LE ROMAN DE LA ROSE : L’ECRITURE PICTURALE DE JIDEKA
Du 02 au 20 – 12 - 15, a eu lieu, à l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles), une exposition intitulée : LES ROSES ONT LA PAROLE, consacrée à l’œuvre de JIDEKA, une excellente peintre française qui pose la question (à chaque époque débattue) de la place de l’Homme dans le Monde, en le liant inextricablement à la Nature.
Ce lien que tisse JIDEKA se forme d’une façon tout-à-fait inattendue en associant le corps humain à celui de la Rose.
Remarquez : nous écrivons son nom avec une majuscule, car elle devient un personnage compris entre la matérialité d’un corps humain et celui d’un symbole vivant. Dialectique intéressante et originalement exprimée. D’une part, parce que la fleur, symbole de l’Amour dans la culture occidentale s’incarne dans la personne humaine. Mais aussi parce qu’elle est saisie dans les instants les plus quotidiens de son existence.
Le Rose est, ici, non pas représentée mais carrément « portraiturée », en ce sens que le visage humain, remplacé par le volume épanoui de la fleur, en apparence statique, se définit par rapport à la posture du corps en lui assurant une dimension directionnelle.
Traitée en plan, le visage du personnage féminin de ROSE URBAINE (80 x 80 cm – acrylique sur toile)
« nous regarde ». Qu’est-ce qui provoque cette sensation ? Principalement, le fait qu’il est symétrique avec le buste qui le sou-tient, favorisant le statisme nécessaire à la conception du « portrait » ainsi que sa philosophie : le sujet nous regardant.
Structurée en trois plans : avant-plan (les jambes repliées sur elles-mêmes au niveau du sol), centre (architecture uniforme, tant dans le dessein que dans le chromatisme) 3ème niveau (le ciel). Le visage de la Rose culmine à hauteur du ciel. La conception scénique de cette œuvre mérite que l’on s’y attarde.
ROSE URBAINE nous interroge, non seulement sur la place de l’Homme dans l’espace urbain mais aussi sur celle de la flore – et par extension de la Nature – au sein du même biotope.
Les jambes du personnage, repliées sur elles-mêmes, reposent sur un parterre de roses et de feuilles sur fond noir. C'est-à-dire que campé à même le sol, le sujet semble, littéralement et symboliquement, en faire partie. Le buste, lui, est compris à hauteur de l’espace urbain (à l’arrière-plan) et la rose, épanouie, épouse le bleu du ciel (3ème niveau). La symbolique des couleurs prend ici toute sa force. Les jambes du personnage traitées en bleu-clair, répondent à celui du ciel. Nous avons là une métaphore d’une union mystique entre la terre et le ciel, au centre de laquelle s’épanouit le sujet. Conçu en véritables « cartes de géographie », le chromatisme du buste associe à la fois le vert de l’architecture, le bleu du ciel (en dégradés) ainsi que le noir du sol. L’ensemble de la composition est régie par une symétrie exprimant l’harmonie des éléments.
Que ce soit sur grand ou petit format, la Rose se substitue toujours au visage. Concernant LE PIANISTE (30 x 30 cm – acrylique sur toile),
nous pouvons carrément parler d’ « expression ». Penchée vers l’avant, la Rose épouse la courbure du buste du musicien dans son prolongement vers le clavier dans une attitude de recueillement mystique. Un parterre de roses, à l’avant-plan, fait office de public.
Il s’installe, dans l’œuvre de l’artiste, un rapport entre signifiant et signifié, exprimé tant par le dessin que par la couleur, laquelle est principalement conçue de notes tendres, telles que le bleu, le vert, le rose ou le jaune-foncé.
