Eugène Onéguine, op. 24, est un opéra en trois actes et 7 tableaux composé par Piotr Ilitch Tchaïkovski entre juin 1877 et janvier 1878.

QUE l’ouverture dans les mains  de Speranza Cappucci est envoûtante! Une cheffe créatrice  passionnée, sensible, subtile, précise, attentive au moindre détail !  Fascinante dans sa gestuelle, l’orchestre répond sur le champ et dans une fluidité parfaite.  Les bois sont particulièrement  exaltés, la harpe frissonnante, les cuivres, brillants sans peser. Speranza Cappucci, à l’écoute du destin,  entretient en continu des brasiers de couleurs miroitantes.  La tendre ferveur du  thème  de Tatyana   reflète  le plaisir  d’un  feuilleton passionnant.   En effet, l’opéra de Tchaïkovski prend sa source dans le sublime roman écrit en vers de Pouchkine et publié sous forme de série entre 1825 et 1832.

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 Photos : Jonathan Berger – Opéra Liège Info & Réservation 🔛 bit.ly/oneguin

DES FEMMES s’affairent à déposer des fleurs sur une  longue table, dans un jardin? Une datcha?  Une église orthodoxe?  L ‘imposante veuve Larina ( Zoryana Kushpler) discute avec sa servante Flipyevna (une  pétulante  Margarita Nekrasova). Les filles de Larina, Tatyana et Olga, chantent une chanson d’amour. Larina et la bonne se souviennent  de quand elles aussi étaient jeunes et belles et amoureuses. Tatyana lit  langoureusement un roman de Richardson, tandis que  sa mère lui rappelle que la vraie vie n’est pas  celle des romantiques anglais.

L’HISTOIRE est transposée 100 ans plus tard,  dans la période bolchevik :  point de  costumes ni de fastes mondains ni de décors somptueux…  mais des paysans, des militaires, et  l’étoile rouge qui brille sur l’ensemble et à la boutonnière du costume noir de l’officier Onéguine.  Nouveau parfum à l’opéra de Liège : la mise en scène superbement dépouillée d’Eric Vigié  mérite toute notre considération. Elle se décline  dans toutes les nuances de gris – ce gris haï des routines domestiques ou amoureuses –   et joue avec le rouge vif  de l’espoir communiste. Un espoir qui  se matérialise   grâce à   une étoile vivante : la  très jeune ballerine en tutu  écarlate.  Le fond de la scène est occupé par un store de larges panneaux verticaux ( Gary Mc Cann) qui s’ouvrent comme par magie pour des changements de scène, ouvrir l’horizon ou pour accueillir le chœur (préparés par Denis Segond)  et ses  figurants.  Les yeux convergent chaque fois sur un  point focal fait de  constructions aériennes, presque sculpturales,  symbolisant  la vie quotidienne russe ou la révolution. Effets très réussis. Des lumières qui captent la transparence. (Henri Merzeau)

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L’AMOUREUX d’Olga, Vladimir Lenski  (un attachant Alexei Dolgov) et son ami Eugène Onéguine ( le beau baryton Vasily Ladyuk) arrivent. Lenski  et Olga s’enlacent et chantent la vie. « Espiègle et insouciante est ma nature, On dit de moi que je suis une enfant. La vie me sera toujours belle »  Et c’est le coup de foudre de Tatyana pour le nouveau  voisin,  mais  ce dernier ne lui montre aucun intérêt et semble même détester la vie à la campagne. Misanthrope ?   Dans un crescendo  de passion grandissante, Tatyana  se met à écrire une lettre d’amour enflammée à Onéguine. Moment d’extase et de rêve. « Me voici tout en feu… Je ne sais par quoi commencer ! « Je vous écris !… que vous faut-il de plus ? Que pourrais-je ajouter à cet aveu ? » Elle  envoie  Filippievna  pour la  lui remettre. Le lendemain, Tatyana attend avec impatience  la visite d’ Onéguine. Il se montre insensible et  précise  tout de suite que le mariage n’est pas dans ses projets, et qu’ils ne peuvent être qu’amis. Tatyana  se sent  couverte de honte… D’emblée la superbe voix  de Natalia Tanasii, qui remplace ce dimanche après-midi, Ruzan Mantashyan, souffrante, séduit une salle  sans doute déçue par l’absence de la soprano arménienne.  Mais Natalia Tanasii possède  parfaitement son personnage, elle  assure une présence théâtrale forte et bien construite. Elle fait preuve d’une magnifique projection de voix au timbre chaleureux et souple. Quelle prestation extraordinaire pour une séance faite au pied levé !

 A L’ACTE II, Larina donne un bal pour la fête de Tatyana. Onéguine, furieux de s’être laissé entraîner par Lenski  le provoque  en dansant constamment avec Olga. Emportés par la jalousie et la colère, Lenski  et Onéguine s’engagent dans un duel absurde. Lenski :  « Kuda, kuda… Où donc avez-vous fui, jours radieux de ma jeunesse ? »  Onéguine tire et tue Lenski.

PLUSIEURS ANNÉE PLUS TARD, Tatyana, a épousé le Prince Grémine.  Celui-ci confie à son vieil ami Onéguine l’amour infini que lui inspire son épouse, si différente des codes l’appareil de la société où règne l’esprit de Lénine, statue à l’appui. On a  tout de même moins aimé ce film muet années Great Gastby, sous-titré en russe et projeté pendant la stupéfiante prestation  d’ Ildar Abdrazakov en Prince Grémine  d’une prestance magnifique, à la voix de basse enveloppante et aux phrasés bouleversants. Donc, très déconcentrant de devoir  suivre les deux en même temps.  

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 LA SITUATION EST SANS ISSUE, quand Onéguine reconnaît enfin Tatyana, épouse du prince, et c’est à son tour d’ éprouver de brûlants sentiments, mais Tatyana,  fidèle à son mari, laisse Onéguine seul et désespéré. « Quelle honte! Quelle douleur! Quel sort pitoyable est le mien ! » Une mort intérieure pathétique.

Le clin d’œil facétieux revient au charmant  ténor français Thomas Morris,  un souffleur de bonheur, qui interprétait avec verve le rôle de Monsieur Triquet, l’invité à la fête parisien, haut en couleurs. « A cette fête conviés… »  Oui et pour nous, au-delà du drame romantique, c’est la joie qui l’emporte, celle   assister à  cette inoubliable interprétation de l’opéra de Tchaïkovski  en   splendide langue russe, une véritable  fête au cœur de la beauté  musicale.   

Eugène Onéguine, du 22 au 30 octobre 2021 à L’Opéra de Liège

Dirigé par Speranza Scappucci, mis en scène par Éric Vigié, avec Vasily Ladyuk, Ruzan Mantashyan, Maria Barakova, Alexey Dolgov, Ildar Abdrazakov, Zoryana Kushpler, Margarita Nekrasova, Thomas Morris, Daniel Golossov, Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.

   Dominique-Hélène Lemaire Pour Arts et Lettres