Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Le café JGobert

Tout tourne autour de ce poêle à charbon et de l’odeur du café fraichement moulu. L’histoire d’une petite fille, de ses parents, de ses aïeuls, dans une cuisine d’un autre âge. Le quotidien se déploie, se déroule tranquille dans un monde où le temps s’écoule encore au rythme des saisons.

Le café, grand rassembleur, joue un rôle social. Il attire et réunit chaque jour les membres de la famille. Toute l’assemblée attend ce précieux et inestimable breuvage. Le café passe sur le coin du poêle. Grand-mère et sa fille, debout dans la cuisine, surveille la manœuvre. L’eau bouillante traverse le café et dégage un arome extraordinaire. L’odeur s’installe et sort de la maison pour se répandre aux alentours attirant voisins, voisines. Les dames du quartier passent dire bonjour, prendre des nouvelles, boire une tasse de café. Elles viennent se changer les idées un instant et raconter leur quotidien aussi.

Cette petite réunion journalière donne l’occasion à des bavardages, des rigolades, des histoires du passé, leurs histoires. Grand-père parle surtout de la guerre, la grande guerre qu’il a faite avec ses frères. Une épopée digne d’un grand roman. Il ne lui reste en mémoire que les moments de bravoures que l’on connait tous. Il parle de ses frères tant aimés. Sa voix change dès que le chapitre aborde les souvenirs d’enfance. Ses vieilles bottines qu’il a raccommodées plusieurs fois avant de pouvoir en acheter une paire toute neuve. Les kilomètres à pied qu’il a fait pour aller travailler à la ville. Des images qui rappellent le temps en noir et blanc des photos posées sur le buffet. Tout est fabuleux. La fillette écoute fascinée. Je suis sous le charme.

Grand-mère et l’exode de 40, sur les routes de France. La maison qu’il a fallu fermer, abandonner et au retour, le vol de ses maigres richesses. Un récit bouleversant où chaque membre de la famille a une place, avec son lot de misère. Le départ de son fils aimé à la guerre et son retour anticipé. Les années débrouille avec l’occupant et tous les inconvénients de cette terrible période. Rien n’est facile. Trouver à manger au marché noir, une véritable chronique qu’elle ressasse inlassablement.

Il y a aussi le cousin Georges qui se mêle à la conversation et qui a toujours raison. Il a perdu son fils unique.  Je connais toutes ses histoires, avec parfois une variante, qui me fait sourire.

J’évolue dans ce monde d’adultes comme un être à part, qui peut tout entendre mais ne rien dire. Les secrets qu’ils expriment ne me sont pas interdits bien que je n’en connais pas le véritable sens. J’écoute toujours curieuse d’apprendre des nouveautés. 

Grand-mère tomba malade et s’alitât. Elle garda le lit des années. La réunion de l’après-midi se déplaça dans la pièce du salon où son lit est posé. Rien ne change et les petites dégustations journalières subsistent sans ennui. Sa fille est là aussi.

Grand-père mourut sans crier gare. Il partit discrètement et laissa grand-mère anéantie. Son départ laissa un énorme vide et ses histoires me manquent toujours.  La nouvelle génération prit la suite des anciens et les histoires reprirent, différentes mais toutes aussi intéressantes, tendres parfois.

 Je grandis, j’évolue et comprends mieux les choses. Les secrets dits à mi- mots reviennent avec d’autres sens, d’autres interprétations, d’autres précisions et cette fois, l’histoire est  presque complète, entière.

Grand-mère mourut quelques années plus tard, sa fille rentra chez elle et au grand drame de tous, la maison ferma ses volets faute d’habitants.  Elle devint froide, glacial même et plus personne n’a le cœur à y aller. Son âme l’a quittée. Le vieux poêle devint tout rouge. Les objets familiers partirent doucement un peu partout. Mais personne ne touche cette cafetière abandonnée, curieux vestige d’un temps révolu.

Un jour, il fallut prendre la décision de vendre cette demeure. Le temps d’un week-end, une douce chaleur sortit de ce vieux poêle qui réchauffa la maisonnée mais surtout les cœurs. Quelqu’un se décida à faire du café. De nouveau, une extraordinaire odeur emplit la pièce et réveilla les souvenirs de chacun. Le passé est là, avec nous, en nous avec ce vieux bonheur gommé mais pas disparu. Les voix chantent dans nos têtes et nous avons le sourire malgré notre tristesse. Les lumières de l’oubli nous suivent. Les plus jeunes ne comprennent pas notre plaisir d’être là dans ce passé terminé et dans cet arôme poussiéreux de souvenirs. Que toutes ces vieilles choses ont tant d’intérêts, d’amour pour nous.

