie les cris et les soupirs, mais la notation des sensations est toujours juste, même si elle est celle d'une privilégiée qui peut s'offrir le luxe de les cultiver. Menant une "auto analyse" de son moi, à l'écoute d'elle-même avec le même excessif affinement que Proust, mais dans un registre qui reste celui d'une jeune fille éternellement égarée dans ses propres tourments, et la gamme raffinée de ses sensations, de ses émois intimes, de sa soif inextinguible d'amour. Le quêtant inlassablement, nerveusement.
                         Aux confins de l'hystérie. Surestimée, emportée par l'élan donné par sa cour d'admirateurs, elle s'impose aux premiers rangs de la littérature féminine du début du XXème° siècle alors que celle-ci perdure sous l'éclairage mauve et étudié du saphisme largement partagé, autour de Renée Vivien.

Réponse à l'analyse partiale de Jean-Jacques Lévêque :
Ou de la subjectivité dans l'art.



"Le manque d'appréciation est une trahison à l'âme de l'artiste".
William Turner.



                             Bien que je vous respecte infiniment, Monsieur, en raison de vos multiples fécondes parutions, recouvrant un large éventail d'époques, de chants et de bâtisseurs apolliniens, je trouve absolument désobligeant, réducteur, inique et par la même, dégradant, votre parti pris au travers d'un semblant d'analyse un rien condescendante d'une œuvre littéraire, que selon toute vraisemblance, vous méconnaissez, étant de surcroit, resté en surface de la signification véritable délivrée par les messages de ces écrits ("Le mot est un son qui devient sens", affirme Claude Nougaro) aux antipodes de toute mondanité artificielle relative à quelques "poseurs" de salons, mépris insinuant que le culte suscité par elle, est disproportionné, infondé, et qu'en conséquence, il contribue à "fausser" l'échelle des valeurs de nos femmes et hommes de lettres, jugement symptomatique de ceux qui s'adonne "à l'art de disséquer" les créations d'autrui, ou "l'engagement" des interprètes les faisant revivre, tombant comme un verdict sans appel !
                             Pourquoi, entre nous soit dit, établir ce type d'études comparatives sommaires, de surenchère artistique, en prescrivant à n'importe quel prix, un degré d'évaluation entre ces disciples d'Orphée et maints "orfèvres ciseleurs" ? En vertu de quel critère, une critique tyrannique de l'intelligentsia parisienne, ose décréter du "couronnement" de ceux-ci, ou à l'inverse, de leur "bannissement" ? Le comble du mauvais goût n'est il pas de jouer au "Précieux dégoutés" pour paraphraser Éric Satie, en appréhendant l'histoire de l'art en similitude de cotations en bourse, décernant ici, des louanges, là, une désapprobation vindicative, synonyme de condamnation ?
                            Afin d'étayer notre argument, laisser nous prendre modèle sur ceux que l'on a coutume de désigner chez Appellanire et Euterpe, par une appellation à connotation péjorative, de "Petits Maitres" ; eh, bien, quel serait, dites-moi, le motif, qui nous contraindrait à nous ranger à des avis de pseudo spécialistes, nous certifiant, par exemple que les "peintres de fleurs" portés à leur apogée, notamment grâce au pinceau botanique de Pierre-Joseph Redouté, ce devancier du maitre-verrier naturaliste de l'École de Nancy, Émile Gallé, ne sauraient égaler les paysagistes ou portraitistes de renom ?
Que le "roi des ciels" "tutoyant l'azur", Eugène boudin, précurseur de l'Impressionnisme aux côtés de Johan Barthold Jongkind, ne léguera à la postérité que des témoignages secondaires en rapport d'un William Turner et d'un Claude Monet, tout comme les musiciens Gabriel Fauré, Francis Poulenc ne peuvent prétendre s'inscrire parmi les compositions du "grand répertoire" rivalisant avec celles d'un Claude Debussy et d'un Maurice Ravel, pour n'évoquer qu'eux !!!
                           Quant à la maestria des chantres révérant Calliopée, craignons que ne pleuvent à leur encontre, des images stéréotypées affligeantes faisant mouche, constatées fréquemment au détour de publications, analogues à : "Colette une Sagan", également qualifiée "d'icône chic" de la littérature, ou bien encore de "petite paysanne", quand ce n'est pas de "paysanne pervertie"…
                            En admettant que notre "Ingénue libertine", qui revendiquait crânement ses racines bourguignonnes, en digne fille de Gaia éprise des joyaux de "Natura", flore et faune confondues et savamment entremêlées au centre d'une prose poétique, ai pu charmer le tout Paris par sa fraicheur, son authenticité et la pertinence de ses perceptions sensitives recueillies en ses terres enchanteresses de Saint Sauveur, ne doutons pas, qu'elle fut jamais une petite provinciale gauche, style "nouvelle communiante", ou à la manière de notre pauvre Bécassine nationale parodiée. Il n'y a qu'à feuilleter ses albums de souvenirs pour s'en convaincre, particulièrement celui contenant le cliché photographique, où se balançant dans un hamac, la jeune fille coiffée de tresses, darde sur nous ses prunelles aiguisées, volontaires, paraissant nous lancer un défi.
                         Mais recentrons nous sur l'objet du délit, si je puis m'exprimer ainsi, c'est-à-dire, sur votre étude succincte d'une "femme-mage" décrite par l'auteur de :
                         "À la recherche du temps perdu"…Outre ses inclinations pour un monde frivole que vous lui prêtez, perversion brocardée dans l'univers proustien, et dont elle ne fut, elle-même, jamais dupe, sachant pertinemment distinguer ses amis perdus au milieu de courtisans, vous allez jusqu'à tenir rigueur à Madame de Noailles, du florissant arbre généalogique dont elle descend, soulignant au passage, d'un ton empreint d'ironie, qu'elle ne su résister à une "alliance de convention" imposée par les siens, usage alors en vigueur naguère !
                          L'étude des mœurs des civilisations occidentales, ne nous apprend elle pas, combien l'union entre deux êtres, quel que soit leur rang social, était généralement, dans un proche passé, le fruit d'une association de raison, un pacte scellé entre des familles blasonnées ou non, afin d'assurer la pérennité d'un nom et de rassembler les richesses d'un patrimoine légué par les aïeux ? Déjà à l'époque du grand siècle, un visionnaire répondant au nom de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, avait dénoncé en empruntant un ton satirique, cette vénérable institution sous le titre du "Mariage forcé" !!!
                           En l'occurrence, comment aurait-elle pu décliner ce dit arrangement, Anna Bibesco Bassaraba de Brancovan, que tant de pauvres et fragiles épousées offertes en holocauste, objet d'odieux marchandages, dénuées du droit de consentement, eurent à subir dans leur chair, en dépit des sentiments les animant qui leur soufflait, qu'un jour, leur descendance serait enfin épargnée en s'émancipant de ce rôle de prisonnière du foyer patriarcal ? Fallait il qu'elle prononce des vœux de carmélite pour avoir la fortune d'échapper à son triste sort ? Notez, que "entrer en poésie", c'est un peu comme entrer dans les ordres, tant l'isolement est grand, la quête de soi, incessante, surtout, que la "Petite Assyrienne" d'Anatole France n'était pas "fabriquée" dans un moule stéréotypé et qu'elle ne se voua certes pas à l'écriture en dilettante, cultivant son "violon d'Ingres" afin d'occuper ses loisirs de "Jeune fille en fleur", d'aristocrate désœuvrée, hésitant entre la tapisserie, la broderie et autres "hobbies" !!!
                           Seriez-vous, par ailleurs, en possession de documents inédits, que vous vous ingénierez à dérober à l'histoire de la littérature, manuscrits autographes au sein desquels notre "Cœur innombrable" se livrerait en confidences intimes, pour vous positionner de la sorte, soit, en argumentant d'une manière fallacieuse, sinon tendancieuse ?
                          Je n'oserai vous faire l'injure suprême de taxer votre raisonnement de misogyne voire pire, d'instruire votre "procès" en phallocratie; non, loin de moi cette idée ! Vous laissant le bénéfice du doute, pour lors, je vous avouerai sans plus de détour, mon tourment, à ce que vous participiez en signant cette esquisse de "Portrait" où plutôt devrions nous préciser, de caricature à la limite de l'insulte, à perpétrer des poncifs dommageables, ne pouvant que nuire à la réputation de notre poétesse encore trop méconnue et grandement mésestimée, du moins par certains, puisque, Dieu merci, de fins amateurs éclairés réunissant "amoureux fervents et savants austères", se donnent la mission de lutter contre cette "profanation" synonyme de négation, en relevant la gageure de soulever un pan du voile qui masque son corpus poétique, avant qu'il sombre irrémédiablement dans un oubli immérité, succédant au purgatoire qu'il traverse en ce début du XXIème siècle, auquel vous n'êtes pas, assurément, étranger, en publiant ce genre de thèse erronée.
                          De plus, pensez-vous sérieusement que les pauvres humains que nous sommes, ont le loisir de choisir le berceau de leur origine, ainsi que leurs chromosomes? La force d'Anna de Noailles réside, selon l'humble appréciation d'une lectrice-interprète qui la fréquente assidument depuis nombre de saisons, qu'elle ne représente en rien la voix du "sexe faible" dit également, le "deuxième sexe".
                         Jamais, au grand jamais, sa voix ne s'est faite vindicative, se voulant la porte parole absolue de ce dernier. Elle est bien trop libre pour cela, et si elle brave avec ferveur et engagement, loin de tout militantisme "féministe" relatif au "Mouvement de Libération des Femmes" voyant le jour après l'éclosion de "Mai 68", l'hypocrisie même des convenances rigoureuses et de la violente autorité imposée à la gente féminine, rejetant l'étroit carcan d'une société policée, fondée depuis des millénaires, par les hommes, dévolue à servir leur gloire et intérêts, enfermée par les codes et usages d'une noblesse dont elle dépend, et qu'elle ne saurait renier, c'est, certes en empruntant un langage qui lui est propre, reflet éclairé de sa compassion envers le déshérité, l'opprimé, que le Fatum, ce triste Sire, se plait à malmener -- son témoignage poignant sur Verdun et les sacrifiés de la "Grande guerre", en est une probante illustration, elle qui fut de façon innée, "habitée par l'ardente charité du genre humain"* --!
                        "Ô mes humains, consolons nous les uns les autres", implorait Jules Laforgue…
                         Or, cette "fière Antigone" d'essence lyrique, baptisée de la sorte par Maurice Barrès, "divinement simple et sublimement orgueilleuse" suivant le témoignage de Jean Cocteau, ô combien voluptueuse et sensitive, se contente de retranscrire la palette de ses émotions profondes ressenties au cours de son cheminement émaillé d'agréments ("Plaisir, vous qui toujours, remplacez le bonheur", proclamait elle, lucide) sans pour autant occulter l'autre versant du premier, semé de Dédales et labyrinthes, sentant ni le creux ni le factice, ni encore moins le "pathos". Sans conteste, elle aurait pu reprendre à son compte, l'illustre adage d'Edgar Allan Poe : "Pour être heureux jusqu'à un certain point, il faut que nous ayons souffert jusqu'au même point."
                        Égérie d'un cercle littéraire et d'arts d'admirateurs ne pouvant que louer et "savourer" son génie", n'ayons pas peur du mot, à la source de vocations dont les figures de proue ne comptaient pas moins de deux génies, Marcel Proust, ainsi que le Père de "L'Aigle à deux têtes" précité, en vertu de quoi, je vous prie, hormis le tenace dogme chrétien de la faute originelle initiée par notre mère universelle, Ève "la grande pécheresse", devrions-nous lui tenir grief d'avoir désiré inspirer de vives affections par le biais d'un verbe envoûtant, elle qui tenta cependant de résister aux flammes dévorantes de la passion, jusqu'au risque de se perdre dans les méandres de l'auto destruction, vertiges frôlant sans doute l'aliénation mentale, mais dont elle mis constamment un point d'honneur à maitriser en lieu et place de s'y consumer, s'accommodant tant bien que mal des élans fougueux générés par son tempérament superbe, de cet ouragan dévastateur perpétré par le sentiment amoureux, ayant conscience pour l'avoir éprouvé, combien "L'Amour n'est ni joyeux ni tendre", reviviscence salutaire à la germination de son œuvre, comparable au Phénix rejaillissant de ses cendres, car n'aurait elle pas pu aussi proclamer, en tant que " prêtresse bacchique", à l'instar d'une morale d'Épicure, et non en adéquation de l'attitude prônée par la coquette Célimène du "Misanthrope" :
                       "Hâtons nous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne."
                         Laissons enfin, en conclusion, la parole à un membre de l'élite intellectuelle et artistique appartenant au début du XXème siècle, fidèle composant son entourage d'alors, parmi lequel se distingua, outre ses protégés Marcel Proust, Jean Cocteau, Paul-jean Toulet, un florilège de "rhapsodes" tels que : Anatole France, Edmond Rostand, Colette, André Gide, Maurice Barrès, René Benjamin, Frédéric Mistral, Robert de Montesquiou, Paul Valéry, Alphonse Daudet, Pierre Loti, Max Jacob, ou bien encore le "Faune habillé de bure", Francis Jammes, et l'Abbé Mugnier *, que la "Fée d'Auxerre", "payse" de "L'ingénue libertine" mentionnera à son tour :
                         "Elle est le déchaînement. Elle aurait dû vivre à l'époque alexandrine, byzantine. Elle est une fin de race. Elle voudrait être aimée de tous les hommes qui aiment d'autres femmes qu'elle (...) elle aurait dû épouser le soleil, le vent, un élément."
                          Puis au magicien truculent de "Si Versailles m'était conté" et "N'écoutez pas Mesdames", alias Sacha Guitry :
                         "C'était un personnage extraordinaire, qui avait l'air d'un petit perroquet noir toujours en colère, et qui ne laissait jamais placer un mot à personne. Elle recevait dans son lit, les gens se pressaient en foule dans sa ruelle [...] et cela aurait pu être un dialogue étourdissant mais c'était un monologue bien plus étourdissant encore."[...]
                         "Quand on l'entendait monter l'escalier on avait toujours l'impression qu'il y avait deux personnes en train de se parler, et quand elle redescendait, il semblait qu'une foule s'éloignait."*
Et pour parachever ce bouquet d'éloges, Jean Rostand nous décrit la "Pythie sur un trépied" d'André Maurois, avec sagacité :
                         " Elle était plus intelligente, plus malicieuse que personne. Ce poète avait la sagacité psychologique d'un Marcel Proust, l'âpreté d'un Mirbeau, la cruelle netteté d'un Jules Renard." *
                           Ah, vraiment quel dommage, cher Monsieur, qu'une figure de votre mérite se soit ainsi laissée abusée, se méprenant à ce point sur la qualité d'une nature ardente à l'étoffe singulière, sans doute un peu excessive convenons en volontiers, en regard de notre "regard" cartésien de français "moderne", davantage guidé par la raison, et de ce fait, dérouté par des tempéraments rares, élus dotés d'une psyché constamment en éveil, irritée sinon blessée par le moindre désagrément, la plus infime blessure (de simples bagatelles, suivant la vision étroite de moult de nos semblables…) victime au demeurant, de son âme slave forgée d'une sensibilité exacerbée, d'où probablement, cette impression de démesure qu'il ne nous viendrait point à l'esprit de reprocher à un Tolstoï ou à un Pouchkine !
                           Il est navrant que vous soyez passé à côté de la dimension "dramatique" intemporelle d'une créatrice de cette "facture", au souffle à nul autre pareil, éprise d'idéaux, personnage à double facettes qui se définissait elle-même, autant "Nonne" que "Bacchante", qui ne cessa de brûler et cela, sans affectation, d'un feu inextinguible incandescent, faisant son miel des "Forces tumultueuses", " des contrastes" chers à Émile Verhaeren * la traversant, au mépris de tendances imposées par son époque, adoptant inconsciemment la devise de Jean Cocteau, selon laquelle :
                          "Il n'y a rien qui se démode plus vite que la mode."
                            Vous-même, cher Monsieur, baigné dans l'art comme vous paraissez l'être, ne savez vous donc pas ce qu'est l'hyperesthésie ? Savez-vous au moins ce qu'est d'éprouver le privilège de l'existence, de "l'Ombre des Jours", de ce que notre héroïne, malheureuse sœur de celles dépeintes et incarnées au sein des tragédies de l'Antiquité grecque, puis plus tard, par les Maitres Racine et Corneille a si justement nommé "l'Honneur de Souffrir" ?
                           Encore faut-il pour cela ne pas se situer que d'un point de vue de l'intellect, en demeurant à l'écoute des sentiments, embrassant pour ce faire, la pensée d'une mystique médiévale placée en exergue d'un chapitre de recueil de notre poétesse, quant à elle, convaincue au tréfonds d'elle-même qu' :

                         " Il faut d'abord avoir soif."

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Portrait de jeune femme enguirlandée de lierre  protecteur (Hedera helix L.)

 d'Alphonse Mucha



a) :  Formule signée de la plume d'Anatole France.
b) :  En référence au "Journal" que tint L'Abbé Mugnier, daté du 24 novembre 1908 – édition du Mercure de France,
       coll. "Le Temps retrouvé ", 1985, p.174
c) : Citation extraite de la biographie d'Hervé Lauwick : Sacha Guitry et les femmes.
d) : Jean Rostand, préface à Choix de poésies d'Anna de Noailles, 1960
e) : Allusion à la poésie "La Vie Ardente" d'Émile Verhaeren, recueil "Les Flammes Hautes", dont il nous tient à cœur de reproduire      ci-dessous, l'intégralité, en hommage à Anna de Noailles, "testament" poétique dont le profil semble correspondre comme un gant à sa consœur "des Force éternelles"…

1.


 La Vie Ardente


Mon cœur, Je l'ai rempli du beau tumulte humain :
Tout ce qui fut vivant et haletant sur terre,
Folle audace, volonté sourde, ardeur austère
Et la révolte d'hier et l'ordre de demain
N'ont point pour les juger refroidi ma pensée.
Sombres charbons, j'ai fait de vous un grand feu d'or,
N'exaltant que sa flamme et son volant essor


Qui mêlaient leur splendeur à la vie angoissée.
Et vous, haines, vertus, vices, rages, désirs,
je vous accueillis tous, avec tous vos contrastes,
Afin que fût plus long, plus complexe et plus vaste
Le merveilleux frisson qui me fit tressaillir.
Mon cœur à moi ne vit dûment que s'il s'efforce ;
L'humanité totale a besoin d'un tourment
Qui la travaille avec fureur, comme un ferment,
Pour élargir sa vie et soulever sa force.


