Aujourd’hui est un jour comme les autres. Il fait encore nuit et je suis seul dans cette grande maison. Papa n’est plus là. La lumière de la lampe se repend dans la chambre avec douceur et à peine éveillé, je me lève comme un automate. A mon âge, les adultes disent que je comprends. Je réalise que ma vie n’est plus la même et que je suis triste à mourir.
Maman assume et est forte pour nous deux. Son visage ravagé de larmes me brise et je reste immobile à ses côtés au passage de papa. Ils sont tous habillés de noir. Les regards sont accablés. Grand-mère est sombre et me couvre de sa tendre attention.
Depuis ce jour terrible, quand a sonné le téléphone et avant que maman ne s’écroule en pleurs, ma vie de petit garçon était belle, chanceuse, un peu insouciante. Tous réunis, papa recréait le monde à sa manière. Maman l’écoutait avec un petit sourire satisfait. Nos projets ne manquaient pas et l’avenir au loin se construisait sans contrainte et enchanté.
Maman travaille et ainsi s'occupe l’esprit. Le temps me parait long à chaque fois qu’elle part. Je suis un peu démuni de cet amour qu’elle ne veut plus partager pour l'instant. Elle le garde enfui en elle pour en ressentir les derniers soubresauts avant que le temps ne fasse son œuvre, que l’absence s’installe dans son cœur et que la vie reprenne sa voie sur d’autres chemins, dans d’autres lieux.
Le regard lointain, maman est en colère contre cette destinée qu’elle n’a pas choisie. En colère contre papa qui est parti la laissant seule. En colère contre elle-même de ressentir de tels sentiments. A mon âge, je ne saisis pas tout et malgré moi, je fais des bêtises. Grand-mère dit que cela va passer, que je ne suis pas responsable. Maman m’en veut aussi de ne pas être gentil et dit qu’elle n’a pas de temps pour mes bêtises.
Enfermée dans sa souffrance, ses beaux yeux tristes ne me voient plus. Sa douleur a tout envahi et enferme son cœur. Elle ne comprend pas ce jour comme les autres où sa vie a basculé avec le départ de papa. Cet accident stupide comme disent les gens. Pour moi, cet accident n’est pas stupide, il est cruel, barbare, incompréhensif. Il est gravé dans ma chair et saigne.
Un accident de circulation, une embardée volontaire et une voiture qui tue. Etendu sur le trottoir, maculé de sang, papa a perdu la vie sans raison, un jour pas comme les autres.