Quand tout fut emballé, jeté, brulé, la maison vide redevint froide, glaciale, triste. Les esprits du ciel tournent la page. C’est à cet instant que douloureusement, nos larmes creusent des sillons sur l’échelle du temps.  Rien ne dure, seuls les souvenirs sont richesse.

 

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • Bonjour Rolande, Ces souvenirs sont tenaces chez vous aussi. Personnellement, je n'ai pas vécu cette période mais tous les récits de ma famille sont maintenant les miens. Et avec l'âge, ils réapparaissent insensiblement de plus en plus souvent comme pour se rappeler à nous tous. Merci de commenter si généreusement ce petit "café" si bon au souvenir.

    Je vous embrasse

    Amitiés

    josette

  • Tout un pan du passé qui nous saute au visage ! Cette coutume, typique des gens du Nord, était largement pratiquée dans beaucoup de familles. Le visage hideux de la guerre et de l'occupation en a été adouci.

    Il y avait, non seulement ces réunions de voisins, mais aussi la bonne odeur de la cuisson du pain du dimanche, de la soupe, des repas préparés .... car tout se faisait autour de ce "feu Belge" ! Uniquement ouvert pendant la saison froide qui s'échelonnait de novembre à Pâques. Ensuite, c'était le déménagement vers la cuisine et la véranda.

    L'été, l'ensemble des voisins se réunissait sur le large trottoir jouxtant les maisons. Pendant la guerre, l'échange des nouvelles venant de la radio Libre avec son bruit de brouillage tenait les hommes en haleine et attisait les échanges ! Tout le monde était au courant, mais les secrets étaient bien gardés et les enfants avaient appris à "se taire".

    Des "Résistants" se glissaient parmi nous, uniquement connus des adultes !

    Je possède encore des photos de toutes ces personnes d'une Rue de la ville. Avec, au-dessus de certains visages, le V de la victoire. Il fallait être culottés, car les risques de dénonciation étaient grands.

    L'un des nôtres a cependant été arrêté et fusillé en compagnie de deux compagnons ! La rue porte à présent son nom. Une rue pleine d'histoire qui a vu le défilé des réfugiés en route vers la France  les premiers jours de mai 1940, les troupes anglaises en fuite, les quelques habitants terrés dans les caves jusqu'à notre propre départ précipité lors d'une nuit de bombardement visant l'Usine Textile avoisinante. Le bruit de quelques bombes tombés sur les jolies villas de la rue perpendiculaire à la notre, l'arrivée des premiers allemands alors que nous étions réfugiés chez une sœur de ma grand-mère. Nous en avions une peur viscérale en souvenir des exactions commises pendant la Grande Guerre et dont nous n'ignorions rien.

    Un livre n'y suffirait pas pour raconter l'histoire de cette rue grouillante de vie située à la lisière de la Ville, près de la Gare de triage où mon grand-père était aiguilleur.

    Une fois de plus, très grand bravo et félicitations Chère Josette ! Je t'embrasse affectueusement. Rolande.

  • Merci à vous Kristin.

    Amicalement

    Josette

  • Il faut croire que les souvenirs n’attendent  qu’un geste, qu’une odeur  pour  se rappeler à nous. Et c’est si agréable de replonger avec eux dans ce qu’était notre vie.


    Merci Marie-Jo pour ton commentaire


    Amitiés


    Josette

  • Le café est toujours là à toutes les occasions.  Une tasse de café pour se réveiller, une autre pour se détendre, une pour se donner du courage.  Une façon de voir la vie. Merci Michel

  • Merci Nicole pour ce commentaire. Les souvenirs sont notre plus grande richesse.


    Amicalement

    Josette

  • ce texte que tu nous livres ici me rappelle énormément de souvenirs lorsque les grands-parents et nos parents parlaient entre eux et laissaient échapper des instants de souffrance qu'ils avaient vécus et qui nous donnaient une très drôle d'impression, malgré notre petit âge, nous sentions que tout ça avait été affreux pour eux - je ne l'oublierai jamais....

  • " Le café est un torréfiant intérieur. ",

    Honoré de Balzac (qui consacra un petit traité au breuvage et autres "excitants modernes").

    Stimulante cette bonne odeur qui vous fait remonter les souvenirs.

  • Odeurs du passé, qui font surgir d 'emblée, fidèlement,  toute la panoplie des souvenirs depuis l'enfance , mêlant les générations ...

    Beau texte , Josette ! Cordialement, Nicole

  • Je me fais un plaisir d'aller lire ces poèmes et de les partager avec vous. Merci de votre passage amical.

    J'aime beaucoup Musset, Hugo, et Lamartine qui m'enchante toujours.

    Amicalement

    Josette

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles