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Parfums de lilas

En ce moment de printemps
Quand s’éveille le jour
Se promènent les nuages roses
Dans le ciel vaste et bleu
Alors que la mémoire tremble
Tes mots de sève me reviennent
J’invente tes yeux et tes mains
Je presse mon âme où brûlaient
d’autres fois des flammes
Et dans la légèreté de l’aire
Aux parfums de lilas
Je chemine à pas lents

27/04/2014

Nada

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Sammy Lebienheureux

 

J’ai fait la connaissance de Sammy Lebienheureux dans le magasin  que tenait mon père. J’y étais vendeur parce que je ne savais rien faire d’autre. J’étais davantage au courant des évènements qui se déroulaient en Union Soviétique ou en Chine. Les noms de  Jdanov, Mao-Tsé-toung et Chu en Lai m’étaient plus familiers que ceux de nos fournisseurs habituels.

Un jour que nous nous trouvions, mon père et moi, sur le seuil du magasin, il faisait très ensoleillé, nous étions en juillet, un monsieur qui portait deux pièces de tissus sur l’épaule, s’arrêta devant mon père.

- Comment va un juif ?

- Comme ci comme ça.

- Je reviendrai vous saluer si cela ne vous ennuie pas. Cette ville est une ville très bonne pour le commerce.

J’ai appris que Sammy était un marchand ambulant. Ses deux pièces de tissus sur l’épaule, il les achetait chez un grossiste, il sonnait aux portes et prétendait qu’il était un marin, qu’il avait perdu tout son argent aux cartes, et que pour rentrer chez lui, là-bas très loin, il était résigné à vendre une pièce de tissus anglais véritable au prix qu’on voudrait bien lui donner.

Il se trouvait toujours une âme généreuse pour lui acheter une de ces pièces de tissu anglais au prix d’un vulgaire chiffon qui rétrécira au premier lavage. Parfois, elle achetait les deux pièces si Sammy acceptait de réduire son prix. Personne n’était volé. Le prix donné n’était pas un prix convenable pour un tissu anglais mais le tissu anglais n’était pas anglais.

Il arrivait parfois, avait-il confié à mon père, que des veuves sans lui acheter une pièce de tissu dont elles n’avaient que faire lui ouvraient leur lit. Naturellement, il ne se faisait pas payer. Sammy ne paraissait pas d’une très grande intelligence mais il était manifestement robuste et honnête. En l’occurrence, c’était suffisant.

Mon père lui offrait un verre de thé brûlant qu’il serrait avec précaution entre ses mains jointes et qu’il buvait à petites lampées.

- Voyez-vous, je suis surpris qu’un juif puisse vivre ici, sans un juif à qui parler. Si vous n’étiez pas juif, je ne pourrais pas penser que vous l’êtes.

C’est vrai que de juifs, ici, il n’y avait que nous. Mais

je ne comprenais pas la nature de son raisonnement. Il  me paraissait soit irrationnel soit d’une profondeur singulière. Il me plongeait dans une aussi profonde perplexité que lorsque j’avais lu pour la première fois l’Etre et le Néant.

 Sammy appréciait ma présence. Celle d’un jeune homme qui avait vraisemblablement beaucoup à apprendre de la vie. Et Sammy avait beaucoup de choses à enseigner. Hélas, beaucoup de gens ignorent ce qu’ils ignorent de sorte que c’était parler en vain la plupart du temps.

Sammy nous rendit visite durant un an environ, il venait tous les lundis. Je suppose qu’il ne se reposait pas le reste de la semaine. Il y avait vraisemblablement d’autres villes de province qui disposaient d’amateurs de tissu anglais et de veuves en peine d’amour.

Surpris de ne plus le voir, il n’était plus venu depuis six mois, mon père  interrogea des marchands de tissus.

- Sammy Lebienheureux ? Tu es sûr qu’il s’agit d’un juif ?

L’un d’eux leva les bras au ciel.

- Shlomo, le grand con ? Pourquoi ne le disais-tu pas.

Il va très bien. Il ne vend plus des pièces de tissu comme un marchand ambulant mais des costumes pour hommes qu’il fait fabriquer par des tailleurs à domicile.

. Tu le connais ?

- Un peu. Dis-moi, il est marié ?

C’est une question quasi rituelle quand on se renseigne au sujet de quelqu’un.

- Tu es au courant alors ? Ne le répète pas. Il va épouser la femme d’Armand.

- Armand va divorcer ?

-.Non. Il va épouser la veuve d’Armand.

- Veuve ? Armand est mort ?

- Armand est très malade. Et il est très fortuné. Rita est un beau parti.

Deux ans plus tard mon père apprit que Sammy ne fabriquait plus de costumes. Il avait investi une partie de son argent, celui de Rita, dans deux magasins situés dans deux des artères les plus commerçantes de la ville.

Hésitant quant à la voie à suivre, les deux magasins étant rentables, l’argent qu’il gagna, plutôt que de le réinvestir dans ses affaires, il l’immobilisa dans les briques. Ce fut son premier appartement. Lorsqu’il en eut cinq, il cessa de vendre des vêtements pour vendre des appartements.

Au même moment, c’est un phénomène assez répandu, ses amis cessèrent de dire Shlomo le grand con.

Le temps s’est écoulé. Je croyais avoir oublié Sammy Lebienheureux. Mais quelques années plus tard j’ai rencontré un homme dont la silhouette était identique à la sienne et qui portait sur l’épaule deux pièces de tissus. Je me suis avancé, j’ai dit :

- Vous êtes Sammy Lebienheureux ? Vous me reconnaissez ?

Il a eu l’air surpris. Il a secoué la tête.

- Je m’appelle Salomon. Salomon Glichlich.

- Mais non ! Vous êtes Sammy. Vous possédez des magasins, des appartements, vous êtes fortuné, et votre épouse, la belle Rita…

- Pauvre garçon. Oui, oui, oui. Il me semble que je vous reconnais en effet. Vous êtes le jeune garçon dont m’avait parlé un juif de province. Un garçon rêveur, m’avait-il dit, qui rêvait d’écrire des histoires mais qui était incapable de distinguer le rêve de la réalité.

Des magasins, des appartements, pourquoi pas ? Cela ne doit pas être désagréable que d’être riche. Sais-t-on jamais. Quand je raconterai à ma femme, Dora, ma rencontre d’aujourd’hui, je suis certain qu’elle dira :

- Que Dieu vous entende !

 

 

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Christine,

                                                                               

 

Dimanche sombre,

un peu de pluie,

les glycines mauve clair

s'égouttent sous la marquise,

les jardins à peine bruissants,

tout ensommeillés,

d'avril se dévêtissent

pour endosser janvier ;

le soleil hésite à se montrer.

 

Étendue sur un lit clair,

Christine part en douceur,

plus légère qu'un ange,

elle perd de ses couleurs,

puis tout entier, ralenti son grand cœur ;

la pluie dans sa tête se fait bleue.

 

Elle s'en va tout doucement,

ma main gantée de blanc,

enveloppe la sienne devenue minuscule ;

un soleil sur un flocon de neige......

 

Elle s'en va mon amie.

 

 

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L'histoire véritable de Jésus de Galilée

 

 

Il n’y avait plus beaucoup de convives à table.  Après que Jésus se soit levé, Judas s’était levé à son tour. Ils s’éloignaient en se parlant. Judas avait entouré les épaules de Jésus. Pierre avait toujours soupçonné qu’il lui portait une amitié trop marquée.

Il faisait torride. Dès le milieu de l’été, Bethléem est un véritable chaudron. Impossible de sortir, la tête découverte.

 Il se demandait de quoi ils pouvaient parler. Jésus faisait de grands gestes. Il marchait à grands pas. De temps en temps, il se retournait pour parler à Judas qui avait peine à suivre. Pierre  ne les aimait pas beaucoup ni l’un ni l’autre.

Au début, Jésus et les siens n’étaient rien. A peine un groupuscule qui n’inquiétait pas Jean-Baptiste, le plus entreprenant de tous les leaders qui s’opposaient aux autorités hébraïques.

- Rejoins-nous ; disait-il à Jésus.

Il l’avait demandé à plusieurs reprises mais à chaque fois, Jésus riait.

- Continue de te laver les pieds.

 Il fût un temps où Pierre, l’intendant de Jésus,  s’était demandé si Jean-Baptiste n’était pas plus habile que Jésus. S’il ne valait pas mieux le suivre. Puis, parce que même les romains ne s’en préoccupaient pas,  il avait conclu qu’il ne représenterait jamais rien auprès des hébreux non plus.

Jésus, il le voyait bien, avait une autre allure. Ce n’était pas seulement un tribun dont la voix portait loin mais son discours était original.

- Après la mort, vous serez devant mon père. Il vous jugera. Ceux qui sont les premiers aujourd’hui et ici seront les derniers alors que les plus pauvres, les plus nombreux d’entre nous, seront les premiers, et à la droite de mon père.

Jésus pensait que ce qu’il disait correspondait à la réalité. Il était le fils de Dieu et le roi des juifs.

- Tu ne crois pas sérieusement que ce que tu dis est vrai ?

Judas pensait que Jésus voulait juger de sa rhétorique. Parfois cependant, il avait le sentiment que Jésus était convaincu de ce qu’il disait. Il refusait de n’être que le fils d’un charpentier ?

