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A la recherche du temps perdu (Proust)

Roman de Marcel Proust (1871-1922), écrit entre 1908-1909 et 1922 et comprenant sept sections dont les trois dernières parurent après la mort de l'auteur. Les titres de ces sept volumes sont par ordre chronologique de publication: Du côté de chez Swann (à compte d'auteur chez Grasset en 1913, puis dans une version modifiée chez Gallimard en 1919), A l'ombre des jeunes filles en fleurs (Gallimard, 1918, prix Goncourt 1919), le Côté de Guermantes (en 2 tomes, Gallimard, 1920 et 1921), Sodome et Gomorrhe (en 2 tomes, Gallimard, 1921 et 1922), la Prisonnière (Gallimard, 1923), Albertine disparue (ou la Fugitive, Gallimard, 1925) et le Temps retrouvé (Gallimard, 1927).

Des conditions dans lesquelles furent publiées ces sept sections de l'oeuvre définitive, retenons essentiellement le souci manifesté très tôt par Proust que le roman formât une unité bien structurée et close, ainsi que les difficultés qu'il éprouva à concevoir les ruptures que supposait cette partition en sept volumes. Difficultés dues au fait que Proust souhaitait que chacun d'eux présentât une certaine autonomie. Ce qui frappe d'autre part c'est le considérable élargissement de la perspective entre la conception initiale du roman (soumise essentiellement à l'opposition temps perdu / temps retrouvé) et le résultat final. Dans l'intervalle se seront produits de multiples remaniements et de considérables ajouts qui auront eu pour conséquence d'enrichir toujours davantage cette immense fresque, sans que Proust abandonne jamais l'idée d'un achèvement de l'oeuvre, que la mort seule ne lui a pas permis de mener à terme.

Ce roman se présente sous la forme d'une autobiographie fictive où le narrateur évoque les différentes étapes, parfois analysées dans le plus grand détail, de ce que fut sa formation, envisagée essentiellement comme le chemin, entrecoupé de multiples voies de traverse, d'une vie qui l'a finalement mené à l'écriture sans qu'il prît vraiment conscience, dans les moments où il la vivait, de cet inéluctable destin. Celle-ci prend pourtant racine dans la plus tendre enfance, laquelle constitue le cadre du premier volume.


Du côté de chez Swann. Pour le narrateur, l'apprentissage commence par la découverte d'un monde clos et recelant déjà tous les germes de ses observations à venir: Combray. Une légère fêlure dans les rapports du jeune enfant avec sa mère (le traditionnel baiser du soir une fois refusé) devient la source d'une angoisse en quelque sorte matricielle. Tout est initiation dans cette première section: l'univers est divisé en deux côtés séparés présentant chacun une combinaison thématique propre. Du "côté de chez Swann" se situe le désir (pour Gilberte) et la prise de conscience de l'existence du mal, le "côté de Guermantes" révélant quant à lui toute la force de l'envie de prestige. L'enfant découvre la lecture (George Sand et Bergotte) et rêve sur les noms propres. Les impressions résurgentes de ce premier volume (c'est grâce à la saveur d'une madeleine trempée dans le thé que l'adulte les retrouve) sont déjà largement nourries des réflexions postérieures du narrateur et de l'écrivain lui-même. Ce premier tome comporte, seule partie du roman écrite à la troisième personne, la longue narration d'une passion vécue, bien avant la naissance du narrateur, par un voisin de Combray, Charles Swann. La rencontre d'Odette donnera à cette figure en vue du Faubourg Saint-Germain l'occasion d'expérimenter douloureusement les débordements d'une jalousie en laquelle se concentrera bientôt tout son amour. Il découvrira du même coup le milieu bourgeois du "clan" Verdurin et trouvera une consolation à entendre une "petite phrase" de la sonate de Vinteuil.


Dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, nous retrouvons le narrateur adolescent fréquentant chez les Swann. Odette, que Swann a fini par épouser et dont l'élégance raffinée fascine le jeune homme, offre la possibilité à celui-ci, en l'invitant dans son salon, de rencontrer l'écrivain Bergotte. Il découvre également, au théâtre, la Berma, comédienne de grand talent. Dans ces deux cas sa déception initiale fait place, après mutation, à une profonde admiration. Il éprouve pour Gilberte, la fille de Swann, son premier grand amour bientôt suivi du chagrin d'une rupture dont il prend l'initiative. Les "jeunes filles" du titre, c'est à Balbec (lieu de villégiature sur la côte normande) que le narrateur les remarque. Au Grand Hôtel il fait la connaissance de Mme de Villeparisis et de son neveu Robert de Saint-Loup. Le baron de Charlus, oncle du précédent, croise également dans les parages. Deux rencontres se révéleront particulièrement marquantes pour la suite du roman: celle du peintre Elstir, auquel le narrateur doit une certaine initiation esthétique, et celle d'Albertine qu'il différencie progressivement de l'essaim où elle se fondait tout d'abord.


La carrière mondaine du jeune homme prend son essor dans le Côté de Guermantes. Avant d'être admis dans ce saint des saints qu'est le salon de la duchesse de Guermantes, à laquelle Saint-Loup refuse de le présenter, il devra apprendre les règles du "monde" chez Mme de Villeparisis. Mais ce milieu, surtout caractérisé par son insignifiance, ne lui apporte qu'une déception chronique. Tout à ses préoccupations arrivistes, il est soudain confronté à la mort d'un être cher: sa grand-mère. La douleur qu'il éprouve, quoique réelle, n'est pas aussi intense qu'il l'aurait cru. Il revoit Albertine, qui lui accorde le baiser qu'elle lui refusait à Balbec.


Sodome et Gomorrhe s'ouvre sur une longue scène amoureuse entre Charlus et le giletier Jupien, suivie d'une dissertation sur l'homosexualité. Les anomalies de comportement du baron s'expliquent désormais. Lors d'une soirée chez la princesse de Guermantes, les conversations se concentrent sur l'affaire Dreyfus: il y est surtout question des remous et regroupements stratégiques que cet événement provoque dans les milieux mondains. Les rapports du narrateur avec Albertine deviennent de plus en plus étroits et, pendant un second séjour à Balbec en sa compagnie, il commence à la soupçonner d'être lesbienne. Il découvre le "clan" Verdurin que fréquentent également Charlus et son nouveau "protégé", le jeune musicien Morel.


La Prisonnière. Il s'apprête à rompre avec Albertine mais, subitement sûr de ses attirances gomorrhéennes, il décide de rentrer avec elle à Paris et parvient à la résoudre à la vie commune chez lui. Cette claustration à deux tourne cependant très vite au cauchemar: les pressions inquisitoriales du jeune homme, en proie à une succession de plus en plus effrénée de périodes d'apaisement et de torture ("les feux tournants de la jalousie"), se heurtent à la duplicité experte d'Albertine. Pendant une soirée chez les Verdurin il entend, profondément bouleversé, le septuor de Vinteuil. Il décide de rompre avec son amie, désespérant de pouvoir jamais la "posséder" vraiment.


Albertine disparue. Mais un matin au réveil, il apprend, "le souffle coupé", que celle-ci l'a quitté. Il reçoit peu à peu la nouvelle de sa mort. Commence pour lui un long travail de deuil où sa blessure, maintes fois ravivée par la confirmation qu'il acquiert des moeurs de la jeune femme, se cicatrise progressivement. Il voyage, se rend à Venise, et finit par considérer son histoire avec Albertine comme celle d'un autre.

Le Temps retrouvé. Bien des années plus tard, à Tansonville, lieu de son enfance, le narrateur découvre que les deux "côtés" de Guermantes et de chez Swann se rejoignent en fait, comme ont fini par se rejoindre dans le mariage Gilberte et Saint-Loup. La lecture du Journal des Goncourt et deux séjours qu'il fait à Paris pendant la guerre de 1914-1918 lui fournissent de quoi alimenter de longues et fécondes réflexions. Dans cette atmosphère de fin du monde chacun tient à se prononcer sur les hostilités. Les Verdurin répètent les communiqués de l'état-major, Charlus ne craint pas d'affirmer sa germanophilie et Saint-Loup s'engage héroïquement au combat, où il sera tué. Il sera donné au narrateur d'observer encore, dans cette sorte de Pompéi en sursis qu'est devenu Paris, le baron qui se fait fouetter, enchaîné, dans une chambre de l'hôtel de passe tenu par Jupien. Alors qu'il est invité à une matinée donnée par la princesse de Guermantes, trois événements anodins (il trébuche contre des pavés inégaux, entend un bruit de cuiller et se frotte à une serviette empesée) provoquent en lui, comme jadis la saveur de la madeleine, la même involontaire résurgence de souvenirs. Il découvre la supériorité de l'art sur la vie et considère qu'en celui-ci réside la seule possibilité de récupérer le temps perdu. Le "bal de têtes" auquel il assiste ensuite, galerie hallucinante des figures, maintenant décrépites, qu'il a connues jadis, lui apprend qu'il n'est plus temps désormais de différer davantage le passage à l'écriture: son livre sera comme une "cathédrale", comme les Mémoires de Saint-Simon ou les Mille et Une Nuits de son époque.


Aux yeux de qui a trop attendu de l'extérieur, la vie ne peut apparaître que décevante et arrive un moment où semblable désappointement fait éprouver à certains le besoin de la réviser, de la prendre en écharpe dans un geste qui sera à la fois d'exhibition, de protection, d'aide et de réparation. Ils peuvent trouver dans cette motivation inaugurale la voie qui mène à l'écriture. Et c'est un tel projet que forme Proust, une telle envie de démonstration qu'il a en tête lorsqu'il s'embarque vers 1908-1909 dans une aventure dont il ne sait pas trop, ou sait trop bien, où elle va le conduire. Désir de prouver que l'écriture recèle la puissance de collecter l'essentiel de ce qu'un être aura vécu pour l'assembler harmonieusement en un seul texte en mettant au point un dispositif qui comprendra deux temps essentiels: celui du déploiement et celui de la récapitulation. Déploiement de l'infinie variété des circonstances où la "jouissance directe" fut sans lendemain et récapitulation de cette expérience en gerbes dont chacune contiendra des occurrences de même famille, afin d'arriver à la racine des impressions pour les rendre définitivement tangibles et source d'une satisfaction plus profonde et plus durable.

On comprend dans ces conditions que la visée ne soit plus d'action, mais d'approfondissement, et que l'objectif ne soit plus situé à l'extérieur mais dans le monde interne des sensations restées obscures parce que trop rarement explorées, monde pour lequel la réalité visible forme cependant un détour nécessaire. La fonction de la littérature selon l'être proustien réside dans cette densification de la vie, rendue d'autant plus "digne d'être vécue", affirme le narrateur, "qu'elle me semblait pouvoir être éclaircie, elle qu'on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu'elle était, elle qu'on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre". Ce livre, pour le futur entrepreneur d'une telle reconstruction, est évoqué à l'aide de diverses images: d'abord, logiquement architecturale, celle de la cathédrale, puis plus modestement artisanale, celle de la robe, et enfin, plus prosaïquement culinaire, celle du boeuf mode. Cela pour dire que cette oeuvre évoque le souci d'une certaine spiritualité (l'écriture comme une prière quotidienne), celui aussi de la parade, nécessaire transmutation esthétique, à vocation défensive, de la réalité humaine et celui enfin de la façon dont elle sera ingérée par le lecteur, qui doit être "nourri" tout en éprouvant du plaisir et qui constituera ici une préoccupation primordiale.

