Avec Leonardo García Alarcón direction - Jodie Devos soprano - Millenium Orchestra
Programme: Wolfgang Amadeus Mozart
Ouverture (Le Nozze di Figaro, K. 492), Aria "Deh vieni non tardar" (Le Nozze di Figaro, KV 492), Ouverture (Cosi fan tutte, KV 588), Aria "Una donna a quindici anni" (Cosi fan tutte, KV 588, Ouverture (Don Giovanni, KV 527), Aria "Batti, batti o bel Masetto" (Don Giovanni, KV 527), Aria "Alcandro, lo confesso... Non sò d'onde viene", KV 512, Symphonie n° 25, KV 183, "Popoli di Tessaglia - Io non chiedo, eterni dei", KV 316/300b
Le Millenium Orchestra est un nouvel orchestre baroque belge dirigé par le talentueux Leonardo García Alarcón, un homme rayonnant d’énergie et d’intelligence musicale, célèbre notamment pour la qualité et la quantité de ses recherches musicologiques. Il s’est illustré récemment à la tête du Chœur de Chambre de Namur et de sa Cappella Mediterranea dans la première représentation mondiale d’« il Diluvio unniversale » de Michelangelo Falvetti (1642–1692). Soulignons qu’à cette occasion, Leonardo García Alarcón a reçu la médaille de citoyen d'honneur de la ville d’Ambronay lors de son célèbre festival et que le CD enregistré à cette occasion a remporté le Diapason d'or du mois d'octobre 2011.
Le « Millenium Orchestra » est une création de CAV&MA (Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne) qui regroupe les meilleurs ensembles baroques de la région namuroise. Ces artistes dans la fleur de l’âge, formés à la musique ancienne jouent sur instruments d’époque, sous la direction flamboyante du chef et claveciniste argentin.
Ce soir, la présence astrale de Jodie Devos, la jeune soprano belge qui a remporté le deuxième prix du concours Elisabeth en 2014 est la meilleure fée belge qui puisse se pencher sur le berceau de ce nouvel orchestre. Et le programme de cette soirée inaugurale est consacré entièrement à Mozart, c’est du meilleur augure. Le conservatoire est comble. Dès les premières mesures de l’ouverture des Noces de Figaro, les sonorités lumineuses se précisent. Le modelé des pupitres séduit et le visage des auditeurs s’épanouit. Le chef d’orchestre est ardent et a le sourire aux lèvres. Sa conduite est franche précise et dynamique. Il souligne des violoncelles passionnés, il donne du velouté aux émotions avant de terminer le premier mouvement sur un tempo de joyeuse jouvence. Des bravi discrets fusent déjà à la fin du premier mouvement ! C’est gagné ! L’ensemble de l’orchestre est en prise directe avec le bonheur de l’épanouissement musical. Si la contrebasse livre sa voix sombre et plaintive, les bois frémissent, vifs et clairs. Les vents diffusent des sonorités et des effluves de fruits mûrs. Trompettes et timbales sonnent l’allégresse, les alti sont en effervescence et les couleurs des premiers violons sont empruntées à une palette lumineuse. Les réponses instantanées des différents pupitres marquent une connivence immédiate et très intense avec le chef.
Jodie Devos, qui s’excuse d’être encore souffrante, a changé un peu la programmation pour pouvoir honorer ses engagements. Elle joue avec feu les personnages de Suzanne, Despina, et Zerlina. On retrouve son habituelle présence piquante et espiègle car elle excelle dans l’interprétation malicieuse des rôles d’ingénue. Une voix qui ne force jamais, mais qui atteint des sommets vertigineux d’une perfection technique admirable, légère presque diaphane à certains moments. Ses vocalises, malgré son état de santé grippal fascinent un public enchanté. La diction est impeccable, ses acrobaties vocales passionnées et le timbre est de toute beauté. La musique a fait taire la grippe annoncée.