Il y avait des classes sociales différentes en Palestine. Des marchands, des ouvriers et des paysans, des pauvres et des riches. Des autorités civiles et religieuses. Et des artistes qui, le soir venu, à la lueur d’un feu, amusait un auditoire mélangé qui leur jetait des pièces de monnaie.

Tout le monde se plaignait de la présence des romains qui occupaient le pays. Ils se mêlaient peu cependant de la vie des hébreux. Mais il s’agissait d’occupants dont les distractions étaient différentes de celles qu’appréciaient les hébreux hormis les courses qui réunissaient tous les amateurs dans de vastes stades. Les mêmes stades où se réunissaient les autorités militaires lorsque le représentant de Rome se livrait à des proclamations qui confirmaient son autorité.

Pierre était un fils de marchands. Ce sont souvent les fils de marchands qui sont heurtés par la facilité apparente avec laquelle leur père a gagné l’argent que les fils dépensent si aisément. Ils disent que c’est cet argent qui est la base de toutes les injustices sociales. Les moins nantis cependant, il en était convaincu, c’était leur désintérêt pour l’argent qui était la cause de leur misère. La preuve, c’est qu’ils ne cherchaient pas une meilleure condition.  

Jésus considérait Pierre comme un de ses fidèles parmi les plus dévoués. Judas, c’était autre chose.

Peut- être parce que Judas connaissait la liaison qu’il entretenait avec Myriam ? Et qu’il n’en avait jamais parlé avec quiconque. Même avec Jésus. On peut être le fils de dieu, on en est pas moins un homme. Myriam était belle.

Pierre, lui aussi, était amoureux de Myriam. Peut être voulait-il simplement jouir d’elle ou en faire sa compagne et la mère de ses enfants, qui le sait ? Ce qui est sûr, c’est que la présence d’un autre constitue bien plus qu’une injure qu’on essuie de la main. La jalousie amoureuse, le sentiment qu’un autre jouit de ce qu’on considère comme sa propriété, provoque une haine véritable qui obscurcit le cerveau. Seule la mort du rival permet de jouir aussi fort que ne le fait la possession de celle qu’on désire.

Depuis quelques temps Jésus hésitait entre une carrière politique qu’il devinait croissante et Myriam qui lui devenait indispensable.

Il la prenait par la main, et ils s’éloignaient tous les deux sans prévenir qui que ce soit. Ou bien, il marchait à la tête de ce peuple dont il était désormais le seul roi, un bâton à la main. Il hésitait et jouissait de chacune de ces situations, tour à tour, durant la nuit. La nuit, les rêves n’engagent à rien.

Pierre de son côté  était déterminé à parler avec Myriam.

- Oui ou non, Myriam. Veux-tu être ma compagne ?

- Pierre, tu sais bien que j’en aime un autre.

- Et lui, est-ce qu’il t’aime ?

Il lui prit les mains. Il avait ce regard qui l’avait toujours subjugué.

- Je te trouve belle. Je ferai de toi une femme qui compte. Mon père et moi, nous nous partagerons les affaires. Tu seras fortunée, toi aussi.

Il l’avait prise entre les bras. Elle n’osa pas se refuser. Le sort de Jésus désormais était scellé. Qui donc trahit le mieux sinon celle qu’on aime ?

Il faut le reconnaitre, la plupart du temps l’amour est une comédie. Ce sont les grandes déclarations qui en font une tragédie à même d’émouvoir le peuple.

Pierre était le fils d’un de ces marchands qui occupaient les marches du temple.  Le jour du Shabbat les fidèles s’y pressaient. Les fidèles fortunés occupaient le siège qui leur était réservé durant toute l’année. Ils constituaient une clientèle qui aimait à montrer sa piété et son aisance. En outre, certains membres du Sanhédrin y recevaient  des sommes d’argent destinés à des œuvres. L’entente était bonne entre les uns et les autres.

L’époque était mûre pour la prolifération de véritables sectes dont les chefs haranguaient les fidèles, et se faisaient concurrence. En réalité, ce n’étaient que de boutons d’acné sur le visage imposant de l’empire romain.

 Toutefois, le plus gênant, le seul en vérité, était celui qu’on surnommait le Galiléen, le fils d’un charpentier qui promettait à ceux qui le suivaient de survivre après leur mort dans un paradis géré par son père. Le paradis pour demain : la formule, un véritable slogan, était belle.

Judas lui disait :

- Fais attention, Jésus. Tu te fais des ennemis qui savent qu’ils ont pour eux, et leur conscience et les romains.

- Les romains ? Judas, jamais les nôtres ne leur vendront l’un de nous.

- Ils les vendraient tous s’il s’agissait de sauvegarder leur autorité.

- Le monde n’est pas ce que tu crois, Judas.

- Vivement dans ce monde que tu promets. Ou tout le monde sera beau et gentil. Et recevra en retour tout ce qu’il aura donné ici.

- Tu n’y crois pas ?

-Judas secoua la tête.

- Et toi ?

- A en mourir.

- A en mourir ?

Judas regardait son ami avec commisération. Combien d’êtres humains sont-ils prêts à mourir en contrepartie de la gloire. Ont-ils raison, ont-ils tort ?  Lui-même y rêvait sans doute, ce pessimiste qui ne croyait à rien de ce qu’on lui avait appris de ces ancêtres qui avaient reçu les tables de la loi de Salomon lui-même. Gravées dans le marbre afin qu’elles durent plus longtemps sans doute.

 L’un d’eux,  un nommé Moïse,  leur avait fait traverser la mer rouge  pour les sauver.

Judas était un sceptique, il y en avait déjà un certain nombre. Et s’il accompagnait Jésus, ce n’était parce qu’il était crédule et tenait pour justes les harangues de son ami, presque son frère, mais pour le protéger. Trop de gens se prétendaient ses amis et ses disciples depuis que le succès lui faisait une sorte d’auréole.

Une dizaine d’entre eux se faisaient appeler ses apôtres et jouissaient de sa notoriété. L’un d’entre eux pour montrer son courage et sa dévotion n’hésitait pas à repousser ceux qui l’approchaient de trop près, un fils de marchands au langage châtié, un certain Pierre dont Judas se méfiait. Ses paroles coulaient de source sans aucune difficulté. Judas se méfiait des beaux parleurs.

A dire vrai, Pierre n’était pas celui qu’on croyait. L’amour qu’il portait à Myriam et la jalousie qu’il éprouvait à l’égard de Jésus l’avaient transformé. Qu’il retourne dans son royaume des cieux, pensait-il. Il le dit un soir qu’il était chez son père ébahi de retrouver ce fils dont il avait craint qu’il ne faille de nombreuses années avant que ne vienne la maturité. Cette maturité qui ne reconnait qu’un seul dieu sur terre : l’argent ! C’était l’époque durant laquelle Ponce Pilate, l’envoyé de Rome, dirigeait le pays des juifs.

Ponce Pilate n’aimait pas la mission que Rome lui avait confiée. Rome ? En réalité des rivaux qui de la sorte l’avaient éloigné du Pourvoir. La plupart du temps, il voyageait ou restait confiné dans sa luxueuse demeure

Entouré de ses serviteurs les plus proches et de quelques juifs qui lui relataient la chronique avec une sorte d’humour assez particulier, et qui le faisait rire même après leur départ. Le père de Pierre était l’un d’eux. Un jour, il se plaignit.  

- Ce Galiléen, une sorte de terroriste habile qui prétend être contre les marchands alors que ce sont ceux-ci qui nourrissent les pauvres. En réalité il combat les romains.  Il ne vaut pas mieux que les deux voleurs qui seront crucifiés demain.

- Pas mieux ?

Ponce Pilate méprisait ces juifs qui lui dressaient un tableau assez complet du territoire qu’il administrait. Il n’était pas assez naïf  pour croire tout ce qu’ils lui disaient mais un échange de propos anodins lui permettait de savoir l’essentiel.

Ici, semblait-il, il s’agissait de l’élimination d’un citoyen juif un peu trop bruyant au goût des autorités. Ponce Pilate décida de fermer les yeux puisque des juifs eux-mêmes, des citoyens parfaitement honorables, fermaient les leurs.

Un certain Jésus, un galiléen dont il suffisait de faire courir le bruit qu’un des siens l’avait dénoncé. Pour de l’argent. Trente deniers, disait-on. Il sera crucifié parmi d’autres voleurs.

Ponce Pilate se leva pour se laver les mains, un tic qui le prenait à chaque fois qu’il tendait la main à baiser à certains d’entre eux.

 

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Une conquête amoureuse

 

 

 

Cela remonte si loin. J’ai été terriblement malheureux.  Ne riez pas, je souhaitais mourir. Aujourd’hui, je souris, c’est vrai. Pas du jeune homme niais que j’ai été mais de l’impossibilité dans laquelle je me trouve d’être aussi malheureux à nouveau.

J’avais vingt ans. Je me rendais à Paris pour y passer le week-end chez ma tante. Elle avait mis à ma disposition une chambre de bonne gentiment meublée dans le quartier de l’Odéon.