Car un tel roman ne pourra trouver son véritable accomplissement que s'il a su répondre pleinement à son objectif affiché d'être un legs. Ce désir de transmettre constitue la dimension essentielle dans laquelle doivent être lues ses innombrables références, littéraires, picturales et surtout musicales: fréquentation d'oeuvres dont le narrateur dit qu'elles lui ont donné "une valeur d'éternité, hélas! momentanément", et qu'il aurait voulu léguer celle-ci à ceux [qu'il aurait] pu enrichir de [son] trésor". Du sommeil (comme symbole paradoxal de l'engagement obtus dans le réel mais aussi de capacités qu'il est toujours possible de réactiver) à la somme (combinaison, suffisamment ordonnée pour être partagée, de ce qu'un être aura pu engranger de joie prise aux réalisations esthétiques d'autrui), voilà qui pourrait peut-être caractériser le long cheminement de ce roman. Pour cela, un véritable travail d'extraction se révèle nécessaire: "Je savais très bien que mon cerveau était un riche bassin minier, où il y avait une étendue immense et fort diverse de gisements précieux."

Parmi les minerais ramenés à la surface, la musique occupe une place prépondérante, parce que les traces essentielles de l'existence y sont en quelque sorte inscrites comme des fossiles, et qu'elle possède, véritable mémoire, la vertu d'en retracer l'histoire. Elle est le véhicule grâce auquel la profondeur peut être atteinte et donner ainsi tout leur sens aux événements d'une vie. C'est dans l'interrogation qu'elle fait entendre que le narrateur puise la ressource de comprendre, par exemple, que toutes ses amours précédentes n'auront été que de "minces et timides essais" avant sa grande passion pour Albertine, en laquelle se concentre ("comme une incision en pleine chair") tout ce qu'il est capable d'accomplir sur ce terrain. C'est par l'intermédiaire de la musique, véritable "retour à l'inanalysé", que peut nous être révélé "tout ce résidu que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes", et qui ne peut être communiqué à autrui que par un travail de transmutation artistique. Elle détient la ressource de donner toute sa puissance à l'"appel" que le narrateur aura entendu sous diverses formes dans son existence, chaque fois comme le signe qu'existe une possibilité de compensation à toutes ses souffrances. Grâce à elle, il découvre aussi que de semblables créations, qui recèlent comme "un corps à corps d'énergies", ne sont possibles que parce qu'elles font contraste avec le monde environnant, avec toute la fadeur et l'insignifiance des êtres dont la "vulgaire allégorie" constitue cependant un élément révélateur indispensable. Ce n'est que contenus dans une "gaine de vices" que la vertu, le talent, voire le génie peuvent se manifester. De ce point de vue tous les éléments, même les plus "impurs", d'un parcours, trouvent leur utilité, en ce qu'ils ont représenté d'indispensables étapes pour aboutir à l'oeuvre en laquelle il devient ainsi légitime qu'ils soient relatés, dès lors que cette oeuvre est un roman. Le travail de la signification se forge à partir du prosaïque, c'est en lui qu'elle puise la solidité de son enracinement. Et ce n'est pas un hasard si le narrateur a connu sa plus grande émotion esthétique au beau milieu du salon Verdurin, malgré sa médiocrité, les diverses manifestations de futilité de ceux qui le fréquentent, l'hystérie de la "Patronne", etc. Ce furent là les ingrédients nécessaires, les circonstances indispensables à cette joie sans nom qu'il éprouva, puisque c'est précisément grâce aux subtiles "conjugaisons" qu'elles permirent qu'il a pu entendre le septuor de Vinteuil.

D'une certaine façon, quel est le lecteur un peu conséquent de Proust qui ne finit pas par reconnaître le salon Verdurin ou autres lieux proustiens qu'il héberge peu ou prou en lui-même? "Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eût peut-être pas vu en soi-même." D'où l'insatisfaction de l'écrivain lorsque certains l'appellent "fouilleur de détails" après avoir lu ses premiers textes. Alors qu'il cherchait avant tout à élaborer les "grandes lois" (de la mondanité, de l'amour, de l'art) qui président à sa présence au monde en tant qu'être singulier, Proust n'en inaugure pas moins cette "esthétique du détail" qui s'épanouira au XXe siècle, c'est-à-dire cette technique d'écriture qui consiste à décrire les réalités les plus quotidiennes dans une langue d'une grande perfection formelle et qui tire toute sa valeur de décliner avec le plus de précisions possible les caractéristiques d'une perception unique. Celle-ci peut se donner à lire en particulier dans le vaste tissu de métaphores qui sera progressivement élaboré par l'écrivain pour approcher au plus près de ce qu'il observe, comme une sorte de nasse dans laquelle il enserre les éléments de l'expérience accumulée, en résistant à la facilité de l'image toute faite: "La vérité ne commencera qu'au moment où l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport [...], et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau style." La survenue et la sélection des images sont comme la signature de l'être. C'est la "différence qualitative" obtenue par la tension toujours maintenue au plus vif entre les pôles opposés d'une très longue série où s'attirent et se repoussent à la fois, pour se rejoindre parfois, l'objectif et le subjectif, le masculin et le féminin, le noble et l'ignoble, le rêve et le réel, les ténèbres et la lumière, l'angoisse et "l'espérance mystique", la mort spirituelle et la possibilité d'une renaissance.

L'écriture proustienne tire son énergie de ces oppositions énoncées sans manichéisme comme les données d'une expérience, comme un viatique offert à qui veut en "prendre de la graine": "Cette vie, les souvenirs de ses tristesses, de ses joies, formaient une réserve pareille à cet albumen qui est logé dans l'ovule des plantes et dans lequel celui-ci puise sa nourriture pour se transformer en graine..."Pour devenir écrivain, le narrateur aura dû surmonter la longue "procrastination" dans laquelle son engagement trop brûlant dans le monde, sa recherche avide de possessions, son refus crispé de préserver la part du mystère l'auront tenu enfermé. Il lui aura fallu accepter la résistance des êtres et des choses à toute tentative d'annexion, laquelle ne pourrait d'ailleurs qu'aboutir à une aliénation réciproque, comme le lui aura démontré sa vie commune avec Albertine qu'il aura lui-même contribué, par les exigences vampiriques dont il aura fait preuve avec elle, à transformer en "être de fuite". Son écriture, loin de s'en trouver stérilisée comme le furent ses tentatives d'intervention et d'intrusion dans la vie d'autrui, va pouvoir désormais s'alimenter de l'ouverture à toutes les formes enfin admises de l'altérité. Le texte proustien regorge de toutes les manifestations de ces débordements, de ces échappées, eu égard aux limites étroites du moi. L'oeuvre doit viser à en exprimer la richesse, la vertu fécondante. Les signes majeurs que constituèrent pour l'écrivain tous ces noms propres qui lui offrirent un accès à l'inouï, une rupture dans les habitudes (Guermantes, Gilberte, Albertine, Saint-Loup, Charlus, Balbec, Verdurin, etc.), lui auront permis d'élaborer sa palette, grâce aux changements de régime qu'ils auront instaurés dans sa vie. Son oeuvre ne sera donc que l'une des partitions possibles par lesquelles on peut interpréter le monde, et trouvera sa place parmi toutes celles qui furent ou seront extraites du "clavier incommensurable". Le lecteur sera ainsi à même de vérifier que "la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature".
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Max Elskamp (1862-1931) et la presse privée en Belgique

La gravure fut première et, de cette passion xylographique, Elskamp (1862-1931) ne se départira jamais. La typographie vint ensuite mais lui resta étrangère, relevant seulement d’une connaissance approfondie qui ne fut jamais un amour. Le graphisme de la lettre céda toujours le pas à l’ornementation, symbole de sa pensée, qu’il inscrivit dans une mise en page rigoureuse, élaborée comme un tout organique. Avant les « Six chansons de pauvre homme », la maison Buschmann avait imprimé ses trois premiers recueils, comme elle imprimera tous les autres, y compris les œuvres posthumes, « Enluminures » et « Sous les Tentes de l’Exode » exceptés. Cette fidélité est sans exemple. Elskamp devait tout son savoir typographique à Paul Buschmann senior, son « grand ami et maître ». A la mort de ce dernier en 1909, le neveu G.-Jos Buschmann prit la relève. Entretemps, Elskamp s’était livré à quelques expériences typographiques dont certaines aboutirent. A la lecture des bribes de lettres publiées, on a cru pouvoir faire remonter ce travail à 1895. C’était mal comprendre certains termes utilisés qu’il convient de préciser.

1895 : Elskamp et la gravure
Ses premiers bois datent de cette année. Dans une lettre de février à son cher Henry van de Velde, Elskamp signale qu’il s’est « permis une petite illustration dont voici l’empreinte en passant simplement un peu de crayon sur du bois. Buschmann vient de soumettre à la presse mon premier essai ». Ch. Berg citant ce passage signale l’empreinte de « quelques nuages et de la pluie » sur l’autographe. H. van de Velde commentant le même passage sans le citer est formel : « Je tiens à signaler que c’est à cette occasion qu’il grava ses premiers bois (…). Ils sont dans la manière « hiéroglyphique » et singulièrement suggestifs de la pluie ». Si Elskamp utilise la presse de Buschmann, c’est qu’il n’en a point encore. Mais cela ne tardera guère, car la taille du bois le mord déjà : « Je jubile ! me suis fait une imprimerie de ma presse à copier ! Je me suis fait un rouleau encreur et comme plaque à encrer un simple carreau de vitre. Ci, un petit exemplaire de mon tirage dont le foulage est beaucoup trop fort (effet de la presse à copier). Ces bois sont sur buis et de ma composition ! Peut-être pourraient-ils servir pour mon petit prochain recueil. Ce serait délicieux de faire soi-même ses bois et ses vers (…) Me suis passé trois burins à travers les doigts (…) J’ai des mains d’ouvrier à présent et vraiment ce m’est joie (…) P. S. : Je suis pris d’une rage d’impression pour le plaisir de faire pirouetter ma presse à copier. P. S. 2 : Pour le plus grand dam de mes proches, j’ai transformé mon bureau d’en haut en atelier de gravure. C’est plein d’encre là-haut et sale ! un vrai rêve quoi, et ce n’est que le commencement » !
La bourgeoise demeure familiale de l’avenue Léopold noircie d’encre à l’étage ! Quel effarement ! Sa famille n’acquiesce guère : « Je crois, mais chut ! que je vais avoir une presse et imprimer désormais moi-même ». Il transforme simplement sa presse à copier, sans doute la petite presse à épreuves en bois qui a été léguée avec ses outils à graver, son matériel typographique et la presse « L’Alouette » exposée maintenant à la Bibliothèque royale de Bruxelles. Mais le mot « imprimerie » reste à prendre au sens étroit du tirage de bois gravés, et non encore de typographie.