En deuxième partie, la Symphonie no 25 en sol mineur, œuvre de jeunesse de Mozart, composée en 1773 au seuil de ses 18 ans est une œuvre éblouissante d’énergies contradictoires et d’humanité. L’orchestre déploie des contrastes de nuances et de dynamiques remarquables pour cette partition extrêmement riche et fougueuse. Le mélange de mélancolie, de désespoir, d’humilité et d’exubérance, de violence même, atteint presque des tournures héroïques. Les sonorités lancinantes de l’andante respirent la tristesse et l’angoisse. L’orchestre semble marcher au bord d’un volcan autour d’un hautbois au chant pur et lumineux. Après un menuet plutôt joyeux, confié aux vents, Leonardo García Alarcón revient, avec son sens inné du drame et de la mise en scène à l’agitation fébrile du premier mouvement.
Le public ne lâchera pas sa soprano favorite après ses derniers airs, et celle-ci le comblera avec l’aria allemand de Pamina tiré de La Flûte enchantée. Un deuxième bis survient, cette fois proposé par l’orchestre et son chef très heureux de cette première soirée. Quoi de plus naturel que de finir avec l’ouverture du même opéra, nous confie-t-il ! Percussions éblouissantes, flûtes divines, beauté du souffle musical plein d’esprit, dans un tempo inondé par la joie communicative.
- http://cavema.be/fr/voir/millenium-orchestra/224-millenium-un-coup-d-oeil-en-coulisses
- http://cavema.be/nl/nieuws/millenium-orchestra/225-div-class-5pbx-usercontent-data-ft-quot-tn-quot
Commentaires
Leonardo García Alarcón lance Millenium
19/02/15, 11.55 | Roel Daenen
Il faut l’oser. À une époque où les budgets de la culture sont mis au freezer, le chef et musicologue argentin Leonardo García Alarcón lance un nouvel orchestre baroque, le Millenium Orchestra. Il effectuera son baptême du feu à Bruxelles.
Alarcón est une star en pleine ascension dans le monde de la musique classique. Non seulement il est directeur artistique du très coté Chœur de Chambre de Namur, mais il a aussi dirigé des ensembles célèbres comme le Freiburger Barockorchester et la formation belge B’Rock. Plein de projets intéressants donc, mais une envie le démangeait : celle de prendre lui-même les risques. Pourquoi ? « Parce qu’il y a une différence importante entre les rôles de chef invité et de chef de son propre ensemble. Dans le second cas, on peut soi-même le façonner et y mettre ses propres accents », explique-t-il. « Pour préparer une production, on prévoit aujourd’hui des résidences et un nombre limité de répétitions avec les meneurs de l’orchestre. En tant que chef invité, on a donc peu de temps - deux, trois jours, pas plus - pour créer un dialogue avec l’ensemble. Et le temps est très important pour la bonne réussite d’un projet. Du temps qu’on n’a pas ou à peine comme chef invité. Millenium, c’est donc une façon de ‘gagner’ du temps, à partir d’une solide réflexion artistique. J’ai l’impression qu’il y a aujourd’hui un nouveau contingent de musiciens qui se sont imprégnés du travail de la ‘génération précédente’, ou pour le dire autrement, des gens qui ont remis en vogue la musique ancienne à partir des années 70. Cette nouvelle génération est présente dans toute l’Europe et ses membres se rencontrent dans les festivals et les académies. Avec l’orchestre, je souhaite faire usage de leur connaissance et de leur expertise. Avec la proximité du Chœur de Chambre de Namur, je dispose de deux formidables instruments, qui vont énormément se renforcer mutuellement dans le futur. Pour le Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne, le port d’attache du chœur - et donc aujourd’hui aussi de l’orchestre - le lancement de Millenium signifie un effort considérable. Malgré la crise mondiale et les restrictions budgétaires, le Centre a persévéré.
En Flandre et à Bruxelles, on discute depuis longtemps des subsides de plusieurs orchestres. À une époque où l’on parle surtout de « fusions » et d’« efficacité », vous osez lancer quelque chose de nouveau. Quels étaient vos arguments ?