ROSE AU BAIN (30 x 30 cm – acrylique sur toile)
Une question, secondaire pour l’artiste mais importante pour le visiteur au contact de cette œuvre, serait de se demander ce qui, en dernière analyse, importe le plus. Est-ce la conception du corps ou celle de la Rose ? Ne perdons pas de vue que ce qui motive l’artiste c’est d’associer beauté et banalité du quotidien. Ici, la sensualité de la fleur entre en contraste (pour ne pas dire s’entrechoque) avec la routine de tous les jours que notre société a érigé en credo. Le contraste entre la Rose dans son épanouissement et la plastique flasque et adipeuse du corps de la baigneuse est ici flagrant. Faut-il y voir une dimension rédemptrice de la fleur destinée à « sauver » le corps dont la forme charnue exprimerait la matérialité routinière ? La position du bras (levé vers le haut) est également très intéressante car elle rejoint, d’une autre façon, le geste désesperé des ROSES ASSOIFFEES (80 x 80 cm – acrylique sur toile)
dont les bras sont, au contraire, tendus vers le bas, à la recherche d’eau.
Traités comme des racines, ils évoquent la recherche vitale de suc. Il s’agit, ici, d’évoquer le rapport entre l’eau et le corps. Dans un premier temps, le corps n’existe que pour émerger de la banalité du quotidien (ROSE AU BAIN). Mais dans les ROSES ASSOIFFEES, la thématique acquiert une tournure mondiale, telle que le problème de l’eau dans certains pays du Tiers-Monde. Et par extension, ces deux œuvres interrogent notre mode de vie à l’échelle planétaire : un corps adipeux est synonyme de ce que l’on nomme « la malbouffe », fléau de notre société de consommation. Tandis que cette recherche désespérée de l’eau que les bras n’arrivent pas à atteindre, exprime le contraste politico-économique effrayant qui sépare nos deux hémisphères. Il s’agit, à posteriori et ce, quoi qu’on en dise, de corps malades que l’artiste a voulu restituer sur la toile.
COUPLE DE ROSES AVEC ENFANT (116 x 81 cm – acrylique sur toile)
se présente comme un jeu de cercles dans lequel l’homme enlace la femme. Au centre du tableau, un deuxième cercle se forme dans lequel est compris l’enfant qui les unit. Ce second cercle est intéressant, car une fois encore, il interpelle la symbolique. Campé en position fœtale, l’enfant est à la fois au sein et à l’extérieur de sa mère. Ce second cercle, dont la forme rappelle celle de l’œuf, est le cercle de la vie. Le corps de l’enfant saisissant les bras du couple, est traité en bleu-clair, tirant vaguement sur le gris. Il rejoint le teint du cou de sa mère. Cette vision diaphane lui assure, à la fois une existence en tant que sujet mais aussi une « immatérialité présente », en ce sens que, blotti sur (ou dans le ventre de) sa mère, il devient, sinon un signe du présent, du moins un gage du futur. Cette forme de « d’échographie » laisse le visiteur interrogatif sur le fait de savoir s’il est né ou s’il est à naître. Le chromatisme de cette œuvre rappelle fortement celui de ROSES URBAINES (cité plus haut) dans lequel les couleurs composant le tableau sont « absorbées » par les vêtements portés par le couple, en tant que résumé d’une palette se retrouvant dans tout ce qui compose chaque élément spatial (bleu en dégradés, vert en dégradés, noir).
A quel besoin irrépressible obéit JIDEKA pour composer ses œuvres ? A cette question, elle répond : «à l’amour pour les gens ainsi que pour les sujets d’actualité et au sentiment ».
