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Le maître d'école

Nostalgie des écoles de village, assis à son vieux bureau de bois sur l’estrade, le maître d’école est là. Il regarde pour la dernière fois cette classe qu’il a tant aimée.

L’heure de la retraite a sonné et il faut partir. Abandonner cet endroit tant de fois regagné et animé par des petites têtes blondes aux sourires angéliques. Dans sa main, la clef qui ferme la porte, gestes mille fois répétés et geste qui sera aujourd’hui le dernier. Ses cartons sont faits, et déjà dans l’auto, il emporte avec lui les souvenirs d’une vie d’enseignant. Des objets qui ont, pour lui, le goût aimé de son passé et le bonheur de sa mémoire.

Accroché au mur, le vieux tableau noir en a vu des enfants défiler devant lui, toujours alignés par deux sur ces bancs d’un autre siècle. Il a vécu toutes les réformes, les modernités, les changements de rythmes mais n’a jamais bougé de ce mur. Par moment, il entend des petits bruits étouffés, c’est son maître qui pleure et se mouche, le cœur gros. Il a encore des petits trucs à faire avant de partir, des gestes spontanés de tendresse pour son vieux mobilier. La fenêtre qui bloque et qu’il faut manipuler avec délicatesse. Le tiroir qui grince et qui ne veut plus se fermer. Et toute cette craie qui reste là.

Les souvenirs se bousculent dans sa tête, les années ont suivi et lui rappellent tant de choses, tant d’événements heureux, attendrissants ou parfois dramatiques, émouvants. Les élèves n’ont pas changé sur toute cette période, du plus petit au plus grand, il connaît leur vie, leur bonheur, leur chagrin.

Que de mots mille fois prononcés, que de regards mille fois lancés, que de petits doigts mille fois embrassés et comme tout cela est douloureux à cette heure. Tout se grave dans son âme de peur que l’oubli s’ajoute à sa tristesse. Il ne sera plus jamais le même sans ses petits et le temps amputé de cette tendresse va lui paraître fade et insipide.

Un dernier coup d’œil à tout ce qui a fait sa vie et un dernier tour de clef dans cette porte en chêne. Le voilà libre, dégagé à jamais du poids de ses responsabilités et des soucis du devoir à accomplir.

Sur la porte, le nom de son remplaçant est déjà noté. Le changement est en marche, ordinateur et technologies nouvelles seront là à la rentrée. Tables et chaises neuves aussi ainsi qu’un nouveau tableau interactif.

Un dernier regard enfin. Il part sans regrets vers une autre vie et une retraite bien méritée.

JGobert

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Un mariage ordinaire

 

La richesse n’intéresse pas la plupart des filles lorsqu’elles ont vingt ans. Néanmoins, elles sont séduites par la situation qu’elle vous procure auprès de ceux qui en ont moins. Entre Pierre et George, c’est Georges qu’elle avait choisi. Georges, son père et l’usine du père de Georges, d’un seul oui l’avait propulsée dans le monde des gens biens.

Pierre était le secrétaire du père de Georges. C’était un garçon sensé et raisonnable, il comprenait Isabelle et il fût son témoin de mariage.

Georges était un garçon simple. Il n’était pas attaché au besoin de paraître. Sa voiture, un cabriolet anglais, une Aston-Martin, était la voiture la plus sale de la ville. L’une d’entre elles en tout cas. Lorsque son père souhaitait qu’il profitât de ses passages à l’usine pour la faire laver, il répondait :

- Ta Bentley, je comprends. C’est une question de standing,  mais moi ?

Mariés, Georges et Isabelle firent leur voyage de noces à Bali.

C’est au retour, en embrassant Pierre qui était venu les attendre à l’aéroport qu’elle prit conscience que c’est Pierre qu’elle aurait du épouser. Il s’était penché pour l’embrasser et durant un instant elle avait eu le sentiment que c’était son mari qui l’embrassait. Elle ne pouvait pas se l’expliquer, elle y avait réfléchi le soir même, c’était comme si leurs corps s’étaient reconnus.

Georges, après avoir embrassé celui qui était son meilleur ami, l’invita à dîner pour le lendemain soir.

- On t’en dira des choses, Pierre. Bali, c’est formidable.   Isabelle a adoré. Si tu avais été à ma place, tu aurais adoré aussi.

- A ta place, à ta place…

Ils se mirent à rire mais pour chacun d’entre eux la nature du rire avait été différente.

Le lendemain, comme promis, ils dinèrent ensemble, Georges dit que Bali était spectaculaire, elle ressemblait à ce qu’en disaient les brochures touristiques, et les balinaises étaient typiques, les mêmes brochures le confirmaient.

Ils burent une bonne bouteille et un peu plus tard, ils se séparèrent  en riant de ce même rire  qu’ils avaient eu la veille. 

Parce que quelques mois plutôt, Pierre aurait terminé  la nuit dans l’appartement de Georges.

- Hé oui, Pierre. Entre Isabelle et toi, je choisis Isabelle.

- Je ferais comme toi.

Isabelle se redressa

- Vous, les hommes ! Et moi, personne ne demande son avis aux femmes.

Deux mois à peine après son mariage, Isabelle s’ennuyait déjà. Georges était souvent à l’étranger, son père lui avait confié le contrôle des filiales étrangères. Chez elle, le plus gros des tâches dévolues à une épouse, étaient le lot d’une servante. L’ennui corrode les plus belles unions.

- Je m’ennuie Pierre.

Pierre lui tenait compagnie lorsque Georges était absent.  Et lorsque Georges l’appelait au téléphone, elle lui transmettait le bonjour de Pierre.

Un soir que Pierre l’embrassait avant de renter chez lui, elle le retint.

- Reste Pierre.

Il arrive qu’un mari ait une maîtresse de laquelle il attend les élans dont il prive son épouse. Il arrive qu’une épouse ait un amant qui lui confirme qu’elle est la plus séduisante. Cela pourrait donner à penser qu’une tragédie est peut être en train de naitre.

En réalité, dans la vie courante, il dépend des médias qu’une tragédie  soit un fait dit de société ou une bête histoire de cul. Les histoires de fesses, on en parle peu. Elles sont souvent le pain d’unions parfaitement honorables, à deux ou à trois, et souvent heureuses.

- Je t’aime. C’est toi que j’aurais du épouser.

En général, entre amants on s’aime bien ou on s’aime beaucoup, s’aimer tout court suppose beaucoup d’amour. Et de mensonge. Pas seulement l’abandon  de son corps.

Aimer la femme d’un ami est une situation inconfortable pour l’esprit. Etre son amant  oblige à des manœuvres complexes pour être fidèle à sa maîtresse et à son ami. Il y a peu de solutions faciles. Le meurtre de son ami vous lie à sa femme indéfiniment. La rupture d’avec sa femme vous sépare de lui pour très longtemps sinon pour toujours. Comment faire ?

