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August Sander est né le 17 novembre 1876 à Herdorf, en Rhénanie-Palatinat (à environ une centaine de kilomètres de Cologne). Il a 8 soeurs, son père est charpentier dans une mine de fer locale et possède et exploite une petite ferme. Il bénéficie d’un modeste capital suite à la vente d’une petite mine dont il était propriétaire. Dès 1890 c’est tout naturellement que August Sander va travailler dans la même mine que son père, tout en l’aidant probablement dans l’exploitation de la ferme. La petite ville de Herdorf n’est pas encore soumise aux bouleversements de l’industrialisation et le travail est plutôt organisé sur un modèle artisanal et coopératif traditionnel, chacun étant employé à tour de rôle au fond de la mine, à l’atelier, et aux champs. Le travail à la mine ne représente que quelques mois sur l’année.
En 1892, August Sander est choisi, un peu par hasard, pour guider un photographe qui veut faire des prises de vues de paysage dans les environs de la mine. Le travail du photographe le fascine et un oncle maternel finance l’achat de son premier matériel. Il commence à faire de la photo en amateur, chose considérée comme assez extravagante par ses concitoyens. Il faut se rappeler qu’il y a à peine 50 ans que Arago a « donné la photographie au monde » et qu’elle est encore loin d’être un loisir populaire.
En 1896, âgé de 20 ans, alors photographe amateur déjà fécond, il quitte le milieu familial pour faire son service militaire à Trèves où l’armée lui donne la possibilité d’être apprenti dans un studio de photographie durant ses heures de liberté. De 1899 à 1901, il travaille dans divers studios de Magdebourg, Halle, Leipzig, Berlin et Dresde, où il fréquente également l’Académie des Beaux-Arts, probablement en auditeur libre. Cette période de perfectionnement dans son métier est aussi très certainement une période d’enrichissement culturel pour August Sander.
Ces « années de voyage », comme il les appellera, se terminent en Autriche, à Linz, où il devient premier opérateur du studio Greif. En 1902 il épouse Anna Seitenmacher, fille d’un secrétaire de justice à Trêves, et la même année reprend avec un associé l’atelier Greif qui deviendra en 1904 l’atelier August Sander dont il sera désormais seul propriétaire. C’est la confirmation de l’ascension sociale du paysan-mineur qui est désormais père de famille et chef d’entreprise (il a 7 employés). Pour prendre pied dans la haute société de Linz, et y trouver une clientèle fidèle et aisée, il entreprend alors sous la direction de son épouse l’acquisition de la culture bourgeoise de bon ton qui lui fait défaut. Il lit les « bons » livres, collectionne meubles et tableaux, se met à la musique avec passion et finit par être admis dans la chorale municipale. Il fait dès lors partie des notabilités de la ville. Il participe à plusieurs salons et expositions en Autriche, en Allemagne et en France où son oeuvre est distinguée et récompensée. En 1906 il expose une centaine de tirage grand format au Landhaus Pavillon de Linz. Sa photographie est alors tout à fait conforme à ce qui se fait à l’époque et à ce que demande une clientèle bourgeoise conservatrice, elle est pictorialiste, avec des tirages à la gomme bichromatée très soignés et retouchés. Il se démarque toutefois de ses confrères qui continuent presque tous à travailler « à l’ancienne », c’est à dire en studio, devant la même toile peinte représentant un paysage ou un motif architectural quels que soient les modèles ou leur origine sociale. Sander préconise une prise de vue dans le décor naturel du client, son intérieur ou son jardin, ou dans son atelier qu’il a aménagé au moyen d’éléments de décor « plein de goût» . À la fin de 1909 il vend son studio pour des raisons assez obscures et vient s’installer à Cologne dans le quartier de Lindenthal. Il n’obtient toutefois pas le même succès comme portraitiste qu’à Linz et se voit contraint de rechercher une autre clientèle. Il fait alors la navette entre Cologne et le Westerwald, sa région d’origine où il rencontre bientôt un certain succès. C’est son épouse qui gère l’atelier pendant ses absences. Cette nouvelle clientèle, qu’il connaît bien puisqu’il s’agit de sa région natale, l’incite rapidement à diversifier sa pratique. Clarté, sobriété et froideur deviennent ses maîtres mots.
