Compte-rendu du livre de Raymond Trousson, "Jean-Jacques Rousseau. En 78 lettres, un parcours intellectuel et humain', Éditions Sulliver, septembre 2010, 304 pages, 22 €
Tous ceux qui ont aimé Les Confessions ou qui s’intéressent au « père » de la biographie ne peuvent qu’être intéressés par la correspondance du grand philosophe du XVIIIe siècle et par la sélection opérée par Raymond Trousson.
Certes, nous connaissions bien celui qui avait fait confiance à la nature humaine et qui avait inventé et défendu le mythe du « bon sauvage ». Nous avions lu ses livres, qu’ils traitent de politique (Le Contrat social), d’éducation (L’Émile), de sentiments (La Nouvelle Héloïse) ou d’amour de la nature (Les Rêveries du promeneur solitaire). Surtout, nous avions dévoré Les Confessions, ouvrage qui marque une date capitale dans l’histoire des lettres françaises puisqu’il peut être considéré comme la première autobiographie. Bien entendu, avant Rousseau, des auteurs avaient déjà parlé d’eux, mais jamais avec cette volonté de dévoiler la part la plus intime de soi-même au public. Rousseau fera fort, désirant se montrer tel qu’il est, sans mensonge aucun (1). En effet, se sentant rejeté et méprisé par tous, il tentera, dans cesConfessions, de prouver que la bonté fait partie de sa nature profonde. Pour ce faire, il ne dépeindra pas seulement son être social mais aussi sa vie intime et ses pensées secrètes… et c’est là que réside la nouveauté de cet ouvrage. Après la lecture d’un tel livre, nous croyions donc bien le connaître. Eh bien non. En fait, rien de tel, pour cerner un écrivain, que de prendre connaissance de sa correspondance. Là, ce n’est pas uniquement l’auteur ou le philosophe que nous découvrons (même s’ils ne sont jamais loin), mais surtout l’homme aux prises avec la vie quotidienne, l’individu avec ses grandeurs et ses faiblesses.
Évidemment, la correspondance de Rousseau a déjà été publiée autrefois et dans son intégralité, mais elle est si abondante que les lecteurs ont été découragés, depuis les simples passionnés jusqu’aux chercheurs les plus renommés. Il faut dire que cette correspondance ne comporte pas moins de cinquante-deux volumes (2)… La richesse du livre que nous propose aujourd’hui Raymond Trousson (professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles et spécialiste du XVIIIe siècle) réside précisément dans sa brièveté. Il est parvenu à repérer, dans cette correspondance foisonnante, soixante-dix-huit lettres majeures qui nous permettent en plus ou moins trois cents pages de mieux comprendre qui était vraiment Rousseau.
2 700 lettres en 48 ans
Tout d’abord, c’était un homme qui, malgré les apparences, n’avait pas l’écriture facile. Dans une lettre à Malesherbes (qui était le président de la Cour des aides et qui, à ce titre, donnait les permissions d’imprimer pour les manuscrits passés par la censure), il avoue que la moindre missive lui coûte des heures de fatigue et qu’il lui faut, pour en venir à bout, se promener dans la campagne afin de « bercer sa pensée ». Cette angoisse devant la page blanche ne l’a tout de même pas empêché de nous laisser 2 700 lettres écrites de 1730 à 1778, ce qui n’est tout de même pas rien, reconnaissons-le, et révèle bien le côté paradoxal de Rousseau.
Le livre de Raymond Trousson respecte l’ordre chronologique de la correspondance. Ainsi, nous faisons d’abord connaissance avec le jeune Jean-Jacques qui, après avoir fui sa ville natale à 16 ans, se retrouve fort démuni à 19. Il vient donc implorer l’aide d’un père qui ne s’est pourtant pas soucié de lui depuis pas mal de temps. On sait en effet que Rousseau avait perdu sa mère à la naissance et qu’il avait été élevé, dès l’âge de 9 ans, par un oncle, pasteur protestant, lequel le mit vite en apprentissage chez un maître graveur dès l’âge de 13 ans. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son père ne fut pas très présent ni très aimant. Il fallait que notre jeune homme fût fort démuni pour se résoudre à la requête qu’il entreprend ici, mais c’est vrai que son avenir matériel était fort incertain.
