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Publications de Josette Gobert (307)

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Il marche JGobert

Mon maître parcourt le monde pour éveiller les consciences.  Répandre la bonne parole. Il visite la terre pour alerter les habitants et leur expliquer l’histoire, le chemin. Son domaine n’est pas Dieu mais l’homme. Il marche pour lui.

Portant les paquets, je le suis docilement. Je m’attarde le long des routes pour flâner et cueillir l’herbe tendre. J’aime les jeunes pousses et les fleurs odorantes. Toujours à quelques pas de lui, je ne cherche pas à le dépasser, le devancer. D’un pas ferme, il se déplace vers sa destinée, son avenir, convaincu de ce qu’il dit. Il a la foi du prêcheur. La détermination, la volonté de vouloir  le bien d’autrui.

L’appel est né quand il vivait en ville. Les trottoirs couverts d’infortunés, de sans-abris, d’immigrés, de femmes et d’enfants lui étaient depuis longtemps insupportables. Le nombre toujours croissant de ces déracinés, sans avenir, arrivant chaque jour le désespérait.  Les solutions constamment insatisfaisantes, le sentiment d’être inutile à cette masse humaine le rendait malheureux.

Il frappait à toutes les portes pour avoir de l’aide, prenait des rendez-vous pour essayer d’obtenir des fonds, des médicaments, de la nourriture et s’épuisait sans trop de résultat. Une quête dans la nuit qui lui devenait fatal.

Moi, je sors d’un refuge. Mon propriétaire  m’a séparé de ma mère et m’a vendu à un citadin qui avait une belle propriété.  Je faisais partie du magnifique décor.  Une belle maison, une belle voiture, une belle femme, de beaux enfants et des animaux pour égayer tout ce beau monde. Ma vie était parfaite mais j’avais un défaut. Je sautais la barrière et je gambadais dans les rues. Je mangeais les parterres et piétinais les plates-bandes.  J’étais indocile, sauvage, têtu.  

Un matin, ils sont venus me chercher et  enfermé dans un établissement spécialisé .Un réduit minable que je partageai avec un autre de mes tristes congénères. J’avais fini par me plaire et les volontaires qui s‘occupaient de moi étaient sympathiques.

La première fois que j’ai vu passer mon maître, il marchait seul, droit devant lui. Son sac sur le dos, il peinait sous le soleil, dans la sueur. Il cheminait sur les pavés de l’inacceptable, de l’intolérable, investi d’une mission. Quelques jours plus tard, il est revenu par hasard et je ne sais par quel miracle, j’ai continué la route avec lui. D’une bonté sans borne, il a fini par m’adopter et rendu la liberté.

Je suis donc libre de venir et aller comme il me plait sur les routes. Depuis, je le suis dans son interminable voyage. Je marche à ses côtés. Je l’aide comme je peux. Je lui donne toute ma tendresse, mon affection et mon temps. Il me parle parfois quand le chemin est monotone, ennuyeux, quand les hommes sont fermés, égarés dans des idées fausses.  Il lui arrive de me raconter ses rêves, ses doutes aussi. Et souvent, ses désillusions, ses déceptions qu’il tire péniblement derrière lui et dont je partage le poids.

Des hommes viennent parfois le rejoindre et faire un bout de chemin en sa compagnie. Ils sont intelligents, convaincus, persuadés de connaître la vérité mais ils ont vite fait de se fatiguer, s’épuiser et disparaissent à l’aube d’un petit matin. D’autres parlent de lui, écrivent quelques articles, le prennent en photo et le louangent. Le résultat est rarement à la hauteur de la tâche. Peu de gens se sentent concernés, intéressés par cette manière de revendiquer.

La mission n’est pas facile. Corriger l’intolérable, l’insupportable.  Réveiller la lucidité des hommes pour un monde meilleur. Eclairer les esprits n’est pas aisé, les persuader de changer est un travail difficile.  J’avoue être perdu dans son discours. Mais ses paroles me font du bien, m’apaisent même si je n’en comprends pas toujours le sens. J’écoute sans rien dire et j’aime ses mots de partage, d’amour, de paix, de liberté.

Cet homme de bonne volonté a tout quitté pour éveiller les consciences, pour aider d’autres hommes. Il marche droit devant lui pour dénoncer l’injustice, l’indifférence, la misère. Il met au jour d’autres hommes exploités, rejetés, vidés de leur âme, mis à nu au fond du fond de l’humanité et qui fuient leur terre pour un monde meilleur.

 

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Il arrive que, rentrant tard
Par les longues routes du soir,
Les chevaux tout à coup s'arrêtent,
Et, comme las, baissent la tête.
Dans le charette, le fermier
N'esquisse pas le moindre geste
Pour les contraindre à se presser.
La lune, sur les blés jaunis,
Vient lentement de se lever,
Et l'on entend comme le bruit
D'une eau qui coule dans l'été.
Quand les chevaux rentrent très tard,
Le fermier ne sait pas pourquoi,
Le long des routes infinies,
Il les laisse avidement boire
Aux fontaines bleues de la nuit

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Les fées JGobert

Les fées, debout autour du berceau, ont d’un mot façonné la destinée de ce nouveau-né. Innocente victime du XXI me siècle, il a reçu d’étranges pouvoirs en cadeaux dont il pourra se servir. Près de lui, venue d’ailleurs, une amie alliée ne le quitte pas. Elle s’est installée près de lui et compte bien y rester.

Les adultes l’entourent, le gâtent. La vie d’un nouveau-né n’est pas aisée. Dans son couffin, l’enfant gémit, hurle. Il a faim, il a soif. La nuit, il pleure, s’époumone. Sa mère le prend, le cajole, le berce mais ce petit bout d’homme est en proie à d’horribles cauchemars.

Son amie est à ses côtés et commence sa délicate mission. Doucement elle le rassure de mots inexprimables, indicibles  par les humains. Elle s’oppose délicatement aux abominables songes sachant que les hommes ne savent pas les contenir. Rien n’est simple mais elle s’invente des raisons pour lutter,  le protéger.

Devant ce petit cœur en détresse, elle prend sur elle le malheur qui trop tôt accable ce petit homme.

Elle est debout dans les terribles cauchemars et repousse fermement les inconnus qui terrorisent l’enfant. Au petit matin, apaisé, l’enfant dort dans les bras de sa mère. L’esprit, encombré d’images, marqué par la peur.

Les fées ont de tout temps donné des pouvoirs, fabriqué des êtres étranges les rendant parfois fragiles, souvent tristes. Cette fois, elles n’ont eu qu’indélicatesses,  goujateries pour ce petit homme.

Son amie ne se considère pas vaincue. De peur en peur, elle finit par inventer des jeux pour que les rêves s’adoucissent, s’apaisent. Un sentiment étrange de puissance lui montre le chemin. L’enfant deviendra de plus en plus résistant.

Le petit garçon a grandi et son imagination s’est développée, libérée. Son amie est toujours présente à ses côtés et l’éduque avec sagesse. Son esprit est maintenant en mesure de se défendre et de comprendre. Il a bien évolué.  Sa mère en est fière.  Les fées s’étaient trompées. De l’être qui devait être extraordinaire est né un homme sage qui n’a pas révolutionné le monde. Il est resté simple et a trouvé la route du bonheur.

Sa mission accomplie, son alliée est partie vers d’autres horizons. Elle a rejoint un autre nourrisson.  Il la regrette mais sait qu’il n’en a plus besoin.

Chassez ces fées qui, autour du berceau, font des prédications, des louanges. Rien n’est jamais assez important que la paix de l’âme aussi petite soit-elle.

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la vie de Maurice Carême

Comme il passait sur le sentier,
Il vit la vie dans un pommier,  

La vie qui récoltait les pommes
Tout comme l’aurait fait un homme.  

Elle riait, riait si haut
Qu’autour d’elle tous les oiseaux  

Chantaient, chantaient si éperdus
Que nul ne s’y entendait plus.  

La mort, assise au pied de l’arbre,
Aussi blanche et froide qu’un marbre,  

Tenait à deux mains le panier
Où les pommes venaient tomber.  

Et les pommes étaient si belles,
Si pleines de jus, si réelles  

Que la mort, lâchant le panier,
S’en fut sur la pointe des pieds

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Ange ou démon JGobert

Chaque matin, encore mal éveillée, elle se dirige vers la gare pour prendre son train. Un trajet long et ennuyeux avant d’arriver sur le quai. Son nouveau travail a débuté il y a quelques semaines et ses habitudes matinales lui pèsent déjà. Un boulot trouvé dans la capitale, inespéré, face à la Tour des finances. Une vue imprenable du 5éme étage, le Botanique au loin, Bruxelles à ses pieds, la circulation bruyante, le va et vient  incessant des passants. Toute une population qui se rend à son boulot.  Des stations crachent ainsi des humanoïdes pressés. Des autobus surchargés jaillissent aux quatre coins de la ville. Des métros où entassés, serrés, les routards souffrent. Une ville multicolore, active, vivante.