Heureusement la vie dispose de solutions simples et souvent répétées mais les héros n’en sont pas conscients.

Parce que l’excitation du début de sa liaison avec Pierre qui avait ajouté du piment à leurs ébats avait laissé place à des angoisses, Isabelle convint avec Pierre dont Georges deviendrait un jour le patron, qu’il valait mieux rompre.

- Tu comprends Pierre. J’aime Georges.

- Je te comprends Isabelle. L’amour compte plus que le sexe.

Michel, c’est dans le salon d’un hôtel de luxe qu’elle l’avait rencontré. Le salon des hôtels de luxe était le terrain de chasse préféré de Michel. Endroit neutre, les engagements n’y étaient pas profonds.

C’est curieux, pensait Isabelle. De  tromper son mari avec des inconnus lui apparaissait plus honorable que de le tromper avec son meilleur ami.

 

 

 

 

  

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on danse

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Je nous aimais ce soir-là,

Car nous dansions forcenés,

 

Sans aucune douleur,

Rien que nos ardeurs

Accompagnant l’ivresse,

Nos pas étaient lestes.

 

Je nous aimais ce soir-là,

Car nous étions enlacés

 

D’autres en spectateurs

Regardaient en cœur,

Il y avait allégresse

Tu étais déesse,

 

Je nous aimais ce soir-là

Car nous aimions envoûtés,

 

Des baisers prometteurs

Sans aucune pudeur,

De furtives caresses,

Nous étions en liesses

 

Je nous aimais ce soir-là,

Car nous allions, nous aimer !

 

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En ce lendemain d'élections,

Les exclus sont dans la détresse,

Les élus emplis d'allégresse.

Ô contrastantes émotions!

L'énergie de ces combattants,

Faisant des efforts méritoires,

Devait leur donner la victoire.

Il y a toujours des perdants!

Dans le silence du moment,

D'un ciel dépourvu de brillance,

Dans une morne indifférence,

La pluie tombe tout doucement.

En l'observant, je me rappelle

Un ciel où le soleil brillait

Et la pluie qui éparpillait

D'innombrables petites perles.

Je me souviens que nous disait,

Ma mère, toujours souriante,

Qui nous paraissait bien savante

Et qui souvent nous amusait :

« Le soleil bat sa femme et il marie sa fille »

8 avril 2014

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mourir est difficile

 

 

Il s’y était repris à quelques reprises sans aboutir. L’avant dernière fois, il avait été blessé. Physiquement blessé, inutilement blessé. C’est lui, vivant, qui avait reçu les condoléances émues, à ce qu’elle disait, de Julie qui croyait s’adresser à son amie. A peine s’il avait pu répondre

- c’est moi, Julie

Elle avait raccroché. Elle avait pensé qu’il n’avait pas changé.

- Toujours ces sinistres plaisanteries.

La dernière fois, il avait préparé un cocktail de médicament destiné à dormir. Il espérait bien entendu qu’il ne se réveillerait plus. Mais il n’avait pas fermé la porte  à clé de sorte que lorsque Simone était entrée, qu’elle le vit affalé sur la table, de petites bouteilles vides autour de lui, elle comprit immédiatement ce qui venait de se passer. Elle appela l’hôpital, puis le traîna littéralement jusqu’au lavabo. En glissant un doigt

dans la bouche, elle le forçât à vomir.

- Vous êtes arrivée à temps, dit le jeune urgentiste. Il ne risque plus rien. Demain, il aura l’estomac un peu barbouillé. 

Il la regarda, un mince sourire aux  lèvres. Il pensa qu’une scène un peu dramatique avait poussé l’homme à faire semblant de se suicider devant sa compagne. Appétissante ; pensa-t-il avant de sortir.

A toutes ses amies, à Julie y compris, Simone raconta ce qui s’était passé. Elle ajoutait à chaque fois qu’elle n’en tirait aucune gloire, que Pierre était amoureux d’elle mais qu’elle ne lui avait rien promis.

Julie était l’amie que Simone avait remplacée lorsque Pierre s’était séparée d’elle parce que ; disait-il, il n’avait pas encore envie de se marier.

- C’est d’une ménagère dont tu as besoin, c’est ça ?

Il souriait à la manière d’un Casanova de province.

- Ce n’est pas de ma faute si je plais aux femmes.

Depuis, c’est à Julie qu’il pensait lorsque Simone était dans ses bras. Il fallait en convenir, c’est Julie qu’il aimait au point que sans elle la vie lui paraissait impossible.

Durant la nuit lorsqu’il qu’il voulait prononcer le nom de Julie au lieu de celui de Simone, il ne pouvait le faire qu’en son for intérieur ou, hélas il ne pouvait s’y forcer, il ne pouvait le prononcer qu’en rêve.  

S’il fallait y trouver un peu de réconfort, c’était dans l’idée que de regretter Julie, tout douloureux que ce soit, c’était encore penser à elle.

Le suicide est toujours une bonne idée lorsqu’on est fatigué de vivre.

Il y a un risque cependant. Il arrive qu’il réussisse.

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Soliloque sur l'espérance

 

Ce que l'on nomme l'espérance

Est une certaine énergie.

Elle ravive la confiance

Quand celle-ci semble assaillie.

Les vrais bienfaits de l'espérance

Ne peuvent être contestés.

Elle apporte la délivrance

Face à des faits qu'on redoutait.

On personnifie l'espérance

Et l'on s'en fait une alliée.

Perdurera cette croyance,

Car à la joie, elle est liée.

La chance engendre l'espérance,

L'inverse semble aléatoire.

Le bien dépend de nos efforts,

Mieux vaut ne pas cesser d'y croire.

7 avril 2014

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A ma fille Marianne,,

Mon cœur, pour toi de battre jamais ne cesse ;

lorsque je ne te vois pas rentrer le soir,

que tu es en retard, une fois la nuit tombée,

depuis longtemps déjà,

 mon teint dans le noir s'illumine,

prend la teinte de l'albâtre ;

c'est l'inquiétude qui dans le noir palpite,

 une poitrine seule, vêtue,

qui se souvient de la légèreté de ton petit

crâne de nouveau-né,

 contre elle posé, abrité.

Je te chéris ma fille,

tout le monde devrait te connaître ;

sais-tu, que tu es une richesse infinie sur la terre !

Le soleil d'ailleurs le sait bien,

puisque dans tes beaux yeux verts,

il s'est étendu tout entier.

T'es ma couleur secrète.

Bien affectueusement.

 

 

 

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En ce jour d'élections au Québec

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Ma rue, ce jour, n'est pas déserte.

Je vois des gens au pas alerte,

Près de chez moi, ils vont voter.