« Triste sort que celui d’avoir le cœur plein d’amertume et de n’oser même exhaler sa douleur par quelques soupirs, triste sort que d’être abandonné d’un père dont on aurait pu faire les délices et la consolation, mais plus triste sort, de se voir forcé d’être à jamais ingrat et malheureux en même temps et d’être obligé de traîner par toute la terre sa misère et ses remords. »
Sans argent pour entreprendre des études, Rousseau ne peut guère envisager pour survivre que de devenir secrétaire ou précepteur chez des personnes fortunées. Il pense aussi à enseigner la musique, qu’il connaît bien. C’est ainsi que nous le retrouvons à Neufchâtel en 1730, en train de donner des cours dans cette discipline. En 1732, il est déjà à Chambéry, où il occupe un poste aux services administratifs du duché de Savoie, puis il devient maître de musique de jeunes filles de la bourgeoisie. Bref, il fait de petits boulots et sa situation matérielle reste très précaire. Heureusement pour lui, il recevra l’aide de Madame de Warens dont il devient l’intendant en 1734. Il connaît cette personne depuis quatre ans déjà et c’est sous son influence qu’il s’est converti au catholicisme. Il parlera beaucoup de cette baronne dans Les Confessions, notamment lorsqu’il évoque « Les Charmettes », une propriété retirée dans les environs de Chambéry : « Ici commence le court bonheur de ma vie, ici viennent les paisibles mais rapides moments qui m’ont donné le droit de dire que j’ai vécu… » (Les Confessions, livre VI)
Bienfaitrice
Madame de Warens deviendra même sa maîtresse et l’initiera aux jeux de l’amour. Pourtant, plus tard, il l’appellera « sa chère maman » (treize années les séparaient), ce qui laisse tout de même supposer que leur relation était ambiguë. Il s’adressera souvent à la baronne pour demander de l’aide, mais sa protectrice, qui à la longue s’est un peu lassée de ce jeune homme envahissant et qui a par ailleurs trouvé un autre favori, souhaite maintenant, et avant tout, que Rousseau prenne son destin en main. Celui-ci se sent trahi et il lui écrit de Montpellier (où il séjourne quelques mois afin de consulter des médecins, car il se croit gravement malade) pour se plaindre amèrement de son séjour dans le Languedoc et essayer d’attendrir ainsi sa bienfaitrice. Cette lettre contient des descriptions pour le moins étonnantes : « Je ne sache pas d’avoir vu, de ma vie, un pays plus antipathique à mon goût que celui-ci, ni de séjour plus ennuyeux, plus maussade que celui de Montpellier. […] Pour ma santé, il n’est pas étonnant qu’elle ne s’y remette pas. Premièrement, les aliments ne valent rien ; mais rien, je dis rien, et je ne badine point. Le vin y est trop violent, et incommode toujours ; le pain y est passable, à la vérité ; mais il n’y a ni bœuf, ni vache, ni beurre ; on n’y mange que de mauvais mouton, et du poisson de mer en abondance, le tout toujours apprêté à l’huile puante. »
D’autres lettres nous montrent un Rousseau éperdument amoureux. Parfois il est épris d’une jeune fille et lui demande une entrevue ou bien, au contraire, il a imprudemment déclaré sa flamme à une personne importante, qui tient un salon renommé, et il vient s’excuser d’avoir été aussi entreprenant. C’est donc un homme à la fois sensible et fougueux que nous découvrons, un homme qui connaîtra bien des passions et bien des déceptions aussi.