Sortie de la gare, son dernier trajet se fait à pied et lui rend la sérénité, la quiétude. Une bouffée d’air entre ce transport quotidien et cet enfermement journalier. Sortir de la foule compacte et marcher librement. Un instant de calme avant d’entrer dans l’arène. Des gratte-ciels l’éblouissent et la troublent. Elle aime déambuler dans cet espace démesuré qui l’entoure, cette hauteur inaccessible vers le ciel. Son bureau n’est pas loin, installé sur une avenue célèbre.

Un matin, à peine arrivée sur le quai, elle aperçoit un jeune homme à quelques mètres d’elle. Il parait jeune, plus jeune qu’elle. Un sac de sport sur l’épaule, nonchalant, il fume sa cigarette. Elle le voit passer devant elle, écraser sa cigarette avant de sauter dans le train. Subitement elle sent ses jambes se dérober, son cœur s’emballer, ses mains moites. Même dans ses rêves, elle n’avait pas ressenti un tel émoi.

Souvenir d’une adolescence agitée, peuplé de rêves de bonheur. Une réaction connue qui la reporte des années en arrière, au temps de sa jeunesse. Mais l’émotion est agréable, amusante même. Elle en est ravie. Elle revit un instant l’affolement de ses 15 ans. Dans le train, elle sourit discrètement de ressentir un si plaisant émoi. Quelle imagination pense-t-elle !

Sa vie a repris de l’activité, du tonus avec ce nouveau travail. Chaque matin, chaque soir, elle prend le train, solitaire, pressée.  Son attention, depuis cette rencontre, est occupée par ce jeune homme. Elle le cherche, elle l’attend inconsciemment. Elle se réjouit de le voir arriver sur ce quai froid et glacé. Lui ne la voit pas. Il passe et attend son train un peu plus loin.

Dans sa tête, elle s’oblige à penser, à se répéter sans cesse qu’il n’y a pas de place pour cet homme dans sa vie. Son émoi passé, tout rentrera dans l’ordre. Elle en est certaine. Mais elle ne peut s’empêcher de penser à lui, le regarder, le suivre du regard. Ses journées sont maintenant ponctuées par ce rendez-vous journalier avec ce navetteur inconnu. Elle attend le matin, elle attend le soir pour le revoir.

De plus en plus attirée par cet étranger, un jeu d’adolescente s’installe et lui donne le sourire, le tournis parfois. Un émoi si lointain retrouvé, savouré.

Contrairement à ce qu’elle pense, lui aussi a remarqué sa présence. Un matin, il se pose devant elle, la regarde droit dans les yeux quelques secondes à peine, une éternité pour elle et s’en va. Elle croit s’évanouir, disparaitre sous ce regard. Elle s’immobilise telle une statue de marbre ou de sel.

Une impression étrange pour cet homme, un jeu de séduction, sans paroles sans gestes, le gène, le déstabilise.  Frustré d’être ainsi l’objet d’un jeu sans réellement y participer, y collaborer.

Dès cet instant, son regard s’endurcit quand il se pose sur elle. Parfois, il bondit, arrogant, insolent sur l’escalator. Il se pose à son niveau, pour lui parler sans doute, pour qu’elle sorte de ce jeu, pour qu’elle agisse enfin ou pas. Il ne dit rien non plus et continue sa route sans se retourner.  A ce moment, elle se sent mourir de ne pouvoir lui parler, le toucher, le retenir.

Chacun à sa place, sans échange, sans sourire, le manège dure. Elle l’attend toujours malgré un malaise de plus en plus grand. Elle ne veut rien changer à cette histoire non aboutie. Elle veut la garder pour elle. Elle en souffre à présent comme l’ado qu’elle était.  Elle se raisonne sachant qu’il n’y a d’histoire que dans sa tête. Elle est heureuse certain jour, triste d’autre mais c’est le court des choses. Elle ne s’en plaint pas.

A plusieurs occasions, le beau voyageur vient s’assoir dans le même wagon, jetant son sac de sport dans le filet au-dessus de sa tête. A d’autres moments, il s’éloigne d’elle.  Elle finit par connaître ses gestes, ses regards, son air rude, ses traits d’ange ou de démon.

Lors d’une exposition en ville, ils se sont aperçus, rencontrés, elle avec son fils, lui avec des amis. Leurs regards se sont accrochés et ne se sont pas quittés. Le temps s’est immobilisé, fixé sur une irréelle aquarelle.

Dès qu'elle le voit s'éloigner, elle comprend que cette fois encore, elle perd une chance d'être heureuse. Elle sent ses rêves de bonheur s'évanouir, disparaître. Elle s'interdit la possibilité de vivre autre chose. Elle se perd un peu plus dans ce labyrinthe de solitude. Elle voulait crier ce qu'il représente pour elle, son besoin, son manque.

Une petite main tire son bras et la ramène à la réalité douce et tendre de cet enfant aimé qui la console d'un joli sourire.  Il n'y a pas de place pour ce beau garçon dans sa vie. Pas maintenant.

Son travail terminé, elle clôt cette histoire éphémère et imaginaire. Elle range ses souvenirs dans un petit tiroir vide mais étrangement heureux. Le souvenir ébauché de cet homme la poursuit dans les gares qu’elle fréquente. Elle s’attend toujours à le voir surgir sur le quai.

 

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Son meilleur ami JGobert

Pendant 20 ans, j’ai vécu dans un monde hostile où j’ai dû m’adapter en fonction des uns et des autres. Un poste dans une entreprise conquis à l’arraché et que j’ai tenu fermement par nécessité. La vie porte des circonstances étranges où la survie est essentielle. Occuper ce poste était vital pour ma famille et pour moi. C’est ainsi que Joël parle de son travail, de ces années de lutte au sein d’une institution.  Des années inquiétantes, stressantes dans le monde du travail. Ses nouvelles fonctions sont autant d’expériences pour lui.

Après les premiers déboires, les premières désillusions, les premiers faux pas, Joël a pris sur lui et a revu son comportement. Très vite, il a compris que cette jungle ne pouvait pas s’apprivoiser et que les conflits seraient continuels, incessants.  Visiblement mal accepté, il se fait discret au contact de ses collègues. Il a besoin de ce travail. Il apprend à se contrôler et à rester sur ses gardes. L’ignorance du pourquoi de cette hostilité, de cette malveillance le dépasse et le déstabilise parfois. Il n’était pas préparé à une telle animosité, un tel rejet.

Une ambiance exceptionnellement détestable au sein d’une institution où chacun tire à lui l’antipathie, la rivalité, l’opposition. Un milieu très difficile à gérer et un personnel exécrable.

Joël se sert de son environnement proche pour se protéger. Son petit bureau mal éclairé, mal meublé devient son refuge, son havre de paix. Durant des heures, il essaie de les comprendre, de saisir le pourquoi du comment. Son travail le satisfait et lui permet de suivre l’actualité de l’entreprise. Il lui donne un certain pouvoir. Après le directeur, il est l’adjoint le plus présent, le plus détesté et celui par qui passe le plus d’information.

L’antipathie de ses collègues ne s’apaise pas. Il reste la cible de quolibets, de mesquineries, de tours non avouables. Conscient de cette atmosphère délétère, Joël s’oblige à s’adapter. Ils ne changeront pas, pense-t-il souvent. L’apparence qu’il donne par son calme, son indifférence le rend maintenant inaccessible.

Au bout de quelques années, les tensions n’ont pas changé mais Joël a beaucoup appris. Là où le malaise frappait, une carapace épaisse est apparue. Devenu imperméable à l’inimitié de ce milieu, il construit son indépendance au sein de l’entreprise. Les petites vacheries se poursuivent mais sans grande conséquence pour Joël. Il a pris de la hauteur, n’essaie plus d’interpréter, ne juge pas, n’émet aucun commentaire. Il a fini par ignorer superbement ces gens dans son for intérieur. Il les laisse dans le jeu qu’ils jouent. Son silence finit par lasser certains.

Maintenant  l’antipathie, les mesquineries continuent, se jouent avec les nouveaux arrivants faisant naitre d’éternels conflits, rivalités. Joël n’est pas étonné que ce jeu de dupe se développe sur d’autres.

Pour Joël, le travail convient, assidu, précis et rien de professionnel ne peut le toucher. Malgré cette triste ambiance, il finit par s’épanouir dans cet endroit.

