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Ange ou démon JGobert

Chaque matin, encore mal éveillée, elle se dirige vers la gare pour prendre son train. Un trajet long et ennuyeux avant d’arriver sur le quai. Son nouveau travail a débuté il y a quelques semaines et ses habitudes matinales lui pèsent déjà. Un boulot trouvé dans la capitale, inespéré, face à la Tour des finances. Une vue imprenable du 5éme étage, le Botanique au loin, Bruxelles à ses pieds, la circulation bruyante, le va et vient  incessant des passants. Toute une population qui se rend à son boulot.  Des stations crachent ainsi des humanoïdes pressés. Des autobus surchargés jaillissent aux quatre coins de la ville. Des métros où entassés, serrés, les routards souffrent. Une ville multicolore, active, vivante.

Sortie de la gare, son dernier trajet se fait à pied et lui rend la sérénité, la quiétude. Une bouffée d’air entre ce transport quotidien et cet enfermement journalier. Sortir de la foule compacte et marcher librement. Un instant de calme avant d’entrer dans l’arène. Des gratte-ciels l’éblouissent et la troublent. Elle aime déambuler dans cet espace démesuré qui l’entoure, cette hauteur inaccessible vers le ciel. Son bureau n’est pas loin, installé sur une avenue célèbre.

Un matin, à peine arrivée sur le quai, elle aperçoit un jeune homme à quelques mètres d’elle. Il parait jeune, plus jeune qu’elle. Un sac de sport sur l’épaule, nonchalant, il fume sa cigarette. Elle le voit passer devant elle, écraser sa cigarette avant de sauter dans le train. Subitement elle sent ses jambes se dérober, son cœur s’emballer, ses mains moites. Même dans ses rêves, elle n’avait pas ressenti un tel émoi.

Souvenir d’une adolescence agitée, peuplé de rêves de bonheur. Une réaction connue qui la reporte des années en arrière, au temps de sa jeunesse. Mais l’émotion est agréable, amusante même. Elle en est ravie. Elle revit un instant l’affolement de ses 15 ans. Dans le train, elle sourit discrètement de ressentir un si plaisant émoi. Quelle imagination pense-t-elle !

Sa vie a repris de l’activité, du tonus avec ce nouveau travail. Chaque matin, chaque soir, elle prend le train, solitaire, pressée.  Son attention, depuis cette rencontre, est occupée par ce jeune homme. Elle le cherche, elle l’attend inconsciemment. Elle se réjouit de le voir arriver sur ce quai froid et glacé. Lui ne la voit pas. Il passe et attend son train un peu plus loin.

Dans sa tête, elle s’oblige à penser, à se répéter sans cesse qu’il n’y a pas de place pour cet homme dans sa vie. Son émoi passé, tout rentrera dans l’ordre. Elle en est certaine. Mais elle ne peut s’empêcher de penser à lui, le regarder, le suivre du regard. Ses journées sont maintenant ponctuées par ce rendez-vous journalier avec ce navetteur inconnu. Elle attend le matin, elle attend le soir pour le revoir.

De plus en plus attirée par cet étranger, un jeu d’adolescente s’installe et lui donne le sourire, le tournis parfois. Un émoi si lointain retrouvé, savouré.

Contrairement à ce qu’elle pense, lui aussi a remarqué sa présence. Un matin, il se pose devant elle, la regarde droit dans les yeux quelques secondes à peine, une éternité pour elle et s’en va. Elle croit s’évanouir, disparaitre sous ce regard. Elle s’immobilise telle une statue de marbre ou de sel.

Une impression étrange pour cet homme, un jeu de séduction, sans paroles sans gestes, le gène, le déstabilise.  Frustré d’être ainsi l’objet d’un jeu sans réellement y participer, y collaborer.

Dès cet instant, son regard s’endurcit quand il se pose sur elle. Parfois, il bondit, arrogant, insolent sur l’escalator. Il se pose à son niveau, pour lui parler sans doute, pour qu’elle sorte de ce jeu, pour qu’elle agisse enfin ou pas. Il ne dit rien non plus et continue sa route sans se retourner.  A ce moment, elle se sent mourir de ne pouvoir lui parler, le toucher, le retenir.

