« Plus on s'approche de la lumière,
plus on se connaît plein d'ombres. »
Christian Bobin [1]
Dois-je avouer à notre honorable compagnie sans risquer de l’importuner avec mes états d’âme (si, si, ne raillez pas je vous prie, les chats aussi sont en mesure de ressentir des émotions…) combien je ne puis m’empêcher d’être aujourd’hui fort marri, moi le farfadet Florestan ?
Figurez-vous, qu’un brin présomptueux, j’avais initialement forgé le dessein de convier à une cat party du feu de Dieu, quelques greffiers et gentilshommes blasonnés de ma connaissance en l’honneur de mes trois printemps célébrés à vrai dire en plein cœur de l’hiver sous l’auspice du Dieu Janus, saluant au passage, mes vénérables parents à qui je dois ma venue au monde, et qui n’ont pas manqué de m’initier à goûter aux inestimables joies de l’existence, Dame Chana d’Angora’mour et son fidèle galant, le tendre et cher Cyrano le Magnifique, mascotte de notre dynastie, qui, unissant leurs forces vitales charnelles respectives ont donné naissance à un charmant quintette estampillé « Angora turc » !
J’en profite d’ailleurs d’avoir sous ma griffe éboutée mon scribe particulier ailurophile [2], pour formuler le vœu suivant : Que la bienveillante Bastet, l’égérie des félinophiles, de son temple de Boubastis veillant sur l’humanité, daigne chaperonner ma tribu disséminée de part et d’autre dans nos chères provinces françaises, et adresse en faveur de chaque membre fraternel constituant celle-ci, mille et une pattes de velours doublées de langues râpeuses en souvenance des heures partagées de notre smala de Pussy cats batifolant au sein de leur berceau poitevin, ayant notamment une pensée particulière à l’égard de ma quasi jumelle, « Princesse Fantine », véritable petite féérie qu'on ne saurait oublier et avec laquelle j’avais noué des affinités électives chattesques intenses au cours de ma prime enfance…
Or, vous me permettrez pour lors, de rester pudique sur ces épisodes intimes, gages de nos liens familiaux indéfectibles, et de revenir plutôt à mon motif de déception, l’annulation forcée de la réception que j’escomptai donner, et ce tandis que les bristols chargés d’annoncer l’événement s’apprêtaient à rejoindre leurs destinataires et que le menu du buffet et divertissements des festivités étaient réglés, si j’ose dire, au poil près ! Quel gâchis alors que moult affamés sans logis se seraient délectés de ces mets raffinés !
Adieu pièces montées de langoustines, nage de Saint jacques, suprême de truite, et terrine de volaille dont même le fumet nous aura échappé… Adieu intermèdes et joutes véloces à la plume de paon, par exemple, orchestrés de mains de maitre par la « Madame Loyale » de notre arène privative, digne du cirque Medrano ou du clan Fratellini !
De bonne chère, nous devons nous résigner à faire abstinence en similitude des agréments prévus en avant-première du programme. Notre planification, ce me semble, était nonobstant parfaitement au point ! Mais bon, ne faisons pas montre de masochisme en remuant le couteau dans la plaie !!! Il nous faut nous résoudre à accepter ce fâcheux contretemps ; cela fait indéniablement partie des aléas que le destin nous réserve !
Et oui, c’était hélas sans compter un invité non pas de marque mais indésirable, le sieur Imprévu qui vint gâter cette perspective de réjouissances et annihiler la moindre opportunité de reporter cette sauterie placée sous le sceau du genre félin.
Affligé que la conjoncture ne nous soit guère favorable, et touche de surcroit, de plein fouet la « favorite » de notre sérail, une certaine Valérianacée, tandis que c’était grand pitié de voir notre douairière, également peu épargnée, transformée en mater dolorosa, le trio de Mousquetaires que nous sommes, éminemment solidaire, riche de sa devise « Un pour tous, tous pour un » et dont le héros est sans conteste, notre remarquable ainé, le Pacha « Cyrus de Sainte Sophie de Constantinople des Rives du Bosphore », mon précieux ami et oncle paternel, frérot de Cyrano, dû renoncer à s’esbaudir, au grand soulagement de notre farouche, si ce n’est misanthrope cadet, frère d’adoption, le « Petit Poucet » ne prisant, tant qu’à lui, qu’une atmosphère de quiétude pour son antre de fauve miniature et ne voyant donc pas d’un bon œil son repaire envahi par des intrus même triés sur le volet, censés montrer « patte blanche » !!!!
Aurais-je omis de vous préciser, emporté par ma fougue née de mon désappointement, en raison de quel motif exact cette surprise-partie complétée d’agapes à s’en pourlécher les babines, ne pu avoir lieu ? C’est que le sort parfois avaricieux en diable, en avait tout bonnement décidé autrement et que l’un des ses émissaires, le divin Esculape, inconstant comme nombre d’amants, s’est mis soudainement à délaisser la maisonnée composée de nous autres quatre pattes à longues vibrisses et d’un duo de deux pattes fier de son langage articulé, prenant un malin plaisir à prendre la poudre d’escampette ! Quant à sa fille « Panacée », elle aussi s’est volatilisée en un battement de paupière, contraignant nos gardiennes à boire le calice jusqu'à la lie.