Qu'importe, si l'on part, qu'on n'arrive jamais,
Et que l'on voie au loin se déplacer les cimes !
L'orgueil est de monter toujours vers un sommet
Tenant la peur de soi pour le plus vil des crimes ;
Celui qui choit s'est rehaussé, quand même, un jour,
S'il a senti l'enivrement de la mêlée
L'exalter à tel point dans la haine ou l'amour,
Que sa force soudaine en parut décuplée
Et puis toucher, goûter, sentir, entendre et voir ;
Ouvrir les yeux pour regarder l'aube ou le soir
Dorer un horizon ou rosir un nuage ;
Marcher près de la mer et chanter sur la plage ;
Écouter le vent fou danser sur la forêt
Comme sur un brasier de flammes végétales ;
Recueillir un parfum dans un flot de pétales ;
Sucer le jus d'un fruit intarissable et frais ;
Ou bien vouer des mains aux caresses profondes,
Le soir, quand, sur sa couche amoureuse, la chair
S'illumine du large éclat de ses seins clairs ;
Dites ! N'y eût-il rien que ces bonheurs au monde
Qu'il faut les accueillir pour vivre, éperdument.


O muscles que je meus avec emportement !
O rythmes de mon sang qui m'allégez tout l'être
Quelle fièvre vous entraînez à votre cours !
Voici que mon cerveau se ranime à son tour
Et qu'il cherche et se tend pour découvrir, peut-être,
Dans l'univers profond un peu de vérité.
Et je tremble et j'exulte à ouïr le mystère
Parler comme quelqu'un qui parlerait sous terre,
Et le sol bat, et mon cœur rouge et contracté
S'écrase sur ce sol pour mieux entendre encore.


Émile Verhaeren
(Recueil " les Flammes hautes")



2.


Quand ayant beaucoup travaillé
J’aurai, le cœur de pleurs mouillé,
 Cessé de vivre,
J’irai voir le pays où sont
Tous les bons faiseurs de chansons
 Avec leur livre.

Chère ombre de François Villon
Qui, comme un grillon au sillon,
 Te fis entendre,
Que n’ai-je pu presser tes mains,
Quand on voulait sur les chemins
Te faire pendre.

Verlaine qui vas titubant,
Chantant et semblable au dieu Pan
Aux pieds de laine,
Es-tu toujours simple et divin,
Ivre de ferveur et de vin
 Bon saint Verlaine ?

Et vous dont le destin fut tel
Qu’il n’en est pas de plus cruel
  Pauvre Henri Heine,
Ni de plus beau chez les humains,
Mettez votre front dans mes mains,
Pensons à peine.

Moi, par la vie et ses douleurs,
J’ai goûté l’ardeur et les pleurs
 Plus qu’on ne l’ose…
Laissez que, lasse, près de vous,
O mes dieux si sages et fous,
 Je me repose…

 

Anna de Noailles


Recueil "L’ombre des jours "




















Ancien élève de l’École du Louvre, Jean-Jacques Lévêque se destinait à l’archéologie avant de faire de la critique d’art. Tout d’abord libraire, il a créé la revue Sens plastique. Co-fondateur de la revue Opus International, il a collaboré à de nombreuses revues d’art et été chroniqueur dans des journaux et à France Culture. Romancier, il a publié deux romans Tentative pour un itinéraire et L’Aménagement du Territoire. Il est aussi, et surtout, l’auteur d’essais sur l’art et de très nombreuses monographies de peintres.

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Proposition et réalisation vidéo: Robert Paul

La petite fille de neige

Texte de Rébecca Terniak – Illustrations Mariella Fulgosi
Relié, cartonné et vernis mat,
40 pages couleur dont 20 aquarelles, format 240 X 240
Ed. La Lyre d’Alizé, juillet 2011
Ce conte russe est un chant de tendresse et de poésie dédié à l’enfance
et à l’univers magique de la neige.
De vieux parents en désir d’enfant façonnent avec amour une petite fille de neige qui aussitôt s’anime, chante et danse.
Céleste, elle restera auprès d’eux s’ils savent vraiment l’aimer, sinon s’en retournera au royaume des neiges.
Tiendront-ils leur promesse ?
Cet ouvrage de belle facture fera le bonheur des enfants pour un anniversaire
ou comme cadeau de Noël.
La qualité artistique de ses illustrations pleines de charme aux teintes nuancées
et de son texte poétique permet de destiner ce livre aussi bien aux adultes qu’aux enfants.
Editions La Lyre d’Alizé


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Chers Amis de ce site merveilleux,

Merci pour vos si gentilles appréciations lors de ce focus sur mon édition avec une si élogieuse présentation qui trop m'honore !

Un profond grand remerciement à notre si dévoué et formidable mentor Robert Paul, pour son précieux soutien !

Lui qui sans relâche nous comble par la création de ses vidéos musicales artistiques en plus de nous permettre l'expression et l'échange heureux dans ce site prodigieux !

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Regards sur "Deux êtres qui luttent" réunis en une seule et même personne,
"tantôt nonne, tantôt bacchante" *1 : enchanteresse éblouissante,
"Prêtresse du soleil et du sommeil"



"J'ai moi aussi aimé la beauté,
je l'ai contemplée et louée dans l'univers infini.
C'est elle qui élève et guide les pas de l'homme,
qui le réjouit par le plaisir aux mille visages contradictoires,
qui alimente la force de l'intelligence, la sage folie du cœur." [...]


"j'étais comme ces ivrognes qui aggravent leur mal en buvant en route,
mais qui étaient déjà ivres au départ.
Je suis née ivre, et j'ai vécu toujours altérée
de véhémence et de douleur." *

Anna de Noailles



Acte III


Florilège de témoignages élogieux Suite

I


Confidences de Marie Noël issues de "Notes intimes"

                             


                                a) Vous scandaliserai-je en vous rapportant le mot de la comtesse de Noailles à un médecin que je connais, qui nous soigna l'une et l'autre ?
                               "Sans le plexus solaire, il n'y aurait pas de poésie."
                                Je le fais mien pour une grande part. J'ai éprouvé bien des fois, si j'ose dire, de beaux sentiments, de hautes pensées, l'inspiration religieuse même et l'enthousiasme, sans être poète pour autant. On n'est pas poète, ou du moins, je ne l'ai jamais été de façon continue. La poésie survenait avec le rythme : un ébranlement profond qui groupait les mots dans un certain ordre comme un courant d'eau ou de vent qui rassemble des brindilles dans un certain sens.
                                 Ce rythme est nettement lié à un état du corps plutôt que d'âme. C'est un battement de cœur plus profond que le cœur même.
                                 Naturellement, quand il se produit, il sert de ce qu'il se trouve dans l'âme- bon ou mauvais- et le révèle.                         

                                Mais, serais-je sainte, grand penseur, artiste même, chargée de grâce, de lumière et de beauté, j'en puis faire des livres, des discours et toutes sortes d'œuvres remarquables, mais pas un seul chant si le rythme ne me prend aux moelles et ne s'en mêle.


                                 b) Je recopie la lettre que j'ai écrite tout à l'heure à l'abbé Mugnier sur la mort de la comtesse de Noailles.

                                Car je voudrais garder d'elle cette impression vive du premier moment de deuil.
                               "Je ne puis écrire qu'à vous quel grand deuil je porte ce soir de Madame de Noailles. Comment a-t-elle pu mourir comme une autre ? Elle était tellement née immortelle ! Il me semble qu'elle va ressusciter.
                                Je songe avec une inexorable angoisse à ce froid, à cette immobilité qu'elle redoutait tant, qu'elle a puissamment écartés et qui enfin l'ont vaincue. "Elle s'est battue toute la nuit et, le matin, le loup l'a mangée."
                                 Qu'elle est terrible la défaite de cet être merveilleux, l'un des plus beaux que nous avions au monde? Mais peut-être, dans son destin, y a t-il aujourd'hui une miséricorde : elle meurt sans avoir été vieille.
                                J'ai de la peine, une tristesse profonde. Je ne puis dire que je l'aimais. Je n'aurais pas osé, j'en avais peur. Mais son génie a donné le frisson à toutes nos âmes et c'est ce frémissement qui me reprend  et me trouble en pensant à elle ce soir.
                                Sait-on seulement dans quelle contrée du Purgatoire la retrouver, elle qui ne ressemblait à aucune autre âme ? mais je ne vois qu'une chose, ses ailes immenses, le souffle qui l'inspirait, et il me semble impossible que les plus fiers Esprits du Ciel ne trouvent maintenant un chemin pour la conduire.
                                Je voudrais prier pour elle… Ne refuserait-elle pas cette aumône pourtant, je voudrais… Et ce soir je vous écris parce que j'ai le cœur trop plein de son sublime malheur."



II

Emmanuel Berl évoque Madame de Noailles

                           

                             

                              Quand je l'ai connue, en effet, j'avais 17 ans et elle 35. Mais les années de gloire comptent double; la sienne était née avec l’exposition universelle, contemporaine du pont Alexandre III. 0n m'avait enseigné qu'elle était un poète de génie en même temps qu'on me l'enseignait de Vigny et de Lamartine. Elle concevait et me faisait imaginer la gloire comme un voile doré, pareil aux voiles blancs des premières communiantes et des mariées. L'éclat de ses yeux violets, de ses cheveux noir-corbeau, de son visage clair, de ses dents resplendissantes, je ne l'apercevais qu'à travers cette mousseline diaprée.[...]
                             Paris était encore assez petit et assez structuré pour qu'on puisse y être consacré, du jour au lendemain, grand poète, par un nombre assez restreint de personnes, mais qui suffisait. C'avait été le cas de Byron cent ans plus tôt, ç'avait été, avec "Le cœur innombrable" celui d'Anna de Noailles. Un tel phénomène serait impossible aujourd'hui où les moyens de diffusion, écrasants, ramènent à un commun dénominateur de notoriété les poétesses et les speakerines.
                            Mais la gloire effrayait davantage quand elle gardait son caractère initiatique : je n'aurais sans doute pas osé voir, entendre Mme de Noailles, m'asseoir au pied de ce lit dont elle faisait le trépied de la Pythie, si je n'avais dû ce privilège immérité à mon cousin Henri Franck, ou, plus exactement, à sa mémoire. Mme de Noailles l'avait beaucoup aimé, beaucoup pleuré : elle mesurait la tendresse sans limite et l'admiration éperdue que j'avais pour lui […]
                            Elle a dit son souci - constant - de plaire aux morts. Elle n'aurait certainement pas fait pour moi, si mon cousin avait vécu, ce qu'elle fit par révolte contre l'injuste frustration dont il lui paraissait victime. Je suis, après plus de cinquante années, confus qu'elle ait poussé envers moi la bonté jusqu'à vouloir que je l'accompagne à Munich entendre Wagner, à permettre que je la rejoigne à Lausanne, et même, à venir me chercher à Évian, pour m'emmener chez elle, à Amphion.
                           Cette bienveillance m'inspire moins de gratitude encore que d'admiration pour sa générosité et pour sa piété.[…] Je pense qu'elle croyait sincèrement n'avoir pas le droit de se taire. Il lui semblait qu'à travers elle passait quelque chose qu'elle avait à transmettre, non pas à contrôler, qu'elle ne pouvait retenir sans péché.
                           Au début, quand je me figurais encore, avec une étrange naïveté, qu'il fallait répondre, si elle me questionnait, j'ai essayé de lui faire lire Fénelon, de lui rapporter qu'il disait d'une de ses pénitentes : "Comment voulez-vous que Dieu me parle, quand vous faites tant de bruit ?" Elle n'en croyait rien. Je me rappelle qu'à la mort de son ami Henri Gans, elle me montrait la chaise longue, posée entre son lit et sa fenêtre, et me disait : "Il venait là, il était fatigué, il s'étendait, il s'endormait. Et moi, je me taisais " comme si elle avait sacrifié, par un excès de tendresse, quelque chose d'analogue à la vertu, à la pudeur. Pourtant, elle disait aussi : "Dès que je me tais, les vers me viennent.
                           De fait, son écriture de patineuse nouait ce que dénouaient ses discours. Mais elle qui eût trouvé scandaleux qu'on l'interrompe, trouvait tout simple qu'on interrompe son travail, préférant aux vers les plus beaux le jaillissement qui les produit. […]Elle parlait pieusement de ses ancêtres grecs et à un juif, elle disait : "nos deux races antiques". De la France, avec qui elle avait cru sceller un second mariage en épousant Mathieu de Noailles et, avec lui, les paysages nobles que son nom rassemble.[…]
                           Sa piété n'apparaissait pas toujours sous les surcharges de brocarts et de brocards. "Ne prenez donc pas l'air infatué de la femme de ménage qui fait un extra dans une grande maison", lançait-elle soudain à une de ses amies qui venait de faire un mariage riche. Et aussi, parce que Mme de Noailles était comtesse, et sa mère princesse, que son visage était charmant, qu'elle semblait et était, réellement, comblée.
                            À Amphion, quand, le poing sous le menton, elle écoutait, immobile, Mme de Brancovan jouer Chopin, quand elle se posait, sur sa chaise longue, au jardin, comme une mouette noire, contemplait le lac, l'herbe, les fleurs - que, certainement, elle n'osait pas toucher - non qu'elle fût maladroite : parfois, elle faisait elle-même ses chapeaux et en était fière - mais parce qu'elle avait appris, et croyait, qu'on ne doit pas toucher les fleurs. Elle redevenait la petite fille sage, prodigieusement apte aux vénérations, qu'elle n'avait pas cessé d'être.



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Portrait de la comtesse de Noailles par Kees van Dongen




III

Sa Rencontre avec Jean Rostand


                              

                              Quand je rencontrai Madame de Noailles pour la première fois, je n'avais pas tout à fait vingt ans. J'avais lu, au hasard des anthologies, quelques-uns de ses poèmes. Lu assez distraitement, assez négligemment, comme pouvait le faire un jeune homme presque exclusivement voué aux choses de la science, et plus soucieux de scruter les réalités animales que de rendre justice aux imaginations humaines. Et certes, comme tout le monde, j'avais été frappé par le somptueux lyrisme du poète, par son pittoresque neuf, par le rythme ardent de son style.
                              Mais, à vrai dire, mon admiration était restée de surface. Il me paraissait que ce lyrisme, que cette beauté, que cette splendeur ne me concernaient point, qu'ils n'étaient pas à mon usage, qu'ils excédaient les moyens de mon goût, enfin qu'ils n'avaient rien à m'apporter comme aide ni comme enseignement. Aussi, avec l'indécente promptitude de la jeunesse, avais-je rangé la comtesse de Noailles parmi ces auteurs lointains à qui l'on songe avec respect, mais sans amour
                             C'est dire qu'en 1914 approcher le poète ne me semblait rien moins qu'une faveur d'exception. J'étais d'ailleurs, en ce temps, affligé d'une timidité monstrueuse, quasi morbide, qui transformait en véritable torture toute relation avec les humains : Madame de Noailles, par sa désarçonnante véhémence, par l'insolite de ses interrogations, ne pouvait que m'apparaître, de prime abord, comme un personnage singulièrement redoutable.
                             Et pourtant, quelques années plus tard, la vie, très paradoxale, devait faire de moi, sans que je l'eusse cherché ni voulu, l'un des familiers d'Anna de Noailles. Peu à peu désintimidé, apprivoisé, je fis partie dé ces privilégiés qui, dans sa chambre de la rue Scheffer, auprès de son lit, assistaient au spectacle étourdissant et toujours renouvelé de sa puissante et exquise vitalité. J'en suis encore à me demander par quel miracle elle tolérait, allait même jusqu'à solliciter, ma présence. J'en suis encore à me demander quel intérêt elle pouvait bien trouver à ce jeune sauvage qui, sortant de ses livres et de ses insectes, arrivé tout droit de la campagne basque, ignorait tout de la littérature, de la vie, de Paris et du monde, et n'avait à lui offrir, en retour de tant de trésors, qu'un humble silence émerveillé...
                            Peut-être devinait-elle, et pour en être quelque peu touchée, l'extraordinaire révélation qu'elle m'apportait. Car tout en elle me ravissait, m'enchantait, m'éblouissait. Ceux qui ne l'ont pas connue ignorent, et sans doute ils ignoreront toujours jusqu'où peut aller la force expressive du langage dans le poétique, le convaincant, le profond et le drôle. Elle disposait de tous les tons, sauf du maniéré et de l'affecté. Chez elle, l'outrance n'avait rien de théâtral, le pathétique ne sonnait jamais faux, le rare ne tournait jamais au précieux. Et quand j'évoque le prodige de son éloquence - si l'on peut appeler ainsi une vitalité à l'état pur, qui explosait en paroles - je songe moins à ces volontaires démonstrations où elle se divertissait parfois - elle appelait cela faire feu des quatre pieds - qu'à la façon spontanée dont elle parlait de son existence quotidienne à l'usage de ses intimes, dont elle racontait une lecture, un paysage ou une insomnie, l'acquisition d'un chapeau, une dispute avec un éditeur, la méprise d'un médecin, l'ennui d'un dîner officiel...
                            Et que dire de ces portraits qu'elle traçait en quelques phrases péremptoires, de ces caricatures lyriques où figuraient des termes de comparaison empruntés à tous les règnes de la nature, depuis le minéral jusqu'au mammifère, et dont telle était la force persuasive qu'on se trouvait à jamais empêché de voir le modèle autrement qu'elle nous l'avait dépeint.[...]


IV


"De Tout Temps à jamais" de Francis Jammes

(Œuvre datant du 1er Mai 1933 composée
 en mémoire de la poétesse Anna de Noailles)


Dédicace du Poète d’Orthez à sa consœur et amie,
la Fille d’Apollon au Cœur innombrable… :



Un jour tu vins me voir dans ce pays sauvage,
Et je devinai vite alors que c’était toi,
Car tes yeux pleins de nuit ravageaient  ton visage
Pâle comme la lune, et versaient leur émoi.

Près des mêmes rosiers qui te tendaient leurs lèvres
S’étend le grand silence où tu me laisses seul.
Ce soir, le rossignol qui brûlait de tes fièvres
Mourra dans cette sphère opaque du tilleul.