« Mais quoi, vous m’avez traité avec une dureté incroyable, et s’il vous est arrivé d’avoir pour moi quelque espèce de complaisance, vous me l’avez ensuite fait acheter si cher que je jurerais bien que vous n’avez eu d’autres vues que de me tourmenter ; tout cela me désespère sans m’étonner et je trouve assez dans tous mes défauts de quoi justifier votre insensibilité pour moi : mais ne croyez pas que je vous taxe d’être insensible en effet : non, votre cœur n’est pas moins fait pour l’amour que votre visage, mon désespoir est que ce n’est pas moi qui devais le toucher. »
Mais le grand amour de sa vie restera Thérèse Levasseur, une femme quasi illettrée qui partagera son existence et avec qui il aura plusieurs enfants, tous placés aux Enfants trouvés, comme on le sait. Ce sera pour notre philosophe une source de remords et nous trouvons dans notre recueil une lettre bouleversante (à Madame Dupin) dans laquelle il avoue cette erreur tout en tentant désespérément de la justifier : son manque d’argent, sa santé précaire (Rousseau croit toujours que sa fin est proche), l’impossibilité de concilier les soucis domestiques avec la tranquillité d’esprit nécessaire à un penseur. On notera également sa grande conscience des inégalités de classes : « La nature veut qu’on en fasse [des enfants], puisque la terre produit de quoi nourrir tout le monde : mais c’est l’état des riches, c’est votre état, qui vole au mien le pain de mes enfants. […] Vous prenez pour le déshonneur du vice ce qui n’est que celui de la pauvreté. »
Mise à l’Index.
Nous trouvons dans notre recueil plusieurs lettres à Thérèse Levasseur, certaines tendres et touchantes, d’autres carrément désespérées, notamment quand Rousseau est chassé de partout et que, ses ouvrages mis à l’index, il mène une existence de fugitif. À chaque fois, il perd son mobilier et ses livres, et sa situation matérielle est des plus précaires. Ce sont là des choses qu’il faut savoir et qu’on n’a pas toujours à l’esprit quand on lit les livres de Rousseau. Car derrière le penseur, il y a un homme réel, qui vit et qui souffre, persécuté pour ses idées. Rien d’étonnant, dès lors, s’il devient paranoïaque à la fin de sa vie et s’il imagine des complots contre sa personne, au point de se brouiller plus ou moins avec tout le monde, y avec compris les personnes qui lui veulent du bien. Il y a sur ce sujet des lettres édifiantes, comme celles qui relatent sa rupture avec Diderot.
Celle-ci provient en fait d’un malentendu. Dans un premier temps, Diderot regrette que Rousseau ait quitté Paris pour se réfugier à la campagne, car c’est avant tout dans la capitale que se défend le combat philosophique. En perdant Rousseau, il perd donc à la fois un ami et un allié dans le domaine des idées. Il ne se prive pas pour le lui dire, ou plus exactement pour le lui écrire. Rousseau, cependant, ne perçoit pas les regrets qui sous-tendent ces lettres. Tout ce qu’il comprend, c’est qu’on veut le faire remonter à Paris alors qu’il se sent mal dans la foule. Il a toujours dit qu’il n’était pas à l’aise dans les réunions mondaines et qu’il n’avait aucune répartie dans les conversations. De nature timide, il ne trouve jamais rien à répliquer à ceux qui lui font des objections et ce n’est que lorsqu’il rentre chez lui que ses idées jaillissent, un peu trop tard. Bref, c’est un solitaire qui a besoin de calme pour réfléchir et, dès lors, il n’entend rien aux arguments du fougueux Diderot. Ce dernier, dans Le Fils naturel, avait malheureusement écrit une phrase que Rousseau a prise pour lui : « Il n’y a que le méchant qui soit seul. » Petit à petit, le ton s’aigrit entre les deux hommes : « Je remarque une chose qu’il est important que je vous dise. Je ne vous ai jamais écrit sans attendrissement, et je mouillai de mes larmes ma précédente lettre ; mais enfin la sécheresse des vôtres s’étend jusqu’à moi. Mes yeux sont secs et mon cœur se resserre en vous écrivant. »
Paranoïa
À la fin, Rousseau est pris à son propre piège. Délaissé par ses anciens amis, la solitude dans laquelle il vit finit par lui peser. Il écrit alors des lettres dans lesquelles il se présente comme un innocent passablement naïf et fondamentalement bon. Se sentant incompris et victime d’une machination, il rompra définitivement avec Diderot.