Fiers de leur citoyenneté.

Je soliloque, me prélasse.

Quoique je pense ou que je fasse,

Mon choix ne pourrait rien changer.

Alors, pourquoi me déranger?

À Saint-Laurent, c'est libéral.

On renouvelle son aval,

Sans considérer la droiture,

Par grande peur de l'aventure.

Je voterais, tout au contraire,

Pour les changements salutaires

Menant à un nouveau pays.

Un candidat l'espère aussi.

Il mérite que je lui montre

Ma sympathie à son encontre.

Les efforts renforcent la foi,

Mènent au succès maintes fois.

Dans l'isoloir dans un moment,

Mettrai mon vote, évidemment

Pensant qu'il a peu d'importance,

Mais montrera ma connivence.

7 avril 20014

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12273001463?profile=originalIl s'agit d'un roman de Jean Giono (1895-1970), publié à Paris chez Grasset en 1932. Des fragments avaient préalablement paru dans diverses revues: «Jeunesse» (chap. 1, 2 et 3) dans Europe le 15 novembre 1932, «la Femme du boulanger» dans la Nouvelle Revue française le 1er août 1932 et «les Musiciens» dans Marianne le 16 novembre 1932.
Après avoir publié, depuis Colline, plusieurs romans qui ont assis sa réputation d'écrivain, Giono aborde un genre nouveau avec Jean le Bleu, puisqu'il s'agit cette fois d'un ouvrage autobiographique. Le texte prend cependant place parmi les oeuvres romanesques. Dans sa Préface de 1956, l'écrivain affirme en effet: «J'ai autant inventé ce livre-là que les autres.» L'expérience vécue de l'enfance en constitue malgré tout la matière première: «L'invention y est cependant fondée plus qu'ailleurs sur le réel: j'étais un des personnages et je racontais ma jeunesse. Il serait peut-être intéressant néanmoins de départager un peu le réel et l'imaginaire» (ibid.). Quant au titre, Giono l'explique en ces termes: «C'était simplement parce que très souvent on me parlait de mes yeux bleus, et en même temps il y avait le côté rêveur du personnage» (entretien avec R. Ricatte, septembre 1969).
Le père du petit Jean est un vieux cordonnier plein de sagesse (chap. 1). Sa mère est repasseuse. Le père sympathise avec la cause anarchiste et prête assistance aux pauvres et aux malades (2-3).
L'enfant, grâce à deux hommes vivant dans la maison voisine, la «maison des errants», découvre la musique. A la suite d'une grave maladie, il effectue un long séjour au village de Corbières, chez le berger Massot (3-6). Jean entre dans l'adolescence, éprouve les tensions qui accompagnent la naissance du désir et connaît les joies de la lecture. De retour à la ville, il rencontre un nouvel habitant de la maison des errants, le poète Odripano. La découverte de l'amour et de l'amitié précède de peu le départ de Jean pour la guerre (7-9).
A travers le récit de divers épisodes de son enfance - le texte propose en effet une juxtaposition de séquences singulières, significatives et pittoresques, plutôt qu'il ne restitue le vécu dans sa continuité -, Giono célèbre surtout, dans Jean le Bleu, le souvenir de son père. Celui-ci se nomme aussi Jean, ce qui accentue, au sein du rapport de filiation, sa valeur de modèle, et constitue la figure dominante de l'oeuvre. L'écrivain avait d'ailleurs un moment songé à intituler son livre Mon père ce héros.
Beaucoup moins de pages sont consacrées à la mère, et la répartition, tant géographique que symbolique, de l'espace romanesque la confine au rez-de-chaussée de la demeure familiale alors que l'atelier du père est situé à l'étage le plus haut. La figure paternelle est en outre redoublée par la présence de divers personnages qui en démultiplient le rayonnement: un violoniste et un flutiste, Décidément et Madame-la-Reine, font découvrir la musique au jeune Jean, «l'homme noir», un malheureux secouru par le père, l'initie à la lecture durant son séjour à Corbières et enfin le poète
Odripano, par ses récits, fait voyager son imagination dans un univers où la frontière entre la réalité et la fiction est indiscernable. Tous vivent dans la «maison des errants», ainsi nommée en raison de la pauvreté et de la marginalité de ses habitants. A la fois misérable et sublime, elle est une sorte de palais des merveilles que l'enfant se plaît à contempler, et aussi le théâtre de drames entrevus ou imaginés à travers des fenêtres: celui d'une prostituée, d'une Mexicaine adultère et meurtrière, d'une petite fille morte.
Le père du petit Jean, en raison de ses idées libertaires et de son comportement frondeur - il héberge quelque temps un anarchiste recherché par la police (chap. 3) -, appartient à la même famille symbolique des errants. Peu soucieux des normes et des conventions, il se situe lui aussi en marge de la société. Il inculque à son fils, par ses actes tout autant que par ses paroles, une sagesse pourvoyeuse de liberté et fondée sur l'espérance: «Méfie-toi de la raison [...]. Avec la raison, on n'arrive pas à grand-chose. [...] Avec l'espérance, on arrive à tout» (chap. 8).

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Rien qu'un jeu

 

 

J’ai fait ce soir un rêve curieux. Nous étions, Julie et moi, dans une voiture, il me semble que c’était une décapotable, et nous roulions sur une route de campagne  pour nous rendre chez un de mes amis.

Julie, parce ce qu’elle était seule elle aussi, était la compagne de certaines de mes nuits. J’ignore qui de nous deux avec les gestes de l’amour comblait la solitude de l’autre mais nous y mettions tant d’ardeur que c’était une façon de nous efforcer tous les deux de survivre.

C’était la première fois que je me rendais chez Marc avec Julie mais elle semblait connaître la route aussi bien que moi.

C’était une côte sans fin. Le moteur peinait tellement que j’avais peur que la voiture ne s’arrête. Elle nous aurait entraîné en arrière, et j’aurais été incapable, je le savais, de la retenir. J’appuyais sur la pédale avec une obstination de maniaque.

La villa de Marc est apparue au sommet de la côte sous le soleil immobile de midi. C’était un bâtiment de béton gris et de verre bleu, une large terrasse l’entourait, il n’y avait ni arbre ni verdure, on aurait dit un dé tombé au milieu du désert.

Nous avons abandonné la voiture, et Julie s’est avancée vers les marches de l’entrée, la tête haute, la poitrine tendue, les yeux brillants, comme devait s’avancer l’avant-garde d’une armée conquérante lors d’une guerre sans merci. Moi, je me demandais quel était l’objet de cette guerre ?