1895 : Henry van de Velde et la typographie
Nous pénétrons dans le monde raffiné de la presse privée dont l’initiateur fut William Morris avec sa Kelmscott Press en 1891. Le premier recueil sorti d’une presse belge fut les « Six chansons de pauvre homme » imprimées chez van de Velde sur la « Joyeuse » ainsi baptisée par Elskamp. Premier travail strictement typographique de van de Velde, première ornementation xylographique d’Elskamp : une collaboration « synthétique » sous le signe d’une amitié indéfectible. H. van de Velde s’ouvre de nouvelles perspectives en se lançant dans la typographie comme dans l’architecture. La rénovation de la maison de sa belle-mère Louise Sèthe au 112 avenue Vanderay à Uccle constitue son premier essai architectural en 1894. Et dès le 11 avril 1895, les plans sont déposés pour sa propre demeure, le futur Bloemenwerf qui ne sera achevé qu’au début 1896.
En attendant, c’est chez sa belle-mère où il vit avec Maria, son épouse, qu’il a installé la « Joyeuse », et c’est là que sont imprimées les « Six chansons », et non au Bloemenwerf, comme on le dit souvent. H. van de Velde qualifiera sa presse de « vrai joyau de la fabrication des machines du XVIIIe siècle ». Petite presse à bras en fonte, courte sur pied et fixée sur une table ovale, ainsi nous apparaît-elle sur une photo de son futur atelier ou à La Cambre qui l’héberge dans l’atelier de typographie depuis la fondation de l’Isad par van de Velde lui-même ». Si l’on répète qu’elle est du 18e s. (sic), on n’a guère jusqu’à présent cité sa marque : « Imperial Press. Invented J. Cope & Sherwin 5 Cumberland St. London » (sur le bras, leurs noms presque effacés sont répétés).
« L’impression de cette plaquette nous occupa (sa femme et lui) dès lors pendant de longues semaines (…) les apprentis que nous étions, enthousiastes du beau métier qui se révélait à nous ». L’impression s’acheva le 15 décembre 1895, date qui avait été initialement retenue pour l’ouverture de la nouvelle Galerie « Art Nouveau » de Samuel Bing à laquelle van de Velde participait par l’aménagement de quatre salles. Apprenti en architecture, apprenti en typographie : si la part de chacun reste difficile à déterminer, c’est Elskamp toutefois qui reste maître du « jeu », car il est le seul à avoir alors les connaissances requises.
Pour le spécialiste Fernand Baudin qui consacra l’étude la plus poussée à la typographie chez van de Velde, il ne fait aucun doute qu’avant Elskamp, van de Velde « n’a aucune expérience ni connaissance typographique (…) une expérience typographique qui manquait absolument à van de Velde ». Ce n’est point celle de graphiste ornemaniste avec la revue « Van Nu en Straks », ses éditions de « Déblaiement d’art » dont la deuxième venait de paraître en 1895 en même temps que ses « Aperçus en vue d’une Synthèse d’art », et l’ « Almanach » de l’université de Gand qui lui aura appris à prendre les caractères dans une casse, les mettre au composteur puis sur la galée, la lier, faire une imposition sur le marbre, interligner, justifier, serrer la forme… Mais c’est sans compter sur la rapidité étonnante avec laquelle van de Velde passe d’une activité spéculative à la pratique et en acquiert toute maîtrise, presque d’emblée. « C’est-à-dire que question d’amitié –et si bonne- à part, je suis chez toi, lui écrit Elskamp, comme chez Monnom, Buschmann ou autres. Avec cette grande différence toutefois que je n’aurai personne à engueuler, car tu es vraiment extraordinaire comme typo, bon vieux ». D’où Elskamp tenait-il ses connaissances typographiques ?

1898 ou Elskamp et la mise en train
A la fin de sa vie, Elskamp racontera à son cousin Henri Damiens son apprentissage chez Pau Buschmann senior : « Je connais le métier à fond, mon cher Henri, et je pourrais même gagner ma vie en le pratiquant ; le brave père Buschmann, il y a 20 ans (sic), et chez lequel j’ai travaillé pendant 6 mois, m’a tout appris, depuis la composition jusqu’au tirage, y compris la trempe du papier. J’ai commencé par le commencement, remettre les caractères retirés des formes, « tête en haut » dans les « casses » ; puis cette chose très difficile à faire : le « nœud », c’est-à-dire de réunir les lignes composées au moyen d’une ficelle, puis les mettre dans les formes ; cela se fait d’une seule main et rien ne peut tomber. Je connais tous les secrets des serrages, des hausses, de la mise en train, qui est ce qui coûte le plus cher dans la typographie soignée. Et c’est pour cela que j’aime à contrôler le tirage de mes livres moi-même ». G.-Jos Buschmann dont nous parlions plus haut confirmera ces dires en de précieux souvenirs sur Elskamp qu’il fréquenta assidûment après la mort de son oncle Paul, « dès avant 1912 » : « Cette initiation se déroulait en sa logette menue et si délicieusement encombrée d’inutilités appelée chez J.-E. Buschmann d’alors, le bureau de Mr Paul. Mais souvent, lorsqu’un détail exigeait démonstration, ils grimpaient à deux sous les combles des ateliers de la Rijnpoorvest, au réel « capharnaüm » que Paul s’y était réservé. Et où il dessinait des initiales jolies ou des décors charmants pour sa typographie… Et de ces palabres en la logette et au capharnaüm date la vieille presse-à-bras de Max Elskamp, tout en bois (sic) et acquise je ne sais où… ». « T’ai-je dit, bon vieux Henri, que j’ai une presse, fabriquée de mes mains, et que j’ai collaboré avec forgeron et menuisier avant d’arriver à ce résultat ». Il la baptisa « L’Alouette ». Il en parle à son éditeur Lacomblez le 22 février 1898. « Comme j’ai une « Presse à moi » désormais et que je pourrai être mon propre imprimeur, nous allons pouvoir travailler bon marché et bien tout à fait, à mon sens. »
Sa première page publiée semble être ce feuillet de justification qui se trouve « rapporté » dans certains exemplaires de sa petite édition xylographique des « Sept œuvres de Miséricorde » : « Tiré à 25 exemplaires sur ma presse « L’Alouette » pour servir de démonstration à un nouveau procédé de gravure sur bois aux acides ». En ces années 1898-99, Elskamp s’adonne à toute une série de projets éditoriaux dont il n’imprime que les pages de titre en multipliant les essais d’ornementation pour chacune d’elles.

L’ornementation, symbole de la pensée
En publiant sa causerie du 20 mai 1898 sur ceux qui se font imprimer, Charles Dumercy ne se doutait pas que son écriture caustique ferait l’objet des rares éditions sorties de la presse « L’Alouette » : le « Petit vocabulaire » et « La Vieille-Boucherie ». Le conférencier envisageait le point de vue de l’auteur livrant sa pensée à l’impression. A l’encontre de la plupart de ceux-ci, ignorants des faits de la typographie, Elskamp, en praticien consommé, élaborait ces « si belles et judicieuses maquettes qu’étaient toujours les copies que remettait le poète, apprenti typographe de mon oncle Paul ». Il concevait son œuvre dans sa totalité, intégrale et intégrée en une structure symbolique. En cela, il appartient à l’ Art Nouveau. En des feuillets épars conservés à la Bibliothèque royale de Bruxelles (Musée de la Littérature), Elskamp nous livre quelques-unes de ses réflexions sur l’architecture du livre, bannissant toute forme d’illustration : « Il faut considérer l’illustration au point de vue ornemental comme hors du corps du livre –c’est là son plus grand défaut. Au point de vue de la typographie, rien alors ne la justifie, c’est une interprétation exotérique au texte, dans un autre plan, en d’autres termes une démonstration linéaire graphique de ce que devraient exprimer les caractères. La plus grande erreur de l’ « illustration » dans le sens d’ « histoires » est de n’être que la compréhension d’un passage par l’ « illustration » seule. Flaubert l’avait bien compris qu’il répudia toujours les offres « d’illustrations » qui lui furent faites. Seul l’auteur d’un livre pourrait « illustrer » son livre et encore reste à voir s’il y trouverait profit ; il matérialiserait la notation de sa pensée, lui donnerait une forme absolue dans un autre plan de notation où, pour cette raison même, il y aurait grande difficulté d’adéquation. Seule une « illustration » qui serait un symbole de sa pensée pourrait être acceptable et alors encore, il ne s’agirait plus ici que d’une ornementation et non d’une illustration ».

Elskamp délaissa sans doute la typographie étant donné les moyens limités qu’offraient sa presse et son matériel, mais peut-être davantage parce que le caractère typographique ne l’intéressait guère. L’exemple de William Morris –dont les idées sociales eurent une influence prépondérante sur van de Velde- en dessinant et faisant graver trois caractères, les Golden, Troy et Chaucer Types-, ne fut guère suivi en Belgique Lorsqu’il s’agira pour van de Velde, qui s’est pourtant toujours passionné pour le graphisme de la lettre comme ornement, de concevoir un caractère pour l’ « Also sprach Zarathustra » édité par le comte Kessler, il fera appel à Georges Lemmen. Quant à l’ornementation d’Elskamp, de figurative, populaire et folklorique, elle s’ouvrira après la guerre sur un monde graphique protéiforme, abstrait, linéaire comme si toutes ses croyances en la « réalité » avaient été broyées. Ces graphistes étaient des ornemanistes, et l’ornementation le symbole de leur pensée.

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Biographie de Max Elskamp

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LA MUETTE est une initiative des éditions BDL à Bordeaux (<<www.editionsbdl.com>>), partenaires de l'INA en France, (direction: Jean-Luc Veyssy).Dirigées à Bruxelles par Bruno Wajskop, les éditions LA MUETTE se présentent en Belgique comme un nouvel éditeur belge à part entière, et en France comme la collection belge des éditions BDL.LA MUETTE et les éditions BDL sont dirigées par une véritable équipe d'éditeurs.(Vincent Peillon, Antoine Spire, Fabienne Brugère, Guillaume le Blanc, Serge Audier, Philippe Chanial, Jean Cléder, Dominique Emmanuel Blanchard et un clin d'œil bienveillant de Francis Dannemark)POLITIQUE - ACTUALITÉ - HISTOIRE, ARTS & PATRIMOINE - LITTÉRATURE – SCIENCES HUMAINESPolitique belge: dans ce domaine, nous privilégions les textes de qualité, sans exclusive, en refusant l'extrémisme.Sciences humaines: LA MUETTE publie des textes d'auteurs belges dans le domaine de la psychanalyse au sens large.C'est ainsi que l'œuvre de Serge André continuera enfin d'être publiée. Le catalogue complète la large collection des éditions BDL dans le domaine des sciences humaines.Littérature: La littérature belge trouve naturellement sa place parmi nos collections, avec des auteurs d'envergure (Stefan Liberski), mais aussi avec des œuvres littéraires de personnalités médiatiques (Jacques Mercier), et des textes brillants d'auteurs que nous désirons faire connaître en France et en Belgique.PREMIERS OUVRAGES À PARAÎTRE EN MARS 2010(Viviane Teitelbaum : Quand l'Europe se voile – CNCD : Refonder les politiques de développement – Jacques Mercier : Excès – Jacques Wautrequin : 60 ans de crises – Paul Ardenne & Barbara Polla : Peintures, please pay attention please)Diffusion / Distribution : France: CED / LES BELLES LETTRES - Belgique : SDLC LA CARAVELLEContact : Bruno Wajskop - ++32 497 57 48 59 - <<mailto:wajskop.bruno@wanadoo.fr>><<www.editionsbdl.com>> - <<www.lamuette.be>>
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"Lire Marcel Proust aujourd'hui" par Michel Joiret

Un ouvrage de Michel Joiret, indispensable pour les professeurs qui font voeu d'enseigner la vie profonde à travers les oeuvres littéraires, mais aussi à tous les curieux intéressés par une des plus grandes voix de la littérature mondiale. Michel Joiret suit ici une grille d'analyse et un plan de lecture rigoureux pour passer en revue différents personnages, thèmes, caractéristiques d'écriture de Marcel Proust nous montrant à quel point les "figures" de l'écrivain, aussi modelées soient-elles par la société de son époque, sont proches de nous et nous offrent de nous-mêmes un portrait en miroir. Michel Joiret est poète, romancier, essayiste, anthologiste, enseignant, fondateur du Projet de lecture Charles Plisnier de la Province du Hainaut, directeur de la revue littéraire "le Non-dit", animateur de voyages et séminaires de réflexion sur les lieux qu'ont hantés de grands écrivains. Il signera, en date du samedi 27 février 2010 son dernier livre "Les masques verts du commandeur", lors d'une séance de signatures que j'initie à l'Espace Art Gallery. Je vous parlerai plus amplement de l'oeuvre de Michel Joiret dans ce blogue à cette occasion. A la recherche du temps perdu
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PARUTIONS RECENTES

Correspondance André Baillon - Jean-Richard Bloch (1920-1930), édition établie et annotée par Maria Chiara Gnocchi, Tusson, du Lérot éditeur, 2009, 206 p., ISBN 978-2-35548-028-7En 1920, André Baillon est à la recherche d’un éditeur. Jean-Richard Bloch vient d’être nommé directeur d’une collection littéraire, les « Prosateurs français contemporains » des éditions Rieder, dont il essaie de composer la première série. La rencontre entre ces deux hommes est décisive. Baillon signe un contrat qui le lie à Rieder pour les années à venir ; Bloch, de son côté, trouve l’auteur-type qui donnera le « la » à sa collection.La correspondance entre Baillon et Bloch ne peut se réduire à l’échange entre un auteur et son éditeur. L’un et l’autre sont écrivains et aussi critiques littéraires : lettre après lettre, ils commentent leurs œuvres mutuelles, ils glosent les textes d’autres romanciers, et leurs écritures « jouent » autour de quelques thèmes donnés. De leurs périphéries respectives (Bruxelles et Poitiers), Baillon et Bloch jettent un regard très personnel sur Paris, centre indiscuté de la vie littéraire, où Rieder a son siège, et où ils se rencontrent de temps en temps. Et c’est tout le bouillonnement de l’univers littéraire et intellectuel français et belge de l’entre-deux-guerres qui émerge de leurs missives, avec ses protagonistes, ses tribunes, ses débats.http://www.editionsdulerot.fr/

Geneviève Hauzeur, André Baillon. Inventer l'Autre. Mise en scène du sujet et stratégies de l'écrit,Bruxelles, Peter Lang, "Documents pour l'Histoire des Francophonies", 2009, 463 p., ISBN 978-90-5201-540-8Écrivain hors normes, parmi les plus importants qu’ait connus la Belgique de l’entre-deux-guerres, publié dans des maisons d’édition qui ont insisté sur la dimension sociale de ses récits, André Baillon (1875-1932) n’atteignit que progressivement sa vraie stature, celle de l’écrivain qui fit de sa vie un terrain d’écriture. Il ne cessa d’explorer les limites du langage et les frontières de la folie.Affrontant les mots, Baillon se confronte aussi à l’Autre, et en premier lieu au lecteur qu’il convie à éprouver son expérience, dans une ambivalence qui mêle empathie et ironie. De cette “invention” de l’Autre surgit un vrai sujet : une voix qui a quelque chose à dire.Cette étude montre comment l’œuvre de Baillon, tout « égotiste » qu’elle soit, interroge le fait littéraire dans son essence. Ce en quoi elle est une voix qui nous enseigne. Première monographie critique consacrée à l’œuvre de Baillon, le livre de Geneviève Hauzeur convoque plusieurs disciplines des sciences humaines – de la linguistique du discours à la psychanalyse, en passant bien sûr par la théorie littéraire – pour interroger ce qui, au cœur du sujet de l’écriture, motive la nécessité de “faire œuvre” d’écrivain.http://peterlangusa.com/Index.cfm?vID=21540&vHR=1&vUR=2&vUUR=3&vLang=E
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Au sujet de l'amitié de La Boétie et de Montaigne, tout le monde connaît l'explication de Montaigne: "C'était parce que c'était lui, c'était parce que c'était moi". Mais connaît-on ce que fut l'amitié entre Max Elskamp et Henry Van De Velde, deux immenses figures belges? Vous pourrez trouver sur ce sujet, en téléchargement, un véritable document de Van De Velde: "Henry van de Velde entretient ses Collègues de l'Académie libre Edmond Picard de la formation poétique de Max Elskamp et d'une amitié de plus de 50 ans" (15 juin 1933) Téléchargez ce document à partir de https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/lhommage-de-henry-van-de-velde
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Cette exposition est consacré à Michel de Ghelderode et à son ouvrage "L’histoire comique de Keizer Karel telle que la perpétuèrent jusqu’à nos jours les gens de Brabant et de Flandre", Texte intégral et définitif, mis en images par Albert Daenens, Bruxelles, Á l’Enseigne du Carrefour, 1943, 185 p. Ce recueil d’anecdotes pittoresques et volontiers paillardes sur la vie de Charles Quint est composé dans un style archaïsant cher à l’auteur, attaché au mythe de la Flandre. L’édition originale paraît en 1922 à Louvain, aux Éditions de la Sainte Boutique (!). Ce petit volume de 48 pages ne contient que 31 des 72 récits de l’édition définitive. Une deuxième édition – en partie originale – voit le jour en 1923, à l’enseigne de la Renaissance d’Occident. En août 1943, l’éditeur Eugène Maréchal, officiant aux Éditions du Carrefour à Bruxelles, propose une troisième édition, présentée comme définitive. Cette édition, joliment illustrée par Albert Daenens, est aussi en partie originale. À l’exception de deux contes, elle reprend avec des variantes et dans un ordre différent, tous les textes de la deuxième édition, avec en outre une nouvelle préface et quinze contes inédits. Le présent exemplaire, qui ressemble à s’y méprendre à cette troisième édition, est en réalité une quatrième édition, véritable chausse-trappe bibliographique. En effet, l’achevé d’imprimer indique la même date, août 1943, et mentionne la troisième édition. Cependant, le format est un rien plus petit et un post-scriptum a été ajouté à la fin de la préface de l’éditeur (p. 21). Celui-ci explique qu’à huit jours de la sortie de presse de la troisième édition, il s’est vu «agréablement forcé» par l’auteur d’en établir une quatrième, qui comporte de très nombreuses variantes stylistiques. Dès lors, l’«achevé d’imprimer» doit être lu plutôt comme un avis concernant la troisième édition. Il comporte d’ailleurs une différence notable: alors que l’achevé d’imprimer de la troisième édition signale: «la présente édition de l’Histoire comique de Keizer Karel, la seule définitive et contenant le texte intégral de l’ouvrage […] ces exemplaires constituant l’édition définitive et la seule version intégrale de l’ouvrage de Michel de Ghelderode», celui de la quatrième édition est libellé comme suit: «La troisième édition de l’Histoire comique de Keizer Karel, la seule contenant le texte intégral de l’ouvrage […] ces exemplaires constituant la seule version intégrale de l’ouvrage de Michel de Ghelderode» (c’est nous qui soulignons). On comprend donc que cet avis de la quatrième édition indique simplement que la troisième édition a été imprimée en août 1943 et que cette édition n’était pas définitive puisqu’une quatrième a été établie. L’exemplaire de la Réserve précieuse, acquisition postérieure à la donation, porte une dédicace autographe de l’auteur à Jean-Marie Culot, son premier bibliographe, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises. Elle est rédigée ainsi: «à Jean-M.Culot – mon premier livre – dans l’attente d’un temps meilleur où seront flacons et victuailles comme ci-devant. En amical hommage [s.] Ghelderode 1943 (Etant entendu que ceci est bien la version définitive de Keizer Karel)». Sur cette curiosité bibliographique décelée par le professeur Roland Beyen, voir Auguste Grisay, «La quatrième édition de l’Histoire comique de Keizer Karel de Michel de Ghelderode», dans Le livre & l’estampe, t.XVII, nos67-68, 1971, p.162-164; R. Beyen, Bibliographie de Michel de Ghelderode, Bruxelles, Palais des Académies, 1987, n°167.
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A l'occasion de la parution du recueil du Père (Maredsous) Luc Moës, "Sillons", distiques, ouvrage accompagné de photos de Caroline Nève de Mévergnies. La présentation fut faite par Piet Lincken et les lectures par le présentateur et l'auteur

. Luc Moës

Lectures de l'oeuvre par Piet Lincken et L'auteur Par la suite, autour du thème "Poésie et spiritualité" on entendit Isabelle Fable partager sa contribution au sujet

Le dernier ouvrage d'Isabelle Fable, intitulé 'Femmes en souffrance' a obtenu le Prix Delaby-Mourmaux 2008, décerné par le jury de l'Association des Ecrivains belges (AEB). Participa également aux lectures, Barbara Flamand

Le dernier opus de Barbara flamand "La patience du guetteur d'aube" (poésie) vient de paraître aux Editions Onyx et présente ses textes en français et en tchèque. J'en reparlerai lors d'un prochain billet fin janvier prochain.

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La collection "Voix de la mémoire" aux Editions Luc Pire