Et moi, loin des amis pressés à ton cortège,
Moi jaloux du printemps qu’ils jetteront sur toi,
Je ne pourrai t’offrir que ces flocons de neige
Où passe un chant funèbre entonné par ma voix.

Mais bientôt je prendrai, comme on fait au village
Alors qu’on mène un deuil, lourde  comme du plomb,
La croix dont le sommet parfois touche au feuillage,
La croix qui t’étonnait, ô fille d’Apollon !

Et je la porterai, troussé dans cette cape
Dont ta bouche fermée a parlé si souvent,
Et que soulèvera l’orage qui s’échappe
D’un cœur qu’ont balayé l’injustice et le vent.

Et je la planterai, ma sœur, ma bien-aimée,
Sur le calvaire étroit dominant Hasparren,
Afin que par–delà les monts et la vallée
Sa douce ombre s’étende et te rejoigne au loin.


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Tableau au sujet floral peint par Anna de Noailles



V

Analyse de l'Oeuvre poétique Noaillienne

par Léon Blum

                             

                              Si familier qu’on puisse être avec l’œuvre poétique de madame de Noailles, si vivement qu’on en ait senti la beauté, on ne peut songer qu’à en donner une idée très imparfaite au lecteur qui n’en aurait pas, par lui-même, perçu le goût et la saveur. Rien n’est plus difficile que de caractériser par des mots une œuvre poétique, spécialement une œuvre lyrique, et cette difficulté s’accroît encore à mesure que le lyrisme est plus intime et plus personnel. Les mots manquent bientôt, comme ils manquent pour exprimer la beauté particulière d’une symphonie ou d’un tableau. Devant un roman, devant une pièce de théâtre, le critique a moins d’embarras : il peut conter à sa guise, discuter la vraisemblance des événements, le développement des caractères, dégager ou contrôler la thèse morale qui supporte le récit.                   

                             Vis-à-vis d’un poème, la critique directe est presque impossible ; et les procédés de critique extérieure ou indirecte sont moins commodes. On en est réduit au classement, toujours hasardeux, à l’explication, toujours arbitraire quand il s’agit d’inspiration poétique, c’est-à-dire du moins explicable des faits littéraires ; on est réduit à des jugements d’ensemble, que le lecteur accepte ou conteste, mais dont les raisons secrètes ne se communiquent pas.
                            D’autre part, il est peut-être bien tôt pour tenter, sur l’œuvre de madame de Noailles, cet essai de classement et d’explication. Madame de Noailles était fort jeune quand elle publia son premier volume de vers, le Cœur innombrable, et ce volume n’est guère vieux de plus de six ans. Le développement lyrique, qui n’est pas ordinairement si précoce, est sujet, dans la suite de la vie, à d’amples variations dont il est malaisé de présumer le sens. Des Feuilles d’Automne aux Contemplations la distance est grande, et cet exemple suffit à prouver combien il serait téméraire de vouloir définir, avant trente ans, le génie ou même la manière d’un poète. Pourtant, au premier regard jeté sur l’œuvre de madame de Noailles, on reconnaît un tempérament d’une spontanéité immédiate et expansive, qui semble se dépenser tout entier dans le moindre vers, mais pour se reformer aussitôt, parfaitement identique à lui-même. Il est difficile de supposer que ce tempérament doive se modifier dans son essence, s’échapper un jour dans quelque direction inattendue. Le talent de madame de Noailles s’est agrandi déjà ; tout porte à prévoir qu’il peut s’agrandir encore, mais par une répétition éternellement enrichie d’elle-même. Elle possède une faculté de variation qu’on peut croire indéfinie, mais sur un nombre limité de thèmes. Jamais le jaillissement lyrique ne fut plus abondant ni plus naturel, mais rarement on put observer tant de constance dans la nature et dans la proportion des éléments qui le composent. Il n’est donc pas impossible de s’arrêter dès à présent, de considérer ce phénomène poétique comme suffisamment formé, suffisamment défini pour qu’on puisse au moins le décrire, en dessiner la figure, rechercher ce qui constitue sa particularité.

                            La première raison, la plus apparente, de l’originalité de madame de Noailles, c’est qu’on ne lui voit nulle liaison, nul contact, avec les deux écoles qui, depuis le déclin du romantisme, se sont partagé la poésie française. Verlaine, et les Symbolistes après lui, ont considéré la poésie non comme un procédé d’expression directe, mais comme un art de suggestion ou d’évocation. L’émotion poétique que le vers traduit participant à la fois du rêve et de la pensée, ils ont prétendu tirer du vers une sorte de langage intermédiaire entre la musique et la parole. S’ils ont voulu briser et recomposer selon des combinaisons plus variées les formes traditionnelles de la métrique, c’est à l’imitation de la musique, et pour donner au rapport des mots la même complexité obéissante qu’à l’accord des sons. Il ne semble pas qu’aucune de ces ambitions ait jamais tenté madame de Noailles. Non seulement elle est restée fidèle aux rythmes classiques — et l’on ne pourrait guère citer que deux ou trois occasions où elle s’en soit écartée complètement, — mais on n’aperçoit pas chez elle d’effort pour tirer, de ces rythmes même, toute la variété, toute la liberté de combinaisons sonores qu’ils peuvent comporter. Les mots sont choisis et associés d’après leur sens exact et leur force expressive, non pas d’après ces rapports secrets, dont la raison ne rend pas compte, et qui touchent ce qu’il y a de plus flottant, de plus indistinct dans notre sensibilité. Elle n’obéit même pas à cet instinct d’harmonie qui sait, par l’égalité des mots et l’enchaînement des strophes, assurer, du premier vers au dernier, l’unité sonore d’un poème. Elle ne cherche à capter l’oreille ni par la puissance évocatrice de certains accords verbaux, ni par une sorte de continuité mélodique. Dans un temps où il semble que la musique vienne forcer ou pénétrer l’une après l’autre toutes les formes de l’art, madame de Noailles n’est pas musicienne.
                          Je la vois plus distante encore des Parnassiens que des Symbolistes, bien qu’ici les premières apparences puissent tromper, Le rapport, ou la confusion, si l’on préfère, que les Symbolistes ont établi entre la poésie et la musique, les Parnassiens l’ont cherché, voici quarante ans, entre la poésie et les arts plastiques. Ils ont conçu la poésie comme un art descriptif et décoratif, et, si cette fin n’est pas particulière à la poésie, il est vrai que le vers y répond mieux que la prose par sa solidité, sa fixité et son éclat. Le vers est une matière durable, et le don propre du poète parut d’en raffiner la pureté et d’en pousser le travail. Madame de Noailles n’est pas l’élève ou l’émule de cette école poétique. Assurément son œuvre abonde en paysages, en descriptions pittoresques, son style poétique frappe par la richesse et parfois par la recherche verbale, et, dans la fréquence des images, parfois même dans leur choix ou dans leur construction, on pourrait retrouver quelque trace apparente de l’influence parnassienne. Mais les Parnassiens considéraient l’art poétique comme une technique laborieusement conquise, à laquelle le don premier et l’inspiration libre ne suffisent pas, et surtout, par réaction contre la sentimentalité romantique, ils exigeaient que le poète se séparât de son vers autant que le sculpteur de son marbre, le travaillât comme une matière étrangère, de sorte que la triple loi de leur esthétique fut d’obtenir des œuvres savantes dans leur procédé, parfaites dans leur forme, entièrement objectives par leur signification. Or il est certain que, dans ses plus beaux poèmes, dans ceux même que nous aurons le droit de tenir pour parfaits, madame de Noailles ne fut jamais embarrassée par l’inquiétude technique de la perfection. Il est certain que sa poésie n’est pas une poésie savante, mais une poésie ingénue et abandonnée, qu’elle ne tient pas en défiance la merveilleuse facilité de son inspiration, mais qu’elle s’y donne et s’y livre comme la prophétesse à l’esprit sacré, qu’elle n’est pas le maître laborieux qui a conquis l’un après l’autre tous les secrets difficiles de l’art, mais tout à la fois un écolier et un maître, un écolier de génie qui a deviné avant d’avoir su. Il est certain qu’on ne vit jamais d’inspiration moins objective que la sienne, que jamais confidence poétique ne fut plus spontanée, plus libre, plus complète, que non seulement elle vit tout entière dans son œuvre, mais que nous la sentons présente, mystiquement présente dans le moindre mot qu’elle écrit. Elle est l’unique sujet de ses poèmes. Tous les moments de son inspiration émanent d’elle, sont elle-même, et, depuis les premiers romantiques, que le lyrisme avait enivrés comme une liberté nouvelle, depuis Lamartine ou Musset, jamais le flot de la poésie intérieure ne s’était répandu aussi librement.
                           Ce retour au romantisme fut, il y a dix ans, le caractère évident du mouvement poétique. Ce qu’on a nommé l’humanisme ne fut qu’un romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes l’influence verlainienne restait sensible, et madame de Noailles en est restée, à ce que je crois, totalement exempte. Elle n’est guère qu’une romantique, et c’est de Musset que je la verrais proche, un Musset qui ne cherche pas l’esprit, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare.

                         Il faut cependant marquer, dès à présent, quelques différences essentielles. Sans doute, le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même de Hugo est un lyrisme purement personnel. Mais si le poète se chante lui-même, il ne chante pas pour lui seul. Le poème, sorti d’un homme, vaut pour tous les hommes. Les souffrances, les inquiétudes, les espérances qu’il exprime ne sont pas particulières au poète, elles sont le lot commun de tous les hommes, au moins de toute une génération humaine, et le cri qu’il pousse se multipliera dans un innombrable écho. Toutes les idées qui ont alimenté le lyrisme romantique sont des idées humaines au sens le plus général du mot. Qu’il s’agisse de la position de l’homme vis-à-vis de la nature, de la société, de la religion, de la destinée, du bonheur, ces problèmes se posent également pour toutes les pensées. Ils intéressent l’homme abstrait, l’intelligence en ce qu’elle a de nécessaire et d’universel, ils intéressent l’âme humaine. Le rêve romantique, le chant romantique, même en ce qu’ils eurent de plus spécial ou de plus neuf, furent le rêve et le chant communs d’un moment de l’humanité. Et le mal romantique, s’il ne fut pas comme on l’a dit le mal d’un siècle, fut du moins celui d’une génération.
                          C’est à bon droit que les romantiques ont reconnu et proclamé si fièrement la fonction représentative du poète. Vraie ou fausse en son essence, la théorie était convenable à leur cas. Ils ne chantaient que leur souffrance ou leur joie, mais en eux la foule muette des hommes trouvait sa voix. Rien de pareil chez madame de Noailles. Sa poésie sort d’elle-même et retombe en elle, comme l’élan du jet d’eau dans le bassin. Son éternel sujet, c’est sa personne, mais dans ce qu’elle a de particulier, d’unique, non dans ce qu’elle a de commun et de général. L’aliment de son lyrisme n’est pas ce qui dans chaque être est semblable aux autres êtres, le fonds indivis de sentiment ou de pensée qui supportait, jusqu’à elle, la poésie, aussi bien que la science ou la philosophie, mais bien ce qui dans chaque individu est distinct de tous les autres, la force inexplicable et irréductible qui fait la personnalité.
                          L’inspiration lyrique s’est toujours ramenée à un nombre limité de thèmes uniformes, et ce qu’il y a d’analogue entre tous ces thèmes, c’est qu’ils posent soit l’accord, soit le conflit d’un des sentiments généraux de l’âme avec une force ou avec un état extérieur. Si fâcheux qu’il soit d’employer hors de propos le vocabulaire philosophique, il sera peut-être permis de dire que toutes les situations lyriques se réduisent soit à une harmonie, soit à une antinomie entre le sujet et l’objet. L’amour, par lui-même et pris en soi, n’est pas proprement un thème lyrique. Ce qui est lyrique, c’est l’accord ou le désaccord de notre amour avec son objet, c’est la joie, ou la souffrance, ou l’attente, ou la déception de l’amour. Le sentiment de la vie, par lui-même et pris en soi, n’est pas un sentiment lyrique. Ce que les lyriques ont chanté, c’est l’interrogation de l’âme devant la vie, c’est son inquiétude ou son effroi, sa confiance avide ou sa peine désabusée. Le sentiment de la nature, par lui-même et pris en soi, n’est pas un sentiment lyrique. Ce qui est lyrique, ici encore, c’est l’imprécation ou l’invocation, la révolte ou l’anathème ; c’est le contraste entre la souffrance du cœur et la placidité des choses, entre la permanence de nos passions et la mobilité de leurs formes, ou bien le rapport inverse, ou tous les rapports que l’on voudra supposer, et dont précisément les romantiques ont varié l’invention avec une si belle fécondité.

                           Il semble donc qu’il y ait toujours eu quelque chose d’alterné dans le chant lyrique. Le poème lyrique apparaît à l’ordinaire comme un dialogue, dialogue avec l’être aimé, avec la vie, avec la mort, avec le bonheur, avec les puissances naturelles. Et voici qu’en trois volumes de vers, madame de Noailles exhale un long solo où l’on n’entend jamais parler qu’une âme. Il y a là des vers d’amour, sans doute, bien qu’assez rares, mais où il semble que la force du désir s’élance seule, comme un cri sans écho à qui rien ne répond. C’est l’amour dans son essence et qui se suffit par son expression même, l’amour qui n’eut le pouvoir ou le besoin de se fixer sur personne, privé du moins de tous les signes qui révéleraient la présence, la réponse secrète de l’être aimé. Nul poème ne traduisit plus intensément que ceux-là le sentiment de la vie, mais c’est la vie d’un être à qui la conscience de sa propre réalité suffit, qui ne vivrait pas moins s’il était seul vivant au monde, et cette certitude, cette volonté d’exister qui sort du plus intime de sa substance gonfle sa personne sans jamais s’en échapper. Le sentiment de la nature emplit l’œuvre entière, mais c’est une nature qui se contente de germer et de fleurir pour le poète, qui n’est là que pour qu’il la goûte et la respire, qui se répand et s’absorbe dans chacune de ses sensations. Comment s’opposerait-elle à ses passions ou à ses caprices, quand elle n’est que sa créature obéissante, et comme le prolongement de ses membres ou de ses sens ? Ainsi, aux scènes habituelles du lyrisme il manquera toujours un acteur. Le poète reste toujours seul, sans d’ailleurs se croire jamais appauvri par sa solitude.                   

                          Nul conflit, nul contact avec les réalités extérieures, et ce qu’il exalte ou caresse en lui-même, ce n’est pas ce qui le rejoindrait aux autres hommes, mais ce qui l’en distingue et l’en sépare, ce qui le fait unique, vivant pour soi-même et ne ressemblant qu’à soi.
                         Je m’excuse d’avoir insisté sur cette explication, qui n’est pas sans quelque obscurité, mais peut-être nous a-t-elle conduit assez près du secret de madame de Noailles. Au reste, c’est ce que madame de Noailles a saisi plus clairement que personne, et par le même détour, c’est-à-dire en se distinguant elle-même des poètes en qui le lyrisme moderne s’est le plus richement exprimé. Elle est allée rêver dans le vallon de Lamartine et, avec plus de précision et de sûreté qu’aucun critique, elle a marqué par quoi la poésie lamartinienne différait de sa propre inspiration. « Mes souffrances, dit-elle à Lamartine, ne sont pas les vôtres, ni mes pensées ; vous n’avez pas connu cette pure ardeur de vie, ce besoin d’être, d’être toujours et sans fins, d’être, d’être.

                          « Vous aviez des frères dans le monde et vous cherchiez un guide au ciel. Mais moi, je n’ai fait qu’errer seule dans l’éternité vide. J’ai su que tout désir, tout amour, toute flamme
S’élançait de mon âme et rentrait dans mon âme,Que mes Dieux sont en moi, qu’ils mourront avec moi... »

                            Cet isolement splendide doit inspirer naturellement un grand orgueil. La solitude, quand elle n’accable pas, agrandit et exalte ; elle accroît, quand elle n’est pas stérile, la puissance et la joie de la création. Aussi ne convient-il pas, bien que cet exercice soit aisé, de railler l’orgueil de madame de Noailles. Il est tout à la fois la condition et la conséquence du mode d’inspiration lyrique qui lui est propre. Se sentir seul vis-à-vis du monde, et sentir la totalité du monde en soi, être non seulement le compagnon unique, mais l’animateur de la terre, du soleil, des étoiles, se promener en maître dans l’univers déserté comme Robinson Crusoé dans son île, c’est de quoi hausser l’orgueil du poète qu’un tel rôle n’accablera point.
                            Il faut insister cependant sur cette poésie de la nature, à quoi correspond ce qu’il y a de plus connu et de plus complet dans l’œuvre de madame de Noailles, ce qu’il y a de plus stable dans son goût. La nature, à ses yeux, n’est aucunement inanimée. Elle la personnifie, on pourrait presque dire qu’elle la virilise. Son désir d’être possédée par elle est bien un désir ; son amour est presque un amour charnel. Il y a comme un érotisme lyrique dans ses bucoliques ou ses paysages. Cette inclination est si marquée que l’amour de la nature et l’amour humain lui paraissent présenter une identité dans leur essence, une équivalence, ou même une communauté dans leur expression. Il lui semble qu’on puisse passer de l’un à l’autre, changer l’un pour l’autre, presque à son gré. Nous la verrons tour à tour abandonner les spectacles naturels pour les émotions humaines, y revenir, les quitter encore, et ce seront toujours, dans ces crises et dans leurs intervalles, les mêmes ardeurs, les mêmes clameurs, les mêmes appels, les mêmes extases. Elle confond dans son rêve, et même dans son émotion, un moment du désir, un moment de l’été.

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Jeune femme coiffée de verts lauriers nobles dits d'Apollon (Laurus nobilis L.)

d'Alphonse Mucha



                           Elle s’imaginera parfois que, d’avoir un instant déserté les jardins pour les hommes, quelque chose s’est terni dans l’éclat candide de ses sensations, que son attention, toujours exaltée, va rester désormais distraite, qu’elle n’est plus assez douce et docile pour s’ajuster encore au contact des plantes, des fleurs et des animaux. Nous l’entendrons s’en plaindre à la Nature, et la Nature ne la consoler qu’à demi. Nous la consolerions mieux. Nous lui dirions : « Toujours et partout, vous ne serez que vous-même. » Par une illusion contraire il arrivera que des émotions qu’elle avait faussement rapportées aux hommes ne contiennent finalement pas autre chose que l’appétit du soleil et la jouissance de l’été.                