Dans le living il n’y avait personne. C’était une pièce immense, presque vide, seule une table de marbre en occupait le centre comme l’autel d’une église des temps futurs. Les murs étaient blancs. A l’un d’eux, sur presque toute la largeur, pendait un tableau qui représentait une femme nue peinte en ocre, une jambe repliée, le visage inexpressif et les yeux sans iris. Le fond du tableau était vert sous l’effet phosphorescent d’un néon de dancing.

J’ai regardé Julie. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point elle était blonde. Son regard était dur, elle avait le visage creusé comme à l’instant le plus aigu de nos étreintes.

Nous sommes entrés dans une autre pièce. Un homme était en train de peindre tandis qu’un autre, derrière lui, le regardait avec une fixité de mannequin. J’ai demandé si Marc était là. L’homme qui peignait a répondu sans détourner la tête :

- Marc a du s’absenter, il va revenir d’un instant à l’autre.

Julie s’est approchée de la toile. Les deux hommes se sont tournés vers Julie. Comme à chaque fois que des inconnus l’observaient, elle a souri avec ce lent mouvement de la tête qu’ont les oiseaux de proie avant de prendre leur envol.

C’est alors qu’un troisième homme est entré dans la pièce. Un homme jeune, la poitrine nue sous une veste de toile, je me souviens qu’il n’était pas rasé.

Il s’est dirigé vers Julie, il l’a regardée intensément, et puis seulement il a souri à son tour.

- Vous êtes une amie de Marc ?

Julie s’est tournée vers moi. Ses yeux avaient cette palpitation inquiète que je lui avais déjà vue, et qui me donnait à chaque fois l’impression que quelque chose d’important la bouleversait. Je me suis  avancé et j’ai dit que j’étais un ami de Marc.

- Marc n’est pas là. Il ne va pas tarder.

Mais c’est Julie qu’il continuait de regarder.

- Vous avez bien fait de venir.

Julie s’est redressée inconsciemment.

- Venez, nous allons attendre Marc sur la terrasse. Il fait si beau aujourd’hui.  

Il lui a pris la main et Ils sont sortis.

- Reste, je reste bien moi.

C’était celui qui regardait peindre son ami qui me parlait. J’ai secoué  la tête.

- Non, je vais y aller.

En même temps je pensais: qu’ai-je besoin de lui répondre mais je ne bougeais pas.

- Où est Marc ?

Le peintre avait cessé de peindre et nous nous sommes regardés tous les trois.

C’est alors que Marc est apparu. Il portait une chaise et il a traversé la pièce sans nous voir.

J’ai crié :

- Marc!

Il n’entendait pas. J’ai regardé les deux autres.

- Viens.

Le peintre a posé la main sur mon épaule, et il m’a entraîné vers le living.

Dans le living, la table était toujours nue mais il y avait désormais des chaises tout autour. La main du peintre a pesé plus fort sur mon épaule.

Jacques, je savais qu’il s’appelait Jacques mais je ne sais pas comment je le savais, Jacques est entré avec Julie. Il lui a demandé de s’asseoir. Moi, c’est le peintre qui m’a demandé de m’asseoir. Marc était là, lui aussi. Nous sommes restés silencieux un moment.

- Je vois que vous vous connaissez tous.

J’ai répondu :

Non. Nous allons partir, nous reviendrons une autre fois.

 Jacques s’est  mis à rire.

- Et vous nous priveriez de la présence de Julie ?

J’avais le sentiment étrange que nous étions les personnages d’une pièce de théâtre dont j’étais le seul à ne pas connaître le texte.

- Tu ne trouves pas qu’elle a de beaux yeux ?

Il a pris les mains de Julie dans les siennes.

Sans qu’aucun mot ne sorte de ma bouche j’ai voulu dire que ce n’était pas vrai, que Julie n’avait pas de beaux yeux, qu’elle avait des yeux transparents qui ne reflétaient que la seule couleur de ses passions : calcul, abandon et haine tout à la fois. Je le savais, moi. Pourquoi disait-il qu’elle avait de beaux yeux ?

Julie scintillait comme si le soleil l’avait embrasée. Elle a détaché de son cou son foulard, elle a posé une main sur sa poitrine, et elle a demandé au peintre pourquoi il avait peint une femme belle mais sans yeux ?

- Ce n’est pas une femme, c’est un tableau. Vous, vous êtes une femme.

Puis il a demandé si nous étions mariés, Julie et moi. Julie a saisi ma main.

- Nous sommes des amis, de grands amis.

Le peintre a éclaté de rire. Julie avait les joues en sang. Jacques s’est penché vers elle, il lui a dit quelque chose à l’oreille, elle a serré ma main.

J’avais chaud et je me sentais ridicule soudain dans mon complet. J’ai tiré sur mon nœud de cravate.

- Ote donc ta cravate.

Julie avait l’air excédée.

Ils avaient tous les yeux fixés sur moi.

Lorsque Julie faisait l’amour, c’était comme si elle naissait à chaque fois. Ses forces étaient bandées pour un destin dont elle pressentait que l’amour était la seule raison d’être. Son corps était la face lumineuse de son sexe, et son sexe était la source de sa vie. Et moi, je savais maintenant combien il m’était nécessaire.

- Il a bien de la chance. Est-ce qu’il en est conscient ?

Je me suis levé et j’ai dit à Marc que nous allions partir.

- Pourquoi, pourquoi? Ce n’est qu’un jeu.

- Demande-lui si elle veut, elle ?

Je n’ai pas répondu. Julie ne me regardait pas. Autant que ses mains, sa bouche, ses seins, le regard des hommes était la preuve de son existence, et avec ou sans moi, elle voulait continuer d’exister.

C’est alors que je me suis réveillé.

 

 

 

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À mon amie Liliane Magotte

 

La nature avec art façonne des volumes

Et harmonieusement les orne de couleurs.

Elle agit en tout temps, usant pinceaux et plumes,

Possède ce qu'il faut pour créer des splendeurs.

Des textures et des teintes émerge de la joie

Quand l’ardente lumière avive et ensoleille.

On ressent bien souvent comme un élan de foi;

L'envie de copier survient ou se réveille.

Je me suis inventé un jeu qui me passionne:

Sur du blanc, je répands de multiples couleurs.

Je les vois dessiner des taches qui m’étonnent,

Elles peuvent former un captivant ailleurs.

 

Alors qu’il faut talent et savoir-faire en art,

Le jeu que j’ai trouvé n’exige que patience.

Le résultat dépend strictement du hasard.

Lors, je me sens comblée quand j’ai eu de la chance.

27 novembre 2008

 

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À l'aventure, composition abstraite

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Répandre avec ardeur différentes couleurs,

sur une large toile blanche,

fait plus que me désennuyer.

Les rouges vifs et les verts tendres,

le jaune-joie, l’orange-feu,

le bleu, le brun et le violet,

s’harmonisent en se mariant

Le noir, qui partout les entoure

met en relief d’étranges formes.

