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Il s'agit d'une revue Trimestrielle qui contient un numéro thématique, une rubrique « lectures ». Une rubrique « revue des revues ». Ce numéro de revue a pour thématique Namur Un nom de ville qui est aussi le patronyme d’un poète qui compte aujourd’hui dans le paysage des lettres françaises de Belgique. Non parce qu’il a collectionné les prix, mais parce qu’Yves Namur poursuit une belle démarche spirituelle en quête de sens : pour en donner à la vie ou, tout simplement, jouir d’eux et donner à partager cette jouissance. Il convenait de leur rendre hommage. À la capitale de la Wallonie qu’Alain Dantinne voit cependant comme une triste Ville d’habitudes. Au poète qui a goûté au plaisir d’associer son nom à la ville en conviant, dans une amicale conspiration, des auteurs nés ou vivant à Namur ou ses environs. Puis, de Philippe Lekeuche à Yves Broussard, des poètes amis pour présenter Yves Namur et son oeuvre, études et regards attentifs, de précieux inédits… Et pour illustrer ce numéro, le talent de Gabriel Belgeonne. Francis Chenot SOMMAIRE: Autour de Namur: Francis Chenot, Philippe Lekeuche, André Miguel, Philippe Jones, Jean Royer, Eric Brogniet, Réginald Gaillard, Jalel El Gharbi, Jacques Crickillon, Gaspard Hons et Yves Broussard Six poèmes inédits de Namur La conspiration amicale: Fabien Abrassart, éric Brogniet, Alain Dantinne, Théophile de Giraud, André Doms, Marc Dugardin, Nicolas Grégoire, Roland Ladrière, Philippe Lekeuche et Vincent Tholomé Petite anthologie personnelle Effleurescences: Isabelle Lévesque : Or et jour (extraits) Lectures: Jean Chatard, Francis Chenot, Béatrice Libert et Pierre Schroven à propos de Claude Albarède, Maram Al-Masri, Gérard Bayo, Éric Brogniet, Georges Cathalo, Danièle Corre, élie-Charles Flamand, Roseline Hurion, Jack Keguenne, Jacques Kober, Joël-Claude Meffre, Jacques Morin, Carl Norac et Bernard Pignero
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Exposé éclairant de Philippe Jones sur une oeuvre qui n'attire pas à première vue, et qui a besoin de décryptage. Personnellement, je trouve les "recherches" de Magritte peu sujettes aux coups de coeur et affectées d'une proposition accablante et systématique de" mystérieux" à tout bout de champ. Elles ne s'expliquent que par des textes et je ne parviens pas à ressentir une quelconque émotion en visionnant cette imagerie froide et trop bien léchée, encombrée de grelots, de ciels d'un bleu clair glacial, de constructions comme faites pour vous démontrer que vous êtes un ignorant coupable d'être ému par la bonté, la beauté, la souffrance, la déchéance maudite ou l'admiration pour le don d'enfance. Je ressens devant ces toiles l'impression que ce peintre veut imposer l'idée que l'existence consiste à être déconcerté, surpris par des couleurs nauséeuses et des slogans lapidaires aux allures de babioles qui se veulent intimidantes. Ne seriez-vous qu'un petit nuage d'inconnaissance? Le conférencier a quand même bien fait ressortir que l'art peut aussi se trouver là où on ne l'attend pas. J'aurais préféré que Magritte fut un naïf impressionniste. Ceci n'est pas une impression.
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Pour la défense de la langue

IInamovible, l’espéranced’un virage de cap décisif,incisive plantée dans la chair de la langue,incise vive entéeau pli d’une phrase branlante,bouleversement radical permanent,retournement des senset du sens de la vie,retour à l’essentiel.IILa tournure qu’ont prise les chosesdemande un détournement d’urgencede l’usage consacré de la langue,toutes papilles confondues,saveur des mots collésà la voûte céleste du palais déserté.Les dents ne doivent pas s’ériger en barrièrecontre laquelle viendrait buterla vérité celée par habitude.Les dents s’écartentsur le passage de la langue,joyeuse entrée de ta salivedans mon intime convictionque tout est bon à dire.IIIQue les sons forgés dans la gorge,conçus au berceau du palais,les cris du cœur et des phanères,les hululements de douleur,les gémissements de plaisir,les chuchotements de tendresse,les murmures de compassioncirculent à l’air libre d’une voix entendue.A langue abattue, les motscourent sur le fil du rasoirde la folie.IVLa langue veut servir celui qui la délie.
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Quelques librairies en Belgique francophone

