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Le silence JGobert

Adeline frissonne. Il est tard. La nuit est tombée. Le silence s’est installé dans les couloirs et dans cette salle où elle attend depuis un moment. Elle se surprend à écouter ce silence qui l’entoure, l’enveloppe.

Ce silence qui efface tout.  Elle sait que sa mère va partir, sans faire de bruit. Ce calme atténue son tumulte intérieur après toutes ces années de crainte, de vacarme, de révolte.

Sa mère a eu une vie compliquée et est tombée dans un long silence depuis des années. Adeline s'est habituée à cette situation et s'en accommode. Une vie différente commencée dans l’enfance, une existence ponctuée de tristesse, de chagrin, parfois d’espoir.

Petite, elle aimait le silence de l’obscurité. Fenêtre ouverte, elle écoutait les éphémères murmures de la nuit et le silence tombant de la voute céleste. Parfois le passage silencieux d’une pluie d’étoiles lui rendait le sourire.

Depuis ce coup de téléphone tonitruant, elle court comme une folle à travers la ville.  Arriver vers elle, une fois encore à temps. Etre là toujours pour lui tenir la main, ne pas parler, la rassurer par sa seule présence.  Mais ce soir, elle arrive pour la dernière fois. Adeline, anéantie, sait qu'elle va vivre un dernier silence.

Dans le clair-obscur de cette salle où elle doit patienter et attendre l’autorisation de rejoindre sa mère, le temps s’est arrêté. Les choses importantes de sa vie vont chavirer, changer. Un vide immense s’installe déjà dans une montagne de souvenirs, de pensées, de rires, de pleurs. Ses larmes coulent muettes.

La porte s’ouvre enfin sur un médecin qui sait. Son visage n’est pas fermé et ses yeux sont apaisants.  Adeline peut enfin entrer et s’assoir au bord de ce lit immaculé. Sa mère repose, apaisée, présente encore quelques minutes.  Son souffle s’amenuise.  Elle est immobile, l’ange consolateur à ses côtés.

Adeline a vécu maintes fois cette scène dans sa tête et dans son cœur, comme un film qui passe en boucle. La souffrance cachée d’Adeline ne lui pèse pas, elle l’accepte et veut la garder encore, encore.

 Adeline ne peut croire à cet instant qui arrive et qui sera définitif.  Cet ultime silence lui semble étrange, comme irréel. Il va les séparer l’une de l’autre de toutes ces années de vie. Chacune de son côté partira.

Adeline veut crier, hurler. Se libérer, se secouer soudainement de ce silence qui l’enferme depuis si longtemps. Sa mère, toujours présente, remue les lèvres dans des mots inaudibles. Un ultime souffle et Adeline s’effondre dans des sanglots inconsolables.  La vie de sa mère s’est arrêtée pour l’infini. Main dans la main, quelques instants encore, le silence récupère sa place laissant l’histoire s’éteindre doucement. Le silence a accompli l’inévitable, l’inéluctable.

Dans la salle voisine, une porte s’est ouverte. Le tic-tac d’une horloge se fait entendre. Le temps a repris sa course.

 

 

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Commentaires

  • Bonjour Gilbert,

    On rencontre le silence dans beaucoup de situations. Parfois salutaire, souvent pour ne pas aborder le réel. Le silence peut faire partie d’une vie pleine d’activités, pleine de gens. On l’a en soi. Il n’est pas toujours négatif. Parfois le silence protège pour ne pas blesser. Je crois que l’on peut communiquer aussi dans le silence. Il ne faut pas toujours des mots pour se comprendre.

    Bonne semaine brumeuse.

    Amitiés

    Josette

  • Bonsoir Josette,
    Les adultes sont des enfants qui ne se sont pas vus vieillir ou qui ne l'ont pas voulu plutôt, retardant à coups d'illusions, d'exclamations joyeuses ce qu'ils savent bien ne pouvoir éviter. Et puis le silence s'abat comme vous le décrivez, un silence mortel qui glace le sang, qui asphyxie la joie d'être sur terre et où plus rien n'a d'importance. On parle alors de deuil, de résilience, de toutes sortes de mots inventés pour nous consoler et nous aider à repartir. Non, il n'y a pas de mots. La douleur de perdre ses parents proches est un glaive planté bien profond. Il reste alors pour faire face à l'absurdité de notre existence de regarder, écouter, sentir, sourire, jouer avec leur esprit infiltré dès à présent au fond du nôtre. En définitive, s'il peut y avoir quelque consolation que ce soit, peut-être convient-il de se dire que la désincarnation n'est pas dramatique mais que seule l'est sa non-acception. J'aimerais ajouter au lyrisme de votre réflexion si émouvante cette maxime de De La Rochefoucauld : " Peu de gens connaissent la mort. On ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume ; et la plupart des hommes meurent parce qu'on ne peut s'empêcher de mourir.
    J'espère ne pas avoir gâché la soirée !
    Bonne fin de semaine avec cette vague de chaleur qui se prépare et s'annonce ici en Aquitaine particulièrement féroce. Il fera bon de vivre en Belgique et renouer enfin avec l'été.
    Amitiés
    gilbert

  • Bonjour Jacqueline,

    Oui, je crois aussi qu'il y a différents silences comme la maladie qui enferme. Le blanc est maintenant d'actualité ce que je souhaite à Adeline.

    Merci de votre commentaire.

    Amicalement

    Josette

  • Merci Adyne pour ton passage et ton commentaire.

    Excellent weekend ensoleillé

    Amitiés.

    Josette

  • Merci Rolande pour ton commentaire. je crois que l'incommunication est plus fréquente qu'on le pense. Il est souvent trop tard quand on s'en aperçoit.

    Bon weekend ensoleillé.

    Amitiés

    Josette

  • Il y a deux sortes de silence :

    Le noir où l'on s'enfonce dans ses souvenirs

    Et le blanc qui s'ouvre sur une page à écrire...

    Je te souhaite le blanc...

    Amicalement

    Jacqueline

  • Une histoire émouvante et inimaginable! Merci Josette.

    Bonne fin de semaine.

    Amitiés.

    Adyne

  • C'est émouvant cette histoire d'incommunication entre les membres les plus proches d'une famille. C'est assez fréquent et l'on ne sait qui souffre le plus ! Le silence est parfois plus terrible que la mort elle-même et c'est, hélas irrémédiable !

    Encore un texte qui suscite réflexion. Merci à toi Josette et bonne fin de semaine sous le soleil .... enfin.

    A chaque fois me revient le texte d'Edmon Rostand : "Je t'adore soleil oh toi dont la lumière etc; ... un must de nos études.

    Bravo!

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