Joël est loin d’être seul. Grâce à cette situation, il a fait la paix avec lui-même et trouve en lui des richesses inexploitées,  inconnues même. Lui, qui durant des années a galéré, se retrouve face à face avec lui-même et en bonne compagnie. Il s’invente de nouveaux horizons. Ses moments de pause, de repos le plongent dans des rêves inconnus et il en ressort transformé. Ce tête à tête avec lui-même lui apporte la sagesse et dans cette solitude forcée, il apprend  étrangement l’écoute de l’autre.

Joël a bien changé. Les réactions impulsives, les remarques désobligeantes, les coups bas, tout se transforme en audience, en analyse. Il en tire à chaque fois une leçon exemplaire. Joël s’enrichit chaque jour.

Les années passent et son indépendance vis-à-vis des autres finit par se transformer en respect. Devenu intouchable,  une crainte de lui est née et le protège. Certains même viennent lui demander conseil. Le temps des moqueries est passé.

Joël n’oublie rien de ses années de galère et, malgré ce nouveau statut inhabituel, reste toujours sur ses gardes. Sa vie personnelle a beaucoup changé aussi. Devenu accessible, à l’écoute des siens, de nombreuses oppositions sont évitées. Les années de travail lui ont beaucoup appris. Métamorphosé, il a parfois un petit sourire narquois.

Arrivé au terme de son labeur, il quitte son poste sans regrets avec le sentiment que toutes ces années l’ont beaucoup protégé. Il a appris beaucoup sur la vie.

Au fil du temps, certains comportements ont changé, l’institution a beaucoup évolué. Elle s’est ouverte sur l’avenir, sur le changement. Le nouveau personnel s’adapte plus aisément, plus facilement avec moins de conflits. Tout s’est adouci.

Le regard de Joël est sans jugement, sans commentaire. Il est devenu maître de lui-même et son meilleur ami.

 

 

 

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Dénouement JGobert

Ecrire contre une forme de solitude, remède pour ne pas se sentir seul. Ecrire au nom de l’amitié, celle qui reste de nos rêves d’antan. Chimères chargées de nos années passées qui nous ont permis de demeurer ce que nous sommes, qui ont alimenté nos destinées quand la vie nous les confisquait, quand le vide de l’existence remplissait les jours et les cœurs. Des mots attendus pour rendre plus léger l’instant présent, oublier la tristesse de l’indifférence, de l’abandon.

Ecrire des mots pour raconter, décrire, éclairer la condition. Décrire sous des mots festifs une vie qui s’étiole, se déprime, se tire, Oui, il a arrêté une correspondance qu’il sentait partir à la dérive, qui s’embourbait dans le désamour, le désintéressement. Le temps a fait son œuvre. Lassitude, incertitude, embarras se sont édifiés malgré des perceptions sincères et réelles. Cette correspondance lui était précieuse, pleine de moments heureux, d’instants délicieux. Il les revivait avec passion en les écrivant avec bonheur. Tous ses souvenirs ainsi écrits lui paraissaient plus vivants, plus ardents.

Entretenir une amitié franche, loyale se vit dans la complicité, la joie, le plaisir et non l’ambiguïté, le mensonge, l’abandon de soi-même comme de l’autre. L’amitié a fini par tourner au burlesque par des lettres sans suite, des questions sans réponses.

L’envie a disparu, la magie s’est envolée. Les mots s’échangent, s’écrivent vide d’émotions, de vie. Né alors une sensation étouffante, pesante, poussant à stopper ce feuilleton à un personnage, cette saga devenue solitaire. Le choix s’est abattu sur ce qui a été une belle histoire.

Sortir à cette heure de ces années de complicité calculée devient inévitable.  Les intolérables  silences toujours trop longs, trop lourds atteignent, blessent l’âme, le cœur. L’absence dans le silence est mortelle. L’emprise s’abat et enferme l’esprit.

Une prison d’habitude de mots s’installe et au loin, une porte, une fenêtre se ferment pour toujours. Prisonnier, il étouffe, il a besoin d’air. Un besoin de liberté, un besoin d’écrire sa liberté. Impossible de l’empêcher d’écrire ce qu’il veut, sinon il n’est plus lui.

Il respire enfin.

Le script a transcrit trop de banalités, de clichés, de négatifs qui ne correspondent plus à rien. Tout est devenu vide de sens, de sensation. La rupture, la séparation murement réfléchie a pris le temps de s’installer et est devenue bien réelle. A cet instant, tout est simple, facile, sans douleur, naturel.

Il n’écrit plus.

 

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Le silence JGobert

Adeline frissonne. Il est tard. La nuit est tombée. Le silence s’est installé dans les couloirs et dans cette salle où elle attend depuis un moment. Elle se surprend à écouter ce silence qui l’entoure, l’enveloppe.

Ce silence qui efface tout.  Elle sait que sa mère va partir, sans faire de bruit. Ce calme atténue son tumulte intérieur après toutes ces années de crainte, de vacarme, de révolte.

Sa mère a eu une vie compliquée et est tombée dans un long silence depuis des années. Adeline s'est habituée à cette situation et s'en accommode. Une vie différente commencée dans l’enfance, une existence ponctuée de tristesse, de chagrin, parfois d’espoir.

Petite, elle aimait le silence de l’obscurité. Fenêtre ouverte, elle écoutait les éphémères murmures de la nuit et le silence tombant de la voute céleste. Parfois le passage silencieux d’une pluie d’étoiles lui rendait le sourire.

Depuis ce coup de téléphone tonitruant, elle court comme une folle à travers la ville.  Arriver vers elle, une fois encore à temps. Etre là toujours pour lui tenir la main, ne pas parler, la rassurer par sa seule présence.  Mais ce soir, elle arrive pour la dernière fois. Adeline, anéantie, sait qu'elle va vivre un dernier silence.

Dans le clair-obscur de cette salle où elle doit patienter et attendre l’autorisation de rejoindre sa mère, le temps s’est arrêté. Les choses importantes de sa vie vont chavirer, changer. Un vide immense s’installe déjà dans une montagne de souvenirs, de pensées, de rires, de pleurs. Ses larmes coulent muettes.

La porte s’ouvre enfin sur un médecin qui sait. Son visage n’est pas fermé et ses yeux sont apaisants.  Adeline peut enfin entrer et s’assoir au bord de ce lit immaculé. Sa mère repose, apaisée, présente encore quelques minutes.  Son souffle s’amenuise.  Elle est immobile, l’ange consolateur à ses côtés.

Adeline a vécu maintes fois cette scène dans sa tête et dans son cœur, comme un film qui passe en boucle. La souffrance cachée d’Adeline ne lui pèse pas, elle l’accepte et veut la garder encore, encore.

 Adeline ne peut croire à cet instant qui arrive et qui sera définitif.  Cet ultime silence lui semble étrange, comme irréel. Il va les séparer l’une de l’autre de toutes ces années de vie. Chacune de son côté partira.

Adeline veut crier, hurler. Se libérer, se secouer soudainement de ce silence qui l’enferme depuis si longtemps. Sa mère, toujours présente, remue les lèvres dans des mots inaudibles. Un ultime souffle et Adeline s’effondre dans des sanglots inconsolables.  La vie de sa mère s’est arrêtée pour l’infini. Main dans la main, quelques instants encore, le silence récupère sa place laissant l’histoire s’éteindre doucement. Le silence a accompli l’inévitable, l’inéluctable.

Dans la salle voisine, une porte s’est ouverte. Le tic-tac d’une horloge se fait entendre. Le temps a repris sa course.

 

 

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Voyages JGobert

Thomas en a vu d’autres. Enfermé dans son bureau, la tête entre les mains, il somnole un instant dans le calme. La journée a été difficile, rude même. La sueur recouvre son corps et le rend poisseux. Sa chemise ouverte lui colle à la peau. Il est exténué.

Cette ville est étrange. A force de la parcourir, elle devient familière, parfois insolite mais toujours hostile. Depuis son arrivée, la chaleur ne le quitte pas.  Ses nuits sont tourmentées comme ses jours. Certains soirs, ne pouvant dormir, il quitte son immeuble pour déambuler dans les rues. Le peu de fraicheur qu’il trouve le rend heureux. Il marche parfois très tard avant de retrouver son équilibre, son énergie, sa détermination, ce pour quoi il est là.

Thomas est un gars brillant. Une route toute tracée a réjoui ses parents longtemps mais Thomas n’accepte pas les facilités, le don qu’il possède.  Il a besoin de prouver sa valeur. Pour ce faire, il a opté pour un autre chemin.