Leonardo García Alarcón : Depuis 2010, je suis directeur artistique du Chœur de Chambre de Namur. Le succès mondial de l’ensemble a montré qu’on pouvait faire quelque chose. J’ai surtout utilisé des arguments artistiques pour convaincre les différentes parties impliquées. Ainsi, nous avons rencontré un beau succès et attiré beaucoup de gens avec des compositeurs totalement oubliés et inconnus. Cela signifie qu’il y a un gros potentiel si nous abordons le réservoir d’œuvres un peu plus connues comme Vivaldi ou Haendel. Mais il y a tellement plus à découvrir, comme les merveilleuses pièces du compositeur baroque italien Giuseppe Zamponi ou de ses homologues et contemporains d’Amérique latine. Je rêve d’un kaléidoscope très diversifié de genres musicaux et d’œuvres qui puisse apaiser notre grande faim de musique.
Un ensemble comme B’Rock, qui est lui aussi un orchestre baroque, fait régulièrement des incursions dans des œuvres plus récentes. Excluez-vous le répertoire moderne ou contemporain ?
Alarcón : J’aime beaucoup les pièces contemporaines, et pour un orchestre, il va de soi d’aborder régulièrement de nouvelles œuvres. Par exemple, nous avons pour l’instant un projet en chantier avec le Chœur de Chambre de Namur, intitulé Doctor Lassus, avec de la musique de Roland de Lassus, évidemment, mais aussi de nouvelles compositions. Et vu la belle interaction, j’ai bien envie d’interpréter aussi de la musique contemporaine avec l’orchestre, en effet.
Quelles sont vos ambitions pour le Millenium Orchestra ?
Alarcón : Notre premier grand défi, c’est Mozart. Ce sera le test. Ce premier concert est entièrement placé sous le signe de ce compositeur, avec des extraits de ses quatre derniers opéras. Sans La Clémence de Titus, c’est vrai, mais avec les opéras de Da Ponte et La Flûte enchantée. Nous interpréterons les ouvertures de ces opéras, avec des arias chantés par Jodie Devos. C’est une soprano dont je suis « tombé amoureux » dès que je l’ai vue au Concours Reine Elisabeth.
Vous voulez aussi mieux faire passer « le rôle de l’orchestre dans la société ». Qu’est-ce que ça signifie exactement ?
Alarcón : Le modèle de l’orchestre est apparu sous l’Ancien Régime, à une époque où il n’était pas question de démocratie. C’étaient les rois, les empereurs et le pape qui détenaient le pouvoir. Lorsque les orchestres - tels que nous les connaissons aujourd’hui - sont nés régnait alors en Europe, même à Mannheim, une tradition très forte, baroque. Prenez par exemple les œuvres de jeunesse de Mozart, qui ont encore un pied dans le baroque. Je souhaite donc, sur base d’une vaste recherche historique et musicologique, transmettre un récit aussi passionnant que possible, avec chacun des membres de l’orchestre. L’époque où ils étaient considérés comme les pièces silencieuses d’une grande machine est révolue ! J’aimerais aussi mettre en place des unités plus petites dans l’orchestre, comme un ensemble à cordes, un quatuor, aussi avec les vents, justement pour quitter les sentiers battus. Je veux impliquer les écoles, mais aussi les universités et d’autres lieux où l’on n’entend jamais ou très rarement de la musique classique. Continuons de démocratiser le classique ! C’est exactement ce qu’a fait Mozart il y a trois siècles.
Combien de temps vous donnez-vous pour concrétiser ces ambitions ?
Alarcón : Dans ce premier concert Mozart, nous allons essayer de manier une langue très universelle et de concrétiser un son que j’ai très clairement en tête. C’est la toute première étape. Mais ensuite, nous allons continuer à travailler sur les défis auxquels est confronté tout orchestre : mettre clairement en place les grandes structures, la pulsation, poser les bases avec les violoncelles et les contrebasses et affiner les plus petits détails dans l’articulation. Pour fixer un délai, j’estime qu’il faut au moins deux ou trois ans de travail. Il y a du pain sur la planche.