Chacun à sa place, sans échange, sans sourire, le manège dure. Elle l’attend toujours malgré un malaise de plus en plus grand. Elle ne veut rien changer à cette histoire non aboutie. Elle veut la garder pour elle. Elle en souffre à présent comme l’ado qu’elle était.  Elle se raisonne sachant qu’il n’y a d’histoire que dans sa tête. Elle est heureuse certain jour, triste d’autre mais c’est le court des choses. Elle ne s’en plaint pas.

A plusieurs occasions, le beau voyageur vient s’assoir dans le même wagon, jetant son sac de sport dans le filet au-dessus de sa tête. A d’autres moments, il s’éloigne d’elle.  Elle finit par connaître ses gestes, ses regards, son air rude, ses traits d’ange ou de démon.

Lors d’une exposition en ville, ils se sont aperçus, rencontrés, elle avec son fils, lui avec des amis. Leurs regards se sont accrochés et ne se sont pas quittés. Le temps s’est immobilisé, fixé sur une irréelle aquarelle.

Dès qu'elle le voit s'éloigner, elle comprend que cette fois encore, elle perd une chance d'être heureuse. Elle sent ses rêves de bonheur s'évanouir, disparaître. Elle s'interdit la possibilité de vivre autre chose. Elle se perd un peu plus dans ce labyrinthe de solitude. Elle voulait crier ce qu'il représente pour elle, son besoin, son manque.

Une petite main tire son bras et la ramène à la réalité douce et tendre de cet enfant aimé qui la console d'un joli sourire.  Il n'y a pas de place pour ce beau garçon dans sa vie. Pas maintenant.

Son travail terminé, elle clôt cette histoire éphémère et imaginaire. Elle range ses souvenirs dans un petit tiroir vide mais étrangement heureux. Le souvenir ébauché de cet homme la poursuit dans les gares qu’elle fréquente. Elle s’attend toujours à le voir surgir sur le quai.

 

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Commentaires

  • Merci Adyne pour votre passage. Ne jamais remettre à demain.

    Amitiés Josette

  • Merci Nicole pour votre commentaire. Que de belles choses dans nos souvenirs souvent non réalisées. 

    Amitiés

    Josette

  • Bonjour Gilbert,  un temps d'hiver ce matin. On ne devrait s'interdire que les choses négatives. La jeunesse a des ressources qu'elle transforme, aménage et qu'elle choisit par instinct. C'est ce qui fait la vie.

    Merci pour votre commentaire.

    Amitiés

    Josette

  • Merci Rolande pour ton commentaire. L'inspiration vient de petites choses parfois non réalisées et tellement agréables à broder et à inventer.

    Amitiés

    Josette

  • Merci pour ce beau texte Josette, je suis de même avis que Gilbert ! Avant qu'il ne soit trop tard!

    Amitiés.

    Adyne

  • Merci du partage de ce texte attachant , Josette !

    J'aime cette image "elle range ses souvenirs dans un petit tiroir vide  mais étrangement heureux "  ! Que de choses espérées et non vécues sont ainsi soigneusement mises sous écrin...

    Cordialement, Nicole 

  • Elle ne devrait pas s'interdire de vivre autre chose mais au contraire s'appuyer sur l'énergie de la jeunesse avant qu'il ne soit trop tard !
    Belle narration,
    Amitiés
    gilbert

  • Une brève rencontre emplie d'espoir qui se referme, hélas, sur une vacuité de rêves.

    Comme les émois évanescents qu'elle a suscités.

    Mais une source vitale pour l'inspiration, elle aussi, nourrie de ce genre de souvenirs non accomplis.

    Très réussi. Bravo Josette ! Amicalement. Rolande.

  • Merci Jacqueline pour le commentaire.

    Amitiés

    Josette

  • Ah retrouver l'émotion de ses 15 ans... juste pour quelques instants, c'est la vie qui revient, l'espoir d'autres lendemains...

    Jolie histoire...

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