Une liste de librairies actuellement labellisées en Belgique francophone: AUDERGHEM U.O.P.C. Avenue Gustave Demey 14-16 1160 Bruxelles Tél. : 02 648 96 89 Fax : 02 648 61 72 Courriel : administration(at)uopc.be Site Web : www.uopc.be BRUXELLES La Grande Muraille Galerie R. de Ruysbroeck 5 1000 Bruxelles Tél. : 02 512 14 56 Fax : 02 513 83 37 Courriel : grande_muraille(at)swing.be Site Web : http://users.swing.be/grande_muraille/ BRUXELLES Quartiers Latins Place des Martyrs 14 1000 Bruxelles Tél. : 02 227 34 00 Fax : 02 227 34 08 Courriel : contact(at)cfc-editions.be Site Web : www.cfc-editions.be BRUXELLES Tropismes Libraires Galerie des Princes 11 1000 Bruxelles Tél. : 02 512 18 52 Fax : 02 514 48 24 Courriel : info(at)tropismes.com Site Web : www.tropismes.com ETTERBEEK Filigranes Avenue des Arts 39-40 1040 Bruxelles Tél. : 02 511 90 15 Fax : 02 502 24 68 Courriel : info(at)filigranes.be Site web : www.filigranes.be ETTERBEEK La librairie européenne Rue de l'Orme 1 1040 BRUXELLES Tél. : 02 231 04 35 Courriel : info(at)libeurop.be Site Web : www.libeurop.be ETTERBEEK Tapage Rue Père de Deken 83 Cours Saint-Michel 1040 Bruxelles Tel. : 02 733 37 70 Fax : 02 733 40 30 Courriel : info(at)tapageweb.be Site web : www.tapageweb.be SAINT-GILLES Husson Chaussée d'Alsemberg 142 1060 Bruxelles Tél. : 02 534 33 54 Courriel : michel.husson(at)skynet.be Site web : www.husson-editeur.be SAINT-GILLES Les yeux gourmands Avenue Jean Volders 64 A 1060 Bruxelles Tél. : 02 642 97 05 Fax : 02 642 97 05 Courriel : france.verrier(at)lesyeuxgourmands.be UCCLE AM STRAM GRAM Rue Général Mc Arthur 1 1180 Bruxelles Tél. : 02 345 81 85 Fax : 02 345 81 85 Courriel : amstramgram(at)skynet.be UCCLE La licorne Chaussée d'Alsemberg 656 1180 Bruxelles Tél. : 02 344 98 32 Fax : 02 345 40 48 Courriel : info(at)librairielalicorne.be UCCLE Par quatre chemins Rue Xavier de Bue 4 1180 Bruxelles Tél. : 02 344 58 83 Fax : 02 345 06 98 Courriel : librairie(at)parquatrechemins.be Site Web : www.parquatrechemins.be WATERMAEL-BOITSFORT ABAO Librairie Rue Middelbourg 40 1170 BRUXELLES Tél. : 02 663 79 80 Courriel : info(at)abaobxl.be Site Web : www.abaobxl.be WOLUWE-SAINT-LAMBERT À livre ouvert Rue St Lambert 116 1200 Bruxelles Tél. : 02 762 98 76 Fax : 02 762 73 41 Courriel : a.livre.ouvert(at)skynet.be Site Web : www.alivreouvert.be ATH Litterath Grand Place 49 7800 Ath Tél. : 068 84 18 46 Courriel : litterath(at)skynet.be BINCHE Librairie de la Reine Grand Place, 9 7130 Binche Tél. : 064 33 06 60 Fax : 064 33 06 60 Courriel : librairie(at)librairiedelareine.be Site Web : www.librairiedelareine.be CHARLEROI Molière & Cie Boulevard Tirou 68 6000 Charleroi Tél. : 071 32 89 19 Fax : 071 32 02 20 Courriel : administration(at)moliere.be Site Web : www.moliere.be LA LOUVIERE L'écrivain public Rue de Brouckère 45 7100 La Louvière Tél. : 064 28 04 33 Fax : 064 22 98 44 Courriel : librairie-ecrivainpublic(at)skynet.be Site Web : www.librairie-ecrivainpublic.be MONS Librairie André Leto Rue d'Havré 35 7000 Mons Tél. : 065 31 53 18 MONS La ligne claire Grand'rue 66 7000 MONS Tél. : 065 33 48 38 Courriel : info(at)ligneclaire.com Site Web : www.ligneclaire.com MONS Polar & Co Rue de la Coupe 36 7000 Mons Tél. : 065 84 95 77 Courriel : info(at)librairiepolar.com MONS Scientia Passage du Centre 9-13 7000 Mons Tél. : 065 31 65 62 Fax : 065 33 96 56 Courriel : librairie.scientia(at)skynet.be Site Web : www.librairiescientia.eu MOUSCRON Melpomène Rue de la Station 85 7700 Mouscron Tél. : 056 34 81 57 Fax : 056 34 81 57 Courriel : info(at)melpomene.be TOURNAI Chantelivre Rue de la Wallonie 27 7500 Tournai Tél. : 069 84 44 13 Fax : 069 88 01 50 Courriel : chantelivre(at)busmail.net Site Web : www.chantelivre-tournai.com TOURNAI Décallonne Grand Place 18 7500 Tournai Tél. : 069 22 69 21 Fax : 069 22 84 39 Courriel : info(at)decallonne.be TOURNAI Librairie diocésaine Siloë Rue des Jésuites 28 7500 Tournai Tél : 069 36 22 14 Fax : 069 84 38 15 Courriel : librairie(at)services-diocesains-tournai.be Site Web : www.siloe-librairies.com BRAINE L'ALLEUD Le Baobab Rue des Alliés 3 1420 Braine l'Alleud Tél. : 02 384 42 21 Fax : 02 384 42 21 Courriel : livresjeunesse(at)lebaobab.be Site Web : www.lebaobab.be JODOIGNE L'ivre de papier Grand'rue 66 7000 MONS Tél. : 065 33 48 38 Courriel : info(at)ligneclaire.com Site Web : www.ligneclaire.com LA HULPE Au fil des pages Rue des Combattants 106 1310 La Hulpe Tél. : 02 653 32 67 Fax : 02 653 32 66 Courriel : info(at)aufildespages.be NIVELLES Au p'tit prince Rue de Soignies 9 1400 Nivelles Tél. : 067 22 09 52 Fax : 067 55 01 61 Courriel : info(at)auptitprince.be Site Web : www.auptitprince.be WATERLOO Graffiti Chaussée de Bruxelles 129 1410 Waterloo Tél. : 02 354 57 96 Fax : 02 354 48 81 Courriel : info(at)librairiegraffiti.be Site Web : www.librairiegraffiti.be WAVRE Calligrammes Rue Charles Sambon 7 1300 Wavre Tél. : 010 22 61 47 Fax : 010 22 42 35 Courriel : info(at)calligrammes.be Site Web : www.calligrammes.be WAVRE Le chat pitre Chaussée de Louvain 60 1300 Wavre Tél. : 010 24 22 64 Fax : 010 24 22 64 Courriel : lechatpitre(at)skynet.be Site Web : www.lechatpitre.be DINANT Dlivre Rue Grande 67 A 5500 Dinant Tél : 082 61 01 90 Fax : 082 61 16 90 Courriel : contact(at)dlivre.com Site Web : www.dlivre.com GEMBLOUX Antigone Place de l'Orneau, 17 5030 Gembloux Tél. : 081 60 03 46 Fax : 081 60 03 46 Courriel : librairieantigone(at)skynet.be NAMUR Papyrus Rue Bas de la Place 16 5000 Namur Tél. : 081 22 14 21 Fax : 081 22 14 21 Courriel : info(at)librairiepapyrus.be Site Web : www.librairie-papyrus.be NAMUR Point-virgule Rue Lelièvre 1 5000 Namur Tél. : 081 22 79 37 Fax : 081 22 79 37 Courriel : info(at)librairiepointvirgule.be Site Web : www.initiales.org AYWAILLE Librairie du centre Place Joseph Thiry 29 4920 Aywaille Tél. : 04 384 41 93 Fax : 04 384 71 34 Courriel : librairieducentre(at)hotmail.com CHÊNÉE Le long courrier Rue de l'Église 54 4032 Chênée Tél. : 04 367 63 83 Fax : 04 367 63 83 Courriel : lelongcourrier(at)gmail.com Site Web : www.long-courrier.com HUY La dérive Grand Place 10 4500 Huy Tél. : 085 21 25 14 Fax : 085 24 01 51 Courriel : info(at)laderive.com LIÈGE L'échappée belle Boulevard Saucy 9 4020 Liège Tél. : 04 343 57 62 Fax : 04 343 57 62 Courriel : info(at)echappeebelle.be Site Web : www.echappeebellecp.canalblog.com LIÈGE Livre aux trésors Rue Sébastien-Laruelle 4 4000 Liège Tél. : 04 250 38 46 Fax : 04 250 38 46 Courriel : livreauxtresors(at)skynet.be Site Web : www.initiales.org LIÈGE La parenthèse Rue des Carmes 24 4000 Liège Tél. : 04 222 42 66 Fax : 04 221 23 95 Courriel : info(at)laparenthese.be Site Web : www.laparenthese.be LIÈGE Siloë Rue des Prémontrés 40 4000 Liège Tél. : 04 223 20 55 Fax : 04 223 19 55 Courriel : cdd.liege(at)siloe-librairies.com Site Web : www.siloe-librairies.com MALMEDY Au fil d'Ariane 2 Chemin rue 14 4960 Malmedy Tél.et fax : 080 77 05 77 Courriel : malmedy(at)aufildariane.be Site Web : www.aufildariane.be SPA Pages après pages Rue Docteur Henri Schaltin 7 4900 Spa Tél. : 087 22 67 28 Fax : 087 22 67 28 Courriel : pagesaprespages(at)hotmail.com Site Web : www.pagesaprepages.be VERVIERS Au fil d'Ariane Rue Henri Huard 5 4800 Verviers Tél. : 087 33 64 39 Fax : 087 33 64 74 Courriel : aufildariane(at)skynet.be Site Web : www.aufildariane.be VERVIERS Les Augustins Pont du Chêne 1 4800 Verviers Tél. : 087 33 56 99 Courriel : lesaugustins(at)hotmail.com VISÉ L'oiseau lire Rue du Collège 10 4600 Visé Tél. : 04 379 77 91 Fax : 04 374 19 38 Courriel : librairie(at)loiseaulire.be Site Web : www.loiseaulire.be ARLON Le point-virgule Grand-Place 21 6700 Arlon Tél : 063 22 24 74 Fax : 063 23 39 74 Courriel : pointvirgule(at)honet.be ARLON Du tiers et du quart Rue de Neufchâteau 153 6700 ARLON Tél. : 063 23 66 26 Courriel : dutiersetduquart(at)skynet.be BASTOGNE Croisy Grand-Place 21 6700 Arlon Tél : 063 22 24 74 Fax : 063 23 39 74 Courriel : pointvirgule(at)honet.be LIBRAMONT Le temps de lire Rue du Serpont 13 6800 Libramont Tél. : 061 22 47 86 Fax : 061 22 47 86 Courriel : letempsdelire(at)skynet.be Sites Web : www.letempsde-lire.be www.letempsdelire-libramont.be MARCHE-EN-FAMENNE L'Odyssée Rue du Commerce 22 6900 Marche-en-Famenne Tél. : 084 32 20 03 Fax : 084 32 20 03 Courriel : odyssee.mariel(at)gmx.com NEUFCHÂTEAU Oxygène Rue Saint Roch 26 6840 Neufchâteau Tél. : 061 27 15 12 Fax : 061 27 15 13 Courriel : guy.pierrard(at)librairie-oxygene.be Site Web : www.librairie-oxygene.be
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1. Golden sixties et crise économique Comme dans les pays occidentaux en général, les années 60 constituent pour la Belgique une période de prospérité économique. Le pays entre dans l’ère de la consommation de masse, les médias (spécialement la télévision) y occupent une place d’honneur d’importance accrue, le pétrole devient la principale source d’énergie. Jusqu’à 1973, où le premier « choc pétrolier » vient remettre en cause l’édifice économique tout entier, dont la fragilité apparaît alors nettement. A vrai dire, depuis l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, dernière grande fête du capitalisme triomphant, les signes de mutation se multipliaient. D’abord, c’est en 1960 que le Congo devient indépendant : la perte de sa colonie vaut à la Belgique une baisse de prestige sur la scène internationale, en même temps que divers inconvénients économiques. La même année, d’importantes grèves se déclenchent en Belgique, à Charleroi et à Liège, due à la fermeture de nombreux puits charbonniers, ainsi qu’à la « loi unique » proposée par Gaston Eyskens. En 1961, une impulsion nouvelle est donnée à la tendance fédéraliste, avec la création du Mouvement Populaire Wallon (André Renard). Peut-être l’œuvre de Jacques Brel, qui triomphe à l’Olympia en 1966, est-elle à sa façon le reflet du malaise profond qui mine, sourdement, ce pays trop attaché à ses habitudes et à son bien-être. On l’a dit , c’est en 1973 que s’accélère brusquement, par la flambée du prix du pétrole, la détérioration des conditions économiques : fermetures de nombreuses entreprises et montée du chômage frappent surtout la Wallonie, pays de vieille industrialisation, et dont l’infrastructure et les mentalités sont peu préparées à la crise et à ses effets. Cette évolution s’accompagne d’une exacerbation du conflit entre les deux communautés linguistiques. En 1968, à Louvain, le slogan « Walen Buiten ! » exige le départ des étudiants francophones. En 1970, la Constitution est modifiée de manière à instaurer deux Communautés avec leurs pouvoirs propres. Profitant de sa supériorité numérique, la communauté flamande impose progressivement à la Belgique sa suprématie. Dans le domaine des mentalités, il importe de souligner le choc important provoqué par la contestation estudiantine de mai 1968. Beaucoup de jeunes gens rejettent l’autorité de leurs aînés, sont attirés par le « gauchisme », aspirent à une transformation profonde de la société. Plusieurs penseurs français sont « à la mode » : le psychanalyste Jacques Lacan, le philosophe Michel Foucault. En Belgique, les essais (Voir dossier "Survol de l'Essai en Belgique") se multiplient, signés Françoise Collin, Raoul Vaneigem, François Van Laere, Jacques Sojcher, Georges Poulet, Maurice-Jean Lefebvre, Roger Dragonetti, Luce Irigaray, Suzanne Lilar, le groupe « Mu ». 2. Au-delà du nouveau roman Dans la France des années 50, sous l’impulsion d’écrivains comme Nathalie Sarraute ou Alain Robbe-Grillet, un type nouveau de récit fait son apparition, mettant en cause les fondements mêmes du vraisemblable traditionnel : enchaînement linéaire des péripéties, dimensions psychologiques du personnage, littérature comme reflet de la réalité, etc. Ce « nouveau roman » trouve peu d’écho en Belgique : aucune œuvre de l’époque ne peut, en effet, être pleinement classée sous cette enseigne. Son influence, toutefois est perceptible chez deux ou trois écrivains qui, plus que d’autres, s’interrogent sur la technique romanesque et la notion même de récit (Hubert Juin, Jacques-Gérard Linze, Pierre Mertens). S’ils font figure d’exceptions, c’est que durant la période précédente, on a vu qu’il n’existe en Belgique aucune réflexion organisée, aucun débat d’envergure quant à la nature du fait littéraire ou artistique : les condition de l’activité intellectuelle sont telles que, de bon ou de mauvais gré, on se contente de statu quo. Chronologiquement, la première œuvre belge marquée par le nouveau roman est « La cimenterie » d’Hubert Juin (1962), qui sera intégré plus tard dans un ensemble de cinq récits intitulés « Les hameaux », le meilleur étant probablement « Le repas chez Marguerite » (1966). Juin y développe une sorte d’anti-régionalisme, évitant les cliches traditionnels liés au terroir et à la vie campagnarde, montrant que la violence sous-tend la communauté villageoise et la retourne contre elle-même. Surtout, il recourt à une chronologie morcelée, discontinue, au procédé de la remémoration difficile, à une écriture un peu sèche, ce qui donne à sa narration une allure moderne en opposition avec le réalisme qui reste dominant. A sa façon, Dominique Rolin se montre elle aussi préoccupée de renouveler l’art romanesque. Ceci apparaît dans « La maison, la forêt » (1965), où la phrase s’interrompt, se reprend, se répète, semblant vouloir creuses quelque mystère toujours hors d’atteinte. Mais l’écrivain belge chez qui se manifeste le plus clairement l’influence du nouveau roman est sans contexte Jacques Gérard Linze, qui publie « La conquête de Prague » en 1965, « La fabulation » en 1968, « Au nord d’ailleurs » en 1982. Dans chacun de ses livres, la narration semble soumise à une fragmentation systématique, comme sous l’emprise d’une force qu’interdit le rassemblement des souvenirs en une histoire cohérente. Ainsi en va-t-il pour « La conquête de Prague » : le séjour en Tchécoslovaquie de Michel Daubert, qui s’y éprend de la belle Irène, prend rétrospectivement l’allure d’un rêve où tout se dédouble, comme dans un instrument d’optique mal réglé. Mention doit être faite également, de deux romans de Pierre Mertens : « L’Inde ou l’Amérique » (1969), « La fête des anciens » (1971). Dans le premier, c’est l’enfance qui est évoquée, non avec attendrissement, mais avec un mélange de rancoeur et de lucidité, et hors de tout souci de continuité logique, ce qui donne une force supplémentaire à chacune des pièces du puzzle. Le second combine les « voix » de trois personnages, le fils, le père et le grand-père : trois existences paradoxalement étrangères l’une à l’autre, sauf pour un dimanche d’été où elles se croisent de manière à la fois fugitive et décousue. Comme celles des auteurs précédents, ces œuvres de P. Mertens ne peuvent être pleinement qualifiées de « nouveaux romans » (et l’on tendrait plutôt à s’en réjouir). Elles se contentent de renverser les contraintes les plus limitatives de la narration traditionnelle, sans supprimer l’ « histoire », mais pour lui donner au contraire un relief nouveau et une tournure moins lisse, moins artificielle. 3. La veine classique D’autres écrivains, romanciers ou poètes, n’éprouvent pas le besoin de s’attaquer aux règles de leur art : elles leur restent propices à la mise en scène de l’expérience ou de la vision qu’ils veulent transmettre, celles-ci restant pour eux l’essentiel. Et, il est vrai, plusieurs très bons romans sont là pour montrer que les formules narratives classiques n’ont pas atteint leur point d’épuisement : « Le lit » de Dominique Rolin (1960) ; « La confession anonyme », de Suzanne Lilar (1960 ); « Journal d’un crime », de Charles Bertin (1960), « La déchirure » d’Henry Bauchau (1966) ; « La Derelitta », de Vera Feyder (1977) ; « Macaire le Copte », de Frans Weyergans » (1981) ; « Le conservateur des ombres », de Thierry Haumont » (1985). Chacun à sa façon, ces récits restent centrés sur la figure du sujet aux prises avec diverses contradictions intérieures, avec le désir et le sentiment d’échec, avec la passion et la solitude. Ils se rattachent donc au courant bien connu du roman psychologique et individualiste, ne faisant aucune place aux vicissitudes de l’histoire. En un mot, ils ne sont pas facilement « datables ». La même remarque d’ailleurs peut être faite pour plusieurs recueils de poèmes, genre qui toutefois paraît s’essouffler davantage : « Le conservateur des charges », de Jean Tordeur (1964) ; « La route du sel », de Roger Bodart (1964) ; etc. 4. Un regard politique A l’inverse, quelques auteurs n’hésitent pas à prendre en charge la réalité historique, qu’elle soit nationale ou internationale. Sortant la littérature de son cocon, mais sans revendiquer nécessairement un « engagement » précis, ils veulent ainsi rendre compte des luttes qui secouent le monde depuis la guerre, et des marques qu’elles ont laissées dans l’imaginaire collectif. Tel est le cas de René Kalisky, « le plus novateur des dramaturges belges de l’après-guerre » (Marc Quaghebeur), dont « Jim le Téméraire » est publié en 1973. Hanté par le totalitarisme, l’auteur illustre la fascination ambiguë que le nazisme a exercée sur tant d’hommes, et même sur ses propres victimes ; on est très loin de la dualité simpliste entre le bon et le méchant, ce qui n’est pas sans provoquer chez le spectateur un profond malaise. Préoccupations comparables, mais atmosphère toute différente dans les romans de Pierre Mertens, « Les bons offices » (1974) et « Terre d’asile » (1978). Les événements historiques (indépendance du Congo, génocide biafrais, conflit israélo-palestinien, dictature chilienne) interfèrent avec des existences individuelles, sans qu’une « solution » rassurante soit apportée aux uns ou aux autres. Retour au théâtre avec Jean Louvet et ses pièces « Conversation en Wallonie » (1976) , « L’homme qui avait le soleil dans sa poche » (1982). Le monde ouvrier s’y révèle, avec ses comportements spécifiques, et la difficile rencontre avec un monde qui lui est à la fois proche et lointain, celui des intellectuels de gauche. Quant aux romans de Conrad Detrez, notamment « Les plumes du coq » (1975) et « L’herbe à brûler » (1978), ils sont à la fois plus autobiographiques et plus circonstanciels. L’éducation religieuse y pèse d’un grand poids, et entre en contradiction avec les découvertes de l’âge adulte, comme ce Brésil à la fois violent et immoral où la lutte révolutionnaire se heurte à une dure répression armée. 5. Le goût de l’insolite Prolongeant le courant fantastique de la période précédente, mais avec des thèmes et des formes renouvelés, plusieurs œuvres théâtrales ou narratives explorent les territoires secrets de l’imaginaire et du subconscient. Comme pour la « veine classique », on ne trouve ici ni remise en cause des formules littéraires éprouvées, ni prise en charge de la réalité historique. Il n’en reste pas moins que, à leur manière, ces textes de factures très diverses manifestent une profonde inquiétude quant au rapport de l’homme au monde : écho assourdi des déchirements qui se jouent sur la grande scène du monde contemporain. Tel est le cas pour le théâtre de Paul Willems (« Il pleut dans ma maison », 1962 : « La ville à voile », 1967). Sous l’aspect poétique et séduisant se cachent des éléments plus inquiétants, comme la cruauté et la mort, contrebalancés par une philosophie souriante de l’existence : les pièces de Willems sont plus complexes et plus paradoxales qu’il n’y paraît à première vue. Quant à Gaston Compère, ses récits nous mènent droit à une étrangeté parfois sinistre (« Portrait d’un roi dépossédé », 1978 ; « Les griffes de l’ange », 1981). S’y mêlent des éléments baroques, parodiques ou macabres, emportés dans le mouvement d’une écriture dense et forte, sans concession pour la quiétude du lecteur. Tout autre, et plus « humain », est le fantastique de Jean Muno dans « Histoires singulières » (1979). En une dizaine de nouvelles, nous sommes transportés dans un monde faussement ingénu, où l’irruption de l’étrange, bien que traité discrètement et même souvent avec humour, vient contraster de manière saisissante. Dans « Les fantômes du château de cartes » (1981), Marcel Marien nous donne une série de petits contes d’une habileté extraordinaire, qui semblent renouer avec le romanesque « à rebondissements ». Mais la malice est présente à toutes les pages, et l’on accepte bien volontiers les situations les plus incongrues, dans la certitude qu’elles trouveront à chaque fois un épilogue digne de leur cocasserie parfois grinçante. Beaucoup plus graves sont « L’homme troué », de Georges Thinès (1981), ou « L’Envers » de Guy Vaes (1983). Le premier regroupe une quarantaine de nouvelles où se mélangent le délirant et l’imperturbable ; le deuxième, bien que partant d’une donnée parfaitement invraisemblable (la résurrection de l’homme), parvient à l’intégrer avec une aisance confondante dans le monde de la vie normale. 6. A la recherche d’un ton nouveau Dans les années 70, la nécessité d’un renouvellement de la création littéraire semble de plus en plus à l’ordre du jour. Que le roman français soit en crise ne fait plus guère de doute, le « nouveau roman » n’ayant pas, comme on pouvait l’espérer, jeté les bases d’une littérature qui serait à la fois moderne et accessible au plus grand public. Sans doute un Georges Perce, une Marguerite Duras, un Michel Tournier proposent-ils des voies inédites, mais il n’est gère possible de les suivre sans les imiter. La confrontation avec les littératures étrangères (slave, américains, etc.) ne fait que souligner l’impasse. Loin de toute théorie, de tout système, divers écrivains belges –généralement jeunes- se risquent dans des voies originales. D’abord dans le domaine de la poésie, pour laquelle l’année 1978 est un millésime notable (ceci sans raison bien claire), puisqu’elle voit paraître « Clartés mitoyennes », de Fernand Verhesen ; « Marcher au charbon » de William Cliff ; « Vêtu, dévêtu, libre », de Jacques Izoard : « Le degré Zorro de l’écriture », de Jean-Pierre Verheggen. Parmi ces recueils très différents émerge la poésie de Jacques Izoard : concise et nette, rappelant un peu la rigueur d’un René Char, elle poursuit les fragments d’un réel comme pulvérisé par quelque cataclysme, et s’apparente à des comportements à la fois graves et légers comme l’errance, le ramassage, la collection. Maisons d’épingles de marins, ou huche d’épines, ou amandier. La coquille de verre protège la boule noire du sommeil. C’est l’année suivante que Werner Lambersy publie « Maîtres et maisons de thé », Claire Lejeune « L’Atelier » : deux « livres » au sens plein du terme, où se déploie un texte qui tient à la fois du poétique et du philosophique, en une suite dont la véritable structure est peut-être musicale. La même aspiration au renouveau se manifeste dans l’univers du récit, dans des directions tout aussi variables. Là où Marcel Moreau cherche le salut par la sauvagerie (« Quintes », 1962 ; « Bannière de Bave », 1965), Paul Emond se livre aux joies perverses de la mythomanie (« La danse du fumiste », (1977). Eugène Savitzkaya explore l’univers contradictoire et fragmentaire des fantasmes, des pseudo-souvenirs d’enfance (« Mentir », 1977), tandis que Francis Dannemark invente un récit réversible par des héros somnambulesques (« Le voyage à plus d’un titre », 1981). Titres auxquels il faudrait ajouter la sarcastique « Histoire exécrable d’un héros brabançon » (Jean Muno, 1982), « La pluie à Rethel » (Jean-Claude Pirotte, 1982), « Ce rien de souffle qui n’appartient qu’aux dieux seuls » (Eddy Devolder, 1985), et plusieurs autres. Ici pas plus d’ailleurs il ne s’agit d’être complet. Ce qui compte est de dégager des tendances générales, lesquelles semblent en l’occurrence se ramener à deux : -ou bien l’œuvre évoque l’environnement contemporain, par les « petits » côtés plutôt que par les grands, mais s’en tient à distance par le bais de l’humour ou de la parodie (Verheggen, Moreau, Emond, Muno) ; -ou bien elle détaille les étrangetés d’un « surréel » qui peut tenir du rêve, de l’utopie (Izoard, Savitzkaya, Dannemark). Bien qu’il soit trop tôt pour faire la synthèse de la production récente, et pour se prononcer avec sûreté sur sa valeur, il existe à coup sûr dans la Belgique francophone d’aujourd’hui une nouvelle génération d’écrivains. Et cette nouvelle génération est décidée à ne pas refaire simplement ce qui avait été fait avant elle. Histoire de la littérature belge I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé II. 1880-1914 : Un bref âge d’or. III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire V. 1960-1985 : Entre hier et demain
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« Le Pain de Vie » Artistes : Silviane Tirez (peintures), Alain Larivière (peintures), Lou Delman (sculptures), et Carole Duffour (sculptures). Vernissage le : 25/11/2009 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 25/11 au 13/12/2009. « Signes, Matières, Formes et Couleurs » Artistes : Jean-Pierre Artin (peintures), Brigitte et Jean-Marc Millet (céramiques), Roger De Bruyn (bijoux). Vernissage le : 16/12/2009 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 16/12 au 10/01/2010. « Du Maitrisé au Maitrisable » Artistes : Le Xiao Long (encres de Chine), Laura Bazzoni (photographies), Emma Lapassouze (peintures), Baldelli (sculptures), Adèle Vergé (sculptures). Vernissage le : 13/01/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 13/01 au 31/01/2010. « Alchimie et Impermanence » Artistes : Pittorex (laques, oxydations) et Martine Hirtzmann (peintures). Vernissage le : 03/02/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 03/02 au 21/02/2010. « 40 ans sur les chemins de l’amitié » Artistes : Daniel Thys (peintures, dessins, encres de Chine, divers…) Vernissage le : 24/02/2010 de 18 h 30 à 21 h 30. Exposition du 24/02 au 14/03/2010.
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1. La guerre et ses lendemains Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique. C’est le début de cinq années d’occupation, plus dures encore qu’en 14-18, au cours desquelles la résistance s’affirme courageusement, tandis que rexistes et nationalistes flamands du VNV se livrent à la collaboration. Après le débarquement de Normandie, l’offensive Von Rundstedt dans les Ardennes et la victoire définitive sur l’Allemagne nazie, le problème du retour de Léopold III en Belgique divise le pays : c’est la question royale, marquée par une série de graves violences principalement dans les provinces de Liège et du Hainaut, et qui se dénoue par l’intronisation de Baudouin Ier. Durant les années 50, l’évolution économique et politique du pays peut se ramener à quelques faits saillants : reconstruction et relance de l’économie avec le soutien du Plan Marshall ; association de la Belgique à de grands consortiums internationaux (ONU en 1946, Benelux en 1947, OTAN en 1949, CECA en 1954, Euratom en 1957) ; conflits croissants entre les deux communautés linguistiques du pays, mais aussi entre unitaires et fédéralistes ; nouvelle guerre scolaire, ponctuée par la loi « Collard » (1955) et le Pacte scolaire (1959), entre catholiques et socialistes. Sur le plan culturel et intellectuel, il faut noter que, durant de longues années, le choc de la guerre paraît curieusement amorti. Certes, les tendances révolutionnaires de l’entre-deux-guerres (surréalisme compris) semblent complètement oubliées, l’américanophilie s’installe : l’heure n’est plus au pro-communisme ni même à une réflexion ou à une littérature « engagées ». Mais, comme beaucoup d’autres pays, la Belgique semble vouloir oublier au plus vite les affres de 40-45, et se soucier prioritairement de retrouver le bien-être matériel, en renouant avec des valeurs morales jugées « éternelles » -et dont on discerne mal la collusion avec la montée du fascisme dans les années 30 (respect de l’autorité, des valeurs bourgeoises comme la famille et la patrie, éducation paternaliste et puritaine, etc.) Il faudra attendre la révélation très progressive de l’horreur concentrationnaire, et une lente prise de conscience idéologique, pour que, à retardement, ce consensus avoue ses premières fissures (ainsi pourrait-on interpréter la révolte étudiante de mai 1968). Entre-temps, ni les intellectuels, ni les écrivains, ni les artisans n’entament de réflexion sur le sens profond de leur activité. Durant cette période, et sauf de minces exceptions, il n’y a pas d’avant-garde en Belgique, pas de contestation de l’ordre établi, de querelle d’école –pas même de roman existentialiste. C’est le règne d’un « bon ton » plus ou moins consentant. 2. Le « grand possible » Durant l’occupation, les circonstances font de la lecture un loisir privilégié. Mais, la frontière avec la France étant fermée, et la censure allemande veillant, la création littéraire est amenée à se réfugier dans trois genres très « détachés » de la réalité contemporaine –lesquels d’ailleurs poursuivent leur essor après la Libération : le récit fantastique, les histoires policières, la poésie non-engagée. Ce n’est pas que dans ces œuvres l’angoisse née de la guerre ne transparaisse nullement, mais elle s’y exprime toujours d’une manière indirecte, méconnaissable. Témoin le rêle de la peur et de l’horreur dans les contes fantastiques, celui de la violence ou de la mort dans le roman policier, etc. En 1941 paraît « Sortilèges » de Michel De Ghelderode, recueil de « contes crépusculaires » qu’on a rapprochés des sombres fictions d’Edgar Poe. Dans chacune de ces histoires en effet, on assiste à la progressive et inéluctable montée de l’angoisse, qui se matérialise autour du narrateur en un décor oppressant : seul un événement imprévu, ou un violent effort de la volonté lui permet finalement de s’en délivrer, et de retrouver l’apaisement. Le plus célèbre « fantastiqueur » belge reste Jean Ray, dont les meilleurs récits paraissent eux aussi en pleine guerre : « Le Grand Nocturne » (1942), « Les Cercles de l’Epouvante » (1943), « Malpertuis » (1943), sans compter « La Cité de l’indicible peur » (1943) et bien d’autres. certes, cette œuvre abondante a de nombreuses faiblesses, sacrifiant souvent à la redite et à la facilité. Certes, elle n’hésite pas à recourir à l’arsenal le plus éprouvé (et le plus disparate) des récits d’horreur : vampires, fantômes, créatures monstrueuses, diable en personne, phénomènes surnaturels de toutes sortes, situations angoissantes jusqu’au paroxysme. Il n’en reste pas moins que, évitant le vieux piège de l’explication rationnelle finale, et laissant habilement sans visage précis les êtres de l’ « autre monde », Ray nous livre des histoires douées d’un réel pouvoir d’envoûtement, parmi lesquelles émerge son seul roman : « Malpertuis ». A la même veine appartiennent les recueils de Thomas Owen, tels « Les chemins étranges » (1943), « La cave aux crapauds » (1945), « Cérémonial nocturne ». Mais ils se caractérisent par une absence quasi complète d’exotisme : les événements et créatures étranges apparaissent sur fond de banalité, le contraste accentuant l’impression d’épouvante. Tout autre est l’œuvre de Marcel Thiry. Son insolite est plus ample, plus raffiné, plus méditatif. L’auteur est hanté par la fatalité du vieillissement, de la jeunesse qui disparaît irrémédiablement, par le motif de la femme aimée qui a disparu et qu’il s’agit de retrouver. Dans « Echec au temps » (1945), qui relève d’une science-fiction « douve », un quatuor de jeunes gens tente de modifier rétroactivement l’issue de la Bataille de Waterloo : entreprise chimérique, mais combien symptomatique, qui vise à renverser l’immémoriale tyrannie du temps et de la mort. Ce me^me récit revient, sous des aspects divers, dans les sept contes intitulés « Nouvelles du grand possible » (1960), et dont le plus remarquable est « Le concerto pour Anne Queur » : fable émouvante et inquiétante, où un peuple d’immortels finit par disparaître dans le suicide collectif. Aux côtés de Marcel Thiry, citons « Nouvelles réalités fantastiques » de Franz Hellens (1941), auteur lui aussi d’excellentes nouvelles dans ce genre littéraire dangereux (précisons que plusieurs de ses recueils n’appartiennent pas à la période 1940-1960 : « Réalités fantastiques » date de 1923, « Herbes méchantes » de 1964, « Le dernier jour du monde » de 1967). Par contre, on s’étonnera peut-être de voir figurer ici « Octobre long dimanche », de Guy Vaes (196). Et pourtant, ce roman hors du commun manifeste une vive expérience de l’étrangeté. Bizarrement passif, Laurent se laisse successivement couper de toutes ses attaches sociales : emplois, amis et amies. Il semble accepter sans remords ni acrimonie cette lente déperdition, jusqu’à se retrouver jardinier d’un domaine dont il aurait dû hériter : inquiétant cheminement d’un être qui, tout en continuant de vivre, est en train de « quitter » ce monde. 3. Le roman policier Il est généralement admis que le récit policier est une « invention américaine » (pensons à Edgar Poe, à Raymond Chandler, à Dasihell Hammet), popularisé dans la France d’avant-guerre par des collections comme « Le Masque » ou « L’Empreinte ». Sous l’occupation, Stanislas-André Steeman –déjà célèbre en France, et qui vient de publier son fameux roman d’énigme « L’assassin habite au 21 » (1939) –lance une collection intitulée « Le Jury », rapidement auréolée d’un succès flatteur . Le créateur du commissaire Wens devient alors une sorte de gloire nationale, et il est vrai que plusieurs de ses œuvres témoignent d’un métier très sûr : « Légitime défense » (1942), « Haute tension » (1953), « Six hommes à tuer » (1956), etc. En tout une quarantaine de volumes, qui dénotent une grande virtuosité dans la technique narrative, mais aussi d’une verve et d’un humour qui les mettent aux antipodes des Simenon. Plusieurs auteurs mineurs se sont consacrés au policier : Max Servais, Louis-Thomas Jurdant, etc. Une place spéciale doit être réservée à deux spécialistes du fantastique : Jean Ray, avec sa longue série des « Aventures d’Harry Dickson », « le Sherlock Holmes américain » ; et Thomas Owen, auteur d’ « Hôtel meublé » (1943), des « Invités de huit heures » (1945), du « Portrait d’une dame de qualité » (1946). Nous voici à l’écrivain belge le plus célèbre au monde : Georges Simenon. Quant la guerre commence, il a déjà, comme Steeman, publié bon nombre de titres qui l’ont fait connaître d’un large public. En 1940 paraît « Le bourgmestre de Furnes », l’un de ses meilleurs romans, de la veine de ceux qui ont valu à Simenon la réputation non d’un auteur de policiers, mais de romans psychologiques. Citons encore, à titre d’échantillons, « L’horloger d’Everton » (qui date de la période « américaine », soit 1945-1955), des enquêtes du commissaire Maigret. Tous les livres de Simenon, à des titres divers, sont des oeuvres d’atmosphère. Elles relèvent d’une sorte de « néo-naturalisme », dans la mesure où les personnages semblent fréquemment menés par une fatalité incontournable, et leur comportement comme pré-déterminé par le lieu dont ils sont issus. Mais leur intérêt provient surtout d’une écriture parfaitement adaptée à l’imaginaire du récit, de l’absence d’importunes « explications » psychologiques, de motifs obsédants comme le regard, l’attente, le silence. 4. La poésie à l’honneur On l’a dit, la période voit s’épanouir d’autre part une poésie souvent d’excellente qualité, bien qu’elle ne soit révolutionnaire ni dans ses thèmes ni dans son langage. Soulignons à cet égard, le dynamisme précieux d’éditeurs comme Georges Houyoux, André de Rache, Pierre Seghers ou Henri Fagne, qui permettent à de nombreux jeunes poètes de se faire connaître. Sans oublier des « relais aussi utiles que les Midis de la Poésie à Bruxelles, les Biennales de Knokke, « Le Journal des Poètes », etc. Parmi les meilleurs recueils qui voient le jour dans les années 50, citons « Le voleur de feu », de Robert Goffin (1905), à la tonalité quelquefois proche d’un Cendrars. Citons surtout ceux qui figurent longtemps, Henri Michaux mis à part, considérés comme les deux meilleurs poètes belges de langue française : Norge et Marcel Thiry. Le premier publie « Les râpes » en 1949, « Les oignons » et « Le gros gibier » en 1953, « La langue verte » en 1954. Son œuvre se caractérise par une sorte de sagesse bonhomme mêlée de sensualité, mais aussi par un ton savoureux qui rappelle fréquemment les adages et chansons populaires. Sorte de fabuliste moderne, mais sans emphase ni sermon, Norge pourchasse l’hypocrisie et la prétention, sensible seulement à ce que la vie a de plus vrai. Atmosphère toute différente dans les recueils de Marcel Thiry, par exemple dans « Usine à penser des choses tristes » (1957), à la coloration toute nostalgique. Et c’est parfois suprême ou bien l’avant-suprême Que nous verrons jaunir un été sursitaire. Voici l’aster avant-suprême ou bien suprême ; Le signe violet se lève sur Cythère. Il serait injuste, enfin, d’oublier « La marche forcée » de Liliane Wouters (1954), « Magie familière », de Roger Goossens (1956), ou encore « Géologie », d’Henry Bauchau (1958). Sans apporter à l’art poétique de profond renouvellement, de tels recueils, avec leurs indéniables qualités, sont bien représentatifs de l’esthétique dominante de cette époque, où le sentiment d’insatisfaction forme pierre angulaire. 5. Le règne des éditeurs parisiens Sous ce titre un peu provoquant, il s’agit de caractériser un phénomène typique de l’après-guerre : l’édition littéraire belge devenue quasi inexistante, bon nombre de manuscrits (sinon d’écrivains) prennent la route de la France. La production romanesque de l’époque –c’est elle que nous visons ici, en exceptant le fantastique et le policier- est dominée par l’analyse psychologique et les problèmes moraux. Pour le reste, elle présente guère d’unité, et se constitue plutôt d’œuvres à chaque fois singulières, dont plusieurs sont d’ailleurs d’authentiques réussites. Ainsi en va-t-il pour « Blessures », de Paul Willems (1945), où sur fond de village campines, la pure et frêle Suzanne succombe sous la méchanceté d’un entourage trop dur pour elle. Pour « Le Rempart des Béguines », de Françoise Mallet-Joris (1951), histoire de l’amitié tendrement immorale entre Hélène adolescente et Tamara, la maîtresse de son père. Pour « Léon Morin, prêtre », que Béatrice Beck publie en 1952, montrant la nécessaire soumission du désir aux interdits moraux. C’est la même année que paraît « Notre ombre nous précède », d’Albert Ayguesparse, peinture terrienne qui renoue habilement avec le roman de mœurs. En 1953 sort de presse « Thomas Quercyé, de Stanislas d’Outremont : malgré son pathétique, l’héroïsme un peu artificiel du personnage central fait du roman une œuvre de morale autant que de fiction. « Les mémoires d’Elseneur », de Franz Hellens (1954) constituent peut-être son roman le plus riche et le plus fort. Composé de trois parties dont les rapports sont en partie énigmatiques, il raconte l’itinéraire inquiétant de Théophile, enfant criminel, puis navigateur de l’étrange, et enfin ascète qui renonce au monde. Dans cette terrible épopée, où passe le souffle de la tragédie antique, les pulsions oedipiennes le disputent à la recherche de l’absolu et de l’apaisement définitif –que le héros finit par trouver dans un mystérieux paysage de neige. Il faut mentionner le merveilleux « Tempo di Roma », d’Alexis Curvers (1957). Le jeune Jimmy, épris de la jolie Geronima, ne s’est pas aperçu avant la mort de Sir Craven qu’il en était aussi aimé : l’intrigue serait mince si elle n’était étroitement associée à la « présence » et au charme de Rome, dont les couleurs, les odeurs, la lumière sont rendues avec une finesse rarement atteinte. Quant à « Saint-Germain ou la négociation », de Francis Walder (1958), il rapporte les discussions historiques entre calvinistes et catholiques, au 16e siècle ; mais il s’attache surtout à une étude psychologique raffinée des interlocuteurs, et aux dédales les plus subtils de l’argumentation diplomatique. 6. La « Belgique sauvage » Quelques rares isolés se tiennent à l’écart de l’académisme officiel et des cercles feutrés qui caractérisent l’époque : souvent des survivants de l’aventure surréaliste ( dossier surréalisme suivra), ou de jeunes créateurs qui en ont été directement marqués. Véritables marginaux de la littérature, ils poursuivent opiniâtrement leur tâche anticonformiste, le plus souvent sans grande notoriété, tâchant de maintenir la fragile flamme de la contestation des valeurs établies. En 1947, un groupe « surréaliste-révolutionnaire » apparaît en Belgique. Christian Dotremont est parmi ses fondateurs et bientôt, sous son impulsion, voit le jour fin 1948 le groupe « Cobra », qui s’illustre surtout dans le domaine des arts plastiques, et s’écarte d’ailleurs radicalement du surréalisme. Il se rend célèbre notamment par des « peintures-mots », dont les nombreux « logogrammes » de Dotremont. En 1952, André Blavier crée à Verviers la revue « Temps mêlés ». L’année suivante, c’est « Phantomas », dont l’animateur principal est Théodore Koenig. Le n° 11 (décembre 1971) comportera un important supplément intitulé « La Belgique sauvage », sorte de panorama de tout ce qui, dans l’après-guerre, s’érige en refus de la culture officielle : ainsi la revue « Daily-Bûl », fondée en 1957 par André Balthazar. Pour diverses, persévérantes et désintéressées qu’elles oient, il faut reconnaître que les initiatives de ce genre ne donnent pas lieu à des œuvres importantes. Elles sont dominées de très loin par le personnage d’Henri Michaux qui, vivant en reclus, publie dans ces années certains de ses plus beaux textes, aux titres significatifs : « L’espace de dedans » (1944), « Ailleurs » (1948), « Face aux verrous » (1954), « L’infini turbulent » (1957). Admiré de beaucoup, Michaux n’est imité par personne ; et s’il est considéré avec René Char et Francis Ponge comme l’un des plus grands « poètes » français, c’est en solitaire qu’il poursuit son parcours exigeant. D’une étonnante lucidité, il évite avec une sûreté miraculeuse tous les pièges habituels de la littérature et de la pensée, en explorant jusqu’à l’extrême limite du possible les pouvoirs et les frontières de l’esprit humain, fût-ce dans l’expérience de la drogue. Moins ésotériques sont les œuvres de Louis Scutenaire (« Les degrés », 1945 ; « Les vacances d’un enfant », 1947) ; de Christian Dotremont (« La pierre et l’oreillers », 1955) ; d’Achille Chavée (« Entre puce et tigre », 1955), etc. Elles ont, entre autres, l’intérêt de préserver un « contre-pouvoir » dans la sage Belgique littéraire de l’époque. Histoire de la littérature belge I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé II. 1880-1914 : Un bref âge d’or. III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire V. 1960-1985 : Entre hier et demain
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Biographie de Max Elskamp (1862-1931)