Thomas s’est engagé dans une organisation qui parcourt le monde. Des gens qui, comme lui, s’investissent dans l’humanitaire.  Soigner, aider, soulager d’autres personnes dans des pays lointains, souvent en guerre est devenu son quotidien, sa vie.

Egoïstement, Thomas a besoin de contact, de réalité pour se sentir vivant. Arrivé depuis peu dans ce coin de terre au long de la Méditerranée, il est face à l’exode. Une de plus qui engendre la misère, la mort. Des migrants par millier débarquent sur ces côtes parfois inhospitalières. Des groupes d’hommes désorientés, perdus dans leur dignité, à la merci d’autres hommes et qui s’échouent, au risque de leur vie,  épuisés de ce parcours, de ce départ.

Couchés à même le sol pour certains, c’est déjà l’eldorado mais le chemin qui reste à franchir est encore long.  Thomas le sait.

Aujourd’hui est un jour sombre. Une embarcation a chaviré et les corps de ces malheureux, repêchés, sont arrivés sans vie. Une liste macabre circule et Thomas est très affecté. Mais le temps lui manque comme à ses collègues pour s’émouvoir sur ces corps sans vie.  Les vivants demandent son attention. 

Rassembler, nourrir, soigner cette masse d’arrivants toujours renouvelée. Une tâche parfois difficile, pénible. Thomas s’active avec toute l’énergie de son être, il donne de la nourriture, de l’eau, un peu de réconfort pour ces migrants nés dans l’infortune. Un sourire, une petite poignée de main et Thomas leur transmet un peu d’humanité.

Devenu responsable et comptable de la survie momentanée de ces gens en partance pour un autre pays, Thomas vieille sur eux le temps d’obtenir un papier, un visa. Tel est le désir de chacun.

Les guerres jettent ainsi des milliers de gens sur les routes, sur la mer et sont assassines. Ces hommes en quête de vie pour leurs femmes et enfants se sauvent. Le peu de bien qu’ils possédaient a payé un passeur souvent sans scrupule. Drôle d’époque qui se répète.  Thomas pense à cette comète célèbre tant applaudie et à l’exploit de l’homme de déposer dessus un engin de sa fabrication.

Alors qu’ici règne en maître l’homme dans la désolation, la peine, la crainte, la mort. Le monde le blâmerait-il de vouloir sauver sa vie ? Thomas est certain d’être du bon côté de l’humanité même si elle n’est pas reluisante. Elle est vivante.

 

 

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Jeanne et Thomas JGobert

Dans un petit local où l’ampoule dénudée éclaire des visages chagrinés, le silence règne en maître. Tous s’observent. Tous se regardent. Pour parvenir dans ce lieu, une petite ruelle sombre avec une porte cochère qui donne dans un couloir étroit mal éclairé. Un long chemin à parcourir avec soi-même pour arriver à cet endroit.

Certaines personnes se connaissent. Ils se côtoient depuis un moment. Ils savent.

Bien des années plus tôt, Jeanne a traversé une période très difficile. L’enchaînement d’une vie stressante, bouleversée. Divorcée, elle a quitté sa maison, son quartier, ses voisins. N’arrivant pas à faire surface, elle a perdu son boulot et ses amis. Ceux-ci se sont dispersés pour disparaître peu à peu et tout a tourné au cauchemar.

Jeanne veut se battre seule. A la recherche d’un travail, elle sonne aux portes, envoie ses coordonnées, laisse son numéro de téléphone. Et le soir, pour se réconforter, Jeanne prend l’habitude de boire un verre. Un verre pour s’apaiser, un verre pour se détendre. Chaque soir, c’est devenu un rituel. Un petit verre salvateur, un ami qui l’attend dans cet appartement vide. Tous ces petits verres l’aident à trouver l’instant plus agréable. Ils deviennent nécessaires à sa vie. Jeanne ne s’inquiète pas, elle s’arrêtera quand le moment sera venu.

Les cadavres de bouteilles remplissent sa poubelle et Jeanne prend maintenant un petit verre le matin pour partir à son nouveau travail. A midi, elle ne mange pas et s’autorise néanmoins une petite pause, un petit verre pour se rafraîchir. Toute sa journée est ainsi ponctuée de petits verres. Jeanne a sombré dans l’alcool.

Un soir, assisse dans un café, elle est incapable de rentrer chez elle et s’endort sur la banquette. Abandonnée à elle-même, elle pleure souvent dans les effluves de cet alcool qui la détruit jour après jour.

Dans cette salle d’accueil, des chaises en arc de cercle et des participants de tous âges, hommes, femmes attendent.  A côté de Jeanne, une dame encore jeune qui a perdu un fils dans un terrible accident de voiture, qui buvait pour oublier. Un représentant de commerce qui a, lui aussi, combattu le stress, la fatigue, le chiffre d’affaire par l’alcool et fini par avoir un grave accident. Une jolie dame, fort distinguée qui a force de s’ennuyer et d’attendre  avait commencé à boire. Tous sont marqués par l’alcool et le savent.

Au cours des périples de Jeanne dans les cafés de son nouveau quartier, elle a rencontré un jeune homme, gentil, qui lui parle parfois. Elle n’espère rien de cette rencontre, mais attend inconsciemment chaque soir sa venue. Elle temporise et n’hésite pas à s’octroyer un peu de réconfort en buvant un petit verre de plus.

Souvent, elle rentre chez elle titubante, chancelante et s’effondre sur le lit froid. Jeanne, au réveil, se souvient peu de sa soirée. Sa nouvelle voisine connait le manège de Jeanne et s’inquiète.

Un soir, quelqu’un sonne à sa porte. C’est la voisine accompagnée de ce jeune homme qu’elle a rencontré dans ce bar. Bénévole dans une association,  quelques personnes l’ont prévenu de l’état de Jeanne. Thomas a fait connaissance de Jeanne dans un café mais il n’a pas obtenu une écoute suffisante. Il a donc attendu un meilleur moment pour se présenter.

Jeanne n’a pas besoin d’aide.  Elle n’a pas de problèmes. Son addiction sera vite résolue dès qu’elle le décidera. Thomas acquiesce mais connait trop cette vérité et ces mots jetés comme des bouteilles à la mer. Il laisse donc Jeanne à elle-même et lui propose de la revoir. Jeanne n’a besoin de personne en ce moment. Thomas a compris le message et laisse Jeanne à ses démons.

La salle s’anime et l’animateur arrive. Un homme à l’écoute qui s’installe et propose aux participants de se présenter. Jeanne est là, collée à sa chaise et reste silencieuse.  

C’est Thomas qui l’a amené ici, juste pour voir, juste pour écouter. Jeanne reste muette. Cette démarche un peu étrange ne lui ressemble pas. Elle a pourtant accepté d‘être là, physiquement.

La réunion s‘achève et l’animateur présente Jeanne aux participants. Ceux-ci l’accueillent chaleureusement.  Jeanne éclate en sanglots, un moment difficile. Un pas vers l’indépendance, vers la délivrance, vers l’abstinence.

 

