Du 03 > 20/10 2024 au théâtre de la Valette, à Ittre, une première en Belgique
Interprétation : Christel Pedrinelli, Séverine De Witte, Laura Fautré & Bénédicte Chabot, la mise en scène de Fabrice Gardin, décors de Léa Gardin
Pour survivre, elles ont choisi la retraite qui sauve, la réclusion volontaire, cloîtrées dans une maison provinciale au milieu de nulle part. Il leur a fallu quitter le monde, ce monde extérieur hostile de la violence avérée des hommes. Ainsi, résister, se barricader, comme dans les villas romaines, contre les barbares. Quitte à mourir de faim et à même halluciner, une vieille pratique intuitive moyenâgeuse pour conjurer le mal ? Le curseur est sur la détresse absolue.
All in the same boat… n’est-ce pas ?
Face à la misogynie structurelle vécue, l’union fait la force malgré les différends et les chamailleries féminines. Ainsi, ces quatre femmes rangées se retrouvent attablées dans des scènes d’ébriété surréaliste. La mère autoritaire en tête. Face au public, comme découpées entre les panneaux verticaux du décor, elles apparaissent comme quatre points cardinaux pour un bateau fantôme : Fluctuat nec mergitur.
Au nord, qu'elle semble avoir perdu, il y a Violet, cette mère qui a souffert tant et plus de la tromperie et des sévices des hommes. Elle combat la dépression à coup de pilules roses.
Au sud : c'est Brown, une de ses filles, exploratrice relationnelle intrépide des insectes et des hommes. Elle est blonde comme les blés, se passionne pour l’encadrement des papillons, libellules et amants de trois jours.
À l’est : Black. Le soleil intérieur de la jeune artiste incomprise dessine, peint et chante coûte que coûte, au besoin, dans une langue inventée. C’est l’aînée de la famille, la plus vaillante ?
Enfin, tout à l’ouest : Blue, la dernière de la famille, personnage terriblement complexe et attachant ; elle fait ...de la divination. Comme ses demi-sœurs, elle porte une couleur du désespoir. Elle a d’ailleurs voulu offrir ses poignets au cutter, à la suite de la mort attendue de son père. Sa vie est-elle suspendue à un fil ? Vit-elle dans l'entre-deux ? Atteinte par la folie d’amour, elle fascine par ses plongées en apnée dans le mystère…
Le spectateur invité dans leur huis-clos ne sait absolument pas de quel côté penchera leur navire solitaire. Vers l’humour, surtout …noir ? L’auto-dérision ? Les interminables disputes de gynécée ? L’ironie du destin ? Le jeu infernal des sortilèges ? Un monde de sorcières ? L’amour quand même, mijotant dans le creuset de la sororité ?
Sachez seulement que le jeu en vaut vraiment la chandelle. Tant celui, impeccable, des comédiennes est haletant, et tant a force dramatique est sans cesse renouvelée. Surtout que personne, ni elles, ni le public ne s'attend au moment de bascule qui fera éclater leur mode de "mortes à la vie".
Or, dans la pire extrémité, voici de l’or véritable : les voilà soudain projetées dans une scène inoubliable, baignées d’amour et de lumière dans l’intimité d’une salle de bain. La sublime mise en scène de Fabrice Gardin les éclaire via le moteur humain inné de la compassion et de la solidarité. Car le moteur, n’est-ce pas, ce n’est pas l’argent, le travail, l’amour, le désir….
« Πάντα χωρεῖ καὶ οὐδὲν μένει » C’est Héraclite, n’est-ce pas qui affirme que « tout passe et rien ne demeure ». Tel un navigateur à bout de souffle sur son radeau, le spectateur se voit donc chahuté et bouleversé à maintes reprises par toutes ces tempêtes émotionnelles successives…
Il y aurait-il tout de même une sorte d’ange qui veille sur elles ? Ou, siègerait-il carrément en l’une d’elles ? Surnage donc cette certitude vitale qu’il est bon d’écouter les ailes des anges qui poussent irrésistiblement. Et ça, c’est la bonne nouvelle !
Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour le réseau Arts et lettres
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