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réflexion (1)

Voyage en eau troublée

 

J’ai pris place, pour quelques années, dans cette chose de peau et de poils, d’os et de sang et de muscles noués.
Je l’ai camouflée pudiquement avec des sous-vêtements faits de sentiments, de pleurs et de tourments, mais  aussi de joie et de bonheur pour en protéger le cœur de la rigueur desséchante des gens.
Je l’ai habillée de connivences et de vivre ensemble pour m’intégrer dans ce monde déjanté et l’ai déguisée de compromis pour me permettre d’avancer à mon rythme, sans me faire complètement absorber par les foules réclamant ma rentrée dans le rang, le lissage par le bas de mes différences, l’annihilation de mes pensées révoltées quand elles ne sont pas révoltantes ou révolutionnaires.

Embrumé, drogué, dopé par les certitudes de ma jeunesse, je l’ai prise comme une barque pour traverser les océans de la vie.
Des océans où je me suis baigné dans l’insouciance des eaux calmes de l’enfance, où j’ai ramé à contre-courant dans mes révoltes d’adolescent, où je me suis laissé porter par mes assurances de jeune adulte, où j’ai lutté contre les éléments déchaînés pour imposer mes points de vue d’adulte « averti ». Croyant détenir des certitudes, je me suis noyé dans les propos lénifiant des escrocs de la pensée alors que c’est eux qui m’avaient implanté mes certitudes qui n’étaient autres que des leurres, que les leurs.

Je me suis ainsi retrouvé parfois sous la tempête, parfois porté par la brise, rarement sous un calme plat. Il est pourtant des jours où, je me suis senti perdu, sans port en point de mire, sans voile à l’horizon, abandonné, seul bien qu’entouré. Comme disait Lény Escudero dans la chanson « Mon voisin est mort » -  « être seul, c’est vivre seul au milieu de la foule … au milieu du désert, on n’est pas seul … on est perdu c’est pas pareil …»

Mais à chaque fois, des soleils apparaissent et mon ciel s’éclaircit de bourgeons d’idées qui me font renaître à la vie au milieu des incertitudes de mon vécu.

J’erre dans un monde fait de contradictions, soufflant le chaud et le froid, le bon et le mauvais, se cherchant mais ne se trouvant point. 

Je suis un être pensant, bien ou mal, mais pensant, parfois penseur souvent pensif.

Quand, de mes semblables, je reçois plus de questions que je n’ai de réponses, je me prends à parler … aux poissons ou aux étoiles, aux algues ou aux cailloux, aux oiseaux ou aux nuages mais ils me laissent tous avec une sorte de soif, toujours plus lancinante, toujours plus brûlante, toujours plus cuisante et toujours inassouvie, celle de toutes mes méconnaissances.

Alors je touche du bout du doigt l’absurdité de tous les combats au nom d’un idéal, d’une religion, d’une politique, d’un concept ...
Ah ! Ils sont nombreux ces prophètes de l’art de vivre ! C’est à peine l’art de survivre qu’ils proposent, quand ce n’est pas moins que l’art de mourir.
Mais vivre ou mourir pour une cause, n’est-ce pas ce que les gens demandent pour avoir une impression de se donner l’illusion d’un sens à leur vie ?
Pourquoi dès lors devraient-ils se priver de toute cette main d’œuvre consentante ?
Face à toutes les questions que se posent la plupart d’entre nous, ils viennent comme des sauveurs, nous apporter leurs bonnes paroles qui se veulent des bonnes solutions. Mais ce n’est qu’un emballage. Un emballage qui se comporte comme un caméléon, prenant la couleur des gens ou du temps mais gardant leur propre manière de penser et d’agir et contrairement à ce qu’ils disent, pour leur bien et leur avantage qui est souvent complètement contraire au nôtre.

J’ai beau les analyser, les retourner, les disséquer, ils m’apparaissent tous aussi futiles les uns que les autres. Pourtant, ils prônent tous le même message de base fondé sur l’amour, l’aide aux autres, la con-fffiaance et le fait qu’ils agissent pour notre bien.

Croyant détenir à eux seuls LA vérité, la seule, la vraie, ils se perdent rapidement dans de faux prétextes. Edictant des lois, des commandements, imaginés par la vanité des hommes qui les prônent et qui s’en servent à leurs fins personnelles.
Vanité, pouvoir, vanité du pouvoir et pouvoir de la vanité.

