« Lisbeths » (2006) de Fabrice Melquiot au théâtre Le Public
La douce canicule de cette mi-septembre se meurt vite dans l’atmosphère renfermée de la salle des voûtes du théâtre Le Public et la pièce devient vite irrespirable, …entendez, dans le sens de l’absence de respirations! En effet, les deux comédiens vont mener train d’enfer, aspirés dans la fébrilité de leur poursuite amoureuse à travers les ronces de la vie.
George Lini et Isabelle Defossé ont tout donné ! La langue est haletante, truffée d’interruptions, de rires trompeurs, de lapsus, de choses échappées à l’inconscient, de bulles effarouchées, d’hésitations essoufflées, de précipitations vertigineuses dans un jeu théâtral intelligent et juste. Ils ne savent pas comment s’approcher, coincés dans leurs carapaces bourrées d’épines. Pas facile l’amour chez les oursins, comment remonter à la surface ?
Les giclées de « enfin bref » sont autant de cris d’alarme brûlants. Le sol du plateau est un lit de braises. « Enfin bref », c'est le mot qui assassine le présent, qui court haletant vers un futur qui se dérobe, qui angoisse et qui terrorise. A lui seul il symbolise l'urgence d'un désir inassouvi, sans jamais l'ombre d'un espoir de contentement, avec à la clef la déception comme clef de voûte de la vie, dans une course absolue et effrénée, à l'assaut des ombres et non des choses et des gens, tels qu'ils sont!
Le duo fantastique des deux comédiens Georges Lini & Isabelle Defossé détient un puissant pouvoir d’invitation à la réflexion. Cette pièce fulgurante du savoyard Fabrice Melquiot pourrait-elle briser le cycle infernal de nos temps pressés et utiles... ? Et si on éduquait les gens au contentement et non à l’avidité permanente ? Une avidité stimulée par la publicité, qui affirme qu’il nous manque toujours impérieusement quelque chose. Une civilisation du besoin chronique et permanent, sans cesse ressassé, qui instille dans les esprits la dure sensation de manque. Ils ont les yeux dans les yeux, le corps à corps, mais pas la sérénité de l’accord ! Le spectateur ne ressortira pas indemne, touché, mais heureusement pas coulé !
« Ils ont tout et pourquoi cela ne marche pas » se demande-t-on? Cette question ne cesse de hanter le spectateur souvent pris à témoin par les comédiens, ballotté dans l’ivresse des mots, des dialogues et des narrations croisées au cours de joutes qui ne sont pas que verbales puisque le corps est maître à bord. Ainsi, le spectateur est entraîné, troublé, subjugué par l’énergie théâtrale époustouflante du ballet des amoureux qui évoluent tels des papillons de nuits affolés, dans un clair-obscur plus livide que le désespoir. Et pourtant la fille avait des rêves, elle avait su larguer les amarres, et pourtant elle avait - mine de rien- semé la lumière, rêvé d’un enfant dans la blancheur d’une innocence retrouvée, galbée de verres de laits à la chaîne et de craies blanches prêtes à écrire une nouvelle vie.
Le phénomène de l’amour - ce qui fait que nous existons à nos yeux et aux yeux des autres - devrait être la tendre aspiration de chaque homme et de chaque femme. Mais la pièce se fait de plus en plus pessimiste et l’inaccessible étoile reste bel et bien inaccessible pour les deux personnages, à force de se concentrer sur leur propre désir et non sur celui de l’autre. Et pourtant tout avait si bien commencé, un peu comme dans L’Ecume des jours: sur les sentiers peu fréquentés du fantastique et de la poésie.
Petits commerçants, petits consommateurs d’amour, ils s’éteignent aussitôt allumés, des lucioles perdues dans le grand noir ! Et l’homme est impuissant devant son destin, vissé à une angoisse obnubilante comme un coquillage sur son navire car sa Lisbeth, tout d’un coup, n’est plus la Lisbeth qu’il connaissait dans les moindres recoins : elle a changé ! Elle est une Lisbeth plurielle et réelle. Et cela Pietr ne l’accepte pas! …S’il pouvait se dire qu’elle est tout bonnement vivante, traversée par le désir d’enfant et assoiffé de lui ! Incapable de renoncements, il la fige dans son imaginaire, la cloue comme un papillon sur la planche de l’entomologiste, alors que la vie, c’est justement l’adaptation perpétuelle et le changement! Pauvres humains plus piquants encore, mais bien moins sages, que les oursins!
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...À plus de quarante ans, Pietr se contente de brèves aventures : représentant de commerce, ce n’est pas un métier pour être en couple, on n’est jamais là. Lisbeth fait irruption alors qu’il n’attendait plus rien. Ils se plaisent et décident rapidement de faire un enfant, dans un hôtel, face à l’océan. Elle patiente sur le quai de la gare. Quand il descend du train, il voit cette femme qui vient vers lui, tout sourire, toute lumière. Ce n’est plus Lisbeth, c’est une autre Lisbeth, c’est une inconnue. Mais il reste pourtant l’envie d’atteindre cet amour absolu …
De Fabrice Melquiot, mise en scène de Georges Lini, avec Isabelle Defossé et Georges Lini
Du 6 septembre au 29 octobre 2016 à 20h30 au Théâtre Le Public à 20h30