J’avais l’intention de me promener à travers le quartier latin, de visiter un musée, d’aller au théâtre le soir. Le samedi, j’avais rendez-vous avec Julien Lenoir, un ami que je m’étais fait, à peine plus âgé que moi, un séducteur-né.

Nous devions passer la soirée dans ce qu’on qualifierait aujourd’hui de discothèque, le « bal à Jo », rue de Lappe. On y dansait le tango et la java entrainé par des joueurs d’accordéon qui enchaînaient les danses sans répit. Les filles en devenaient soûles et les garçons, légers comme des bulles, s’élevaient vers le ciel de toutes les espérances.

Julie se serrait contre moi et lorsque la danse cessait, elle me prenait la main jusqu’à ce qu’une autre recommence.

- Tu as une touche.

Julien avait dansé avec d’autres filles. Quelques fois, il  invitait Julie.

- Elle est drôlement bien foutue. J’imagine que tu vas la mettre dans ton lit, veinard.

Finalement nous sommes restés à trois, assis à une table, devant un verre de vin pour Julien et Julie, un whisky pour moi. Julie dansait avec chacun de nous, l’un après l’autre, elle était infatigable.

Elle avait la joue contre la mienne en dansant le tango. De la langue, elle me mouillait l’oreille en parlant.

- Je veux rester avec toi.

- Et Julien ?

- Julien, ça m’est égal.

J’étais devenu profondément amoureux. Nous avons bu quelques verres encore, ma timidité avait disparu, et nous sommes sortis. Julie, entre Julien et moi, nous tenait par le bras. En marchant, de la cuisse, nous nous frottions contre les siennes.

Lorsque nous sommes arrivés dans ma chambre, Julie s’est tournée vers moi.

- Nous restons tous les trois ?

Julien avait commencé de se déshabiller. J’étais paralysé. Julie me fixait sans sourire. Elle avait ôté son pull, et dégrafé son soutien-gorge. J’ai ôté mon pull moi aussi. Julien s’était glissé sous les draps à l’extrême bord du lit.

- Vous venez, il ne fait pas très chaud.

- Tu viens ?

Julie était en culotte, les seins dressés qu’elle caressait d’une main en me tendant l’autre.

- Je ne sais pas ce que j’ai, c’est le whisky, j’ai besoin de prendre l’air.

- Reviens vite. Nous allons réchauffer le lit en attendant.

Je suis sorti. Rue Croix des petits champs, au rez-de-chaussée de l’immeuble, il y avait un café où tous les matins lorsque je logeais chez ma tante je prenais un œuf dur, puis un café et un croissant. Ou un verre de vin blanc comme le faisaient d’autres consommateurs. Le café était fermé.

J’étais prêt à remonter dans la chambre mais j’avais besoin de boire ne serait-ce qu’un verre d’eau. Il suffisait de marcher un peu, l’air était tiède et le ciel particulièrement clair, je trouverais facilement un café encore ouvert.

Paris, la nuit, était à cette époque une ville merveilleuse. A croire qu’il y avait deux villes qui se substituaient l’une à l’autre en fonction du jour ou de la nuit. Peut être que c’est le cas de toutes les villes ? Ou à cause de ceux qui marchent la nuit et qui sont différents de ceux qui marchent le jour.

J’étais exalté. J’avais envie de rire. Julie était nue devant mes yeux. Les seins dressés, elle me tendait la main. J’ai marché jusqu’au pont de l’Alma. Puis plus loin encore en longeant la Seine. Peu de gens se promènent la nuit. Ceux qui le font se croisent parfois mais ne se voient pas. C’était comme si la ville ne se déroulait que pour vous au fur et à mesure de vos pas. A un certain moment, il était trois heures du matin, je me suis senti fatigué. Je voulais rentrer mais il n’y avait pas de rame de métro avant six heures. Je me suis assis sur un banc pour l’attendre. Sur le quai d’en face un homme était assis qui somnolait. Il aurait pu être mon reflet.

Il était près de sept heures lorsque je suis arrivé rue Croix des petits champs. Le café du coin était déjà ouvert. Je suis monté directement à ma chambre. La porte était fermée mais je n’ai eu qu’à la pousser.

Il n’y avait personne. Le lit avait été refait. Je suppose que Julien et Julie étaient rentrés chez eux après m’avoir vainement attendu.

Je me suis assis sur le bord du lit. Soudain, la tête entre les mains, je me suis penché en avant et je me suis mis à pleurer.

 

 

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Bientôt sur le réseau Arts et Lettres un blog concours sur les tenues de Manneken-Pis avec comme prix 25 petits livrets poétiques rendant hommage à Bruxelles par la voix de ses conteurs et auteurs qui en sont les âmes parlantes.

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Le Mannenken-Pis  constitue de nos jours l'un des principaux attraits du folklore bruxellois.


12273004670?profile=originalVoici quelques siècles, il s'agissait d'une des nombreuses fontaines alimentant la ville en eau   potable. Un texte datant de 1388 provenant des archives de Sainte Gudule signale qu'une statue en pierre dénommée "Petit Julien" (Julianekensborre) alimentée par les eaux du Coudenberg se trouve à l'angle des rues de l'Étuve et du Chêne. Le nom de Manneken-Pis (d'Menneken Pist) apparaît pour la première fois dans un texte de 1451-1452 conservé dans les archives de la ville de Bruxelles.

 

12273003672?profile=originalLa statue actuelle en bronze mesure 61 cm de haut et a été réalisée à la demande des édiles communaux bruxellois par le sculpteur Jérôme Duquesnoy l'ancien en 1619. Mise à l'abri pendant le bombardement de la ville par les armées de Louis XIV entre le 13 et le 15 août 1695, elle réintègre son piédestal dès le 19 août, surmonté pour l'occasion d'un psaume biblique en latin : "In petra exaltavit me et nunc exaltavi caput meum super inimicos meos" (en pierre le Seigneur m'a élevé et maintenant j'élève ma tête au-dessus de mes ennemis). La niche en pierre bleue de style rocaille fut ajoutée en 1770. Auparavant, la statuette reposait sur une colonne de six pieds réalisée par le tailleur de pierre Daniel Raessens.


12273005079?profile=originalC'est le 1er mai 1698, peu après le bombardement, que le Prince-électeur Maximilien-Emanuel de Bavière, gouverneur général des Pays-Bas espagnols, lui offre son premier costume, couleur "bleu de Bavière". Depuis lors il a reçu régulièrement des nouveaux costumes, et sa garde-robe en compte à l'heure actuelle plus de 800. Ils sont exposés au Musée de la Ville de Bruxelles, situé dans la Maison du Roi, sur la Grand Place, où une borne interactive permet de découvrir sa collection de costumes en intégralité.


12273004887?profile=originalManneken-Pis a subi au fil des siècles de nombreux actes de vandalisme. C'est en 1745 qu'il fut dérobé pour la première fois par des soldats anglais. Deux ans plus tard, un grenadier français s'en empare au grand désespoir de la population. En guise de réparation, le roi de France Louis XV le dotera d'un costume de Marquis. En 1817, Antoine Lycas, galérien gracié, sera marqué publiquement au fer rouge pour avoir fortement endommagé la statuette. L'original a été mis à l'abri dans la Maison du Roi  et c'est une copie de 1965 qui est actuellement exposée. Sage précaution car la statuette a subi au cours du XXème siècle des tentatives de vols, des mutilations et des enlèvements par des étudiants.



12273005669?profile=originalDu rang de simple fontaine d'utilité publique, Manneken-Pis s'est hissé aujourd'hui au rang de figure de légende, mondialement connue. Il est devenu le représentant par excellence de l'humour bruxellois - la "zwanze" - et le symbole de l'esprit de contestation et d'insouciance qui caractérise le peuple de la capitale, mais aussi de l'opposition aux multiples occupations étrangères et au fanatisme. De nos jours encore, il s'associe régulièrement aux joies et aux peines de la ville.

12273005861?profile=originalDans la vie artistique bruxelloise, Manneken-Pis est depuis longtemps un sujet rêvé d'inspiration. Il fut à plusieurs reprises la figure centrale des revues du théâtre "Les Folies Bergères" aujourd'hui disparu. Ses louanges ont été chantées par le célèbre chansonnier françaisMaurice Chevalier  en 1949.


12273006078?profile=originalChevalier de l'Ordre de Saint-Louis, Brigadier d'Honneur de divers régiments, le plus vieux citoyen de Bruxelles a reçu des mains du Président du Syndicat d'Initiative et de Promotion de Bruxelles le titre envié de "Premier Ambassadeur du Patrimoine folklorique et culturel bruxellois". A l'occasion du 50ème anniversaire de la fondation de l'Ilot Sacré, il a reçu son 848ème costume le 10 septembre 2010, celui de Bourgmestre de la Commune Libre de l'Ilot Sacré.

12273006253?profile=originalLes membres de l'Ordre des Amis de Manneken-Pis l'aident à remplir cette fonction prestigieuse. Cette association, dont les origines remontent à 1954, veille au bon accueil des nombreux touristes qui se pressent chaque jour devant la plus célèbre statue de Bruxelles. L'Ordre participe aux multiples manifestations organisées au profit de l'expansion culturelle de Bruxelles, tant en Belgique qu'à l'étranger (Lille, Maastricht, Zandvoort, Metz, Ter Appel, Lisieux, Le Pays d'Auge...). Il organise également un Cortège de Saint-Nicolas tous les ans au début du mois de décembre.