Franchement, je vous le demande un peu, chers amis, quelle idée saugrenue, diantre, que de vouloir prêter asile à un drôle de visiteur imposant sa présence, un malin prédateur dénommé Virus, réclamant à cor et à cri l’hospitalité à grands renforts de démonstration de force ! Oh, j’ai eu beau implorer heures après heures la Providence afin qu’elle dispense à nouveau ses bienfaits au sein du logis, que nenni, rien n’y fit, la cruelle perdura à faire la sourde oreille, dédaignant toujours à regagner nos pénates !
Par souci de dignité ainsi que dans l’objectif de ne point vous encombrer davantage avec le récit détaillé fastidieux, de la bourrasque traversée (« Le vent se lève, il faut tenter de vivre », selon le fameux adage de Paul Valéry…) je tiens seulement à vous confier, à quel point nos protectrices se virent confirmer ce qu’elles savaient déjà, soit, que face aux épreuves, il est fondamental de ne pas attendre grand-chose de la part de son « prochain », quelquefois lointain comme il n’est pas permis de le concevoir, en adéquation de la devise de Tristan Bernard qui professe ce truisme :
« Il ne faut compter que sur soi-même. Et encore, pas beaucoup. »
Ne serait-il pas plus sage, pour ces deux sexes réunis, si ils ne veulent pas trop souffrir de certains types d’indifférence provenant de leurs « frères humains » fréquemment déshumanisés, disons-le ouvertement telle une simple observation dénuée du moindre sentiment d’acrimonie, qu’ils ne nourrissent surtout aucune exigence envers autrui sous peine d’être constamment désenchantés ?
À quoi peut-il bien servir de se révolter contre cet état de faits ? Qui peut s’arroger le droit de se prévaloir du pouvoir de changer en profondeur les mentalités ? N’est-il pas, en outre, suffisant et utopique de prétendre à la métamorphose d’une personnalité ?
Néanmoins, en tant que représentant de la gente animale, j’ose encore espérer en l’homme, non pas dans sa globalité, mais dans son individualité et entre quelques sombres épisodes contribuant par moment à me faire perdre ma foi en lui, je prends la liberté, au risque de froisser votre ego, amis bipèdes, de vous déclarer sans l’ombre d’une diplomatie s’apparentant à mère Hypocrisie, que votre civilisation d’humanoïdes à fort à faire dans son ensemble pour aspirer à recouvrer un tantinet de son humanisme, de sa noblesse antique d’un « temps jadis » révolu, synonyme de « beauté-bonté » à la manière de François Cheng…
Et malgré tout, croyez-vous que je ne sois guère attristé de devoir dresser pareille constatation ?
Assurément ! Car laissez-moi vous énoncer mezza voce, en confidence, que le tempérament de votre serviteur, le farfadet Florestan, relève de celui d’un pacifiste inné, enclin à l’allégresse, doué pour l’harmonie, rêvant à la « quête d’une inaccessible étoile », c'est-à-dire à un monde meilleur, et que jamais au grand jamais, il ne pourrait envisager de concevoir une autre philosophie, en dépit des odieux abandons, barbaries inqualifiables et autre actes innommables perpétrés à l’encontre de sa race, sans oublier les différentes ethnies constituant le bestiaire, de celles que l’auguste Colette nommait par « nos Amies les bêtes », elle qui voua à la Faune un amour inconditionnel indissociable de celui éprouvé à l’endroit de la Flore et qui su mieux que quiconque, en avant-gardiste, prouver sa déférence à l’adresse de toute créature vivante évoluant ici-bas, dans sa biodiversité de plus en plus menacée, sinon se réduisant à une peau de chagrin !!!.
Le respect et l’amour, ne serait-ce pas là deux clefs majeures du salut de votre humanité ?
Vous seul détenez la faculté d’une transformation radicale et en douceur de la société formant une chaine et dont nous dépendons !!! N’y a-t-il pas péril en la demeure ?
Que puis ajouter de plus pour vous en convaincre ?
Quelles seront les âmes sensibles à ma plaidoirie ?
Gageons seulement, en incurable optimiste, qu’empathie et compassion ne sont pas des vertus ne fleurissant que parmi des espèces rares en voie d’extinction, au jardin clos d’un autrefois verdoyant semé de mille fleurs médicinales !!!
De la part de Florestan de l’Arc de Lune de la Vallée ligérienne,
Message du 11 Février 2013,
Pour marquer le jour de sa naissance, le 31 Janvier 2010
Un sage a bien l'honneur de vous chatluer, amis humains...
[1] : Citation extraite de « La Plus que vive ».
[2] : Du grec ancien aílouros (« chat ») ; nom commun désignant une personne aimant les chats et sous forme d’adjectif signifie relatif à l’amour des chats…