La collection "Voix de la Mémoire" aux Editions Luc Pire marque un intérêt fondamental pour tous les phénomènes politiques, sociaux et culturels qui offrent un lien possible, une approche comparative entre le présent et le passé. Entre l’analyse du présent et la compréhension de l’histoire. A l’appui de travaux historiques, juridiques, politiques et sociologiques, et dans une perspective foncièrement pédagogique, Voix de la Mémoire met à la portée des lecteurs francophones la connaissance et l’information nécessaires à une meilleure compréhension des enjeux politiques contemporains. Au croisement de plusieurs disciplines, et dans une perspective progressiste, elle attribue un rôle central à l’histoire récente et à la mémoire des tragédies qui l’ont marqué pour construire une société plus juste ! Les ouvrages de la collection: Faut-il interdire les partis d'extrême droite ? Démocratie, droit et extrême droite Jérôme Jamin. Préface de Hugues Le Paige. « Cela restera toujours l’une des meilleures farces de la démocratie d’avoir elle-même fourni à ses ennemis mortels le moyen par lequel elle fut détruite » disait avec un cynisme lucide Joseph Goebbels, le ministre de la propagande d'Adolf Hitler. Quelles libertés faut-il accorder aux ennemis de la liberté ? Cette question est au cœur de la réflexion sur la démocratie. Système à la fois formidable et monstrueusement fragile, la démocratie ne peut limiter la parole de ses ennemis sans mettre en péril ses principes les plus élémentaires. A partir de ce constat, Jérôme Jamin tente de répondre à quatre questions. Comment légitimer la restriction de certaines libertés au nom des libertés elles-mêmes ? Qui sont vraiment les "ennemis" de la démocratie en Belgique et en Europe ? Quel a été le travail du législateur belge pour protéger notre démocratie contre l'extrême droite ? Et qu'avons nous à apprendre de l'expérience des autres pays au sein de l'Union européenne ? Jérôme Jamin est chercheur au CEDEM (Université de Liège) et prépare une thèse de doctorat en Science Politique sur l'idéologie d'extrême droite. Il est l'auteur d'un CD Rom consacré à l'extrême droite en Europe (Les Territoires de la Mémoire, 2000), d'un ouvrage d'entretiens avec le syndicaliste Jacques Yerna (avec Julien Dohet, Labor, 2003) et d'un livre sur la médiation interculturelle (avec Eric Florence, Academia Bruylant, 2003). Il est aussi le rédacteur en chef de la revue Aide-Mémoire éditée par les Territoires de la Mémoire. Dictionnaire de la barbarie nazie et de la Shoah Daniel Bovy.Préfaces de Maxime Steinberg et Edouard Husson Aktion Reinhard, Nacht und Nebel, Solution finale, Traitement spécial, Zyklon B. Derrière ce langage, souvent codé, se cachent ceux qui ont assassiné la démocratie, organisé et réalisé le plus terrible des génocides du XXe siècle et mis l’Europe à feu et à sang. Le Dictionnaire de la barbarie nazie et de la Shoah explique quelles furent les composantes et les implications de cette horreur. Il détaille aussi le rôle des perpétrateurs et celui des institutions qu’ils mirent en place. Il tente de répondre à un grand nombre de questions incontournables : les Allemands étaient-ils tous antisémites ? Quel fut le degré d’obéissance des membres de la SS ? En quoi la Wehrmacht fut-elle impliquée ? Les Alliés savaient-ils et pourquoi alors n’ont-ils rien fait ? Quelle fut la position du Vatican ? Quels sont les dangers du négationnisme ? En plus d’être un instrument de réflexion, ce livre est un outil de travail particulièrement complet. L’ouvrage se compose : d’une chronologie détaillée incluant, pour la première fois, l’ensemble des mesures anti-juives, d’un dictionnaire critique, d’un index biographique éclairant la manière de fonctionner de la machine de destruction nazie, d’un vocabulaire des camps, d’une liste des mots codés utilisés et, enfin, de nombreux documents éclairant les entrées du dictionnaire. Daniel Bovy est diplômé en langues modernes et professeur de morale laïque dans l’enseignement de la Province de Liège (Communauté française de Belgique). Il a été correspondant du journal « La Wallonie ». Particulièrement concerné par les Droits humains et la lutte contre l’extrême droite, l’auteur travaille activement avec le service pédagogique de l'association "Les Territoires de la Mémoire", Centre permanent d'Education à la Tolérance et à la Résistance. Populisme. Vieilles pratiques, nouveaux visages Henri Deleersnijder Préface de Claude Javeau. Voilà près de vingt ans maintenant que la plupart des pays du Vieux Continent ont vu ressurgir en leur sein des discours politiques remettant en cause la représentativité démocratique, diabolisant l'immigration et rejetant, sur des bases nationalistes, toute construction européenne. Les leaders souvent charismatiques qui les diffusent dans l'espace public prétendent sentir ce que le « peuple » - mythifié pour l'occasion - souhaite d'instinct. S'agit-il d'un nouveau visage de l'extrême droite ou d'une simple instrumentalisation du désarroi de populations précarisées ? Questions, parmi d'autres, que doit se poser notre société face à ces populismes aux recettes outrageusement simplificatrices et toujours démagogiques. Le phénomène n'est certes pas neuf. De Boulanger à Le Pen, en passant notamment par Degrelle. Peron et Poujade, et jusqu'aux télépopulistes actuels, l'Histoire n'a jamais été avare de ce genre d'aventuriers ou apprentis-chefs. Raison pour laquelle l'auteur s'emploie d'abord à mettre ces poussées de fièvre en perspective. Il esquisse ensuite, pour aujourd'hui, un état des lieux de la question, non sans montrer qu'une certaine gauche de la gauche entend depuis peu se réapproprier le concept polysémique de « populisme » pour lui instiller la dimension progressiste de ses origines. Conscient de ce que le vernis d'humanité est plus mince qu'il n'y paraît en général, il appelle enfin tous les démocrates à un nécessaire devoir de vigilance citoyenne. Henri Deleersnijder est professeur d'histoire, licencié en Arts et Sciences de la Communication et collaborateur scientifique à l'Université de Liège. Il est notamment l'auteur de deux ouvrages dénonçant le négationnisme : L'Affaire du "Point de détail". Effet médiatique et enjeux de mémoire (Éditions de l'Université de Liège, 2001) et Les Prédateurs de la mémoire. La Shoah au péril des négationnistes (Bruxelles, Labor/Espace de Libertés, coll. "Liberté j'écris ton nom", 2001). Il est aussi chroniqueur. Par ailleurs, en 2005, dans un chapitre intitulé "La dérive populiste en Europe centrale et orientale", il a apporté sa contribution au numéro 42 de la revue Hermès (coordonné par Pascal Durand et Marc Lits, CNRS Éditions).
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Contemporain des surréalistes, Henri Michaux a cherché comme eux dans la poésie et dans l'art une aventure spirituelle comparable à certains égards à l'expérience mystique. Mais il se distingue nettement d'eux par le climat angoissé de son univers intérieur, par son esprit critique, sa curiosité intellectuelle, son refus de toute agitation tapageuse et de tout engagement idéologique. Il donne l'exemple de la plus grande liberté d'esprit dont un homme soit capable. Tenté, au début, de refuser la réalité pour s'évader dans l'imaginaire, il a finalement entrepris d'explorer le plus complètement possible, en tentant sur lui-même des expériences d'un caractère presque médical, le domaine mental de l'homme. Qu'il s'agisse d'exprimer ses sentiments d'angoisse et de révolte, de raconter ses rêves, d'imaginer des histoires fantastiques, ou de rendre compte d'expériences psychologiques, Michaux le fait dans un style immédiatement reconnaissable et inimitable, sec, nerveux, haletant, saccadé, vibrant, qui traduit à la fois l'émotion et l'humour. Longtemps desservi par son originalité même, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands écrivains français. Il fut aussi un remarquable peintre, un des initiateurs du « tachisme » en France. L'évolution de son oeuvre graphique, depuis les figures monstrueuses du début jusqu'aux signes, aux taches et aux dessins « mescaliniens », sans être absolument liée à celle de son oeuvre littéraire, va dans le même sens : de l'angoisse paralysante à l'ivresse de la découverte. De la révolte à l'aventure Poète et peintre, Henri Michaux n'a quitté définitivement sa Belgique natale qu'à vingt-cinq ans et n'a été naturalisé français qu'à cinquante-cinq ans. Il est né le 24 mai 1899 à Namur dans une famille bourgeoise ardennaise et wallonne. Enfant et adolescent maladif, rêveur, révolté contre son milieu familial, il « boude la vie », existe « en marge », s'évade dans la lecture. Il découvre les mystiques. A vingt ans, refusant toute intégration sociale, il renonce à poursuivre ses études de médecine et s'embarque comme simple matelot. Au bout d'un an d'aventures maritimes, il revient à Bruxelles. Il semble être définitivement un « raté ». La lecture de Lautréamont lui révèle sa vocation d'écrivain. Il débute par des essais et des textes poétiques en prose où l'imagination cocasse et le style percutant révèlent déjà sa profonde originalité. Venu à Paris, il se lie avec Jean Paulhan, qui est le premier à comprendre et à apprécier son génie. Son premier livre, Qui je fus , passe à peu près inaperçu. Un voyage en Amérique du Sud lui inspire Ecuador (1929) ; quelques années plus tard, il rapporte d'un grand voyage en Inde et en Chine un autre journal de bord, Un barbare en Asie (1932). Entre-temps, il a écrit ses premiers chefs-d'oeuvre : Mes Propriétés (1929) et Un certain Plume (1930, repris sous le titre de Plume en 1938), nom d'un personnage falot, éternelle victime des hommes et des événements, qui incarne l'angoisse de vivre. Dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, l'inspiration de Michaux s'approfondit. Il commence la description de ses pays imaginaires et il fixe les images du Lointain intérieur (1938). En même temps, il se consacre de plus en plus au dessin et à la peinture et commence à exposer des aquarelles et des gouaches aussi étranges, pour le grand public, que ses poèmes. La publication, en 1941, d'une conférence de Gide, Découvrons Henri Michaux , marque le début de la notoriété. Mais c'est seulement après 1955, au moment où il entreprend d'expérimenter sur lui-même les effets des drogues hallucinogènes, notamment de la mescaline, qu'il obtient la consécration définitive. Cependant, fidèle à sa vocation de poète réfractaire, jaloux de son autonomie, soucieux d'échapper à toutes les aliénations, même celle de la gloire, il refuse, en 1965, le grand prix national des Lettres. L'espace du dedans Michaux se désintéresse de ce qui est extérieur : paysages, objets, réalités économiques, relations sociales, devenir historique. Son regard plonge à l'intérieur de lui-même, dans ce domaine incirconscrit et obscur où naissent les pensées, les rêves, les images, les impressions fugitives, les pulsions. Aucun écrivain peut-être n'a jamais porté une telle attention aux mouvements les plus ténus de la vie intérieure. Il dit de l'art de Paul Klee, avec qui il a d'incontestables affinités, qu'il nous communique le sentiment d'être « avec l'âme même d'une chrysalide ». Sa faculté maîtresse est l'imagination, mais une forme d'imagination qui refuse le pittoresque et la narration. Ce domaine de l'imaginaire, c'est ce qu'il appelle ses « propriétés ». Il est à la fois tout entier enclos dans son esprit et à la mesure de l'universel, puisqu'il est riche de « millions de possibles ». Ce que Michaux invente, ce n'est jamais une action, une intrigue (il n'est pas un conteur, même dans Plume ), mais des êtres et surtout des manières d'être. Au pays de la Magie ou dans celui des Meidosems (êtres filiformes et évanescents), il fait l'inventaire de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de souffrir, de mourir. L'imagination est source de trouble et d'angoisse, puisque c'est elle qui provoque les images obsédantes, sécrète les monstres, doue les objets et les êtres d'un pouvoir d'agression, fait du monde une perpétuelle menace pour le corps et la conscience de l'individu, également fragiles. Une grande partie de l'oeuvre de Michaux exprime la terreur d'être envahi par « les puissances environnantes du monde hostile ». Mais l'imagination, qui est une force de destruction du moi, est en même temps un instrument de défense et une force de restructuration. Toute une autre partie de l'oeuvre de Michaux montre les divers procédés d'« intervention » qui permettent au rêveur (endormi ou éveillé) de prendre sa revanche sur la réalité hostile, de corriger ou de compléter le monde dans le sens de ses plus secrets désirs. Dans cette perspective, la poésie et la peinture sont moins des moyens d'expression que des exorcismes. La recherche de l'absolu Michaux écrivait déjà dans son premier livre : « Je ne peux pas me reposer, ma vie est une insomnie [...]. Ne serait-ce pas la prudence qui me tient éveillé, car cherchant, cherchant et cherchant, c'est dans tout indifféremment que j'ai chance de trouver ce que je cherche puisque ce que je cherche je ne le sais. » Son entreprise consiste donc à tenter d'atteindre quelque chose qui se dérobe sans cesse et à quoi il ne lui est pas possible de renoncer sans que sa vie perde toute signification. Cette ferveur perpétuellement frustrée, ce « désir qui aboie dans le noir », les mouvements de ce « cerf-volant qui ne peut couper sa corde » définissent la situation spirituelle de l'homme contemporain, à qui sa pensée analytique et sa culture désacralisée ne permettent plus de « participer à l'Etre ». L'activité littéraire et artistique de Michaux, comme d'ailleurs toutes ses autres activités, est une « entreprise de salut ». Dans sa jeunesse, la solution de la mystique chrétienne l'avait attiré. Plus tard, il a découvert la pensée de l'Inde et celle de la Chine, qui lui offrent des modèles et des techniques de méditation plus efficaces. Mais c'est finalement dans la poésie et dans l'art qu'il trouve la voie d'une réconciliation avec le monde et la vie. Il ne s'agit pas de trouver des solutions ou des réponses, mais de s'éveiller à la vraie vie, d'accéder au sens véritable du monde, qui est son mystère et son inépuisable nouveauté. Il faut retrouver l'esprit d'enfance : elle est l'« âge d'or des questions et c'est de réponses que l'homme meurt ». C'est encore à propos de Paul Klee que Michaux explique à quelles conditions l'art et la poésie permettent de dépasser la muraille de signes qui nous sépare du réel : « Il suffit d'avoir gardé la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre. » L'expérience de l'infini Michaux avait jadis été tenté de recourir à la drogue (notamment l'éther) comme à un moyen de s'évader, de se retirer du monde, de vivre de l'autre côté. Plus tard, ce n'est plus l'évasion qu'il recherche, mais l'expérience. Il ne s'agit pas pour lui d'échapper à la condition humaine, mais d'en explorer toutes les possibilités. La drogue, qui donne des hallucinations et permet d'accéder à l'état second, est l'une des voies de l'aventure mentale dans laquelle le poète s'est engagé et qui consiste à « se parcourir », à faire l'« occupation progressive » de tout son être en exploitant toutes ses facultés. La dernière partie de l'oeuvre de Michaux (depuis 1955) est consacrée à l'exploration de l'univers prodigieux que lui a révélé l'usage de drogues comme l'opium, le hachich, le L.S.D. et surtout la mescaline. Il montre que le drogué fait l'expérience de l'infini, mais aussi qu'il existe deux catégories, deux modalités de l'infini, dont l'une est le mal absolu et l'autre le bien absolu. Les titres des ouvrages qui décrivent les effets de la drogue : Misérable Miracle (1956), L'Infini turbulent (1957), Connaissance par les gouffres (1961), rendent compte du caractère essentiel de l'hallucination par le hachich ou de l'ivresse mescalinienne, qui est l'aliénation. Le drogué, comme le fou, est délogé de ses positions, chassé de lui-même, pris dans un « mécanisme d'infinité ». Avec la perception juste de son corps, il a « perdu sa demeure ». Il ne retrouve plus le « château de son être ». L'expérience de la folie mescalinienne enseigne à la fois que l'infini est l'ennemi de l'homme et que, pourtant, l'homme est vulnérable à l'infini, qu'il y est « poreux », parce que « ça lui rappelle quelque chose » et qu'il en vient. La finitude est conquise sur l'infini et la vie humaine normale est « une oasis », « une hernie de l'infini ». Il existe pourtant une autre forme de l'infini, dont Michaux a fait parfois, d'une manière inattendue, l'expérience bouleversante : un infini non plus de désorganisation et de turbulence, mais de complétude, de transcendance, l'unité retrouvée. C'est l'extase, semblable à celle des mystiques, par laquelle il se sent « remis dans la circulation générale », « rentré au bercail de l'universel » et qui lui donne enfin accès à une « démesure qui est la vraie mesure de l'homme, de l'homme insoupçonné ». Humour et poésie L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour. D'un bout à l'autre de son oeuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense. Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions. Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin. Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de « vie plastique », où il invente la « mitrailleuse à gifles » ou la « fronde à hommes », dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture. De toute manière, écrire (ou peindre) n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : « Écrire, écrire : tuer, quoi. » Il crée, dit-il encore, « pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être ». En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre. Sagesse et contemplation Un dernier massif est venu, dans la vieillesse, compléter l'oeuvre. Tout ce qui précédait se trouve repris et dépassé sur chacun des deux versants, dont l'un est tourné vers la sagesse, l'autre vers la contemplation. On trouvait déjà, çà et là, dans les ouvrages de l'âge mûr, des aphorismes, qui étaient d'un moraliste. Poteaux d'angle est un recueil de préceptes que le poète s'adresse à lui-même ; et la sagesse qu'ils contiennent se situe au-delà de toute sagesse. Michaux se défend d'être un « gourou » : « Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller - faute suprême - à te croire maître, même pas un maître à mal penser. Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert. » Comment le poète réfractaire pourrait-il enseigner autre chose que la liberté ? Les principes de sa morale sont l'authenticité et l'autonomie : être soi, être à soi. Mais cela conduirait au blocage du moi si cette sagesse n'était pas aussi un mouvement d'ouverture au monde et d'élan vers l'inconnu. Comment conserver quelque chose du prodigieux foisonnement des possibles, sinon en gardant une totale disponibilité ? « Si tu ne t'es pas épaissi, si tu ne te crois pas devenu important..., alors peut-être l'Immense toujours là, le virtuel Infini se répandra de lui-même. » Dans Face à ce qui se dérobe , Michaux décrivait la « survenue de la contemplation ». Elle ne peut naître que dans le silence. « Une fois repoussés les variations et ce qui nourrit les variations : les informations, les communications, le prurit de la communication... on retrouve la Permanence, son rayonnement, l'autre vie, la contre-vie. » Il est significatif que l'un de ses derniers textes soit la suite de poèmes intitulée Jours de Silence (recueillis dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions ). Il ne décrit plus la contemplation mais la chante, la célèbre, avec la ferveur retrouvée des mystiques d'Occident et d'Orient. Parallèlement au poète, parfois en discordance avec lui, le peintre Henri Michaux a connu lui aussi, dans sa vieillesse, l'accomplissement. Il a utilisé de nouvelles techniques pour jeter dans l'espace les lignes, les taches et les signes qui forment ce que Jean Grenier a appelé une « architecture de l'impermanence ». Plusieurs grandes expositions rétrospectives ont définitivement imposé cet art visionnaire, dont la profondeur est comparable à celle de l'oeuvre poétique.
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Paul Verlaine

