Alexis et Edmond, un monde de connivences…
Nous voici à Paris, en décembre 1875, à l’époque où une grandiloquente Sarah Bernhardt déclame « La Princesse Lointaine » au Théâtre de la Renaissance. L’ennui est prodigieux. Edmond Rostand n’a pas le sou, deux jeunes enfants à nourrir et une fidèle épouse sage comme une image. Ses pièces sont une suite de fours sans précédent. Tout le monde court ventre à terre voir du Labiche ou du Feydeau. Les messieurs, en passant par la case des « Belles Poules ». Question d’époque ?
N’est pas Poquelin qui veut! Coquelin, nouveau directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin a déserté la Comédie-Française, pour se mettre à son compte en toute liberté, mais il est pourchassé par les huissiers. Premier clin d’œil autobiographique d’Alexis Michalik qui a fui le Conservatoire, dit-il, pour devenir freelance ? Sauf que les opus De Michalik ont fait immédiatement pleuvoir sur lui tous les Molières et nous ont portés au plus fort de la jouissance théâtrale. Comme ce fabuleux « Porteur d’histoire » l’an dernier joué au Public et à l’Atelier Jean Vilar.
Michalik a donc flashé sur Cyrano de Bergerac et se lance dans une amplification théâtrale foisonnante et savoureuse autour de son auteur, Edmond Rostand. Michalik fait flèche de tout bois dans de innombrables tableaux surprenants entourant la genèse de la pièce. A la fois souffrance et exultation, rien ne sort de la plume sans urgence, c’est le propre de la création… Le tout se trouve émaillé de substantifique moelle, celle des extraits les plus chavirants ou les plus drôles de la pièce de Rostand. Entre pastiche et vérité, il y a le rêve de la création littéraire et des tonnes de références culturelles incongrues.
Côté pastiche, on est servi ! Une vraie salade russe. La belle Roxane aux boucles blondes est jouée par une actrice prétentieuse que l’on croirait sortie des contes de Perrault. Elle est affublée de deux producteurs corses glauques qui en sont entichés au point de servir de papas gâteau a son jeune fils adoré, François. Au passage, on rencontre Tchekhov qui fréquente le poulailler rose qu’ils entretiennent: « Les Belles Poules ». Tchékov a soit-disant l’accord de sa femme car il prétend qu’il va mourir sous peu! …Maintenant ou plus tard, de toute façon on va mourir un jour ! Les deux Georges, Georges Feydeau et Georges Courteline se prennent pour Dupont et Dupond. Un certain Maurice offre un « boléro » pour la première… L’âme du « Dindon » se coince dans les claquements de portes. Gallégeades théâtrales ( champagne ou verveine ? ) persillée de joyeusetés telle le patron noir du café, Honoré, bien sûr, qui remet à sa place un fâcheux qui l’a traité de « nègre ». L’occasion de déclamer sur tous les tons… la magnifique tirade du nez! Voilà quelques exemples pétillants des chapelets de connotations littéraires et malicieuses.
Au dos du décors et au plus profond de l’action il reste …l’éternel panache, cette note bleue qui chante la hauteur des sentiments pour tout ce qui est muse ou idéal féminin, versus l’usure domestique de l’amour quotidien. Mais par-dessus tout, voici une vibrante ode à l’Esprit frappeur. Entre tous, l’Art théâtral, est le couronnement et le fondement de l’art vivant, loin des écrans de tout poil et autres « réalités » virtuelles. Le lieu par excellence de l’enthousiasme, comme le définit Madame de Staël. A bon entendeur, Salut !
La distribution impeccable rassemble une élite de la scène belge. Douze comédiens en goguette pour incarner pas moins de 38 personnages… De très connus : Maxime Anselin, la très joviale Perrine Delers, Inès Dubuisson, l’incomparable Itsik Elbaz, l’illustre Antoine Guillaume. Mais aussi: Tristan Schotte ( Edmond Rostand) , la délicieuse Elsa Tarlton (Jeanne et Rosine), Rézal Siellez, Sandrine Laroche, Mwanza Gautier ( inénarrable Monsieur Honoré) et David Dumont. Le tout sous l’aimable regard de Michel Kacenelenbogen, dans sa mise en scène virevoltante. Et un beau nombre de rappels enthousiastes. Presque comme au soir de la Première… le 28 décembre 1897.
Dominique-Hélène Lemaire pour Arts et Lettres
« EDMOND », la pièce aux 5 Molières d’Alexis Michalik, Comédie héroïque
Texte et direction artistique : Alexis Michalik.
Mise en scène : Michel Kacenelenbogen. Avec : Tristan Schotte (Edmond Rostand), Maxime Anselin (Jean Coquelin), Perrine Delers (Maria Legaut), Inès Dubuisson (Rosemonde Rostand), David Dumont (Léo Volny et le passant), Itsik Elbaz (Constant Coquelin), Mwanza Goutier (Monsieur Honoré), Antoine Guillaume (Georges Feydeau), Sandrine Laroche (Sarah Bernhardt), Réal Siellez (Marcel Floury), Elsa Tarlton (Jeanne), François-Michel van der Rest (Ange Floury).
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