Après avoir dépeint le Japon dans Madame Butterfly, Giacomo Puccini met le cap sur la Chine, son dernier voyage, car il mourra à Bruxelles, laissant son dernier opéra inachevé. Le compositeur parvenu au terme de sa vie déclare : « Toute la musique que j’ai écrite jusqu’à présent me semble une plaisanterie en comparaison de la musique que j’écris en ce moment » Turandot a été composé entre 1921 et 1924. Toscanini en dirigea la première, en avril 1926.
Cet opéra est l'un des plus vibrants exemples d’exotisme musical. Résolument moderne et stupéfiante, l’architecture orchestrale est particulièrement efficace et souligne une judicieuse alternance entre l’atmosphère de conte et le drame insoutenable, cette marche inexorable vers un destin fatal. Une ultime expression de souffrances longuement tues. Une débauche d’instruments à percussions, une débauche de couleurs, une débauche de tableaux sonores. Voilà ce qui nous est offert par Paolo Arrivabeni dans la fosse à la tête de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Les chœurs dirigés par Pierre Iodice, sont composés de soixante chanteurs majestueusement costumés (Fernand Ruiz). Ils sont placés de part et d’autre, dans les galeries mystérieuses qui entourent le palais de la Cité Interdite. Le luxe d’éclairages miroitants module à la perfection les mouvements sur le plateau et aux fenêtres du palais ainsi que la débauche de sentiments exacerbés.
A Pékin, une princesse hautaine et cruelle, nommée Turandot, promet d’épouser un prince qui résoudra trois énigmes. Les prétendants sont décapités s’ils échouent.
Calaf, prince en exil rêve de reconstituer son pouvoir perdu. "Tu m’as pris mon royaume, tu nous as mis en cage mon père et moi, tu tues mon peuple, donc me voici pour te frapper en retour." Mais il est fasciné par la princesse jusqu’au délire et veut tenter sa chance. En première partie, on la voit apparaître dans une tenue - large tunique et pantalon - d’une blancheur étincelante et glaciale. Elle est porteuse d’un sceptre qui ressemble à une faux. Comme la personnification de la mort. La mort blanche même, aussi implacable et dévastatrice que la cocaïne ou l’héroïne. Le prince est halluciné. "Pour la dernière fois, vaincs cette fascination" supplie son père! Et les trois magnifiques mages...
L’histoire de la femme de glace remonte à plusieurs générations. Une transmission toxique a eu lieu. Il y a des milliers d’années son aïeule a été trahie par un conquérant tartare. Après avoir mis la ville à sac, il l’emmena dans son lointain royaume où elle mourut de chagrin. C’est pour venger cette infamie, que la princesse Turandot a imaginé l’épreuve. Elle porte avec elle le lourd fardeau d’un trauma transgénérationnel que pour rien au monde elle ne voudrait lâcher car il la protège de la capitulation face à l’homme. Et plus que tout, elle rêve d’indépendance et craint l’amour charnel avec tout ce qu’il représente. Elle utilise le viol mythique de son aïeule pour haïr tous les hommes…C’est un être féroce mû par la vengeance « Je venge sur vous, cette pureté, ce cri et cette mort ! » Ironiquement, la princesse a sauvagement besoin de victimes expiatoires pour parvenir à accepter la part féminine d’elle-même qu’elle renie. L’interprète de Turandot est Tiziana Caruso, un rôle qu’elle maîtrise totalement.
Le metteur en scène José Cura, incarne avec flamboyance le prince sans nom. José Cura est passé maitre à la fois dans le chant, la direction d’orchestre, la mise en scène et la scénographie. Calaf, dont personne ne connaît l’identité, résoudra les trois énigmes mais ne veut pas forcer la glaciale beauté à qui il lance lui aussi un défi : il s’avouera vaincu et acceptera la mort si Turandot réussit à découvrir son nom, ce dont elle ne doute nullement: elle possède toutes les armes de torture pour faire avouer le moindre de ses sujets. Lui - péché d’orgueil ? - ne veut recevoir la princesse que par amour. Il est sûr de sa victoire et bouillant d’impatience.