Robert Paul a dédié ce réseau Arts et Lettres à Max Elskamp.

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D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Suit une brève biographie d'Elskamp.


Max Elskamp est né le 5 mai 1862 à Anvers, non loin de l'église Saint-Paul. A cette époque, la ville possédait encore toute sa noblesse flamande, marchande et maritime. Les anciens quartiers, aux ruelles étroites et, tour à tour, grouillantes et silencieuses, firent sur l'enfant une impression profonde. Toute son oeuvre sera pénétrée de l'odeur sauvage du fleuve, où de grands coups de vent jetaient la senteur du goudron et des cargaisons, et les notes rauques des sirènes. Ses yeux s'étaient ouverts sur les bassins aux mâtures nombreuses, les écluses, les embarcadères et leurs pilotis, les magasins d'épices rares et exotiques, les marins aux parlers rudes et divers, les allées et venues des débardeurs et des filles, les voiliers aux noms touchants et magnifiques et les petites gens du quartier. Tout enfant encore, Max Elskamp suivra ses parents dans une maison neuve, au boulevard Léopold, dans un quartier neuf, lui aussi, et patricie, comme on disait alors. Mais ce vaste et magnifique hôtel, où pourtant devait s'écouler sa vie, occupera moins sa pensée que le décor de ses premières années. Jeune garçon, il était invinciblement attiré par le port et y passait toutes ses heures de liberté.

Son père avait été banquier; artiste de goût, il menait son fils au Musée et lui montrait une admirable collection de primitifs. Sa mère, rêveuse et mystique, atteinte d'une maladie mystérieuse, lui apprenait à éviter de faire souffrir. C'est d'elle qu'il tint en horreur, qu'il gardera toute sa vie, de la force brutale, son attention aux choses les plus humbles, sa curiosité de leur sens caché, et une sensibilité très subtile et très discrète, une sensibilité de solitaire. Max Elskamp doit à son père le sens de la beauté des images, de la ligne et de la couleur, et une dignité de grand seigneur timide. L'hérédité nordique, du côté paternel, s'alliait en lui à l'hérédité française et wallonne que lui avait transmise sa mère. Les vacances d'été dans la campagne wallonne au sein d'une famille joyeuse alternaient pour lui avec le séjour rêveur et solitaire, près du grand port flamand.

Elskamp fit quelques voyages. Il connut le métier des marins et des bateliers. Il s'intéressa à tous les anciens artisanats aux traditions séculaires. Le nom des objets et des outils, leur forme parfaite par l'usage, les gestes et les tableaux et les chansons de l'humble vie populaire, il recueillit tout dans sa mémoire et dans son coeur. Il reçut ainsi la leçon de l'apparence et de la vie profonde des choses, et l'intuition prolongeait l'étude.

Comme tant de fils de famille riche, à l'époque, il fit des études de droit. Mais il ne s'intéressa guère au barreau et le quitta après très peu de temps. Il éprouva un grand et pur amour pour une jeune fille qu'un autre épousa et emmena en Egypte. Il ne se consola jamais de l'avoir perdue. Ce furent des années vraiment désolées. Il se rapprochera davantage de son père et ce fut entre eux une admirable amitié. Sa mère mourut, puis, tragiquement, sa soeur. Lorsqu'en 1911, son père mourut, il sembla qu'il n'avait plus qu'à songer à la mort. Lui-même était malade et croyait qu'il ne guérirait plus.

Il avait écrit des poèmes qui furent publiés d'abord en plaquettes et en livres de haut luxe. Il en surveillait attentivement la typographie. Il les agrémentait de gravures qu'il taillait dans le bois selon les modes des anciens imagiers. Ils furent réunis en un volume qui parut au Mercure de France en 1898, sous le titre de "La Louange de la Vie" (Brève présentation suivra) . Ce volume comprend "Dominical", Salutations dont d'angéliques", "En symbole vers l'apostolat", Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre" (Texte intégral suivra). La même année parut encore un recueil: "Enluminures" (Brève présentationsuivra).

Le poète se tut alors. Il s'était épris de folklore et rassemblait d'importantes collections. Les instruments qui ont servi à étudier les astres ou à mesurer le temps l'intéressaient particulièrement: horloges, gnomons, sextants, astrolabes, etc. Il s'en procura de toutes provenances, fit à leur propos des calculs et des études. Il semblait s'être fait dans sa solitude une manière de quiétude: ce n'était peut-être qu'une forme du renoncement. Quelque chose d'obscur le détournait de la littérature. On put croire alors que l'oeuvre du poète était terminée. Il se livrait à des recherches de technique et de science.

Ce fut la guerre de 1914, et l'exode vers la Hollande des civils qui voulaient éviter les horreurs de l'occupation allemande. Max Elskamp s'en fut par les routes à Berg-op-Zoom. Il y mena la vie misérable des réfugiés en exil. Sa dépression morale fut extrême et sa faiblesse inquiétante. En 1915, Henry van de Velde (voir le très précieux hommage qu'il rendit au poète), son plus ancien et son plus fidèle ami, parvint à le décider à rentrer à Anvers. Max y retrouvera sa maison abandonnée et le silence qu'il aimait. Il reprit ses occupations coutumières. Il se remit à la recherche et à l'étude des témoins émouvants de la vie populaire. Les souvenirs, belles images, occupaient de leur douceur ou de leur peine ses insomnies. Il se remit à graver le bois et à écrire des poèmes. La guerre prit fin. Ses journées se suivaient dans leur régularité et leur monotonie: mêmes occupations, entretiens avec quelques intimes, promenades avec la même amie, son "Accoutumée", comme il disait.

Après la période de la prostration, du silence et de l'exil - c'est ainsi qu'il la désignait lui- même - vint une période de production intense, de 1920 à 1924. Un premier recueil: "Sous les tentes de l'exode" (1921) (Brève présentation suivra), nous apporte le témoignage d'une sensibilité émue par les événements. Puis ce furent les "Chansons désabusées" (Brève présentation suivra) et "Maya" (Brève présentation suivra), --- (Texte intégralsuivra) où revivaient ses souvenirs d'amour et les anciens thèmes de sa rêverie (1922). En 1923, les "Délectations moroses" nous rappellent ses hantises et sa longue peine. "La Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégralsuivra) évoque de la façon la plus émouvante ce qu'il a le plus profondément aimé: les siens et le vieux quartier de ses premières années. En 1923 encore, "Les Sept Notre-Dame des plus beaux Métiers", le plus bel album de ses oeuvres xylographiques. En 1924, les deux derniers recueils qui parurent sous son contrôle: "Aegri Somnia" (Brève présentationsuivra) et "Remembrances".