                           Les mêmes thèmes se transposent complaisamment d’un ton à l’autre, les mêmes mots changent indifféremment d’objet ; l’inquiétude et l’angoisse restent semblables. L’âme du poète est renvoyée sans cesse d’un de ses reflets au reflet contraire, comme une flamme qu’on agite entre deux miroirs.
                           On pourrait opposer, trait pour trait et presque mot à mot, telle pièce des Éblouissements et telle pièce du Cœur innombrable. Voici l’abandon du poète au cœur d’un jardin matinal. Tout paraît s’unir pour la perfection de sa joie, l’azur, l’espace, l’éblouissement des chemins, l’attente des abeilles, le gonflement des prés, les jeux enivrés des oiseaux, — et l’on sent bien qu’ici je n’invente pas les termes ou les épithètes. — Mais une angoisse invincible fait trembler ses genoux et retomber ses bras. Ah ! ce n’est pas au fleuve de l’été qu’il pouvait apaiser l’ardeur pâmée de son rêve.
 

O brûlant Univers, je vais cherchant votre âme,
Qui n’est que dans les yeux et dans la volupté...

 

                             Et voici, dans une des pièces les plus connues, et d’ailleurs les plus parfaites, du Cœur Innombrable, voici qu’une jeune fille amoureuse traverse le même décor. La petite danseuse Bittô descend la colline pour rejoindre au bord de l’étang Criton le chevrier. Criton lui a dédié les présents classiques, un fromage, une noix sculptée, un panier de jonc, et la seule nouveauté dans cette offrande, c’est qu’au fond de son panier Criton mettra des prunes. La petite Bittô, s’abandonne aux bras de Criton, mais la voici déjà grave, pâle et triste, et le poète nous explique sa méprise. Ce qu’il fallait pour guérir le désir de Bittô, ce n’était pas « l’étreinte amère d’un chevrier » ; ce n’était pas l’amour d’un homme. L’objet secret de son souhait était «l’air, les fleurs, l’eau farouche... » L’amant qu’il vous fallait, c’était le tendre Été...

                             Dans l’Utopie de William Morris, News from Nowhere, on voit Ellen, la belle fille qui symbolise l’humanité affranchie, embrasser de ses bras hâlés le tronc des arbres et jusqu’au lichen qui fleurit la ruine d’un vieux mur. ce Oh ! oh ! que j’aime la terre, et les saisons, et l’air, et toutes choses, et tout ce qui vit !... » C’est le baiser de Bittô. Et dans toutes les variétés vivantes de la création, le poète ne lui laissera rien oublier. Tous les parfums, toutes les saveurs, toutes les couleurs recevront tour à tour son étreinte. Je fais cette remarque en passant, et je m’en dispenserais volontiers, tant elle est banale, si elle n’était essentielle. Mais comment omettre ici que cet appétit de la nature est servi par un appareil sensoriel d’une acuité et, si l’on peut dire, d’une originalité extraordinaire, par lequel les impressions les plus minutieuses, les plus fugitives sont retenues, aspirées, mélangées avec une finesse et une puissance égales, un appareil tellement sensible en un mot, ou tellement inventif, que chacune de ses pièces peut à la rigueur suppléer aux autres et qu’on voit communément madame de Noailles respirer une forme ou toucher du doigt une odeur.

                            C’est le baiser de Bittô. Et pourtant, chez madame de Noailles, l’accolade aux choses naturelles n’a pas, ne peut pas garder ce caractère tranquille et cordialement fraternel. Le baiser de Bittô reste un baiser d’amour, et toute l’ardeur, toute la souffrance de l’amour y passent, d’un amour qui ne peut se dépasser ni se franchir, puisqu’il est la forme immédiate du désir nu, du vouloir-vivre, — d’un amour toujours insatiable, puisqu’il n’est susceptible ni de saisir ni même de fixer son objet.
                            Comme on ignore, quand on aime, si le bonheur est ce que l’on reçoit ou ce que l’on donne, le poète ne sait plus si le jour lui prête sa splendeur ou la recueille sur son visage. Ces beautés, ces langueurs, ces douceurs complaisantes, sont une volupté qui défont son âme et dont elle va presque mourir. Quelquefois, son contentement sera plus sûr, plus reposé, plus calme, bien-être plutôt que jouissance. C’est une amitié, c’est le bonheur,Ce bonheur ébloui, que l’on éprouve en songe, Si candide et si doux,

                             Mais ce sont là de courts repos, et le plus souvent cette extase est aussi triste que celle des amours impossibles. Il y a des matins où le jardin « fait plus mal encore que la musique », rend plus sensible le chagrin,... Ce chagrin sans cause/Qui n’est jamais fini...

                            Il y a des soirs et des nuits où les jardins perfides avivent l’incurable blessure du cœur, et sur toutes les pièces finales des Éblouissements on entendra courir cette plainte lamentable et magnifique.
                           Il faut songer aussi que l’étreinte de la Nature, nous ne la recevons, ni ne la rendons pour l’éternité, puisque notre vie du moins n’est pas éternelle. Voici donc l’idée de la mort introduite dans ces ardentes bucoliques aussi naturellement, et avec la même intensité tragique, que dans le chant d’amour le plus sensuel. Il faudra mourir un jour, si fort qu’on se soit appuyé à sa vie. Je ne veux point citer les pièces où ce thème est développé avec une puissance particulière ; il remplit l’œuvre entière de madame de Noailles. Jamais on n’avait parlé de la mort avec une langueur si déchirante, car jamais la crainte de la mort n’a exprimé une attache si volontaire à la vie. Elle oppose à la mort inévitable la douce et affreuse résistance d’Iphigénie qui ne peut accepter l’injustice de son destin. Vraiment, il n’est pas juste d’avoir nourri tant d’ardeurs, tant d’extases, tant d’ambitions pour mourir un jour, comme tous les hommes, pour être soumise au temps et à la destruction. Elle du moins n’aurait pas dû...
                            Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !...
                            Elle n’était pas faite pour être morte. Elle n’était pas faite pour n’être pas jeune. Il est injuste qu’une vie comme la sienne ne possède pas pour se déployer l’infini de la durée. Il est injuste qu’avant la mort la saveur et la puissance de ses sensations doivent se trouver amoindries. Et voici le point de départ d’un nouveau thème que, depuis la première pièce de l’Ombre des Jours, madame de Noailles aura varié tant de fois. Oui, la jeunesse doit nous fuir un jour, si fort que nous l’appelions une fois disparue.       

                            La mort seule entendra notre clameur, viendra nous prendre, par pitié, et Heine avait déjà dit, je crois, que la mort doit sembler facile quand on eut le courage de vieillir. Nous aurons perdu cette jeunesse qui tient le plaisir de vivre dans ses mains, la jeunesse joyeuse, ardente et printanière, qui est tout le jeu de la nature, en qui réside toute la vivacité du désir. Quand la force du désir décroît, tout baisse, tout s’éteint, la lumière même paraît voilée. C’est aussi l’amour qui s’enfuit, c’est l’art, c’est la volupté de la musique, c’est l’amusement du voyage. Connaître encore toutes ces joies, les subir plutôt, sans la jeunesse, garder malgré soi cette vie diminuée, n’avoir plus « l’âge de l’été » ! Comment cela se peut-il ?
                           Et puis, il faut tellement se hâter, tant qu’on est jeune ! Rien n’est plus fugitif que la conscience de la jeunesse. Nous ne nous sentons jamais jeunes dans l’instant présent ; nous nous sentons moins jeunes qu’hier, et plus jeunes que demain. Peut-être qu’hier on pouvait encore attendre ; mais le temps nous menace ; il faut courir en avant de lui. Ainsi naît l’anxiété de saisir, d’aspirer, de retenir le moment qui se dérobe. Cette inquiétude, cette instabilité souffrante, on avait la folie de croire que la vie les apaiserait un peu, mais sans cesse elle les aiguise. Chaque jour, tant qu’on est jeune, l’esprit perçoit avec plus de force, le cœur souhaite avec plus d’ardeur ; chaque jour, la déception s’accroît avec l’intensité multipliée du désir. De là l’impatience précipitée du poète ; de là son espérance haletante, ses palpitations, ses battements, de là l’effroi sacré qui emplit son âme avide et stupéfaite. On se rappelle l’épigraphe des Éblouissements. « Le cœur me bat avec plus de violence qu’aux corybantes... » L’attente est si grande qu’elle semble présager comme une présence divine :
                         Mon âme est comme un bois où les Dieux vont venir.      

                         Les Dieux ne visiteront plus une telle âme ; ils y sont déjà passés ; ils y ont laissé leur souvenir exigeant qui décevra de tous les moments de la terre. Tous les désirs y accourront, si pressés qu’aucun n’y pourra demeurer ce long et grave » ; leur violence même fera leur inconstance et leur tourbillonnante mobilité. Toute l’énergie vivante de madame de Noailles se dépense ainsi à rechercher une sorte d’ubiquité sensible. Nous la voyions tout à l’heure appeler l’amour humain quand elle a la Terre, la Nature quand elle croit saisir l’amour. On pourrait marquer de traits plus précis cette insatisfaction naturelle. Dans un jardin d’Île-de-France il lui faudra évoquer l’Orient, le marbre blanc d’un quai, L’ombre d’un mimosa sur le sol décalqué...

                         Dans un verger fleuri du mois de mai passeront comme des regrets des apparitions persanes. Il faudrait être dans le même instant Turque, Persane, Grecque, Française ; il faudrait être tout et tout sentir à la fois, et le rêve même s’y refuse. Il faudrait enfermer dans ses mains toutes les puissances, tous les bonheurs, tous les paysages, tout l’avenir et tout le passé. Et quand nous aurions tout, tout nous manquerait encore, puisque rien de ce que nous saisissons n’est éternel, puisqu’on ne vit qu’une fois, puisqu’on n’a qu’une jeunesse.
                         Madame de Noailles a trop de force, trop de fierté dans sa volonté de vivre pour qu’on la sente jamais triste ; mais on ne la sent jamais contente. Il y a parfois des moments de halte, de rémission ; une sorte de béatitude végétale paraît l’absorber dans la tranquillité de la terre. Mais, dans ce bien-être, elle sent l’effroi de l’atteinte plus aiguë qu’il présage, et surtout ces répits sont rares, et brefs. Bientôt la course recommence, la course infatigable et toujours déçue, l’effort désespéré pour échapper à l’étroitesse du corps, à l’insuffisance débile des sens, pour sortir enfin de soi-même, pour apaiser ce désir toujours tendu sans possession ni jouissance, par conséquent sans arrêt et sans chute. Elle ne veut pas de repos, d’ailleurs, elle ne veut pas « être tranquille ». Elle sait que la flamme de son désir suffît pour en dessécher l’objet, mais c’est une joie aussi, une joie spirituelle, un « beau plaisir cérébral », que de sentir toute cette ardeur concentrée en elle, comme les rayons solaires dans une lentille, — une joie, dont elle se lassera comme des autres, et qui lui laissera parfois, comme au Moïse de Vigny, la lassitude de son rôle. Le microcosme n’a qu’à s’enfler pour devenir un univers ; porter un cœur comme le sien est aussi lourd que porter un monde. Nous l’entendrons, comme le Prophète accablé, réclamer à son tour le sommeil de la terre.



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Portrait d'Anna de Noailles par Ignacio Zuloaga


                         Permettez que je me repose un peu, dira-t-elle,
                         Délivrée enfin de cette extase/Ne portant plus le monde à mon cœur attaché...
Mais pourtant, c’est parce qu’il connaît la fragilité précaire de ses émotions que le poète en a voulu fixer l’ardeur éphémère ; c’est pour en immortaliser la force qu’elle a chanté.

"J’écris pour que, le jour où je ne serai plus,
On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu...
J’ai tenté, pendant de longs printemps,
Avec des phrases parfumées,
De fixer la tiédeur, l’ardeur, le goût flottant
Des choses que j’ai tant aimées."

                         Elle sait que cet espoir n’est pas supérieur à son génie, et c’est là beaucoup d’orgueil, mais, je le répète encore, cet orgueil n’a rien de littéraire. Cet orgueil n’est que la certitude de la mort, la volonté de survivre, la foi dans l’éternité d’une passion pareille à la passion anonyme et universelle qui la dévore. Elle sait qu’elle ne mourra pas tout entière, que sa puissance d’amour continuera sa route sous le ciel, qu’ « un élan ne peut être arrêté tout court ». Le monde ne l’oubliera pas, ce monde qui fut créé pour elle comme Béatrice pour Dante et Laure pour Pétrarque. La mer gardera le goût de sa douleur, « acre et salé comme elle ». Les collines, les oiseaux, la verdure et le gazon/Sentiront palpiter et fuir comme des ailes/Les ombres de ses mains qui les ont tant pressés.
                          Pour les hommes même, son chant subsistera comme une source éternelle d’orgueil et d’amour, et sa cendre « sera plus chaude que leur vie ». L’admirable pièce des Éblouissements, Course dans l’Azur, — qui rappelle, par le rythme et le mouvement, le Cheval de la Chanson des Rues et des Bois, — est vraiment un chant de triomphe, avec apothéose et anéantissement final dans le soleil.
                          Elle survivra donc dans la nature, si toutefois la nature lui survit, ce qui est moins sûr. De la nature et d’elle, laquelle souffrira le plus de la séparation fatale, laquelle doit se trouver, par sa mort, la plus dépouillée ? On ne sait trop.

 

Nature, je n’ai pas peur de mourir, mais vous,
 Quand vous aurez fermé mes yeux puissants et doux...
 Quels seront vos ennuis et votre solitude !...

                            Il ne faudrait pas s’étonner que la nature s’anéantît avec le poète, car existait-elle avant lui ? N’est-ce pas sa puissance seule qui a éveillé, suscité l’univers ? Sans doute, si l’univers ne fut que la projection vivante de son rêve. Et nous voici revenus à notre point de départ. Madame de Noailles est si bien seule au monde qu’avant elle rien n’était et qu’avec elle tout doit disparaître. Chacune de ses émotions a créé son objet, chacun de ses regards a éveillé un paysage. Elle déplace, à chacun de ses pas, un univers neuf et virginal. Son désir infini entraîne avec soi, comme une planète dans sa course, une atmosphère impalpable et incessamment renouvelée de sons, d’images et de couleurs. Elle ne passera jamais deux fois dans le même lieu, puisqu’on ne vit pas deux, fois le même instant. Tout prend pour elle la même importance, puisque tout est pareillement neuf et éphémère. Dans chacune de ses sensations se mêlent la joie de découvrir et la souffrance prévue de perdre. C’est par là qu’on pourrait lui trouver quelque parenté avec M. Pierre Loti, et le rapprochement se pousserait même assez loin. Le don propre de M. Pierre Loti est aussi d’éveiller en nous, par la violence et l’originalité des sensations exprimées, l’illusion d’un être neuf vis-à-vis d’un monde vierge. L’innocence de ses impressions est telle que les choses paraissent avoir surgi sur son passage, toutes fraîches, et pour lui seul. Mais la tristesse constante et théorique de Loti ne l’agite pas, ne trouble pas sa tranquillité ; il reste uniforme et placide, tandis qu’à chaque vers madame de Noailles succombe sous la fatigue de sa création. Et puis, à Loti, il faut le déplacement, le voyage, c’est-à-dire un aliment réel, un support concret. Madame de Noailles n’a besoin de rien, que d’elle-même.

                             Il y a probablement quelque artifice dans la construction que je viens d’esquisser, et son pire défaut est d’être logique. Je crois pourtant que ce procédé nous aura permis d’établir comme une table thématique assez complète de l’œuvre que nous cherchions à caractériser. À cet égard, je n’aperçois pas de différence sensible entre les trois volumes de vers qu’a successivement publiés madame de Noailles. Sur chacun d’eux indifféremment on pourrait reprendre et contrôler les résultats de l’analyse que j’ai tentée ; pour chacun d’eux, les diverses pièces qu’il comprend pourraient se disposer dans le même ordre autour des mêmes idées centrales. Prenez le plus ancien, le Cœur Innombrable ; tout ce que madame de Noailles dira jamais d’essentiel y est dit déjà. Dès ce premier volume, dès les premières pièces de ce premier volume, sont posés les thèmes principaux dont le travail prodigieux d’une imagination toujours contenue dans ses limites ne fera plus que varier l’éternelle répétition. Le poème liminaire Offrande à la Nature, d’ailleurs fort beau, contient à lui seul presque toute la substance lyrique qui animera, gonflera l’œuvre entière jusqu’à son plein épanouissement. Tout au plus, à la fin du volume, découvrira-t-on quelques pièces, inspirées peut-être par l’occasion et les circonstances, et qui, jusqu’à ce jour, semblent encore isolées, pièces sociales, ou plutôt humanitaires, dont les titres seuls, Fraternité, la Justice, les Malheureux, dénotent assez précisément l’esprit. Ces velléités un peu confuses ne se sont pas confirmées dans les volumes subséquents, et je n’entends nullement insinuer par là qu’elles manquent de sincérité ou de force, car on sent au contraire à madame de Noailles une âme prête à toutes les générosités ; mais je note qu’elles étaient accidentelles, et sans doute les accidents qui les avaient suscitées ne se sont-ils pas reproduits.
                            Sous cette seule réserve, on ne trouvera rien dans le Cœur Innombrable qui ne se trouve aussi dans l’Ombre des Jours, qui ne se retrouve encore dans les Éblouissements. Sous des aspects à peine variés les trois livres refléteront la même image. L’accent même change à peine ; les formes de développement, les moyens de rhétorique restent invariables. C’est toujours l’invocation, l’incantation, l’interpellation directement adressée à tout ce qui provoque pour l’instant le soliloque exalté du poète, le soleil, la mer, les étoiles, l’été, le matin ou le soir. Les épithètes et les images, bien que constamment renouvelées, appartiennent aux mêmes catégories d’objets et de mots favoris. Mais qu’on n’en conclue pas que dans le développement poétique de madame de Noailles les Éblouissements ne marquent pas un gain, et même une conquête : l’erreur serait grande. Sans changer d’espèce, et parfois sans changer de forme, un arbre grandit et peut donner des fruits plus beaux.
                           L’intervalle de quelques années qui a précédé la publication des Éblouissements a, sans le dénaturer, mûri le génie du poète. L’abondance même du recueil, sa profusion, comparée aux formes encore un peu grêles des autres volumes, suffirait à montrer la croissance, l’enrichissement intérieur. Tout a pris de la force et gagné du souffle ; au don s’est ajouté de la maîtrise. Ce recueil à la rigueur pourrait annuler les autres, s’y substituer, comme une hypothèse scientifique plus probable en remplace une autre, tant il est à la fois une continuation et un progrès. On n’y lira rien qui ne soit meilleur ; mais on n’y lira rien qui surprenne. La curiosité naturelle s’y surpasse par sa variété presque illimitée, mais le sentiment qu’elle exprime ou qu’elle évoque demeure fixe et immuable.
                          Cinquante pièces sur les jardins se distinguent chacune des autres par la différence de l’heure, de l’air, de l’odeur, de la plantation. Mais ce sont toujours les mêmes jardins dont le poète n’a pas voulu remarquer la gravité, la douceur, la mélancolie, des jardins sans pluie, sans ombre et sans vapeur, où brûlent confusément l’ardeur du soleil, l’ardeur du désir, l’ardeur de la jeunesse ; ce sont les mêmes appels, les mêmes émois, les mêmes extases courtes et élémentaires qui ne s’épuisent, ni ne se satisfont — et je vois bien que je me sers toujours des mêmes mots, mais ce n’est pas tout à fait ma faute.                  