La publication des cinq premiers recueils de Verlaine, des Poèmes saturniens (1866) à Sagesse (1881), c'est-à-dire la partie la plus belle et la plus originale de son oeuvre, ne souleva aucun enthousiasme chez le public et
laissa la critique plutôt froide, sinon hostile. On reprocha à l'auteur sa tendance à l'affectation et à l'outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers. On rechercha surtout les filiations et les
influences ; on trouva chez lui des reflets de Victor Hugo, d'Alfred de Musset, de Ronsard, de cent autres ; on le traita de « Baudelaire puritain »... Personne ne saisit sa véritable originalité ; personne ne devina le drame
intérieur dont elle était l'expression, ni les efforts du poète pour en camoufler les manifestations sous une façade d'impersonnalité pudique.
Il est certain qu'aucun écrivain ne fut plus sensible que lui aux influences du milieu et du moment, plus « perméable » aux courants littéraires et aux lectures de toutes sortes. Mais cette « porosité », qui lui permit de former
le substratum d'une riche culture littéraire, ne modifia en rien les traits dominants de sa personnalité par suite d'une grande souplesse intellectuelle et d'une puissance d'assimilation peu commune. En réalité, plus qu'aucun
autre, Verlaine avait besoin d'intercesseurs littéraires pour déclencher en lui l'élan créateur, de « tuteurs » que son inspiration pût prendre comme points d'appui pour aller au-delà. Parfois ils agissaient comme de simples
catalyseurs, par leur présence même. Mais, en général, ils provoquaient une tension littéraire éminemment propice à la création poétique, tension nullement incompatible avec l'état de rêverie qui est le fond de sa nature.
Cet « instant à la fois très vague et très aigu », qui donne exactement la mesure de son inspiration, est précisément la conjonction de ces deux états.
Grâce à elle, ses expériences personnelles, ou vitales, sources de ses rêveries, se muent en expériences poétiques et mobilisent les différentes acquisitions de la culture littéraire qui fournissent les outils d'expression.
Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny,
Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son coeur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination.
Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on dire que, par un curieux paradoxe, son originalité a éclaté d'autant plus vivement que les influences qu'il a subies
ont été plus importantes, parce qu'alors il était soutenu par un haut idéal d'art et des tuteurs puissants qui ont permis à ses dons naturels de s'épanouir par une sorte d'émulation l'empêchant de se laisser aller à sa facilité.

Actes de foi et hérésies poétiques

A la lumière de ces considérations, l'oeuvre de Verlaine apparaît comme une série de tentatives et de renoncements, d'actes de foi et d'hérésies, commandés, d'une part, par les lectures entreprises et les milieux fréquentés
et, de l'autre, par les drames personnels et les états psychologiques du poète, mais obéissant à un temps propre purement intérieur, celui de son paysage de rêve.
Sur les expériences sensibles de son enfance s'est greffée une éducation classique et ronsardisante franco-latine vite déviée dans le sens d'une culture originale par la découverte du baroque et du précieux, du marivaudage
et du gongorisme, par la lecture des poètes mineurs des XVIIe et XVIIIe siècles, c'est-à-dire de tout ce qui s'inscrit dans le sens d'une hérésie.
Dans la seconde étape de son adolescence, celle des premiers « poèmes saturniens », il découvre le romantisme sous ses multiples aspects : politique et oratoire de Hugo, pittoresque de Gautier et d'Aloysius Bertrand, révolté de
Petrus Borel et de Philothée O'Neddy (lycanthropie), intériorisé de Baudelaire. La lecture des Fleurs du mal est le fait capital de cette phase : Baudelaire apparaît comme le premier tuteur, à la fois littéraire et spirituel, un « frère en génie », qui révèle Verlaine à lui-même. Son influence se manifeste dans tous les domaines et imprègne les Poèmes
saturniens . Mais cette phase est également hérétique : le romantisme verlainien est plus intérieur, plus subtil, plus concentré, et son goût de l'allusion s'inscrit en faux contre l'éloquence et la prose. De plus, l'action de Baudelaire dévie vers les côtés extérieurs du « baudelairisme » et vers une interprétation hérétique du sonnet des Correspondances , réduites aux seules correspondances sensibles. Cette déviation se produit chez Verlaine sous
l'impulsion d'un génie très personnel, qui a pris conscience de lui-même en découvrant l'immanence de la sensation et le pouvoir incantatoire du rêve.
Dans les milieux parnassiens, sous la multiplicité des influences qui s'exercent sur lui, il se révèle essentiellement polyvalent et riche de possibilités. D'un autre côté se situe une expérience vitale décisive : son amour secret pour sa cousine Elisa Moncomble, qui oriente son génie dans une double direction : lyrisme sentimental et élégiaque de « Mélancholia », et lyrisme féerique des Fêtes galantes (1869). Pour cacher cet amour «impossible » (Elisa est comme une soeur aînée) et quasi irréel (la réalité risque de ternir sa pureté), le Parnasse servait admirablement son génie : Verlaine pratique ce que l'on pourrait appeler une « poésie-masque ». Mais ce parnassien est également dissident et hérétique. Dans ses poèmes impersonnels transparaît une sensibilité inquiète et nerveuse qui a peine à se dominer, et l'émotion contenue sous une façade de froideur vibre entre les vers. Le rythme extérieur seul est parnassien, mais le rythme interne est tout personnel et traduit un rêve d'amour, matérialisé un moment par la magie de l'art, dans un paysage enchanté, peuplé d'un monde chimérique et situé aux confins de l'irréel : les Fêtes galantes sont une « impasse de génie » et un paradoxe.
Tentative de fuite et de guérison par l'art (après la mort d'Elisa), étroitement unie à son paysage intérieur et commandée par la lecture de nombreux poèmes et études sur le XVIIIe siècle (qui marquent un goût collectif
à cette époque), cette évasion littéraire s'est soldée par un échec sur le plan vital. Mais la confluence des sources a créé une forte tension esthétique qui s'est traduite par la forme impeccable du recueil.
Après les Fêtes galantes s'ouvre une période en deux temps de désarroi esthétique, une conversion au « réel » et au social, puis au « vrai », selon le mot de Hugo, celle des Vaincus en particulier, marquée par des tentations
poétiques impures et une recrudescence du réalisme, et celle de La Bonne Chanson (1870), régie par une expérience vitale importante qui exorcise le rêve et la hantise d'Elisa : ses fiançailles avec Mathilde Mauté et sa cour
poétique. Cette conversion au « bien », à la joie, à la santé morale, les efforts qu'il fit pour unir en un même intercesseur la fiancée et la muse, furent néfastes au point de vue poétique. Éloigné des milieux littéraires et
de l'émulation salutaire, il se trouve isolé dans un amour bourgeois solidement attaché au réel. Aussi la menace du prosaïsme, la tentation de la fausse éloquence, de la rhétorique, de la déclamation oratoire l'emportent-elles sur le raffinement de la préciosité. Sauf quelques rares et exquises réussites (« La Lune blanche », « Avant que tu ne t'en ailles »), La Bonne Chanson est inférieure aux autres recueils.
Cette phase où risquait de sombrer son génie prend fin avec l'arrivée de Rimbaud. Expérience capitale, celle du « fils du Soleil » : tentative poétique pour atteindre l'inconnu, l'ineffable, l'inouï ; tentative morale pour unir le bien et le mal. Un seul intercesseur à la fois poétique et vital : Rimbaud.
Impure sur le plan moral, cette expérience l'a purifié au point de vue poétique. C'est pourquoi les Romances sans paroles (1874), fruit de cette conjonction unique, résonnent si profondément, si mystérieusement. Mais Verlaine est incapable de suivre son ami jusqu'au bout ; il voit en lui moins le Prométhée « voleur de feu » que l'ami au « visage d'ange en exil ». Ne croyant pas à la vertu libératrice et rédemptrice de la poésie, il charge d'impuretés une expérience qui dépasse ses possibilités. Un parallèle entre Crimen amoris et Soir historique démontrerait l'hérésie de cette tentative.
Le coup de feu de Bruxelles met fin à cette « aventure dans l'abstrait », et aussi, hélas ! à la tentative merveilleuse de renouvellement poétique. Avec la conversion, c'est de nouveau l'isolement et le désarroi poétique, chargé des germes aigus de la décadence. Dans le silence de sa cellule, Verlaine fait le procès de son aventure et de son art dans les Récits diaboliques (1873) ; sa vie en marge du réel lui paraît comme un chemin de perdition. Il renie son « brûlant » passé poétique et son esthétique profane, et demande désormais au « vrai » le chemin du salut. Mais la religion avec son conceptualisme ne peut constituer une nouvelle esthétique. De plus, ses expériences vitales sont antipoétiques : prison, jugement de séparation, exil en Angleterre, maladie. S'il écrit au début, dans les transes de la
rédemption, les sublimes poèmes de Sagesse , les « Sonnets au Christ » et les « litanies » à la Vierge, qui sont le chef-d'oeuvre de la poésie catholique, c'est par suite de l'élan acquis et du coup de fouet de la grâce. Mais tout
dénote une perturbation profonde, tout annonce l'effondrement prochain entre 1876 et 1880. Le meilleur et le pire voisinent dans Cellulairement. Les nouveaux intercesseurs ne peuvent remplacer les anciens : la grâce n'est
pas la muse, le Christ est un intercesseur vital et non plus poétique ; la boisson, qui aurait pu lui ouvrir à nouveau les portes du rêve et du paradis perdu, ne fait qu'aggraver le mal ; les jeunes poètes qui se pressent autour de lui sont des disciples et non plus des maîtres. Dans l'inspiration religieuse (Amour , 1888 ; Bonheur , 1891 ; Liturgies intimes , 1892), il fera des transpositions du catéchisme, des démarquages en vers des livres de piété, et dans l'inspiration profane, à part quelques réussites très osées dans Parallèlement (1889), il se délaye, en plusieurs volumes, dans un fatras indigeste. Voulant mener de front les deux inspirations, il sombre dans une double et dernière hérésie.