Mais la maladie était venue, l'affreuse maladie et des obsessions terribles. La cloison s'était rompue entre l'univers et la vie intérieure. On a parlé de démence, d'accès de fureur et d'heures de dépression. Le poète est mort le 10 décembre 1931.

Il laissait quelques recueils de poèmes inédits. On en a publié la partie la plus importante et sans doute la plus belle: "Les Fleurs vertes", "Les Joies blondes", deux recueils qui parurent en 1934. Mais d'autres recueils demeurent inédits, dont il faut convenir qu'ils présentent des répétitions, des incohérences ou des traces de défaillance.

Familier de toutes les images chrétiennes, Max Elskamp ne fut pas catholique. "Religion vague et invoulue, dit-il, car je ne crois pas." Mais s'il fuyait les dogmes, il était pourtant "l'être le plus religieux" (Jean de Bosschère nous l'assure). Sa piété pour les choses et pour les hommes simples qui révèlent, sans le savoir, par des signes, ce qu'il y a d'essentiel en eux, suit des routes pour ainsi dire franciscaines et le mène à la mystique populaire. Dans l'évocation des croyances et des rites, "résonne la hantise mystique". Sa curiosité et le besoin de pénétrer plus profondément dans la compréhension de l'être et de sa solitude le conduiront à une sorte de bouddhisme qui n'était pas le bouddhisme et où il alliait deux sensibilités, la flamande qu'il s'était formée dans la solitude, et la chinoise qu'il avait rêvée; mystique de douceur, de silence et de paix. Mais sa pensée ne put s'y arrêter. Il était obsédé par des spéculations dont on ne trouve l'expression que dans sa correspondance. Il poursuivait, dans son absolu, le mystère de l'Etre, de l'Unité, du Temps et de l'Eternité. Ses dernières années lui apportèrent une douloureuse féerie pleine de persécutions, qui n'étaient pas toutes imaginaires.

Il vivait au plus haut de sa vaste et belle demeure, remplie de curiosités et d'oeuvres d'art. La chambre qu'il habitait était, tour à tour, la cellule monastique d'un fervent lecteur de l'"Imitation de Jésus-Christ", et l'atelier d'un artiste féru de la scrupuleuse perfection de l'artisan des anciens métiers. Sorte de moine laïc, préoccupé d'astronomie et de pensées secrètes. De là-haut, comme d'une tour, dans sa rêverie, ses confusions et ses clartés, "il était l'homme le plus vivant d'Anvers,, il était l'âme même d'Anvers, son honneur et sa légende". Il fuyait le contact des négociants et des grands armateurs. Solitaire et comme regardant au plus profond de soi-même, c'était la ville en lui en tout ce qu'elle a de durable et de meilleur, dans les joies et les douleurs, dans les prières et les chansons du peuple.

Cette vie d'Anvers, il nous la lègue dans son oeuvre, comme il fait revivre le quartier où il passa son enfance. "La rue Saint-Paul où je suis né, rue de consulats, maritime, joignant l'Escaut. Notre maison se trouvait pour ainsi dire enclavée dans l'église Saint-Paul, et mon enfance s'est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée, chef-d'oeuvre d'un sacristain en délire, où l'on voyait, entre les barres de fer, Christ au tombeau et dans de grandes et terribles flammes rouges, brûler sans fin les âmes du Purgatoire. En août passaient chez nous les baleines, les géants des Ommegancks flamands; et les hivers, si près du fleuve, les nuits d'hiver surtout étaient affreuses et trop emplies de bruit du vent, des glaces et de la marée. . ." Toute la vie véritable de sa vieille ville flamande, nous la retrouvons partout dans ses livres, mêlée à sa pensée, et site de ses souvenirs, particulièrement dans sa "Chanson de la rue Saint-Paul" (Texte intégral suivra) --- (Brève présentation suivra), où il nous a parlé de lui et des siens de la façon la plus émouvante.
Les premiers recueils de Max Elskamp, réunis dans "La louange de la vie" en 1898, nous le révèlent tel qu'il ne cessera d'être. Les thèmes de ses chants - il en parlait comme de l'"enfantin missel de notre Passion selon la vie" - s'ordonnent en suites régulièrement organisées. Déjà sa manière est fixée. Elle peut sembler d'un ton si préconçu qu'on a voulu y déceler de l'artifice. Il s'était choisi un style très consciemment personnel. Evitant à la fois les épanchements et l'accent "pleurard", comme il disait, il était parvenu à ralentir le débit et à concentrer les images. Il ne tarda pas à s'aperçevoir que ce ton et son rythme correspondaient à ceux des anciennes chansons flamandes Sa langue, une langue bien personnelle, faite d'ellipses et de tours syntaxiques inusités, création unique dans nos lettres, donnait l'impression d'archaïsme et s'adaptait merveilleusement à la nature de son inspiration. On a dit qu'il avait emprunté aux symbolistes, à Verlaine et à Mallarmé. Mais il suffit de lire une seule de ses strophes, un de ses couplets, pour découvrir ce que sa manière et son rythme ont de personnel. La langue des symbolistes, qui, chez d'autres, paraît une affectation et une préciosité vaines, est, chez lui, non un balbutiement ni un ornement, mais la forme même de la sensibilité. "Langue prodigieuse, dit Jean Cassou, faite d'appositions, de participes adjectivés, d'ablatifs absolus, de substantifs sans articles, langage tout naturellement synthétique, c'est-à-dire en contradiction complète avec le génie français, mais qui impose à notre raison sa densité paradoxale, son chant en sourdine, ses basses tenues, sa douce et lente marche d'orgue. Il ne s'agit point ici de disposer un discours, mais de juxtaposer en les retenant gauchement, par le moyen le plus immédiat, des images modestes et touchantes." Max Elskamp, craignait qu'on lui en fût grief; il disait, dans un moment de découragement: "J'écris trop au Nord". Et il marquait par là ce qu'il y a d'étrange dans sa manière, et aussi d'archaïque, souvenir des vieilles chansons populaires. Rien ne pouvait mieux convenir qu'elle à une pensée qui n'a rien d'actuel et dont on peut dire qu'elle vit hors du temps, dans un décor que les âges passés lui ont transmis.

Gens des vieux métiers et des corporations, dans des ruelles de béguinage, que longent derrière leur murs clos des jardins bien ordonnés. Joie quotidienne et gestes réguliers. Heures prévues comme à l'office et dont chacune a sa couleur et son objet. Saisons alternées. Passages des barques et lumières des jardins, prières devant chaque Madone, au coin des rues. Telles sont les visions du poète. Mais dans ces visions qu'il transcrit en bon imagier qui connaît les choses, sans déformer leur réalité, se trouve une réalité seconde, "celle du rêve et de l'absolu". De la réalité familière toujours vivante, il s'évade dans un monde à son image, mais où les choses cachées ont une vie claire, un monde où tout est de l'âme, où tout chante des paroles humaines, très simples et très chargées. Flandre est parée de ses plus belles saisons, de ses plus belles couleurs. Les anges et la Vierge y vivent, comme ils vivaient voisins des bonnes gens de jadis. Le paysage est un signe, un miroir intérieur où se reflète le coeur du poète. Il semble s'en tenir à ce qu'il voit; mais l'attention de son coeur - sa tendresse - est si grande que tout s'en trouve magnifié. Humblement, il nous propose ses "Enluminures", comme s'il copiait les apparences. Or, mystiquement, ce sont des présences qu'il évoque devant nous, par la force de son amour. Mystique, sans doute il l'est, bien qu'il n'adhère à aucune croyance. Mais il a l'amour de cette évidence qu'est pour lui la vision. C'est une foi encore, personnelle et secrète et qui le remplira de plus en plus de souffrance que de joie. Il souffre amèrement de souvenirs anciens. Il souffre aussi d'une douloureuse peine métaphysique. Mais il souffre seul, lui, le doux qui a horreur de la force, le pacifique qui craint de blesser les fleurs ou les objets, le disciple de l'Ecclésiaste qui mesure la vanité des choses et de nos souffrances mêmes, et qui n'arrive pas à se résigner, lui le bouddhiste pour qui toute vie est sacrée. Ses peines et ses pensées sont encloses dans ses belles images, avec une tendre discrétions.

Les chansons se succèdent évoquant tous les aspects d'une pensée qui se replie sur les images familières et sur les anciennes affections. Ce seront encore les "Chansons désabusées", "Maya", "Aegir somnia", "Les Délectations moroses". Mais depuis l'exil et "Les Tentes de l'Exode", il y a dans plus d'un poème quelque chose de moins indirect. Le lien demeure entre les faits particuliers de la vie et le chant qui en procède. L'aveu est plus nettement circonstancié. L'oeuvre en conserve quelque chose de tremblant et de plus fiévreux. Un accent nouveau se mêle à l'ancienne diction. Ce sont toujours des chansons "d'une perfection villonesque". Le tour populaire et la fraîcheur n'en sont pas feints, - car le poète est toute sincérité. Mais ce ne sont plus seulement ces petits airs comme on s'en chante pour bercer, pour calmer sa peine d'être un homme. Le poète est toujours possédé par sa volonté d'art. Son style et sa langue, comme ses rythmes familiers, lui sont si habituels que, souvent, le vers s'assouplit, se précipite. La pensée profonde qui "accompagne presque tous ses chants", les déborde constamment. La douleur, celle de la dureté de sa vie comme celle des souvenirs qui le harcèlent, lui est insupportable. Le destin est trop lours pour qu'on l'accepte sans percevoir l'effort. Il est altéré de perfection, et il n'y a plus de commune mesure entre la pensée, toute métaphysique, et les chansons. Le rêve même est trop pénible. Et celui qui avait prêché la paix et la joie et l'amour, défaille. Il lui arrive d'essayer de se distraire en décrivant des objets ou des estampes. Ses poèmes "ne sont jamais des peintures futiles". (Jean de Bosschère nous le signale utilement). Ces poèmes sont "des signes". Max Elskamp semble se hâter de tout dire pour pouvoir enfin se taire lorsqu'il éprouvera le besoin de crier sa plainte. Cette discrétion est bien aussi d'un homme de chez nous. Il peut se faire que nous l'ignorions, car il n'est pas fréquent que ces poètes profonds et renfermés écrivent ou parlent: contemplatifs, leur poésie est en eux et on a de la peine à la deviner, car elle se nourrit de solitude et de silence.

 

D'autres trésors de cet admirable poète sont épars sur ce réseau

Et voir encore ici: Max Elskamp et le presse privée en Belgique (documents issus de ma collection privée)


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La revue littéraire "La Jeune Belgique"

« La jeune Belgique » et « l’Art moderne »


Des déclaration initiales de « La Jeune Belgique », le 1er décembre 1881, témoignent d’un peu plus d’assurance que celles de « La Jeune Revue littéraire » un an plus tôt. Mais on est loin encore d’un esprit révolutionnaire et même combatif. Le directeur et propriétaire Albert Grésil (c’est-à-dire Albert Bauwens), futur notaire, n’a rien d’un mousquetaire.
L’adhésion à l’Art pour l’Art et l’exclusion de la politique, ces deux points nouveaux du programme, ne sont affirmées qu’implicitement : « Nous faisons de la littérature et de l’Art avant tout. » Il faudra que Waller ait pris la direction de la revue pour qu’elle proclame une « neutralité complète ». Waller souhaite d’autre part qu’elle ne soit pas avant tout une revue de poètes, il se fait champion d’une langue correcte, d’un style original, d’une versification impeccable. Il est moderne, éclectique.
La Jeune Belgique formera un équipe, non une école. C’est voulu dès le départ : « La Jeune Belgique » ne sera d’aucune école. Nous estimons que tous les genres sont bons s’ils restent dans la modération nécessaire et s’ils ont de réels talents pour les interpréter. » On ne cache pas ses sympathies pour un naturalisme modéré : « Nous préférons le naturalisme de Daudet à celui de Zola ; celui-ci peut choquer parfois ; le premier jamais. » On invite les jeunes, « c’est-à-dire les vigoureux et les fidèles », à montrer « qu’il y a une Jeune Belgique comme il y a une Jeune France » et à prendre pour devise : « Soyons nous ».
Qu’est-ce à dire ? La Jeune Belgique rêve-t-elle d’une littérature belge, indépendante de la littérature française et ayant ses caractères propres ? Ou veut-elle surtout qu’une littérature puisse se développer en Belgique comme en France et exprimer la personnalité, belge ou non, des jeunes écrivains « vigoureux » ? On verra plus loin qu’il faut adopter cette seconde interprétation d’une devise équivoque.
Les principaux collaborateurs belges de cette première année (vingt-quatre numéros de seize pages) sont : Waller, Bauwens, Eekhoud, Mettange, Rodenbach, Maubel, Hannon, Jules Destrée, Verhaeren, Vierset, Lemonnier, Nizet, Gilkin, Nautet. Ils seront joints, au tome II, par Khnopff, Sulzberger, Van Arenbergh, Demblon, Fontainas, Picard et (sous le pseudonyme M. Mater) Maeterlinck. Plusieurs d’entre eux sont encore étudiants.
Waller est le plus actif des rédacteurs. Mais il ronge son frein ; lorsqu’il veut jouer à l’iconoclaste, il doit s’en prendre à Goethe. Même sa « Lettre à M. Luis Hymans », si elle est ferme dans sa justification d’un naturalisme en quête du vrai, ne peut franchir les bornes de la « courtoisie ». On sent néanmoins son impatience. Il s’intéresse avec prédilection à la littérature de chez nous, il réagit contre tout dénigrement systématique de nos écrivains, il porte aux nues Lemonnier, « l’artiste qui travaille pour l’art, rien que pour l’art, sans souci du public banal ». Il encourage, en poésie, l’inspiration nationale de Georges Eekhoud, mais il n’en fait pas un principe de notre littérature ; il admire Rodenbach, il loue d’un ton espiègle et vif l’originalité de Théo Hannon. Le 15 août 1882, à propos d’un malentendu qui l’oppose à Nautet, il ose écrire : Nous nous battrons contre les eunuques qui envient notre virilité, contre les vieux genoux qui convoitent nos crinières, contre les cancres qui dénigrent les Belges… »