                          L’inquiétude agrandie du poète s’élance à la recherche de nouveaux objets. Son imagination avide parcourt le temps et l’espace. Voici Venise, une Venise enflammée comme celle de d’Annunzio, si brûlante qu’elle en est insaisissable et qu’il faut s’éloigner de sa chaleur. Voici un soir d’Espagne sentant l’œillet, le poisson cru, la cannelle et le chocolat ; la Hollande, ses ports encombrés de vaisseaux et ses îles bocagères ; voici Constantinople, où peut-être on était faite pour vivre, où l’on eût été si heureuse qu’on n’eût pas chanté ; puis Damas, et ses eaux bruissantes, ses bracelets et ses colliers d’eau qu’on eût si bien tenus contre son cœur ; puis la Perse évoquée dans une suite de poèmes, dont certains (comme le Paysage Persan) sont polis et nets comme des quatrains de Gautier, dont les autres rappellent, avec leur réalisme exact, la grande liberté souple et nuancée des poèmes orientaux. La Grèce classique comparait à son tour : Paris fuyant avec Hélène, Hermione de Sparte, les prêtresses des Panathénées, « filles du chantant Homère », les vaisseaux qui rentrent à Athènes, Pallas Athénée implorée dans une prière qui n’a rien de commun avec celle de Renan. Ce rêve de voyage et de légende colore jusqu’aux paysages familiers. Une pièce admirable, pareille à quelque grande tapisserie à personnages, ou bien à ces fresques italiennes où une suite de tableaux accessoires circulent autour du motif central, peint l’Île-de-France à la fois dans ses aspects et dans son histoire, peuplée de grands hommes, de foules et de monuments. Le poète prend plaisir à anoblir la terre qu’il foule par le souvenir des grandes actions ou des grands hommes qu’elle porta. Il compose, dans leur décor, des biographies sentimentales. Il ressuscite Stendhal à Grenoble, Jean-Jacques aux Charmettes, et Lamartine, comme on l’a déjà vu, dans le « vallon » fameux des Méditations.
                           L’imagination créatrice du poète a grandement accru ses ressources. Et tout ce travail, plus varié, plus minutieux, charme par un mélange d’extrême raffinement et d’ingénuité naturelle. C’est ici, je crois, que madame de Noailles a tiré des circonstances combinées de sa naissance et de son éducation l’avantage le plus certain. Quand on porte en soi, comme elle fait, tant de sangs et de cultures mêlés, on peut se trouver chez soi partout, ou ne se reconnaître nulle part. A madame de Noailles tout est nouveau ; toute sensation, toute imagination lui procure la joie fraîche de la découverte, et l’on voit bien parfois qu’elle invente notre passé français comme la Pléiade inventait la Grèce. Il y a de la gaîté, de la jeunesse dans cette impression d’aventure et de nouveauté, mais une telle impression n’est que d’un moment. Le poète ne se distrait pas longtemps de lui-même. Le renouvellement des objets, le déplacement rapide des horizons vont aggraver encore en lui la conscience de son isolement et de son instabilité sentimentale. C’est en vain qu’on croyait changer, en cherchant pour les yeux ou pour l’esprit de nouveaux décors. Plus l’investigation fut curieuse, et poussée loin, plus la déconvenue sera grande. Et finalement les Éblouissements s’achèvent par des cris tels que jamais l’incurable douleur de madame de Noailles n’en avait jeté de si hauts. On la sent lutter, se raidir, s’efforcer d’être héroïque. Mais sa bravoure guerrière n’empêche pas qu’elle ne défaille sous le poids trop lourd. Les dernières pièces des Éblouissements sont le chant de l’amazone vaincue, qui succombe dans son entreprise impossible. Si violemment qu’elle se soit tendue vers d’autres pays, vers d’autres temps, vers d’autres rêves, elle n’a pu s’évader de sa personne. Elle se reconnaît impuissante à fixer, à rassembler sa volonté d’être et de durer.                     

                            L’art aussi l’a déçue ; il restera la même distance entre ses vers et les cris de son cœur qu’entre ses désirs et ses jouissances. Elle n’aura pu pleinement exprimer par son chant l’incapacité où elle fut d’exprimer sa vie. Rien d’elle ne peut s’épancher intact vers le dehors, et sa voix même l’aura trahie.

Mes vers, malgré le sang que j’ai mis dans vos veines...
Malgré les fruits, le vent, le miel des douze mois,
Malgré tout ce torrent qui coule en vous de moi,
Qu’avez-vous fait du suc et du sel de mon âme ?...
O mes vers assoupis, vous n’êtes pas moi-même,
Vous avez pris ma voix sans prendre mon ardeur.
Les plus longs aiguillons sont restés dans mon cœur,
Et nul ne saura rien de ma force suprême.

                              Nulle œuvre contemporaine n’aura provoqué de jugements plus discordants, et je n’ai pas besoin d’ajouter que tous ne furent pas amicaux. On a dit de madame de Noailles que l’intellectualité lui manquait, qu’il y avait chez elle plus d’instinct que de réflexion ou que de diversité spirituelle. On ramènerait volontiers son talent à un don d’habileté presque manuelle, et plus d’un de ses critiques l’a sans doute imaginée à la façon d’une princesse chinoise fixant, d’un trait indifférent, sur le papier ou sur la soie, la forme raccourcie et coloriée des objets. On a dit d’elle aussi qu’elle avait l’âme insensible et sèche, sans ouverture et sans pitié, et qu’un véritable don lyrique supposerait moins d’égoïsme, ou du moins un égoïsme moins apparent. Je n’estime aucunement que de tels reproches soient fondés. Ce n’est point de ses dons proprement intellectuels que madame de Noailles use le plus volontiers, mais on ne saurait les lui dénier sans injustice. Un roman comme la Nouvelle Espérance prouve assez l’étendue, la force et la pénétration de son esprit. L’avidité intellectuelle, le goût de savoir et de comprendre se manifestent dans ses vers moins complaisamment, mais aussi clairement, que l’avidité de sentir.

                             À toute occasion, et s’agît-il seulement de désigner d’un mot un événement ou une œuvre, elle témoigne du tact le plus curieux, de la justesse la plus ingénieuse. Il n’est pas plus exact que la sensibilité lui fasse défaut, et que chez elle le mécanisme sensoriel soit substitué à l’appareil sensible.               

                            Ce qui est vrai, c’est seulement que sa sensibilité s’est rassemblée, condensée tout entière sur un petit nombre de points, qu’elle a donc perdu en diversité ce qu’elle acquérait en intensité, et qu’il n’y a de place en elle que pour une classe limitée d’émotions constamment amplifiées. Mais, si les directions de sa sensibilité sont rares, si elle s’est frayé peu de chemins, c’est par préférence, et non par faiblesse ou par pauvreté.
                           On voit assez, d’ailleurs, quels sont les fondements véritables d’une telle erreur de jugement. Il y a des poètes dont l’inspiration pénètre directement en nous, et dans la pensée de qui nous croyons pénétrer à notre tour, des poètes dont il semble que rien ne nous sépare, dont l’émotion s’échange avec la nôtre sans effort. Madame de Noailles reste distante de nous par toute l’étendue de sa solitude. Elle est la Princesse des Contes de Fée, dont les chants ne nous parviennent qu’à travers les murailles de sa prison. Nous sommes enclins à méconnaître sa force intellectuelle parce qu’elle est isolée et ne communique pas avec notre intelligence, sa puissance émotive parce qu’elle ne se relie pas par une sympathie directe à notre sensibilité. Nous n’entendons que ses cris, et ils nous émeuvent ou nous déchirent, mais sans que nous en partagions la cause, comme une plainte animale ou comme des sanglots d’enfant. Nous ne nous substituons jamais au poète qui ne chante jamais pour nous. Et comment s’en étonner, puisqu’il ne connaît et ne saisit jamais que lui-même ? Il a pris superbement conscience de sa propre réalité, mais non pas de son identité profonde avec d’autres êtres, avec un univers également réels.               

                           Il n’a pas fait le cheminement souterrain par lequel il eût rejoint les racines des autres êtres. Il ne s’est élancé qu’en hauteur. Je m’excuse de ces métaphores peu cohérentes. J’en accumulerais volontiers de plus disparates pour rendre cette impression essentielle, à laquelle s’ajoute encore, pour le lecteur de madame de Noailles, l’accablement de ce qu’il y a d’extraordinaire dans ses dons. Non seulement nous nous sentons incapables d’essayer vers elle le rapprochement qu’elle n’a pas tenté vers nous, mais l’étonnement nous fait reculer plus loin encore. Nous contribuons autant qu’elle à sa magnifique solitude.
                           Ce lyrisme sans humanité, sans religion, — au sens où l’entendaient les romantiques, — où l’on ne trouve ni aspiration, ni besoin, ni foi, ni doute dont les autres hommes aient leur part, qui ne connaît ou ne touche hors de soi nulle raison de vivre, de souffrir ou d’espérer, ce lyrisme d’une sorte encore unique tient-il à un vice ou à une vertu, représente-t-il une force ou une faiblesse, faut-il l’exalter ou le condamner ? Je ne sais trop, et l’avenir en décidera mieux que nous. Mais je crois que là est la singularité, le don original, la raison d’être du poète, et c’est ce que j’ai tenté de marquer comme je l’éprouvais, plutôt que de porter sur l’œuvre un jugement purement littéraire. J’ai passé sur certains de ses défauts, plus évidents, ou dont j’aurais eu plus de scrupule à la défendre : l’inégalité, la surcharge, la confusion fréquente du développement, la bizarrerie du goût, ou plutôt la rébellion volontaire aux règles ordinaires du goût. De tels défauts sont peut-être la rançon d’une originalité aussi complète que celle de madame de Noailles. Ils font que, dans l’abondance de ses poèmes, un petit nombre seulement nous semblent parfaits. Mais ceux qu’une postérité prochaine retiendra comme les plus parfaits ne sont peut-être pas les mêmes que nous désignerions aujourd’hui. Et d’ailleurs, le plus beau et le plus juste privilège des poètes est qu’il suffise de bien peu de vers ou de stances pour faire durer éternellement leur nom.
                           Ce qui me paraît dès ce jour incontestable, c’est que, pour la première fois depuis Baudelaire et Verlaine, madame de Noailles aura fait entrer dans le patrimoine commun des poètes des sensations et des expressions nouvelles. L’historien futur de la poésie française pourra dater à coup sûr :                         «Cela est d’avant ou d’après madame de Noailles », comme nous disons sans nous tromper : « Cela est d’avant ou d’après Les Fleurs du Mal. » Il y a des émotions que, jusqu’à elle, personne n’avait cru dignes d’être notées, et d’autres que personne n’avait été capable de noter. Il y a des mots qui, jusqu’à ce qu’elle les introduisit dans le vocabulaire poétique, dormaient obscurément dans le dictionnaire ou dans l’échange fugitif des conversations. Je ne fais ici nulle allusion à la Muse botanique et potagère, que des juges trop rapides tiendraient volontiers pour l’unique inspiratrice de madame de Noailles. Une seule pièce du Cœur Innombrable, qui prête en effet un peu trop aisément à la parodie, a créé cette confusion, mais ne saurait suffire indéfiniment à l’entretenir. Il reste convenu que madame de Noailles fut la patronne lyrique des légumes et des fruits, et ce mérite à lui seul ne serait pas indifférent, mais elle en possède un plus rare, qui est d’avoir créé un nouveau lyrisme intérieur, et d’avoir trouvé pour le traduire des expressions en partie nouvelles. Et, de même que j’ai tenté d’établir la suite des émotions qui lui sont propres, on dresserait sans peine le catalogue des mots. Cette impression est si certaine, qu’en ouvrant l’un quelconque de ses recueils, l’un quelconque de ses poèmes, elle saisit le lecteur non prévenu, et qu’elle subsiste et domine encore après l’étude la plus minutieuse. Le bonheur ne fut donné qu’à peu de poètes, d’annexer quelque chose de nouveau au répertoire sensible et à l’assortiment verbal du lyrisme.        

                            Madame de Noailles a été digne de ce bonheur. Elle a étendu les limites de l’empire poétique. Elle a conquis des espaces neufs, encore un peu désertiques, semble-t-il, comme les terres trop récemment découvertes, mais où elle est bien elle, bien chez elle, et où pour longtemps, en dépit des imitateurs, elle est destinée à régner seule.


                                                                              LÉON BLUM



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Regards sur "Deux êtres qui luttent" réunis en une seule et même personne,
"tantôt nonne, tantôt bacchante" *1 : enchanteresse éblouissante,
"Prêtresse du soleil et du sommeil"



"J'ai moi aussi aimé la beauté,
je l'ai contemplée et louée dans l'univers infini.
C'est elle qui élève et guide les pas de l'homme,
qui le réjouit par le plaisir aux mille visages contradictoires,
qui alimente la force de l'intelligence, la sage folie du cœur." [...]


"j'étais comme ces ivrognes qui aggravent leur mal en buvant en route,
mais qui étaient déjà ivres au départ.
Je suis née ivre, et j'ai vécu toujours altérée
de véhémence et de douleur." *

Anna de Noailles



Acte II


Florilège de témoignages élogieux suite


a) "1er mai 1933"
Article de journal sur la mort de la comtesse de Noailles
de Jean Cocteau


                             
                            

                             Je viens de perdre une sœur qui comme moi vivait dans une chambre close ; et de chambre en chambre, nous possédions un tunnel mystérieux où nous circulions à merveille sans avertir personne.
                             Cette petite femme était grande entre les grandes. Je l'imagine, ce matin où les embaumeurs la changent en elle-même, comme une Thaïs, une Sapho couchée dans les bras de sa lyre, parmi les colliers de turquoise qu'elle maniait de ses mains violentes et de ses doigts de fleuriste.
                             Beaucoup de jeunes gens ne savent plus comprendre le miracle de cette figure, morte d'épuisement après une vie ravagée par la gloire et par le monologue d'une conversation qui cesse aujourd'hui pour ses intimes et commence pour le monde entier.
                             Figure de Christ espagnol, de jeune Bonaparte, d'énigme  d'Antinoë, oiseau du Nil, sultane voguant désormais sur le fleuve illustre, dans un sarcophage pareil aux gondoles de Venise.
                             Un jour une jeunesse nouvelle verra que toute autorité l'emporte  sur la cruauté des modes, et adorera cette prêtresse du soleil et du sommeil.
                             Éteinte un dimanche à deux heures, je suppose qu'elle eut le temps, cette assoiffée de grandeur, d'organiser pour le soir même la rencontre des immortels qui furent ses guides.
                             Au revoir, Anna, je vais essayer de vivre de telle sorte que vous voudrez bien continuer à m'aimer après ma mort.

b) Chronique critique de l'ouvrage de Jean Cocteau
"La Comtesse De Noailles Oui et Non"
par Maurice-Pierre Boye




                                 

                                  SUJET.- Tout ceux qui connaissent les trois premiers recueils de Jean Cocteau, si rapidement reniés par leur auteur et si difficiles à trouver aujourd'hui, savent à quel point l'influence d'Anna de Noailles  fut grande et profonde sur le futur poète de "Vocabulaire" et de "Plain-Chant". Cette influence éclate avec sa juvénile "Danse de Sophocle". Nous sommes en 1913; Cocteau, qui n'a pas encore vingt ans, admire également- il l'a avoué- Hérédia, Mendès et Rostand. Mais tout va changer rapidement et Cocteau, avec le "Cap de Bonne-Espérance", composé de 1916 à 1919, trouvera sa voie véritable.             
                                  Cependant, s'il change de dieux, il gardera toujours un culte secret pour le chantre de "Forces Éternelles". Il est vrai que, de toutes ses admirations d'adolescent, celle pour Anna de Noailles fut la plus valable, et cette admiration, nous sommes nombreux encore à la partager. Alors que, au seuil de la vieillesse, Cocteau voyait s'effacer un peu plus chaque jour la gloire, qui fut si grande, de la comtesse de Noailles, il a tenu à élever un petit monument à sa mémoire, fait de fidélité et de ferveur, et d'autant plus émouvant qu'il voit le jour après la mort de celui qui le suscita ! Il s'agit en réalité d'une sorte de recueil anthologique. Cocteau n'y participe que modestement, avec de trop courtes pages de souvenirs auxquelles  Emmanuel Berl ajoute les siennes, trop rapides également. La participation de l'héroïne, elle, est beaucoup plus étendue, avec un choix intelligent de ses poèmes et de ses proses. Parmi les autres textes repris, citons le beau discours de Colette à l'Académie Royale de Belgique, où elle succéda à Anna de Noailles. le portrait qu'elle nous en donne est prestigieux.
                                   VALEUR.- Tel qu'il est disposé, en dépit de son disparate, cet ouvrage plaira aux fanatiques de la grande poétesse disparue. À la formule :"Oui et Non", nous répliquerons oui tout court. Cette femme de génie se doit de survivre.
                                   Librairie Académique Perrin, 1964




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III


Blason de la poétesse Anna de Noailles par François Mauriac

ANNA DE NOAILLES EST MORTE.