 

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Réalisation d'une intéressante aquarelle.

En attendant mon retour de voyage, je continue la série commencée avec l'article précédent pour explorer avec vous la profusion de "démos" aquarelle de toutes sortes, qui fleurissent sur Internet...
Pas grand chose de vraiment intéressant en général sur le plan pédagogique, si non des banalités que tout le monde ou presque maîtrise à peu près normalement pour peu que l'on se soit mis à l'aquarelle depuis un certain temps.
Je pense personnellement que les personnes aptes à produire de vraies démos à la fois pédagogiques et picturales les gardent pour elles sans les distribuer à "tout va" et elles ont bien raison, car c'est parfois le fruit d'un travail intense, d'un véritable engagement de vie et d'un talent non négligeable qu'elles représentent, et cela a la valeur de ce qu'on ne dilapide pas, n'en déplaise à celles ou ceux qui pensent que l'art est totalement gratuit pour ceux qui en vivent et se battent pour cela !
- D'ailleurs, connaissez-vous quelqu'un (vivant de son travail), qui l'offre à tours de bras, sans aucun échange ni rétribution (si non une gloire plus ou moins imbécile ou une considération de circonstance qui n'est que flatterie de dupe) ?
Revenons en à ma recherche : parmi les vidéos intéressantes (je n'appelle pas vraiment cela une "démo" au sens où je l'entends, mais un agréable raccourci sur la façon de travailler d'un bon artiste), j'ai trouvé celle-ci qui nous enseigne cependant un tas de choses sur le savoir-faire de son auteur.
À noter :

a) - Le personnage prévu dans le dessin initial (je pense que c'en est un à droite de la cabane derrière le filet) a été supprimé lors de la réalisation (ce qui n'est pas plus mal), comme quoi on peut commencer avec une intention et finir (volontairement) différemment,

b) - Différents moments "clés" de la réalisation de l'aquarelle ne sont pas montrés (comme la mise en valeur du filet de pêche pour qu'il se détache sur le fond des arbres de la berge et de l'eau), mais sont assez faciles à comprendre,

c) - Vers la fin du travail la gouache blanche est utilisée en recouvrement semi humide pour suggérer la fumée s'échappant de derrière la cabane, comme quoi son usage passe ici très bien même si je suis pour ma part partisan du "tout aquarelle" même pour dégager de la fumée blanche sur fond sombre (il suffisait soit de la réaliser en même temps que les arbres du fond, soit par enlevé en semi humide).
Si cela vous intéresse je mettrai en avant comme cela de temps en temps quelques "démos" que je trouverai un peu plus intéressantes que les autres au cours de mon exploration du Web...

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Une famille honorable

 

 Les Bertrand étaient une famille honorable qui exploitait une entreprise spécialisée dans la vente de semences. Henri Bertrand en était le propriétaire. Il était le mari de Fernande qui  s’occupait du ménage. Julien, son fils, avait fait des études agronomiques et le secondait. Et il y avait Cécile, la jeune épouse de Julien. Ils étaient mariés depuis un an à peine.  

Les Bertrand occupaient à la lisière de la ville une maison spacieuse dont la pièce du rez-de-chaussée servait à la fois de hall d’entrée et de salle à manger. Située près de la cuisine, c’était une pièce large et longue dont une partie était destinée aux repas autour d’une grande table de couvent et une autre qui était vouée au repos ou aux conversations intimes devant l’âtre haut de plus d’un mètre. Un large escalier de bois, à droite, menait à une mezzanine sur laquelle s’ouvraient quatre chambres destinées aux enfants. Au fond du hall, derrière une lourde porte, se trouvait la chambre  d’Henri et de son épouse.

Lorsqu’il avait modifié  la maison héritée de ses parents, Henri avait songé qu’il serait un jour un patriarche entouré de fils, de leurs épouses, et de leurs enfants. C’est ainsi que se créent les dynasties. Des voisins l’avaient surnommée : le château. Il n’en était pas heurté. Au contraire.

L’histoire avait commencé à la mort de Fernande. Agée de cinquante huit ans, Fernande avait succombé à un arrêt du cœur. Henri en avait soixante. C’était un bel homme haut d’un mètre quatre-vingt au torse puissant, au visage régulier. Seul le nez légèrement tordu à la suite d’une intervention médicale durant l’adolescence attirait le regard, on eut dit le nez d’un boxeur.

Lorsque Fernande vivait encore et qu’ils étaient à table tous les quatre, Henri regardait souvent Cécile. C’est sa poitrine qu’Henri regardait. Fernande faisait semblant de ne rien remarquer, elle savait que son mari était sensible à la beauté des femmes. Cécile avait conscience de la manière dont son beau-père, au même titre que la plupart des hommes qui fréquentaient les Bertrand, la regardaient. Ils regardaient sa poitrine et ses hanches. Il se dégageait d’elle une séduction singulière dont finalement, pensait-elle, seul Julien son mari se souciait trop peu.

Quant à Cécile, le regard des hommes la troublait. Sous le regard qui la déshabillait et qu’ils accompagnaient d’un sourire faussement amical, elle imaginait ce à quoi ils pensaient. Ce qui la troublait, c’est que ça lui était agréable. Quand elle se déplaçait, la raideur qu’elle manifestait, elle le savait, attirait plus encore le regard sur ses hanches. C’était comme une caresse continue dont elle aurait voulu transmettre la chaleur à Julien. Hélas, elle ne provoquait chez lui que des élans rapides qui la laissaient sur sa faim.

- Vous prendrez la chambre du bas.

Après la mort de Fernande, Henri avait réfléchi. A quoi bon conserver la grande chambre et ce lit tellement large qu’un couple pouvait y dormir sans risque de se toucher par inadvertance.

- Et toi ?

Julien avait répondu sans beaucoup de conviction. Il n’imaginait pas que son père puisse avoir une autre compagne dans l’avenir. Dès lors, il pensait que c’était à lui qu’incombait désormais la responsabilité de la famille, et que la chambre du bas en était le symbole. Chaque chose a sa place toute désignée. Les choses de la vie, elles aussi, se déroulent selon un certain ordre.

Ils étaient accoudés à table.  Cécile dit :

- Vous serez mieux dans la grande chambre.

Henri pensait en la regardant : dans le grand lit.

Au bout d’un moment, Henri se leva pour se rendre au café où il avait repris ses habitudes de jeune homme. Durant ce temps ses enfants auraient le loisir de déménager de chambre.

Lorsqu’ Henri rentra, un peu ivre, il ferma doucement la porte d’entrée pour éviter de les réveiller. Il était content de ne rien entendre. C’est qu’il ne se passait rien, se dit-il. Si ça avait été moi, il se serait passé quelque chose.

Ils lui avaient aménagé la première des quatre chambres, celle qui se trouvait en face de l’escalier, celle qui eut été celle de son premier petit fils. Il se serait appelé Henri. Comme lui et son père. Un prénom de famille en quelque sorte.

Cécile avait posé un vase garni de fleurs sur la table où il allait déposer son portefeuille et sa montre. Peut être d’autres objets qu’un homme sort de sa poche avant d’ôter son pantalon.     

C’était l’été. Un été exceptionnellement chaud comme il ne s’en produit qu’un petit nombre durant un siècle. Henri n’était pas superstitieux  mais peut être que c’était un signe en effet.

Il éprouva une curieuse sensation en descendant, le lendemain matin. Est-ce qu’il était chez lui ? Peut être avait-il eu tort. Julien et Cécile étaient en train de déjeuner mais son assiette était à sa place habituelle.

Chacun d’eux portait une tenue légère. A travers la blouse de Cécile, on devinait les seins. Fernande aurait exigé une blouse moins transparente. Elle aurait dit :

- Ce n’est pas vous que les clients viennent voir.

Ce n’est pas sûr, pensait Henri. Julien aurait dit ce qu’aurait dit sa mère. Il le pensait vraisemblablement mais il n’osait pas le dire.

Ce jour là, Julien devait se rendre à une Foire agricole, on y présentait de nouvelles semences.

- Je reviendrai demain dans l’après-midi.

- Je croyais que tu reviendrais ce soir ?

Pendant que Cécile débarrassait la table, Julien était entré dans la  grande chambre pour faire sa valise. Il aimait cette chambre qui désormais était la sienne. Elle était le centre de la vie de cette famille dont il était l’avenir. Son père avait raison : une dynastie se crée et se perpétue dans la tête de ses membres.       

Henri était sorti. Il regardait le ciel. Temps d’orage ? Il aimait cette sensation dont la chaleur était la cause. Cette mollesse dans les muscles. Le temps des heures a des durées qui varient selon le climat, c’était une réflexion idiote quand on l’exprime mais elle était juste, pensait-il.

Il s’étendrait cette nuit, les jambes écartées, et dormirait tout nu. Et Cécile. Dormirait-elle toute nue ?

Il entendit la voiture de Julien qui partait. Il devait avoir chaud lui aussi. Il lui fit un signe de la main. Cécile revenait du garage, c’est là qu’elle avait embrassé Julien. Elle avait besoin de toucher ceux qu’elle aimait. Elle s’était serrée contre Julien.