Invitation à la gavotte

Il y a loin de ces lignes, cependant, à la fugueuse « Invitation à la gavotte » lancée par Albert Giraud en tête du dernier numéro de cette première année, le 15 novembre 1882. Le prétexte en est Ferdinand Loise, professeur à Mons et collaborateur du « Journal des Beaux-Arts » dont le directeur, Adolphe Siret, a naguère accueilli, pour peu de temps, des Jeunes Belgique, amis de son fils, Giraud attaque en Loise le représentant de « ces retraités de la littérature », ces « catarrheux et pituiteux », académiciens ou non, « congestionnés d’orgueil, ballonnés de vanité », qui font autour des jeunes « la conspiration de la grimace », au moment où « un mouvement artistique se prépare ». Il les avertit : « S’ils veulent se jeter en travers de l’effort actuel, (…) nos phrases seront un orchestre de lanières et de cravaches et nous cinglerons, cinglerons, cinglerons, si vite, si fort et si large, que dans une suprême gavotte, on les verra danser… ». La couverture annonçait en lettres grasses un changement complet de direction. Waller, avec les deniers de son père, venait de racheter la revue à Bauwens. Sans plus attendre, l’impatient Giraud, journaliste dans l’âme autant que poète, montait à l’assaut. Pendant plus de quinze ans, chaque fois que la revue devra définir sa doctrine, on retrouvera cet excellent critique dans son rôle de polémiste.
La Jeune Belgique est rajeunie, dans son équipe et sa typographie. Elle est plus copieuse et paraît désormais en fascicules mensuels de quarante pages, où la critique tient une place plus importante. A propos d’un ouvrage de Potvin, Waller, au nom des « crinières » qui sont l’avenir, lance un défi aux « perruques » de l’Académie royale. Il dénonce les écrivains qui font de la politique, « cette lèpre de la littérature ». Il inaugure des « Dialogues des morts », qui lui permettent d’aiguiser davantage une critique joyeuse, insolente et fantaisiste.
La Jeune Belgique peut désormais brandir sa nouvelle devise : Ne crains. A chaque occasion, elle va manifester un esprit jeune, celui de son directeur, espiègle, impertinent et agressif, éminemment constructif cependant.
On vit une aventure exaltante ; on se réunit chez Lemonnier, chez Picard et au café ; on a le bonheur de suivre une vocation, d’attaquer les bonzes de la littérature, de porter crinière et costumes extravagants, de scandaliser le public, de conspirer, de s’affirmer chaque jour davantage.
Ce foudroyant succès, Picard l’enregistre avec une joie étonnée, des conseils dédaigneux, de mars à juin 1883, dans « L’Art moderne » : les œuvres de ces jeunes gens ne lui paraissent pas supérieures à celles des aînés ; toutefois ils retiennent l’attention de tous, ils ont « une presse », favorable ou hostile, comme on n’en a guère vu jusqu’ici et cela au moment même où, « dans d’autres domaines, il y a un véritable affaissement ».
C’est que le zèle des jeunes est infatigable : ils ne se contentent pas de leur revue, ils commencent à lancer des volumes, ils s’introduisent dans d’autres périodiques et même dans la presse quotidienne (Lemonnier leur a ouvert notamment « L’Europe du dimanche », ils organisent des conférences à travers tout le pays. Ils s’intéressent d’ailleurs pas seulement à la littérature, ils font écho, de plus en plus, aux expositions et au mouvement musical.
En avril 1883, ils saisissent avec opportunité une occasion exceptionnelle de s’affirmer davantage encore, de se faire les champions de « notre renouveau littéraire ». Le jury officiel chargé d’attribuer le prix quinquennal de littérature s’est trouvé tellement divisé qu’aucune majorité n’a pu ses faire sur un nom, même sur celui de Lemonnier. Le prix n’a donc pas été décerné.
La Jeune Belgique interprète cette décision comme une insulte à la littérature. Elle proclame son attachement au « maréchal des lettres » et annonce bruyamment un banquet de protestation. Plus de deux cents convives, écrivains, peintres, musiciens, avocats, éditeurs, journalistes, étudiants et même députés, répondent à son appel, le 27 mai. C’est une « veillée d’armes », c’est « la Pâque publique de notre renaissante littérature ».


Conflits avec « L’Art moderne »

Ce triomphe de « La Jeune Belgique », Picard y contribue, mais il ne peut supporter que l’Art pour l’Art éloigne de la politique et de l’art social cette jeunesse vigoureuse et pleine de talent.
Edmond Picard était alors un personnage déjà considérable. Né en 1836, il avait plus de quarante-cinq ans ; réputé comme juriste, avocat et mécène, il tentait depuis peu de se faire un nom dans le monde littéraire. Il avait fondé avec Octave Maus, en mars 1881, « L’Art moderne ».
Ce journal hebdomadaire n’avait pas d’a bord un programme bien défini, sauf son modernisme. Entièrement consacré à la critique, il s’intéressait à tous les arts, littérature, peinture, sculpture, architecture, musique, etc. Picard, militant socialiste, laissa entendre dès le début qu’il rêvait de voir la littérature belge s’orienter vers une inspiration nationale et une action politique et sociale. Mais il ne déclencha qu’en 1883 l’offensive qui devait, sur ces deux points, l’opposer à « La Jeune Belgique ».
Avant cela, en décembre 1882, séduit par le talent de Waller et de ses amis, flatté par leur déférence, il patronne, avec Camille Lemonnier, Victor Arnould, Léon Cladel et Edmond de Goncourt, la fondation de « La Revue Moderne », confiée à Max Waller. On y retrouve, dans un climat plus tempéré, les principaux collaborateurs de « La Jeune Belgique ». Le jeune rédacteur en chef, après avoir fait écho à « une tendance à sortir du provincialisme, de la littérature de clocher, de la vulgarité des livres terre-à-terre », définit ce qui lui paraît essentiel : l’épanouissement de la personnalité, « l’effort du vrai » et « le désir d’approfondir la pensée en ciselant la forme ». La revue s’intéresse aussi à la science, à la peinture et surtout à la musique et à Wagner. Picard, dès le second numéro, y fait de la politique. Mais en tête du tome II, en juillet 1883, il ne se contente plus de parler en son nom : au moment où « La Jeune Belgique » refuse de s’engager dans la littérature politique et l’art social, il annonce que « La Revue moderne » devient « l’organe mensuel de la politique avancée ».
On ne s’étonne pas qu’elle perde dès lors beaucoup de son intérêt et qu’elle ne vive plus que deux mois, le temps nécessaire à la liquidation !
Nous n’allons pas retracer dans ses détails l’histoire des polémiques entre « La Jeune Belgique » et « L’Art Moderne ». L’initiative en est imputable à Picard, dont les maladresses égalent la sincérité. En 1883, il bataille pour l’art social contre l’Art pour l’Art : cette jeunesse qui se déclare, avec Rodenbach, « écoeurée des platitudes politiques », il veut qu’elle renonce à un art de distraction et qu’elle se porte au secours des « réformes que la politique doit réaliser », qu’elle prépare le raz de marée qui submergera la bourgeoisie sous le peuple. Cet appel s’accompagne de réflexions extrêmement désobligeantes sur la sévérité des jeunes à l’égard de Potvin, sur leur excessive préoccupation de la forme, sur les « contorsions » de leur style, sur leur vanité, leur soif de réclame, leur publicité tapageuse.
La Jeune Belgique se raidit, repousse « l’art social, « vulgaire nécessairement », « la négation même de l’art » ; elle tâche toutefois d’éviter la rupture avec ce grand aîné, dont elle supporte les brimades avec une patience exceptionnelle. L’année 1884 est assez clame apparemment ; l’armistice se prolonge, rompu par quelques coups de feu ; l’équipe de « La Jeune Belgique » perd un peu de sa cohésion ; la « dictature » de Waller agace quelques-uns de ses collaborateurs. Une nouvelle maladresse de Picard, en novembre 1884, va rapprocher les chefs de file du jeune mouvement.
Picard met cette fois l’accent sur un autre idéal, associé d’ailleurs à celui de l’art social. De nouveau, il mêle à ses objurgations des jugements déplaisants : les Jeunes Belgique manquent d’originalité, ils ne sont que les pasticheurs des Jeunes France et des Parnassiens ; s’ils veulent faire œuvre originale, leur art doit être non seulement social, mais national ; la littérature belge doit chercher dans le pays toutes les inspirations, « voir le milieu belge, penser en Belge ».
Picard rejoignait ainsi par un biais l’art social, inspiré par l’actualité, par la vie nationale : mais il rejoignait aussi l’idéal qui n’avait cessé de s’affirmer depuis plus d’un demi-siècle : celui d’une littérature belge, indépendante de la littérature française et vivifiée par l’inspiration nationale ou le régionalisme.


Littérature nationale ?

On croit trop communément que « le premier point du programme » de « La Jeune Belgique » était une « littérature originale et indépendante », « essentiellement autochtone », affranchie du « joug étranger », « une littérature qui veut se donner une physionomie propre ». J’emprunte ces termes à cinq bons travaux d’histoire littéraire ; je pourrais en choisir d’autres, exprimant la même conviction, la même erreur.
D’où provient cette méprise ? Le nom même de « La Jeune Belgique » dont on a vu l’origine, est trompeur à distance. Ambiguë aussi l’expression « littérature nationale ». Quand Rodenbach s’écrie, dans son toast à Lemonnier : « Nous tous qui travaillons pour créer une littérature nationale », il veut dire : Jusqu’à ce jour, la littérature belge a été inexistante, parce qu’elle a été surtout l’œuvre d’amateurs et de trop rares écrivains dignes de ce nom, que ne soutenait aucune solidarité dans l’effort, aucune sympathie du public. Nous voulons créer cette cohésion et cet intérêt, susciter des vocations et une large mouvement littéraire qui, par son ampleur et son écho, méritera enfin le nom de « national ».
Si telle était d’abord la pensée des Jeunes Belgique, on comprend, toutefois que, dans la suite, l’expression « littérature nationale » ait pris un autre sens, pour plusieurs raisons : la consécration officielle du mouvement et de son nom, la conscience d’une solidarité effective, l’existence de tendances communes à un certain nombre d’écrivains, l’adhésion incontestable d’une partie d’entre eux à l’idée d’une littérature autochtone et surtout à un régionalisme qui fera bientôt fureur mais qui, répétons-le, est étranger aux intentions du début. L’histoire littéraire elle-même n’a pas manqué d’accréditer cette interprétation en cherchant à mettre en évidence tout ce qui semblait traduire, dans les lettres comme dans l’art pictural, une originalité flamande ou belge.
Autre équivoque : la première devise, « Soyons nous », de « La Jeune Belgique ». Elle ne signifie pas : « Soyons Belges, systématiquement, dans notre inspiration ou notre écriture », comme on le pense généralement aujourd’hui. On y voit l’écho d’une déclaration mise par Lemonnier en tête de « Nos Flamands », avant 1870, à une époque où l’on était d’accord pour rêver d’une littérature belge libérée de l’imitation des Français : « La pire annexion n’est pas celle d’un coin de terre. C’est celle des esprits. Nous-mêmes ou périr. »
Mais « Soyons nous » n’a ni cette origine ni ce sens. Cette devise répond à l’invitation lancée par Georges Eekhoud, en Mai 1880, dans la « Revue Artistique » d’Anvers, au terme d’une série d’études sur Zola. Eekhoud a pris la défense du romancier naturaliste, mais il s’inquiète de son influence et de l’engouement et des « calques » qu’il suscite. Imiter est signe d’impuissance ; imiter Zola n’est pas littérairement plus défendable qu’imiter Boileau, Lamartine, Musset ou Victor Hugo. « Etre soi-même » (c’est lui qui le souligne) : telle devrait être la devise de quiconque veut entrer dans la carrière artistique et surtout y demeurer. »
En répondant à l’invitation de son aîné, devenu son collaborateur, « La Jeune Belgique » proclame : Ne soyons d’aucune école ; ne nous mettons à la remorque de personne ; soyons personnels.
Son adhésion au Parnasse est nuancée, réservée, hostile aux formules toutes faites. Elle se refuse à le considérer comme impersonnel et impassible. Elle est loin de renier le romantisme, qui lui paraît se prolonger jusque dans le vrai naturalisme, dans celui qui ne fait pas disparaître l’écrivain et son émotion « derrière l’action qu’il raconte ».
L’exégèse de « Soyons nous », Waller la donne sans détour en tête de « La Revue moderne », au moment où il devient directeur de « La Jeune Belgique » : « Celui qui dans une forme originale s’incarne « lui-même », celui-là est « l’écrivain » et l’on peut dire qu’il n’y a plus aujourd’hui qu’une école : celle de la personnalité. »
C’est bien ainsi que Bauwens, en évoquant ces années, interprète également la devise de la revue qu’il a fondée : « Soyons nous », pour lui, marquait le refus d’adhérer à une école, à une formule littéraire : « Soyons nous » et ne soyons d’aucune école ».
Lemonnier, dans la préface qu’il donne à « La Vie bête » de Waller, en 1883, ne se trompe point sur le sens de cette devise ; il félicite son jeune ami d’avoir écouté son cœur et exprimé ses propres émotions : « Votre livre est bien vous-même, avec la nostalgie des bonheurs impossibles (…). Mettons le plus possible de nous-mêmes dans nos ouvrages, sans se soucier des formules et des canons. »
C’est aussi l’interprétation d’un adversaire des Jeunes Belgique, Charles Tilman, qui avait été à l’Athénée de Louvain le professeur d’Albert Giraud. Dans la quatrième de ses « Lettres sur la Jeune Belgique » (1887), on peut voir que « Soyons nous » lui paraît exprimer la volonté de livrer sa personnalité, de « faire tomber les poncifs, les banalités », comme l’a dit Rodenbach au banquet Lemonnier. « Livrer au public ses entrailles pantelantes : tel est le rêve des Jeunes », écrit Tilman. Il exagère, mais le sens même de son exagération est significatif.
Il se méprend toutefois sur les ambitions patriotiques de la Jeune Belgique. Il prétend qu’elle veut « donner naissance à une littérature nationale, faire éclore une langue belge et une littérature belge, penser en belge et écrire en belge », « secouer les langues dans lesquels aime à nous emmailloter un pays voisin ».
Que ce critique à la fois incompréhensif et consciencieux, qui fait le procès des Jeunes Belgique et de leur réalisme en accumulant des milliers de citations, ait pu se tromper sur un point aussi important, c’est une preuve, après d’autres, que l’erreur s’était bientôt répandue. On imputait à « La Jeune Belgique » une des revendication de « L’Art moderne ». Mais il est remarquable que l’exposé de Tilman, ailleurs truffé d’expressions empruntées à « La Jeune Belgique », n’en renferme pas une seule dans cette partie. Sans doute Tilman note le caractère national de l’inspiration de Camille Lemonnier, d’Emile Verhaeren, de Georges Eekhoud, mais il ne reproduit aucune déclaration de principe. Bien plus, il doit reconnaître que tous ces « Jeunes » sont « infectés » de l’influence parisienne et il déclare : « Il n’est point de littérature nationale possible en Belgique ». Aussi, lorsqu’il fonde, en 1888, « La revue belge », se garde-t-il, en définissant son programme, de parler de littérature belge.
Sur ce point, on peut dire qu’il était d’accord avec « La Jeune Belgique ». Max Waller et ses amis n’ont aucune envie de s’opposer aux Français, de « secouer un joug » dont ils ne sentent pas le poids, ils sont heureux et fiers d’accueillir des collaborateurs français de se chercher des maîtres en France plus encore qu’en Belgique. Ils veulent que leur patrie ait une vie littéraire, soit fière de ses écrivains ; ils bataillent pour que ceux-ci trouvent dans leur pays une critique et des lectures qui permettent l’épanouissement des personnalités ; si quelques-uns d’entre eux, par une inclinaison naturelle, exploitent des thèmes nationaux, c’est fort bien ; mais il ne faut pas ériger « l’exception » en règle et assigner un tel choix à nos prosateurs et à nos poètes.
Cette doctrine, « La Jeune Belgique » l’énonce en 1883, puis en 1884, et surtout en 1885. A aucun moment elle n’a été hostile à l’inspiration nationale, ou plutôt flamande ; elle y a même été favorable, mais elle n’en a pas fait une loi ou un point de son programme.
Elle s’en serait tenue, je pense, à cette attitude réservée, si Picard ne l’avait mise en cause brutalement. Giraud, mandaté ou approuvé par Waller, va préciser la position de la revue.
Ce qu’elle rejette et rejettera toujours, c’est « l’absurdité où l’Art moderne a été conduit, les yeux fermés, par sa manie généralisante. Il nous fait penser à un jardinier qui, se promenant dans une plantureux verger, reprocherait avec véhémence au pommier de ne pas porter des poires, au poirier de ne pas porter des pommes, qui chercherait des melons sur une vigne et des pommes de terre sur un rosier ! »
Pour le reste, les idées de Giraud seront moins constantes. En 1885, il croit à un esprit wallon ou flamand, mais non belge. Il concède d’ailleurs qu’on exprime nécessairement cet esprit : « Il est aussi impossible de ne pas être de son pays ou de son temps qu’il est impossible de se soustraire à l’atmosphère ambiante. Elle nous enveloppe, nous pénètre. Elle est en nous. » Inutile donc de la chercher.
En octobre 1891, dans « La Société nouvelle », il affirme que notre mouvement littéraire, sans être français, n’est pas « un mouvement étroitement national, c’est-à-dire belge » ; mais il n’est pas non plus ni flamand ni wallon. Il est, même en ce qui concerne les écrivains français qui ressentent le plus les sympathies flamandes, inscrit dans le courant littéraire français, mais avec des caractères propres, communs aux Wallons et aux Flamands et dus à une influence « de l’imagination et de la culture septentrionales ».
Mockel, dans un article de « La Wallonie » (juillet-août 1892), rejette cette thèse, bien proche de « l’hypothèse d’un art belge » : « Je ne pense pas, comme M. Giraud, qu’il y ait des différences plus tangibles entre la littérature française pure et la littérature éclose en terre wallonne, qu’entre celle-ci et la littérature française des Flamands ; bien au contraire… » Sur quoi Giraud, dans une lettre que publie le dernier fascicule de « La Wallonie », précise sa pensée : « Pas plus que vous, je ne crois à une littérature belge. je pense que nous avons un
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La littérature belge d'expression française.