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Une autre norme JGobert

L’histoire un peu étrange d’un petit homme pas comme les autres. Rencontré au détour d’un chemin, je le trouve singulier, hors norme. Tous ses gestes sont bizarres, articulés dans un ordre non réglementaire qui, à force de le regarder, me donnent le tournis. Son visage, lui aussi, m’interpelle et ses grands yeux me fixent, me clouent dans ma réalité. Je suis étonnée, subjuguée par ce petit bonhomme qui se déplace difficilement mais qui a le sourire aux lèvres. Chaque matin, quand le temps le permet, je vais au parc voir mes petits copains. Je n’ai pas beaucoup d’amis et ceux que je fréquente sont de passage. Je suis fragile. Ainsi, face à la petite fontaine du parc, mon esprit prend possession de l’endroit et en fait un véritable havre de paix. J’arrive à délimiter cet endroit et en faire mon petit paradis. Je vis dans un autre monde, celui du rêve et je suis un peu décalée dans cette société. Cette semaine, le petit homme n’est pas apparu et inconsciemment, je l’attends. Je l’attends pour l’inviter à venir s’assoir à mes côtés et dans un premier temps, rester ainsi paisiblement à regarder le tableau toujours plus beau et vivant de ces moineaux qui se posent, jouent et repartent aux moindres bruits. Tenaces, ils s’envolent mais reviennent toujours attendant les miettes que ma vie perd chaque jour. Le petit homme n’est pas venu. Un peu déçue, je me lève et repars vers cet appartement qui m’enferme de plus en plus sur moi-même. Demain n’est pas loin. Je reviendrai. Les jours suivant, mon attention est attirée par un camion de déménagement. A quelques pas de mon habitation, des manutentionnaires vont et viennent. Cartons, meubles, le tout passe du camion à l’appartement du rez de chaussée. Portes et fenêtres sont ouvertes. L’appartement n’est pas grand mais suffisant pour y être bien. Ma curiosité s’arrête là et je reprends ma promenade quotidienne dans le parc où j’arrive à respirer librement. Tout est à sa place et j’avoue ne pas aimer le changement. Au détour d’un chemin de traverse, j’aperçois mon homme désarticulé qui se promène, seul, le sourire aux lèvres. Son regard croise le mien. Nous sommes deux inconnus dans ce parc et j’ai l’impression d’avoir déjà vécu ce moment dans une autre vie. Mon banc m’attend, mes oiseaux aussi et mes pensées sont pleines d’images nouvelles. Une bouffée d’optimisme ou plutôt un petit moment d’emballement intérieur que cette rencontre me délivre. Ce jeune homme respire la joie malgré ce handicap qu’il ne peut cacher. Mon résonnement est primaire. La norme n’est pas la mienne. Je suis toujours dans l’imposture de la masse qui veut que tout se ressemble, que tout soit pareil. Quelques jours plus tard, c’est lui qui s’approche et vient me saluer. Sa voix est tendre et douce. Son regard bleu et limpide. Cette fois, je suis impressionnée de le voir près de moi. Il prend possession du banc avec difficulté et se prête volontiers aux jeux des questions et des réponses. Son parcours est singulier, atypique. Il a dû se battre chaque jour pour apprendre les gestes courants de la vie. Mais loin d’être aigri, il se révèle être quelqu’un de joyeux, d’heureux et de rayonnant. Il connait ses limites, ses besoins, ses exigences. Son indépendance commence ici, pas sa liberté. Il sait que rien n’est facile. Il a déjà vécu le pire. Je lui propose mon aide. Son autonomie ne sera jamais complète et il le sait. Il l’accepte avec beaucoup d’intelligence et me gratifie du nom d’ami. Nos vies se ressemblent, blessées, cassées. Les critères des hommes ne s’appliquent pas à nous. En somme, nous n’en voulons pas. Notre normalité est autre, elle nous ressemble et nous appartient. Dans ce monde où tout doit être dans la norme, nous avons décidé tous les deux de vouloir le meilleur, pas la perfection. C’est un travail ardu mais grâce à notre nouvelle amitié, de nouveaux horizons s’ouvrent à nous. Mon cœur s’emplit de bonheur. Il sait que mon amitié lui est acquise.

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Une belle soirée JGobert

Une soirée commencée par des rires, des plaisanteries et tout autour un public conquis. Un décor planté pour une scène de théâtre de la vie courante, une page amicale jouée dans un décor familier. Les participants ne sont pas acteurs, ils ne sont pas en représentation, ni ne font pas partie d’une troupe. C’est un repas de famille.

Un homme est au centre de cette réunion.  Comme à son habitude, il parle, parle fort, parle trop fort. On n’entend que lui et déjà elle sent son cœur se glacer. La peur s’installe dans ses veines et attend la suite.  Rapidement la conversation et les regards se tournent vers elle. Des sous-entendus durs, tenaces arrivent à ses oreilles. Certains regards se baissent, se détournent. L’assistance se cache derrière le silence et  l'indifférence. Une fois encore, sans que personne ne bouge, il va lui faire son portrait.

Souvent blessée par des paroles insidieuses, perfides, sournoises, elle reste figée sur sa chaise, la tête droite comme pour comprendre le sens réel de ces mots qu’il lance comme des poignards. Cette histoire dont les paroles s’acharnent à la blesser. Immobile, elle se laisse couvrir d’insultes, de ce flot de mots offensifs et ne comprend pas tout. Son regard s’échappe et comme secours, elle fixe un point dans la pièce pour s’y accrocher, ne pas vaciller, ne pas pleurer.

Prise dans un tourbillon de haine, elle reste là, étrangère à tout ce bruit, subissant des propos désobligeants comme des coups.  La carapace qui la protège, révèle une nouvelle impuissance, une nouvelle bataille à gagner dans cette vie qui s’étire dans des jours sombres.

Personne ne prend sa défense. Les regards fuyants de ces gens ne la touchent plus depuis longtemps.

Sa passivité toute relative la protège malgré tout de cette vie qui part à la dérive et qui cherche une autre rive, une autre attache comme un rêve perdu. Son cœur est froid et seules coulent des larmes de blessures invisibles comme une rédemption éternelle d’un châtiment qu’elle s’inflige. Souvenirs d’un autre temps qu’elle revit, coupable de n’être pas intervenue, une douleur silencieuse, muette, secrète.

Le passé et le présent la portent encore, les angoisses la tiennent debout devant ce rempart étrange de l’existence. Elle se bat à sa manière, sans faire de vagues et attend l’avenir pour atteindre un monde de paix. Une souffrance lourde et sourde la rattrape à chaque détour du chemin et la fait trébucher, tomber.Lâche dans ce monde de dupe, elle reste là victime consentante.

Elle aimerait effacer ses peines pour se tourner vers autre chose, une autre vie, un autre destin. Faire comme certaines qui crient haut et fort la solution mais qui subissent également ne voulant pas l’admettre.

Ce matin, le ciel couvert de nuages la laisse songeuse. Le cœur à nouveau blessé apostrophe la vieille marionnette cachée en elle et toujours en représentation. Un déguisement comme une seconde peau cache sa solitude, son isolement intérieur et la rend si triste.  Marionnette qui manie et laisse place aux rires amers pour ne pas pleurer un océan de larmes.

 

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La rose rose JGobert.

Poser devant soi son savoir, en faire un chemin qui s’étire au loin avec nos expériences, nos joies, nos doutes, nos échecs et se mettre à réfléchir à ce que la vie nous a apporté de bien et de mal. Parcourir ce chemin et se souvenir des efforts qu’il a fallu faire pour en arriver là, content, déçu parfois. Réaliser que le résultat escompté est loin d’être celui rêvé mais réaliste d’avoir fourni avec foi, un labeur correct sur cette route parsemée d’embuches.

Des histoires, des rencontres, des départs, des trahisons sur ce dallage où chaque pierre représente un évènement singulier de notre existence. Un puzzle qui se complète à l’infini et où parfois échappe une pièce que l’on veut à tout prix effacer de notre mémoire mais que la réalité rattrape  bien vite.

Les grands sentiments en premier sont là pour nous faire revivre cette vie si vite passée avec le bonheur intense de les avoir ressentis. L’amour que l’on a rencontré une fois ou deux et qui s’en est allé comme partent les roses. L’amitié indéfectible, fidèle qui a duré ce que durent les roses aussi. Tous deux ont laissé un grand vide et de nombreux pourquoi !  Le temps a effiloché tout ce qui se raccroche au cœur et le laisse néanmoins battre encore.

Apprivoisé et renié, il a fallu gérer, se battre pour ne pas sombrer et remplacer par d’autres sentiments ceux qui trop tôt nous ont trahis. Anéanti parfois par un rejet, un refus, un abandon.

Et un jour, un arc en ciel dans un ciel magnifique, un clair de lune sous un ciel étoilé, s’installe sur ce chemin du savoir et change la forme de ce puzzle en joie, bonheur. Une fée, toute de rose vêtue se pose sur notre épaule et rend au jour son regard, son sourire, ses baisers. 

Tout ce que l’on croyait disparu ressuscite avec force et d’un mot, d’une phrase, la couleur du monde  réapparait. Les jeux de dupe, les impostures font place à une nouvelle réalité.  Tout le savoir reprend sa place dans ce labyrinthe des choses de la vie. Les mensonges du temps disparaissent pour faire place à une autre vérité.

Les ressentis, les contre-vérités se sont calés entre les dalles de ce chemin du savoir et survivent tant bien que mal. La liste de nos bonheurs inscrits à l’encre et qu’un tampon rouge, d’un geste brusque, avait frappé du mot « refusé »  réussit à s’effacer pour réapparaître en rose.

La vie fait place à l’innocence la plus pure. Un regard limpide, un sourire étincelant, des tendres baisers, le bonheur dans cette rose rose de la vie.  

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La lettre JGobert

Au coin de l’avenue, face au parc centenaire  de cette petite ville de province, un homme âgé tire un sac bizarre, un sac rempli de vieilles lettres non envoyées. Elles sont incomplètes, mal rédigées. Des écrits remplis de blancs, de phrases interrompues, de mots fades sans sentiments. Des émotions non exprimées, refoulées, et jetées ainsi sur du papier. Il traine cette charge depuis des années. Personne ne veut l’aider, le soulager, le débarrasser de ce fardeau. Nul ne veut prendre sa part et accepter qu'il n’ait pas été à la hauteur à un certain moment de sa vie.