                          
                        

                            Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence. Auprès des autres, nous cherchions l'apaisement, la lumière; ou nous leur demandions d'être bercés et endormis. Mais elle attirait à soi les passions qui ne veulent pas guérir. Quelle tentation, pour un jeune cœur, que de découvrir Dieu au-delà de l'assouvissement !
                            Admirée, adorée, chargée et comme accablée de tous les dons humains, elle nous précédait de dix années dans la vie, pour que nous fussions avertis que posséder tout, c'est ne rien avoir, et qu'il ne sert à rien de gagner l'univers. L'univers, elle l'avait pondant capté dans ses poèmes où Venise, Sorrente, la Sicile nous semblaient plus chaudes et plus odorantes que dans le réel. Mais de tous les jardins du monde, elle rapportait les seules herbes nécessaires pour composer le philtre qu'Iseult partage avec Tristan et elle nous le faisait boire. Elle n'a jamais distingué l'amour de la mort. Son exigence débordait infiniment l'amour humain. Dans les poèmes admirables qui ouvrent le recueil les Vivants et les Morts, elle sut nous rendre sensible la fuite de la créature aimée, même tenue et pressée entre nos bras :
Quelque chose de toi sans cesse m'abandonne,
 Car rien qu'en vivant, tu t'en vas...
                           Cette trahison, en pleine fidélité, de l'être qui s'écoule, qui se défait; ce mensonge de la vie, elle fut la première à nous en persuader. Notre vingtième année lui doit d'avoir connu cette disproportion entre le désir du cœur et ce qu'il poursuit jusqu'à épuisement. Il ne servait de rien à notre jeune passion d'atteindre son objet, puisqu’elle n’en épousait jamais les contours. La beauté, enfin appréhendée, ne ressemblait pas à celle -qui nous avait fui : Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts, Regarder quel éclat a votre vrai visage, Et si vous ressembler à ce que j'ai souffert.
                           Ce défaut de conformité entre l'amour et l'objet de l'amour éveillait en nous une douleur qui, devenait l'amour même, ou du moins, tout ce qu'en dehors de la volupté il nous était donné d'en connaître. Par l'unique douleur, l'amour humain prenait conscience de lui-même, au point que, si nous ne faisions pas souffrir, nous ne savions pas que nous étions aimés. Les amants ne se connaissent qu'au mal qu'ils se font qu'aux coups qu'ils se portent. Toute la misère de l'attachement aux créatures tient dans ce vers impérissable :                      
                          La paix qui m'envahit quand c'est vous qui souffrez.
                          Et cependant, rien n'arrête, puisqu'ils sont vivante, l'incessante dissolution de ces deux corps qui se cherchent. En vain le poète s'efforce-t-il de fixer l'instant et le lien de sa joie :
                         La terrasse est comme un navire
                         Qu'il fait chaud sur la mer ce soir !
                         Rien n'est immobile; tout parapet devient une proue ; la nature entière bouge comme le vaisseau de Tristan et entraîne à la mort le couple éphémère.
                         Dès sa jeunesse, ce bel aigle avait regardé la mort en face. Pareille aux grands romantiques, elle n'en a jamais détourné les yeux. Et c'est ce qui rend sa mort si étonnante. Pour la plupart des hommes, mourir est un accident : ils trébuchent et disparaissent dans la trappe comme des bêtes surprises.
                         Mais de celle-là qui, depuis tant d'années, contemplait et, si j'ose dire, veillait sa future dépouille, le silence, l'immobilité déroutent l'esprit. Je répète à cette endormie le mot du Christ après la Cène, lorsqu'il interroge ses disciples : " Vous croyez, maintenant ? " [...]
                        Durant toute une vie, aura-t-elle contemplé la mort en vain ? A cet esprit, l'un des plus avides que nous ayons connus, la mort ne révéla rien de ce que dissimulent ses ténèbres. Penchée depuis l'enfance sur ce gouffre d'éternelle clarté, Madame de Noailles a toujours donné son cœur et son consentement à la nuit. Pourquoi, en dehors d'un imprévisible miracle, sentions-nous qu'il en devait être ainsi ?
                        Elle-même paraissait terriblement sûre de ne jamais succomber à la tentation de Dieu, comme si elle eût été tirée sur la berge, très loin du courant de grâce où beaucoup de ses jeunes frères se sentaient entraînés. Elle paraphrasait en vain Pascal dans de sublimes Élévations. Elle dressait en vain vers Dieu l'holocauste de ses poèmes : Mon Dieu, je ne sais rien, mais je sais que je souffre !
                        La fumée du sacrifice était rabattue vers la terre. C'est qu'il ne sert à rien d'interpeller Dieu si nous ne l'écoutons pas. L'attention dans le silence est un aspect trop méconnu de la prière. Ce cœur innombrable, ce cœur retentissant ne se taisait jamais. Cet essaim bourdonnant, que pouvait-il entendre, hors son bourdonnement admirable ?
                       "Il faut d'abord avoir soif " ; ce mot de Catherine de Sienne que Madame de Noailles inscrivit en exergue du Poème de l'amour - quelle triste habitude nous eûmes tous de dérober aux saints leurs plus pures paroles, pour faire le jeu de notre passion - ce mot l'aurait sans doute éclairée, si elle l'eût ainsi compris : "Soif de ce silence où Dieu nous parle. " Peut-être alors eût-elle entendu la parole intérieure qui fut adressée à Catherine de Sienne : "Tu es celle qui n'est pas..." C'était le mot de l'énigme, et Madame de Noailles ne l'a pas trouvé. Elle est demeurée inguérissablement elle-même, aveuglée par sa propre lumière. À l'entour, les planètes humaines ne lui apparaissaient que dans l'éblouissement de ses rayons.

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Portrait d'Anna de Noailles par Ignacio Zuloaga

                        La jeunesse s'éloignait ; les nouvelles générations portaient leur encens à d'autres idoles ; autour de cette femme étendue, une terrible cognée abattait ceux qu’elle chérissait le plus. La solitude et le silence prirent ainsi possession, par la force, de cette vie tumultueuse jusqu'à ce qu’elle fût définitivement immobilisée, crucifiée à la maladie. N'allons pas au delà ; agenouillons-nous devant ce mystère des derniers jours où, vaincue enfin, dépouillée de toutes ses armes, cette grande inspirée reçut peut-être les seules inspirations qui lui fussent inconnues, celles qui ne s'obtiennent, nous enseigne Pascal, que par les humiliations. […] C’est une dangereuse épreuve que l'excès de bonheur. Les anciens n'avaient pas tort de redouter une chance trop constante ; la créature comblée finit toujours par être accablée.
                        Il est des êtres sur qui le bonheur humain s'acharne, comme s'il était le malheur, et, en vérité, il est le malheur. Ce grand poète qui vient de s'endormir, nous l'avons vu dans l'éclat de sa jeune gloire. D'autres femmes étaient belles, mais elle seule possédait cette beauté que le génie transfigure. Princesse dès le berceau, elle reçut, au jour de ses noces, un des plus grands noms de France, et des plus glorieux; mais à peine l'eut-elle porté, que l'éclat de son génie obscurcit les fastes de cette famille illustre.
                        Désormais le nom de Noailles n'évoquera plus le vainqueur de Cérisoles, ni cet archevêque de Paris, ami secret des jansénistes et pour qui Racine écrivit l'histoire de Port-Poyal, ni trois maréchaux de France, mais une jeune Minerve revenue de toute sagesse, docile au seul vertige, et qui, comme l’Euphorion de Goethe, s'élance à corps perdu "dans un espace plein de douleurs."
                        Qu'elle était heureuse, cette désespérée ! Son génie jouissait de lui-même, à chaque instant de sa vie ; et non pas seulement lorsque, poète, elle cédait, dans le secret, à ses sublimes inspirations; car elle régnait aussi par la parole. Dans ces beaux jours de notre jeunesse, dès qu’elle apparaissait, nous nous pressions autour d'elle toujours accablée, mais dont l'épuisement même entretenait l'ivresse. Elle faisait rire aux larmes des adolescents que ses poèmes enivraient de tristesse, le soir, dans leur chambre solitaire. Furieuse et joyeuse abeille, elle fonçait soudain sur ses victimes, car elle voyait le ridicule des gens, selon le mot de Saint-Simon, « avec cette vérité qui assomme ». Insoucieuse du dard qu’elle laissait dans la plaie, la téméraire ne se méfiait pas de cette terrible mémoire qui est celle de l'amour-propre humilié, pareille à cette dauphine Marie-Antoinette, à cette jeune reine adorée, mais qui charmait moins de cœurs queue n'en blessait.
                        Tant qu'une seule chose nous manque, nous espérons l'atteindre et le désespoir reste impossible. Mais rien ne manquait à cette reine de notre jeunesse; et elle obtint donc, par surcroît, le désespoir si nécessaire aux poètes. Il faut tout avoir, pour ne tenir compte de rien, tout posséder, pour avoir le droit de tout mépriser. Il n'y a pas de détachement possible sans possession, car comment nous détacher de ce que nous n'avons pas ?
                        Aucun humble désir, aucun "manque "ne détournait de penser à la mort cette créature idolâtrée, envers qui le destin se montrait perfidement prodigue. Nul médiocre souci ne la divertissait de son unique disgrâce, la seule dont aucune puissance, sur la terre ni dans le ciel, ne la pouvait délivrer : cette disgrâce d'être née mortelle et de ne donner son cœur qu'à des créatures aussi éphémères qu'elle-même. L'écoulement, la fuite, la dissolution de l'être adoré devint ainsi le motif essentiel de cette poésie, si longtemps consacrée à tous les ciels et à tous les jardins du monde. Le thème bergsonien de la durée - qui devait trouver, grâce à Proust, sa transposition romanesque - fournit à cette porteuse de lyre une source de sublime...
                       […] Jusqu'à ce jour où il devint visible que le temps altérait aussi le seul de ses biens quelle aurait cru inaltérable : sa gloire. Dans le tumulte de son long triomphe, rien ne l'avait pu préparer à cette épreuve inévitable et qui n'épargne aucun créateur ni, surtout en France, aucun poète, car c'est la politique, et non la poésie, qui fit du vieil Hugo l'idole de la France !
                      "Ce grand supplice, la vieillesse ! " notait Michelet à son déclin. il aurait pu dire : ce supplice sans cesse grandissant, l'approche même encore éloignée de la vieillesse ; oui, le pire des supplices pour ceux, du moins, dont la route glorieuse ne monte pas vers Dieu; supplice qui, pour être supporté sans cri, exige un courage d'homme, une raison d'homme. Dans ces ténèbres où il aurait fallu qu’elle fît un acte de foi dans son génie, la triomphatrice de naguère ne nous apparaissait plus que comme une pauvre femme, stupéfaite, anxieuse.
                      C'est que, dans l'orgueil des poètes, il ne faut voir qu'une apparence. Il n'en est aucun, même parmi les plus grands, qui ne doute de soi, que la moindre critique ne trouble, qui n'ait besoin, comme de pain et d'eau, d'admiration et de louanges. Mais nous, qui étions sûrs que l’œuvre de Madame de Noailles vaincrait le temps, nous nous irritions de la sentir si démunie. Hé quoi ! il ne lui suffisait pas de relire les Vivants et les Morts pour consentir à l'indifférence des jeunes barbares d'après la guerre ?
                      C'était l'époque où, après un long temps d-incubation, le virus de Rimbaud se manifestait dans la poésie française; l'époque où un jeune insolent disait devant moi à Madame de Noailles : " On ne fait plus de vers, aujourd'hui, madame !", l'époque enfin où, dans la lignée de Mallarmé, se manifestait un poète attentif à la valeur et au poids de chaque mot, ennemi de toute facilité. Dans les premiers jours après l'Armistice, je me vois encore, chez le libraire Floury, lisant d'un trait la Jeune Parque de ce Paul Valéry […] aux antipodes du "Cœur Innombrable " et des "Éblouissements ". Mais il y a, chez les Muses, beaucoup de demeures ; et dans ce temps où je me sentais proche encore de mes belles années, bourdonnantes de tous les poètes, les dieux nouveaux n’empiétaient pas sur mes anciennes adorations.
                      Aucun de nous qui ne soit demeuré fidèle à celle dont la poésie fut la voix même de notre jeune passion. Peut-être aurions-nous dû le lui redire; mais nous ne pensions pas que cette. immortelle eût besoin d'être rassurée.

                     Cette apparente désaffection, ce silence que le monde fait autour d'une destinée qui décline, heureux sont ceux qui ne le redoutent pas et qui même l'attendent avec une anxieuse espérance. Il est bon qu'avant que nous le quittions, le monde nous quitte. Autour du vaisseau qu'on va lancer à la mer, toutes les amarres, l'une après l'autre, sont rompues ; il demeure immobile, il ne glisse pas encore, quoique plus rien ne le retienne. Bénie soit la vieillesse qui nous détache longtemps à l'avance, afin que le passage à l'éternité s'accomplisse sans déchirement. En haine de la vieillesse, le monde renonce à nous qui n'aurions peut- être pas la force de renoncer à lui. Puissions-nous en ces jours-là, lui rendre grâce d'obliger la frivole créature à demeurer seule en face de son créateur. "Quand on vieillit, notait René Bazin à la veille de mourir, quand on vieillit, tout s'en va, mais Dieu vient ! "

                     Il vient, mais son approche est différente pour chacun. Peut-être - je l'ai toujours cru - ne traite-t-il pas les poètes comme les autres hommes. Tout se passe comme si les poètes avaient une mission particulière, un exemple à donner et que seuls ils peuvent donner ; comme si leur vie, telle quelle est, était voulue. Tous, qu'ils aient cru à la vie éternelle ou qu'à l'exemple d'Anna de Noailles ils l'aient niée, ils attestent la grandeur de l'âme humaine, sa vocation divine. Les poètes m'ont toujours défendu contre le doute : même couverts de boue, comme Rimbaud et Verlaine, ils, éveillent,-en nous le sentiment d'une pureté édénique, d'une pureté perdue qu'il nous faut retrouver dans l'abaissement et dans les larmes. Battus de tous les vents, ruisselants de tous les embruns, ils sont bien des "phares ", ainsi que Baudelaire les appelle, immobiles sur leur rocher, incapables en apparence de se sauver eux-mêmes, ils brûlent dans les ténèbres, mais notre route est inondée de leur lumière.
 
                     Aussi éloignés qu'ils paraissent les uns des autres, ces inspirés bien-aimés gardent entre eux un air de parenté, une ressemblance mystérieuse. Les trimardeurs terribles, Verlaine, Rimbaud et la comtesse de Noailles, née princesse de Brancovan, ont une vocation commune d'ardeur, de souffrance et de grandeur humiliée. La chambre sordide où Verlaine mourut, nu, la face contre le carreau, je la confonds dans mon esprit avec la pauvre chambre -meublée, rue Hamelin, où j'ai vu Marcel Proust étendu; avec la chambre de la rue Scheffer, où un " cœur innombrable " a fini de souffrir.

 

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Tableau peint par la poétesse qui pratiquait la technique du Pastel

privilégiant les motifs floraux


                          

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HISTOIRE COURTE 14 (première partie)

Après avoir entendu dans un demi-sommeil la porte de rue claquer et avant même d'ouvrir les yeux, Rita tatonne vers la table de nuit pour s'emparer du pot de crème de beauté et s'en enduire le visage et le cou.

 

Ensuite, elle étire ses membres avec satisfaction et entrouvre les paupières.

 

Le soleil qui filtre à travers le store lui fait cligner les yeux, mais elle ouvre le tiroir et s'assure que le chèque est toujours là.

 

Alors un soupir d'aise lui échappe et un grand sourire vient retrousser ses lèvres. Elle repousse le drap de soie et ses pieds, qu'elle a menus, frôlent la moquette grise à la recherche des mules de velours.

 

Souple, Rita se redresse et sort du lit avec vivacité.

 

Après un détour par la salle de bain, tout en enfilant son peignoir de satin vert d'eau qui met en valeur sa peau bronzée et sa chevelure auburn, elle descend l'escalier en chantonnant...

2 jours, 2 splendides jours de liberté, Horst est parti en Hollande pour 2 jours et la ville est à moi...

 

Un thé léger, 2 biscottes à peine beurrées, quelques grains de raisin et Rita est déjà de retour à l'étage.

 

Elle allume la radio et écoute les nouvelles tout en sortant du placard un joli tailleur de toile de couleur havane, des escarpins et un sac assortis.

 

Quelques excercices de gym, un quart d'heure de vélo d'appartement, une douche, et trente minutes plus tard, Rita descend à nouveau l'escalier, tenant son chèque et ses clés de voiture à la main.

 

Elle sort la MG rouge du garage avec une impeccable marche arrière et l'ayant décapotée, elle rattrape ses cheveux dans un foulard de mousseline verte et appuie sur le champignon!

 

Elle avait pris la Drève de Lorraine et appréciait la beauté de la forêt qu'elle traversait, son regard vagabondait et la soirée d'hier passait comme un film dans sa mémoire...

 

Le retour tardif de Horst, une fois de plus pas mal éméchés, sa façon gloutonne d'avaler un dîner pourtant raffiné comme elle en avait le secret, et sa disparition juste après le fromage, pour le retrouver une demi-heure plus tard endormi sur le siège des toilettes!

 

Elle se revoit l'aidant à gravir les marches jusqu'à leur chambre et là, enfin réveillé, son insistance à faire l'amour!

 

Elle s'entend lui dire -Tu te conduits comme un porc, si tu me prends pour une prostituée qui accepte tout, tu sais ce qu'il te reste à faire...D'abord un chèque, et ne me sous valorise pas!-

 

Le chèque est là, à côté d'elle sur le siège, il est assez somptueux ou simplement le résultat d'une double ivresse mal contrôlée? Après tout je m'en fou, là j'ai de quoi régler le couturier avec qui j'ai encore quelques dettes et je passe chez le traiteur si mon coup de fil à André, se termine comme je l'espère...

 

A la sortie du bois, Rita s'engage dans l'avenue Louise et va se garer à proximité de son couturier préféré. Margot à l'accueil lui sourit, et interroge : Vous désirez que j'appelle Madame Yvonne où voulez-vous voir Monsieur directement?

 

-D'abord Madame Yvonne, merci vous êtes gentille, répondit Rita.

 

Si fraîche dans la robe de toile verte qu'elle portait avec une élégance toute naturelle, Yvonne sourit en entrant dans le petit salon où Rita feuilletait l'Officiel en l'attendant.

Rita embrasse Yvonne et tout de suite demande: -Tu est pressée ou tu as un peu de temps à m'accorder?