En 1914 il est rattaché à l’armée de réserve et échappe ainsi au grand massacre et, après la guerre, il se rapproche des artistes progressistes rhénans dont les peintres Seiwert et Hoerle avec qui il a de nombreuses discussions qui le détachent progressivement de la bourgeoisie à laquelle il s’était identifié avant la guerre, surtout à Linz où il avait recherché, et obtenu, une ascension sociale certaine. Il reste toutefois partisan convaincu de la social-démocratie de la République de Weimar et n’apprécie nullement l’idée de révolution mondiale, contrairement à son ami Seiwert qui avait des conceptions radicalement anticapitalistes. Vers 1922 il a définitivement abandonné toute idée de « photographie d’art » pour se consacrer à la « photographie exacte » selon ses propres termes ; plus de gomme bichromatée mais des tirages clairs, bien contrastés et de qualité technique optimale sur un papier brillant. Il commence à visionner et à trier les négatifs qu’il a accumulé depuis le début de sa carrière et à les sélectionner en fonction de leur degré « d’objectivité », les considérant maintenant sous l’angle documentaire. Il les tire sur papier brillant et les soumet à ses amis comme une illustration de l’état moral et social d’individus, mais aussi de groupes sociaux. Il étend progressivement son étude aux catégories les plus variées et envisage la question de leurs rapports mutuels et de la structure de la société dans son entièreté. C’est alors qu’il forme le projet d’offrir un panorama photographique de toutes le professions et de tous les milieux de la République de Weimar. C’est le projet, maintenant conscient et mûri, qui était en germe dans son approche des paysans du Westerwald : présenter les individus comme éléments d’un ensemble social. Les années 1923-1924 voient une réforme monétaire qui relance l’activité économique, et il en bénéficie sous la forme de commandes industrielles qui lui assurent la sécurité financière pour une longue période. Il se consacre dès lors à l’accumulation systématique de nouveaux clichés, laissant souvent à ses collaborateurs le soin de répondre aux commandes des entreprises. L’inventaire de la société allemande, tâche énorme et non rémunérée, devient alors son objectif prioritaire.
En 1927, Sander présente un premier ensemble de photographies dans une exposition à Cologne qui rencontre un certain succès, tant à Cologne qu’à l’extérieur, et un éditeur le contacte pour envisager une publication. Antlitz der Zeit (Visages du temps) paraîtra en 1929 avec une préface de l’écrivain Alfred Döblin. Avec un bulletin de souscription pour Menschen des 20. Jahrhunderts (Hommes du XXe siècle) à paraître par la suite, cet ensemble de 60 portraits est une amorce du grand œuvre de Sander. L’ouvrage se vendit mal malgré l’enthousiasme des journalistes et intellectuels. Le grand public y fut moins sensible, mais ce fut néanmoins un succès partiel.
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Après l’accession de Hitler au pouvoir, et l’arrestation en 1934 de Erich, son fils aîné, condamné à 10 ans de réclusion pour son appartenance au parti communiste, Sander est devenu suspect pour le régime nazi. Antlitz der Zeit est saisi, les derniers exemplaires et les plaques sont détruites, et il se fait discret et travaille plus ou moins clandestinement, notamment à la réalisation de portraits de Juifs ou de prisonniers politiques. Nombre de ses amis sont déclarés « artistes dégénérés ».
C’est à ce moment qu’il entreprend son reportage sur le vieux Cologne qui devait comprendre 12 cartons et s’intituler Köln wie es war (Cologne telle qu’elle était). Cette activité éveilla toutefois les soupçons, sa maison fut perquisitionnée, certaines épreuves saisies. La municipalité lui proposa néanmoins de le publier, mais il a refusé, prétextant que le travail n’était pas assez avancé. Il se consacre dès lors principalement au paysage lors d’excursions de parfois plusieurs semaines sur les bords du Rhin ou de la Moselle, dans l’Eifel, le Westerwald ou le Siebengebirge.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Sander entrepose ses négatifs (40 à 50.000, selon les sources) dans la cave de sa maison de Cologne et se retire dans un appartement au-dessus d’une ferme à Kuchausen (Westerwald) où il en stocke 10.000 des plus précieux. La maison de Cologne sera détruite dans un bombardement, et les négatifs perdus lors de l’incendie qui suivra. Après la guerre il continue à se consacrer aux portraits, principalement de paysans, mais sans être tout à fait satisfait du résultat.
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Si la plupart de ces projets n’ont pu être menés à bien, August Sander aura la consolation de ne pas disparaître de la scène photographique. Alors qu’il avait été pendant des décennies considéré comme un marginal par ses confrères, il reçoit en 1955 la visite d’Edward Steichen qui choisit des portraits pour son exposition The family of man, il est nommé citoyen d’honneur de Herdorf où une rue porte son nom, reçoit la Croix fédérale du Mérite, puis devient membre honoraire de la Société allemande de Photographie qui lui accorde son Prix de la Culture en 1961. Une reconnaissance amplement méritée quoique tardive, qui permit que son œuvre fut enfin accessible et est maintenant recherchée par les collectionneurs et les musées du monde entier.
August Sander meurt à Cologne le 20 avril 1964 d’une attaque d’apoplexie.
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Présenté au Photo-Club le 13 novembre 2014.