Habillé d’un long manteau, il fait peur et arrivé à ma hauteur, il me tend un brouillon qui me concerne. D’abord je refuse. Ce papier n'est pas à moi. Je le sais. Une lettre de moi. Je n'ai jamais écrit ces mots raturés. Me voici plongée dans un autre monde, celui de mon passé, des années auparavant.

Il sait depuis longtemps que personne ne veut reconnaître ses vieux démons qui sont nos peurs, nos souffrances, nos délires.  Il fait quelques pas. Il repart avec le fardeau continuer son éternité, sa quête sans succès.  Il garde son sac de lettres d’incompréhension.

Et pourtant ! Si j'avais eu le courage de le faire. Tout aurait changé. Mais je ne l'ai pas fait.  Il insiste. Il y en a d’autres. Non, non… Je suis certaine de moi.  Reprenez votre courrier, il n'est pas à moi.

Parfois, il lui arrive de mettre la main dans ce sac et d'en tirer quelques-unes juste pour leur donner vie un instant.  Des lettres écrites sur du papier bleu qui n’ont ni nom, ni adresse, ni date. Une rencontre éphémère, un moment très court que le vent a emporté.

Les lettres écrites d'une main d’enfant sont terribles. Elles recèlent, révèlent des secrets insensés. Des cris étouffés. Des silences lourds. Des mots que les adultes ne veulent pas entendre et que les enfants ne disent, n'envoient jamais. Des souffrances indicibles, des jours de tristesse, des nuits de pleurs, la solitude.


Celles encore écrites sur du papier pelure pour alléger le poids de la souffrance, du malheur. Elles sont nombreuses. Elles gardent l’empreinte de la douleur. Et ce parchemin vieilli prématurément qui le rend presqu’illisible. Ecrit en lettres d’or, il relate bien des tourments.

Que de secrets dans ce sac, que d’histoires non abouties, dans ces plis parfumés, dans ces papiers jaunis. L'homme connaît toutes ces litanies par cœur et ne trouve personne qui veuille les prendre, les compléter, les finir.  

Le soleil est apparu. Ses rayons réchauffent les allées. Il traverse la chaussée et se dirige vers le parc. Il pose ses pas dans les empreintes d’autres pas pour ne pas changer le cours du temps. Il veut passer incognito pour ne pas effrayer les passants. C’est maintenant  un facteur qui ramasse toutes ces notes, ces pensées, ces vœux, ces désirs, ces regrets, ces remords abandonnés.

Il revient vers moi. Insiste encore.

Non, je ne veux pas la reprendre, la terminer, l’envoyer.  Compléter  ces blancs  que j’ai refusé d’écrire, de dire. Le passé est le passé. J'ai soudain mal d’une douleur étrange. Mon cœur se crispe. Et si je m'étais trompée. Et si j'avais changé par cette lettre non porteuse  le cours des choses, cette réalité qui n'est pas, qui n’existe pas.

Assis sur un banc,  l'homme a trouvé une âme lucide et celle-ci est troublée. Cette personne ne comprend pas cette démarche et d’un geste brusque,  jette cette lettre inachevée dans le caniveau.

Qui est-il pour venir ainsi troubler la paix des braves gens ?  Qui est-il pour réveiller ainsi un  passé révolu ? Son sac si lourd ne peut-il pas brûler et laisser sereine la conscience des passants. 

Instinctivement, je le suis. Je marche derrière lui. Il souffre de tant d'histoires inachevées, de ruptures, de discordes, de tristesse, de violence. Il aurait aimé distribuer la beauté,  la bonté, le bonheur, la vie. Il est âgé, fatigué et je sens qu'il veut me parler. J'attends.

Des passants nous croissent. Leurs regards s’arrêtent sur nous. Leurs âmes savent. Le vieil homme s’immobilise mais il n’a rien à me dire. Je connais  déjà les propos me concernant.

Debout dans l’allée du parc, je tente mentalement de remplir les blancs que j’ai laissé dans mon passé. J’hésite.

J'hésite comme le jour où j'ai tourné le dos, baissé les bras, refusé de parler.  J'hésite comme le jour où je n'ai pas pardonné, oublié, tourné la page. J'hésite comme le jour où je n'ai pas su dire je t'aime, reste, ne t'en va pas.  J'hésite comme le jour où je n'ai pas fini cette lettre.



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L'oncle Achille JGobert

L’oncle Achille est rentré des Amériques, la tête pleine de souvenirs, de scènes exotiques, d'images importées de ces pays lointains. Il a bourlingué, navigué de longues années sur les côtes sud-américaines avant de donner de ses nouvelles. Il a envoyé quelques lettres étonnantes à tante Adèle et sa jeune sœur décrivant des aventures surprenantes parfois insolites.

Un dimanche ensoleillé, il est arrivé au pays. Vêtu d’un vieux costume blanc, le sourire aux lèvres, les yeux pétillants. Son visage buriné par le soleil, sa barbe rousse lui donne l’air d’un marin méditerranéen. Son accent a un peu changé. Il parle vite et fort. Son sac de voyage, élimé, posé à même le sol, donne une idée de ce qu’a été sa vie durant tout ce temps.

Tante Adèle n’en revient pas. Voir Achille dans sa maison est un souhait qu’elle a longtemps voulu voir se réaliser. Elle a tellement pensé à lui, prié depuis son départ, qu’elle en est toute émue. Prendre dans ses bras ce petit frère espiègle, malicieux, taquin la remplit de joie. Elle en a les larmes aux yeux.

Assis dans la cuisine familiale, qui n’a pas changé, le ramène des années auparavant. La vie a passé si vite. Le revoilà à parler d’êtres chers qui, malheureusement, ont disparu. Achille se replonge dans ses souvenirs. Adèle se souvient également.  Du père devenu silencieux, taciturne et leur mère, qui n’a jamais rien dit mais qui pleurait souvent sans raison. Ils s’en sont allés.

L’histoire de l’oncle Achille a fait couler beaucoup d’encre,  d’interrogations, de mystères même, et beaucoup de larmes. L’oncle Achille a disparu le soir de ses seize ans, il a embarqué clandestinement sur un navire marchant rejoignant l’Amérique du Sud. Sa vie à bord du bateau est secrète, elle reste une énigme, il n’en parle pas.

Par la suite, dans ses lettres, il parle du Brésil, de l’Argentine. Une longue et aventureuse descente le long de la côte de l’Atlantique,  remplie de moments de découverte. Un destin de bourlingueur avec de temps à autre des pauses travail qui ont fait de lui un homme. Ensuite il a visité  la côte pacifique découvrant en de nombreuses étapes le Chili, le Pérou, la Colombie, le Venezuela. Des années durant, il a parcouru ces pays apprenant tout de ces régions, les coutumes, le folklore, la musique, l’ambiance festive malgré l’adversité. Un long périple à travers un continent exceptionnel et une richesse humaine incomparable.

Ma mère, sœur de ce gai luron n’apprécie que moyennement ce retour fanfaronnant. Elle lui en veut toujours  d’être parti comme un voleur, et d’avoir laissé les parents dans l’inquiétude. Elle n’est pas tendre avec l’enfant prodigue et le lui fait comprendre. Oncle Achille sait que sa petite sœur lui en veut. C’était sa préférée à l’époque. Celle à qui il a pensé dans ses moments de cafard et de tristesse. C’est vers elle qu’allaient ses pensées mais il n’a aucun regret de cette vie d’aventure.

Tante Adèle le presse de questions. L’oncle Achille répond. Il a ouvert son sac à souvenirs et en sort quelques ustensiles d’un autre temps, vieillis par le voyage. L’histoire de ces choses qu’il décline avec conviction les rend précieuses, rares, uniques. Certains cadeaux qu’il offre à Adèle sont de véritables objets d’art et ceux qu’il pose sur la table pour ma mère lui rappelle l’enfance, des moments privilégiés de sa jeunesse. Souvenirs intemporels. Ma mère, toujours fâchée, ne les regarde même pas.  

L’oncle Achille n’a pas vidé son sac complétement et garde un secret à l’abri des regards. Des photos, un foulard, un cadre renfermant l’image jaunie d’une jeune femme à la chevelure noire. Il sourit en la regardant et l’espace d’un instant devient grave. Adèle a vu immédiatement la tristesse, le chagrin se dessiner sur le visage d’Achille.  Elle reste silencieuse.

