Opéra en 4 actes
Livret de Ruggero Leoncavallo, Marco Praga, Domenico Oliva, Giulio Ricordi, Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Créé à Turin en février 1893
Le célèbre roman de l’Abbé Prévost : Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut (1731), se trouve incarné en opéra par Daniel-François-Esprit Auber en 1856 et par Jules Massenet , le « maestro colossale » selon les dires de Puccini, en 1884. Puccini quant à lui, « all'italiana, con passione disperata » en 1893, abandonne la jeune fille innocente et frivole du XVIIIe siècle pour ressusciter le destin d’une femme sensuelle de son temps habitée par une folle énergie. Elle recherche passionnément les plaisirs de la vie, écartelée entre les attraits inconciliables du luxe et la vérité du désir amoureux. Devant la mort inéluctable, elle refuse de mourir: « No, non voglio morire ! »
Clair de lune au crépuscule. Les couleurs du premier acte sont celles du Bal du Moulin de la Galette à Montmartre, peint en 1876 par Auguste Renoir. Une palette de bleus lumineux, de verts acides mêlés de glauques et de violets intenses, les couleurs du spleen. L’atmosphère est bruissante, on joue aux tables de bistrot au pied de l’auberge d’Amiens. L’arrière-plan du plateau diffus tient de l’impressionnisme. Une foule animée, les femmes en robes à crinoline constitue des chœurs exubérants dans leur ode retentissante à la jeunesse et à l’espoir. Tragédie ou comédie ? Quelle blague! La puissante soprano Anna Pirozzi & le ténor sicilien Marcello Giordani, forment un couple central intense et passionné, très bien accordé dans la voix et le jeu. Le timbre noble et chaleureux de l’un répond au diapason des émotions à vif de l’autre.
Le chevalier Des Grieux (Marcello Giordani) tombé amoureux de l’ardente Manon (Anna Pirozzi) à sa descente de calèche, revit son rêve caressant et son coup de foudre passionné : Donna non vidi mai simile a questa!
A dirle: io t'amo,
tutta si desta -- l'anima.
Manon Lescaut mi chiamo!
Come queste parole
mi vagan nello spirto
e ascose fibre vanno a carezzare.
O susurro gentil, deh! non cessare!...
Mais dès cet instant, Des Grieux signe sa perte. De son côté, Géronte, - au nom plus qu’évocateur - Fermier-Général de la Province de son état, séducteur caduc, conspire avec Lescaut (Ionut Pascu), le frère très vénal de la belle-promise-au-couvent. Le vieux barbon se délecte à l’idée d’enlever sa proie et de l’installer à Paris dans un cadre princier. Impeccable prestation de Marcel Vanaud.
Grande ellipse narrative. Si Manon s’est enfuie avec Des Grieux à Paris, elle l’a très vite trahi pour se retrouver dans l’écrin de la richesse. Les décors somptuaires sont de Jean-Louis Lecat. Au centre du plateau, trône un superbe escalier d’honneur. Manon a franchi d’un coup toute l’échelle sociale. La voilà à sa toilette, face au miroir de la foule, adulée et caracolant effrontément sur l’orchestration ferme, gracieuse et brillante de Speranza Scapucci. Laquais, femmes de chambre et perruquier, sont empressés. Son frère, Lescaut se vante « c’est grâce à moi que tu as échappé à l’étudiant ! ». Mais au milieu de ses dentelles, Manon livre son cœur déchiré : in quelle trine morbide...
nell' alcova dorata v'è un silenzio..
un freddo che m'agghiaccia!..
Ed io che m'ero avvezza
a una carezza
voluttuosa
di labbra ardenti e d'infuocate braccia...
or ho... tutt' altra cosa!
O mia dimora umile,
tu mi ritorni innanzi
gaia, isolata, bianca
come un sogno gentile
e di pace e d'amor!
Manon s’étiole devant les madrigaux commandés par Géronte. Le chant de pastoureaux libres et heureux la rend nostalgique! Les secrets du menuet la font enrager au bras du vieux barbon qui l’a couverte d’or ! On attend avec impatience le magnifique duo avec son amant très en colère qui débarquera miraculeusement. Dunque non m'ami più?
Mi amavi tanto!
Oh, i lunghi baci! Oh, il lungo incanto!
La dolce amica d'un tempo aspetta
la tua vendetta...
Oh, non guardarmi così: non era
la tua pupilla
tanto severa!