Le blanc, qui répand la lumière,

égaye, anime le décor.

Je pénètre ravie et libre

Dans un lieu, secret qui m’enchante.

25/1/1990

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expo

voici les derniers tableaux sur le thème floral, pour l'ouverture de l'Espace muséal et culturel Georges Mulpas à Elouges,2 autres artistes m'accompagnent , Christophe  Louchard ,sculpteur floral et Francisco Testa ,imprimeur et graphiste de grand talent concepteur de l'affiche et de l'invitation.

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"la voie du milieu se situe entre « silence » et « présence », entre j'écris pour moi, souvent, ou je positionne pour autrui  au risque de n'être pas compris(e) puisque le narrateur, dans son vécu, dans son mentir vrai entre roman et théâtre joue ses chapitres ou ses actes, parfois accompagné d'autrui sous les salves ou pas d'applaudissements futurs ou en errance en plein désert mais pourquoi écrivons-nous ?"

Marie de Cœur

Extrait d'un échange sur wordpress avec un jeune homme sur le silence, la vie... !

http://youtu.be/1R1_VvDhwBw

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Nouvelle: Séisme

Séismes

Clara et Simon se connaissaient depuis longtemps. Ils habitaient deux maisons contiguës dont les façades de pierre s’ouvraient sur la place triangulaire de Mont sur Roc ombrée de grands platanes.
Enfants, ils s’étaient peu côtoyés, Clara étant plus âgée de quelques années. A 20 ans, elle devint l’institutrice de l’école du petit bourg. Elle prit l’habitude, les soirs où la fraîcheur légèrement humide des arbres de la petite place estompait pour quelques heures la chaleur étouffante de l’été, de lire sur un banc un peu à l’écart et toujours inoccupé comme s’il lui était réservé. C’est là que Simon vint lui aussi s’asseoir, d’abord comme au hasard de ses promenades, puis presque chaque jour.
Bientôt, suspendant sa lecture, elle tourna de plus en plus lentement les pages de son livre pour finalement l’abandonner ouvert sur ses genoux, laissant les feuilles ondoyer librement sous la brise. Ils se sont découverts, d’abord avec étonnement, des sujets infinis de discussions, des rêves et des idéaux à partager. Elle l’aima d’un amour fou et lumineux qui transporte et dévaste, sans chercher à se protéger, sans crainte, comme une évidence qui s’imposait à elle.
Ils avaient en commun la folie des gens exaltés. Un jour, Simon pénétra en riant, tout habillé, dans la rivière, là où l’eau plus profonde se tord dangereusement et danse en tourbillon sous les grands arbres. Clara l’y avait suivi dans un emportement joyeux et alors que les remous la faisaient vaciller et l’enveloppaient dans leur creux, il l’avait secourue, répondant d’emblée à l’appel muet et confiant de ses yeux.
Elle vivait au jour le jour, sans souci du lendemain. Simon lui souriait et la regardait avec une tendresse un peu amusée, ce qu’elle n’osa pourtant prendre pour de l’amour. Son regard qui parfois semblait la traverser, se portant au-delà d’elle vers des horizons lointains et inconnus, étendait des ombres en son cœur et lui donnait de sourdes angoisses, la laissant enfermée en elle-même. Elle avait la sensation en ces moments que de noires araignées tissaient lentement leurs toiles dans sa tête.
Un certain été, Simon arriva de plus en plus souvent accompagné de Marie-Claire, la fille du châtelain déchu dont la demeure, grande bâtisse de briques rouges et blanches tombait mélancoliquement en ruines. Marie-Claire était sans aucun doute jolie, mais Clara souffrait de voir son ami suspendu aux lèvres peintes de cette fille superficielle qui n’aimait surtout qu’elle-même. Clara se taisait. Elle s’efforçait de se montrer toujours enjouée et légère lorsque Simon venait lui faire l’éloge de celle qu’il épousa quelque temps après.
C’est ainsi que Simon quitta le premier Mont sur Roc pour se fondre dans la grande ville. Ils entretinrent longtemps une correspondance régulière qui réchauffait le cœur de Clara. Le soir, quand elle s’allongeait dans le noir, son chat blotti contre son bras, et que le sommeil tardait à la prendre, elle se laissait aller au bonheur douloureux des souvenirs et à s’inventer une vie avec Simon. Au creux de la nuit, serrant un peu plus fort contre elle son chat qui gémissait doucement, elle sombrait dans les rêves comme un navire s’enfonce dans des eaux noires.
Puis les lettres se firent plus courtes, plus espacées et bientôt cessèrent. Elle aussi quitta le village. Elle avait fini par épouser le fils d’une amie de sa mère, beaucoup plus jeune et qui disait l’aimer depuis l’enfance, un garçon sage et honnête. Un fleuve tumultueux doit se jeter dans l’océan : c’est aux eaux dormantes d’un étang qu’elle mêlait ses impétuosités.
De cette morne union qui n’était pourtant pas malheureuse, elle eut une fille qui hérita de son caractère fougueux et partit vivre aux Etats-Unis dès ses études terminées.
Las de se heurter sans cesse à son regard où se lisaient de la tristesse, de la révolte et une volonté désespérée de rattraper des bonheurs perdus, c’est lui qui le premier parla de séparation.
Clara venait d’avoir 54 ans, elle avait derrière elle un passé fragmenté et inachevé et elle s’apprêtait à la solitude.
*
Clara est fatiguée. Sa fille Laure vient de la quitter, elle était venue fêter ses 60 ans. Elles éprouvent l’une pour l’autre une affection à la fois tendre et distante et leurs discussions passionnées s’achèvent souvent dans un retirement exacerbé de tout leur être. Laure est très libre, elle a des dizaines d’amis mais repousse toutes attaches et mène une carrière brillante aux Etats-Unis. Pourtant sa mère trouve navrant de ne pas la sentir plus heureuse et plus sincère. Sans doute y est-elle pour quelque chose, sa fille luttant de toute son âme à ne pas se laisser emprisonner dans la vie terne où elle a vu pendant toute son enfance sa mère se cogner comme un bel oiseau auquel on aurait coupé les ailes.
Clara s’étire lentement devant la fenêtre grande ouverte. Un vent frais pénètre dans sa chambre, faisant ondoyer les tentures; une brume diaphane montant de l’aube estompe les cimes des hauts sapins en bordure du parc. C’est le printemps, elle regarde l’envol des pigeons au-dessus des toits et s’emplit de l’air humide et parfumé apporté du lointain par les premières jacinthes. Vie plane, tranquille et sans surprise. Lassitude de tout ce qui est insuffisant.
Son stage d’aquarelles débute ce matin. Elle se secoue et se surprend à sourire, projetée dans le menu plaisir de noyer ses pinceaux dans les couleurs mêlées.
*
S’installant devant son chevalet, elle ne peut que deviner le visage de l’homme aux cheveux un peu longs et grisonnants qui se tient en face d’elle à contre-jour.
Un choc, brutal. Un tremblement saisit tout son être. Séisme dont le cœur est l’épicentre.
Leurs regards n’ont fait que s’effleurer, ils se sont reconnus dans un éblouissement. En un instant tout lui revient, un lancement douloureux serre sa gorge. Les longues promenades à vélo sur les chemins étroits courant entre les prés, les paroles et les rires s’envolant, légers, au-dessus de la rivière comme autant de scintillements dispersés sur l’eau verte, ses sourires gais et tendres qui lui laissaient dans ses yeux à elle des étoiles lumineuses.
Vies bouleversées, joies pleines. Ils se retrouvent comme si toutes les années passées s’étaient effacées d’un coup.
Il est veuf depuis 8 ans, elle est divorcée, aucun obstacle ne les séparera jamais plus.
Simon reprend, jusqu’à leur accomplissement, les gestes qu’il avait à peine ébauchés, elle lit dans ses yeux une tendresse et un besoin d’elle bouleversants.