-Pour toi, je prends mon temps, tu sais bien que tu es mon alibi, puisque tu es aussi une cliente! Répond Yvonne avec bonne humeur... Quelque chose à me demander poursuit-elle?

 

-Oui, je voudrais ma robe noire pour ce soir, je pense qu'elle devrait être prête et j'ai aussi besoin de tes conseils pour un menu très spécial mais pas compliqué, car je dois être omniprésente ce soir! Horst est en voyage et j'espère que j'arriverai à toucher mon jeune ingénieur, tu vois qui je veux dire, je t'en ai parlé déjà? C'est celui que j'ai rencontré au bois de la Cambre, lorsque je promenais le chien d'Ingrid qui était chez le pédiatre avec ses enfants, tu te rappelles?

-Oui, oui, je me souviens, tu l'as revu?

 

Oui, mais à la sauvette, et à l'hôtel, il est torride et je crois vraiment que je lui plais malgré mes 20 ans de plus que lui! J'ai envie d'une vraie soirée, je sais qu'il est marié et c'est tant mieux! Mais j'espère que son envie sera suffisante pour lui faire trouver une excuse au moins pour une soirée! Cela ne doit pas être trop difficile pour un homme d'affaires tout de même! Qu'en penes-tu?

-Je pense qu'il arrivera à s'accorder cette soirée s'il le veut vraiment, c'est un test! Tu peux lui téléphoner d'ici si tu veux, ce sera plus discret pour une secrétaire, je peux demander à Margot de composer le numéro comme si on l'appelait de l'étranger...

-C"est parfait, tu es géniale, merci.

 

André sollicité, et d'abord surpris n'hésita que le temps de téléphoner à sa femme pour l'informer d'un voyage à l'improviste... une affaire importante!

 

Rita jubilait, elle écourta sa conversation avec Yvonne, prit rendez-vous pour la semaine suivante et emportant sa superbe robe de mousseline noire avec précaution la déposa dans son coffre et partit sur lesz chapeaux de roue!

 

Une heure et demie plus tard, elle était de retour et traversa plusieurs fois le petit jardin devant la maison avec ses courses avant de rentrer la MG au garage. Elle interrogea d'un coup d'oeuil sa montre poignet sertie de diamants...4H30! Je vais me détendre dans un bain mousse, je suis crevée marmonna-t-elle! Après je dresserai la table et j'aurai tout le temps pour préparer notre dîner d'amoureux, André ne pourra être là qu'aux environs de 9H, j'ai donc tout le loisir de me remettre en forme...

 

Et Rita gravit l'esclier en tenant sa robe de mousseline devant elle par crainte de la froisser.

 

Elle se glissa bientôt dans son bain et ferma les yeux pour mieux écouter le dernier disque de Barbara qu'elle venait d'acheter... Celui-ci terminé, elle sortit de la salle de bain en se sèchant.

 

Dans sa chambre, allongée sur le lit, elle s'enduisit de crème parfumée. Ses gestes étaient lents et précis, mais son sourire se figeât tout à coup car elle venait de penser à la table qu'elle projetait de dresser dans le salon, face au feu de bois qu'elle comptait allumer pour rendre plus confortable cette soirée encore printanière...Il me faut un grand chandelier pour le centre de ma table, comme celui qu'Ingrid a reçu de ses beaux-parents pour ses 10ans de mariage...

 

Aussitôt pensé,aussitôt résolu le problème! Rita décroche le téléphone et forme le numéro de sa fille.

.........

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Un mot pafois devient poème

 

                                                                                        À mon amie Rébecca

 

Quand un mot se présente à moi,

Surgi soudain, en solitaire,

Arrête ma pensée qui erre,

Je n’en cherche pas le pourquoi.

...

Je l’accueille avec intérêt,

Attentive à ce qu’il veut dire,

Lors, ma mémoire que j’admire,

L’aide à me livrer ses secrets.

...

Un mot, un cortège d’images,

Empreintes de foi, d’espérance,

De splendeur ou bien de souffrance.

Métamorphose des présages!

...

Quand la beauté nous réjouit,

Si l’on s’en empare et la sème,

Un mot parfois devient poème,

Qui charme, apaise ou attendrit.

28 janvier 2012

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ADMINISTRATEUR GENERAL

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Et à titre d’information voici les trois prochaines expositions:

 

-Titre : « Les artistes de la Ligue des Insuffisants Rénaux »

Artistes : Les artistes de la Ligue des Insuffisants Rénaux (collectif multidisciplinaires).

Exposition événement en faveur du don d’organes.

Vernissage le : 22/02/2012 de 18 h 30 à 21 h 30.

Exposition du 22/02 au 11/03/2012.

&

-Titre : « Il était … une dernière fois »

Artistes : Daniel Thys (dessins à l’encre de Chine).

Vernissage le : 22/02/2012 de 18 h 30 à 21 h 30.

Exposition du 22/02 au 11/03/2012.

 

-Titre : « Vision de la terre et esquisse d’architecte en couleur »

Artistes : Isabelle Venet (peintures), collectif d’artistes de la galerie (multidisciplinaires), Pierre - André Martin (peintures), Henriette Fritz-Thys (sculptures).

Vernissage le : 14/03/2012 de 18 h 30 à 21 h 30.

Exposition du 14/03 au 31/03/2012.

 

Au plaisir de vous revoir à l’un ou l’autre de ces événements.

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publications récentes :

-- Alfred North Whitehead, Les Visées de l’éducation et autres essais [The Aims of Education and Other Essays, 1929]. Traduction de Jean-Pascal Alcantara, Vincent Berne et Jean-Marie Breuvart, Louvain-la-Neuve, Les Éditions Chromatika, 2011. (978-2-930517-12-4, 326 p., 25 €, http://www.i6doc.com/livre/?GCOI=28001100866500)

-- Michel Weber, Essai sur la gnose de Harvard. Whitehead apocryphe, Louvain-la-Neuve, Les Éditions Chromatika, déc. 2011. (978-2-930517-26-1, 292 p., 20 €, www.i6doc.com/livre/?ISBN=9782930517261)

-- Jason W. Brown, Gourmet’s Guide to the Mind, Louvain-la-Neuve, Les Éditions Chromatika, dec. 2011. (ISBN 978-2-930517-28-5, 158 p., 13,5 €, www.i6doc.com/livre/?ISBN=9782930517285)

-- Michel Weber et Ronny Desmet (sous la direction de), Chromatikon VII. Annales de la philosophie en procès — Yearbook of Philosophy in Process, déc. 2011. (250 p. ; 23 € ; ISBN 978-2-930517-30-8, www.i6doc.com/livre/?ISBN=978-2930517308)

-- Frédéric Bisson, Comment bâtir un monde. Le Gai Savoir de Gustav Mahler, Louvain-la-Neuve, Les Éditions Chromatika, déc. 2011. (978-2-930517-32-2 ; 196 p. ; 17 €, www.i6doc.com/livre/?ISBN=9782930517322

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                   "L'indifférence est une paralysie de l'âme, une mort prématurée"

énonçait Anton Tchekhov...                

                    Quelle délectation est-ce pour moi, que de constater qu'en ce refuge florissant dédié aux arts et  lettres, il n'en n'est rien ! Que n'ai-je l'opportunité, sinon le pouvoir d'étirer les heures afin de consacrer davantage de temps à vous répondre, chers amis fidèles, tout comme il me siérait d'enrichir "picturalement" mon "Empire de Flore", afin de vous transmettre une once de ces éblouissements naturalistes éprouvés, car peut-on rêver plus magnifique alliance que celle unissant l'art de Calliope avec celui d'Apellanire ?

                   À en faire pâlir les harmonies délivrées par la grâce d'Euterpe ? Que nenni, point de rivalité entre les muses d'Apollon, seulement, une émulation féconde éclairant chaque discipline...


                    Floralement, bien à vous  

                    Une Valérianacée

 

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                              Monsieur,


                             Je déplore ô combien, de ne point être dotée d'un pouvoir magique afin que les heures se fécondent entre-elles, soit, qu'elles contribuent ainsi, à me "délivrer" de ma prison dorée d'abeille laborieuse, parfois tentée, plus que de raison, d'aller butiner d'autres nectars...
                             Il est certain, que, si j'en avais le loisir, je m'empresserais sitôt de venir musarder davantage au sein de ce réseau florissant, où comme vous l'avez si bien souligné, de bien belles "Affinités électives" tendent à se nouer...
                             Formulons le vœu pour que ces dernières s'épanouissent au sein de ce terreau fertile que constitue, le fruit de votre création, géniture prétendant au label européen, de surcroit !
                             Il est plus que réconfortant de savoir que dans un monde à la dérive, conditionné par une surenchère de laideur, de bêtise, et d'insensibilité de plus en plus manifeste, quelques "Hommes de bonne volonté", perdurent à œuvrer en adéquation de leurs convictions profondes, rentrant en résistance dans un élan humaniste, pour servir l'art et non pas pour sans servir !
                            Avec mes vifs remerciements en l'honneur de Madame de Noailles, suscitant encore de nos jours, méprise et dédain, en similitude de chroniques perfides, de certains anciens ou de "critiques" contemporaines tout aussi peu élogieuses, sévissant à son encontre, telle celle de Jean-Jacques Lévêque contre laquelle je m'étais élevée, n'ayant pas le courage de lui faire directement parvenir mon droit de réponse, quoique je gage fort, qu'il se moquerait comme d'une guigne, des appréciations d'une illustre inconnue.

                         

                         Veuillez recevoir, cher Monsieur, les meilleures pensées d'une Valérianacée...

 par l'entremise du bouquet  du "Raphaël  des fleurs"

composé justement de pensées ( "Viola tricolor L.)            

inflorescences de cyclamen, marguerites, anémone (?)...


                  

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COMME UN REVE...

C'est comme un rêve

Extrêmement doux

Un jour de trève

Rien que pour nous !

Sa plénitude

Ah oui! C'est fou

Une béatitude

Posée à nos genoux !

C'est comme un rêve

Juste un peu fou...

Mais on en crève

S'il devient flou !

J.G.

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À l'abri dans mon âme

Doux ami

De ton corps, devenu un objet périssable,

Ta voix, enregistrée me tient de longs propos,

Me confie tes émois et ton amour des mots,

Les choses de la vie te semblant admirables.

...

J’écoute les chansons dont tu as fait un choix,

Qui ont marqué ta vie. Certaines sont très belles.

Tu étais romantique tout autant que rebelle,

Humaniste éclairé, un guide bien des fois.

...

Je relis les auteurs que tu m’as fait connaître,

Anciens, contemporains, penseurs, romanciers,

Je ne t’ai pas assez souvent remercié

Je te dois des années d’un nourrissant bien-être.

...

Certes, tu resteras sourd-muet désormais,

Indifférent à tout, privé de l’existence.

Or je sens ta tendresse, ta fidèle présence.

Ton âme est à l’abri, dans la mienne, à jamais.

...

27 janvier 2012

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Regards sur "Deux êtres qui luttent" réunis en une seule et même personne,

"tantôt nonne, tantôt bacchante" *1 : enchanteresse éblouissante,

"Prêtresse du soleil et du sommeil"



"J'ai moi aussi aimé la beauté,

je l'ai contemplée et louée dans l'univers infini.

C'est elle qui élève et guide les pas de l'homme,

qui le réjouit par le plaisir aux mille visages contradictoires,

qui alimente la force de l'intelligence, la sage folie du cœur." [...]


"j'étais comme ces ivrognes qui aggravent leur mal en buvant en route,

mais qui étaient déjà ivres au départ.

Je suis née ivre, et j'ai vécu toujours altérée

de véhémence et de douleur." *


Anna de Noailles




Acte I


Florilège de témoignages élogieux



A) Fragments du Discours de réception de Colette à l’Académie Royale

de Langue et de Littérature françaises de Belgique (1936)


Évocation de la figure d'Anna de Noailles,

de la "petite déesse impétueuse" *2 à la "voix de bronze et d'argent" *3

par celle qui déclarait :




"Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir, et sans que personne ne s’en doutât. […]

Plus circonspecte chaque jour devant mon travail, et plus incertaine que je le doive continuer,

je ne me rassure que par ma crainte même. "


 

                       

                            Notre amitié ne fit pas grand bruit. Elle se forma assez tard, presque indépendante de l'admiration que je vouais à la comtesse de Noailles. Vous vous étonnerez peut-être de ne m'entendre, dans mon discours, ni la citer autant que l'envie m'en viendrait, ni ménager à son oeuvre ces moments de critique courtoise qui renforcent une louange éclairée. Ma part, je ne veux pas qu'elle soit de discuter un poète, d'assigner une dimension, une qualité, à des poèmes dont le moindre a capté pour toujours une parcelle merveilleuse du sensible univers, comme le bloc d'ambre préserve une aile éternelle de mouche, ou la délicate arborescence qui suggère la forêt inconnue. Découvrir, louer Madame de Noailles ?
[...] Je verrais autant d'impertinence à ceci qu'à cela ma part, que je choisis, est la meilleure, celle du peintre, celle d'un certain peintre. Anna de Noailles eut, comme les princes autrefois, ses peintres officiels, de qui la plume et le pinceau se vouèrent aux caractères évidents de sa personne et de son génie.[...]

                            En marge des effigies officielles, une souveraine rencontre toujours un peintre obscur mais épris, ébloui mais fidèle, qui traça pour lui-même un croquis ressemblait, inachevé, respectueux à la fois du modèle et de la vérité.
                           Ce peintre oublieux du décorum, assez heureux pour avoir surpris en négligé son modèle, pour avoir pu noter la chevelure épandue, le ruban dénoué, la sandale tombée, ce bénéficiaire d'un moment d'abandon ou de frivolité, je voudrais que ce fût moi, je voudrais, comme il arrive, que l’esquisse fit autorité, que l'on vînt sur elle consulter le reflet authentique d'une chevelure morte, le pli du sourire, la ligne creuse qu'effaçaient sur commande les portraitistes d'apparat.
                           M'y prenant au rebours de ceux qui la célébrèrent, je ne dirai pas « Ce grand poète avait les yeux tour à tour éclatants et voilés, des traits fermement modelés qu'un front inoubliable couronnait, mais je dirai "Dotée d'un front plein de présages, d'un nez à la fine et dure attache orientale, de deux yeux profonds et vastes, Madame de Noailles était donc un grand poète".
                          Car nous n'échappons pas à notre enveloppe, et nous ne la trahissons qu'au prix de mille peines. Les portraits d'enfant de la princesse Anna  de Brancovan attestent qu'elle naquit belle, qu'elle eut toujours des yeux resplendissants, si grands qu'ils débordaient un peu sur la tempe, des lacs d'yeux sans bornes, où buvaient tous les spectacles de l'univers.

                  

                                                Colette


Source : http://www.centre-colette.com/


* :   Extraits tirés de "Jardins d'enfance", recueil "les Éblouissements" et "la Nouvelle Espérance"

* 1 : Allusion à l'un des poèmes d'Anna de Noailles intitulé "Deux êtres luttent"

         (Recueil "Les Forces éternelles," 1920)

* 2 : Formule due à Rainer-Maria Rilke

* 3 : Citation de Colette

 
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Portrait de la poétesse en 1913 par le peintre Philip Alexis de Laszlo

L’histoire de l’œuvre
Colette fut élue à l’Académie Royale de Langue et Littérature françaises de Belgique le 9 mars 1936 pour succéder à la comtesse Anna de Noailles disparue en 1933. Le discours est publié : le fascicule de 32 pages édité à Liège par l’Académie Royale porte le titre Réception de Madame Colette/Discours de M. Valère Gille et de Madame Colette et le texte publié par Grasset le 30 avril 1936 en un petit volume de 59 pages intitulé « Colette/Discours de Réception à l’Académie Royale belge de Langue et de Littérature française ».

Le texte de Grasset est certainement postérieur de quelques jours au fascicule belge, peut-être distribué aux invités à l’issue de la cérémonie. Une dédicace autographe montre qu’en toutes circonstances Colette gardait le sens des réalités : « Ah ! quel trac ce jour-là ! — seul le dîner, belge et royal lui aussi, m’a rendu mes forces. »


Le fil du texte

Colette commence par rendre hommage à l’assemblée qui l’accueille, et ne cache pas l’émotion et l’angoisse qui furent les siennes en acceptant cette distinction imméritée à ses yeux car c’est le hasard qui a voulu qu’elle soit écrivain. Ses pensées vont vers son hôte, la Belgique dont elle apprécie l’accueil et la bienveillance. Elle se sent légitimée du fait que sa famille est belge par Sido. Elle trouve le ton pour vanter la gastronomie, et assure que l’esprit et l’amour abattent les frontières. Elle évoque ensuite son amitié avec Anna de Noailles, qui fut tardive et discrète. Mais Colette, rappelant l’environnement familier d’Anna de Noailles, veut la rendre vivante et présente jusque dans la voix qui lui demandait : « Vous n’aimez donc pas la gloire ? » Colette conclut qu’elle aime la gloire de la poétesse et prend à témoin son auditoire pour s’assurer qu’elle l’a bien servie. C’est un discours équilibré et habile.


Quelques pistes d’analyse

Deux axes traversent ce discours : la distance de l’écrivain à l’égard de son travail et la place d’Anna de Noailles.

Colette se dit « lucide » et « demeure [son] juge le plus sévère ». Elle estime que « l’écrivain qui perd le doute de soi » et « se fie à une soudaine euphorie, à l’abondance » se doit de poser sa plume. Elle s’interroge fréquemment au sujet de sa vocation, notamment dans ses lettres, mais elle écrira jusqu’à la fin de sa vie.
Concernant celle à qui elle succède à l’Académie, Colette n’entre pas dans les louanges mais fait le portrait d’une belle femme. Les rencontres, rares et brèves, n’ont pas pris la forme de rapports confidentiels et familiers. Leurs divergences ont été pour elles salutaires quant à leurs places respectives dans le monde et dans la littérature : Agora et poésie pour Anna de Noailles, « modestie passive » et prose pour Colette. La reconnaissance mutuelle permet à Colette de se démarquer de la poétesse et de prendre la première place du « roman féminin ». Elle fera plus tard le portrait d’Anna de Noailles dans Trait pour trait.