- Reviens vite.

La chaleur l’accablait. Elle avait une conscience presque physique du regard d’Henri sur ses hanches. Sans raison, avant de rentrer, elle resta un moment immobile sur le seuil. Après le déjeuner Henri avait dit qu’il avait des courses à faire en ville.

- Vous reviendrez pour le dîner ?

- Oui. Fais quelque chose de léger.

Elle dit qu’elle ferait une salade.

- Tu as raison. Par ce temps une salade conviendra parfaitement.

Ce n’étaient que des banalités. Est-ce qu’il est nécessaire de parler simplement parce qu’on a peur de se taire ? On en dit peut être davantage encore.

Il ne revint que dans la soirée. Cécile l’avait attendu et ils dînèrent sans dire un mot sinon :

- merci, vous en voulez encore, père ?

Il avait toujours trouvé ce mot ridicule dans la bouche de Cécile.

Il n’était pas son père.

- Je vais me coucher, je ne sais pas pourquoi mais je suis fatiguée, ce soir.

Elle se leva et, sans desservir, elle se dirigea vers la grande chambre, celle qu’Henri avait occupée si longtemps. Elle avait rabattu la porte mais elle ne l’avait pas fermée. Il avait suffi à Henri de la pousser pour entrer.

Quelques jours plus tard, un matin, deux gendarmes frappèrent à la porte. En quittant le café, on supposa qu’il avait trop  bu, Henri s’était encastré dans un arbre. Il était mort sur le coup.

 

Une famille honorable.  

 Les Bertrand étaient une famille honorable qui exploitait une entreprise spécialisée dans la vente de semences. Henri Bertrand en était le propriétaire. Il était le mari de Fernande qui  s’occupait du ménage. Julien, son fils, avait fait des études agronomiques et le secondait. Et il y avait Cécile, la jeune épouse de Julien. Ils étaient mariés depuis un an à peine.  

Les Bertrand occupaient à la lisière de la ville une maison spacieuse dont la pièce du rez-de-chaussée servait à la fois de hall d’entrée et de salle à manger. Située près de la cuisine, c’était une pièce large et longue dont une partie était destinée aux repas autour d’une grande table de couvent et une autre qui était vouée au repos ou aux conversations intimes devant l’âtre haut de plus d’un mètre. Un large escalier de bois, à droite, menait à une mezzanine sur laquelle s’ouvraient quatre chambres destinées aux enfants. Au fond du hall, derrière une lourde porte, se trouvait la chambre  d’Henri et de son épouse.

Lorsqu’il avait modifié  la maison héritée de ses parents, Henri avait songé qu’il serait un jour un patriarche entouré de fils, de leurs épouses, et de leurs enfants. C’est ainsi que se créent les dynasties. Des voisins l’avaient surnommée : le château. Il n’en était pas heurté. Au contraire.

L’histoire avait commencé à la mort de Fernande. Agée de cinquante huit ans, Fernande avait succombé à un arrêt du cœur. Henri en avait soixante. C’était un bel homme haut d’un mètre quatre-vingt au torse puissant, au visage régulier. Seul le nez légèrement tordu à la suite d’une intervention médicale durant l’adolescence attirait le regard, on eut dit le nez d’un boxeur.

Lorsque Fernande vivait encore et qu’ils étaient à table tous les quatre, Henri regardait souvent Cécile. C’est sa poitrine qu’Henri regardait. Fernande faisait semblant de ne rien remarquer, elle savait que son mari était sensible à la beauté des femmes. Cécile avait conscience de la manière dont son beau-père, au même titre que la plupart des hommes qui fréquentaient les Bertrand, la regardaient. Ils regardaient sa poitrine et ses hanches. Il se dégageait d’elle une séduction singulière dont finalement, pensait-elle, seul Julien son mari se souciait trop peu.

Quant à Cécile, le regard des hommes la troublait. Sous le regard qui la déshabillait et qu’ils accompagnaient d’un sourire faussement amical, elle imaginait ce à quoi ils pensaient. Ce qui la troublait, c’est que ça lui était agréable. Quand elle se déplaçait, la raideur qu’elle manifestait, elle le savait, attirait plus encore le regard sur ses hanches. C’était comme une caresse continue dont elle aurait voulu transmettre la chaleur à Julien. Hélas, elle ne provoquait chez lui que des élans rapides qui la laissaient sur sa faim.

- Vous prendrez la chambre du bas.

Après la mort de Fernande, Henri avait réfléchi. A quoi bon conserver la grande chambre et ce lit tellement large qu’un couple pouvait y dormir sans risque de se toucher par inadvertance.

- Et toi ?

Julien avait répondu sans beaucoup de conviction. Il n’imaginait pas que son père puisse avoir une autre compagne dans l’avenir. Dès lors, il pensait que c’était à lui qu’incombait désormais la responsabilité de la famille, et que la chambre du bas en était le symbole. Chaque chose a sa place toute désignée. Les choses de la vie, elles aussi, se déroulent selon un certain ordre.

Ils étaient accoudés à table.  Cécile dit :

- Vous serez mieux dans la grande chambre.

Henri pensait en la regardant : dans le grand lit.

Au bout d’un moment, Henri se leva pour se rendre au café où il avait repris ses habitudes de jeune homme. Durant ce temps ses enfants auraient le loisir de déménager de chambre.

Lorsqu’ Henri rentra, un peu ivre, il ferma doucement la porte d’entrée pour éviter de les réveiller. Il était content de ne rien entendre. C’est qu’il ne se passait rien, se dit-il. Si ça avait été moi, il se serait passé quelque chose.

Ils lui avaient aménagé la première des quatre chambres, celle qui se trouvait en face de l’escalier, celle qui eut été celle de son premier petit fils. Il se serait appelé Henri. Comme lui et son père. Un prénom de famille en quelque sorte.

Cécile avait posé un vase garni de fleurs sur la table où il allait déposer son portefeuille et sa montre. Peut être d’autres objets qu’un homme sort de sa poche avant d’ôter son pantalon.     

C’était l’été. Un été exceptionnellement chaud comme il ne s’en produit qu’un petit nombre durant un siècle. Henri n’était pas superstitieux  mais peut être que c’était un signe en effet.

Il éprouva une curieuse sensation en descendant, le lendemain matin. Est-ce qu’il était chez lui ? Peut être avait-il eu tort. Julien et Cécile étaient en train de déjeuner mais son assiette était à sa place habituelle.

Chacun d’eux portait une tenue légère. A travers la blouse de Cécile, on devinait les seins. Fernande aurait exigé une blouse moins transparente. Elle aurait dit :

- Ce n’est pas vous que les clients viennent voir.

Ce n’est pas sûr, pensait Henri. Julien aurait dit ce qu’aurait dit sa mère. Il le pensait vraisemblablement mais il n’osait pas le dire.

Ce jour là, Julien devait se rendre à une Foire agricole, on y présentait de nouvelles semences.

- Je reviendrai demain dans l’après-midi.

- Je croyais que tu reviendrais ce soir ?

Pendant que Cécile débarrassait la table, Julien était entré dans la  grande chambre pour faire sa valise. Il aimait cette chambre qui désormais était la sienne. Elle était le centre de la vie de cette famille dont il était l’avenir. Son père avait raison : une dynastie se crée et se perpétue dans la tête de ses membres.       

Henri était sorti. Il regardait le ciel. Temps d’orage ? Il aimait cette sensation dont la chaleur était la cause. Cette mollesse dans les muscles. Le temps des heures a des durées qui varient selon le climat, c’était une réflexion idiote quand on l’exprime mais elle était juste, pensait-il.

Il s’étendrait cette nuit, les jambes écartées, et dormirait tout nu. Et Cécile. Dormirait-elle toute nue ?

Il entendit la voiture de Julien qui partait. Il devait avoir chaud lui aussi. Il lui fit un signe de la main. Cécile revenait du garage, c’est là qu’elle avait embrassé Julien. Elle avait besoin de toucher ceux qu’elle aimait. Elle s’était serrée contre Julien.

- Reviens vite.

La chaleur l’accablait. Elle avait une conscience presque physique du regard d’Henri sur ses hanches. Sans raison, avant de rentrer, elle resta un moment immobile sur le seuil. Après le déjeuner Henri avait dit qu’il avait des courses à faire en ville.

- Vous reviendrez pour le dîner ?

- Oui. Fais quelque chose de léger.

Elle dit qu’elle ferait une salade.

- Tu as raison. Par ce temps une salade conviendra parfaitement.

Ce n’étaient que des banalités. Est-ce qu’il est nécessaire de parler simplement parce qu’on a peur de se taire ? On en dit peut être davantage encore.

Il ne revint que dans la soirée. Cécile l’avait attendu et ils dînèrent sans dire un mot sinon :

- merci, vous en voulez encore, père ?

Il avait toujours trouvé ce mot ridicule dans la bouche de Cécile.

Il n’était pas son père.

- Je vais me coucher, je ne sais pas pourquoi mais je suis fatiguée, ce soir.

Elle se leva et, sans desservir, elle se dirigea vers la grande chambre, celle qu’Henri avait occupée si longtemps. Elle avait rabattu la porte mais elle ne l’avait pas fermée. Il avait suffi à Henri de la pousser pour entrer.

