Il y a d’un côté le public et de l'autre, les trois murs étincelants mais étouffants d’une cuisine modèle impeccablement tenue. Tout juste si, par simple illusion d’optique on ne les voit pas se pencher subrepticement pour avaler cette femme volubile encore jeune, dont la vie a été remplacée par la routine. La femme est banale mais heureusement profondément actrice. Elle est, malgré le cadre, exquise, fougueuse, incapable de rester en place, craquante de sincérité et de naturel, débordante de convivialité. Elle en est venue au cours des années, à converser vaillamment avec le mur, le verre de vin blanc à la main, face à son improbable interlocuteur. Peut-elle encore imaginer ce qu'il y a derrière le mur?
Un autre mur, Joe, son mari lui dit bien de temps en temps « qu’il l’aime », mais ce sésame n’ouvre paradoxalement que sur les humiliations répétées, voire, le mépris ou l’indifférence. Elle l'observe et le voit en effet parler de façon bien plus aimable à tous les étrangers qu’il rencontre! Elle raconte avec délices les éblouissements des débuts de vie de couple, les ravissements d’enfants en bas âge et puis, moins drôle, toutes les trahisons de la vie. Elle s’interroge: va-t-elle oser sauter le pas, comme quand elle était enfant et qu’elle sautait du toit, pour partir seule, en voyage de 15 jours en Grèce avec sa copine Jane, qui lui a maintes fois dit de larguer tout et lui a même offert le billet de ses rêves ? Ses récits de vie et ses interrogations sont poignants, y mêlant sans cesse le réalisme des gestes domestiques quotidiens. Elle réalise soudain : « ma vie est un crime contre Dieu car je ne m’en suis pas servie, ne sachant pas quoi en faire ! » Elle est devenue inutile!
Doit-elle « faire ce qu’elle voulait faire ou faire ce qu’elle devait faire ? » Elle découvrira que « les rêves ne sont jamais là où on les attend. » Mais sautons tout de suite à la fin de l’histoire : « Elle a subitement su qu’elle ne rentrerait pas vers Manchester avec la valise ! ». Elle a largué tous les démons qui l’enchaînaient. Elle ne traîne désormais plus rien d’encombrant, elle se sent légère ! Elle compatit : « Joe aussi traîne sa vie comme un poids ! » Willy Russel – c’est un homme qui écrit – a installé une Shirley Valentine radieuse, décapée de toutes les scories vénéneuses qui l’étouffaient, face à la mer Egée, sur un rocher … avec qui elle ne peut s’empêcher bien sûr de parler ! Question d’habitude. Le rocher est couleur banquise, tout le reste du décor est noir. Elle est belle comme une aigue-marine.
Entre l’immensité du ciel et de la terre, elle a enfin retrouvé sa dignité d’être humain, son identité de « Shirley Valentine ». V comme V Day, alors qu’elle n’était devenue qu’un avatar oublié de grand mouvement du monde ! Là, assise buvant du vin à une table au bord de la mer - son égérie - elle déclarera d’une voix de star, à son mari qui vient la rechercher : « Bonsoir. La femme que tu veux voir n’existe plus. Celle qui était ton épouse n’existe plus. Celle qui était la mère de tes enfants, n’existe plus non plus. Celle à qui tu parles , c’est une femme que tu ne connais pas, Shirley Valentine, Amoureuse de la Vie. »
C’est ce que Willy Russel veut pour la société entière : le changement, le réVeil, la ...Vie, quoi ! Au lieu de la manipulation et de l’anesthésie générale des êtres humains en particulier, par les normes et les diktats de la consommation. Il ose brandir la liberté et souhaite que les gens se réveillent de leur torpeur ! Et Shirley de souligner que « les seules aventures de vacances que j’ai eues, c’est avec moi, et je commence à m’aimer. » Tout un Programme, une révolution, à 42 ans !
Marie -Hélène Remacle, qui fonce dans cette pièce comme une météorite, nous a offert un spectacle éblouissant d’humanité et de drôlerie. Pas étonnant que certains spectateurs ou spectatrices reviennent voir le même spectacle plusieurs fois!
http://www.bruxellons.net/shirley2011.html
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