Les rapides m’entraînent dans les méandres de cette vie, dans ses grottes souterraines noires de l’oubli, si vides qu’un sentiment à peine pensé provoque un vacarme assourdissant, culpabilisant tel un coup foudroyant de solitude. La résonnance de mes pensées se propage et retenti sur la peau des tambours creux de leurs propos. Et cet écho va de plus en plus grandissant m’interdisant de me taire plus longtemps.

Alors je me rappelle que je suis moi, que je n’ai pas besoin de cette pensée imposée, de tous ces « modèles » de vie.
J’ai ma propre pensée et il est important que je me convainque moi-même qu’elle est ma meilleure chance de progresser dans ma vie.
Les réponses, nous les possédons tous aux tréfonds de nous-mêmes mais nous manquons d’un minimum d’introspection pour y accéder. Notre  vie se passe à chercher le chemin qui nous y conduira.

Il me faut donc quitter cette barque ou plutôt cette galère dans laquelle je m’étais enrôlé et qui me salit, qui m’écorche, qui m’éventre, qui m’écœure, qui m’ouvre le cœur et me laboure au plus profond de moi.

Me désincarner, me désincarcérer de ce joug de douleur, sortir de cette enveloppe charnelle, tel un esprit, pour m’évader de cette prison de chair et pouvoir enfin vivre de renouveau.

Je suis un ressuscité, dégagé des faux semblants, j’ai enfin accosté et je regarde les flots des passants se débattant à nager à contre-courant comme pour remonter à la genèse du monde. En fait ils se battent contre eux-mêmes et ne le savent pas ; du moins pas encore.

Je suis un résistant, né humain, conscient de mon appartenance au monde animal, j’essaye au cours de mes pérégrinations de conserver l’essence même de l’homme tout en m’enrichissant de ses nouvelles découvertes. Le fait d’être conscient de faire partie d’un tout donne une valeur à chaque détail, même si certain pense que les détails sont insignifiants et non pas d’importance. En fait chaque chose n’a d’importance que celle qu’on lui donne.

Le monde va à sa perte comme nous allons à la mort ? Et si chaque fin est un nouveau départ, devra t’il se perdre pour mieux se retrouver, devra t’il se détruire pour permettre de régénérer une vie plus fortes ? Et est-ce que seuls les plus forts survivront ?

Alors je me suis posé la question de savoir qui sont les plus forts ! Les plus riches ? Les plus forts physiquement ? Les plus roublards ? Les plus méfiants ? Les plus intellectuels ?… A moins que ce ne soit l’enfant avec ses certitudes qui serait le plus fort ? N’est-ce pas lui qui reconstruit chaque jour le monde dans lequel il vit, qui lui attribue des pouvoirs, des espérances, des devenirs ?

Pour ma part, je pense que les plus forts sont ceux qui peuvent faire preuve de la plus grande indépendance pour penser.

Arriver à penser en toute autonomie dans notre monde où nous sommes confrontés à chaque instant à des messages publicitaires ou autres de tous les genres est une force énorme. C’est la force de la liberté.

L’autonomie n’implique pas de vivre en autarcie bien au contraire. L’autonomie permet justement de vivre avec tout le monde mais sans en dépendre spécialement.

L’autonomie appliquée à la pensée permet de prendre dans chaque situation ce qui nous convient et cette liberté de penser entraîne une liberté d’agir.
Mais la liberté de penser et la liberté d’agir font peur. Ces libertés nous renvoient à nous même. Elles nous responsabilisent face à nos actions et à nos choix de vie. Plus question de dire que c’est la faute de notre éducation, des politiques, des religieux, des autres.

En utilisant à bon escient les nouvelles technologies, tout en restant chez moi, je suis devenu un nomade salutaire, un poète cartésien, un solitaire qui lubrifie les aiguillages de la vie jusqu’à en accepter la mort.
Je suis un libre acteur de ma vie qui transforme sa pensée en acte de vie.

Enfin, JE SUIS ! Je suis MOI tout simplement.

  

                                                                                                                   ©Jean-Jacques RICHARD 2016

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