Quelques jours plus tard, un matin, deux gendarmes frappèrent à la porte. En quittant le café, on supposa qu’il avait trop  bu, Henri s’était encastré dans un arbre. Il était mort sur le coup.

 

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Une femme à prendre.

 

Georges m’avait demandé d’être son témoin de mariage. De temps en temps, durant le discours du maire, je fermais les yeux et j’imaginais que j’étais à la place de Georges. C’est moi qui cette nuit serait dans le lit de Julie. J’ai eu envie d’elle dès le premier jour que je l’ai vue.

Julie était non seulement séduisante, elle suscitait le désir de la prendre sans un mot, son corps entre les jambes. Elle le voyait dans le regard que je portais sur sa poitrine. Elle détournait la tête mais après s’être redressée plus encore. J’imaginais qu’elle avait des seins durs.                                                         

Lorsque Georges s’est tué à la suite d’un bête accident de la circulation, je me suis réjoui. Elle est de ces femmes qui ont besoin d’un homme, il ne faut pas qu’un autre la prenne avant moi. Après les funérailles, je l’ai ramenée chez elle. Elle s’est abandonnée contre moi en pleurant.

- Laisses-toi aller. Pleure.

Je lui entourais les épaules. Elle avait le sein contre ma poitrine. Je devinais que j’allais profiter d’elle et je me suis écarté.

- Il faut dormir Julie.

Je l’ai étendue sur le canapé, j’ai éteins la lumière et je suis sorti. Je n’ai pas dormi cette nuit là. Je pensais à elle. Je pensais que je n’étais qu’un imbécile. Non seulement je la désirais mais peut être qu’elle aussi, en ce moment, ne dormait pas. La main sur le ventre, elle me désirait.

Je l’ai appelée le lendemain. Le téléphone sonnait sans cesse. Ou elle le laissait sonner ou elle s’était absentée. Je l’ai appelée à plusieurs reprises sans avoir d’autre réponse que la sonnerie du téléphone. Il arrivait que je cesse de l’appeler. Je craignais que durant ce temps elle s’efforçait de m’appeler mais que la seule réponse qu’elle avait c’était la sonnerie de ‘pas libre’  pendant que de mon côté, j’essayais de l’appeler.

Vers la fin de l’après midi, j’ai enregistré un message qui disait que j’étais sorti. Je me suis rendu chez elle mais je n’ai pas sonné. J’avais reconnu la voiture de son beau-père au pied de l’immeuble. Je suis rentré, je ne souhaitais pas rencontrer le père de Georges qui lors des funérailles m’avait serré contre lui en pleurant.

- Tu le sais, Pierre, ce que je ressens. Tu étais son meilleur ami.

Mon père était mort dans un accident de voiture lui aussi. C’était ma mère qui conduisait. Face à un camion qui leur arrivait droit dessus, elle avait levé les mains devant les yeux. Ce fut un choc facile à imaginer.

Le père de Georges s’était occupé de moi. Il n’avait que Georges et moi. Veuf, il n’avait jamais cherché à se remarier. Je suppose qu’a deux, Georges et moi, nous remplissions sa vie comme on dit.

De métier, je suis consultant en organisation. Ingénieur de formation, dès la fin de mes études, j’ai fait mon stage dans les bureaux d’une grosse firme américaine spécialisée dans le conseil aux entreprises. Au bout de six mois, la période du stage, le chef du personnel m’avait convoqué.

- Je vous le dis très sincèrement, Pierre. Vous ferez une grande carrière chez nous.

- Malheureusement, j’ai signé mon engagement dans une autre firme. Je commence la semaine prochaine.

- Dommage.

Georges, durant que j’achevais mes études et mon stage, avait quitté le pays pour se rendre dans le midi. A Nice précisément. Il avait trouvé une place de garçon de café dans un grand hôtel. Le soir, il y dormait. Avec une cliente de l’hôtel. C’était ce qu’on appelle un coureur.

Ce jour-là, j’avais rendez-vous à Genève. J’ai pris l’avion sans avoir eu Julie au téléphone. Ni le père de Georges que je n’ai pas osé appeler de si loin. Il se serait demandé quelle était la raison réelle de mon appel. Une raison plausible ne m’est venue à l’esprit que quelques heures plus tard.

Lorsque je suis rentré, j’ai appris que le père de Georges avait invité Julie à prendre quelques jours de repos dans le midi de la France. Il y possédait une vieille maison qu’il avait rénovée afin d’y passer leurs dernières années sa femme et lui.

A la fin de l’été, ils étaient revenus tous les deux. Ils étaient devenus des amants disposés à unir leurs existences. Le jour où ils me l’avaient annoncé, ils m’avaient invité au restaurant. J’étais à l’un et à l’autre, leur ami le plus cher.

 

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La commémoration

L'invitation avait été rédigée à l'en-tête du tribunal de commerce. Cette idée, il n'y a pas de petites économies, émanait tout naturellement du cerveau rationnel de Jean Pottier, le président du tribunal. Celui que ses condisciples surnommaient le compotier. Cela faisait rire toute la classe.

Il s’agissait du 150ème anniversaire de l’école. Une cérémonie présidée par un représentant du ministre de l’enseignement  aurait lieu à l’hôtel de ville. Tous les anciens élèves, il l’espérait, y assisteraient.

Robert n'était plus revenu depuis dix ans, et il se demandait s'il avait envie de revenir.

Il se souvenait d'un film dans lequel, autour d'une tombe, quelques anciens d'un collège anglais - peut -être que ce n'était pas un collège anglais mais qu'est ce que cela changeait ? - assistaient à l'enterrement d'un de leurs anciens condisciples. Ils se regardaient, et on avait le sentiment que la seule question qu'ils se posaient était: lequel d'entre nous sera le suivant?

Souvent les commémorations ressemblent à des funérailles.

A quoi bon y aller. Il n'irait pas.

La plupart des années d'adolescence avaient été des années d'insouciance. L'adolescence est une période heureuse. C'est ainsi en tout cas qu'elle figurait dans sa mémoire.

Sa mémoire, lorsqu'il s'agissait de son adolescence, était comme une ville qu'il aurait dessinée lui-même. Les rues où résonnaient le pas des amoureux enlacés, la grand' place triangulaire où se tenait la Foire de septembre avec ses gaufres parfumées et les amandes que grillait Ali-Baba dans son échoppe, les jardins publics fréquentés par les propriétaires de chiens lorsque le soir tombait. Il aurait pu la parcourir les yeux fermés. Parfois, il rêvait encore d'y marcher toute la nuit.

Décidément, il irait à la commémoration.

Et puis, il reverrait sans doute Julie, la femme de Bernard. Ce n'est pas Julie qu'il avait épousée. Elle était amoureuse de lui mais, c'est stupide, il y a un âge pour se marier. Un an plus tard, il épousait Malou. Julie s'était mariée  un mois après lui. Chaque couple avait assisté au mariage de l'autre.

- Je te souhaite tout le bonheur du monde.

Julie l'avait embrassé. Elle aimait les parfums tenaces.

Parfois il pensait à elle tandis qu'il caressait Malou. Peut-être que Julie pensait à lui quand elle commençait à gémir ?

Leur couple n'avait jamais été un couple heureux. Quinze ans plus tard, Malou et lui s'étaient séparés.

Comment Julie faisait-elle l'amour?

Il écrivit au président qu'il viendrait et réserva une chambre pour trois nuits.

Le ciel était uniformément bleu. Pas un nuage, et pas un souffle de vent. Un mois de septembre exceptionnel. Les hommes avaient le col ouvert, les femmes portaient sur une jupe courte un T-shirt de coton ou un chemisier largement échancré. Il y avait longtemps que l'été n'avait été si beau. Robert se promena jusque tard dans la soirée dans cette ville retrouvée.

Dans les cafés où il s'arrêtait pour prendre un verre de bière en regardant les gens, il ne reconnaissait personne. Quelques visages cependant lui parurent familiers. L'un d'eux lui fit un sourire, et il répondit en souriant lui aussi. Après tout, pour ces gens-là, peut être n'avait-il jamais quitté la ville.

Est-ce qu'il reconnaitrait Julie?

La commémoration, à l'Hôtel de ville, avait lieu à 11 heures. Il était venu une demi-heure plus tôt pour voir les arrivants qu'il reconnaissait sans mal. En dix ans les hommes ne changent pas beaucoup. Moins que les femmes. Les femmes dès qu'elles sont mariées doivent penser que le plus important est fait, elles soignent moins leur aspect.

Robert reconnaissait la plupart de celles de ses amis. Les uns et les autres avaient un peu grossi. La taille un peu ronde est un signe de bien-être social.

Ils échangèrent des sourires, parfois quelques mots, mais parce qu'il se montrait distant, ils s'éloignèrent très vite. C'est Bernard qu'il attendait avec impatience. Bernard et Julie.

- Bonjour, Robert.

- Je ne t'avais pas vue.

Il avait les joues en feu.

- C'est Bernard que tu cherchais? Il ne rentrera que demain, c'est la Foire du Printemps à Paris.

A force de ne regarder que les hommes, il n'avait pas vu Julie à ses côtés qui l'examinait en souriant.