Manon implore son pardon, l’amour fait le reste. La chef d’orchestre divine,Speranza Scapucci, dont c’est la première apparition comme chef principal attitrée de l'ORW-Liège, pour la saison 2017-2018 est une fabuleuse créatrice d'atmosphères. Elle enlace son orchestre dans d'intrépides étreintes musicales qui deviennent ivresses de sentiment. Sa baguette passionnée tresse les émotions, prenant le ciel et les astres à témoin. Les amants tragiques se sont rejoints au pied des fauteuils de l’élégant salon. Point culminant intense de la rencontre amoureuse… balayée par l’arrivée du vieillard en colère : « C’est là vote remerciement ? » L’orchestre traduit les battements de cœur de la femme prise au piège. Des Grieux la conjure de fuir avec lui… Mais Manon est décidément incorrigible. Elle est éblouie par les mirages du luxe largement amplifiés par les cuivres brûlants de l’orchestre. Elle perd du temps, caresse langoureusement les meubles précieux, part à la recherche des bijoux qu’elle veut emporter ! Des Grieux est sombre : « quel avenir obscur feras-tu de moi ? » « N’emporte que ton cœur!» supplie-t-il !
Après l’arrestation des amants à la fin du deuxième acte, place à un splendide intermezzo pendant lequel on lit dans les pensées de Des Grieux : « C’est que le l’aime avec une passion si violente qu’elle me rend le plus infortuné des homes J’ai tout employé, à Paris pour obtenir sa liberté : sollicitations adresse, force m’ont été inutiles. J’ai pris le parti de la suivre, dût-elle aller jusqu’au bout du monde ! » Une citation du texte de l’Abbé Prévost. Les cordes font vibrer le désespoir. Le violoncelle soliste dialogue avec l’alto soliste, puis le violon solo avant l’entrée de tout l’orchestre qui répand des vagues successives d’angoisse. Crescendo puissant et inéluctable…pour annoncer le mélodrame final. Speranza Scapucci reçoit des applaudissements très largement mérités. Au troisième acte, nous sommes au Havre. Le jour se lève sur le quai où seront amenées les femmes de mauvaise vie en partance pour L’Amérique, terre de bannissement. Le mélange insolite de paquebot à vapeur et de bateau à roues à aubes… suscite l’admiration du public. Le traitement des malheureuses femmes que l’on fait monter à bord remplit d’effroi! C’est l’appel : Rosetta! Manon! Ninetta! Regina! Violetta! Toutes malmenées et méprisées. La foule de badauds est contenue par la police. Magnifique réglage scénique. L’orchestre polit les affres de douleur de Manon, prisonnière derrière une grille ; l’amour est son crime ! La passion des amants et les envolées lyriques sont à leur comble.
Des Grieux bouleverse la foule assemblée et le public par sa décision de suivre Manon en exil. Le quatrième acte est une vallée de larmes partagée par le couple maudit, dévoré par la soif au milieu du désert qu’ils doivent traverser pour rejoindre la colonie anglaise. Ils sont exténués et impuissants. Manon, malgré la fièvre et l’épuisement, reste forte, comme en témoigne sa voix ! Sola... perduta... abbandonata!.. Sola!..
Tutto dunque è finito. E nel profondo
deserto io cado, io la deserta donna!
Terra di pace mi sembrava questa...
Ahi! mia beltà funesta,
ire novelle accende...
Da lui strappar mi si voleva; or tutto
il mio passato orribile risorge
e vivo innanzi al guardo mio si posa.
Di sangue ei s'è macchiato...
A nova fuga spinta
e d'amarezze e di paura cinta
asil di pace ora la tomba invoco...
No... non voglio morire... amore... aita!
Mais le désert brûlant engloutira une à une, ses fiévreuses paroles d’adieu à la vie... « Sur mes fautes l’oubli s’étendra, mais l’amour vivra ! » sont les dernières paroles de Manon, sur lesquelles Des Grieux finit par rendre l’âme.
La direction habile des chœurs très mobiles est confiée à Pierre Iodice. Les superbes éclairages de Franco Mari font vibrer les émotions, les costumes de Fernand Ruiz déploient richesse et imagination tandis que la soigneuse mise en scène de Stefano Mazzoni Di Pralfera est loin de décevoir. Au deuxième acte, comme dans une maison de poupée, les différents plans offrent l’illusion de caméras qui pénètre dans plusieurs décors à la fois. Mais par-dessus tout, on gardera en mémoire ces deux mains qui se cherchent, l’une à bord du navire, l’autre sur le quai….
Speranza Scappucci dirige l'Orchestre et les Choeurs de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège.
MISE EN SCÈNE : Stefano Mazzonis di Pralafera
CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice
ARTISTES : Anna Pirozzi, Marcello Giordani, Ionut Pascu, Marcel Vanaud, Marco Ciaponi, Alexise Yerna, Patrick Delcour, Pietro Picone
NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 5 DATES : Du mardi, 19/09/2017 au samedi, 30/09/2017
Infos & Réservations http://bit.ly/2xUkMY3
Jeudi, 28/09/2017
L'Opéra Royal de Wallonie, en association avec la société de production Jim et Jules, la RTBF et France Télévisions, propose une diffusion en direct sur Culturebox, l'offre numérique dédiée à la culture de France Télévisions, sur medici.tv et sur le site de la RTBF de l'opéra de Puccini. http://culturebox.francetvinfo.fr/