Tout à coup, toutes les années d’absence d’Achille prennent un autre sens, une autre perception, tellement importantes qu’elle se sent coupable de n’avoir pas saisi, compris le pourquoi de son éloignement. L’oncle Achille n’était pas seul à partir. L’image du bourlingueur fait place maintenant à un jeune homme qui a tout quitté pour une femme, pour un amour impossible, une passion dévorante et d’un autre temps.

Ma mère aussi se rend compte qu’Achille est sur le point de livrer une vérité. En un quart de seconde, elle comprend le pourquoi du départ de ce frère qu’elle aimait tant. Ses yeux rougis laissent couler des larmes qu’elle essuie d’un revers de la main.  

A l’époque, l’oncle Achille a rencontré une jeune femme très belle dont il est tombé éperdument amoureux. Une chevelure noire lui couvre le dos. Elle sillonne les villages avec de vieilles caravanes et un cirque amateur.  Des gens du voyage qui traversent le pays. 

Cette histoire s’est répandue dans la région et le père d’Achille a mis un terme à cette idylle. Achille n’en a plus parlé et le cirque est reparti emportant cette jeune fille loin de lui. Le soir de ses seize ans, de petits cailloux frappent à sa fenêtre. Intrigué, Achille se précipite et c’est sa belle aux cheveux noirs qui se tient là, debout, un sac de toile à la main. Un instant d'une grande intensité pour Achille. Le monde s'ouvre devant lui. Il est heureux et amoureux.

Un bateau les attend.  Achille et sa compagne partent. Main dans la main, ils embarquent laissant derrière eux un court passé et un nouvel avenir devant eux. L’histoire ne dure que quelques mois. La belle tombe gravement malade et meurt. Désespéré, Achille continue le voyage seul, le cœur brisé par cet amour perdu mais convaincu que le destin lui a choisi cette vie. 

 

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La source JGobert

Sous un ciel débarrassé de nuages brille le soleil pâle d’un début de printemps. La douce lumière augmente et se répand sur la terre. La végétation s’éveille et de nombreuses fleurs font leur apparition dans cette nature renouvelée.

Au pied d’un arbre centenaire bouillonne une source naissante. De l’eau claire et pure jaillit de la terre et s’écoule doucement vers un chemin qu’elle a choisi. Sur quelques mètres, elle hésite à prendre la bonne voie et finit par s’engager vers cette pente douce qui la conduit dans le creux d’un petit vallon. Elle a trouvé son lit, minuscule au ras du sol. Toujours plus claire et limpide, elle scintille de mille éclats. La lumière du jour plonge dans cette pureté et brille comme au premier jour.

Son lit, couvert de petits cailloux, laisse place à la transparence. Un miroir de l’âme au sein de ce paradis.  Il n’est pas rare de voir quelques petits résidants se déplacer, avec grâce, entre les cailloux dans cet environnement enchanteur. Des végétaux eux aussi ont pris position et s’acclimatent  avec bonheur dans ce lieu extraordinaire.  Les petits roseaux aux pieds mouillés se balancent délicatement au gré du vent.

Au bout de quelques centaines de mètres, la source rencontre un obstacle de taille et s’en détourne. Elle tombe alors dans un petit ravin dans un bruissement incroyable, elle éclabousse cette nature, ce paysage.

Avec cette cascade, la minuscule rivière a pris de l’assurance et se lance maintenant dans les terres fertiles du comté. Elle traverse campagne et villages gaiement apportant avec elle la vie. Passant sous des ponts de fortune, elle agrémente avec bonheur le regard des passants. Elle gagne les moulins et travaille avec contentement pour les meuniers des environs.

Son parcours continue et rejoint une forêt qu’elle traverse sereinement. Les habitants de cet endroit l’apprécient et viennent boire à son eau. Quelques mares formées de sa vie abritent des batraciens épris de liberté et passionnés par cette eau fraiche.

Plus loin, elle se jette dans un petit lac où s’est installée une famille de castors.  Bruyants et joyeux, ils répandent la gaieté autour d’eux. 

Les oiseaux de passage s’arrêtent dans ce havre de paix et s’immobilisent un instant. Ils goutent un instant à cette vie sédentaire que d’autres ont choisi. Le lac bouillonne de vie et laisse s’infiltrer les rayons du soleil au plus profond de lui-même, atteignant ainsi les profondeurs obscures et froides de ses entrailles.

Notre amie continue son parcours, heureuse de quitter cet endroit, elle s’aventure vers la ville, voisine inconnue,  et tombe dans un fleuve où la pollution fait sa réalité. Elle étouffe de cette souillure qui l’envahit, de tous ces déchets qui l’entourent, de cette odeur de mazout qui l’incommode. Elle se bat, lutte pour ne pas disparaître, engloutie entièrement par cette saleté.

Après avoir accompagné ce fleuve quelques kilomètres et à bout d’oxygène, elle sent un petit courant la dévier et la tirer vers la rive. Une porte de sortie où elle s’engouffre rapidement. Dans cette direction,  elle se libère de cette emprise malsaine. Un passage, un chenal se dessine devant elle qui la dirige vers une nouvelle aventure qui la rassure.

Elle reprend vie et la douceur de ses berges la réconforte.  Elle est sortie de cette triste misère et en garde un profond et douloureux souvenir. Voilà des étendues planes où elle voyage légèrement aux pieds de saules accueillants.  Des pêcheurs, assis sur les bords de son passage, taquinent le poisson.  Ces hommes l’apprécient, l’aiment, la respectent. Ils sont ses amis. Tout le long de ce parcours qui dure des jours, elle traverse de nouvelles contrées, des terroirs ignorés, des régions inconnues.

Le temps a changé et laisse place à l’averse, la pluie, le vent. Son débit, renforcé par la tempête, est devenu tumultueux et agité. Elle n’en contrôle plus la vitesse et la force. Elle se tape contre les parois de son lit, passe par-dessus et inonde les terres. Elle s’embourbe, s’envase dans ce sol détrempé et affaibli. Elle est perdue.

Le ciel s’éclaircit et le soleil réapparait. La décrue annoncée est bien là. Elle se retire laissant une horrible boue à la surface. Au bout de quelques jours, elle s’écoule à nouveau et récupère son sillon. Elle continue sa route.

Au détour d’un lacet, elle se sent attirée par une force inconnue. Au loin, une étendue d’eau gigantesque l’appelle. C’est l’océan qui l’attend.

 

 

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Pauvre mais vivant JGobert

Ce pont d’autoroute  est sa demeure. De désillusions en déconvenues, il s’est installé, au bout d’une longue errance, dans cet endroit un peu écarté de la ville. Il vivote d’expédients qu’il trouve dans les poubelles du super marché à quelques kilomètres de là. Ses dernières richesses d’homme lui ont été dérobées.  Il est nu dans ce monde, il est sans biens mais son esprit est libre. C’est sa nouvelle richesse.  Il s’évade longuement chaque jour dans un autre monde dépouillé, démuni de vicissitude où la sérénité l’envahit.

Les compagnons, qui partagent ce lieu avec lui,  ne sont pas glorieux, mais il s’en accommode sachant que tous ont eu un parcours chaotique et que la vie ne les a pas épargnés. Couchés dans ces cartons de fortune, ils se protègent du froid et de la pluie.  Protections bien légères et insuffisantes contre l’adversité qui les accompagne.

Résignés d’être ce qu’ils sont, la vie continue dans cet endroit et dans le bruit de la ville au loin. Ce lieu ouvert au vent n’est pas sans danger. D’autres hommes plus pauvres de cœur et d’âme, sans maître ni loi viennent les insulter, les battre et les laissent parfois pour mort.

Les corps endoloris gardent les marques des coups volontaires comme les paroles des braves gens qui en font des déracinés, des exilés, des malvenus. Ils sont malheureusement ce que la société a fait d’eux. Des hommes qui n’ont pu s’accrocher aux wagons de ce train qui emmène, tire la masse humaine vers le futur. Ils sont restés sur le quai, ébahis, étourdis par cet abandon.  Leurs destins se sont figés dans la misère, le froid, la résignation.  Peu de mains tendues pour les hisser, les porter sur ces rails qui s’accélèrent, s’empressent vers un monde nouveau.

Son parcours à lui, de pauvre, s’est enchainé à ce pont de fortune qui se dresse, résistant, solide dans cet univers où rien de dure.

Son esprit actif a trouvé une paix avec lui-même. Il est arrivé à se dire, à penser la belle chose que le contentement dans la pauvreté.

Il sait qu'il n’a pas toujours été cet être déchu. Qu'il était un homme fier et courageux. Ses souvenirs apaisés lui rappellent cette vie d’autrefois, trépidante durant laquelle tout lui souriait, argent,  talent, amour.