- Tu n'as pas changé. Enfin, pas beaucoup. Un peu moins maigre. Et moi?

- Plus belle qu'avant. Plus séduisante. Plus.

- Rien que des plus?

- Tu le sais bien. C'est toi que j'aurais du épouser. Il a de la chance, Bernard. Je suppose qu'il le sait.

- Pas toujours. Est-ce qu'on peut juger ce qu'on a sous la main. Les vaches du voisin sont toujours plus appétissantes. Non, je plaisante.

- Moi, je ne regarderais pas les autres femmes.

- Mais tu en as épousé une autre.

La salle de réception de l'Hôtel de ville, la salle d'apparat, celle qui était consacrée aux grandes réceptions et aux mariages des familles de notables, était pratiquement pleine. Au bout, face à l'entré principale, flanquée de deux huissiers en jaquette, sur une estrade recouverte d'un drap vert, au milieu de tréteaux qu'on avait recouvert de rouge, les couleurs de la ville, trônait à coté du représentant du ministre, Paul Pottier, le cou tendu et le menton levé. Il regardait la salle d'un air satisfait mais il semblait à Robert que c'est lui, resté debout, qu'il fixait. Paul abaissa lentement la tête pour n'avoir pas l'air d'être le premier à saluer. Robert abaissa la sienne. Ce n'était peut être pas Robert que Paul dévisageait mais Julie.

Il étouffait soudain dans cette salle bondée, bruyante, qui n'attendait sans doute que le coup de maillet professionnel de Paul pour faire silence.

- Tu veux rester? Partons.

Il lui saisit le bras, et ils sortirent par une porte de service. Dehors, sous le soleil de midi, il se tourna vers Julie.

- Tu voulais peut-être rester ?

Elle fit non.

- Allons chez moi.

 Il se souvenait de leur appartement que Bernard avait fait aménager au dessus de ses bureaux. Il s'assit sur le divan de cuir qui faisait face au poste de télévision. Julie, devant la large fenêtre, scintillante sous le soleil, le dévisageait, les jambes légèrement écartées. A travers sa robe légère, c'est son corps qu'il contemplait.

- Julie.

- Oui.

Il s'était levé. Il avait à peine mis ses mains sur ses épaules, qu'elle fouillait sa bouche.

- Reste. Passe la nuit ici. Bernard ne rentrera qu'après-demain. Les bureaux sont fermés jusque lundi. 

- Et s'il téléphone?

Ils étaient couchés, nus. Julie, étendue sur le ventre le regardait tandis qu'étendu sur le dos, il regardait le plafond. Le couvre lit était rejeté sur le sol. Il avait failli trébucher dessus en allant à la cuisine pour chercher un verre d'eau. Avant qu'il ne s'étende, elle avait voulu qu'il restât debout un moment.

- Tu es toujours aussi tendu?

Elle avait du hésiter avant de lui poser la question, elle l'avait posée à voix basse, et répétée parce qu'il ne l'avait pas bien entendue.

- Il y a longtemps que tu n'as pas fait l'amour?

- Je t'ai déçue.

- Je t'aurais demandé de rester? Je me demandais comment font les célibataires pour avoir une vie normale. Viens. Tu vas voir comme je vais t'aimer.

Elle le caressait avec des gestes précis mais doux, parfois hésitants. Elle avait peur de trop bien faire. Robert, lui, se laissait caresser par les gestes que Bernard, le séducteur aux nombreuses liaisons de leur jeunesse, avait sans douté enseignés à son épouse. Il était incapable de respirer sans effort, empli de tendresse envers cette femme qui aurait pu être la sienne. Après qu'elle se soit endormie, il se demanda comment il avait pu vivre sans elle.

Le lendemain, ils furent face à face, adultes aux yeux cernés, les traits tirés, exhalant cette odeur surette des corps qui se sont beaucoup aimés.

- Je t'aime. Je ne veux plus vivre sans toi.

Les larmes lui venaient aux yeux.

Julie se leva. Elle était épanouie, heureuse du bonheur que ressentent les femmes désirées.

- Je vais nous faire du café. Fort. Et je vais nous faire couler un bain. Non, ne te lève pas. Je vais t'apporter ton café au lit.

- Nous allons tout recommencer, Julie. Tout ce qui s'est passé, hors de nous deux, n'existe plus.

- Tais-toi. Tu es un enfant.

Mais l'après-midi, elle s'était laissé convaincre.

Il avait dit que peu d'êtres humains recevaient du destin une seconde chance. Que la plupart, s'ils se plaignaient de ne pas en recevoir, en avaient peur en réalité. Et qu'ils avaient le restant de leur vie pour le regretter. Eux, ils  n'allaient pas laisser passer cette occasion merveilleuse de retrouver leurs vingt ans. Elle ne pouvait pas le nier, ils étaient faits l'un pour l'autre. Leurs corps s'étaient enfin retrouvés.

Robert dit que c'était le destin qui l'avait poussé à assister à la commémoration. Il avait eu l'intention de ne pas venir. Il n'aimait pas les réunions d'anciens combattants. Il aurait pu se rendre directement à Deauville pour le festival du film américain. La boite pour laquelle il travaillait, une maison de distribution de films, avait des documents à faire signer à un producteur. Est-ce qu'elle connaissait Deauville ? Il lui présenterait des vedettes de cinéma. Ils visiteraient la région. Est-ce qu'elle avait déjà joué au casino ?

- Tu me soûles.

- Partons maintenant.

- Tout de suite?

- Tout de suite.

Pendant que Robert allait chercher sa voiture, elle emplit une petite valise de quelques vêtements. Elle se disait qu'elle en achèterait au fur et à mesure qu'elle en aurait besoin ou envie. Robert avait dit qu'il la voulait toute nue. Elle nageait en plein romantisme. Elle pensait, elle ne voulait pas penser. Comme lui, elle avait vingt ans.

Ils arrivèrent à l'hôtel à la tombée de la nuit. L'air avait fraichi. Ils marchèrent le long de la mer en se tenant par la main. Et, ils montèrent dans leur chambre sans dire un mot. Une véritable scène de cinéma, en vrai.

Ce fut un séjour, à proprement parler, inoubliable. Ils le pressentaient, ils s'en souviendraient toute leur vie tant il était différent de tout ce qu'ils avaient connu ou pourraient connaitre. Jean Renoir, le producteur américain que Robert devait rencontrer était d'origine française. Lors du diner auquel il les avait conviés, le vin aidant, Robert lui avait confessé leur aventure.

- C'est formidable. Une histoire formidable.

Durant sept jours, ils assistèrent à des projections, firent connaissance d'acteurs, participèrent à des soirées qui se prolongeaient tard dans la nuit. A croire que le monde du cinéma était devenu le leur. C'est fatigués, qu'ils montaient se coucher sans que leur appétit l'un de l'autre s'en trouvât diminué. Au contraire, l'excitation de leurs sens durant la journée, et la légère ivresse procurée par le vin, leur avait ôté toute inhibition. Le moindre attouchement, le plus tendre sous-entendu, relançait leur désir.

Lorsque le festival se termina et que soudain ils ne furent plus que deux, ils se sentirent soulagés. Finalement tout l'éclat de ces journées qui les avait plongés dans un monde merveilleux les avait séparés d'eux-mêmes. C'est d'eux-mêmes désormais, comme avant leur départ pour Deauville, qu'ils recevraient la grâce de s'aimer.

Ce sont les mots que Robert utilisa.

Le matin, avant que Julie ne se lève, il sortait pour marcher durant une heure le long de la mer. Lorsqu'il rentrait, elle l'attendait sur le lit, et ils s'aimaient. C'était une sorte de rituel qu'ils s'efforçaient d'instituer. Leurs corps, ainsi, auraient toujours cette exigence.

Mais ce jour-là, il n'y avait personne dans la chambre, et le lit avait été refait. Julie n'était pas dans la salle des petits déjeuners. Dans le hall, le concierge lui fit signe.

- Madame a demandé un taxi. Elle m'a dit de vous dire qu'il ne fallait pas vous inquiéter. Elle a laissé une lettre pour vous.

Julie lui disait qu'elle l'aimait, qu'elle l'aimerait toujours, et qu'elle n'oublierait jamais ces quelques jours.

- Je ne pouvais pas, tu comprends, mais je t'aimerai toujours.

C'est par ces mots, elle les avait soulignés de deux traits, qu'elle avait achevé sa lettre.

Il n'aurait pas du la laisser seule.

Certaines femmes sont comme des oiseaux. La présence de Robert lui avait servi de cage. Si on les perd de vue, ne serait-ce qu'un instant, elles s'échappent.

Cette certitude qui noue l'estomac parce qu'elle enchante et terrorise tout à la fois se nomme l'amour

 

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Cher Ami,

 

Passez-vous d'agréables vacances ?

Quelle région de France parcourez-vous ? découvrez-vous ?

En ce qui me concerne, la journée professionnelle s'achève et j'accède un peu lasse,

à la bouche du métro,   à  ce ventre toujours plein, inassouvi et sombre.

Voyez-vous, je partage volontiers  mon quotidien urbain.

Ma vie  je l'aime, elle m'est précieuse même difficile, un peu brutale ;

je me sens bien vivante, avec "vous en tête" encore davantage.