II


Jean Cocteau nous parle de celle qu'il a bien connu,
L'égérie de ses débuts :"Femme divinement simple et sublimement orgueilleuse"*
De la race d'une Antigone ou autres héroïnes de tragédie grecque


"Le verbe d'Anna de Noailles agissait à la façon d'un opium ;
ses volutes gagnaient l'esprit de l'auditeur, jusqu'à le mêler profondément à elles ;
elle ajoutait au charme de Shéhérazade l'esprit de Ronsard,
 le génie du chant à celui de la rime, au dire de Cocteau,
qui la mettra plus haut que Hugo et Racine."

Claude Arnaud, biographe de Jean Cocteau *


                      

                          a)  Rien ne prouvera donc aux intellectuels que la comtesse Anna de Noailles soit un très grand poète, car la toute mystérieuse sexualité dont je parle n'est pas le fait d'un milieu qui confond avec du brio ce qui brille et pour lequel un certain ennui semble être le signe de sérieux et le privilège de chef-d'œuvre. Après une gloire que peu de personnes vivantes connurent, la comtesse de Noailles tomba brutalement dans la fosse commune où la gloire, qui est femme, abandonne les cendres de ceux qui on trop voulu se faire aimer d'elle. […]
                           Pauvre et merveilleuse Anna, elle ferait sans doute fort étonnée d'apprendre la révision de son procès entreprise par un poète dont les incartades lui paraissaient néfastes et, en outre, que cet anarchiste incorrigible occuperait un jour le fauteuil illustré par elle et par Mme Colette à l'Académie royale de Belgique.[…] Un soir de novembre 1918, j'entendis Joseph Reinach dire à la comtesse : "Il existe en France trois miracles : Jeanne d'Arc, la Marne et vous ". Moréas la surnommait l'abeille de l'Hymette. Quelle jeune femme ne s'enfiévrerait de tels éloges ! Roumaine par les Brancovan, grecque par les Musurus, portant un des noms les plus représentatifs de l'aristocratie française, sanctifiée déjà, petite-fille, au bord du lac de Genève par l'extase d'une mère, pianiste virtuose, la comtesse se laissa glisser sur la pente où j'eusse continué de glisser moi-même si je ne m'étais aperçu à temps que ma glissade était une chute vertigineuse. Cette chute se termine fort mal pour ceux qui refusent la porte étroite et se laissent pousser par les flatteurs. [...]
                           La comtesse adorait cette éloquence à laquelle Verlaine conseille de tordre le cou. Il arrivait à l'oraculeuse sibylle de tomber dans le bavardage et je l'ai vue, à table, boire de la main droite et agiter la main gauche afin que les convives ne lui enlèvent pas le crachoir. […] La comtesse se bouchait les oreilles à ce qui n'était pas fanfare. Comme les charmantes rainettes, dont elle avait les mains étoilées, la taille fine et la gorge palpitante, elle ne résistait pas au rouge. […] Le prodige de la comtesse qui faisait Léon-Paul Fargue s'écrier : " La mâtine ! Elle a encore tiré dans le mille ! "
                           C’est lorsque, sans directives et sans contrôle, l'expiration, prise pour inspiration elle se mettait à vaincre des couches de matières mortes, à jaillir comme la flèche du Zen, seule consciente du but. Elle estimait qu'en tirant à l'aveuglette, il y a des chances pour que quelques balles atteignent la cible. On regrette que ces balles chanceuses soient des balles perdues, et que pour sauver certaines strophes il faille en abandonner d'autres. Sans doute se référait-elle à l'exemple torrentiel d’Hugo.
                          C'est alors qu'il ne s'agissait plus de fleurs qui rêvent de finir dans des vases, ni de ce délire que la comtesse confondait avec le sublime. Brusquement, sa foudre invente de surprenantes audaces, sa flèche quitte l'arc, traverse des désordres, frôle la catastrophe et se plante dans la pomme, sur la tête du fils Tell.
 

                           Jean Cocteau


http://www.jeancocteau.net/


 


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La Comtesse Anna de Noailles par Jean-Louis Forain








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Propos sur l'Art et sa genèse créatrice



Prose dédiée à un véritable ami des arts, "amoureux fervent, savant non austère",

alias Christian Chorrier, servant la lyre d'Apollon, sans s'en servir...
 
Ou

Réflexion générée après avoir pris connaissance de l'axiome "illustrant"

"à fleur de mots" un certain album de clichés photographiques,

en allant musarder du côté d'une Ève tentatrice...*  :
 



                             "Si le cœur ne contemple pas, l'œil ne verra rien."
                                                                           Proverbe Caucasien
 


                             Comme la main qui doit être l'outil de la pensée, le prolongement ou matérialisation en quelque sorte, de l'esprit,  traduisant l'affect d'un tempérament animé de ferveur, un regard vide de sens et de richesse intérieure ne saurait exprimer les mystères poétiques ineffables de la création, nourritures spirituelles infusant l'âme de celui qui en est la source, artisan d'art passeur, "relieur d'âmes" chargé de faire vibrer le "regardant" qui contemple une œuvre et s'en imprègne...
                             Savoir traverser, dépasser le miroir du "pur esthétisme ", les contours trompeurs du figuratif afin de témoigner, de transmettre sa singularité en laissant son empreinte à l'adresse de ses contemporains, des générations futures, n'est certes pas, à la portée du premier commun des mortels venu, chacun se prétendant trop aisément aujourd'hui un "artiste" (terme, avouons-le, attribué à torts et à travers, donc fort galvaudé) sous prétexte qu'une idée de génie, soit une inspiration lumineuse s'est faite soudainement jour, en germant d'un esprit fécond !
                             Or, à notre sens, la méprise réside bien là : pourquoi cet acte fructueux du créateur qui consiste en une vision d'interprétation de son idéal, serait il  nécessairement facteur de valeur, gage, a fortiori, d'un souffle profond aux antipodes de tout concept mercantile, loin, bien loin de la pléthore d'imposteurs, "mauvaises herbes" à la Eustache Deschamps*  envahissant fréquemment la sente de quelques rares jardins florissants, lieux d'élection porteurs d'un terreau propice à l'éclosion de graines germinatives?
                            Mais qui peut prétendre, sinon s'enorgueillir, de détenir la "vérité" en matière de "critique"?  
                            Qui oserait se targuer de faire suffisamment montre de lucidité en étant apte à séparer "le bon grain de l'ivraie" ?
                            En vertu de quels critères, je vous prie, nous arrogerions nous le droit d'émettre une opinion-couperet, sentence proche de la lapidation intellectuelle ?

                            Et pourtant, il nous faut bien nous positionner en faveur d'une palette de démiurges, révéler nos "Affinités électives" goethéennes et autre tentations aspirations apolliniennes, si nous ne voulons pas sombrer dans un consensus artificieux, vaste tartufferie prônant un "unanimisme" utopique, n'ayant d'égal que la fadeur en découlant…
                            L'essentiel ne réside t-il pas simplement dans une notion de tolérance à l'égard de nos "Frères humains" villoniens, de respect envers le goût d'autrui, en nous efforçant de ne pas condamner celui-ci, faisant fi d'idées extrémistes, dès que semblent s'éloigner de nous, les inclinations que nous chérissons !!!
                           Ainsi, à notre humble avis, il ne peut être question de subjectivité dans l'art, sans évoquer l'engagement que cela requiert de la part de ceux qui s'adonnent à façonner leur ouvrage, fruit de leur don spirituel, fine fleur fleuronnant, puis s'élançant du jardin bouquetier créatif afin de parfumer de ses pétales odoriférants notre monde prosaïque avide d'"Invitations au Voyage" baudelairiennes, "là," où " tout n'est qu'ordre et beauté/Luxe, calme et volupté," * évasion salutaire participant à ce que les faibles créatures que nous sommes, face au destin parfois avaricieux de bienfaits, supportent un peu mieux "l'usure des jours", cet "ennemi mortel de l'âme" * !
 
                        

                          Valériane d'Alizée,
       

                          Fait le 11 Janvier 2012, après avoir "feuilleté" l'album thématique sur l'arbre

                          d’Ève Pélerin, photographe, auteur, porteur de la devise mise en exergue de cette page...



  *  : Allusion à l'album de compositions  photographiques d'Ève Pèlerin intitulé "Au gré de mes balades"
  * : En référence au poème allégorique politique du poète médiéval, "La Ballade des mauvaises herbes"…
  *
:  Célèbres vers issus de l'Invitation au Voyage de Charles Baudelaire, recueil "les Fleurs du Mal".
  *
:  Emprunt "arrangé" de la devise de Romain Rolland :"l'ennemi mortel de l'âme, c'est l'usure des jours."




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  Paysage verdoyant où s'élancent des cimes chères à Ève Pélerin

Tableau "émail" de Véra Rockline




Message venant s'adjoindre en commentaire du texte

"Propos sur l'Art et sa genèse créatrice"

"dédicacé" à Christian Chorrier, servant la lyre d'Apollon, sans s'en servir...



" Seul, on ne peut rien : il faut s’unir à l’heure opportune ".

Johann Wolfgang Von Goethe

 


                          Il me tient plus que jamais à cœur, de formuler mes vœux les meilleurs à l'adresse d'une personnalité intègre du monde de l'art, "amoureux fervent et savant non austère" épris des grâces apolliniennes, n'en déplaise à Charles Baudelaire, fidèle amant d'Euterpe, "la toute réjouissante",  servant avec noblesse la cause d'Érato"l’aimable ", de Thalie "la florissante", sœur lumineuse de Melpomène "la chanteuse" et autres muses composant le cortège du" Délien de Délos à la Cythare dorée" !

                          Fasse la divine Salus daigner à nouveau la choyer, cette belle nature, dotée d'une probité exemplaire, à l'éthique indéniable, qui se fait un point d'honneur à ne point céder à une redoutable courtisane aux pouvoirs faussement séducteurs, la mode, lui insufflant une force de vie inébranlable, afin que notre figure remarquable, se distinguant du commun des mortels aussi pour son humanisme, sorte victorieuse de ce sombre épisode, et que tel le Phénix, "Oiseau de feu" renaissant de ses cendres, notre "allié"… Christian Chorrier, sur lequel nous nous décidons à lever le voile, sa modestie dût-elle en souffrir par les traits seulement esquissés de son blason, rejaillisse, plus vibrant encore qu'au premier jour de sa douloureuse épreuve !!!

                         Nous nous séparerons sur un aphorisme du Père des "Affinités électives" nous délivrant ce précieux conseil gage de réconfort et d'espérance :

                      

                      "Faites ce que vous êtes capables d’effectuer ou croyez pouvoir faire.

                        L’audace est porteuse de génie, de pouvoir et de magie."

                                                  J.W. Von Goethe



Duo de poèmes sur le Phénix, cet "Oiseau de feu" mythique


I)

          Et un sourire de Paul Éluard

 (Recueil Le Phénix, 1951)

Paul Éluard écrit ce recueil intitulé "Le Phénix", auquel appartient "Printemps", en 1951, un an avant sa propre disparition.

Ce dernier recueil du dernier amour est dédié à Dominique, sa dernière muse, connue en 1949.

Il y célèbre l'amour-Phénix, qui renaît des cendres du désespoir.

 

La nuit n'est jamais complète

Il y a toujours, puisque je le dis

Puisque je l'affirme

Au bout du chagrin

Une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille

Désir à combler, faim à satisfaire

Un cœur généreux

Une main tendue, une main ouverte

Des yeux attentifs

Une vie, la vie à se partager.

 


II)


Phénix de David Herbert Lawrence

(Derniers Poèmes, 1931, traduction de Roger Munier, Cahier de l'Herne, 1988)

 

 Es-tu prêt à être effacé, nul, anéanti,

à n'être rien?

 Es-tu prêt à n'être rien?

 Perdu dans l'oubli ?

 Sinon, jamais vraiment tu ne changeras.

 

Le phénix ne retrouve sa jeunesse

 que s'il est brûlé, brûlé vif, jusqu'à se faire

 chaude et floconneuse cendre.

 Alors le frêle remuement d'un frêle être nouveau dans le nid

 au duvet léger comme cendre qui vole

 montre qu'il a retrouvé pareil à l'aigle sa jeunesse,

 Immortel oiseau.



1. : Ci-joint un fichier pour une consultation un peu plus approfondie de la thématique "Phénix" :

B.%20Mini%20floril%C3%A8ge%20po%C3%A9tique%20sur%20le%20Ph%C3%A9nix.docx





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Photocomposition  "Légende de feu"

signée

de la créatrice  Marie-Ange Gonzales

(membre du réseau "Arts et Lettres")


Adresse  où vous pouvez lire le monsieur en question :

http://chorier.blog.fr/




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Une tendresse rayonnante

 

 

Envahissement par la baie

D’une énergie époustouflante,

Manne céleste éblouissante.

Je suis ravie, un peu grisée.

...

D’une énergie époustouflante,

Je ressens les troublants effets.

Je suis ravie, un peu grisée.

La joie s’installe, rassurante.

...

Je ressens les troublants effets

D’une tendresse rayonnante.

La joie s’installe rassurante,

Ailleurs, la peine et les regrets.

...

D’une tendresse rayonnante,

Mon âme s’emplit à souhait.

Ailleurs, la peine et les regrets.

La grâce du moment m’enchante.

...

      26 janvier 2012

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administrateur théâtres

Gidon Kremer & Martha Argerich (Palais des Beaux-Arts )

Gidon Kremer & Martha Argerich   Mercredi 25.01.2012 20:00

Palais des Beaux-Arts / Salle Henry Le Bœuf

Gidon Kremer direction, violon - Martha Argerich piano - Sergei Nakariakov  trompette - Kremerata Baltica

-Johann Sebastian Bach, Extraits de "L'Art de l'Instrumentation" (oeuvres pour clavier de Bach arrangées pour violon et cordes par Silvestrov, Raskatov, Desyatnikov, Tickmayer, Kissine)
-Giya Kancheli, Chiaroscuro
-Dmitry Shostakovich, Concerto pour piano, trompette et cordes n° 1, op. 35
-Leonid Desyatnikov, Target, extraits

 

                                      Créée en 1997 par Gidon Kremer, la Kremerata Baltica jouit d’une belle renommée internationale. "Kremer and his new string orchestra, made up of extraordinary young players from the Baltic States, are special. They animate everything their bows touch."-- Los Angeles Times. La crème de la Baltique donc.  La moyenne d’âge des musiciens, qui témoignent tous d’une haute qualité artistique, tourne autour de 27 ans.  Les sonorités d’une grande finesse que l’orchestre produit sont d’une grande beauté, tout cela sans qu’il soit besoin de baguette musicale.12272782661?profile=original

                              Gidon Kremer, à la fois directeur artistique et violon solo nous a offert  un programme original, autour de transcriptions contemporaines d’œuvres de Bach et un hommage particulier à Glenn Gould. Le premier extrait part d’un solo au violon, qui s’élève dans le silence des respirations, est une  méditation soudainement  interrompue par un xylophone des plus éthérés, et une invasion ailée de pizzicati des cordes  Des accents de brandebourg alternent avec des miaulements modernes brefs et surprenants. Quelques rythmes vifs et syncopés orneront les différents extraits jusqu’à l’hommage à Glenn Gould, ponctué de soupirs et de nostalgie. Le public est conquis.

                             Le plateau s’étoffe de nouveaux  jeunes musiciens venus des rives nordiques (pianiste et percussions) et le morceau « Chiaroscuro » de Giya Kancheli sera une vraie révélation de romantisme bourdonnant. Il y a une guitare basse électrique, des accords XXe siècle brefs et surprenants, la délicatesse des pizzicati. Les cordes dorées créent une atmosphère recueillie et méditative, au point que le mystère se glisse entre des notes fines comme des cheveux d’ange, presque inaudibles. Il y a cette alternance subtile du violon et de la cloche, la lenteur réfléchie des archets, le contraste entre le violon solo et la masse musicale, une opposition poète / paysan, clair/ obscur, des pas de cristal  et une lourdeur de glaise. Le violon se perd dans une frénésie de virtuosité à en briser son archet et l’âme se déploie en une danse éthérée qui met en évidence une sorte de désert blanc. De la glace ainsi que la solitude gelée sont brisées par le puissant orchestre, le piano articule quelques accents de printemps, le violon est au bord de la note la plus haute, qu’il caresse inlassablement comme un vent aigu pour lâcher enfin un dernier souffle. Apportez le miroir ou la plume !

Stupeur et ovation pour l’orchestre, Gidon Kremer et le compositeur qui monte sur scène, au comble du bonheur.

 

                               Martha Argerich les rejoint après la pause.  On l’entendra dans le pétillant et « jazzy » Premier Concerto de Chostakovitch à l’humour vif et provocateur. Au deuxième mouvement Martha écoute et regarde le public devant de poser respectueusement le sortilège de ses doigts sur le clavier. Elle produit des élans d’une puissance inimaginable, des passages tremblants d’énervement, de l’émotion comme si on pleurait au bord d’une tombe. Martha  dirige du regard, de la tête et des épaules même le violon qui est derrière elle. Cavalcades humoristiques,  ruptures, cascades, que cela sonne ! Airs de victoire, elle griffe sauvagement en retour le piano. Le solo sec et moqueur de la trompette, le caquètement bavard des cordes y répondent. Théâtrale, elle reprend le rythme qui défie toute vélocité. Le délire du public répondra à sa série d’accords magistraux frappés comme si elle était un toréador.  Encouragée par l’ambiance d’adoration,  son sourire de Joconde passera et repassera au bras du jeune trompettiste, Sergei Nakariakov pour recevoir les applaudissements.

 Des jeux interdits aux fracas wagnériens, la pianiste argentine, au propre et au figuré, a des doigts de vif argent. Son interprétation de Leonid Desyatnikov est flamboyante. Sa nature généreuse se déploie, elle met en scène la « souveraineté de l’élan vital » avec une maîtrise d’exception. Il y a quelque chose de malicieux dans ce regard qui orchestre les phrasés, de la délicatesse et de la fougue réunies. Le jeu chatoyant des mains qui volètent sur le clavier est hypnotique et passionné. On passe des notes chaudes et dorées qui fondent sur le clavier, façon Ravel, aux arpèges échevelés de Diabelli. Rien moins que les Shadows  grondent dans la main gauche. Kremer fait surgir tout le Danube bleu de son instrument et plaque de solides accords, question de ponctuation. Notes naïves (Schumann?) de la main gauche tandis qu’elle tapote de la main droite un piano jouet haut comme trois pommes. Xylophone, sifflet, sabots de cheval… quel cirque! At the races! Ah! C‘était un des morceaux!  

 

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