Tu m’as tellement manqué, lui répète-t-il sans cesse, que de temps perdu. Oui, répond Clara éperdue, ma vie commence seulement, nous rattraperons tout ce temps, nous retrouverons tous les instants abandonnés.
Elle arrive toujours un peu en avance à leurs rendez-vous, un peu rouge, décoiffée, essoufflée, tant elle a le puéril besoin de le toucher, de frotter son nez contre le sien, de partager tous les élans qu’elle attendait il y a 40 ans.
Elle rajeunit, elle se sent belle de l’amour qu’elle donne et qu’elle reçoit. Elle qui ne s’habillait, par habitude ou négligence, que de teintes grises ou noires, se pare maintenant de couleurs gaies et vives comme pour crier son bonheur aux gens qui passent, au ciel et au vent. Quelquefois, lorsqu’elle se retrouve seule dans son petit appartement vieillot avec tous ses meubles, ses objets accumulés qui ne signifient rien pour elle mais font partie de son être depuis si longtemps, elle redevient pour un moment la dame digne aux cheveux déjà blancs et relevés en un petit chignon sage. Elle s’est inquiétée auprès de son médecin, tant ces émois et ces transports d’adolescente amoureuse lui paraissent démesurés.
Elle s’éveille chaque matin dans l’étonnement naïf du bonheur et des promesses à venir. Son existence décolorée s’égouttait lentement en perles pâles, s’épandant sans qu’elle y prenne garde, s’enlisait dans l’immobilité progressive des choses qui finissent, et la vie lui fait don d’un dernier cadeau. Elle émerge enfin de ce puits aux parois froides et lisses où elle s’était laissé glisser sans résistance. Une route lumineuse s’ouvre devant elle. L’horizon sombre cesse de se rapprocher, elle voit l’avenir comme un beau paysage avec ses étendues calmes et ses méandres mais toujours éblouissant.
*
Un jour, alors qu’ils étaient assis côte à côte, leurs mains se touchant, leurs lèvres se cherchant avec ardeur, elle s’enquiert entre deux baisers des causes du décès de sa femme, par prévenance et aussi parce qu’il ne lui en avait rien dit, petite phrase anodine, question distraite qui attendait à peine une réponse.
Mais les yeux de Simon se ternissent et la fuient, s’assombrissent comme si un orage recouvrait brusquement le bleu de ses prunelles et il lui répond évasivement, détournant le regard : elle est morte d’une maladie virale, brutale. Clara s’étonne, tant Marie-Claire représentait pour elle la femme éclatante de santé, solide à force de se préserver, dont toutes les demandes obtenaient des réponses.
Clara insiste, c’est son destin qui l’entraîne inexorablement, elle demande des détails et commence à s’alarmer, ressentant un raidissement dans la voix de Simon, une impatience à peine contenue. Elle pressent confusément qu’elle entrouvre une porte sur un néant inévitable et malgré le vertige qui la prend, ne peut se défendre de le questionner encore, elle perd pied. Il s’emmure, elle n’ose plus parler. Long moment où le temps est suspendu, où tout semble encore possible.
A bout de réticences, déchirant le silence opaque qui les assourdit, Simon la regardant de ses yeux bleu sombre lui lance avec une voix changée : je l’ai tuée; quatre coups de couteau alors qu’elle prenait son bain. On ne m’a jamais soupçonné, j’ai un alibi solide, ajoute- il encore. Elle n’en n’est pas sûre mais elle l’a entendu à ce moment ricaner.
D’abord elle ne dit rien, tout se fige, elle ne le croit pas, il plaisante. Le regard de Simon la détrompe. Aucune échappatoire.
Le sol se dérobe, un gouffre glacial s’ouvre devant elle l’engloutissant comme dans un tremblement de terre. Nouveau séisme, réplique violente, absurde et contrecarrant le premier.
Clara ne peut plus soutenir les yeux de Simon que les ombres ont quitté et qui la fixent maintenant d’un air désolé et aimant. Elle se lève brusquement et s’enfuit en courant, trébuchant à chaque pas. Elle étouffe, des sanglots lui nouent la gorge mais ce sont des pleurs de rage et de colère. Chaque respiration lui déchire péniblement les poumons.
Elle regrette de l’avoir retrouvé, le prix à payer est trop élevé. Elle menait une vie morne sans grande joie mais sans véritable douleur non plus, sauf la crainte lancinante et refoulée de vieillir seule.
Tout lui est ôté, tout lui est rendu. Il ne reste plus rien de son bonheur fou, sa petite existence étriquée d’avant lui est relancée au visage comme une gifle, avec le désespoir en plus.
Clara pense qu’elle avait pourtant vaguement ressenti chez Simon et enfoui au plus profond d’elle- même, certaines attitudes, une sorte de retrait de l’être, quelque chose de fuyant et de secret qu’elle ne lui connaissait pas. Mais elle avait surtout retrouvé malgré les années sa voix chaude et grave, un cœur battant au même rythme que le sien, la consanguinité d’esprits qui les avait rapprochés.
Mais Simon est devenu un monstre et ses sentiments pour lui sont intacts.
Clara marche à pas hésitants dans le parc dont les allées sablonneuses sont recouvertes de pétales roses et blancs. Les jacinthes et les jonquilles sont déjà fanées, laissant la place à de larges bordures de pensées violettes. Clara ne retient plus ses larmes et il lui semble que ces fleurs veloutées et si discrètes s’accordent à son âme et à sa petite existence dérisoire. Elle écoute quelques instants le chant monotone des tourterelles perchées tout en haut des arbres en pleine feuillaison. L’horizon s’obscurcit à l’ouest d’une traînée d’un noir délavé qui se fond dans le bleu transparent du ciel. Tout peut être si beau. Et si triste.
Elle s’est isolée chez elle, dans l’obscurité, l’esprit vide. Tout ce à quoi elle aspire, c’est dormir, s’enfoncer dans la nuit, se laisser emporter dans la vie imaginaire des rêves. La sonnerie du téléphone la réveille soudain, se prolonge, la pénétrant d’échardes douloureuses, puis s’interrompt enfin, comblant la chambre de silence. Plus tard, on frappe à sa porte, on insiste, son cœur se met à battre plus fort, à coups saccadés. Elle se lève, il faut faire face.
Simon est devant elle, pâle, les trais flous, le visage creux, comme rongé de l’intérieur. Je t’aime lui dit-il gravement, je n’ai qu’une chose à faire pour être digne de ton amour, je vais me dénoncer, j’expierai mon crime.
Elle tend la main et lui caresse doucement la joue. Jamais elle ne s’est sentie aussi triste, aussi démunie. Clara lui dit d’attendre, elle a besoin de rester seule, ils se retrouveront demain.
Elle éprouve à la fois une peur et un épuisement immenses. Jamais elle n’aura le courage de l’abandonner, de renoncer à lui. A quoi serviraient désormais sa bouche, ses bras, son cœur, son être ? Elle ressent aussi, à d’innombrables petits signes, qu’elle n’a plus beaucoup de temps; elle ne pourra pas attendre que se rouvrent les murs où Simon sera enfermé. Mais comment l’existence pourrait-elle continuer à s’écouler pour eux deux, avec l’horreur qui dressera toujours ses ombres funestes sur leur amour?
*
A la levée du jour, Clara est apaisée, elle est prête. Le printemps l’éclabousse à sa fenêtre des mille existences minuscules qu’il fait renaître. Le vent chasse d’indolents nuages, découvrant ça et là des éclats bleus lumineux.
Elle chantonne doucement en traversant les allées du parc saupoudrées de lumière dorée, lève son visage dévasté vers le ciel, les arbres en fleurs et les oiseaux. Clara va chercher Simon.
Ils demeurent longtemps côte à côte, elle a la tête un peu penchée sur lui qui l’enlace de son bras. Tout a été dit. Ils ont retrouvé Mont sur Roc. Contournant la petite place ensommeillée, ils s’éloignent silencieux dans les prés voilés de rosée, vers la rivière qui scintille.
Sur la berge d’où s’élèvent de longues écharpes de brumes ils se dévêtent et se tenant par la main, se dirigent lentement vers les tourbillons.
Tout est calme à présent. Ils ont arrêté de dériver d’un bord à l’autre de leur vie.
*
Martine Rouhart, 2009

