À la mémoire d'Innocents partis trop tôt "tutoyer l'azur"
foudroyés de manière précoce dans leur envol
ou
au cœur de leur pleine maturité
"Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin."
François de Malherbe
À l'égard des vivants,
nous prodiguons ce sage conseil
I)"Ne te tiens pas devant ma tombe en pleurant"
(Do not stand at my grave and weep)
de Mary Elizabeth Frye (1905-2004)
(poème écrit en 1932)
"Ne te tiens pas devant ma tombe en pleurant,
Je ne suis pas là, je ne dors pas.
Je suis maintenant les mille vents qui soufflent,
Je suis les reflets étincelants sur la neige.
Je suis la lumière du soleil qui fait mûrir les grains,
Je suis la douce pluie de l'automne.
Quand tu t'éveilles dans la paix du matin,
Je suis le mouvement rapide
Des oiseaux qui s'envolent en cercle dans le ciel.
Je suis les douces étoiles qui brillent dans la nuit.
Ne te tiens pas devant ma tombe en pleurant ;
Je ne suis pas là, je suis partout, vivant..."
Mary Elizabeth Frye 1932
Version originale:
" Do not stand at my grave and weep,
I am not there, I do not sleep.
I am in a thousand winds that blow,
I am the softly falling snow.
I am the gentle showers of rain,
I am the fields of ripening grain.
I am in the morning hush,
I am in the graceful rush
Of beautiful birds in circling flight,
I am the starshine of the night.
I am in the flowers that bloom,
I am in a quiet room.
I am in the birds that sing,
I am in each lovely thing.
Do not stand at my grave and cry,
I am not there. I do not die. "
II) Prière :
"Celui qui est parti"
de Theilhard de Chardin– (1881, 1955)
Ne le cherchez pas en arrière, ni ici, ni là,
ni dans les vestiges matériels qui sont naturellement chers.
Il n’est plus là, il ne vous attend plus là.
C’est en avant qu’il faut le chercher, dans la construction de votre vie renouvelée…
Soyez lui fidèle là, et non point dans une sentimentalité rétrospective
avec laquelle il faut avoir le courage de briser.
Sa véritable trace n’est pas dans certaines manifestations de son activité.
Leur disparition même si douloureuse qu’elle puisse vous paraître, doit vous libérer, non vous déprimer.
Non pas oublier, mais chercher en avant.
Malgré tout ce que vous pouvez sentir ou croire,
reconnaître avec évidence que votre vie doit se poursuivre.
Je suis persuadé qu ‘elle commence.
Décidez vous seulement à ne plus vivre dans le passé,
ce qui ne veut pas dire que vous oubliez celui-ci,
mais seulement que votre manière – la vraie- de lui être fidèle doit consister
à construire en avant, c’est à dire à être digne de lui.
Ne vous isolez donc pas.
Ne vous repliez donc pas au fond de vous-même.
Mais voyez le plus possible vos amis.
Donnez-vous.
C’est ce don qui vous libérera et vous épanouira.
Je voudrais que vous trouviez nombre de gens et de choses auxquels,
noblement, vous donner.
III) Cortège pour l'Enfant mort
de Marie-Noël ( décédée en 1967) -
(extrait de son "Office pour l'enfant mort" aux Editions Stock)
L'enfant frêle qui m'était né,
Tantôt nous l'avons promené
L'avons sorti de la maison
Au gai soleil de la saison ;
L'avons conduit en mai nouveau,
Le long des champs joyeux et beaux ;
Au bourg avec tous nos amis,
L'avons porté tout endormi...
Mais en vain le long du chemin
Ont sonné les cloches, en vain,
Tant il était ensommeillé,
Tant qu'il ne s'est pas réveillé,
Au milieu des gens amassés,
Quand sur la place il a passé.
D'autres que moi, cet aujourd'hui,
À l'église ont pris soin de lui.
C'est le bedeau qui l'a bordé
Dans son drap blanc d'argent brodé.
C'est le curé qui l'a chanté
Avec ses chantres à coté
C'est le dernier qui l'a touché,
Le fossoyeur qui l'a couché
Dans un berceau très creux, très bas,
Pour que le vent n'y souffle pas
Et jeté la terre sur lui
Pour le couvrir pendant la nuit
Pour lui ce que chacun pouvait,
Tant qu'il a pu, chacun l'a fait
Pour le bercer, le bénir bien
Et le cacher au mal qui vient.
Chacun l'a fait... Et maintenant
Chacun le laisse au mal venant
Allez-vous en ! Allez-vous en !
La sombre heure arrive à présent.
Le soir tombe, allez ! partez tous !
Vos petits ont besoin de vous.
Rentrez chez vous et grand merci !...
Mais il faut que je reste ici.
Avec le mien j'attends le soir,
J'attends le froid, j'attends le noir.
Car j'ai peur que ce lit profond
Ne soit pas sûr, ne soit pas bon.
Et j'attends dans l'ombre, j'attends
Pour savoir... s'il pleure dedans...
IV) Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille
de François de Mahlerbe (1555-1628)
Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.
Puis quand ainsi serait, que selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil ?
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts...
La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.
De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.
Vierge de douleur, émail vers 1500
par le Maître du triptyque de Louis XII,
(dans la stylistique de l'École de Tours)