Comment se présente le problème même d'une littérature française en Belgique?
Si des éléments comme l'appartenance régionale, le peuple, le climat ou le décor de la vie ont leur importance dans la formation de l'esprit des écrivains et, par là, dans l'aspect de leurs produits, il n'en reste pas moins que ce qui les crée écrivains, ce qui les fait entrer en littérature, c'est le fait que cet esprit se donne un moule de langage. En se coulant dans ce moule l'esprit s'achève, et surtout il cesse de n'être qu'une chose intérieure pour devenir esprit formulé, exprimé, et naît ainsi à l'existence littéraire. Voilà pourquoi, au-delà de l'infinie diversité individuelle, il existe des patries d'esprits en tant que manifestés par le langage. L'une de ces patries est la littérature française, et le Belge qui use du français, sa langue naturelle, en fait encore plus irrécusablement partie qu'un Panaït Istrati ou un Julien Green par exemple, puisque le français est pour lui cette chose qu'on n'a pas eu à choisir, chose profonde, portée en soi dès l'enfance, qui est vous-même et par quoi l'on se projette hors de soi pour les autres - et d'abord pour d'autres qui pratiquent le même idiome. Même des Flamands de souche - un Maeterlinck ou un Hellens - s'ils sont venus à la patrie littéraire française, c'est parce que la langue française, parlée par eux dès l'enfance, était celle qui leur permettait de se dire le plus véridiquement: eux non plus n'ont pas choisi. Cette littérature - qu'on l'appelle «connexe et marginale» (G. Picon) ou «seconde» (G. Charlier) - est et ne peut être (par nature et non par choix, mais ayant été forcée à cause de sa situation périphérique de confirmer cette nature par la constance d'une volonté) qu'une littérature française.
C'est bien là son identité. Mais une fiche d'identité ne dit pas le caractère. Ces oeuvres, littérairement françaises mais qui ont germé et pris visage dans le milieu particulier des anciens Pays-Bas ou de la principauté de Liège, n'y aurait-il pas certains traits de sensibilité, d'orientation mentale ou de style que l'on pourrait déceler à des degrés divers, sinon dans toutes, du moins dans un grand nombre d'entre elles? Il ne faut pas oublier qu'en dépit du voisinage de la France ce milieu continue à vivre un peu à sa manière et selon des habitudes et une conscience de soi qui sont assez différentes de celles de Paris et, à plus forte raison, de la Suisse, du Québec ou du Liban. La littérature belge, c'est la sorte de littérature française qui pouvait naître dans un pays comme la Belgique, et elle aura tout de même plus de particularité qu'une littérature de Provence ou de Bretagne, parce que l'existence d'une frontière politique signale et entraîne bien des raisons d'être sui generis.


1. La vie littéraire en petit pays

Dans une première phase d'éclat de la littérature francophone de Belgique, vers 1890, les projecteurs se sont braqués sur Rodenbach, Verhaeren et Maeterlinck, moins déjà sur Lemonnier, et ont encore beaucoup moins touché des auteurs comme Van Lerberghe, Elskamp ou Mockel. Assurément, la phase plus récente n'est pas demeurée tout à fait dans l'obscurité: l'on n'ignore ni un Simenon, ni un Henri Michaux ni un Ghelderode. Cependant, beaucoup de leurs concitoyens qui paraissent les valoir n'ont aucunement éveillé l'attention de Paris. C'est là le drame de la plupart des écrivains belges d'aujourd'hui: pour eux, pas d'audience française veut dire pas d'audience du tout - et même, jusqu'à un certain point, pas d'audience chez eux.
Or, vers 1890, certains facteurs permirent à quelques Belges d'être découverts par la France, dont l'évolution littéraire du moment privilégiait des traits propres à ces écrivains: «Il y avait eu dans le symbolisme un génie qui correspondait à celui de nos marches nordiques» (M. Thiry). Répondant à cet appel, une Belgique un peu embrumée de germanisme a eu son «tour de chant» sur la scène française: l'enfant Septentrion dansa et plut. La raison principale de ce succès fut donc la rencontre d'une demande et d'une offre, mais il ne faudrait pas négliger certaines circonstances d'un ordre plus personnel. Quelques années auparavant, des écrivains parisiens d'avant-garde avaient été accueillis en Belgique par des revues, des cercles de conférences, des groupes de jeunes poètes: le reflux fut la gratitude efficace de ces écrivains devenus influents.
Ensuite, la marche du Nord n'eut plus de produits de choc à présenter. Or, c'était de plus en plus cela qu'il fallait: on voulait du poète maudit! Ce n'est pas que la Belgique en manquât tout à fait, mais l'expérience montre que pour qu'un Corbière ou un Rimbaud sorte de la coulisse, il est bon qu'il soit déjà connu de quelqu'un qui appartient à la littérature en vue. Et, d'ailleurs, les valeurs littéraires belges de ce siècle-ci sont en général de l'ordre du sage, du sensible, de l'intime. Après 1918, les Vikings ont disparu et l'on assiste en Belgique à la «relève wallonne». Tout change alors, et peut-être ce qui commence est-il un temps de vérité. Dangereuse la vérité, dans un monde de plus en plus amoureux du spectacle... Et, sans doute, cette Flandre si avantageusement déployée avait dû beaucoup de son succès au fait de n'être en grande partie que phantasme. Même chez les conteurs ou les poètes (on songera au Thyl Ulenspiegel, à la Bruges de Georges Rodenbach, au Verhaeren de Toute la Flandre, des Campagnes hallucinées et des Villages illusoires), et à plus forte raison chez Maeterlinck, Crommelynck ou Ghelderode, l'on a affaire à du théâtre.
C'est finalement sur les tréteaux que l'exotisme belge a le mieux révélé sa nature irréaliste. Moins historique et paysagère que dans le pittoresque de De Coster ou dans le lyrisme épique de Verhaeren, pas du tout idyllique et naïve comme dans les vers de Max Elskamp, la Flandre (pas toujours nommée d'ailleurs) du premier théâtre de Maeterlinck, du Cocu magnifique ou de Hop signor est évidemment toute imaginée à partir des données, déjà elles-mêmes fort élaborées, des peintres des XVIe et XVIIe siècles. De cette Flandre des musées qu'interprétait un délire, Michel De Ghelderode a pu dire dans un moment de sincérité bien éclairante: «De nos jours, Flandre n'est plus rien qu'un songe.» Songe très «littéraire», et qui ne se rencontre d'ailleurs guère chez les auteurs de langue flamande: la Flandre de Guido Gezelle ou de Stijn Streuvels est beaucoup plus modérée, plus authentique. Le fait qu'un Verhaeren ou un Ghelderode parlaient d'elle en français leur accordait beaucoup de liberté, le décalage linguistique permettait le mirage. Flandre étant un mot talisman qui donnait le départ à la fantaisie créatrice. Aussi y a-t-il une Flandre personnelle de chacun de ceux qui l'ont évoquée et n'est-ce à coup sûr pas dans leurs oeuvres qu'il conviendrait de chercher une image de la Belgique d'aujourd'hui, ni même de ce que purent être la Flandre des comtes et des communes, ou la Lotharingie des ducs de Bourgogne, ou même les Pays-Bas de Charles Quint et de PhilippeII. Mais, de l'histoire littéraire les mythes des poètes font légitimement partie. Ce fut indubitablement un rêve esthétique valable que ce curieux forçage de couleurs et son exploitation aux fins de l'expression à demi factice de tempéraments et de sentiments eux-mêmes un peu sollicités. Pièce importante à conserver dans le dossier «écrivains français de Belgique», et, après tout, dans le dossier d'ensemble de la littérature française. Les comparatistes pourront y observer une floraison un peu folle et tardive du vieil arbre d'illusion dont Herder et Walter Scott sont les racines, et dont le tronc porta notamment certaines pages de Michelet et Notre-Dame de Paris.
Avec la relève wallonne, on sort indubitablement de ce romantisme symbolico-expressionniste si bien fait pour attirer l'attention. Quelles qu'en soient les raisons, les Wallons s'étaient peu montrés jusque-là (à peine pourrait-on citer un Octave Pirmez, ce sous-Amiel), ou bien ils se confinaient dans le lyrisme intime et l'étude régionaliste. Après 1918 ils se manifesteront davantage, en même temps que l'évolution politique détournera de plus en plus les écrivains de naissance flamande de s'exprimer en français. Qu'apportent les Wallons? Plus de mesure assurément, une introspection plus exacte et partant moins dramatique, le goût des réalités quotidiennes, la sobriété du style, en poésie le retour fréquent au mètre classique et à un vocabulaire moins excessif, un lyrisme d'écoute et de notation plutôt que de proclamation et de grands décors. Une telle littérature a certes les moyens de retenir, encore faut-il qu'on veuille bien lui porter attention. De tels écrivains ne vont pas vers le public, mais l'attendent. En partie parce que leur situation effacée par rapport à la littérature venant de Paris les décourage de rivaliser avec elle, ils créent de plus en plus pour eux-mêmes et pour quelques amis. C'est sans doute la raison pour laquelle, dans ce milieu de siècle, la littérature française de Belgique s'est vouée surtout à une poésie qui reste assez loin des hermétismes nouveaux, ou à un genre de narration qui a peu de rapports avec les formes sur lesquelles se porte aujourd'hui en France la dilection de la critique. Comment s'étonner que reste dans sa pénombre un peu déçue une littérature qui se fait selon son goût à elle et ses nécessités internes sans se mouler sur l'attente qu'on pourrait avoir d'elle et sans fournir de matière facile à la publicité, cette reine contemporaine? Tout cela maintient certes une particularité belge, mais une particularité qui peut être perçue comme celle du démodé.
Provinciale donc, cette littérature? Il convient de voir dans la Belgique actuelle une réserve plutôt qu'une province.