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Une femme divorcée.



Sabine était une femme divorcée. Souvent, elle s’était demandée :
- Pourquoi avoir divorcé, c’était un brave garçon, non ?
Elle haussait les épaules, et elle se répondait :
- Je ne sais plus.
Elle pensait que ça n’en avait pas valu la peine. Le mariage ou le divorce ? Parfois c’était l’un, parfois c’était l’autre.
Elle était âgée de quarante ans à l’époque de son divorce. Chez l’homme ou chez la femme, il y a des âges où la vie est sur le point de basculer. Et parfois, elle bascule.
Aujourd’hui, à l’âge de cinquante-six ans, elle était encore fort séduisante. Elle avait été, à l’époque de son divorce, une femme qui enflammait les hommes au travers de la sensualité qu’elle dégageait.
Un jour au Club Méditerranée de Djerba en Tunisie tandis que son mari s’était absenté durant un jour pour une compétition de golf, elle avait succombé à l’attrait d’un compagnon de rencontre. L’homme, en dansant, l’avait serré si fort qu’elle avait voulu le repousser. Vêtu de son paréo, il avait poussé son ventre contre celui de Sabine comme s’il avait voulu lui imprimer son sexe sur le sien. Elle n’avait pensé à rien d’autre. Elle s’était laissé conduire le temps d’une danse. Et elle l’avait suivi à l’écart des huttes du Club.
Un autre jour, elle avait appris que son mari l’avait trompée. Il était médecin. Le matin, il faisait des visites à domicile. C’était une patiente qui le lui avait révélé. Une folle avait dit le mari. Une nymphomane. Il avait prétendu qu’elle l’avait pratiquement violé. Nue sous sa robe de chambre qui s’était délacée lorsqu’elle avait glissé sa main sous ses jambes, elle s’était laissé tomber sur le sol en l’entrainant sur elle.
- Que pouvais-je faire ?
Elle le lui avait reproché, et elle avait entrepris une procédure en divorce.