Poète de l'individuel

Malgré son polymorphisme et ses nombreux avatars, malgré toutes les influences qu'il a subies, Verlaine est demeuré foncièrement original avant tout par l'individualité de son inspiration. Il n'a rien écrit qui fût étranger à sa
vie et à ses émotions. C'est son moi sous ses multiples aspects et dans ses diverses manifestations qui forme la trame de ses vers et la substance de son oeuvre. Mais cet héritier des romantiques diffère de ses devanciers par son «éducation » parnassienne ; il en a gardé la honte de l'étalage intempestif et une certaine pudeur qui l'a préservé (du moins dans les premiers recueils) de la dramatisation des sentiments en vue de toucher le lecteur. Ennemi de
l'emphase et de l'éloquence, il est dans l'expression de la passion et de la douleur d'une naïveté candide qui surprend et qui attire. Ses poèmes les plus poignants, les plus déchirants, sont des « chansons », des « ariettes », des «
fêtes galantes », des « colloques sentimentaux », sans rien en eux « qui pèse ou qui pose ».
Aussi les thèmes généraux (auxquels il a échappé d'ailleurs en grande partie) se caractérisent-ils chez lui par des traits qui lui sont propres : simplicité, douceur, tendresse, légèreté, mélancolie, le tout relevé d'un grain de subtilité ironique et de sensualité voilée. De plus, il les a réduits à sa mesure. Dédaignant les longs développements romantiques ou parnassiens, fidèle au « principe poétique » d'Edgar Poe, il les a concentrés en de menus
poèmes, au mètre court, au dessin imprécis, au rythme alangui, qui, au lieu d'aller de strophe en strophe vers une plus grande précision, perdent de leur netteté et de leur relief, se voilent d'irréalité et se chargent de musique.
Enfin son nom reste attaché à certains thèmes qu'il a traités avec une maîtrise si parfaite qu'ils relèvent désormais de l'épithète « verlainien » : « paysages tristes » des Poèmes saturniens , chargés de tous les frémissements
de la vie intérieure du poète ; « paysages impressionnistes » des Romances sans paroles , formés de notations directes rendues dans toute leur fraîcheur ; « fêtes galantes » qu'il a portées à leur perfection au point que tout autre
poème traitant du même sujet (il y eut un engouement général pour ce thème au XIXe siècle) semble inspiré de lui ; thème de l'amour chaste et naïf de La Bonne Chanson , seul recueil de poèmes de fiancé ; thème religieux enfin qui
fait de Verlaine, selon le mot de Bloy, « l'unique absolument, celui qu'on était las d'espérer ou de rêver depuis des siècles ».

Le paysage intérieur

Considérée dans son intériorité profonde, la sensibilité de Verlaine révèle la conformité de ces thèmes avec son paysage intérieur et ses moyens d'expression rythmiques. Cette sensibilité se caractérise par un état d'engourdissement, de « dérive immobile de la sensation », où la réalité du monde extérieur tend à disparaître et où s'effacent les caractéristiques individuelles du moi. « Le poète sent sur le mode de l'anonyme. » Mais cet état d'engourdissement n'est pas inconscient de lui-même : c'est une attitude de passivité attentive.
Verlaine ne cultive en lui les vertus de porosité que pour mieux se laisser pénétrer par elles, et aussi pour en goûter les charmes. « Il se sent sentir sur le mode du particulier. » Par suite de ce « quiétisme de sentir », son
paysage intérieur se trouve formé de sensations qui se caractérisent, tout comme les thèmes, par leur fluidité, leur amenuisement, leur absence de netteté : parfums vagues, lumières tamisées, visions tremblotantes, paysages
aux contours flottants, musique en sourdine, voix lointaines et comme d'outre-tombe, toutes sensations évanescentes et fugitives, d'autant plus troublantes peut-être qu'elles sont momentanées, et qui pénètrent
insidieusement la conscience et la décomposent.
Concrétisé et agrégé, ce paysage intérieur se dédouble en réalité en deux paysages distincts mais étroitement unis : un paysage automnal et un paysage lunaire, celui des « Paysages tristes » et celui des Fêtes galantes . Le
premier est comme vu à travers une vitre embuée, brouillard ou pluie, cet écran d'apparences et de souvenirs qui dissimule la rugosité du monde sensible ; le second, baigné de clair de lune, ressuscite des visions d'un passé révolu
mais attachant entre tous, celles d'un XVIIIe siècle galant peint par Watteau.
Si le premier est fantomatique, refuge de son désespoir qu'il adoucit, le second est féerique, lieu d'élection de son rêve passionnel. L'un et l'autre, paysages de « décadence », correspondent à son intime besoin d'effusion et de
tendresse inassouvie.
Un des éléments essentiels de ce paysage intérieur est cette mélancolie si particulière à Verlaine et qui ne ressemble à rien dans la littérature française ; faite de regrets indéterminés et de velléités timides, de vagues
désirs de jouissance et de rêves indistincts, elle est quelque chose d'impalpable et de fuyant comme un sentiment de vacuité, comme un manque de sentiments, une absence d'émotions : C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine Mon coeur a tant de peine.
Le second élément important de son paysage intérieur est la part qu'a prise le rêve dans son inspiration. Toute son oeuvre semble suspendue entre deux bornes : rêve-réalité. D'un côté, l'abri tutélaire recherché dans les regards
bien-aimés, dans « l'inflexion des voix chères qui se sont tues », dans les apparences d'une nature dématérialisée, ou dans les vapeurs de l'alcool ; et, de l'autre, la vie avec son cortège de déceptions, de solitudes, de regrets,
de désespoirs. Ses poèmes sont d'autant plus beaux, plus émouvants, plus mystérieusement captivants, qu'ils se rapprochent du rêve et traduisent ce monde mouvant qui le hante, et d'autant plus plats, plus prosaïques, qu'ils
tendent vers l'expression de la réalité. « Mon rêve familier », « Soleils couchants », « Chanson d'automne », « Clair de lune », « Colloque sentimental », « La Lune blanche... », la troisième « Ariette oubliée », « L'espoir luit... » sont à la pointe de sa rêverie.