Une seule personne connaît ce nom : l’esclave Liù, amoureuse de Calaf «Parce qu’un jour, dans le palais, tu m’as souri ! ».Elle est fragilité, innocence et sincérité. Elle se trouve dans la foule, avec son maître, un vieillard, le roi détrôné Timur (Luca Dall’Amico), père de Calaf. Une foule bruissante comme en Chine, qui commente, admire et se repaît d’imprécations, comme dans la tragédie grecque. Le fameux air de Calaf Nessun Dorma atteste que personne à Pékin n’est autorisé à dormir, sous peine de mort tant que le nom du prince ne sera révélé. La tension est au maximum. Liù, la jeune esclave se sacrifie pour l’homme qu’elle aime. C’est l’exquise Heather Engebretson, jeune soprano américaine, diplômée de la célèbre Julliard School qui l’incarne. Liù est symbole de pureté, de bonté et de beauté morale. Archétype du sacrifice par amour. Celle par qui la malédiction familiale peut être vaincue.
Les magnifiques éclairages d’Olivier Wery font vivre cette cité impériale légendaire, plantée en bord de scène, d’enfants de notre siècle - une quarantaine d'enfants de la Maîtrise de l'opéra- qui construisent des maquettes, dessinent, peignent, dorment et chantent … sous le regard attendri d’un professeur-mandarin (Roger Joachim). Une façon élégante et astucieuse de relier deux époques, de montrer que les enfants gardent cette capacité de voyager dans l’imaginaire, de souligner que tout ceci est un conte mais que les contes ont toujours une morale! La morale, c’est la jeune et bouleversante Liù qui la détient : « Liù, bonté, pardonne et oublie ! » Et Timur, en habits noirs la suit dans le couloir de la mort « pour attendre à ses côtés, la nuit sans le matin. »
Commentaires
Ici à Liège, José Cura va plus fort : il supprime radicalement le finale habituel d’Alfano, et laisse donc la partition en l’état où elle se trouvait, ce 29 novembre 1924, jour de la mort de Puccini à Bruxelles. Comme au soir de la création par Toscanini en 1926, l’opéra se termine par la mort de Liu. Durant la brève déploration qui suit, Timur se métamorphose en… Puccini, s’étend et meurt, salué par ses personnages. Un petit garçon croise ses mains sur sa poitrine. L’instant est émouvant. Des enfants sont par ailleurs présents tout le temps de la représentation, devant le rideau, jouant au Lego sous la direction de leur professeur-mandarin, aux dépens, parfois, de l’aspect tragique. Le ténor argentin est un excellent metteur en scène, que les spectateurs liégeois ont pu apprécier dans Samson et Dalila ou dans le diptyque Cav/Pag. Frappé par la Porte du Midi de la Cité interdite à Pékin, il la reconstitue de manière sobre : décor en U, laissant toute la place au choeur, personnage essentiel de l’oeuvre, et placé tout simplement à gauche et à droite de la Porte. La direction d’acteurs est efficace; en prime, lumières (Olivier Wéry, superbes durant la scène des énigmes) et costumes (Fernand Ruiz) apportent une contribution importante à l’ambiance orientale. Hormis quelques détails puérils (les ministres se déshabillant pour révéler des sous-vêtements inspirés par la BD, les grosses boules multicolores figurant les joyaux offerts à Calaf), l’aspect visuel constituait une nouvelle réussite scénique de Cura. Vocalement, le fort ténor incarnait un prince Calaf très engagé, de son pari insensé à la fin du premier acte, rythmé par trois formidables coups de gong, jusqu’au « Nessun dorma » final tant attendu, et dont il a bien tenu le contre-ut sur « Vincero« . Née à Catane comme Bellini, Tiziana Caruso se devait d’honorer son patronyme, en se consacrant à l’opéra. D’un grand charme physique dans son long pijama blanc, elle possède le métal requis par une tessiture meurtrière, et son interprétation d' »In questa reggia » est remarquable d’intensité dramatique. Heather Engebretson, jeune soprano américaine, possède une voix acidulée et pointue, qui servirait mieux le page Oscar d' »Un Ballo in maschera » que la tendre esclave amoureuse du