Depuis peu, ses réflexions lui donnent raison, il a acquis une sagesse qui est réelle et qui l’emplit de joie. Il a accepté son état d’homme pauvre. Sa façon de voir le monde a changé et il n'estime point pauvre celui qui sait s'accommoder avec bonheur de ce qui lui reste.

C’est avec cette certitude qu’il continue sa vie .

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Marie et la peur JGobert

Comme à chaque retour du printemps,  des pensées nouvelles l’envahissent et la laissent sans voix. La montée de cette sève la concerne, la captive aussi.  Son corps en mouvement,  son esprit en éveil n’arrête pas de lui lancer des images inédites et des sentiments contraires, opposés.

Toujours cette angoisse, bien présente, qui la suit, tel un fardeau trop lourd.  Cette peur de perdre ce qui lui appartient, ce qui lui est cher.  Cette peur de blesser par des paroles dites sans discernement, sans réflexion. Ces mots tueurs que la bouche déverse nonobstant une vérité complice. Cette peur d’être rejetée, repoussée par l’ami de toujours et par lequel inconsciemment  elle dépend et qui malgré son amitié lui devient toxique.

Cet ami qu’elle instrumente, qu’elle pose sur un piédestal mais qu’elle réduit au rang de moyen pour combler un vide, sa solitude. Cette solitude qui l’enferme et donc le poids lui pèse. Cet ami à qui elle s’accroche pour ne pas sombrer. Alors que la vérité simple est d’admettre que c’est elle qu’elle fuit par son intermédiaire.

Cette souffrance qu’elle partage dans cette amitié finit par l’affaiblir.  Vulnérable, faible, cachée derrière ce mot d’attachement, ses sentiments sont instables, légers, périmés. Marie a oublié le plaisir d’être. Toujours dans cette audience, dans le défi de cette facilité à vouloir  vivre une vie parfaite.

Cette amitié qui au fil du temps lui est devenue si lourde, elle veut apprendre à la redécouvrir.  Elle a donc renié cet ami pour récupérer son indépendance, sa vie, son existence. Elle a renoncé à cette part rêvée et à cette solitude collante.  Elle a abandonné sa souffrance dans ce renoncement. Marie a jeté cette raison de vivre obsolète...

Ce printemps naissant lui réapprend le sens de la vie, cette liberté retrouvée dans la souffrance, la peine et la conviction que tout va changer et être plus léger.  Le silence a fait place à l’angoisse dans cette relation éteinte.  Une sérénité à retrouver sur le chemin de la vie et dans le bonheur d’être enfin elle.

 

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Je suis JGobert

A peine entr'ouverte, je libère la lumière.

Je suis la liberté, j'ouvre sur le monde et l'immensité de l'univers.

 

J'incarne le passage du vent qui s'engouffre en moi.

 Je retiens telles les armées de séraphins, les esprits libres épris de grandeurs et de beauté. 

Le soir, je claque au crépuscule dans les ruelles mal éclairées.

J'attire les esprits maléfiques qui déambulent dans la nuit.

 

J'accède aux bancs des accusés que la justice condamne ou acquitte.

 Je libère ou j'enferme.

Je retiens dans des chambres malsaines l'être nuisible que l'on nomme sans raison.

Je suis toujours mille et cent dans ces lieux où personne ne peut me pousser, m'ouvrir.

 

Je sépare le bien du mal, le vrai du faux mais reste impuissante devant celui qui se prend pour Dieu.

 

Enfermé dehors, je reste sourde aux supplications de celui qui s'agenouille devant moi pour demander grâce.

Je reste muette aux cris d'horreur des vies qui s'échappent, immobile, close devant un tel courroux.

 Je suis, ce que les hommes ont fait croyant protéger des fléaux modernes. 

Fermée, je suis devenue instrument de mort. 
 

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Le café JGobert

Tout tourne autour de ce poêle à charbon et de l’odeur du café fraichement moulu. L’histoire d’une petite fille, de ses parents, de ses aïeuls, dans une cuisine d’un autre âge. Le quotidien se déploie, se déroule tranquille dans un monde où le temps s’écoule encore au rythme des saisons.

Le café, grand rassembleur, joue un rôle social. Il attire et réunit chaque jour les membres de la famille. Toute l’assemblée attend ce précieux et inestimable breuvage. Le café passe sur le coin du poêle. Grand-mère et sa fille, debout dans la cuisine, surveille la manœuvre. L’eau bouillante traverse le café et dégage un arome extraordinaire. L’odeur s’installe et sort de la maison pour se répandre aux alentours attirant voisins, voisines. Les dames du quartier passent dire bonjour, prendre des nouvelles, boire une tasse de café. Elles viennent se changer les idées un instant et raconter leur quotidien aussi.

Cette petite réunion journalière donne l’occasion à des bavardages, des rigolades, des histoires du passé, leurs histoires. Grand-père parle surtout de la guerre, la grande guerre qu’il a faite avec ses frères. Une épopée digne d’un grand roman. Il ne lui reste en mémoire que les moments de bravoures que l’on connait tous. Il parle de ses frères tant aimés. Sa voix change dès que le chapitre aborde les souvenirs d’enfance. Ses vieilles bottines qu’il a raccommodées plusieurs fois avant de pouvoir en acheter une paire toute neuve. Les kilomètres à pied qu’il a fait pour aller travailler à la ville. Des images qui rappellent le temps en noir et blanc des photos posées sur le buffet. Tout est fabuleux. La fillette écoute fascinée. Je suis sous le charme.

Grand-mère et l’exode de 40, sur les routes de France. La maison qu’il a fallu fermer, abandonner et au retour, le vol de ses maigres richesses. Un récit bouleversant où chaque membre de la famille a une place, avec son lot de misère. Le départ de son fils aimé à la guerre et son retour anticipé. Les années débrouille avec l’occupant et tous les inconvénients de cette terrible période. Rien n’est facile. Trouver à manger au marché noir, une véritable chronique qu’elle ressasse inlassablement.

Il y a aussi le cousin Georges qui se mêle à la conversation et qui a toujours raison. Il a perdu son fils unique.  Je connais toutes ses histoires, avec parfois une variante, qui me fait sourire.

J’évolue dans ce monde d’adultes comme un être à part, qui peut tout entendre mais ne rien dire. Les secrets qu’ils expriment ne me sont pas interdits bien que je n’en connais pas le véritable sens. J’écoute toujours curieuse d’apprendre des nouveautés. 

Grand-mère tomba malade et s’alitât. Elle garda le lit des années. La réunion de l’après-midi se déplaça dans la pièce du salon où son lit est posé. Rien ne change et les petites dégustations journalières subsistent sans ennui. Sa fille est là aussi.

Grand-père mourut sans crier gare. Il partit discrètement et laissa grand-mère anéantie. Son départ laissa un énorme vide et ses histoires me manquent toujours.  La nouvelle génération prit la suite des anciens et les histoires reprirent, différentes mais toutes aussi intéressantes, tendres parfois.

 Je grandis, j’évolue et comprends mieux les choses. Les secrets dits à mi- mots reviennent avec d’autres sens, d’autres interprétations, d’autres précisions et cette fois, l’histoire est  presque complète, entière.

Grand-mère mourut quelques années plus tard, sa fille rentra chez elle et au grand drame de tous, la maison ferma ses volets faute d’habitants.  Elle devint froide, glacial même et plus personne n’a le cœur à y aller. Son âme l’a quittée. Le vieux poêle devint tout rouge. Les objets familiers partirent doucement un peu partout. Mais personne ne touche cette cafetière abandonnée, curieux vestige d’un temps révolu.

Un jour, il fallut prendre la décision de vendre cette demeure. Le temps d’un week-end, une douce chaleur sortit de ce vieux poêle qui réchauffa la maisonnée mais surtout les cœurs. Quelqu’un se décida à faire du café. De nouveau, une extraordinaire odeur emplit la pièce et réveilla les souvenirs de chacun. Le passé est là, avec nous, en nous avec ce vieux bonheur gommé mais pas disparu. Les voix chantent dans nos têtes et nous avons le sourire malgré notre tristesse. Les lumières de l’oubli nous suivent. Les plus jeunes ne comprennent pas notre plaisir d’être là dans ce passé terminé et dans cet arôme poussiéreux de souvenirs. Que toutes ces vieilles choses ont tant d’intérêts, d’amour pour nous.

Quand tout fut emballé, jeté, brulé, la maison vide redevint froide, glaciale, triste. Les esprits du ciel tournent la page. C’est à cet instant que douloureusement, nos larmes creusent des sillons sur l’échelle du temps.  Rien ne dure, seuls les souvenirs sont richesse.

 

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