« La forza del destino » de Giuseppe Verdi (1862)

La Forza à Liège. On craint toujours de prononcer le titre complet en Italie, par superstition tant les malheurs se sont accumulés autour du compositeur en attendant sa création à Saint-Pétersbourg en 1862. L’œuvre, jouée à Varsovie en 1939 marqua aussi, au jour près, le début de la deuxième guerre mondiale. C’est tout dire.

Tout commence avec une ouverture flamboyante: des cuivres vibrants, de somptueuses couleurs qui font craquer d’émotion une salle où flottent tant de souvenirs liés à son directeur honoris causa à vie. Renato Palumbo à la direction d’orchestre fait vibrer les cœurs et couler les larmes de maints spectateurs. Il sera incontestablement l’artisan précieux des échos orchestraux chatoyants soulignant avec précision et finesse extrême tous les soli.

En guise de bulles de bonheur, partageons ici une consécration de la soprano uruguayenne Maria José Siri qui interprétera à merveille le rôle central de l’héroïne Donna Lenora di Vargas dans ce Verdi spectaculaire et passionnant. Nous vous livrons une partie de son interview réalisé par Paul Fourier pour Toute la Culture. Elle parle de ses premières émotions sur la scène liégeoise.  …

« C’est la première fois que je chante à Liège et tout se passe très bien. La première a été un énorme succès pour tous les participants. Je me sens chanceuse d’avoir ces merveilleux partenaires sur scène et d’être dirigée par l’excellent Maestro Renato Palumbo.
C’est une belle production traditionnelle de Gianni Santucci, d’après une idée de l’ancien directeur artistique du théâtre, Stefano Mazzonis di Pralafera, décédé de manière si inattendue et prématurée l’année dernière.
Avec cette production, je fais mes débuts dans ce magnifique théâtre et je dois dire que je me sens très bien ici ; l’ambiance y est très agréable et j’aime aussi beaucoup la ville. Il y a quelques années, j’étais déjà venue en Belgique chanter Amelia dans « Un ballo in maschera » à La Monnaie à Bruxelles et c’est formidable d’être de retour !
Cette Forza del destino marque le début de ma saison 2021/22 et j’espère qu’enfin les choses vont pouvoir se dérouler comme prévu ! Si tout se passe bien, cet opéra devrait être le premier d’une série de titres Verdi »

 Pur bonheur vocal, son soprano large et somptueux a su électriser le public de Liège qui a réservé à la tragédienne des vivats enthousiastes lors de la séance du dimanche après-midi. On a pu admirer sans réserve Maria José Siri, cette habituée des plus grandes scènes de la planète, qui  a assumé aussi pleinement et sans effort apparent, tous les forte de ses interventions, produisant des aigus d’une superbe stabilité. Ses qualités d’artiste totalement engagée ont su donner de très beaux reliefs à son personnage de plus en plus persécuté par le destin. Car on peut dire que plus son malheur s’affirme, plus elle est convaincante. « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots...»  Son « Pace, pace…mio Dio » émeut profondément…  

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La jeune bohémienne Preziosilla interprétée par la mezzo-soprano géorgienne Nino Surguladze, nous offre un timbre rafraîchissant, des vocalises précises et une vocalité pleine qui contraste heureusement avec les lugubres aspects de l’œuvre dramatique. Sa belle présence scénique enjouée, même pour célébrer la guerre et ses tambours, nous donne des moments de respiration bienfaisante. « Viva la buona compagnia ! »   Une foule de choristes, danseurs villageois ou militaires participent à des scènes graphiques qui respirent la vie et une certaine insouciance. Quelle ironie, « Viva la guerra ! »  La victoire, en chantant, non? Une victoire musicale certainement, menée par le chef de chœurs Renato Palumbo.

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Autre cocktail de fantaisie plaisante bienvenu avec Enrico Marabelli en Fra Melitone, un moine de service quelque peu borné mais qui contribue avec la finesse bouffonne des fous shakespeariens à de joyeuses échappées. On a besoin d’air… Car finalement dans quelle mesure est-on encore passionné à notre époque par l’enchaînement infernal de l’honneur bafoué suivi d’une vengeance digne des tragédies grecques ? A moins que, vu sous cet angle plus universel, chacun en son for intérieur ne se sente fort concerné par l’inéluctabilité du Destin qui nous rend proies de la fatalité. Le jeu de Tarot tissé en filigrane sur le rideau est là pour nous rappeler cette force mystérieuse. Quant aux costumes choisis, ils évoquent « La Der des Ders », celle de 14-18 et ses 65.00.000 de victimes, militaires et civils et nous plongent dans les couleurs fatidiques feldgrau des tranchées. Heureusement que les magnifiques décors italiens des scènes de village ou d’église sont eux, intemporels. On gardera le souvenir de ce profil sur le ciel bleu de cette jolie église couleur brique …du centre historique de Bologne ? Viva l’Italia !

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Le Don Alvaro du ténor argentin Marcelo Alvarez, qui a tué le marquis de Calatrava, le père de sa bien-aimée Leonora, est sincère et effervescent. Il témoigne d’une totale générosité expressive. Un modèle de résilience malgré son impuissance à contrer la fatalité. Il fait preuve d’une attachante prestance scénique. Sa voix repose sur de belles résonnances fougueuses et profondes et accède avec éclat aux les harmoniques les plus élevées. Très beaux échanges avec le baryton italien Simone Piazzola dans le rôle de Don Carlo di Vargas.

Angélique Nodus, Alexei Gorbatchev et Maxime Mělník, trois joyeux artistes que l’on adore écouter à Liège, complètent la riche équipe musicale de la production.  Mais aurait-on oublié ce grand prêtre magistral, un modèle de bienveillance, de sagesse, de droiture et de lucidité « Del mondo i disinganni » ? Un second rôle … éblouissant !  C’est Michele Pertusi, une splendide basse, qui respire la compassion et l’humanité enfin lumineuse. Une voix ample et généreuse de pasteur qui rassure malgré tout sur notre sort.

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« La forza del destino » de Giuseppe Verdi (1862)

Opéra en 4 actes
Livret de Francesco Maria Piave
d’après un drame du duc de Rivas,
Don Alvaro o la Fuerza de Sino


 Les talents lyriques :

Marcelo Alvarez (Don Alvaro), María José Siri (Leonora), Simone Piazzola (Don Carlos), Michele Pertusi (Il padre Guardiano), Enrico Marabelli (Fra Melitone), Nino Surguladze (Preziosilla), Maxime Melnik (Trabuco), Alexei Gorbatchev (Il marchese di Calatrava), Angélique Noldus (Curra), Benoit Delvaux (Un chirurgo), Bernard Aty Monga Ngoy (Un alcade)


Avec l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Renato Palumbo (direction)
 Et les Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs)


Le cadre artistique :

Gianni Santucci (mise en scène), Gary Mc Cann (décors), Fernand Ruiz (costumes), Alex Brok (lumières)

A l’Opéra royal de Wallonie à Liège
16/09/2021 – 19, 22, 25, 28 septembre, 1er octobre 2021 durée : 3h15