prince inconnu. Mais la musicalité était là, et c’est l’essentiel. Timur sobre et touchant de Luca Dall’Amico, ministres sautillants et infatigables de Patrick Delcour, Xavier Rouillon et Papuna Tchuradze, empereur moyen de Gianni Mongiardino, et Mandarin bon acteur de Roger Joakim. L’excellent chef de choeurs Pierre Iodice, ici aux premières loges, livre une fantastique prestation, justement saluée par un public enthousiaste, tout comme Paolo Arrivabeni. Le chef, dont cette saison sera la dernière, à la tête d’un orchestre de l’ORW bien préparé, jubilait manifestement en jouant la partition sans doute la plus brillante de Giacomo Puccini. Une production magistrale.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 25 septembre 2016
http://www.crescendo-magazine.be/2016/10/une-tentative-reussie-dune...
Timur/Luca Dall’Amico
REECOUTER: http://www.rtbf.be/auvio/detail_opera?id=2146513
http://omm.de/verans…/musiktheater20162017/LIE-turandot.html
PUCCINI'S END
by Thomas Molke
AlthoughTurandot belongs to Giacomo Puccini´s best-know operas, not least because of the famous tenor aria “Nessun dorma”, but puts high demands on the theatre when fully performed, especially with the main characters that are difficult to cast. Furthermore Puccini couldn´t complete this opera, at his death he only left 36 work sheets to follow Liù´s suicide and the last duet for Turandot and Calaf was not yet orchestrated. Under the pressure of the publisher and the Prime Minister Puccini´s student Franco Alfano agreed to finish the opera on the basis of the sketches. Still a lot of music theatres are struggling with the dramaturgical and musical end. At the world premier Toscanini stopped the opera after Liú´s death with the words: “At this point the maestro died”. Also at the second performance Alfano´s completion was only performed in a shortened version. Since the complete end was first performed in the 80s of the last century there are again and again different variants for the end of the opera.
Now José Cura, who already inspired us four years ago with Cavalleria rusticana and Pagliaci in a double role as director and singer, took Puccini´s unfinished opera in hand and he finds a very unique interpretation for the end. At the end Puccini appears personally and he puts the last words of Timur in his mouth after Liù killed herself. It is arguable in Cura´s production if it is really a suicide, if the slave really plungs herself into the sword or if Turandot stabs her to death from behind. It is clear that Turandot feels complicity as she desperately tries to clean her hands from the (imaginary) blood. In this scene Puccini occurs, and suddenly his most famous stage characters like Madama Butterfly, Mimi, Tosca, the Girl of the golden West, Suor Angelica and various others appear to bid a dejected farewell to their creator. Puccini places himself at the rampe of the stage between red and white paper lamps. So the work finds an end without the questionable happy ending.
Apart from the new interpretation of the end of the opera, Cura chooses for a classical approach for his production. Bevor the beginning of the actual performance he introduces a school class as frame story that works on a project about Puccini´s opera. The younger children designed a three-part pagoda that afterwards framed the stage which was designed from Cura. The older girls dealt with the costumes for the three ministers and they drew three characters from the Commedia dell' arte, embodying the ministers Ping, Pang and Pong, on the stage wall that replaced the curtain. The ministers first appear with everyday clothes and with suitcase carrying the respective costume that was sketched on the wall. A teacher (Roger Joakim) appears and examines the work of the pupils before he changes into the Mandarin with an oriental jacket and before he starts the opera with the message that Turandot will only marry an admirer who is able to solve the three enigmas.