Bref, à tout ce que vous pouvez voir à l’image en tant que témoin de l’empathie pour le genre humain et son environnement. Il est également intéressant de remarquer que là où le visiteur pourrait voir une symbolique liée aux couleurs, l’artiste invoque à la fois le hasard (si tant est qu’il existe !) mais surtout le fait qu’elle soit née coloriste. Bien entendu, nous portons tous en nous notre mythologie personnelle laquelle n’est jamais immunisée contre un langage empreint d’images qui nous ramène à notre for intérieur, bouillonnant d’un imaginaire éduqué par la culture, c'est-à-dire par la société. Le corps de la Rose se baignant, associé à celui des Roses à la recherche d’eau, sont susceptibles d’évoquer pour nous (et à fort juste raison) des « corps malades ». Néanmoins, l’artiste ne dédaigne pas s’attaquer à des corps adipeux car elle les trouve dignes d’intérêt plastique. Ce qui en résulte, c’est notre capacité à les traduire selon nos propres codes. L’artiste a fréquenté les Beaux Arts, en se spécialisant dans le dessin publicitaire. Sa formation académique se remarque particulièrement dans des détails, lesquels passeraient absolument inaperçus, si l’on ne s’y arrêtait pas pour les observer attentivement. A titre d’exemple, la posture prise par le personnage féminin de ROSES URBAINES (cité plus haut) comporte un détail prouvant sa connaissance académique du rendu anatomique. Si l’on centre le regard sur l’épaule gauche du personnage (à droite par rapport au visiteur), on remarquera une légère surélévation de celle-ci, en comparaison à celle de droite. Ceci, dans le but d’apporter une légère torsion du buste par rapport au statisme du rendu physique. Bien évidemment, la question que vous vous poserez tous est celle de savoir d’où lui vient cette passion pour les roses. Il y a deux ans, « Le Congrès International De La Rose » fut organisé à Lyon. L’on contacta les écoles de peintures pour organiser des séances de travail autour de cette fleur. Habituée à traiter la figure humaine, l’artiste fut mise au défi d’aborder plastiquement l’image de la rose. Elle releva le défi et depuis lors, elle associe les deux images dans une même incarnation. S’agit-il d’un personnage « hybride » dans le sens générique du terme? Non, car chacune de ses attitudes est coordonnée par un langage humain destiné à trouver une unité harmonique avec le Tout. Cette unité harmonique se retrouve également dans la douceur qu’elle accorde à l’espace urbain dans le même tableau et l’on se rend compte que le personnage féminin assure le rôle de trait d’union écologique entre plusieurs espaces.
Du point de vue technique, l’artiste utilise principalement l’acrylique et l’encre. Elle se sert de l’acrylique pour concevoir à la fois les personnages et le décor. Tandis que l’encre est usitée pour le traitement des roses. Elle a horreur de l’espace vide et doit absolument le combler.
L’arrière-plan parsemé de matière granuleuse de ROSES ASSOIFFEES (cité plus haut) est, en réalité, du gel acrylique. L’artiste ne s’engage jamais directement sur la toile. Elle réalise des croquis comme prélude à chaque projet qu’elle compte entreprendre. COUPLE DE ROSES AVEC ENFANT (cité plus haut) a été, après croquis effectué, réalisé à même le sol. En s’attardant sur le rendu, l’on s’aperçoit que la réalisation de tels cercles aussi étroitement entrelacés, ne peut s’obtenir sans une assise plongeante du bras, dont la main nécessite une prise de distance pour assurer le trait.
Jusqu’à présent, l’artiste n’a joué que sur des couleurs tendres. Désormais, elle s’engage vers un chromatisme drastiquement vif : rouge-or, rose intense. La thématique demeure la même : la Rose. Mais déclinée dans une gamme de couleurs chaudes.
Une question que tout visiteur pourrait, le plus naturellement du monde, se poser : JIDEKA est-elle une artiste « naïve » ? A cette question, elle oppose un « non ! » définitif, en précisant qu’elle joue sur les attitudes humaines dont la Rose couronne la volonté à faire partie intégrante du Monde.
Néanmoins, par la fraîcheur et la poésie joyeuse de ses visions, JIDEKA apporte une touche de romantisme personnel en écrivant une page nouvelle au Roman de la Rose.
François L. Speranza.
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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
François Speranza et Jideka: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
(19 décembre 2015 - Photo Robert Paul)
Exposition Jideka à l'Espace Art Gallery en décembre 2015 - Photo Espace Art Gallery
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