« Il faut, mon cher Diderot, que je vous écrive une fois encore en ma vie : vous ne m’en avez que trop dispensé ; mais le plus grand crime de cet homme que vous noircissez d’une si étrange manière est de ne pouvoir se détacher de vous. Mon dessein n’est point d’entrer en explication […]. Prévenu contre moi comme vous l’êtes, vous tourneriez en mal tout ce que je pourrais dire pour me justifier. […] Je suis un méchant homme, n’est-ce pas ? Vous en avez les témoignages les plus sûrs ; cela vous est bien attesté. Quand vous avez commencé à l’apprendre, il y avait seize ans que j’étais pour vous un homme de bien, et quarante ans que je l’étais pour tout le monde : en pouvez-vous dire autant de ceux qui vous ont communiqué cette belle découverte ? »
Dans d’autres missives, Rousseau montre finalement le tempérament hargneux d’un homme blessé à mort, notamment quand il défend son honneur, qu’il estime bafoué par l’ambassadeur en poste à Venise dont il avait été le secrétaire. Derrière cet incident, c’est une nouvelle fois toute la problématique de l’injustice de classe qui fait son apparition. Comment comprendre l’auteur du Contrat social sans prendre connaissance de ces événements malheureux de la vie privée ?
Nous découvrons aussi ses relations avec Voltaire. Respectueux et admiratif au début, il se montre plus ferme quand il s’agit de répondre aux moqueries du grand homme à l’encontre de son Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité (Voltaire s’était exprimé de la sorte : « J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain. […] Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage… »). Cet ouvrage, qu’il avait écrit pour un concours organisé par l’Académie de Dijon, contribuera à le rendre célèbre à cause de la polémique qu’il suscita. Cinq ans auparavant, en 1750, il avait déjà écrit un Discours sur les Arts et les Sciences, suite à un autre concours organisé par la même Académie. Il y avait expliqué que le progrès était synonyme de corruption, ce qui avait déjà attiré l’attention sur lui, comme on peut s’en douter, et lui avait valu le premier prix. Ici, dans ce deuxième discours, Rousseau se servira de la notion d’état de nature pour entreprendre en fait une critique sociale. Il démontrera que rien ne justifie en soi l’inégalité que l’on rencontre parmi les hommes qui vivent en société, ce qui pour l’époque où il vit, dans cet Ancien Régime finissant, est tout de même un point de vue révolutionnaire. Mais Voltaire, semble-t-il, n’a pas compris la portée politique du discours de Rousseau et a voulu réduire ses propos à une vision utopiste et un peu ridicule de l’état de nature. Forcément, le maître de Ferney ne jurant que par le progrès, il ne pouvait qu’être en désaccord avec le pauvre Rousseau. Rousseau gagnerait à être relu dans cette perspective car alors que toute l’intelligentsia de son époque ne jurait que par la science et le progrès, il avait su, déjà, voir les limites de ce type de raisonnement. Nous qui aujourd’hui sommes confrontés à la pollution, au réchauffement climatique et à une société essentiellement technicienne qui nous coupe petit à petit de toute réflexion spirituelle ou artistique, il serait peut-être bon de nous demander si les fondements mêmes de la pensée qui nous anime depuis plus de deux siècles étaient les bons. Quelqu’un comme Jacques Elull, avec son Bluff technologique n’aurait sans doute pas désavoué notre philosophe.