The wall is pulled up into the drawing floor and offers a free view on the three-part pagoda. The choir with oriental appearing costumes from Fernand Ruiz is placed statically in the background. In the centre of the stage there are numerous cages with candidates for Turandot´s favour, but also Liú and Timur are kept imprisoned there. The latter is a bit difficult to understand because Timur as the dethroned king wanders thru the streets of Beijing like a beggar but he can move freely. To stress Turandot´s rejection of the male gender she surrounds herself with female fighters in Manga costumes. The glamour coming from Turandot is stressed by the skilled illumination of Olivier Wéry. At her first appearance she looks like an angel figure with her white costume in brightly glowing light. Therefore it is understandable that Calaf is eaten up with love for her particularly because she unveils just in front of his cage. Although shortly after Liù wrests the veil from Calaf she cannot free him from the fascination of this men killing woman.
For the three enigmas that Turandot asks Calaf three passages that are built in a row are moved upwards from the stage floor in the middle of the stage. With every solved riddle a passage is closed with a paper curtain. In the end there is now possibility for Turandot to escape from Calaf especially as her father proclaims that she has to stick to her promise to marry the man who solves all three enigmas. But Calaf offers her a possibility to escape by cutting thru one of the paper curtains. If she finds out about his name until dawn he is ready to die for her. If colourful balls where needed to fall down from the middle pagoda as treasures to learn about Calaf´s name is a matter of taste. Here the circular light projection from Wéry would have been enought. The coloured plastic balls steel a bit the illusion.
Musically the evening was on a high level. Paolo Arrivabeni together with the orchestra of the Opéra Royal de Wallonie finds a fresh access to Puccini´s music and he leads the cast thru the evening with light hand without rolling out the dramatic passages too wide. That gave the production a lean sound and reduced the “fight” between singers and orchestra that often arises with this opera. The opera choir under the leadership of Pierre Iodice and the childrens choir showed a solid performance. Patrick Delcour, Xavier Rouillon and Papuna Tchuradze convinced as Ping, Pang and Pong musically and dramatically. As characters from the Commedia dell' arte the do not take the first candidates for the favour of the princess seriously and it seems they do not have pity for their fate. Not until Calaf undertakes the task they put down their masks and change into people of flesh and blood – if there was a need for Manga t-shirt, a spiderman costume and a bras with fatsuit however is a matter of taste – before they put on classical oriental robes. Roger Joakim as Mandarin and class teacher is a familiar safe bank in Liège with his powerful baritone.
Luca Dall' Amico as the dethroned king Tumur catches the listeners' attention with striking bass. Only dramatically he appears in parts to agil as a frail father. In the end as Puccini he proves great stage presence. It seems Tiziana Caruso hadn´t adapted to Arrivabenis prudent conducting. Anyway she sang Turandot´s great aria excessively loud voiced and with too much vibrato so the high notes where flickering slightly sometimes. Instead Heather Engebretson as the slave Liù became the audience favorite. With clear intonation, transparent heights she enthused firstly in her big scene in the second act when she desperately tries to dissuade Calaf from taking the exam. And she moves the audience in her big final scene when she´s prepared to die for Calaf. As the opera ends here she nearly had deserved the title Liù instead of Turandot. Cura not only proves that he can find a convincing access to Puccini´s unfinished opera as director but can also shine with the challenging role of the prince Calaf. With tenoral melodiousness and a furiously sang out “Vincerò” he shaped the famous “Nessund dorma” and together with Arrivabeni completely unpretentious asserted that the bravura aria was not considered with applaus so the musical flow was not interrupted. Cura also created Calaf´s “Non piangere, Liù” in the second act passionately with flexible tenor and splendid high notes. At the end there is long lasting and frenetic applause for all participants.