2. Une littérature sans écoles

Le «Thyl Ulenspiegel» de Charles De Coster

La première oeuvre qui ait vraiment compté est le roman-poème de Charles De Coster (1827-1879). Curieuse épopée en prose qui, dans le troisième quart du XIXe siècle, a tenté une synthèse tout à fait personnelle du réalisme et du romantisme. Énergique et frais, le «rêve flamand», coulé en un français savoureux, y a plutôt couleur que truculence. La gravité et la vigueur y restent pures, et le tragique y alterne avec l'humour dans un contrepoint équilibré. Il n'est peut-être pas inutile d'indiquer que l'ascendance de l'écrivain était mi-flamande, mi-wallonne, et qu'il ne vécut jamais en Flandre. Ami des peintres, grand lecteur de Rabelais, il s'était intéressé au folklore flamand, qui lui avait donné la matière d'un recueil de style réaliste et archaïsant, les Légendes flamandes (1858). Dans les années qui suivirent il écrivit ses Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandre et ailleurs. Le livre parut en 1867, puis fut de nouveau publié deux ans plus tard avec une préface fantaisiste, la «préface du hibou».
Le sujet est double: cela démarre comme l'histoire anecdotique d'un joyeux drille, mais bientôt, sans quitter celui-ci, on bifurque vers les bûchers et les combats d'un siècle tragique et Walter Scott se tresse à Rabelais sans que cela fasse tort à une complexe et attachante unité de ton, de coloris et de sentiment.
D'où venait ce Thyl Ulenspiegel (dont De Coster a quelque peu euphonisé le patronyme)? Au début du XVIe siècle, la traduction flamande d'une compilation d'origine rhénane avait introduit et popularisé dans les Pays-Bas le type et le caractère de ce farceur allemand. On lui invente un tombeau à Damme, près de Bruges, et c'est là que De Coster fera naître son héros, dont il placera l'existence au temps des persécutions religieuses et de la révolte des «gueux» contre le pouvoir espagnol. Car il y a dans le récit tout un aspect historique que passionne d'ailleurs une perspective d'anticléricalisme moderne, et le germe fécond de l'ouvrage a été la rencontre de ces deux sources: un recueil de farces populaires et les ouvrages des historiens. Greffer ainsi l'histoire et la passion politique, choses tragiques, sur un fond de facétie et de vitalité rustique, et envelopper le tout dans la poésie d'un paysage et d'un climat, voilà qui ne pouvait être le fait que d'un écrivain doué d'une imagination extrêmement vivante et d'un remarquable doigté d'artiste. Une de ses réussites a été de servir son plat flamand à la sauce d'un français du vieux temps, poivré çà et là de quelque terme germanique qui donne l'exotisme.
Ulenspiegel est un ouvrage que la sympathie inspire mais qui mise de toute évidence sur un style. Style très consciemment conçu et travaillé, qui fait reluire sans la trahir la simplicité populaire, et qui sera assez souple pour passer sans accroc, quand le sujet le demandera, d'un verset de ballade à une prose plus abondante et plus dramatique, quitte à revenir ensuite au verset bref et serré qui reste la trame rythmique, le pas de route du récit-poème. Le mouvement des aventures s'entrelace à la succession tranquille des saisons, car ce livre est une image de la vie humaine dans ce qu'elle a d'instable à cause des hommes, de stable à cause de la nature. Contrepoint aussi de la vie quotidienne et de l'histoire, puisque les personnages s'appellent aussi bien PhilippeII et le Taciturne que Lamme, Nele ou Katheline. De Coster a fait de ce Thyl emprunté une véritable création, unissant en lui l'espiègle tricheur au héros généreux et conscient, en en faisant aussi un amoureux et un poète. Bien qu'il ne soit à aucun degré un don Quichotte, il voyagera accompagné d'un Sancho, ce bon Lamme Goedzak qui est la figure replète et douillette du peuple de Flandre, alors que Thyl en est la figure aiguë, enthousiaste et sarcastique.

Le groupe de la Jeune Belgique

De Coster mourra sans avoir connu le mouvement d'éveil littéraire des années quatre-vingt, représenté principalement par le groupe et la revue La Jeune Belgique. Les manuels belges ne tarissent pas sur cette glorieuse épiphanie, et surtout sur Georges Rodenbach (1855-1898) et Albert Giraud (1860-1929). On connaît la grâce élégiaque du premier. Son roman Bruges-la-Morte fut célèbre, et l'on retrouvera des échos de sa mélancolie aussi bien chez les crépusculaires italiens que chez les symbolistes russes ou chez un postsymboliste de France comme Samain. Vaporeux comme Verlaine, il a dans ses meilleures pièces une lucidité cristalline qui doit quelque chose à Mallarmé, et en cela, il annonce les Clartés un peu mystérieuses du Wallon Albert Mockel. Quant à Albert Giraud, très admiré en son temps, ce fut un parnassien solide et le chef de file du groupe. On peut rapprocher de lui Fernand Severin, plus sensible cependant, touche de préraphaélisme, et dont le vers musical et pur a la fermeté des stances de Moréas. Mais l'époque avait été envahie par deux grandes oeuvres et deux grands noms: Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck. Serres chaudes et les recueils de la première phase verhaerénienne ont opposé au parnassisme de Giraud et de ses amis l'apparition d'un symbolisme belge qui ne manquait ni de suggestivité ni de vie. Or le symbolisme belge est fort riche, et les noms moins connus d'Albert Mockel, de Charles Van Lerberghe et de Max Elskamp méritent qu'on s'arrête à eux.

Albert Mockel

Avec Mockel (1866-1945) apparaît Liège, et avec Liège l'Ardenne, les bois, la sensibilité musicale du Wallon. Wallonie est le nom qu'il donna à une revue où collaborèrent tous les symbolistes de Paris et qui est devenu aujourd'hui celui de la Belgique francophone. Lui-même, Rhénan aéré par l'Ardenne et tenté par le Midi, se situe à une limite très délicate, et c'est sans doute cette délicatesse qui, le rendant compréhensif aux nuances diverses de la nouvelle école, l'ouvrant à ses courants et l'invitant à fixer les points communs de son effervescence, a assuré le succès assez extraordinaire de ces cahiers du Nord dont la place reste marquée dans l'histoire de la grande mutation moderne du lyrisme.
Le symbolisme, à certains égards, est né d'une analyse du fait poétique. Mockel en a pris sa part dans ses Propos de littérature où il parle de Régnier et de Vielé-Griffin, dans ses études sur Mallarmé et sur Van Lerbergh. À le lire, le symbolisme devient une chose presque précise, en tout cas soigneusement fondée sur une méditation dont on dira qu'elle était philosophie esthétisante plutôt qu'esthétique de philosophe. Dans la pratique de sa propre poésie il a suivi sa spontanéité sensible, et en cela il se révélait bien wallon. Sa sonorité ne cherche pas à être imitative des choses mais suggestive des climats intérieurs. Voulant traduire le flux de l'âme, il a fait confiance aux frémissantes souplesses du vers libre. Après Chantefable un peu naïve et Clartés, il a évolué vers une technique qui, sans abandonner la finesse sonore et l'émotivité du rythme, se rapprochait peu à peu des régularités traditionnelles. Dans La Flamme immortelle (1924), cette intelligente symphonie dédiée à l'amour, l'ancien animateur de la Wallonie était presque entièrement sorti du symbolisme.

Charles Van Lerberghe

C'est aussi dans le pays wallon que le Gantois Charles Van Lerberghe (1861-1907), après avoir fait le tour de l'Europe, rencontra le décor prédestiné de son lyrisme: sa Chanson d'Ève, qui fut en son temps un événement de la poésie française, avait été achevée en 1904 dans la vallée de la Semois. Avant cela Van Lerberghe avait ouvert la voie au théâtre symboliste par son acte Les Flaireurs et publié en 1898 un volume de poèmes diaphanes et tremblants qui porte le titre significatif d'Entrevisions. Un poème, disait-il, «ne me plaît tout à fait que lorsqu'il est à la fois d'une beauté pure, intense et mystérieuse», et il ajoutait avec sa merveilleuse modestie: «C'est dans ce domaine que je tâtonne.» C'est que la vie, pour la sensibilité de ce poète, est un rapport ondoyant entre une subjectivité en attente et un monde qui à demi-mot lui répond, tangence effleurante du moi plein de ferveur timide et d'un dehors prêt à perdre sa nature étrangère. Le recueil des Entrevisions contient quelques merveilles de poésie toute pure, à peine palpable. On y voit poindre plus d'un des thèmes que rassemblera l'oeuvre de maturité. En même temps le vers lerberghien y avait fait ses gammes, et le poète pouvait déjà se définir à lui-même sa poésie: «un brouillard de lumière». Mais ce qui permettra la cristallisation en un seul symbole de toute la sensible spéculation en suspens sera une certaine image de femme. Cette image, il en a cherché longtemps le modèle chez telles jeunes filles rencontrées au fil de ses voyages, mais le critique Henri Davignon a pu dire: «À la fin, il fait de méprises successives la gloire de la seule Ève à laquelle il a cru, pour l'avoir inventée.» Quant à son paradis, nous avons vu que c'est un val d'Ardenne qui lui en a donné, non assurément le détail, mais le vaporeux rayonnement: «Souvent, dit-il, il me faut coudre avec du fil blanc un peu d'eau à un bout d'aube ou une flamme à un pan de vent.» Car Van Lerberghe est un Ariel.
La Chanson d'Ève, c'est musical, chatoyant d'une richesse d'images dont chacune reste sobre, le monologue de l'âme humaine devant le monde. À travers l'émerveillement un peu perdu du faune mallarméen y passent les questions et les alarmes, la dialectique dedans-dehors de la Jeune Parque; mais dans cette modulation qui va de l'émerveillement au désespoir, rien n'est violent et le pessimisme même a sa grâce de joie. En vérité c'est là un poème philosophique qui en même temps exprimerait la tonalité sensible d'un être. Et la symphonie aux mouvements admirablement conduits se résoudra en une cadence des plus classiques dans le miraculeux diminuendo de la mort d'Ève.

Max Elskamp

L'âme de Max Elskamp (1862-1931) ressemblait certes un peu à celle de Van Lerberghe, elle aussi était fraîche et sensible, mais la nature artistique du poète anversois le poussait plutôt à s'exprimer non en pureté mais en naïveté. Il n'a pas la profondeur spéculative du penseur de La Chanson d'Ève, mais il a vécu un drame intérieur qui se révélera surtout dans sa deuxième période de création. Sa poésie est une longue chanson à petite voix, et chez lui plus que chez tout autre on peut dire que c'est le ton qui fait la chanson. Dès Dominical (1890), le poète dit la couleur de ce qui peut le rendre heureux: les dimanches, les cloches, les joies humbles, l'amour; c'est un Francis Jammes plus nerveux, subtil dans sa simplicité apparente, et qui demanderait à l'ellipse, au rythme populaire, à une oralité délicieusement archaïsante la transposition de l'aveu en une poésie. Pourtant la mélancolie s'insinue bientôt dans l'élan joyeux. Elskamp voit la vie comme une suite de jours, de semaines et de saisons, pans de joie et de peine commençant, finissant et recommençant sans trêve. Le temps, le lieu, la bonté, voilà des thèmes de ce «moi» qui tout naturellement s'identifie au «nous» pour chanter l'almanach intime des gens de son pays. Verhaeren a dit, de En symbole vers l'apostolat, que c'était un livre que François d'Assise aurait oublié d'écrire. Tout cela donnera son ultime et tendre flambée dans La Chanson de la rue Saint-Paul. Cette première phase évoquait un monde en rond, «un pays comme Dieu le veut», et en même temps faisait à petites touches le portrait d'une âme. Mais que va-t-il arriver à cette âme? Dans la seconde suite de ses recueils, le poète ne dira plus ce qu'il souhaitait de la vie, mais ce que la vie a fait de lui. Elle en a fait d'abord en 1914 un exilé, dont la plainte amère et douce, encore liée à l'aventure de son peuple, inspire Sous les tentes de l'exode (1921). Ensuite, Chansons désabusées et Aegri somnia (posthume, 1933), d'autres recueils encore, feront entendre l'élégie d'un destin personnel fait de déréliction, de tête-à-tête avec soi-même et d'une longue nostalgie. La confiance a été trompée, mais le désabusement va se chanter sur les mêmes rythmes et selon le même intimisme sincère que jadis la foi ingénue. Dépouillement, nudité, jaillissement direct continuent à donner un son très humain à ces récapitulations désolées, à cette comptabilité de l'âme, à ces «regrets Villon» qui n'en finissent plus. Il y a sans doute dans la littérature universelle des poésies plus serrées, plus ornées, plus riches de sens comme de son, mais sans doute n'existe-t-il pas une oeuvre où l'auteur soit plus présent à chaque mot, entre les mots, dans la lancée même du rythme.

Poètes et prosateurs d'aujourd'hui

Le courant lyrique

Parmi les poètes apparus dans l'entre-deux-guerres, il faudrait distinguer d'Odilon-Jean Périer (1901-1928), mais aussi de René Verboom, Pierre Nothomb, Roger Bodart, Maurice Carême, Géo Norge, Jean Tordeur... Mais il ne s'agit pas de glisser au palmarès, et nous nous limiterons à deux figures, fort différentes l'une de l'autre mais que recommande également leur valeur d'authenticité: Armand Bernier et Marcel Thiry.
Le charme de l'oeuvre d'Armand Bernier, dont l'essentiel a été réuni sous le titre Le Monde transparent (1956), réside dans la continuité et la cohérence sensible de sa coulée. Une émotion méditante n'a cessé de la conduire dans une nudité d'expression tout à fait remarquable. «Je ne puis lire une oeuvre d'Armand Bernier, a dit Marcel Arland, sans être frappé tout ensemble par la pureté harmonieuse de sa voix et par sa ferveur.» Jules Supervielle lui aussi a beaucoup aimé ce poète en qui il pouvait reconnaître quelque chose de fraternel. À travers de multiples étapes, une âme a cherché l'équilibre et s'est construit peu à peu une vue d'univers. Aux «quatre songes pour détruire le monde» succèdent et répondent «les vergers de Dieu» puis «la famille humaine», et enfin tout se c
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