Indépendance
Mais celui-ci ne se laisse plus intimider par la gloire et la renommée de Voltaire et lorsque ce dernier fait paraître son Poème sur le désastre de Lisbonne (en 1755, un tremblement de terre avait fait 100 000 morts et avait quasiment détruit la capitale portugaise), il s’opposera à lui de manière très virulente, lui répondant point par point. Là où Voltaire se pose des questions sur la supposée bonté de Dieu et tient un discours sceptique, Rousseau, lui, reste plus confiant. Les deux hommes ne se rejoignent en fait que dans leur mépris des églises et des dogmes : « J’appelle intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, et damne impitoyablement quiconque ne pense pas comme lui. »
La dernière lettre adressée à Voltaire date de 1760. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le timide Rousseau s’est bien affranchi : « Je ne vous aime point, Monsieur ; vous m’avez fait les maux qui pouvaient m’être les plus sensibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste. […] Vous avez aliéné de moi mes concitoyens [c’est-à-dire les habitants de Genève] pour le prix des applaudissements que je vous ai prodigué parmi eux ; c’est vous qui me rendrez le séjour de mon pays insupportable ; c’est vous qui me ferez mourir en terre étrangère. […] Si je ne puis honorer en vous que vos talents, ce n’est pas ma faute. Je ne manquerai jamais au respect que je leur dois, ni aux procédés que ce respect exige. Adieu Monsieur. »
S’il est pauvre et banni, Rousseau n’en aura pas moins fréquenté les grands et aura parfois reçu leur protection. C’est le cas du Maréchal-Duc de Luxembourg, qui deviendra un véritable ami pour Rousseau. Dans leur correspondance, on devine cependant que notre philosophe est mal à l'aise. S’il est sensible à l’amitié, il craint qu’on ne lui reproche de côtoyer les grands, ce qui serait contraire à ses principes et à ce qu’il a développé dans ses écrits. Il a peur, surtout, en acceptant leur aide matérielle, de perdre son indépendance intellectuelle, aussi le dit-il honnêtement mais fermement à son protecteur.
Pour le reste, on notera encore la présence, dans ce recueil de lettres, des quatre célèbres missives envoyées à Malesherbes et qui peuvent être considérées comme le véritable prélude des Confessions. Rousseau tente en effet d’expliquer qui il est vraiment. Il relate qu’il est mal à l'aise dans la compagnie des hommes, qu’il n’a pas de répartie dans la conversation et qu’il préfère de loin la solitude (ou alors la présence discrète de quelques amis fidèles). Il rappelle aussi sa passion d’enfant pour les livres et son désabusement quand, plus tard, il ne rencontrera pas dans la vie des êtres dignes de ses héros.
Trahisons
La correspondance de la fin de la vie de Rousseau est plus triste. Réfugié provisoirement en Angleterre auprès du philosophe Hume, qui lui a ouvert sa porte, Rousseau se croit espionné et sa paranoïa le plonge dans une sorte de délire de persécution. Même sa femme, Thérèse Levasseur, prend ses distances. Il lui écrit une lettre touchante dans laquelle il lui rend sa liberté.
« Ma chère amie, non seulement vous avez cessé de vous plaire avec moi mais il faut que vous preniez beaucoup sur vous pour y rester quelques moments par complaisance. Vous êtes à votre aise avec tout le monde hors avec moi, tous ceux qui vous entourent sont dans vos secrets excepté moi, et votre seul véritable ami est le seul exclu de votre confidence. […] Si vous étiez heureuse avec moi, je serais content ; mais je vois clairement que vous ne l’êtes pas, et voilà ce qui me déchire. Si je pouvais faire mieux pour y contribuer, je le ferais et je me tairais ; mais cela n’est pas. Je n’ai rien omis de ce que j’ai cru pouvoir contribuer à votre félicité ; je ne saurais faire davantage, quelque ardent désir que j’en aie. […] Je n’aurais jamais songé à m’éloigner de vous […] si vous n’eussiez été la première à m’en faire la proposition. […] Il est sûr que, si tu me manques et que je suis réduit à vivre absolument seul, cela m’est impossible, et je suis un homme mort. Mais je mourrais cent fois plus cruellement encore si nous continuions de vivre ensemble en mésintelligence, et que la confiance et l’amitié s’éteignissent entre nous. »
En 1778, le marquis de Girardin offre l’hospitalité à Rousseau dans un pavillon de son domaine d’Ermenonville, près de Paris. Thérèse le suit mais le trompe bien vite avec un domestique. Malade et ayant deviné l’infidélité de sa compagne de toujours, Rousseau mourra le 2 juillet de cette même année, probablement d’une crise d’apoplexie.
(1) Voir, sur ce besoin de Rousseau de se montrer tel qu’il est, l’admirable livre de Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, Gallimard, col. « TEL », 1976.
(2) Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau, édition critique établie et annotée par Ralph. A. Leigh, Genève, Institut et Musée Voltaire, puis Oxford, The Voltaire Foundation, 1965-1998, 52 vol.
Jean-François Foulon