CONCLUSION
José Cura once again not only proves his versatile talents by not only shining as a singer in Puccini´s Turandot, but also as a director with a convincing concept that refrains of Alfanos finishing of the opera.
http://www.opernnetz.de/…/Aktuelle_Auffuehrungen/Liege_Tura…
REQUIEM FOR LIÙ
José Cura, one of the best-know tenor in the Italian repertoire, is one of the few singer who can assert himself as director and who looks fare beyond his nose as a singer. The close friendship to the director of the Opéra Royal de Wallonie in Liége, Stefani Mazzonis di Pralafera, leads the tenor for the second time into the Belgium city, where he not only stages Puccini´s last opera Turandot but creates also the stage design and moreover took over the role of Calaf.
Even if with the new production at the effective season start the reception history mustn’t be written new, Curas prodiction offers more than just exotic colourful or even trivial chinoiserie as recently in Bregenz, it´s also free of silly gimmicks of the bizzare minister trio. Although he remains faithful to the fairy tale flair from the mind of Carlo Gozzi, but he reads the fairy tale as passionate plea for an unbreakability of real love. And in this peace Liù, who goes to death for her love, vouches for that and not the cold-blooded Chinese princess. Consequently he stays with the fragment of the unfinished work and waives for the splendid wedding-happy-ending of the blue-blooded couple that was additionally composed by Franco Alfano after Puccini´s death. With Cura the opera ends with the tender and dark fading death of Liù, the last original sounds out of the feather of the composer.
The whole production is dominated by dark colours. Shadowy architectures of the Forbidden City are slightly illuminated. The people and most of the singers are dressed in muted colours. Only a group of brutally acting female myrmidons of the princess show up in white and Turandot herself appears with a spotless pantsuit, at first veiled and in the role of the executioner. The minister trio only puts on richly ornamented Chinese robes in the enigma tableau. One of the few country-specific insignias of the production.
The lively girls of the children’s choir attend the whole performance at the ramp and the sides of the stage, supervised by the mandarin who explains the opera to them at the beginning. It´s simply a fairy tale, also suitable for children, even if it is a brutal fairy tale, even more brutal as with the Brothers Grimm. A fairy tale where the sacrificial love of Liù defeats the threatening demanding claim to power of Turandot.
In doing so Cura especially created excitement within the first and the last act while he left much to chance in the dramaturgically and musically weaker second act, in particular with the enigma tableau. But overall he succeeds with a very satisfactory work after his successful production of Cavalleria Rusticana and Pagliacci at the same location some years ago.
And the musical quality is worth listening anyway. Of course the success is guaranteed when Cura sings not only the famous Nessun dorma with great physical strength of his powerful and radiant voice. The great importance of Liù that Cura attributes to her corresponds with Heather Engebretson who fills the role with lyric warmth and who was the star of the evening besides Cura. It was not easy for Tiziana Caruso in the titel role to set something against for her room filling but in the heights very hard sounding voice.
If you add the brassy bass of Luca dall’Amico as Timur and the well-staffed minister trio the vocal quality is in a good state, and that means a lot with an opera that is difficult to cast. While the choir, that is partly fare away from the orchestra, struggles with coordination problems at the premiere, the Liège orchestra under the skilful baton of Paolo Arrivabeni provides pithy and sensible sounds. A leadership exuding firm theatre atmosphere. Special praise for a clean and concise singing children´s choir.
The audience thanks with long lasting, enthusiastic applause for a worth hearing and overall seeing Puccini production with a cast, that is miles better than the cast at the Deutsche Oper am Rhein.
Pedro Obiera
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Une centaine de kilomètres sépare Liège de Bruxelles, ville où s’éteint Giacomo Puccini, le 29 novembre 1924. Il y arrive trois semaines plus tôt, afin de suivre une radiothérapie destinée à combattre un cancer de la gorge qu’on vient de découvrir. Dans ses valises, le manuscrit deTurandot l’accompagne, que le musicien compte mener à terme. Malheureusement, la mort le surprend après avoir écrit celle de Liù, et quelques esquisses du duo d’amour ainsi que du final. On sait que Franco Alfano (1875-1954) va, bien avant Berio [lire notre critique du DVD], proposer un dénouement orchestral à l’opéra en trois actes qui verrait le jour le 25 avril 1926, au Teatro alla Scala (Milan). À l’instar du bouillant Toscanini qui posa sa baguette le soir de lapremière, cette nouvelle production liégeoise (six représentations, du 23 septembre au 4 octobre) choisit de conserver les notes seules du compositeur de Tosca [lire notre critique du DVD].