Les moyens d'expression poétique

Dans le domaine de l'expression formelle, cette originalité s'est traduite par deux traits essentiels : l'impressionnisme et la musicalité. Tout en respectant la forme extérieure de la prosodie classique et la langue poétique courante, dont son génie s'accommodait, Verlaine a brisé intérieurement le rythme traditionnel du vers, spécialement de l'alexandrin. Il a ébranlé ses assises et détruit « en profondeur » ses cadences. De même, il a rendu le sens de certains mots plus « volatil » et a créé des alliages nouveaux pour traduire son paysage intérieur et moduler son rêve poétique.
En conférant à la sensation la primauté dans la représentation du monde extérieur, et aux données immédiates de la conscience le pas sur la raison claire, il s'est libéré de l'intellectualité de la langue. Pour rendre l'ineffable et le subliminal, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus fugace dans la vie intérieure, il ne devait pas s'encombrer de considérations rationnelles.
Or, l'impressionnisme est l'art de traduire, par une technique spéciale, le momentané et le fugitif. En découvrant une « quatrième dimension » temporelle aux choses, il apparente la peinture à la musique en fixant un moment de la
durée et non plus seulement une tranche d'espace et de volume. De l'impressionnisme, Verlaine a utilisé d'instinct la plupart des procédés : le flou, la coloration des ombres, les effets de clair de lune, de brume ou de neige, la légèreté de la touche, la multiplication d'un objet unique, la notation des séries d'impressions, procédés par lesquels il a pu exprimer l'inexprimable et rendre la durée intérieure et ce qu'il y a d'unique dans la sensation.
Il en est de même de la musique, où il a joué le rôle de novateur et préparé la voie à l'impressionnisme musical d'un Fauré ou d'un Debussy. Dès le début, Verlaine constate que les mots expriment, touchent et émeuvent par leur
sonorité plus que par leur sens, que l'harmonie suggère et communique les sentiments et les sensations dans toute leur pureté, alors qu'une définition littérale risque de les déflorer. C'est pourquoi aucune poésie n'est plus chargée de résonances musicales que la sienne ; les mots s'y attirent et s'agrègent d'après leurs affinités sonores plus que par leur valeur d'expression logique. Par la « musique suggérée » comme par l'harmonie intrinsèque du vers, par la combinaison des tonalités mélodiques comme par l'heureux choix des assonances et des allitérations, par son goût de la musique mineure comme par la hardiesse de certaines dissonances, il a su traduire le monde mouvant de son paysage intérieur et le communiquer directement et pour ainsi dire sans l'intervention de la raison.
Réduit à une charpente, dont le seul rôle est d'être un support pour les vocables qui le masquent et l'annihilent, le vers n'est plus un ensemble de mots exprimant un sens satisfaisant l'esprit, mais un agrégat de sons destinés
à charmer l'oreille et à faire naître des émotions ; il est chant, à la fois musique et paroles, et par là il se retrempe aux sources vives du lyrisme. Par une extraordinaire variété métrique, par l'emploi des mètres courts ou impairs, des trimètres, de l'enjambement et du rejet, des césures inclassables, mais surtout par sa plasticité et sa flexibilité, qui l'ont mené au bord du vers libre, Verlaine a substitué à son rythme séculaire le souffle de la vie, la musique du coeur, la mélodie de l'âme. Il en est de même de la rime, qui disparaît sous une avalanche d'échos intérieurs, de correspondances de sons, d'assonances et de résonances, le tout noyé dans la fluidité d'un chant aux modulations mineures.
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Les Nouveaux Cahiers André Baillon n. 7-8 (2009)Actes du colloque "Actualité d'André Baillon" (Bruxelles, 25-26 octobre 2007)Sommaire- Avant-propos, Maria Chiara Gnocchi et Geneviève Hauzeur- Un cœur si simple. Baillon et l’ironie d’En sabots, Pierre Schoentjes- Stylistique de l’anaphore : il y a dans Par fil spécial, Michel Otten- L’expérience au Thyrse : Baillon avant Baillon, Valérie Nahon- Baillon héritier de Renard et de Philippe ? Le temps des relectures, Maria Chiara Gnocchi- Position d'André Baillon dans l'histoire de la relation littérature-folie, Daniel Laroche- « Un livre ? pourquoi faire ? j’aurais pu l’écrire… » Baillon dans l’histoire littéraire : héritage et proximités, Geneviève Hauzeur- Une institution nommée Baillon, Laurent Demoulin- La traduction néerlandaise des romans « flamands » d’André Baillon ou Comment peut-on traduire un auteur dans sa propre langue maternelle ?, Frans Denissen- Table ronde animée par Laurent Demoulin. Avec Anne-Marie La Fère, Caroline Lamarche, Otto Ganz, Alain Berenboom et Jack Keguenne- Baillon in 2008-2009, Frans Denissen- Honderd jaar geleden : Baillon in 1909, Frans Denissen- Tous les chemins mènent à Baillon, Herman Lampaert et Maria Chiara Gnocchi- Bibliographie exhaustive des textes d’André Baillon (1930), Maria Chiara Gnocchi, Frans Denissen et Eric Loobuyck
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PRESENCE D'ANDRE BAILLON asbl

L'association, née en 2003 et devenue asbl en 2005, a pour objet de faire mieux connaître l'écrivain belge André Baillon.Présence d'André Baillon asbl édite, une fois par an, Les Nouveaux Cahiers André Baillon (Les Cahiers André Baillon, lancés en 1935 par Carle Maria von Israël, Charles Vildrac, Jean-Richard Bloch, etc., ont connu un seul numéro). Le périodique accueille des inédits de l'auteur, des textes devenus introuvables ou redécouverts par la recherche, mais aussi des essais critiques, des informations relatives aux récentes acquisitions du "Fonds André Baillon" aux Archives et Musée de la Littérature", etc.Le comité de rédaction des Nouveaux Cahiers André Baillon est composé par Frans Denissen, Francine Ghysen (n. 1 et 2), Maria Chiara Gnocchi, Geneviève Hauzeur et Laurent Demoulin (dès le n. 3)La sortie des numéros est prévue pour le mois de novembre de chaque année.Six numéros plus un numéro hors série ont paru jusqu'à ce jour.www.andrebaillon.net
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Pour me présenter...

Bonjour à tous,Je suis très heureuse de rejoindre aujourd'hui le réseau des Arts et des Lettres.Française d'origine, je travaille pour les peintres, sculpteurs et photographe du monde entier, d'où mon intérêt pour ce réseau.J'espère échanger avec vous et trouver sur ce site des informations pertinentes et intéressantes qui pourraient me servir dans mon métier.Armelle VAN LERBERGHEwww.artrinet.fr
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Traité du bienheureux Jean van Ruysbroeck dit Ruysbroeck l' Admirable (1293-1381), composé vers 1350 et publié en traduction latine: la première édition flamande ne date que de 1624. Il se présente comme le commentaire de la parole de l' évangile: "Voici l' époux qui vient, allez au-devant de lui" (Matt. 25, 6). Dans le prologue, Ruysbroeck, frappé par le mystère de la création, de la chute et de la rédemption, explique comment par cette dernière, le Verbe incarné s'est fait l'époux de la nature humaine qui, de ce fait, est elle-même son épouse. Afin de préparer la rencontre des deux époux dans la vie éternelle, l'auteur en vient à traiter des trois formes de la vie spirituelle: la vie active ou extérieure, la vie affective ou intérieure, la vie contemplative ou superessentielle, chacune faisant l'objet d'un livre entier qui constitue une explication approfondie de la parole évangélique. Entre le second et le troisième livre, s'insère une mise en garde contre les faux mystiques et leur fausse paix: la véritable paix est celle du Christ et de ses saints. L'auteur s'attache principalement à démontrer comment l' âme parfaite, par la contemplation, s'identifie à la nature divine. Pour parvenir à cette identification, l' âme doit aimer le Christ d'un amour ardent. Le ton fervent de cet ouvrage fait de l'auteur, qui écrit en dialecte brabançon, un des principaux prosateurs flamands du moyen âge.
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Chez Entrez Lire: Atelier d'écriture: le fantastique ou l'écriture de l'impossible avec Claudine Tondreau les 6 et 20/01, 3 et 24/02, 10 et 24/03, 21/04, 5 et 19/05 et 02/10/2010 de 19h à 21h30. Le récit fantastique, cette écriture de l'impossible connaît de multiples définitions. Bien qu'elle soit par essence paradoxale et en continuelle transformation, elle postule que la pensée rationnelle est insuffisante à rendre compte de la réalité. Nous expérimenterons, par nos textes, notre vision singulière de l'étrangeté du monde, sur les traces cependant de" grands belges " tels que Jean Ray, Thomas Owen, Frans Hellens, Marcel Thiry, ou encore Anne Richter, laquelle définit le fantastique féminin comme un art sauvage. Il n'est pas indispensable de connaître les auteurs cités: nous les découvrirons ensemble. Informations supplémentaires sur le contenu de l'atelier: claudine_tondreau@yahoo.fr ou au 0497/43 14 47. Inscriptions: info@entrezlire.be ou 02/513 46 74. Groupe limité à 8 personnes
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La revue POLITIQUE (revue de débats) a une raison d’existence : être un lieu de réflexion critique et de confrontation collective pour tous ceux qui ne s’accommodent pas du désordre établi par la règle absolue du profit.

Sommaire (n° 62): Le Point Capitalisme vert par Henri Goldman Passer l’arme à gauche ? par Edgar Szoc Prisons : quel est le problème ? par Fabienne Brion Le dictionnaire du prêt-à-penser Modernisation de l’université par Mateo Alaluf Le Thème PS : un parti populaire en Wallonie - le déclin ou la reconquête ? La crise électorale de la social-démocratie européenne par Gerassimos Moschonas Le Parti socialiste est-il populaire ? par Jean Faniel La quête sans fin des socialistes flamands par Carl Devos et Steven Lannoo Charleroi, après la tempête par Dominique Cabiaux Le clair-obscur des socialistes liégeois par Pierre Verjans L’éclectisme du Montois Di Rupo par Pierre Gillis Ethique de la proximité par Marc Sinnaeve Le PS, ce cauchemar par Luc Delval FGTB : soutien sans allégeance propos recueillis par Anne Demelenne "Le PS est resté authentique" - entretien avec Elio Di Rupo Corps et âmes Mama Kim par Jean-François Bastin Fiction Justice sociale par Jean CavÉ Uit Vlaanderen Anvers : révolte populaire contre un viaduc par Manu Claeys Europe Accès au Net : symptôme de la crise politique européenne par Félix Treguer, Jérémie Zimmermann Traité de Lisbonne : être ou ne pas être par Inès Trépant Analyse Rationaliser la microfinance ? par Jean-Louis Metzger Café Carabosse Le moral des ménages par Irène Kaufer Médias L’Europe des médias face à la crise par José-Manuel Nobre-Correia Idées Pour des jeunes acteurs de la démocratie par Emmanuel Massart Gare à la mystification des beaux principes par Abraham Franssen Un petit bout d’universel par Emmanuel Massart Démocratie La menace insidieuse par Jérôme Jamin Un livre La vie et le travail sans qualités par Pierre Ansay Rimages Controverses et contrechamp par Hugues Le Paige
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Auteur dramatique belge, Michel de Ghelderode (pseudonyme puis patronyme d'Adhemar Adolphe Louis Martens) ne jouit pas d'une gloire aussi grande que celle de son compatriote Crommelynck. Pourtant son oeuvre est sans doute au moins aussi importante. Ghelderode a écrit sa première pièce à vingt ans : La Mort regarde à la fenêtre (1918). Il a beaucoup écrit dans les années vingt, et ses pièces, traduites en flamand pour la circonstance, ont longtemps figuré au répertoire du Théâtre populaire flamand de Johan de Meester. Ce n'est que bien plus tard qu'il fut connu dans sa langue originale et en France même, grâce à des metteurs en scène parisiens tels que André Reybaz qui le «découvrirent » tardivement, à partir de la fin des années 1940.
Bouffonneries grimaçantes et mystères à résonances modernes, les pièces de Ghelderode acclimatent pour notre scène un XVIe siècle de convention. Certaines de ces oeuvres ont même été écrites pour un spectacle de marionnettes. Truculent, sombre, tragique, Ghelderode emploie une écriture bousculée, un rythme heurté et déconcertant. Burlesque parfois jusqu'à l'outrance, il retrempe aux sources populaires ses thèmes inspirés d'une culture classique. Parmi ses oeuvres significatives citons encore Barrabas (1928), Mademoiselle Jaïre (1949), La Mort du docteur Faust (1928), Sire Halewyn (1934), La Ballade du Grand Macabre (1934), Hop Signor ; (1936) et Sortie de l'acteur , sa dernière pièce, qui fut jouée en 1963, un an après sa mort. L'essentiel de l'oeuvre de Ghelderode a été rassemblé dans son Théâtre en cinq volumes (1950-1957). Ghelderode s'est rarement aventuré hors du genre théâtral. Il a pourtant publié un recueil de contes, Sortilèges (1941), et il a raconté ses débuts difficiles dans les Entretiens d'Ostende au cours d'un dialogue radiophonique qui a été publié en 1956.
On a parfois considéré Michel de Ghelderode comme un précurseur de Ionesco et de Beckett. C'est que son théâtre tragique et outré, trivial jusqu'à la caricature, situé au carrefour du théâtre élizabéthain et de l'expressionnisme, s'inscrit dans la même perspective et ouvre la voie au théâtre moderne.

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