A quarante-deux ans, elle était devenue une femme libre. Une femme seule.
Seule ? Elle eut un amant. Le mari séparé d’une amie. Marcel souhaitait l’épouser. Elle était sexy, elle faisait bien l’amour, il ne le disait pas mais elle faisait beaucoup mieux l’amour que ne le faisait sa femme, et elle faisait bien la cuisine. Une cuisine légère parce qu’elle surveillait sa ligne, et savoureuse.
Elle cessa de voir Marcel.
La vie est imprévisible. Il ne devait pas être âgé de plus de vingt cinq ans celui qui l’avait abordée dans une brasserie, attablé à une table voisine. Un beau garçon, de belles proportions physiques, le visage souriant, il devait plaire indubitablement. Il lui avait plu à elle aussi. Pourtant, il aurait pu être son fils ! Elle exagérait mais c’était d’autant plus excitant.
- Je peux m’asseoir ?
Elle avait dit oui. Elle n’avait pu s’empêcher d’ajouter :
- Un lapin ?
- Pas un lapin, un signe du destin.
- Oh ! Vous n’exagérez pas un peu ?
- A peine.
Il ne manquait pas d’audace. Ce fut une liaison qui dura quatre mois. Il la retrouvait deux fois par semaine dans l’appartement qu’elle occupait depuis son divorce. Elle aimait cette façon qu’il avait de la regarder lorsqu’elle était nue. Elle plaisait. Elle pensait : il ne me regarde pas, il me détaille. Il découvre la femme en moi.
Les années passèrent. Elle eut sa dernière aventure avec des jeunes gens lorsque l’un d’eux, le fils d’une amie, lui avait demandé conseil.
- Comment faire ? J’aime Nathalie et je suis incapable de le lui dire.
Elle hésitait entre les larmes et le rire. Mais le jeune homme ne s’aperçut de rien. Sans aucun doute, il était d’une timidité maladive. Elle aurait aimé l’initier.
- Tu l’as déjà embrassée. Tu l’as déjà touchée ?
- A vous, je peux le dire : je ne suis plus un homme lorsque je suis à côté d’elle.
- Plus un homme ?
C’était une véritable confession. Il ne considérait pas que Sabine était vieille ou laide mais ses attraits qui faisaient envie il y avait peu de temps encore aux jeunes gens de son âge n’éveillaient aucune sensation physique chez ce jeune homme. C’est de Nathalie qu’il rêvait. Qu’il éprouvait le besoin de décrire.
Sabine avait trouvé Nathalie quelconque. A l’image de ces jeunes fille en pleine métamorphose qui se bandent les seins parce qu’elles les trouvent trop gros ou qui bourrent de ouate leur soutien-gorge parce qu’elles les trouvent trop menus.
Un soir, elle avait entendu son nom.
- Sabine !
Elle rentrait chez elle après s’être rendue au cinéma. A peine si elle se souvenait du film. Elle l’avait reconnu sans hésiter, c’était la voix de Pierre, son ex-mari, le médecin dont elle avait divorcé quinze ans auparavant.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Sophie est morte.
- Sophie est morte ?
Souvent les phrases se font l’écho les unes des autres, parfois ce sont les silences qui les prolongent, les uns et les autres expriment des sentiments confus.
Sophie était la femme qu’il avait épousée après son divorce. La solitude soudaine des maris, plus que la beauté ou les qualités de leur future épouse, les pousse souvent à se remarier.
Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient pas rencontrés, Sabine et lui. La surprise fut d’autant plus grande. Elle n’alla pas sans un regard inquisiteur sur ce que les corps des uns et des autres étaient devenus. Sabine était demeurée aussi attirante que dans ses souvenirs. Ils s’étaient embrassés sur les joues. Elle était restée fidèle à Shalimar.
- Tu veux monter ?
- J’avais besoin de parler à quelqu’un
Elle habitait au troisième étage. L’ascenseur, proche de la cage d’escalier, était étroit. Il pouvait transporter trois personnes pourvu qu’elles se serrent. Pierre détourna la tête. Sans ce geste instinctif de savoir-vivre, il aurait eu le nez et les yeux sur la poitrine de Sabine dont il se souvenait soudain de la tiédeur.
Pendant qu’elle apportait les verres, elle se souvenait qu’il aimait le whisky. Elle constatait qu’elle-même durant toutes ces années était restée fidèle à la même marque.
- Toujours de l’eau plate ?
Il la regardait, et il pensait qu’elle n’avait pas changé. Lui non plus, aux yeux de Sabine, s’il n’avait plus les traits juvéniles du mari qu’il avait été, il n’avait pas l’air d’un vieillard. Un peu d’embonpoint mais la taille bien droite. Il avait l’air vigoureux. Pourquoi s’étaient-ils séparés ? Elle était incapable de se répondre. Et Pierre, que devait-il en penser ?
Il avait besoin de se confier. Pour l’écouter, elle s’était assise sur le fauteuil à deux places, les jambes repliées sur le fauteuil. A cette place précisément où elle s’asseyait lorsqu’elle était avec son amant avant qu’ils ne se lèvent tout à coup pour s’embrasser.
Elle était incapable de dire comment les choses allaient évoluer. Ce sont des situations dont on devine la fin. Peut être que l’alcool faisait déjà son effet. Pierre se leva. Elle se leva à son tour.
- Il est tard, il faut que je m’en aille. J’avais besoin de parler. Je te remercie, Sabine.
Ils s’embrassèrent comme de vieux amis, et elle le reconduisit à la porte.

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Hommages et baisemain

 

 

 

Je connus, en mes ans lointains,

L'usage doux du baisemain.

Hérité des belles manières,

Il était chose coutumière.

Présentant ainsi leurs hommages,

Les hommes donnaient une image

De gens respectueux, bien nés,

Et souvent même raffinés.

Nobles et bourgeois après eux,

Ne semblaient certes pas précieux

En adoptant cette attitude;

Ils agissaient par habitude.

Or ce qui demeurait permis

Et ce qui n'était pas admis,

Dépendent de nouveaux critères.

Les moeurs deviennent solidaires.

Les hommes d'état de partout,

Entre eux, échangent des bisous.

Le baisemain est d'un autre âge,

Les dames se plient aux usages.

 

5 avril 2014

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Aphorismes sur le bonheur

 

Bonheur:

Le bonheur est un composé d' S.L.C.(santé, liberté et confort)

Bonheur:

En voulant du bonheur à tout prix, on prend parfois le risque de s'en offrir un faux.

Bonheur:

Le bonheur pour rester stable, ne doit pas être dérangé.

Bonheur:

Pour s'assurer un bonheur accessible, il faut se réserver des joies à portée de la main.

Bonheur:

On reçoit rarement le bonheur en paiement de l'indu ce qui nous autorise à en jouir sans avoir

à rendre des comptes

Bonheur

Savoir se rendre heureux c'est savoir se mijoter de petites joies quand le besoin s'en fait sentir.

Bonheur:

Le bonheur est un équilibre précaire que l'on risque de rompre en voulant le parfaire.

Bonheur:

Ce qui nous ensoleille est de la joie, le beau-fixe peut être du bonheur.

Bonheur:

Quand on a le goût de chanter, jour après jour, et même par temps gris, c'est qu'on vit du bonheur.

Bonheur:

Avoir apporté du bonheur ne garantit nullement qu'on en recevra une part.

Bonheur:

Ceux qui ont compris que le bonheur est de n'avoir pas à endurer de grands ou de légers malheurs, distribués à tous inévitablement, se sentiront sans doute heureux.

Bonheur:

Le bonheur de l'humanité viendrait d'un vent généreux, agissant partout à la fois, ce qui est contraire aux lois de la circulation des courants d'air.

 

( Extraits de « Mots dites-moi! »  de Suzanne  Walther-Siksou

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Avril,

Mois d'avril,

le lilas déjà là,

immobile dans ma ville ;

point de vent,

l'air y est doux,

un tantinet velours.

Mois d'avril,

le lilas déjà là,

embaumant dans ma ville ;

féminité arborescente,

blanche ou mauve,

à son apogée, jusqu'à mai.

Et moi,

toute de bleue vêtue,

le visage pâle et grave,

je passe, non loin d'un chat tigré ;

l’hiver est assommant,

même lorsqu'il est tout blanc !

Pourtant,  de ci, delà,

des clartés irisées,

des flaques de soleil,

persistent à y rester,

pour enchanter les pluies !

Mois d'avril,

le lilas déjà là,

douceur dans ma ville ;

une enfant rose et blonde,

juste en dessous,

pour la première fois,

tout lentement s'éprend,

d'un enfant chocolat,

dont le cœur naissant,

dégringole face à elle ;

s'éclaircit,

grandit d'un coup !

NINA

 

 

 

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