Fidèle serviteur de Puccini [lire notre critique du DVD Edgar et Manon Lescaut], José Cura, l’est ici à plus d’un titre. En effet, si l’on connait l’Argentin pour son art lyrique, on ignore peut-être qu’il compose, dirige l’orchestre et pratique la mise en scène depuis bientôt dix ans. Il le fait avec sérieux et intelligence, comme le prouve la brochure de salle qui met en relation l’histoire de la princesse de glace, redécouverte « quand la psychanalyse moderne s’est affirmée en tant qu’instrument de connaissance », avec un créateur qui fut toujours très sensible au féminin. Et Cura de s’interroger : « est-ce possible que la raison pour laquelle il n’acheva pas l’œuvre, au-delà de sa maladie, ait été un sentiment très personnel de malaise devant le “règlement de compte” entre le Moi masculin et le Moi féminin, que représente le dénouement de Turandot ? »
En référence à la fable originale, riche d’enseignement, il convoque un groupe d’enfants qui, par ses activités ludiques à l’avant-scène (peinture, Lego, etc.), annoncent l’ouvrage avant d’y participer (« Dal deserto al mar »). Loin de s’étaler comme ailleurs [lire notre chronique du 28 mai 2005], notre « petite » Ville Impériale s’élève vers les cintres pour placer le chœur dans des galeries latérales et enfouir ses cachots sous les planches, d’où ne dépasse que le torse des prisonniers – créant une caisse de résonnance ingénieuse autant que symbolique. Tandis que les élèves déguisent en Mandarin leur professeur, trois complices, incarnant d’ordinaire des masques de Commedia dell’arte, vont aussi relier réalité et fantaisie, grimés en Ministres. Ils sont la touche comique (sabre phallique, tee-shirt Spiderman, etc.) qui fait respirer dans la cité fastueuse et morbide éclairée avec une variété opportune (Olivier Wéry).
Vêtus sans kitsch exotique (Fernand Ruiz), de solides chanteurs entourent José Cura (Calaf), ténor d’une santé sans faille, bouleversant de tendresse lorsqu’il murmure à l’oreille cruelle («Dimmi il mio nome »). Le rôle-titre est tenu par Tiziana Caruso, soprano dramatique souple et onctueux. Musetta jadis, la Nord-américaine Heather Engebretson (Liù) intéresse par une énergie cristalline prometteuse. Chez Luca Dall’Amico (Timur), on apprécie vaillance, agilité et grand souffle. Le trio de Ministres réunit l’incisif Patrick Delcour (Ping/Pantalone), familier de la scène wallonne [lire nos chroniques du 14 avril 2016, du 5 février 2015 et du 11 juin 2013], Xavier Rouillon, d’agréable rondeur (Pang/Balanzone), et Papuna Tchuradze (Pong/Arlecchino) au chant ferme et bien projeté. Roger Joakim (Mandarin) et Gianni Mongiardino (Altoum) complètent la distribution, de même que l’efficace chœur maison, hardi à souhait, préparé par Pierre Iodice.
Paolo Arrivabeni est le maître talentueux d’un orchestre aux pupitres bien différenciés, à l’aise avec la sauvagerie initiale (épisode du Prince de Perse) comme dans la sensualité de scènes plus intimes. Il sublime une production que les auditeurs de Musiq’3 découvriront en direct le 1er octobre prochain – production dédiée par son ancien partenaire, ainsi que par la direction qui la choisit comme Desdemona en 2011, à la divine Daniela Dessì, disparue le 20 août dernier.
LB
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