Cette vie pour la liberté de laquelle je me bat, il m'arrive de craindre de la perdre.

Ce serait je le pense et le crie, d'une absurdité inouie !

D'innombrables années de co-construction devraient à elles seules,

avoir le pouvoir de faire pousser puis éclore, au cœur de cette architecture humaine et

psychanalytique, la fleur de l'éternité, transparente, d'apparence fragile.

Vous rendez-vous compte, qu'une seconde ou une minute ; il s'agit-là bien sûr d'une image,

peut avoir le dernier mot, l'ultime, sur toute une vie,  peut sur la plus belle, la plus magistrale musique,

faire tomber le grand voile noir, silencieux, sans le moindre enchantement.

A Paris, les arbres ce soir, pareils au soleil se couchent un peu plus tôt, ébènes ;

demain est attendu l'orage.

Comme vous le savez, le sommeil est un formidable refuge ; puisse t-il nous apporter

les rêves les plus somptueux, nous en nourrir un peu ?

Je vous quitte, non sans oublier, de vous souhaiter un superbe et bienfaisant séjour.

Bien à vous.

 

NINA

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POUR...

Pour un regard qui parle...

Une bouche qui sourit,

Déjà le cœur s'emballe

On redécouvre l'envie!

Pour quelques mots tremblants

Une caresse furtive...

Fini les faux-semblants

Et l'impatience est vive!

Juste, pour une étincelle

La vie reprend du sens

Et redevient si belle

Quand avec plaisir danse!

Sans artifice aucun

Mais..., se laisser porter

Quel magnifique instinct,

L'amour apprivoisé!

Et oui, au bout des ans

Quand tout semble perdu

S'enorgueillit le temps

L'amour n'est plus rebut!

Il explose en douceur

Ayant enfin compris

Qu'à rien ne sert la peur

La vie est un défi!

Cœur ne veut renoncer

Jamais ne faire de trêve

Pour un jour mériter...

Cet amour, dont il rêve!

J.G.

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l'immigré JGobert

Il a débarqué ce matin, violemment jeté à même le sol par les bénévoles. C’est un petit gars de 15 ans parti chercher fortune ailleurs et qui a abandonné sa vie naissante d’infortune. Il a enfin pris pied sur cette terre d’accueil que ses ainés lui ont raconté mainte et mainte fois. Une terre regorgeant de trésors, de nourritures et d’argent.

Cruelle, la ville se dresse devant lui, tentaculaire, gigantesque et baignée dans un froid glacial. Ses vêtements ne sont plus adéquats et il tremble, grelotte.  Des baraquements de tôles sommaires s’élèvent du sol entourés de palissades et de grilles qui laissent présager que la vie, ici, ne sera pas plus belle pour le moment que celle qu’il vient de quitter.

Chez lui, ce petit homme a laissé sa mère, son enfance, ses souvenirs. Même très pauvre, la vie ne l’a pas privé de tendresse, vivre avec sa famille, sa terre aride et ses bestiaux malingres lui suffisait mais il a fallu partir.

Il a fallu prendre la décision de s’en aller pour que d’autres poursuivent et continuent à vivre dans ce pays, dans cette triste misère.  Chercher l’eldorado dans un pays riche et essayer de s’en sortir. Un rêve nécessaire pour endurer ces jours et ces jours de souffrance sur ce bateau bondé.

Son frère ainé, parti plus tôt, n’a plus jamais donné de nouvelles. Sa mère, attristée, attend toujours un courrier de lui. D’autres gars du village sont partis et revenus. Après de longs parcours de marche sous le soleil, rattrapés et refoulés vers les terres où l’espoir de vivre est plus petit que la certitude de mourir. Terre et hommes abandonnés dans cette chaleur cuisante.

Quelques pas sur ce trottoir mouillé et froid et déjà les morsures de cette vie étrangère se font sentir. De noms inconnus lui collent  à la peau et s’accrochent sans qu’il puisse les arracher.  Des noms que le monde civilisé a créés pour dénoncer ces hommes qui partent de chez eux pour vivre autre chose, pour exister, pour trouver le bonheur.  Ils sont légions à quitter leur univers de misère et pour certains, ce n’est pas le premier essai mais il faut s’accrocher pour résister à cette haine de l’immigré, du moins que rien, de l’expatrié, du laisser pour compte. Il faut croire que la vie chez eux est pire encore que ce que nos imaginaires pensent pour supporter la cruauté impassible de ces hommes résidants du bon côté de la terre.

Les listes tristement célèbres se font inlassablement et reprennent l’identité de ces hommes qui entament une file d’attente et d’indigence. Le froid les recouvre et les blesse déjà.  Après cette formalité, une autre file pour avoir droit à un bol d’une pitance qui les fera tenir un moment. Entré dans ce camp, avec son seul bien, une couverture trouvé à même le sol et abandonnée par un mourant, il cherche un endroit où se blottir et se réchauffer. Le bâtiment est bondé et dégage une odeur qu’il préfère ignorer en s’installant dehors sous un abri de fortune.

Il n’est pas le seul à être là, couchés par terre contre ce mur dans ce froid qu’ils ignorent.  Mais demain sera un autre jour et il partira jusqu’au bout de ses rêves dans cette ville inconnue qui lui ouvre des bras inhospitaliers.  Ce soir, seul et vidé de ses forces, il s’assoupit.

 

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Le retour de Golem

 

 

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Depuis j’ai appris que ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre né de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 10 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se lève à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Mon ami Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit,  après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être, j’ai su que c’est moi qui avais été désigné. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie réelle.

La phrase et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a  racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie.

Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vivre ou périr, c’est la loi de la vie.

Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles.

Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. En revanche, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que j’aurais été prêt à n’importe quoi pour l’épouser et la mettre dans mon lit. On appelle ça la passion. Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot.

Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure.  Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

 Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne fut jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue.

On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage.

Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur. Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Il s’agissait du Golem, je le savais. Le temps d’aujourd’hui et celui du passé pouvaient être le même.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens. Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir.

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts, quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque ! Je me sentais investi.

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais du la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps. A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

Le retour du Golem.

 

 

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Depuis j’ai appris que ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre né de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 10 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se lève à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Mon ami Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit,  après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être, j’ai su que c’est moi qui avais été désigné. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie réelle.

La phrase et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a  racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie.

Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vivre ou périr, c’est la loi de la vie.

Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles.

Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. En revanche, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que j’aurais été prêt à n’importe quoi pour l’épouser et la mettre dans mon lit. On appelle ça la passion. Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot.

Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure.  Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

 Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne fut jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue.

On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage.

Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur. Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Il s’agissait du Golem, je le savais. Le temps d’aujourd’hui et celui du passé pouvaient être le même.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens. Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir.

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts, quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque ! Je me sentais investi.

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais du la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps. A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

Le retour du Golem.

 

 

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Depuis j’ai appris que ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre né de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 10 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se lève à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Mon ami Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit,  après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être, j’ai su que c’est moi qui avais été désigné. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie réelle.

La phrase et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a  racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie.

Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vivre ou périr, c’est la loi de la vie.

Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles.

Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. En revanche, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que j’aurais été prêt à n’importe quoi pour l’épouser et la mettre dans mon lit. On appelle ça la passion. Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot.

Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure.  Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

 Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne fut jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue.

On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage.

Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur. Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Il s’agissait du Golem, je le savais. Le temps d’aujourd’hui et celui du passé pouvaient être le même.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens. Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir.

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts, quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque ! Je me sentais investi.

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais du la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps. A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

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Pour t'étreindre et m'oublier en toi

12273005459?profile=original

Pour t'étreindre et m'oublier en toi je m'exile dans les mots
où l'encre se répand en vagues chaudes et frémissantes.
Sous une lumière sélénienne, la farandole se mue à mes doigts
dans une inextinguible corrélation envoutante.
Uni par de frêles heures tièdes, mon épiderme frémit
et mes yeux se teintent d'une amativité intense
entrouvrant le rideau vaporeux qui nous sépare.
Note après note, j'égrène sur mes pages
l'amant nocturne, le tactile voyageur diluant
son opium dans mon éveil liant ainsi la spirale
de l'intemporelle au dessein d'un soir.

Nom d'auteur Sonia Gallet
Ce texte figure dans le recueil © 2014.

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administrateur partenariats

Une immense prairie où pommiers en fleurs invitent à la rêverie, des fermes et bocages entourant de nombreux villages de petites dimensions dont plusieurs font partie des‘Plus Beaux Villages de Wallonie’,… bienvenue au Pays de Herve.

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Au fil des siècles, les prairies et les nombreux vergers sont naturellement devenus l’atout majeur du Pays de Herve, qui en ont fait la réputation gastronomique que l’on connait. Citons le fromage de Herve (AOP – Appellation d’Origine Protégée), le sirop, le cidre, la bière, etc.

12273007467?profile=originalLe pommier de mon jardin

paré de ses plus belles fleurs...

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Au travail !

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Et l'aquarelle !

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Ceci est ma première aquarelle sur le motif cette année,

et mon premier arbre fleuri à l'aquarelle.

Ne soyez donc pas trop exigeant !

Le principal était de reprendre le pinceau et de retrouver

ce plaisir inégalable de la peinture en plein air.

Liliane

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